Sie sind auf Seite 1von 6

Des Etats-Unis d’Amérique dans « The Help » au Moyen-Orient d’aujourd’hui : revue des relations

de travail entre employeur et travailleur domestique à la lumière de la nouvelle Convention 189 de


l’OIT

Au Liban, difficile de ne pas ressortir ému du film « The Help » de Tate Taylor, adaptation
cinématographique du roman de Katheryn Stockett de 2009, faisant le portrait de l’Amérique
ségrégationniste des années 1960 où les Noirs, dont nombre travaillaient comme employés de maison
pour les Blancs, étaient relayés au rang de citoyens de seconde zone. L’émotion n’émane pas tant du
travail de Mémoire sous-jacent, que des parallèles frappants que tout Libanais de bonne volonté peut
aisément établir au lendemain de la Journée Internationale des Migrants (18 Décembre)1 avec la situation
des travailleuses domestiques dans notre pays, en dépit de cadres juridiques tout à fait différents (les
Noirs américains étaient en principe reconnus citoyens américains égaux aux Blancs ; tandis que les
« domestiques » au Liban – entièrement dépendants de leurs employeurs 2 – sont d’abord vus comme des
immigrés de courte durée, éventuellement comme des travailleurs, et surtout pas comme des égaux).

Cela étant posé, il n’en demeure pas moins bouleversant de constater la similitude des relations de travail
entre, d’une part, un certain type d’employeur blanc, américain des Etats du Sud au cours des années
1960, et sa servante noire américaine et, d’autre part, un certain type d’employeur moyen-oriental
« moderne » et sa « bonne » sri-lankaise, éthiopienne, philippine ou bangladaise. En fait, « The Help »
nous rappelle que préjugés et discriminations peuvent traverser les frontières tout comme les générations
(quelque chose d’assez classique au Liban). Et que le progrès moral continue de requérir un acharnement
de tous les jours.

Ce rapide article, qui ne se veut pas scientifique mais d’opinion, se base sur les nombreux rapports et
campagnes d’institutions diverses s’attachant à la défense des droits des travailleurs immigrés au Moyen-
Orient, notamment celles établies au Liban telles que Kafa, le Centre des Migrants de Caritas-Liban, le
Comité Pastoral des Migrants Afro-Asiatiques, Human Rights Watch, et au sein de la famille onusienne –
le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) et l’Organisation du Travail (OIT) en particulier.
Il s’appuit également sur l’expérience personnelle de l’auteure dans le Golfe, à qui l’OIT avait demandé
de réaliser l’an dernier une trentaine d’ « études de cas » sur la situation des travailleurs étrangers – parmi
lesquelles de nombreuses employées de maison ayant fui leurs patrons – résidant au Koweït et aux
Emirats Arabes Unis3. Les propos qui suivent ne peut néanmoins être attribués qu’à l’auteure seule et en
en aucun cas ne sauraient refléter un quelconque avis officiel de l’Organisation Internationale du Travail.

Notre démarche à présent éclaircie, il semble que les rapprochements susceptibles d’être faits entre
certaines américaines bourgeoises de banlieue huppée des années 1960 et certaines Emiraties,
Koweitiennes ou Libanaises du 21e siècle, lorsqu’il s’agit de leurs rapports à l’employée domestique, sont
de plusieurs ordres :

Une cacophonie unanime de préjugés autour des employées de maison

Dans « The Help », ainsi que le révèle l’héroïne du film Skeeter – journaliste avant-gardiste s’étant donné
pour mission d’écrire un livre à partir des témoignages de domestiques noires américaines – les « maids »
sont victimes d’idées reçues en tout genre. Et coupables a priori aux yeux de la communauté blanche

1
Notamment célébrée par Caritas-Liban à l’Université La Sagesse le 18 Décembre dernier ; événement touchant auquel la société libanaise aurait
gagné à participer plus amplement (employeurs, médias…)
2
Voire note de bas de page no.6
3
A paraitre dans un rapport du BIT prévu pour 2012

1
qu’elles servent: par exemple, coupables d’avoir volé (comme lorsque Hilly, figure « noire » de la
patronne blanche, accuse sans preuve sa domestique Aibileen d’avoir dérobé l’argenterie manquante), ou
coupables d’être source de maladies (évidemment autrement inconnues des Blancs) et de contamination
potentielles. Une obsession reflétée de manière tragicomique par l’omniprésence et la hantise du « WC »
dans le film – perçu comme vecteur premier de virus exotiques auxquels les Blancs seraient naturellement
étrangers.

Or, cet excès (ou manque) de jugement ne va pas sans nous rappeler la situation actuelle des travailleuses
domestiques dans de nombreux pays du Levant et du Golfe qui, sur la base de pratiques discriminatrices
encore incontestées par notre progrès moral, continuent de se méfier des employées de maison.

Premièrement, au cours des recherches de l’auteure aux Emirats et au Koweït, nombre de travailleuses
domestiques étrangères ont évoqué la souffrance mentale, et quotidienne, de l’agression psycho-verbale et
du préjugé – souvent raciste, toujours socialement construit. Originairement pauvres, elles seraient
nécessairement tentées de voler. Deux travailleuses immigrées au Koweït ont ainsi conté à l’auteure de
cet article comment l’une d’entre elles, indonésienne, avait été renvoyée à son agence de recrutement
après avoir été accusée par sa patronne d’avoir dérobé 5 Dinars – environ 18 USD – et comment l’autre,
philippine, avait été enfermée des heures durant dans une réserve gelée pas son employeuse, puis battue
par des policiers, sous prétexte d’avoir volé un appareil photo numérique. Aucune des charges contre elles
n’a finalement pu être prouvée. Il ne s’agit là malheureusement que d’un maigre échantillon des abus et
insultes réguliers essuyés par les travailleuses au sein des maisons où elles vivent (tour à tour traitées de
« sorcière », de « paresseuse incapable »…) ainsi que dans leur environnement immédiat et voisinage –
les apostrophant comme des prostituées – où elles luttent pour rassembler, à la fin de chaque jour, les
débris de leur dignité.

A cela, la récente Convention 189 de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques, adoptée en
Juin 2011, oppose que « Tout Membre4 doit prendre des mesures afin d’assurer … que tous les
travailleurs domestiques … aient un accès effectif aux tribunaux » (Art 16) et que « Tout Membre doit
prendre des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques soient informés de leurs conditions
d’emploi… notamment en ce qui concerne… les conditions relatives à la cessation de la relation de
travail, y compris tout préavis à respecter par l’employeur ou par le travailleur » (Art 7). Les indications
préliminaires néanmoins recueillies par de nombreuses organisations (Kafa, HCDH, OIT…), au même
titre que les propos rapportés par l’auteure, témoignent du long chemin qui reste à parcourir en la matière.

Deuxièmement, en amont de leur recrutement, les employées de maison sont aussi obligatoirement
soumises, dans le Golfe et au Liban, à un scan médical intrusif – aisément qualifiable de grossier – auquel
la Recommandation de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques de 2011 (associée à la
Convention citée plus haut) répond en appelant les membres de l’Organisation à « Assurer que le régime
des examens médicaux relatif au travail respecte le principe de la confidentialité des données
personnelles et la vie privée des travailleurs domestiques » et à « Assurer que les travailleurs
domestiques ne soient en aucun cas tenus de se soumettre à un dépistage du VIH ou à un test de
grossesse, ou de divulguer leur statut VIH ou leur état de grossesse » (disposition 3).

Des rapports de force sociaux inégaux, renforcés par la dépendance économique des travailleuses
domestiques à leurs employeurs

Dans l’Amérique ségrégationniste du roman de Stockett, les lois Jim Crow et l’arrêt Plessy v. Ferguson
rendaient seuls les emplois les plus pénibles et précaires accessibles aux Noirs, et nombre de femmes
noires se trouvèrent confinées au statut de servante (Aibileen justifie cet état de fait dès le début du film
4
Le Liban, le Koweït et les Emirats sont tous les trois des Etats-membres de l’Organisation Internationale du Travail

2
en argumentant que sa mère, bien avant elle, était servante, et la mère de sa mère elle-même esclave). Une
fonction faiblement gratifiante comme le résume dans le film de Taylor l’amie d’Aibileen, la travailleuse
noire Minny, ironisant sur son plaisir à ne « pas toucher le salaire minimum et ne bénéficier d’aucune
protection sociale ». Cette vulnérabilité économique, institutionnalisée, des travailleuses domestiques
noires américaines – résultat d’une dépendance de fait vis-à-vis de leurs employeurs – est autrement
illustrée par la scène où Yule Mae, autre servante du roman, sollicite un prêt auprès de sa patronne pour
financer la scolarisation de ses enfants (emprunt qui lui est froidement refusé).

Or, ces requêtes, légitimes au regard des Droits de l’Homme, font encore de nos jours l’objet du combat
de nombreuses associations de défense des travailleurs domestiques au Liban et ailleurs au Moyen-Orient.
L’OIT y réagit dans sa Convention 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques, en affirmant que
« Tout Membre doit prendre des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques bénéficient du
régime de salaire minimum » (Art 11) ; de même, la disposition 20 de sa Recommandation associée
souligne que « Les Membres devraient envisager de conclure des accords bilatéraux, régionaux ou
multilatéraux pour assurer aux travailleurs domestiques migrants auxquels ils s’appliquent l’égalité de
traitement en matière de sécurité sociale, ainsi que l’accès à des prestations de sécurité sociale, la
préservation de ces droits ou leur transférabilité ».

Rappelons encore que les travailleurs domestiques dans le Golfe et au Liban, lorsqu’ils s’endettent
(auprès des banques, agences de recrutement, préteurs locaux, etc.) se retrouvent esclaves de taux
d’emprunt faramineux les liant à leurs créditeurs ; qu’ils gagnent (au Liban) 80 à 250 USD mensuels
(arbitrairement alloués par les agences de placement en fonction de la nationalité de la travailleuse, de la
ville de travail…) dont la majorité – lorsque ce n’est la totalité – est envoyée à leurs familles dans les pays
d’origine ; que les Codes du Travail ne couvrent pas le secteur domestique ; que les employés de maison
sont formellement interdits de travailler pour d’autres personnes que leur « kafil »5national officiel ; que
leur couverture médicale est à la grâce du bon vouloir de la famille employeuse et qu’il n’existe aucune
autre forme de protection sociale prévue à leur égard.

Compatriotes américaines dans « The Help », exigeant l’égalité des droits là où elles sont traitées comme
des citoyennes de seconde zone ; citoyennes du monde au Moyen-Orient, participant à l’économie globale
et exigeant leurs droits les plus basiques là où elles sont traitées comme des êtres humains de seconde
zone: d’un univers à l’autre et d’une époque à l’autre, la similitude des combats pour la dignité et la
justice sociale entre la fiction de Taylor et les réalités libanaise, émiratie ou koweitienne, s’impose.
Tout comme la similitude des réponses des sociétés américaine et arabe… A deux générations
d’intervalle.

La polyvalence fonctionnelle comme prolongement naturel de la personne du travailleur


domestique

Dans le roman de Stockett, les travailleuses domestiques sont à la fois ménagères et cuisinières pour leurs
patronnes, gouvernantes pour les enfants en bas âge des patronnes, et infirmières pour les mères déjà
avancées en âge des mêmes patronnes. Taylor, dans son adaptation cinématographique, parodie ce
phénomène à plusieurs reprises, en particulier à travers Elizabeth, femme au foyer nerveuse donnant des
ordres contradictoires à son employée Aibileen – la pressant de placer les mets à table alors que cette
dernière habille sa fille, ou de s’occuper de sa fille tout en faisant un sandwich à son mari. On devine
alors l’émergence d’une forme de « compétition » susceptible de s’installer entre la travailleuse
domestique et son employeur – femme d’intérieur concurrencée dans ses fonctions – notamment auprès
des enfants. Le roman de Stockett révèle comment les servantes noires américaines s’imposent en effet
progressivement dans la psyché et le cœur des enfants blancs qu’elles ont à leur charge, rapport

5
Employeur national officiel dont le travailleur immigré dépend légalement, juridiquement et économiquement

3
dramatiquement illustré dans l’adaptation de Taylor par la crise de larmes anxieuse de la petite Mae
Mobley quand elle comprend que sa gouvernante Aibileen, qu’elle considère de ses propres mots comme
sa « vraie mère », est sur le point de la quitter définitivement (suite au renvoi de cette dernière par la mère
de l’enfant). La même chose est constatée à propos de la relation fusionnelle – suggérée tout au long du
film – de Skeeter et sa gouvernante Constantine, résumée dans la réaction désespérée de la jeune femme
lorsqu’elle apprend la mort de celle « qui l’a élevée ».

Or, à l’heure actuelle encore, il est attendu des travailleuses domestiques au Liban, aux Emirats, au
Koweït et ailleurs qu’elles participent à l’économie des frais de maison et témoignent de synergies en
jouant tour à tour le rôle de nettoyeuse, nourrice et nurse, alors même que de telles fonctions sont
rarement prévues par leur contrat – et qu’elles ont par ailleurs rarement été formées pour. C’est ce
problème que vise tout spécialement l’Article 7 de la Convention 189 en rappelant que « Tout Membre
doit prendre des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques soient informés de leurs
conditions d’emploi d’une manière appropriée, vérifiable et facilement compréhensible… notamment en
ce qui concerne… l’adresse du ou des lieux de travail habituels [et] le type de travail à effectuer ». Le
non respect fréquent et toujours très actuel de telles dispositions conduit aux situations d’exploitation au
travail, notamment de travail forcé, décriées par de nombreuses organisations telles que celle citées en
début d’article. Au cours de la mission de l’auteure dans le Golfe, l’on a pu également rencontrer nombre
de femmes dans les abris de travailleuses - ayant déserté les maisons de leurs employeurs pour causes de
violences subies aux mains des « kafils » - rapportant comment ces derniers les faisaient travailler dans
trois ou quatre maisons « familiales » à la fois, entre autres cas de figures s’apparentant aux tableaux
peints de Stockett. L’une d’entre elles, indonésienne basée au Koweït, racontait ainsi à l’auteure comment
sa patronne – qui n’a rien à envier à l’Elizabeth du film de Taylor – lui demandait de s’occuper de ses
enfants tout en lavant les carreaux ; une autre, comment son employeur (autre jumelle d’Hilly) oubliait
tout simplement… de la laisser dormir la nuit.

De l’exploitation à la chosification et à l’appropriation: l’humanité de la travailleuse domestique


perdue de vue

« Ils pensaient me posséder… Que je leur appartenais », raconte une des servantes noires américaines à
Skeeter à propos de ses anciens patrons dans « The Help ». Ce phénomène d’ « appropriation », voire
déshumanisation, du travailleur domestique noir par son employeur blanc dans les années 1960 est
également largement perceptible de nos jours dans le Golfe et au Liban. Concrètement, un tel phénomène
se traduit par l’étendue illimitée des droits de l’employeur sur la personne morale et physique de
l’employé. L’auteure ne détaillera pas ici les histoires de confinement, enfermement, privation
alimentaire, maltraitance physique, agressivité verbale et violences sexuelles que lui ont confiées les
travailleuses domestiques réfugiées dans les abris d’ambassades et gouvernementaux aux Emirats et
Koweït – car là n’est pas le sujet principal de « The Help », ni de cet article.

Toutefois l’un des ressorts psychologiques à l’œuvre dans cette violence très contemporaine s’apparente à
l’esprit de discrimination en exercice libre dans l’Amérique ségrégationniste de la première moitié du 20e
siècle. Un tel esprit fut largement alimenté par la désempathie héritée de la systématisation du racisme à
travers les lois Jim Crow au temps de « The Help ». Faut-il y voir une vague ressemblance avec le
système actuel du « kafala »6 (sponsorship), institutionnalisant dans de nombreux pays du Levant et du
Golfe la subordination du travailleur immigré à son gardien national, l’employeur ? Il est en tout cas
certain que cet esprit discriminateur nait dans l’ignorance, croit dans la méconnaissance de la diversité,
s’abreuve de peurs populaires irrationnelles, engendre mépris, dénigrement et chosification d’une

6
Le Kafala est un système de « sponsorship » liant le travailleur immigré à son employeur national, pour qui seul ce dernier est autorisé à
travailler, conditionnant ainsi la « légalité » du travailleur étranger à la validité de son contrat de travail auprès du sponsor. Ce système fait de
l’employeur, également appelé « kafil », le « gardien » du travailleur étranger qui se trouve alors sous son entière responsabilité (emprise…)
juridique et économique.

4
différence perçue qu’on n’imaginerait pas « inhérente » au genre humain, et finalement perpétue notre
bêtise (une telle différence n’étant pas l’apanage de la majorité victorieuse, elle est nécessairement
« inférieure » à la norme brandie par la majorité).

Hier, dans les Etats Unis ségrégationnistes de « The Help », les servantes noires américaines s’asseyaient
dans des sections de bus réservées aux Noirs et mangeaient à l’écart de leurs employeurs blancs;
aujourd’hui, dans le Moyen-Orient moderne où l’auteure s’entretient avec des femmes réfugiées dans les
abris de travailleuses maltraitées, les employées domestiques, chez leurs employeurs, dorment sur les
balcons, les tapis et se voient privées d’accès au réfrigérateur familial. « Tout travailleur domestique a
droit à un environnement de travail sûr et salubre », martèle l’Article 13 de la Convention 189 de l’OIT,
ce à quoi la Recommandation qui lui est liée ajoute : « Lorsque le logement et la nourriture sont fournis,
ils devraient comprendre, en tenant compte des conditions nationales: une pièce séparée, privée,
convenablement meublée et aérée et équipée d’une serrure et d’une clé qui devrait être remise au
travailleur domestique… des repas de bonne qualité et en quantité suffisante » (disposition 17).

Poussées à l’extrême, les conséquences de telles approches peuvent être fatales à l’intégrité physique et
psychologique, et au respect des droits les plus fondamentaux, des travailleuses domestiques – tout
comme elles le furent pour nombre des interlocutrices de l’auteure en mission dans le Golfe. Comme
certaines recherches en Anthropologie et Histoire l’ont démontré7, il est psychologiquement difficile à
toute personne en position de supériorité vis-à-vis d’une autre de soumettre de manière efficace cette
dernière sans s’être auto-convaincue au préalable que cette personne méritait d’être soumise, utilisée,
exploitée et violentée au besoin. Cette logique de déconstruction de l’essence de l’Autre – la même qui
opéra au cours de nombreux guerres et carnages – dicte de manière plus ou moins consciente à celui
commettant l’abus (ou le crime) que sa victime ne lui est de toutes façons pas égale en termes d’humanité,
voire, que cette dernière n’est tout simplement pas digne, ou pas du rang, d’être humaine. La Convention
C189 de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques a ainsi jugé nécessaire de réaffirmer que «
Tout Membre doit prendre des mesures pour assurer la promotion et la protection effectives des droits
humains de tous les travailleurs domestiques » (Art 3) et que « Tout Membre doit prendre des mesures
afin d’assurer que les travailleurs domestiques bénéficient d’une protection effective contre toutes les
formes d’abus, de harcèlement et de violence » (Art 5).

Il n’en reste pas moins que, tout comme aux Etats-Unis avant le Civil Rights Act, et tout comme les
servantes noires américaines confrontées à Skeeter dans « The Help », les travailleurs domestiques au
Moyen-Orient, conscients des recours limités qui leur sont offerts en matière de protection (dont les
défaillances conduisent à l’expulsion du travailleur immigré lésé sans dédommagement, ni réparation, ni
justice) ont souvent peur de témoigner des abus dont ils sont les victimes et des souffrances endurées.
Environnement intimidant – où les droits élémentaires de la personne sont séquestrés – et climat
d’impunité régissent ainsi toujours le cadre de travail des travailleurs domestiques, aujourd’hui, dans une
partie importante du monde arabe.

Le tout baigné dans une atmosphère d’hypocrisie, d’aveuglement et frilosité sociaux

Le changement commence par un murmure… si on veut bien l’entendre. La chose est éloquente dans le
livre de Stockett et son adaptation cinématographique. L’hypocrisie, proche de la cruauté, d’une Hilly se
revendiquant chrétienne et charitable mais dénigrant au quotidien ses employées noires; la faiblesse de
son mari et de son amie Elizabeth n’osant contredire les norme sociétales qu’elle incarne ni les
bienséances conventionnelles (on se rappelle cette scène ou l’époux d’Hilly s’éclipse après que leur
employée de maison a sollicité un prêt financier auprès du couple) ; les frayeurs de la mère de Skeeter
face à l’inévitable changement en marche (« Ne les encourage pas ! » crie-t-elle à sa fille alors que celle-

7
Conroy, 2000 ; Sironi et Branche, 2002

5
ci écoute un discours de Martin Luther King à la télévision en présence des employés de maison) ; son
impuissance à résister à la pression sociale qui lui impose de renvoyer sa gouvernante noire depuis 30 ans
– alors même que cette décision lui en coûte visiblement; et finalement, la réaction de Stuart, petit ami de
Skeeter, à la parution du livre de cette dernière, reprochant à l’écrivaine d’avoir cherché des ennuis là où
« tout allait bien » (avant de la qualifier d’égoïste !), ne cessent de nous rappeler nos propres sociétés
moyen-orientales où octroyer leurs droits humains aux travailleurs domestiques résonnent comme un
début de révolution civile, d’inversement d’ordres immuables, de chaos libertin et de désordre ménager,
dans l’esprit des plus conservateurs d’entre nous. Il est également frappant de constater que, comme dans
l’Amérique ségrégationniste du siècle passé, l’amitié publiquement offerte au Liban et ailleurs aux
travailleuses domestiques par un membre de la famille employeuse est une honte ; et l’empathie à leur
égard, une faiblesse, voire l’expression d’une naïveté partagée…

A la différence de la situation des Etats-Unis ségrégationnistes toutefois, qui dut attendre la promulgation
du Civil Rights Act pour commencer à mettre l’histoire du racisme derrière eux, l’outil qui permettra au
Moyen-Orient de sortir de la honte, en rendant un peu de dignité à ses travailleuses domestiques
étrangères, existe déjà : en ratifiant, puis appliquant, la Convention 189 de l’Organisation Internationale
du Travail sur les travailleuses et travailleurs domestiques, le Liban, le Koweït et les Emirats Arabes
Unies – ainsi que nombres d’autres Etats du Moyen-Orient membres de l’OIT et néanmoins adeptes du
kafala – prouveront que nos sociétés arabes ne sont pas les Etats-Unis d’Amérique des années 1960, et
que nous autres, employeurs moyen-orientaux modernes, ne sommes pas tous des Hilly en puissance.

L. Maya Diane

Beyrouth, 19 Décembre 2011

Das könnte Ihnen auch gefallen