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Physio-Géo - Géographie Physique et Environnement, 2012, volume VI 1

SUFFOSION ET ÉROSION HYDRIQUE EN MILIEUX SEMI-


ARIDES, LE CAS DES HAUTES STEPPES TUNISIENNES
(TUNISIE CENTRALE)

Amor BKHAIRI (1)

(1) : Laboratoire de Cartographie Géomorphologique des Milieux, des Environnements et des Dynamiques
(CGMED), Institut des Études Appliquées en Humanités de Sbeïtla (ISEAH).
Courriel : bkairi_amor@yahoo.fr

RÉSUMÉ : L'érosion hydrique est très active dans la région des Hautes Steppes tunisiennes,
particulièrement dans les plaines alluviales où elle est très largement commandée par la suffosion.
Cette dynamique érosive représente une menace sérieuse pour les terres agricoles. Les phénomènes
érosifs liés à la suffosion provoquent des ravinements, des sapements de berge et l'élargissement de la
section des oueds. Une cartographie morphodynamique détaillée, appuyée sur une prospection fine du
terrain, l'exploitation de données spatiales multi-dates et l'étude de quelques cas, montre du reste la
forte sensibilité de la région à l'érosion hydrique liée à la suffosion. Les formes de ravinement et le
rythme des incisions linéaires mis en lumière par une étude diachronique de photographies aériennes
orthorectifiées, pose le problème des facteurs de cette évolution accélérée : agressivité des pluies,
érodibilité des sols et des formations à l'affleurement, inclinaison des pentes, modestie du couvert
végétal et action anthropique inadaptée.
MOTS-CLÉS : cartographie morphodynamique, ravinement, suffosion, étude diachronique,
écoulement hypodermique, Hautes Steppes, Tunisie centrale.

ABSTRACT: Hydric erosion is very active in the Upper Steppes area of Tunisia chiefly on the
alluvial floodplains where it is largely controlled by suffusion. This erosive dynamic represents a
threat for the agricultural lands. The erosive phenomena related to suffusion, causes gullying, banks
undermining and enlargement of the section of wadis. A morphodynamic mapping based on field-
observations, the exploitation of aerial photos multi-date data, and the study of some examples put
moreover in evidence the sensibility of the area to erosion phenomena in relation with suffusion. The
forms of gullying and a comparative study of orthorectified air photographs pose the problem of the
factors of this accelerated evolution: rainfall aggressivity, soil erodibility, inclination of the slopes,
weakness of the vegetal cover and inappropriate human activities.
KEY-WORDS: morphodynamic mapping, gullying, suffusion, comparative study, hypodermic flow,
Upper Steppes, central Tunisia.

I - INTRODUCTION

Les terres agricoles en milieux semi-arides de l'Afrique du Nord souffrent aujourd'hui


d'une crise environnementale, dont l'érosion hydrique constitue la manifestation la plus
spectaculaire (H. ATTIA, 1977 ; A. HAMZA, 1988 ; H. AMIRÈCHE, 1994 ; A. LAOUINA, 1995 ;
L. KOURI et al., 1997 ; A. TRIBAK, 1997 ; H. EL ABBASSI, 1999 ; A. SADIKI et al. 2004 ;
A. BOUCHETATA et T. BOUCHETATA, 2006 ; É. GAUCHE, 2006 ; A. BANNARI et al. 2007).

En Tunisie centrale, les terres agricoles et sylvo-pastorales ont connu des mutations
profondes, au moins depuis le début du XXème siècle, à travers une surexploitation des
2

ressources naturelles qui a abouti à une crise érosive très sévère qui s'est traduite par une
multiplication des formes d'érosion hydrique et éolienne (H. ATTIA, 1977 ; H. BANNOUR
et al., 1980 ; A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; N. FEHRI, 2003).

Dans cette région de la Tunisie, le ravinement a pris une place particulière dans les études
géomorphologiques, avec pour perspective des travaux antiérosifs.

Dans les matériaux tendres, le ravinement commandé par la suffosion a été signalé, non
seulement en Afrique du Nord, mais dans tous les pays de la Méditerranée (M.P. LAFFAN et
E.J.B. CULTER, 1977).

La suffosion a été bien étudiée aux alentours des dépressions fermées du Sahel tunisien,
dans les formations éoliennes argilo-gypseuses (A. BOUJELBEN, 2003 ; H. BEN JEMAA,
2008).

Dans les plaines alluviales des Hautes Steppes tunisiennes, où se sont déposées des
alluvions fines, le ravinement est également fréquent dans les bassins versants des oueds
Hatab, Hathob, Sbiba et Sbeïtla (J. DE PLOEY, 1973 ; H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI,
1979 ; H. BANNOUR et al. 1980 ; A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; A. BKHAIRI, 2005,
2008 ; K. ZERAI, 2006 ; L. AMAMI, 2011). Les auteurs ont souligné le rôle de la suffosion
dans le développement du ravinement. Dans un travail consacré au bassin de Kasserine,
J. DE PLOEY (1973) a été le premier à mentionner l'importance du "piping" dans la
multiplication de formes variées dues au ravinement sur les berges de l'Oued Hatab.
Cependant aucune étude détaillée n'a encore été conduite. Dans cette perspective, nous
utiliserons une approche diachronique et multicritère. Appliquée à huit secteurs qui nous ont
paru intéressants, cette approche s'appuie sur des analyses sédimentologiques, une
cartographie morphodynamique et l'exploitation de données spatiales et statistiques. Elle vise
l'analyse de la complexité des formes et des processus de la suffosion sur les berges des oueds
et dans les plaines, le suivi de l'évolution du ravinement dans des terrains aux caractères
contrastés, l'évaluation de l'ampleur du phénomène dans le système morphogénique actuel et
la mise en évidence des facteurs déterminants.

II - CADRE GÉOGRAPHIQUE

Couvrant toute la partie occidentale de l'Atlas central tunisien à grabens, le secteur choisi
pour cette étude couvre presque toutes les Hautes Steppes tunisiennes. Cette zone de la
Tunisie du Centre-Ouest s'étend sur une superficie de près de 4000 km2 où s'individualisent
trois sous-bassins appartenant au bassin versant de l'Oued Zeroud, ceux des oueds Hatab,
Sbeïtla et Hathob (Fig. 1). Ces trois unités hydrographiques recoupent obliquement les
alignements montagneux de l'Atlas central tunisien de direction générale SO-NE (Fig. 1). Le
cadre orographique est marqué par une topographie fortement contrastée dominée par les plus
hauts sommets de la Tunisie, les altitudes dépassant 1300 m aux djebels Semmama, Mghila et
Selloum, et 1400 m aux djebels Chaâmbi et Biréno. Ces reliefs montagneux sont séparés par
des plateaux et des plaines d'effondrement dont les altitudes décroissent progressivement du
nord-ouest au sud-est (Fig. 1).

L'ossature des principaux reliefs est essentiellement constituée par des terrains crétacés, à
dominante calcaire, dolomitique, ou marneuse, et localement par des affleurements triasiques
3

d'argiles et de gypses bariolés. Sur les plateaux affleurent essentiellement des sables, argiles et
grès mio-pliocènes, ainsi que des roches carbonatées du Quaternaire ancien et moyen
(A. HENTATI, 1977 ; H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI, 1979 ; A. HAMZA, 1988 ;
A. BKHAIRI, 2005, 2009). Les plaines de Foussana, Sahraoui, Kasserine et Rohia- Sbiba
correspondent à des fossés d'effondrement liés à une évolution structurale complexe et une
activité tectonique active jusqu'à nos jours (A. EL GHALI, 1993 ; L. CHIHI, 1995). Seules les
plaines de Sbeïtla et de Mz'ara se trouvent en dehors de ces fossés d'effondrement.

Cas présentés dans le texte


1 - Plaine de Jeddliène-Sbiba
2 - Bled Aitha (piémont oriental du Jebel Mghila
3 - Plaine de Sahraoui
4 - Bled Oum Lahowad (amont de la plaine de Foussana)
5 - Bhiret Foussana-Boulaaba (aval de la plaine de Foussana)
6 - Bled Haria (amont de la plaine de Kasserine)
7 - Bled Gredok
8 - Bled Mz'ara (cours aval de l'Oued Hatab)

Cours d'eau pérenne Cas Terrain d'étude


Cours d'eau intermittent Ville Frontières

Figure 1 - Localisation de la zone étudiée et cadre orographique régional.

III - MATÉRIEL ET MÉTHODES

La méthodologie s'articule autour d'une approche intégrée regroupant des observations de


terrain et une cartographie morphodynamique de l'érosion hydrique. Elle s'appuie en outre sur
des analyses multi-dates et multi-sources à partir des photographies aériennes et d'une image
satellitaire géo-référencées et en partie ortho-rectifiées des principales formes actives de
4

l'érosion hydrique, et par l'analyse des caractères sédimentologiques et minéralogiques des


formations quaternaires favorables à la suffosion.

1 ) Observations et suivis de terrain

Pour cartographier les formes et les processus de l'érosion hydrique liés directement à la
suffosion et afin d'évaluer la vitesse d'évolution du ravinement et de comprendre sa
dynamique, nous avons effectué des observations systématiques sur le terrain d'étude entre
2005 et 2010. Par la suite, nous avons sélectionné huit zones parmi les plus touchées par la
suffosion (Fig. 1). Parmi les zones sélectionnées, les bassins de Kasserine, de Foussana et de
Sahraoui ont fait l'objet d'opérations spécifiques : cartographie morphodynamique détaillée
des formes en relation avec l'érosion hydrique dans la plaine de Sahraoui, échantillonnage des
sédiments à l'affleurement pour des analyses sédimentologiques et minéralogiques dans les
plaines de Bled Haria et de Bhiret Foussana-Boulaaba, et mesures répétitives des formes de
suffosion (2005-2008) à Bled Haria (bassin de Kasserine). Ces mesures ont permis d'évaluer
l'ampleur de l'érosion hydrique et d'avoir des données quantitatives sur la vitesse de
progression du ravinement.

2 ) Analyses sédimentologiques

Les analyses granulométriques et minéralogiques visent à déterminer l'influence des


caractères des formations sédimentaires sur le développement de l'érosion hydrique :
ravinement, incision linéaire, sapement des berges, et surtout phénomènes spécifiques à la
suffosion (soutirage, dissolution chimique, dessiccation). Deux profils, présentant chacun des
variations sensibles de texture, ont fait l'objet de ces analyses, dans les bassins de Kasserine et
Foussana (voir Fig. 2 et 8).

Les analyses granulométriques ont été menées au laboratoire des sols du Commissariat
Régional au Développement Agricole (CRDA) de Kasserine. Après destruction à l'eau
oxygénée de la matière organique sur une prise de 20 g d'échantillon brut, un tamisage par
voie humide (pendant 4 heures, avec 4 tamis de 2 à 0,063 mm) permet de séparer les
gravillons (> 2 mm – en fait, pratiquement toujours absents), les sables (2-0,063 mm) et les
fractions les plus fines (limons et argile). Les teneurs en gravillons et en sables sont
déterminées après séchage et pesée du refus des différents tamis. Celles en limons (63-2 µm)
et en argile (< 2 µm) sont obtenues en traitant des prises de 5 g de la fraction inférieure à
63 µm à l'aide d'un analyseur de sédimentation par rayons X SEDIGRAPH, les prises étant
préalablement dispersées à froid dans 80 ml d'une solution de pyrophosphate tétrasodique.
Chaque échantillon a subi deux à quatre analyses au SEDIGRAH, afin de s'assurer de la
bonne représentativité des résultats.

Les mêmes échantillons ont fait l'objet d'une analyse minéralogique par diffraction aux
rayons X dans le laboratoire de Géochimie Analytique de l'Office National des Mines de
Tunis, pour la détermination des minéraux non argileux, en particulier le gypse, très
déterminant dans les phénomènes de soutirage et de dissolution.

3 ) Étude diachronique, SIG, télédétection et cartographie morphodynamique détaillée

La troisième méthode propose une analyse diachronique des dynamiques érosives liées à
la suffosion sur une période de plus de 50 ans. Elle fait également appel à l'analyse de
5

l'occupation du sol et à l'élaboration d'une carte morphodynamique.

L'analyse diachronique consiste à intégrer des données multi-sources dans un SIG


exigeant un système de projection cartographique et une correction des distorsions
géométriques des photos aériennes. Le but est de s'assurer de la superposition de différentes
données cartographiques. Ces opérations sont d'une grande importance dans cette recherche
qui se base sur l'exploitation de deux missions de prises de vue aériennes : missions de 1948
au 1/10000 et de 2000 au 1/20000. Le cas étudié correspond au micro-bassin de Charket Sidi
Mbarek Kouchrid, d'une superficie de 1,71 km2, qui se situe sur la rive droite de l'Oued
Hatab, entre Aïn Saboun et Boulaaba (voir Fig. 9).

Par ailleurs, une carte morphodynamique détaillée de l'érosion hydrique a été réalisée
pour les environs de Khanguet Selougui, localité située dans la partie orientale de la plaine de
Sahraoui. Dans ce secteur, le barrage Selougui est sérieusement menacé par l'envasement
suite à la l'aggravation de l'érosion hydrique (voir Fig. 9). La cartographie morphodynamique
s'est appuyée sur la prospection systématique des formes d'érosion sur le terrain et sur la
photo-interprétation des vues aériennes de la mission 2000.

La télédétection et le SIG, deux outils pertinents d'analyse spatiale et de suivi des


dynamiques morpho-paysagères (S. FELFOUL et al., 2000 ; A. BANNARI et al. 2007), ont été
utilisés pour la cartographie de l'occupation du sol dans le bassin de Kasserine à travers une
classification supervisée d'une image Spot prise en avril 2000 (voir Fig. 7).

IV - DIVERSITÉ DES FORMES ET DES PROCESSUS DE


L'ÉROSION HYDRIQUE LIÉS À LA SUFFOSION

1 ) Suffosion et dynamiques des berges

Le long des oueds drainant les Hautes Steppes tunisiennes, la dynamique érosive a été
largement interprétée comme étant le fait des crues exceptionnelles et brèves en rapport avec
des pluies torrentielles qui surviennent généralement après la saison sèche. Ces crues ont pour
conséquences le sapement des berges, qui peuvent s'effondrer par pans, et la modification de
la largeur et du profil en long des lits (A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ; A. BKHAIRI,
2005 ; K. ZERAI, 2006). Nos observations, conduites entre 2005 et 2010, révèlent que la
dynamique des berges des oueds drainant les Hautes Steppes tunisiennes est en interaction
complexe avec la suffosion (Photos 1).

Sur les berges estompées des oueds Hatab et Hathob, la suffosion a créé des trous d'un
diamètre généralement compris entre 30 et 50 cm, alignés du haut vers le bas de la berge
(Photo 1-A). Ces trous de surface sont reliés en profondeur par un tunnel. La genèse des
tunnels est liée à l'exportation de matière par les écoulements hypodermiques qui rejoignent
les talwegs actuels. Cette suffosion s'exerce à l'interface entre des formations argilo-limono-
gypseuses et des argiles imperméables sous-jacentes. Au contraire, sur les berges abruptes, les
formes liées à la suffosion sont variées et et il est possible de distinguer deux dynamiques
majeures. La première correspond à la multiplication des conduits verticaux ou sub-verticaux.
D'un diamètre dépassant le plus souvent 50 cm, ils assurent un drainage per descensum,
parfois sur plusieurs mètres de hauteur. Cette dynamique est assez répandue sur les berges des
oueds Hatab et Hathob, dans les plaines d'Oum Lahowad, Bhiret Foussana-Boulaaba, Bled
6

Photos 1 - Types de berges et trous de suffosion associés.


A : Trous de suffosion alignés sur une berge estompée de l'Oued Hathob (plaine de Jeddliène- Sbiba).
B : Trou de suffosion associé à des cicatrices d'un pan d'effondrement de la berge gauche de l'Oued
Hatab (Bled Gredok). C : Trous de suffosion servant d'exutoires au-dessus d'une formation
imperméable, sur la berge en rive gauche de l'Oued Hatab (Bled Haria).

Haria, Bled Gredok et Jeddliène-Sbiba. Elle constitue aujourd'hui une menace sérieuse pour la
population riveraine et ses activités agricoles à Bled Haria et à Bled Gredok où les berges sont
souvent hautes et escarpées et s'érodent d'autant plus facilement qu'elles sont dégagées dans
des matériaux fins non consolidés. Les exutoires sont souvent associés à des tunnels
souterrains et prennent des formes ovales et cylindriques, avec un diamètre plus faible que
celui des trous de surface (Photo 1-C).

Dans des situations particulières où les dynamiques érosives affectent des berges abruptes
(comme c'est le cas en rive droite de l'Oued Hatab, dans la plaine de Haria), les tunnels
verticaux et sub-verticaux sont reliés à des exutoires dont certains sont ouverts dans les
couches sommitales et moyennes. Ces exutoires présentent des dimensions inférieures à celles
des exutoires situés plus bas (Fig. 2). Cette dynamique s'explique par la hauteur de la berge,
7

supérieure à 6 m, et par les caractères texturaux et minéralogiques des matériaux qui se


superposent sur le profil. On notera que la couche basale se distingue par des teneurs très
faibles en gypse, et non par sa richesse en argile et en limons (Fig. 2).

CaCO3 total CaCO3 actif

Figure 2 - Les dynamiques érosives liées à la suffosion de la berge droite de l'Oued


Hatab à Bled Haria et les conditions litho-stratigraphiques déterminantes.
Les analyses calcimétriques, granulométriques et minéralogiques portent sur la terre fine. Pour les
minéraux non argileux, les teneurs sont exprimées en % de la somme de ces minéraux.

Un troisième type de dynamique s'exprime dans des secteurs localisés, sur certaines rives
concaves de l'Oued Hatab, dans les plaines de Sahraoui, d'Oum Lahowad et de Bled Gredok.
Il résulte de l'interaction entre suffosion, mouvements de masse et écoulement concentré.
Cette dynamique caractérise les berges hautes et abruptes avec une forte épaisseur de
matériaux au-dessus de la couche imperméable. De ce fait, se produisent des mouvements de
masse qui ouvrent des fentes parallèles au cours d'eau, fentes par lesquelles s'infiltrent les
eaux précipitées sur la rive. Ces cicatrices dégagées en surface évoluent en trous atteignant
parfois un mètre de diamètre (Photo 1-B). Cette dynamique érosive complexe témoigne de
l'interaction de plusieurs agents morphogéniques et exprime la notion de relais signalée dans
plusieurs travaux de part et d'autre de la Méditerranée (A. MARRE, 1998 ; H. EL ABBASSI,
1999).

D'autres formes d'érosion marquent les berges raides et abruptes. Elles constituent des
modelés denticulés où les tunnels verticaux créés par l'écoulement hypodermique se
transforment en ravines parallèles qui séparent des pans d'alluvions (Photo 2-A). Les modelés
denticulés relèvent d'un stade ultime de l'érosion des berges par suffosion. De telles formes
sont omniprésentes sur les berges de l'Oued Hatab à Bled Haria en amont du bassin de
Kasserine. Dans les situations où les trous de suffosion sont éloignés les uns des autres, leur
évolution aboutit à de grandes excavations d'un diamètre de un à deux mètres et d'une hauteur
pouvant atteindre plusieurs mètres, comme sur la berge gauche de l'Oued Hatab à Oum
Lahowad et sur la berge droite de l'Oued Hatab à Bled Mz'ara (Photos 2-A et 2-B).
8

Photos 2 - Les deux formes majeures d'érosion hydrique issues de la suffosion.


A : Berge denticulée de l'Oued Hatab à Bled Haria. B: Excavations en "Marmites" résultant de la
suffosion (berge en rive gauche de l'Oued Hatab à Bled Oum Lahowad).

2 ) Rôle de la suffosion dans le ravinement des formations superficielles et des sols

Dans les plaines alluviales de Sahraoui, Foussana, Kasserine, Gredok, Mz'ara, Sbeïtla,
Aitha et Jeddliène-Sbiba, la spécificité de la dynamique érosive dominée par le ravinement
provient de l'influence remarquable de la suffosion. Deux dynamiques érosives différentes
affectent les formations alluviales d'argiles sablo-limono-gypseuses riches en sels, d'âges
pléistocène supérieur et holocène (H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI, 1979 ; J. MEDUS et
H. LAVAL, 1997 ; A. BKHAIRI, 2005, 2008).

La première dynamique se traduit par l'apparition d'une série de trous de suffosion qui ont
presque tous les mêmes dimensions et qui sont alignés selon une direction imposée par une
légère dénivellation (Photo 3-A). Ce dispositif met en jeu un seul conduit souterrain assurant
la circulation des eaux infiltrées au niveau des trous. Le tunnel est développé au-dessus d'une
couche de matériaux imperméables.

Dans les plaines alluviales de Kasserine, Foussana et Jeddliène-Sbiba, la partie sommitale


des formations superficielles et les sols sont plus riches en chlorures que les matériaux sous-
jacents (K. BELKHOUJA et al., 1973 ; A. BKHAIRI, 2005, 2009), ce qui favorise la suffosion.
Dans certains cas, la grande densité des trous de suffosion, très proches les uns des autres
(Photos 3-B et 3-C), témoigne d'un réseau anastomosé de conduits et de tunnels créés par
soutirage d'une masse importante de sédiments. L'évolution de ce réseau de drainage, dont la
profondeur peut être pluri-métrique, aboutit à un ravinement généralisé (Photos 4-A et 4-B).
Les secteurs affectés atteignent parfois plusieurs centaines de mètres carrés et peuvent se
transformer en champs de bad-lands (Photo 4-C).

Dans la région de Khanguet Selougui (aval de la plaine de Sahraoui), la suffosion et le


ravinement qu'elle a initié ont abouti à la dénudation des terres agricoles et à des formes
d'érosion remarquables en bordure de l'Oued Hatab et son affluent l'Oued Rmila. Dans ce
secteur, l'évolution des ravines (élargissement et recul de tête) a été jusqu'à modeler un
paysage de bad-lands (Fig. 3, Photo 5). Cette dynamique érosive a provoqué, sur une période
de 11 ans, un dépôt de sédiments vaseux de plus de 80 cm d'épaisseur dans la retenue du
barrage de Khanguet Selougui, d'une superficie de 1,8 ha (Fig. 3). Ce secteur connaît une
crise environnementale majeure.
9

Photos 3 - Les formes majeures d'érosion de surface liées à la suffosion dans les plaines.
A : Trous de suffosion alignés à Bled Haria (bassin de Kasserine). B : Multiplication des ravines par
suffosion dans la plaine de Aitha (piémont oriental du Djebel Mghila). C : Champ de trous de
suffosion à Bhiret Foussana- Boulaaba (plaine de Foussana).

Photos 4 - Autres exemples d'érosion de surface liée à la suffosion dans les plaines.
A : Trou de suffosion métrique favorisant le recul d'une tête d'une ravine à Bhiret Foussana-Boulaaba.
B : Ravine active par suffosion à Bled Aitha. C : Ravinement généralisé ou "Chebkas" dans la plaine
de Jeddiliène-Sbiba.
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Figure 3 - Dynamiques érosives et envasement du barrage de Khanguet Selougui


(aval de la plaine de Sahraoui).
11

Photo 5 - Ravins actifs et bad-lands dans la région de Khanguet Selougui.

Dans le bassin de Kasserine et plus précisément à Bled Haria où plusieurs systèmes


ravinants sont assez développés, nous avons suivi pendant trois ans la transformation d'une
fente de dessiccation en ravine sous l'effet de la suffosion, puis son évolution en un
ravinement généralisé stérilisant aujourd'hui les sols. D'août 2005 à mai 2008, l'évolution s'est
opérée en quatre étapes (Fig. 4) :

- Dans un premier temps, des fentes de dessiccation s'ouvrent dans les formations
superficielles argilo-limono-sableuses riches en sels sous l'effet de la sécheresse d'été.
- Puis ces fentes s'élargissent et s'approfondissent sous l'effet d'un écoulement permettant le
soutirage des dépôts fins et donc la formation de tunnels au-dessus du premier plan de
stratification marquant la présence d'une couche relativement imperméable. Ce tunnel
rejoint, vers l'aval, une ravine, elle-même connectée au réseau hydrographique.
- Dans une troisième phase, après les pluies torrentielles tombées au cours des orages de
septembre 2007, les couches superficielles s'effondrent, ce qui détermine la formation d'une
ravine d'une dizaine de mètres de longueur et de 30 à 40 cm de profondeur.
- Enfin, de nouveaux trous apparaissent de part et d'autre du ravin principal et évoluent en
rigoles et en ravines. Ces dernières s'organisent selon des directions perpendiculaires et
obliques par rapport au ravin principal et aboutissent à un système de ravinement généralisé.

Certes, la vitesse et la durée d'une évolution de ce type dépendent des conditions


environnementales et intrinsèques, mais la même succession d'étapes a été signalée dans
d'autres régions de Tunisie (M.R. KARRAY, 1977).
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Figure 4 - Évolution du ravinement par suffosion à Bled Haria (plaine de Kasserine)


entre 2005 et 2008.

V - DES CONDITIONS ENVIRONNEMENTALES ET


INTRINSÈQUES FAVORABLES À LA SUFFOSION

1 ) Les conditions environnementales extrinsèques

a. Les facteurs bioclimatiques


Sur le plan bioclimatique, les Hautes Steppes tunisiennes correspondent à une région de
transition entre la Tunisie septentrionale à climat subhumide ou humide et la Tunisie
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méridionale à climat aride. Elles se caractérisent par un climat semi-aride avec une pluviosité
qui augmente du sud-est au nord-ouest (A. BOUJARRA, 1986 ; A. HAMZA, 1988 ;
A. BKHAIRI, 2005 ; K. ZERAI, 2006) : les précipitations annuelles moyennes vont de 250 mm
au sud (Khanguet Zazia et Mz'ara) à 350 mm au nord (à Jeddliène et Sbiba). Cette région est
soumise à des conditions climatiques contraignantes marquées par de forts contrastes
saisonniers et des fluctuations interannuelles très nettes des précipitations (Fig. 5). La
moyenne pluviométrique annuelle moyenne dans la station de Kasserine est de 285 mm (sur
une période de 32 ans) et de 230 mm à Garaat Atech (sur une période de 73 ans). Les
enregistrements pluviométriques montrent des irrégularités interannuelles (Fig. 5). Les
quantités mesurées en 1969-70 ont atteint 698 mm à Garaat Atech. En revanche, les pluies
annuelles n'ont pas dépassé 126 mm en 1995-96 à la même station (A. BKHAIRI, 2005).
L'irrégularité interannuelle est encore plus remarquable aux échelles saisonnière et mensuelle
(Tab. I). Le régime saisonnier est bimodal ; il se caractérise par la prédominance des pluies
d'automne et de printemps (L. HENIA, 1993).

800
700

600
500
P. (mm)

400
300

200
100

0
1969-1970
1970-1971
1971-1972
1972-1973
1973-1974
1974-1975
1975-1976
1976-1977
1977-1978
1978-1979
1979-1980
1980-1981
1981-1982
1982-1983
1983-1984
1984-1985
1985-1986
1986-1987
1987-1988
1988-1989
1989-1990
1990-1991
1991-1992
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
1996-1997
1997-1998
1998-1999
1999-2000
2000-2001

Pluie annuelle(en mm) Moyenne de la période (en mm)

Figure 5 - Pluies annuelles à Kasserine de septembre 1969 à août 2001


(source : INM, 2003).

L'analyse des données pluviométriques mensuelles fournies par l'Institut National de


Météorologie montre une variabilité assez prononcée entre les mois. À titre d'exemple, au
cours du mois de septembre 1969, la hauteur des pluies dans la station de Kasserine a dépassé
219 mm en trois jours. Les précipitations ont lieu le plus souvent sous forme d'orages violents
et courts, avec possibilité de chute de grêle, qui lorsqu'ils prennent un caractère exceptionnel
s'accompagnent de dynamiques morpho-paysagères catastrophiques (A. HAMZA, 1988 ;
A. OUESLATI, 1999 ; K. ZERAI, 2006). À l'échelle mensuelle, le mois de septembre est en
moyenne le mois le plus pluvieux, or il se place après la saison estivale sèche responsable de
dessiccation. Les pluies et les ruissellements qui se produisent au cours de ce mois sont
favorables au soutirage des formations fines et à l'élargissement des formes de suffosion.
14

Tableau I - Variation et variabilité saisonnière des pluies à Kasserine sur la période


1948-1999 (source : H. BEN CHAABANE, 2000 – modifié).
Minimum Maximum Coefficient
Médiane Moyenne Écart- type
(1984) (1969) de variation
Automne 19,8 146,2 68,8 72,6 31,5 0,43
Hiver 5,9 138,9 54,4 53,4 33,1 0,62
Printemps 18,4 173,1 79,4 87,5 38,3 0,44
Été 13,6 137,6 30,0 47,4 35,8 0,75
Les valeurs sont exprimées en mm. Coefficient de variation = Écart-type / Moyenne.

À ces conditions climatiques favorables à l'érosion hydrique s'ajoute la présence d'une


végétation très dégradée expliquant la fragilité actuelle du milieu. Les études
phytoécologiques signalent la présence d'une couverture forestière héritée des périodes
humides du Quaternaire, qui occupe les sommets de Chaâmbi, Semmama, Biréno, Selloum,
Mghila et Nouguiza. Il s'agit d'une forêt dégradée et très claire constituée de pin d'Alep, de
chêne vert et de genévrier de Phénicie (H.N. LE HOUEROU, 1969 ; A. EL HAMROUNI, 1978).
Elle disparaît en dessous de 800 m, pour céder la place à des espèces traduisant une
dégradation plus poussée du couvert végétal : romarin, globulaire, genêt et alfa. Les steppes
d'alfa couvrent les piémonts et les plateaux bordant les plaines alluviales (G. LONG, 1955).
Celles-ci sont occupées très largement par une steppe ouverte d'armoise ou par des halophytes
sur les terrains salés (voir Fig. 7). Cette végétation très clairsemée est en grande partie la
conséquence de l'exploitation du milieu, surtout à l'époque romaine (A. HAMZA, 1988 ;
R.B. HITCHNER et al., 1990). Dans les plaines alluviales de Sahraoui, Foussana, Kasserine,
Mz'ara, Aitha et Jeddliène, les terrains salés à végétation halophile et les terres dénudées
servent de parcours d'élevage. Le surpâturage, associé à une déforestation importante sur les
versants, contribue fortement au déclenchement de l'érosion hydrique.

b. Les facteurs clinographiques


Si les versants et les piémonts des reliefs qui bordent les plaines alluviales des Hautes
Steppes tunisiennes montrent des pentes fortes, qui dépassent 70 % sur les escarpements
rocheux, les plaines présentent au contraire des inclinaisons faibles, avec des valeurs le plus
souvent inférieures à 3 %. C'est seulement à proximité des oueds que les pentes peuvent être
un peu plus fortes. Au total, les pentes ne dépassent pas 3 % sur plus de 80 % du terrain
d'étude (Fig. 6) et l'on trouve même des terrains absolument plats dans la plaine de Bled
Haria.
Ces surfaces planes et/ou faiblement inclinées favorisent le ruissellement diffus au
détriment du ruissellement concentré. Dans ces conditions, les eaux peuvent en grande partie
s'infiltrer par les fentes de dessiccation. Il en résulte, par soutirage des matériaux fins et
dissolution du sel et du gypse, la formation de conduits souterrains.

c. L'action anthropique
Dans un travail antérieur sur toute la région des Hautes Steppes tunisiennes, H. ATTIA
(1977) a noté le changement radical des modes d'occupation du sol dans cette région depuis la
période coloniale, du fait de la mutation d'une société pastorale en une société d'agriculteurs.
Cela signifie la sédentarisation de la population locale, le passage d'une agriculture extensive
basée sur le pâturage et la céréaliculture sporadique à une agriculture intensive basée sur la
mécanisation où se combinent la céréaliculture, l'arboriculture, l'élevage et les cultures
15

Figure 6 - Carte des pentes du bassin de Kasserine (source : Modèle Numérique de


Terrain issu de la carte topographique de Kasserine au 1/50000).

maraichères (H. ATTIA, 1977 ; A. HAMZA, 1988). Il résulte de ces changements spatio-
économiques une pression anthropique renforcée sur les ressources naturelles (sol, végétation
et eau) et une plus grande vulnérabilité des terres agricoles vis-à-vis de l'érosion hydrique et
éolienne.

Les prospections géomorphologiques que nous avons effectuées dans les plaines
alluviales, et tout particulièrement dans les secteurs les plus ravinés, ainsi que l'examen de la
carte d'occupation du sol réalisée pour le bassin de Kasserine permettent d'affirmer que les
terres les plus dégradées et ravinées en bad-lands correspondent à des parcours d'élevage qui
souffrent d'une surcharge pastorale dégradant les formations végétales steppiques et limitant
leur rôle protecteur à l'égard des formations superficielles (Fig. 7). Outre de la surcharge
pastorale, ces terrains souffrent de l'absence ou de l'inefficacité des travaux antiérosifs. Ainsi
les banquettes et gabions en pierres sèches réalisés dans les parcours d'élevage de la plaine de
Foussana, entre Bhiret Foussana et Ain Saboun, loin de bloquer l'érosion, ont contribué au
contraire à l'accentuation des processus de suffosion (Photos 6).

2 ) Les facteurs intrinsèques

a. Les conditions pédologiques


Les études pédologiques réalisées en Tunisie du Centre-Ouest mettent en lumière des
contrastes pédologiques nets entre les versants des reliefs et les piémonts, aux sols
calcimagnésimorphes et isohumiques, et les plaines alluviales, où l'on trouve des sols
halomorphes, hydromorphes et non évolués (E. LE FLOC'H et R. GADDAS, 1967 ;
K. BELKHOUJA et al. 1973). Les sols halomorphes et hydromorphes s'étendent de part et
16

Figure 7 - Carte d'occupation du sol dans le bassin de Kasserine (classification


supervisée d'une image Spot d'avril 2000).

Photos 6 - Inefficacité de certains travaux antiérosifs dans la lutte contre la suffosion.


A : Multiplication des trous de suffosion le long d'une banquette (rive gauche de l'Oued Hatab aux
environs d'Aïn Saboun). B : Alignement de trous de suffosion le long d'un gabion (rive gauche de
l'Oued Hatab à Bhiret Foussana).
17

d'autre des oueds Hatab et Hathob et de certains de leurs affluents dans les plaines de
Sahraoui, Bhiret Foussana, Bled Haria, Bled Gredok, Bled Aitha et Jeddliène-Sbiba. Ces sols,
de texture argilo-limono-sableuse, riches en gypse et en chlorures, sont pauvres en matière
organique (1 à 2 %). Ils sont donc sensibles à la suffosion.

b. Les conditions litho-stratigraphiques


Dans les plaines, les formations argilo-limono-sableuses et gypseuses quaternaires ont
des épaisseurs visibles dépassant parfois 10 m. Elles ont été déposées dans des conditions
endoréiques à semi-endoréiques (H. BANNOUR et H. BOUALLAGUI, 1979 ; J. MEDUS et
H. LAVAL, 1997 ; A. BKHAIRI et M.R. KARRAY, 2008 ; A. BKHAIRI, 2009). Deux profils,
dans les plaines de Foussana et de Kasserine, ont fait l'objet d'analyses granulométriques et
minéralogiques. Pour le profil de Bhiret Foussana, les analyses granulométriques mettent en
évidence une texture équilibrée, avec des pourcentages très proches de sables, de limons et
d'argile, et des teneurs élevées en gypse, en particulier dans les couches sommitales où elles
dépassent 30 % (Fig. 8). La présence de gypse dans tous les matériaux étudiés, sur une
épaisseur supérieure à 5 m, a favorisé la multiplication des trous de suffosion de surface, des
conduits verticaux et des exutoires.
Pour le second profil, celui de Bled Haria (bassin de Kasserine), la texture est sablo-
argileuse dans les deux couches sommitales, puis elle devient équilibrée dans la partie
moyenne (voir Fig. 2). Les teneurs en gypse sont fortes dans la partie sommitale (50 à 85 %),
moins dans les couches moyennes (30 à 50 %). Ces teneurs élevées en gypse expliquent une
forte érodibilité du matériel, liée à la dissolution, à laquelle s'ajoute la présence d'argiles
gonflantes (F. LOPEZ BERMUDEZ et al., 1989). En revanche, la couche basale, très pauvre en
gypse, se comporte en couche imperméable, d'où la position des exutoires au contact de son
toit (voir Fig. 2).

Figure 8 - Log lithostratigraphique des formations quaternaires en affleurement


à Bhiret Foussana.
Les analyses calcimétriques, granulométriques et minéralogiques portent sur la terre fine. Pour les
minéraux non argileux, les teneurs sont exprimées en % de la somme de ces minéraux.
18

VI - ÉTUDE DE CAS : LE SOUS


SOUS-BASSIN
BASSIN DE CHARKET SIDI
MBAREK KOUCHRID

D'une superficie de 1,71 km2, le sous-bassin versant de l'Oued Charket Sidi Mbarek
Kouchrid, situé dans les environs de Boulaaba, draine le versant et le piémont nord du Djebel
Zeubbès, en rive droite de l'Oued Hatab. Ce sous-bassin versant présente à l'affleurement
quatre unités litho-stratigraphiques d'âges différents (Fig. 9-A). Sur le versant septentrional,
les formations triasiques associent des argiles bariolées, des dolomites, des grès et des gypses.
En contrebas de ce versant, s'étendent des sables et des grès miocènes, ainsi que des
conglomérats encroûtés du Pliocène (A. ROUMIGUIÈRES et D. UGUET, 1946). Enfin, dans la
vallée drainée par l'Oued Charket Sidi Mbarek Kouchrid, se sont déposées des formations
argilo-sablo-limoneuses riches en gypse du Pléistocène supérieur. Dans ces terrains meubles,
le ravinement marque largement le paysage, la suffosion ayant abouti à la formation de bad-
lands.
La présence d'un système de ravines qui laisse aujourd'hui les terres dénudées et stériles,
nous a poussé à une étude diachronique, afin de mettre en évidence l'évolution de la densité
de drainage sur une période de plusieurs décennies (Fig. 9-B). La dynamique ravinante liée à
l'érosion hydrique a été déterminée par le taux d'évolution des ravins dans le sous-bassin
étudié entre 1948 et 2000 (Fig. 9). À ce propos, la densité de drainage a évolué de
6,42 km/km2 en 1948 à 12,37 km/km2 en 2000, soit une augmentation de 92 % (Fig. 9-B).
Toutefois, les situations diffèrent sensiblement selon les unités lithostratigraphiques. De fait,
l'unité argilo-limono-sableuse riche en gypse de la vallée de l'Oued Charket Sidi Mbarek
Kouchrid concentre 94 % des ravinements. Les bad-lands y forment actuellement un réseau
dendritique, aux formes fraîches, où les fonds de ravines sont très étroits (10 à 50 cm)
(Fig. 9-C).

VII - CONCLUSION

L'érosion hydrique dans les plaines alluviales des Hautes Steppes tunisiennes se
manifeste aujourd'hui par un ravinement généralisé commandé, sur les berges des oueds et
dans les plaines, par la suffosion. Une étude diachronique fondée sur l'exploitation de vues
aériennes montre fait ressortir combien l'érosion hydrique s'est aggravée depuis les années
1950. Mais elle montre aussi, ce qui est confirmé par les suivis de terrain, que l'ampleur du
phénomène est étroitement liée à la nature du terrain. Les formations argilo-limono-sableuses
riches en gypse du Pléistocène et de l'Holocène, les plus érodibles et les plus sensibles à la
suffosion, sont les plus touchées par le ravinement.

L'analyse des conditions environnementales et des facteurs intrinsèques révèle que cette
dynamique érosive résulte de la conjonction de différents facteurs : irrégularité des pluies,
faiblesse de la pente et richesse en gypse et en sels. À ces facteurs, s'ajoute la pression
anthropique qui, à travers les mutations de l'utilisation du sol et la mise en place des
techniques antiérosives inappropriées (banquettes et gabions en pierres sèches), est
responsable de l'exacerbation récente de l'érosion hydrique et donc de la dégradation
environnementale des Hautes Steppes tunisiennes.
19

Figure 9 - Évolution du ravinement par unité lithostratigraphique dans le sous-bassin de


l'Oued Charket Sidi Mbarek Kouchrid entre 1948 et 2000.
A : Carte de l'évolution du ravinement entre 1948 et 2000. B : Quantification de ravinement entre 1948
et 2000. C : Paysage actuel dans le sous-bassin de l'Oued Charket Sidi Mbarek Kouchrid (mars 2010).

Remerciements : J'exprime ma reconnaissance au Professeur Raouf KARRAY pour le soutien


qu'il m'a toujours accordé. Je suis également reconnaissant à mes réviseurs, Noômène FEHRI,
Michel MIETTON et Éric ROOSE, ainsi qu'à Claude MARTIN pour leurs conseils et leur aide.
20

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Article reçu le 25 septembre 2011.


Accepté après révision le 17 février 2012.
Mis en ligne le 26 février 2012.

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