SOIGNER
Médicaments pédiatriques :
les erreurs à éviter
Par AURORE BERTHE-AUCEJO ¹, SONIA PROT-LABARTHE 1 ,2, 3, OLIVIER BOURDON 1, 2, 4
E
n pédiatrie, de nombreux traite-
ments sont prescrits hors AMM,
c’est-à-dire dans une indication,
une posologie, une forme galé-
nique, un âge différent de ceux
précisés dans l’AMM. Les erreurs
d’administration sont fréquentes, ex-
posant à des risques de toxicité et/ou
d’inefficacité.
FORMES ORALES LIQUIDES
DISPOSITIFS D’ADMINISTRATION
Ils doivent être présents dans le condi-
tionnement commercial et être cohé-
rents avec la posologie indiquée sur l’or-
donnance car une discordance est source
d’erreurs (par exemple : prescription
d’une dose pour 2,5 kg alors que la plus
petite graduation du dispositif doseur
est de 4 kg). Ils doivent également être
adaptés à la voie d’administration (pas
de confusion avec une seringue pour in-
jection) et compatibles avec les volumes
prescrits (des prélèvements successifs
sont à éviter). Pour chaque médicament,
un choix éclairé doit être réalisé entre
une prescription en mg ou en mL, afin
de minimiser le risque d’erreur ; on peut
préciser l’équivalence entre mL et mg, en
restant parfaitement lisible.
Les pipettes graduées en dose-kg
sont aisées à utiliser. Il est important
1. Département de pharmacie, hôpital Robert-Debré,
AP-HP, 75019 Paris.
2. Pharmacie clinique, faculté de pharmacie de Paris,
université Paris-Descartes, USPC, 75006 Paris.
3. Inserm U 1123, ECEVE, 75010 Paris.
4. Laboratoire éducations et pratiques de santé,
université Paris-13, 93017 Bobigny Cedex.
sonia.prot-labarthe@aphp.fr
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de rappeler aux soignants et aux aidants
qu’elles ne sont pas interchangeables
entre différentes présentations : à chaque
médicament sa pipette, même lorsqu’il
s’agit d’une unique dénomination.
Par exemple, la josamycine en suspen-
sion buvable existe en 3 concentrations
(125, 250 et 500 mg/5 mL), avec des co-
des couleurs différents sur flacons et
pipettes. Les formes commerciales de
l’ibuprofène ont toutes la même concen-
tration en solution, mais la dose prélevée
par le dispositif doseur est de 7,5 mg/kg
pour Advilmed versus 10 mg/kg/dose
pour les autres produits. La fréquence
des prises dépend de la présentation
commerciale et de l’indication.
Pour d’autres traitements, comme cer-
tains antibiotiques, la cuillère-mesure
est plus adaptée. Dans ce cas, toute dis-
pensation doit s’accompagner d’explica-
tions pour éviter les erreurs, notamment
la confusion entre demi-cuillère-mesure
et cuillère-mesure complète.2
EXCIPIENTS À EFFETS NOTOIRES
Certains excipients sont dommageables
en pédiatrie (tableau) : l’acide benzoïque
peut être responsable d’ictère du nou-
veau-né, de syndrome de suffocation
(gasping syndrome ; balance bénéfice-
risque à peser notamment chez les bé-
bés de moins de 56 jours) ; l’alcool a un
impact possible sur le système nerveux
central.3
Le propylène glycol peut provoquer une
dépression du système nerveux central,
et les dérivés terpéniques des convul-
sions chez les nouveau-nés et les enfants
de moins de 30 mois ou chez tout autre
patient ayant des antécédents.
LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GÉNÉRALE - TOME 33 - N°1020 - AVRIL 2019
RECONSTITUTION
Les modalités sont différentes pour
chaque médicament : niveau à ne pas
dépasser indiqué par une flèche sur l’éti-
quette ou un trait sur la bouteille, gobelet
doseur… Les notices sont parfois diffi-
ciles à déchiffrer, et les familles doivent
être aidées par les pharmaciens lors de
la dispensation : il ne faut pas seulement
expliquer, mais s’assurer de la bonne
compréhension en leur faisant reconsti-
tuer les médicaments.
MÉLANGE AVEC L’ALIMENTATION
Chez les nouveau-nés et les nourrissons,
certains médicaments peuvent être ad-
ministrés avec de la nourriture (dans le
biberon ou la compote/purée) afin d’en
masquer l’amertume et/ou de faciliter
l’observance.
Il est important de préciser que ce mé-
lange ne doit se faire qu’avec de petites
quantités de nourriture et juste avant le
repas pour s’assurer de la prise complète
du médicament.
FORMES ORALES SOLIDES
Selon l’Ansm, on peut les prescrire à
partir de l’âge de 6 ans. En dessous, les
formes orales liquides sont à privilégier
lorsqu’elles sont disponibles pour éviter
les fausses routes. Toutefois, certains
enfants sont capables d’avaler des com-
primés avant 6 ans et d’autres bien plus
tardivement : il faut s’adapter à chacun.
L’absence de formes galéniques cor-
respondant aux posologies prescrites
oblige les parents à déconditionner les
médicaments (ouverture des gélules et
broyage des comprimés), puis à faire
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 L’ESSENTIEL
Privilégier les formes liquides Prescrire une posologie Ouverture de gélules et S’assurer de la
mais attention aux excipients cohérente avec l’unité du écrasement de comprimés sont compréhension
à effets notoires. dispositif d’administration. à éviter autant que possible. des parents.

On peut aussi orienter l’enfant vers un

TABLEAU E XCIPIENTS ET TOXICITÉ CHEZ L’ENFANT
médecin hospitalier pour qu’il bénéficie
Excipient Toxicité Exemple d’un médicament sous autorisation
Acide benzoïque •Prématurés et nouveau-nés < 8 semaines : risque • acide temporaire d’utilisation (par exemple,
(benzoate, alcool d’accumulation et d’augmentation de la bilirubinémie, ursodéoxycholique isoniazide, indométacine en forme
benzylique) pouvant aggraver l’ictère du nouveau-né (Ursofalk)
orale liquide). Le mini-comprimé est
• Gasping syndrome chez les nouveau-nés • amoxicilline
une forme galénique d’avenir : meilleure
•R éactions toxiques et de type anaphylactoïde jusqu’à 3 ans (Clamoxyl)
acceptation par les enfants, pas de risque
Alcool • Effets indésirables au niveau du système nerveux central • lopinavir-ritonavir de fausse route. Le goût est également
• Dose maximale tolérée inconnue, effets d’une prise répétée (Kaletra) masqué, comme avec les granulés en-
sur la fonction hépatique et rénale ?
robés.4,5
• Balance bénéfice/risque à peser avec le clinicien
La forme sachet est également pra-
Aspartam •D ipeptide composé de deux acides aminés dont • cefpodoxime proxétil tique. Cependant, il faut bien expliquer
la phénylalanine (Orelox) aux parents comment procéder si seule
• Contre-indiqué en cas de phénylcétonurie • amoxicilline-acide
une fraction du sachet doit être adminis-
clavulanique
(Augmentin) trée après dilution.
Lactose • Diarrhée, déshydratation et acidose métabolique • cosartan (Cozaar)
• Métabolisation en galactose et glucose • cefpodoxime proxétil FORMES INJECTABLES
• Interaction avec les amines primaires comme l’amlodipine (Orelox)
• Choix d’un excipient inerte comme la cellulose L’absence de dosage adapté et la difficul-
té de fractionnement peuvent également
Propylène glycol • Alcool déshydrogénase pas totalement mature avant 4 ans • Augmentin
• Déconseillé : risque de dépression du système nerveux central
inciter à utiliser une forme injectable par
voie orale. Or, tout ce qui injectable n’est
Saccharose • Contre-indiqué si intolérance héréditaire au fructose • paracétamol
pas forcément buvable. Par exemple :
(métabolite) (Dafalgan)
l’insuline. Ce choix doit se faire en fonc-
• Attention si diète cétogène pour une épilepsie réfractaire :
recalculer les apports en saccharose pour ne pas risquer de tion de certains critères : biodisponibi-
déséquilibrer le régime instauré lité, osmolarité, excipients, volume à
•P  ossibilité de substituer par un édulcorant de synthèse administrer, risque d’erreur potentiel,
surtout si traitement chronique chez un patient diabétique goût, faisabilité par les aidants. Il faut
Sorbitol • Diarrhées osmotiques • ibuprofène (Advilmed) peser la balance bénéfice-risque au cas
• Contre-indiqué en cas d’intolérance au fructose • desloratadine (Aerius) par cas.
Terpènes • Contre-indication avant 30 mois (convulsions)
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien
(eucalyptol,
d’intérêts.
camphre, menthol)

des dilutions et des calculs pour les
préparer à la dose correcte. L’homogé-
néité de la préparation peut varier, ce qui
est problématique pour les médicaments
à marge thérapeutique étroite (antiépi-
leptiques…). Des erreurs de calculs et de
préparation sont possibles.
De plus, certains médicaments ne
peuvent pas être ouverts ni écrasés en
raison d’un risque de toxicité (pour le
patient et le manipulateur) ou d’une
perte d’efficacité (p. ex : médicaments à
libération prolongée, gastrorésistant).
La barre de confort (qui facilite la prise
du comprimé complet en le coupant en
deux, les 2 moitiés étant ingérées à la
suite l’une de l’autre) et celle de séca-
bilité (assurant qu’un demi-comprimé
contient bien 50 % du principe actif )
sont souvent confondues, avec un risque
de sur- ou sous-dosage. Il faut se repor-
ter au RCP du médicament pour avoir la
certitude que le médicament est sécable.
Lorsque le traitement au bon dosage
n’existe pas, le prescripteur peut deman-
der à faire réaliser une préparation ma-
gistrale en mentionnant sur l’ordonnance
« préparation magistrale en l’absence de
spécialité équivalente disponible », qui
peut parfois être remboursée.
RÉFÉRENCES
1.  US Department of Health and Human Services. Food
and Drug Administration. Center for Drug Evaluation
and Research. Guidance for industry: dosage delivery
devices for orally ingested OTC liquid drug products.
https://bit.ly/2Ifgt1J
2. Berthe-Aucejo A, Girard D, Lorrot M, et al. Evaluation
of frequency of paediatric oral liquid medication dosing
errors by caregivers: amoxicillin and josamycin. Arch Dis
Child 2016;101:359-64.
3. Ansm. Liste des excipients à effet notoire. Mise à
jour de la liste et des libellés selon le guideline européen
2003. Mars 2009. https://bit.ly/2U6umRu
4. van Riet-Nales DA, de Neef BJ, Schobben AF, Ferreira
JA, Egberts TC, Rademaker CM. Acceptability of diffe-
rent oral formulations in infants and preschool children.
Arch Dis Child 2013;98:725‑31.
5. Lajoinie A, Henin E, Kassai B. [Oral formulation of
choice for children]. ArchPediatr 2015;22:877-85.

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