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Il n'y avait alors au noviciat, avec la Sainte, que deux Soeurs [converses] :
Soeur Marthe de Jésus et Soeur Marie-Madeleine du Saint-Sacrement.
Successivement, entrèrent au Carmel de Lisieux et se joignirent à elles :
Soeur Marie de la Trinité, le 16 juin 1894; Soeur Geneviève de la Sainte
Face, le 14 septembre 1894, et sa cousine, Soeur Marie de l'Eucharistie, le
15 août 1895.
Dans ses conversations particulières avec les novices, la Sainte donnait les
conseils les mieux adaptés à chacune. Elle éclairait les cas de conscience et
les difficultés de ses novices selon leurs tendances personnelles, leurs
besoins propres, leurs épreuves ou leurs joies actuelles. Il arrivait que tels
conseils donnés à l'une n'auraient pu convenir à l'autre. Ceci avait été
souligné par la Sainte elle-même. On remarquera dans le passage suivant un
rare don surnaturel de psychologie qui se retrouve dans tout l'exercice de sa
fonction auprès des novices :
… J'ai vu d'abord que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats,
mais qu'elles sont si différentes d'un autre côté que je n'ai pas eu de peine à
comprendre ce que disait le Père Pichon : Il y a bien plus de différence entre
les âmes qu'il n'y en a entre les visages. Aussi est-il impossible d'agir avec
toutes de la même manière... On sent qu'il faut absolument oublier ses
goûts, ses conceptions personnelles et guider les âmes par le chemin que
Jésus leur a tracé, sans essayer de les faire marcher pas sa propre voie [MSs.
C., 23, v°]
C'est ainsi qu'il faut savoir reconnaître dès l'enfance ce que le Bon Dieu
demande aux âmes, et seconder l'action de sa grâce, sans jamais la devancer
ni la ralentir.
Si elle était d'une grande bonté, notre sainte Maîtresse était aussi d'une
grande fermeté et ne nous passait absolument rien. Aussitôt qu'elle s'était
aperçue de quelqu'imperfection, elle allait trouver la coupable et, bien que
cela lui coûtât beaucoup, rien ne pouvait l'empêcher de faire son devoir.
A tout ce que nous lui disions, elle avait une réponse et, pour se faire bien
comprendre, citait des textes de la Sainte Ecriture ou racontait des histoires
qui nous gravaient dans la mémoire les vérités qu'elle voulait nous
inculquer.
J'admirais sa grande sagacité pour dépister les ruses de la nature, les divers
mouvements de notre âme. Elle avait en effet une perspicacité toute céleste,
à tel point qu'on croyait parfois qu'elle lisait dans notre pensée. On la sentait
vraiment inspirée, je la consultais, croyant qu'elle ne pouvait pas se tromper
et que le Saint-Esprit parlait par sa bouche, sans cependant que rien sortît de
l'ordinaire et qu'elle parût se douter de la grâce qui opérait par elle.
Sa prudence
Au début de sa charge de Maîtresse des novices, quand nous lui racontions
nos combats intérieurs, notre chère petite Soeur cherchait à nous apaiser soit
par le raisonnement, soit en nous démontrant avec clarté que telle de nos
compagnes n'avait pas tort. Ceci amenait de longues discussions qui
n'atteignaient pas le but désiré et n'étaient d'aucun profit pour nos âmes. Elle
s'en aperçut bien vite et changea de tactique. Au lieu d'essayer de nous
enlever nos combats en détruisant leur cause, elle nous les faisait regarder
en face...
Eh bien ! admettons, je conviens que votre compagne a tous les torts que
vous lui attribuez...
Elle agissait ainsi pour ne pas me rebuter et travaillait ensuite sur cette base.
Petit à petit, elle arrivait à me faire aimer mon sort, à me faire même désirer
que les Soeurs me manquent d'égards et de prévenance, que mes compagnes
remplissent imparfaitement leurs obédiences, que je sois grondée à leur
place, accusée d'avoir mal fait ce dont je n'étais même pas chargée. Enfin,
elle m'établissait dans les sentiments les plus parfaits. Puis, quand cette
victoire était gagnée, elle me citait des exemples ignorés de vertu de la
novice accusée par moi. Bientôt, le ressentiment faisait place à l'admiration
et je pensais que les autres étaient meilleures que moi.
Mais, bien plus, si elle savait que le fameux coffre à bois avait été rempli
par cette Soeur, depuis la visite que j'y avais faite, elle se gardait de me le
dire, quoique cette révélation eût anéanti mon combat du premier coup.
Suivant donc le plan que je viens de tracer, quand elle avait réussi à me
mettre dans des dispositions parfaites, elle me disait simplement : Je sais
que le coffre est rempli.
Elle me dit en confidence qu'en prenant la charge du noviciat, elle avait tout
d'abord demandé au bon Dieu de ne jamais être aimée humainement, ce qui
lui fut accordé. [Dans la conduite des novices dont elle eut la charge, il est
remarquable qu'elle ne cherche jamais à se concilier leur affection par les
concessions de la prudence humaine. Elle ne voyait que l'intérêt de leur
perfection religieuse et tâchait de le procurer même aux dépens de sa
popularité. J'ai été cent fois témoin de la fidélité qu'elle avait à agir envers
elles suivant sa conscience./ [Rév. Mère Agnès de Jésus, Déposition au
Procès de Canonisation, Summarium § 1552]
Nous l'aimions beaucoup, mais nulle d'entre nous n'était tentée d'entretenir à
son égard une affection folle et inconsidérée, qui est souvent le partage de la
jeunesse. Nous recourions à elle par un besoin de vérité.
Humilité
Parmi toutes les vertus, l'humilité surtout atteignit chez sainte Thérèse de
l'Enfant-Jésus les dernières limites et c'est pour être plus humble et plus
petite qu'elle suivit la Voie d'enfance spirituelle, ou plutôt c'est cette Voie,
suivie fidèlement, qui la rendit humble et simple comme un petit enfant.
Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus considérait avec joie que, malgré ses neuf
ans de vie religieuse, elle avait toujours été au noviciat, ne faisant pas partie
du Chapitre conventuel et regardée comme une petite. [Elle aurait dû, en
effet, quitter le noviciat, selon la coutume d'alors, trois ans après sa
profession, c'est-à-dire en septembre 1893, mais d'après une interprétation
courante des lois, on n'admettait pas, comme capitulantes, plus de deux
soeurs de la même famille. La Révérende Mère Agnès de Jésus et Soeur
Marie du Sacré-Coeur étant capitulantes, leur jeune soeur n'occupa jamais,
au Chapitre du Couvent, la place qui lui revenait de droit et n'y eut ni voix,
ni séance. Chargée de la formation des novices, sous l'autorité de la Mère-
Maîtresse en titre, elle demeura avec elles, comme leur doyenne, jusqu'à sa
mort.]
Nous devrions être très contentes que le prochain nous dénigre quelquefois
car si personne ne faisait ce métier-là que deviendrions-nous ? C'est notre
petit profit...
C'est avec une joie céleste que Soeur Thérèse acceptait tout reproche, non
seulement des Supérieures, mais des inférieures. Ainsi, elle se laissait dire
des choses désagréables par les novices, sans jamais les gronder à ce
moment-là.
Je veux bien accepter les remarques quand elles sont justes, lui disais-je;
dès que j'ai tort, j'en conviens, mais je ne puis supporter les réprimandes si
je ne suis pas en faute.
C'était son habitude de se classer parmi les faibles, d'où est venue
l'appellation de « petites âmes ».
Très contente de cette bonne parole, toute à mon avantage, j'en fis part à
notre chère petite Maîtresse qui surenchérit et ajouta :
Un petit moyen
Dernièrement, me dit-elle, j'ai eu un mouvement de nature avec une Soeur,
je crois qu'elle ne s'en est pas aperçue, le combat étant intérieur; cependant,
je me suis nourrie de la pensée qu'elle m'avait trouvée sans vertu et j'ai été
bien heureuse de m'y sentir. »
Une autre fois, dans une occasion semblable, elle me disait : « Cela me
comble de joie d'avoir été imparfaite, aujourd'hui le bon Dieu m'a fait de
grandes grâces, c'est une bonne journée… Je lui demandai alors comment
elle pouvait éprouver ces sentiments ? Mon petit moyen, me répondit-elle,
c'est d'être toujours joyeuse, de toujours sourire, aussi bien quand je tombe
que lorsque je remporte une victoire.
Cette âme si forte doutait tant d'elle-même qu'elle se croyait capable des
plus grands péchés. Elle avait écrit au bas d'une image de Jésus en croix ces
mots qui traduisent les dispositions habituelles de son âme : Seigneur, vous
savez bien que je vous aime..., mais ayez pitié de moi, car je ne suis qu'un
pécheur.
Elle me citait un petit fait où elle avait touché du doigt la frivolité humaine
à laquelle personne ne peut se soustraire.
La nuit de Noël 1887 où elle espérait entrer au Carmel fut pour elle une
extraordinaire épreuve ; après toutes ses démarches, se voyant encore dans
le monde, son âme était à l'agonie.
La vraie joie
Je remarquais que quelque chose dont on se réjouissait, une pensée gaie,
même pieuse, finissait par fatiguer le coeur quand on s'y attachait et que la
persistance d'une joie devenait tristesse. Elle me répondit : En Dieu seul est
le repos, et la vraie joie qui ne fatigue jamais est celle que l'on puise dans le
mépris de soi-même. Ainsi à propos de votre faiblesse d'hier soir... [j'avais
versé quelques larmes parce que cela me coûtait d'aller à la visite des
malades après Matines, alors que j'étais très fatiguée, et une Soeur l'avait
vu] : si la Soeur qui vous a surprise vous juge sans vertu et que vous en
convenez vous-même du fond du coeur, voilà la vraie joie !
— Oh ! vous avez raison, je comprends si bien ce que je devrais faire, je le
vois clairement et je ne puis agir, non, jamais je ne serai bonne !
Comme Marie, son grand moyen était le silence. Elle aimait garder toutes
choses en son coeur, ses joies comme ses peines; cette réserve fut sa force et
le point de départ de sa perfection, comme son cachet extérieur, car elle
était remarquable de pondération.
Pauvreté spirituelle
Pour souvenir de ma Profession, ma chère petite Soeur me peignit des
armoiries que j'avais composées avec la devise : Qui perd gagne. [C'est
d'après cet essai qu'elle eut l'idée de peindre les siennes.] Elle m'expliquait
que sur la terre, il fallait tout perdre, tout se laisser prendre pour arriver à la
pauvreté d'esprit.
Elle préférait que les autres reçoivent des grâces intérieures plutôt qu'elle-
même et je l'ai vue, ayant trouvé un livre qui lui faisait beaucoup de bien, ne
pas l'achever, le passer aux Soeurs et ne jamais pouvoir en terminer la
lecture.
SI le bon Dieu lui donnait des lumières, elle nous les communiquait autant
qu'elle le pouvait... Mais il y eut parfois de ces lumières vives et pénétrantes
qui ne firent que se montrer à elle sans lui laisser aucun souvenir : Aussitôt,
je voulais les ressaisir, me dit-elle, mais impossible; alors, au lieu de me
fatiguer à chercher ce qui avait produit cette joie dans mon âme, je me
contentais de jouir du baume qu'elle m'avait laissé sans savoir comment il
était venu, et j'étais heureuse de cette pauvreté...
Comme les petits enfants qui n'ont rien en propre et dépendent absolument
de leurs parents, elle voulait qu'on vive au jour le jour, sans faire de
provisions spirituelles.
Si le bon Dieu veut des belles pensées et des sentiments sublimes, il a ses
anges... Il pouvait même créer des âmes si parfaites qu'elles n'auraient eu
aucune des faiblesses de notre nature. Mais non, il met ses délices dans de
pauvres petites créatures faibles et misérables... Sans doute que cela lui plaît
mieux !
C'est bien vrai qu'elle ne désirait être aimée et estimée qu'au Ciel, car sur la
terre elle n'avait jamais cherché qu'à être comptée pour rien. Que de fois ne
m'a-t-elle pas dit que : le mépris lui ayant paru trop glorieux, parce qu'on ne
peut mépriser que ce que l'on connaît, elle s'était passionnée pour l'oubli !
ESPRIT D'ENFANCE
Au procès, lorsque le Promoteur de la Foi m'a demandé pourquoi je désirais
la béatification de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, je lui ai répondu que
c'était uniquement pour faire connaître sa Petite Voie. C'est ainsi qu'elle
appelait sa spiritualité, sa manière d'aller à Dieu.
… Sa vie devait être simple pour servir de modèle aux petites âmes.
C'est la vérité qu'en toute rencontre notre chère Maîtresse nous indiquait sa
petite voie. Pour y marcher, déclarait-elle, il faut être humble, pauvre
d'esprit et simple.
Combien elle aurait goûté, si elle l'avait connue, cette prière de Bossuet :
« Grand Dieu !...ne permettez pas que certains esprits, dont les uns se
rangent parmi les savants, les autres parmi les spirituels, puissent jamais
être accusés à votre redoutable tribunal, d'avoir contribué en aucune sorte à
vous fermer l'entrée de je ne sais combien de coeurs, parce que vous vouliez
y entrer d'une façon dont la seule simplicité les choquait et par une porte
qui, tout ouverte qu'elle est par les saints depuis les premiers siècles de
l’Église, ne leur était peut-être pas encore assez connue ; faites plutôt que,
devenant tous aussi petits que des enfants, comme Jésus-Christ l'ordonne,
nous puissions entrer une fois par cette petite porte, afin de pouvoir ensuite
la montrer aux autres, plus sûrement et plus efficacement. Ainsi soit-il »
[Pour faire l’oraison en fois t.2 XV p. 706, 707 Méquignon Junior et J. Leroux, 1845]
Rien d'étonnant qu'à sa dernière heure, ce grand homme ait prononcé ces
paroles émouvantes : Si je pouvais recommencer ma vie, je voudrais n'être
qu'un tout petit enfant donnant sans cesse la main à l'Enfant Jésus.
Un grand homme est celui qui n'a pas perdu son coeur d'enfant. [Meng-tsen;
IVe siècle avant Jésus-Christ]
Pour notre Sainte, cette petite voie consistait pratiquement dans l'humilité,
comme je l'ai déjà dit.
Mais elle se traduisait encore par un esprit d'enfance très accusé. Ainsi, elle
aimait beaucoup à m'entretenir de ces paroles qu'elle puisait dans
l'Evangile :
Laissez venir à moi les petits enfants, le Royaume des Cieux leur
appartient... Leurs Anges voient continuellement la Face de mon Père
céleste... Quiconque se fera petit comme un enfant sera le plus grand dans le
royaume du Ciel... Jésus embrassait les enfants après les avoir bénis.
[Evangile].
Elle les avait copiés au verso d'une image sur laquelle étaient fixées les
photographies de nos quatre petits frères et soeurs envolés au Ciel en bas
âge. Elle m'en fit présent, gardant elle-même la pareille dans son bréviaire.
Les photos sont maintenant en partie effacées par le temps.
Sous ces textes évangéliques, elle en avait ajouté d'autres, tirés de la Sainte
Ecriture, qui la ravissaient et toujours en liaison avec l'Esprit d'enfance :
Heureux ceux que Dieu tient pour justes sans les oeuvres, car à l'égard de
ceux qui font des oeuvres, la récompense n'est point regardée comme une
grâce, mais comme une chose due... C'est donc gratuitement que ceux qui
ne font pas les oeuvres sont justifiés par la grâce en vertu de la rédemption
dont Jésus-Christ est l'auteur. [Epître de saint Paul aux Romains]
Le nom de Thérèse de l'Enfant-Jésus qui fut le sien dès l'âge de neuf ans,
quand elle manifesta son désir de devenir carmélite, demeura toujours pour
elle une actualité et elle s'efforça de le mériter constamment. Plus tard, elle
écrira cette prière sous une image de Jésus enfant :
Ces vertus enfantines qu'elle désirait, avaient fait avant elle l'admiration de
l'austère saint Jérôme qui n'est pas taxé pour cela de puérilité.
Voleurs de Ciel
Mes protecteurs et mes privilégiés sont ceux qui l'ont volé comme les saint
Innocents et le bon larron. Les grands saints l'ont gagné par leurs oeuvres :
moi je veux imiter les voleurs, je veux l'avoir par ruse, une ruse d'amour qui
m'en ouvrira l'entrée, à moi et aux pauvres pécheurs. L'Esprit-Saint
m'encourage, puisqu'il dit dans les Proverbes : O tout petit ! venez,
apprenez de moi la finesse.
Oui, si toutes les âmes appelées à la perfection avaient dû, pour entrer au
Ciel, pratiquer ces macérations, il nous l'aurait dit et nous nous les serions
imposées de grand coeur. Mais il nous annonce qu'il y a plusieurs demeures
dans sa maison. S'il y a celle des grandes âmes, celle des Pères du désert et
des martyrs de la pénitence, il doit y avoir aussi celle des petits enfants.
Notre place est gardée là, si nous l'aimons beaucoup, Lui et notre Père
céleste et l'Esprit d'Amour.
Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus était, on le voit, une âme très simple qui
s'est sanctifiée par des moyens ordinaires. On comprend par là que la
fréquence de dons extraordinaires dans sa vie eût été contraire à ce qu'elle
dit être les desseins de Dieu sur elle. Sa vie devait pouvoir servir de modèle
aux petites âmes.
Nous nous trouvions chez des voisins, à Alençon ; un cheval nous barrait
l'entrée du jardin. Tandis que les grandes personnes cherchaient un autre
accès, notre petite amie [Thérèse Lehoux, sept ans environ, de l'âge de
Céline.] ne trouva rien de plus facile que de passer sous l'animal. Elle se
glissa la première, me tendit la main; je la suivis en entraînant Thérèse et
sans courber beaucoup notre petite taille nous parvînmes au but.
Cette intention explicite n'est pas nécessaire pour une âme qui s'est donnée
toute à Dieu. Le petit enfant, au sein de sa mère, prend le lait pour ainsi dire
machinalement et sans pressentir l'utilité de son action et cependant, il vit, il
se développe; ce n'était pourtant pas son intention.
Elle me disait encore : Un peintre qui travaille pour son maître n'a pas
besoin de répéter à chaque coup de pinceau : c'est pour Monsieur un tel,
c'est pour Monsieur un tel... Il suffit qu'il se mette à l'ouvrage avec la
volonté de travailler pour son maître. Il est bon de recueillir souvent sa
pensée et de diriger ses intentions, mais sans contrainte d'esprit. Le bon
Dieu devine les belles pensées et les intentions ingénieuses que nous
voudrions avoir. Il est un Père et nous de petits enfants.
Elle voulait être sainte, mais sans grandir parce que, comme les petites
maladresses des enfants ne contristent pas leurs parents, ainsi les
imperfections des âmes humbles ne sauraient offenser gravement le bon
Dieu, et leurs fautes ne leur sont pas tenues à rigueur selon la paroles de
Saints Livres : Aux petits on pardonne par pitié. [Sag VI. 6.] En
conséquence, elle se gardait bien de désirer se sentir parfaite et que d'autres
la croient telle, car elle aurait grandi et le bon Dieu l'aurait laissée marcher
seule.
Les enfants ne travaillent pas pour se faire une position, disait-elle; s'ils sont
sages, c'est pour contenter leurs parents; ainsi, il ne faut pas travailler pour
devenir des saintes, mais pour faire plaisir au bon Dieu.
Je le baisai.
— Et on se fait embrasser maintenant.
On lui demandait sous quel nom nous devrions la prier quand elle serait au
Ciel. Vous m'appellerez petite Thérèse, répondit-elle humblement.
CONFIANCE
Ses entretiens sur l'amour et la miséricorde du bon Dieu ne tarissaient pas.
Sa confiance était invincible, et si elle désirait dès son adolescence devenir
une Sainte et une grande Sainte, comme elle le déclare dans son
autobiographie [Sic!], son ambition allait se perdre jusque dans l'infinie
richesse des mérites de Jésus qui étaient sa propriété, disait-elle. Aussi les
espérances même les plus hautes ne lui semblaient pas téméraires. Elle
assurait qu'il ne fallait pas craindre de trop désirer, de trop demander au bon
Dieu : Sur la terre, il y a des gens qui savent se faire inviter, qui se faufilent
partout… Si nous demandons au bon Dieu quelque chose qu'il ne comptait
pas nous donner, Il est si puissant et si riche qu'il y va de son honneur de ne
pas nous refuser, et Il donne... Mais elle n'employait jamais cette sainte
audace pour solliciter des consolations ou même l'allégement de ses peines.
Pour les grâces temporelles, elle était très circonspecte. Elle croyait que
Dieu ne lui refuserait rien et elle usait d'une grande réserve, de peur,
confiait-elle, qu'Il ne se croie obligé de m'exaucer. En conséquence,
lorsqu'elle demandait une faveur ou un soulagement, c'était pour faire
plaisir aux autres et encore faisait-elle passer ses prières par la Sainte
Vierge, ce qu'elle expliquait ainsi : Demander à la Sainte Vierge, ce n'est pas
la même chose que de demander au bon Dieu. Elle sait bien ce qu'elle a à
faire de mes petits désirs, s'il faut qu'elle les dise ou ne les dise pas… enfin,
c'est à elle de voir pour ne pas forcer le bon Dieu à m'exaucer, pour le
laisser faire en tout sa volonté. Quand elle exprimait son voeu de faire du
bien sur la terre après sa mort, elle y mettait cette condition : Avant
d'exaucer tous ceux qui me prieront, je commencerai par bien regarder dans
les yeux du bon Dieu pour voir si je ne demande pas une chose contraire à
sa volonté. ! Elle nous faisait remarquer que cet abandon imitait la prière de
la Sainte Vierge qui, à Cana, se contente de dire : « Ils n'ont plus de vin. »
De même Marthe et Marie disent seulement : « Celui que vous aimez est
malade. » Elles exposent simplement leurs désirs sans formuler de
demande, laissant Jésus libre de faire sa volonté.
Pas de quiétisme
Bien qu'elle marchât par cette voie de confiance aveugle et totale qu'elle
nomme sa petite voie ou voie d'enfance spirituelle jamais elle ne négligea la
coopération personnelle, lui donnant même une importance qui remplit
toute sa vie d'actes généreux et soutenus. C'est ainsi qu'elle l'entendait et
nous l'enseignait constamment au noviciat. Un jour que j'avais lu ces
paroles dans l'Ecclésiastique : « La miséricorde fera à chacun sa place selon
le mérite de ses oeuvres et selon l'intelligence de son pèlerinage », [Ecc.
XVI, 15.] je lui fis remarquer qu'elle aurait une belle place car elle avait
dirigé sa barque avec une sublime intelligence; mais pourquoi y avait-il
selon le mérite de ses oeuvres ?
Elle était donc toujours sous l'impression de cette idée dont elle ne mettait
pas en doute la réalisation, selon cette parole de notre Père saint Jean de la
Croix qu'elle faisait sienne : « Plus Dieu veut nous donner, plus Il nous fait
désirer. » [Lettre à la Mère Éléonore de Saint-Gabriel, religieuse carmélite
déchaussée du couvent de Séville.] Elle basait son espérance relative au
Purgatoire, sur l'abandon et l'amour, sans oublier sa chère humilité, vertu
caractéristique de l'enfance. L'enfant aime ses parents, et n'a aucune
prétention, sinon celle de s'abandonner totalement à eux parce qu'il se sent
faible et impuissant.
Elle me disait : Est-ce qu'un père gronde son enfant quand lui-même
s'accuse, lui inflige une pénitence ? Non, bien sûr, mais il le presse sur son
coeur. A l'appui de cette pensée elle me rappela une histoire que nous
avions lue dans notre enfance : Un roi, parti à la chasse, poursuivait un lapin
blanc que ses chiens allaient bientôt atteindre, quand le petit lapin, se
sentant perdu, rebroussa chemin rapidement et sauta dans les bras du
chasseur. Celui-ci, touché de tant de confiance, ne voulut plus se séparer du
lapin blanc, ne permettant à personne d'y toucher, se réservant lui-même le
soin de le nourrir. Ainsi, le bon Dieu fera-t-il avec nous, me dit-elle, si,
poursuivis par la justice, figurée par les chiens, nous cherchons refuge dans
les bras mêmes de notre Juge...
Bien qu'elle ait en vue, ici, les petites âmes qui suivent la Voie d'Enfance
spirituelle, elle n'écartait pas de cette espérance hardie les grands pécheurs
mêmes. C'est pourquoi Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus a pu écrire dans son
manuscrit : Oui, je le sens, quand même j'aurais sur la conscience tous les
péchés qui se peuvent commettre, j'irais, le coeur brisé de repentir me jeter
dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l'enfant prodigue qui
revient à Lui. Ce n'est pas parce que le bon Dieu dans sa prévenante
miséricorde, a préservé mon âme du péché mortel que je m'élève à Lui par
la confiance et l'amour.
Aussitôt après mon entrée au Carmel, j'avais demandé à lire l'histoire des
Pères du désert. J'y avais relevé quelques notes dont celle-ci qui frappa à tel
point ma chère petite Soeur, qu'elle regretta de ne pas l'avoir introduite dans
son autobiographie [sic!] [Chap. XII du livre Histoire d’une Âme - figure également
dans l’abégé] et recommanda, avec instance, de l'y ajouter : Une pécheresse,
nommée Paésie, désolait la contrée par ses scandales. Un Père du désert,
Jean le Nain, alla la trouver et comme il l'avait exhortée à la pénitence de
ses crimes, elle lui dit : Mon Père, y a-t-il encore une pénitence pour moi ?
— Oui, dit le Saint, je vous en assure. — Menez-moi donc où vous
trouverez bon pour cela, lui dit-elle. Aussitôt, elle se leva et elle le suivit
sans donner ordre dans sa maison, sans même y dire un mot à personne.
Comme ils étaient entrés dans le désert et que la nuit approchait, Jean fit un
monceau de sable, comme un oreiller, qu'il marqua du signe de la Croix et
dit à Paésie de s'y coucher. Il se mit ensuite plus loin pour dormir aussi,
après avoir prié. Mais s'étant réveillé à minuit, il vit un rayon de lumière qui
descendait du Ciel sur Paésie et qui servait comme de chemin à plusieurs
anges qui portaient son âme au Ciel. Dans la surprise où il fut de sa vision,
il alla vers Paésie qu'il poussa du pied pour voir si elle était morte, et trouva
qu'elle avait rendu son âme à Dieu. En même temps, il entendit une voix
miraculeuse qui lui dit : Sa pénitence d'une heure a été plus agréable à Dieu
que celle que d'autres font pendant longtemps parce qu'ils ne la font pas
avec autant de ferveur qu'elle. [Vies des Pères des Déserts d'Orient avec leur
doctrine spirituelle et leur discipline monastique, par le R.P. Michel-Ange
MARIN, de l'ordre des Minimes, livre IV, ch. 18]
Maintes fois, Soeur Thérèse m'avait fait remarquer que la justice du bon
Dieu se contentait de bien peu de chose lorsque l'amour en était le motif et
qu'alors il tempérait, à l'excès, la peine temporelle due au péché, car il n'est
que douceur. J'ai fait l'expérience, me confia-t-elle, qu'après une infidélité
même légère, l'âme doit subir pendant quelque temps un certain malaise. Je
me dis alors : Ma petite fille, c'est la rançon de ta faute et je supporte
patiemment que la petite dette soit payée.
Mais, là se bornait, dans son espérance, la satisfaction réclamée par la
justice, pour ceux qui sont humbles et s'abandonnent à Dieu avec amour.
Elle ne voyait pas s'ouvrir pour eux la porte du Purgatoire, pensant plutôt
que le Père des Cieux, répondant à leur confiance par une grâce de lumière
à l'heure de la mort, ferait naître en ces âmes, à la vue de leur misère, un
sentiment de contrition parfaite effaçant toute dette.
AMOUR DE DIEU UNION A DIEU
Amour de Dieu
Contrairement à d'autres mystiques qui s'exercent à la perfection pour
atteindre l'amour, Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus prenait pour voie de la
perfection l'amour même. L'amour fut l'objectif de toute sa vie, le mobile de
toutes ses actions.
Pendant sa maladie, elle me fit cette confidence : Je n'ai jamais désiré que
faire plaisir au bon Dieu. Si j'avait cherché à amasser des mérites, à l'heure
qu'il est, je serais désespérée. Oui, parce que sachant que toutes nos justices
ont des taches devant Dieu, dans son humilité, elle comptait pour rien les
oeuvres qu'elle avait accomplies et n'estimait que l'amour qui les avait
inspirées.
Le bon Dieu, disait-elle, a suffisamment de peine, lui qui nous aime tant,
d'être obligé de nous laisser sur la terre accomplir notre temps d'épreuve,
sans que nous venions constamment lui redire que nous y sommes mal; il ne
faut pas avoir l'air de s'en apercevoir ! Si elle transpirait dans les grandes
chaleurs, ou si elle souffrait trop du froid en hiver, elle avait cette pensée
exquise de ne s'essuyer le visage et de ne se frotter les mains qu'à la
dérobée, comme pour ne pas donner au bon Dieu le temps de la voir… De
même, lorsqu'elle se livrait à un exercice de pénitence prescrit par la Règle :
Je m'efforçais d'y sourire, confiait-elle, afin que le bon Dieu, comme trompé
par l'expression de mon visage, ne sût pas que je souffrais.
Dans son langage naïf, elle disait: Si en arrivant au Ciel je n'ai pas tout ce
que j'ai désiré, je me garderai bien de le faire paraître et le bon Dieu ne
s'apercevra pas de ma déception!
Regretter d'avoir lu
Si la flamme de son amour était toujours pure et dévorante, c'est qu'elle
avait soif de l'isoler de toutes les choses créées, l'alimentant seulement de
sacrifice. Un jour que nous nous trouvions devant une bibliothèque, elle me
dit avec sa gaieté habituelle : Oh! que je serais marrie d'avoir lu tous ces
livres-là ! — Pourquoi donc, repris-je, puisqu'ils seraient lus, ce serait un
bien acquis; je comprendrais : regretter d'avoir à les lire, mais pas de les
avoir lus ? — Si je les avais lus, je me serais cassé la tête, j'aurais perdu un
temps précieux que j'ai employer simplement à aimer le bon Dieu.
Générosité
Je lui faisais remarquer que le bon Dieu me demandait plus qu'à d'autres,
que telle ou telle Soeur se permettait ce dont je me privais. J'eus cette
réponse : « Moi, je suis toujours contente de ce que le bon Dieu me
demande, je ne m'inquiète pas de ce qu'il demande aux autres et je ne pense
pas avoir plus de mérite parce qu'il me demande davantage. Ce qui me plaît,
ce que je choisirais — si j'en avais la possibilité — c'est justement ce que le
bon Dieu veut de moi. Je trouve toujours ma part belle… Quand même les
autres devraient avoir plus de mérite en donnant moins, j'aimerais mieux
avoir moins de mérite en donnant plus, parce que j'accomplirais la volonté
du bon Dieu. »
Et comme je disais qu'elle était bien heureuse de s'en aller avec Lui : Ce
n'est nullement pour la jouissance que je désire m'en aller. La souffrance
m'attire trop pour que je lui préfère le Ciel. Seule la certitude d'accomplir la
volonté divine me fait souhaiter la mort, autrement j'aimerais mieux vivre et
souffrir le martyre.
« Les Docteurs nous enseignent que, dans le ciel, l'amour qui unit tous les
élus est si grand, que chacun jouit autant du bonheur des autres que s'il
l'avait mérité et en jouissait lui-même. » [Cf. saint Thomas : « Au ciel
chacun des élus se réjouit du bonheur de tous les autres ». [S.T. Suppl. 9.
71, art. 1er]. La sainte avait lu dans un ouvrage qu'elle avait
particulièrement goûté: Fin du monde présent et mystères de la vie future,
par l'abbé Arminjon, le passage suivant : « Les élus n'auront plus entre eux
qu'un seul coeur… Chacun sera riche de la richesse de tous, chacun
tressaillira du bonheur de tous. » [7e conférence: De la béatitude éternelle et
de la vision surnaturelle de Dieu. p. 312]
« Vous ferez tout autant de bien que moi et même plus, par le désir de faire
ce bien et par l'oeuvre la plus cachée accomplie par amour, par exemple en
rendant un petit service qui coûte beaucoup. Vous savez que moi je suis
pauvre, mais le bon Dieu me donne à mesure tout ce qu'il me faut. »
Vous le voyez, l'Epoux, le cerf blessé n'est pas attiré par la hauteur, c'est-à-
dire par des actions d'éclat, mais seulement par l'air du vol, et un simple
coup d'aile — un acte de vraie charité — suffit pour produire cette brise
d'amour.
Le kaléidoscope
Elle me parlait à l'occasion d'un jeu bien connu, avec lequel nous nous
amusions dans notre enfance. C'était un kaléidoscope, sorte de longue-vue à
l'extrémité de laquelle on aperçoit de jolis dessins de diverses couleurs ; si
l'on tourne l'instrument, ces dessins varient à l'infini. Cet objet, m'avait-elle
dit, causait mon admiration, je me demandais ce qui pouvait produire un si
charmant phénomène ; lorsqu'un jour, après un examen sérieux, je vis que
c'étaient simplement quelques petits bouts de papiers et de laine jetés çà et
là, et coupés n'importe comment. Je poursuivis mes recherches et j'aperçus
trois glaces à l'intérieur du tube. J'avais la clé du problème. Ce fut pour moi
l'image d'un grand mystère. Tant que nos actions, même les plus petites, ne
sortent pas du foyer de l'amour, la Sainte Trinité, figurée par les glaces
convergentes, leur donne un reflet et une beauté admirables. Oui, tant que
l'amour est dans notre coeur, que nous ne nous éloignons pas de son centre,
tout est bien et, comme dit saint Jean de la Croix : « L'amour sait tirer profit
de tout, du bien et du mal qu'il trouve en moi, et transformer toutes choses
en soi. » [Glose sur le divin]. Le bon Dieu, nous regardant par la petite
lunette, c'est-à-dire comme à travers lui-même, trouve nos misérables
pailles et nos plus insignifiantes actions toujours belles; mais pour cela, il
ne faut pas s'éloigner du petit centre ! Car alors, de minces bouts de laine et
de minuscules papiers, voilà ce qu'il verrait. »
Une fois qu'elle tenait en mains les épîtres de saint Paul, elle m'appela et me
dit avec enthousiasme : Écoutez, voici ce que dit l'Apôtre : « Ce n'est point
d'une montagne que la main puisse toucher que vous approchez [par
l'amour], ni d'un feu ardent, ni d'un tourbillon… mais de la montagne de
Sion, de la cité du Dieu vivant qui est la Jérusalem céleste, des myriades
d'anges et de la société de nos aînés… car notre Dieu est un feu
consumant. » [Hébreux 12, 18, 22, 23, 29.] Et reprenant ces dernières
paroles, elle me les commenta avec émotion.
RECONNAISSANCE
Rappelle-toi
J'entrai au Carmel avec l'impression d'avoir beaucoup donné à Jésus. Je
priai donc ma petite Thérèse de me composer, sur l'air de « Rappelle-toi »,
un poème qui rappellerait à Jésus tout ce que j'avais cru lui sacrifier et tout
ce que notre famille avait souffert. Elle accueillit le propos avec plaisir,
comme l'occasion de me donner une petite leçon. En de nombreux couplets,
elle évoqua non ce que j'avais fait pour Jésus, mais ce qu'Il avait fait pour
moi. Je pensai alors à la parabole du Pharisien et du Publicain : n'avais-je
pas un peu imité le premier qui se vantait de payer la dîme de tout son
bien ?... Thérèse avait voulu m'enseigner à m'oublier complètement pour
vivre dans l'amour et l’action de grâces.
UNION A DIEU
Ni empressement, ni nonchalance
Elle essayait de combattre en moi l'empressement dans les affaires, le désir
de trop bien faire, la vive peine que je ressentais quand je n'avais pas réussi
à mon gré, en un mot, le tracas que je me donnais pour l'ouvrage : « Vous
n'êtes pas venue ici, me disait-elle, pour abattre beaucoup de besogne. Il ne
faut pas non plus travailler pour réussir. Vous occupez-vous, en ce moment,
de ce qui se passe dans les autres Carmels ? si les religieuses sont pressées
ou non ? Leurs travaux vous empêchent-ils de prier, de faire oraison ? Eh
bien, vous devez vous exiler de même de votre besogne personnelle, y
employer consciencieusement le temps prescrit, mais avec dégagement de
coeur. J'ai lu autrefois que les Israélites bâtirent les murs de Jérusalem
travaillant d'une main et tenant une épée de l'autre. C'est bien l'image de ce
que nous devons faire : ne travailler que d'une main, en effet, et de l'autre
défendre notre âme de la dissipation qui l'empêche de s'unir au bon Dieu. »
Je sais qu'elle ne tenait pas ce langage avec les âmes qui avaient le penchant
contraire, car elle ne pouvait supporter que l'on travaillât avec nonchalance
en se disant : « Si c'est bien, si j'ai fini, tant mieux; si c'est mal, si je n'ai pas
fini, tant pis ! » Elle voulait que nous mettions du coeur à notre ouvrage,
jamais trop pour empêcher de garder la présence du bon Dieu, ni trop peu,
ce qui nuit à cette même présence. Le coeur qui aime, ajoutait-elle, travaille
avec amour, c'est-à-dire avec ferveur; il court, il vole, il ne trouve rien
d'impossible et rien ne l'arrête. [Imitation, L. III, ch.I. v, 4]
Office divin
Son maintien au choeur, si modeste et si recueilli, m'édifiait tellement que je
lui demandai ce qu'elle pensait pendant la récitation de l'Office divin. [La
Sainte ne comprenant pas le latin ne pouvait donner habituellement une
attention littérale au texte, mais elle saisissait certains passages lus, en
dehors de l'Office, dans les traductions.] Elle me répondit qu'elle n'avait pas
de méthode fixe, mais que souvent elle se voyait en imagination sur un
rocher désert, devant l'immensité, et là seule avec Jésus, ayant la terre à ses
pieds, elle oubliait toutes les créatures et lui redisait son amour dans les
termes qu'elle ne comprenait pas, il est vrai, mais il lui suffisait de savoir
que cela lui faisait plaisir. Elle aimait à être hebdomadière [La religieuse
désignée chaque semaine pour remplir, dans la récitation chorale de l'Office
divin, le rôle du prêtre officiant.] pour dire tout haut l'oraison, comme les
prêtres à la messe.
C'était l'Évangile et le peu que l'on nous permettait alors de lire dans
l'Ancien Testament qui l'occupaient pendant ses oraisons ; surtout à la fin de
sa vie où aucun livre, même ceux qui lui avaient fait le plus de bien, ne lui
parlaient plus au coeur. Parmi ceux-ci, elle avait spécialement apprécié le
Discours de Bossuet sur « La vie cachée en Dieu ». Dès mon entrée au
Carmel elle m'en recommanda la lecture. Au début de sa vie religieuse,
lorsque j'étais encore dans le monde, elle me conseilla d'acheter l'ouvrage
de Mgr de Ségur sur nos « Grandeurs en Jésus ». Mais si elle méditait ses
grandeurs en Jésus, c'est la connaissance de sa petitesse qu'elle aimait
surtout à approfondir jusqu'à avouer « préférer des lumières sur son néant à
des lumières sur la foi. »
A cette époque et même plus tard, elle goûtait particulièrement les oeuvres
de saint Jean de la Croix. Quand je l'eus rejointe au monastère, je fus
témoin de son enthousiasme lorsque devant le graphique de notre
Bienheureux Père, dans « La Montée du Carmel », elle s'arrêtait et me
faisait remarquer cette ligne où il y avait écrit : « Ici, il n'y a plus de chemin,
parce qu'il n'y a pas de loi pour le juste. » Alors, dans son émotion, le
souffle lui manquait pour traduire son bonheur. Cette parole l'aida beaucoup
à prendre son indépendance dans ses explorations du pur amour, que
plusieurs taxaient de présomption. Elle excita sa hardiesse à trouver, pour
l'atteindre, une voie toute nouvelle, celle de l'Enfance spirituelle, qui n'en
est plus une, tant elle est droite et courte, aboutissant d'un seul jet au coeur
même de Dieu. Je crois que toutes ses oraisons visaient uniquement cette
recherche de « la science d’amour »
PIÉTÉ
Elle cherchait à connaître Dieu, à découvrir pour ainsi dire « son caractère »
et comment pouvait-elle mieux le faire qu'en étudiant les livres inspirés,
spécialement le saint Évangile ? Aussi s'affligeait-elle de la différence des
traductions. [Elle avait pu en juger car, bien que les jeunes Soeurs ne
fussent pas autorisées à lire une Bible complète, la sainte avait comparé les
textes du petit carnet de Soeur Geneviève avec certaines traductions du
Psautier [notamment dans l'édition de Glaire] des livres des prophètes et du
Nouveau Testament. Elle lut celui-ci surtout dans le Manuel du chrétien qui
contenait aussi les Psaumes et l'Imitation de Jésus-Christ, précédés de
l'Ordinaire de la Messe, des Vêpres et des Complies. [Édition approuvée par
Monseigneur l'Archevêque de Tours, Mame et Fils, éditeurs, Tours, 1864.
Sans nom de traducteur], « Psaumes traduits de l’hébreu ». En plus des
exemplaires de l'Écriture Sainte proprement dite, elle avait à sa disposition
des ouvrages qui en donnent de longs extraits comme la traduction du
Bréviaire, lue chaque jour à la communauté au réfectoire, la Semaine sainte
latin-français, les Paroissiens et autres livres qui contiennent de nombreuses
citations scripturaires, telles l'Année liturgique de Dom Guéranger, les
Oeuvres de saint Jean de la Croix, etc. L'examen des citations de l'Ancien et
du Nouveau Testaments faites par la sainte prouve bien qu'elle a puisé, en
effet, à ces différentes sources.] carmel/bibliotheque communautaire
Elle aima le bon Dieu comme un enfant chérit son père, avec des tours de
tendresse incroyables. Pendant sa maladie, il arriva qu'en parlant de lui elle
prit un mot pour un autre et l’appela : « Papa ». Nous nous mîmes à rire,
mais elle reprit tout émue : « Oh ! oui, il est bien mon Papa et que cela m'est
doux de lui donner ce nom. »
Piété eucharistique
La sainte messe et le banquet eucharistique faisaient ses délices. Elle
n'entreprenait rien d’important sans demander à faire offrir le saint Sacrifice
à cette intention. Lorsque notre tante lui donnait de l'argent pour ses fêtes et
anniversaires au Carmel, elle sollicitait toujours la permission de faire
célébrer des messes et me disait parfois tout bas : C'est pour mon enfant
[Pranzini], il faut bien que je lui vienne en aide maintenant ! [Un condamné
à mort dont elle avait obtenu la conversion in extremis en août 1887.]
Culte du sacerdoce
Son esprit de foi lui inspirait un grand respect pour les prêtres, à cause du
sacerdoce dont ils sont revêtus et dont il est impossible d'avoir une plus
haute estime. Elle a exprimé à plusieurs reprises au cours de sa vie le regret
de ne pouvoir être prêtre. Se sentant très malade, en juin 1897, elle me dit:
Le bon Dieu va me prendre à un âge où je n'aurais pas eu le temps d'être
prêtre si je l'avais pu. La pensée que sainte Barbe avait porté la communion
à saint Stanislas Kotska la ravissait. Pourquoi pas un ange, me disait-elle,
pourquoi pas un prêtre, mais une vierge ! oh ! qu'au ciel nous verrons de
merveilles ! J'ai dans l'idée que ceux qui l'auront désiré sur la terre jouiront
là-haut des privilèges du sacerdoce.
Piété mariale
La statue de la Sainte Vierge qui s'était animée pour lui sourire lors de sa
guérison miraculeuse était sa consolation. Lorsqu'à mon entrée au Carmel
on apporta cette statue, Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus se rendit à la porte
conventuelle pour la recevoir et, la saisissant d'un mouvement rapide en la
serrant avec amour, l'emporta avec la même facilité qu'on soulève une
plume, bien qu'elle fut très lourde. [Cette statue est en plâtre plein et mesure
0 m.90.] Les Soeurs présentes en restèrent surprises et édifiées. Bien des
fois depuis, je l'ai vue s'agenouiller à ses pieds et la prier avec une grande
ferveur. Pendant sa dernière maladie, on la plaça en face de son lit. Sans
cesse ses regards étaient tournés vers elle.
Thérèse aimait à distribuer des médailles de la Sainte Vierge, ne doutant pas
de leur efficacité. Dans le monde, elle en avait attaché sur la poitrine des
deux petites filles pauvres qu'elle instruisait et elle avait persuadé une
femme de journée incroyante de porter celle qu'elle lui offrait. A sa
Première Communion, elle résolut de réciter chaque jour un « Souvenez-
vous » et elle y fut fidèle toute sa vie. Plus tard, aux Buissonnets, elle disait
son chapelet quotidiennement, mais ces pratiques extérieures n'étaient qu'un
pâle rayonnement de son intimité avec sa Mère chérie qu'elle appelait
Maman. Elle estimait que toutes les conversions devraient être obtenues par
l'invocation de Marie et recommandait à la Sainte Vierge toutes ses
intentions. Une après-midi, à trois heures, je remarquai qu'elle priait et lui
demandai ce qu'elle disait : « Je récite un Ave Maria pour offrir mon travail
à la Sainte Vierge. J'ai pris l'habitude d'agir ainsi chaque fois que je me
remets à l'ouvrage. » Elle nous faisait passer notre chapelet autour du cou,
la nuit.
Notre chère petite Maîtresse était déjà bien malade quand elle composa son
cantique « Pourquoi je t'aime, ô Marie ». Elle y mit tout son coeur. Je
l'entends encore me dire « qu'elle voulait avant de mourir exprimer dans
une poésie tout ce qu'elle pensait sur la Sainte Vierge. »
CHARITE FRATERNELLE - ZELE DES AMES
Une fois, n'en pouvant plus, j'arrivai tout en larmes près de Soeur Thérèse
qui m'accueillit avec tendresse, me consola, m'encouragea. Je la vois encore
assise près de moi sur un bahut, me serrer dans ses bras. Cependant, il me
fallait retourner sans cesse sur mon champ de bataille et souvent je me
surpris à faire un grand tour pour ne pas passer sous les fenêtres de
l'infirmerie parce que, la Mère me voyant à proximité, me faisait signe de
lui rendre quelque service superflu. Parfois, c'est en baissant la tête pour
n'être pas vue d'elle que j'y passais rapidement, gardant au coeur une
certaine amertume.
Je comprends bien que cela vous coûte, mais si vous voyiez les anges qui
vous regardent dans l'arène, ils attendent la fin du combat pour vous jeter
des couronnes et des fleurs comme autrefois on en jetait aux vaillants
chevaliers. Puisque nous voulons être de petites martyres, à nous de gagner
nos palmes ! Et ne croyez pas que ces combats soient sans valeur :
« L'homme patient vaut mieux que l'homme fort et celui qui dompte son
âme vaut mieux que celui qui prend des villes » [Prov. 16,32]. Pour moi, si
je devais vivre encore, l'office d'infirmière serait celui qui me plairait
davantage. Je ne voudrais pas le solliciter, craignant que ce soit
présomption, mais si on me le donnait, je me croirais bien privilégiée. Oh !
oui, j'aurais eu du bonheur si on m'avait demandé cela ! La nature peut-être
l'aurait trouvé coûteux, mais il me semble que j'aurais agi avec beaucoup
d'amour, pensant à la parole de Notre-Seigneur : « J'étais malade et vous
m'avez soulagé. » [Mt 25,36] Elle me recommandait beaucoup de soigner
les malades avec amour, de ne pas faire cet ouvrage comme un autre mais
avec autant de soin, de délicatesse que si on rendait ce service à Dieu
même. Toutefois, après une journée de labeur, cela me semblait dur d'aller
le soir, pendant l'heure du repos ou après matines, porter quelque
soulagement aux Soeurs fatiguées. Je m'en plaignais. Elle me dit :
Maintenant, c'est vous qui portez de petites tasses à droite et à gauche, mais
un jour au ciel, c'est Jésus « qui ira et viendra pour vous servir. » [Lc 12,37]
Sagesse humaine
Vous dites : je veux être bonne avec celles qui sont bonnes, douce avec
celles qui sont douces. Et dès que quelqu'un vous contrarie, vous voilà hors
de vous-même : vous agissez en cela comme les païens dont il est parlé
dans l'Evangile. Au contraire : Faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez
pour ceux qui vous persécutent. [Mt 5,44; Lc 6,27] Etre bon avec ceux qui
nous font du bien, c'est de la sagesse humaine, rien pour Dieu ».
Quand vous serez au moment de la mort
Je voulais toujours que les détails de ma vie s'emboîtent comme un jeu de
patience. Gare à qui les dérangeait ! Si une circonstance imprévue venait
briser cette combinaison et brouiller l'arrangement, je paraissais
mécontente. Un jour, dans la dernière maladie de ma chère petite Soeur,
j'avais compté sur une après-midi pour finir un travail et j'avais été appelée
inopinément au parloir. Je lui dis : « Oh ! que je regrette d'avoir été
dérangée, j'aurais terminé mon ouvrage !.. » Elle me regarda : Quand vous
serez au moment de la mort, que vous désirerez avoir été dérangée!
Ange de paix
J'avais versé quelques larmes pour faire croire à une soeur que j'étais très
contrariée. Pourtant, il n'y avait aucune attache à la chose que je regrettais.
J'avais aussi le même jour soutenu mes droits vis-à-vis d'une autre soeur et
défendu la justice, je voulais de plus lui prouver qu'elle avait tort. Ma Soeur
Thérèse de l'Enfant-Jésus me dit: C'est vrai, dans le fond, il n'y a pas eu de
trouble, la paix n'a pas été atteinte, mais le duvet de la petite pêche est
froissé… Soutenir vos droits, vouloir la justice n'est pas un grand tort vis-à-
vis du prochain, mais pour vous, quel dommage!
Lors de notre voyage de Rome, elle n'avait encore que quatorze ans, ayant
parcouru quelques pages d'Annales de Religieuses Missionnaires, elle
interrompit bientôt sa lecture et me dit: Je ne veux pas en lire plus; j'ai déjà
un désir si violent d'être missionnaire, que serait-ce si je l'avivais encore par
le tableau de cet apostolat? Je veux être carmélite. Elle m'expliqua ensuite
le pourquoi de cette détermination: C'était pour souffrir davantage dans la
monotonie d'une vie austère et, par là, sauver plus d'âmes.
Après sa mort
Bien des fois et sous des formes très variées, elle promit de « faire tomber
une pluie de roses » et exprima son désir et son assurance de faire du bien
après sa mort en priant pour l'Église, en continuant sa mission de choix
auprès des prêtres. Je l'entendis surtout expliquer, décrire quel serait ce
bien, par quel moyen elle appellerait les âmes à Dieu en leur enseignant sa
voie de confiance et de total abandon. Répondant à l'une de ses réflexions,
je lui disais: « Alors, vous croyez que vous sauverez plus d'âmes au ciel?
Fidélité à la règle
La fidélité de ma chère petite soeur pour l'observance fut à la mesure de son
estime pour nos saintes Règles et Constitutions : Nous sommes trop
heureuses, disait-elle, de n'avoir qu'à pratiquer ce que nos réformateurs ont
dû instituer avec tant de peine. Aussi, elle ne pouvait supporter que nous
trouvions à redire à ce qui était prescrit.
Une fois que la fin d'un exercice était sonnée et que je ne me dérangeais pas
assez vite, elle me dit : Allez à votre petit devoir, non à votre petit amour...
Obéissance
L'obéissance de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'étendait à tout. Elle me
disait : Nous ne devons pas nous donner de facilité de vie. Puisque nous
voudrions être des martyres, il faut se servir des instruments que l'on a, et
faire de notre vie religieuse un martyre. Ce conseil, elle le pratiquait
rigoureusement, à la lettre. Les Supérieures devaient faire une grande
attention à ce qu'elles disaient en sa présence, car un avis lui devenait un
ordre, et elle ne le suivait pas seulement un jour, ni quinze jours, mais sans
discontinuer.
C'est ainsi que je l'ai vue observer de petites choses comme fermer telle
porte, ne pas passer en tel endroit, ne pas traverser le choeur et mille autres
recommandations de ce genre auxquelles notre Mère Prieure — la
Révérende Mère Marie de Gonzague — ne pensait plus au bout de quelques
jours. Elle ne se doutait pas que pour cette âme fidèle toutes ses paroles
devenaient des oracles, et qu'elle les accomplissait comme étant la volonté
expresse de Dieu. Pendant son noviciat, sa Maîtresse, Soeur Marie des
Anges, lui avait fait une obligation de lui dire chaque fois qu'elle aurait mal
à l'estomac. Comme c'était tous les jours, elle se croyait forcée de faire cet
aveu tous les jours. Alors sa Maîtresse, ne se souvenant plus de l'ordre
qu'elle avait donné, s’exclamait : « Cette enfant ne fait que se plaindre ». Ce
que Thérèse supporta sans s'excuser.
Elle obéissait de même à chacune des soeurs, sans que jamais parût l'ombre
d'une recherche de sa volonté propre, sacrifiée en toutes rencontres. Un jour
où la communauté était réunie dans un ermitage pour chanter des cantiques,
et qu'épuisée par la maladie, elle s'était assise, une Soeur lui ayant fait signe
de se lever, elle le fit aussitôt avec un visage aimable. Après la réunion, je
lui demandai pourquoi cette obéissance que je jugeais trop aveugle. Elle me
répondit simplement que dans les choses de peu d'importance, elle avait pris
l'habitude d'obéir à toutes et à chacune par esprit de foi, comme si c'était
Dieu lui-même qui lui manifestait sa volonté.
J'avais répondu vivement à une Soeur qui m'avait fait un reproche que je ne
croyais pas mérité : « Elle n'est pas dans son droit, cela ne la regardait pas!
disais-je. — C'est vrai, reprit notre Maîtresse, mais Jésus n'a pas dit :
obéissez seulement à vos Supérieurs, mais : « Donnez à quiconque vous
demande [Luc 6:30] et faites mille pas avec celui qui vous oblige d'en faire
cent ».[Mt 5:41].
Quelque temps avant de mourir, Soeur Thérèse dit devant moi à Mère
Agnès de Jésus : « J'ai un petit conseil à vous donner : il faudrait que les
Prieures recommandent aux infirmières d'obliger leurs malades à demander
tout ce dont elles ont besoin. C'est bien nécessaire, ma Mère.. ».
[Evidemment, Soeur Thérèse si mortifiée n'avait en vue ici que les grandes
malades, car plus que toute autre elle faisait sienne cette recommandation
de notre Mère sainte Thérèse : « Qu'on ne doit pas importuner les
infirmières quand le mal n'est pas grand. »] Elle me le dit aussi à moi, qui
étais affectée à cet emploi. De ce fait, nous jugeâmes qu'elle parlait
d'expérience, mais il était trop tard pour y remédier efficacement. De
combien de choses ne s'est-elle pas privée? Ces sacrifices sont le secret de
Dieu, car même en pensant la soulager, nous la faisions souffrir. Aussi
l'infirmière, une bonne ancienne un peu sourde, croyant qu'elle avait froid
alors qu'elle était brûlante de fièvre, la couvrit par-dessus la tête et, voyant
que sa malade prenait tout ce qu'elle lui donnait, lui apporta encore de
nouvelles couvertures. Soeur Thérèse se laissa faire. Quand je revins, je la
trouvai ruisselante de sueur. Toute souriante, elle me raconta ce trait, sans
qu'un mot de mécontentement sortît de ses lèvres. Elle me dit, au contraire,
avoir tout accepté en esprit d'obéissance à sa première infirmière.
Ne rien faire sans permission
Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus nous recommandait souvent d'être bien
fidèle à demander nos permissions. « Pour moi, me dit-elle, quand j'avais
oublié de le faire le samedi et que je n'y pensais pas au moment où j'aurais
dû les solliciter, je me privais d'une chose indispensable plutôt que d'agir de
moi-même. [Trois ans après la profession, les novices quittaient le noviciat,
prenaient le rang des autres soeurs et n'étaient plus tenues aux mêmes
assujettissements. C'est ainsi que les novices demandent leurs permissions
chaque semaine et les autres Soeurs chaque mois. Sainte Thérèse de
l'Enfant-Jésus, ayant dépassé les trois ans qui suivent la profession et
remplissant une charge auprès des novices, aurait pu se dégager de ces
liens, mais elle se garda bien de le faire.] « J'ai été très scrupuleuse pour
cela et j'étais fort tourmentée quand je devais faire quelque chose sans
l'autorisation de notre Mère. Ainsi, le bon Dieu n'a pas permis qu'elle me dît
d'écrire mes poésies à mesure que je les composais, et je n'aurais pas voulu
le lui demander de peur de faire une faute contre la pauvreté. J'attendais
donc l'heure de temps libre, et ce n'était pas sans une peine extrême que je
me rappelais à huit heures du soir ce que j'avais composé le matin. » Ces
petits riens sont un martyre, il est vrai ; mais il faut bien se garder de les
diminuer en se permettant ou en se faisant permettre mille choses qui
rendraient la vie religieuse agréable et commode. Il ne faut se donner à soi-
même aucune latitude. [Ce serait méconnaître l'esprit de sainte liberté
d'enfant de Dieu qui anima Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus que d'ériger en
axiome valable pour tous et en toutes conditions, qu'il ne faut se donner à
soi-même aucune latitude, alors qu'il s'agit dans ce cas particulier d'une
remarque sur la fidélité aimante avec laquelle les carmélites doivent
observer les moindres prescriptions de la vie religieuse.]
Lorsqu'elle entra au Carmel à quinze ans, son écriture mal formée déplut à
Mère Agnès de Jésus. Thérèse lui proposa alors d'écrire en retourné, ce qui
lui était beaucoup plus commode, mais on ne voulut pas le lui permettre et
elle se soumit, s'appliquant de son mieux. Ce ne fut qu'en 1894 que la
permission lui en fut donnée.
Se conformer aux usages
Bien qu'elle nous recommandât de faire tout le plus parfaitement possible,
elle estimait qu'il ne fallait pas essayer d'agir mieux que les autres, mais se
conformer en tout aux usages, parce qu'un zèle indiscret peut nuire à soi-
même et aux autres. Par exemple, me disait-elle, si vous êtes en grande
retraite, déchargée par là des ouvrages de communauté et qu'il se trouve du
linge à étendre au grenier, ne vous mêlez pas aux soeurs qui font ce travail.
Bien que ce soit un acte de charité, il vaut mieux vous en abstenir comme
c'est l'usage, parce que, une fois votre ferveur passée, l'obligation que vous
vous seriez imposée pourrait devenir pour votre âme une fatigue et fatiguer
les autres qui se croiraient obligées d'imiter votre exemple, et craindraient
de refuser quelque chose au bon Dieu en ne le faisant pas.
Une Soeur me demandant de lui prêter des poésies que j'avais copiées sur
des feuilles volantes, je ne parus pas de bonne humeur. Je pensais: « J'aurais
mieux fait d'avoir copié celles-ci sur un cahier comme le font les autres, au
moins je ne serais pas exposée à les perdre! »
— Ah! vous avez encore des désirs !… Quand je serai avec le bon Dieu, ne
demandez rien de ce qui a été à mon usage, prenez simplement ce qu'on
voudra bien vous donner; agir autrement serait ne pas être dépouillée de
tout, au lieu de vous donner de la joie, cela vous rendrait malheureuse. Au
Ciel seulement, nous aurons le droit de posséder.
Peu de temps après sa mort, une de nos Soeurs m'ayant proposé de faire des
démarches pour m'obtenir quelque objet ayant appartenu à ma soeur chérie,
je consultai celle-ci demandant: « Comment faut-il que je fasse? » et
j'ouvris le Saint Évangile pour y trouver sa réponse. Je lus : « Comme un
homme qui partant en voyage abandonne sa maison et donne pouvoir à ses
serviteurs.[Mat, XXV, 14 ] »
Elle ne faisait aucune attention à ce que ses robes lui aillent bien ou soient
assez longues. C'était apparemment une indifférence complète de son
extérieur sans aucune négligence de sa part. Mais plus, en toutes choses,
elle se rapprochait de la vraie pauvreté, plus elle était contente, aussi
raccommodait-elle ses alpargates et ses vêtements jusqu'à la limite extrême
du possible. Toujours dans le même esprit, si elle avait un livre ou une
image à tranches dorées, elle les grattait soigneusement. Sa corbeille à
ouvrage commençant à se disjoindre, une Soeur la lui borda avec une bande
de vieux velours parce que ce tissu est inusable. Bien que très pressée,
Thérèse défit le travail et remit le velours à l’envers, c’est-à-dire la trame à
l'extérieur, pour que ce soit plus pauvre et plus laid. Une novice lui ayant
passé de l'huile de lin sur son écritoire de cellule, lequel est d'ordinaire
pauvrement teint au brou de noix, elle le lui fit laver immédiatement à la
brosse et ne supporta les meubles de sa propre cellule, ainsi enduits, que
parce qu'elle les avait trouvés tels à son arrivée; mais ils lui déplaisaient
beaucoup et s'il n'eût tenu qu'à elle, ils auraient été impitoyablement lavés.
Lorsqu'elle avait besoin d'un canif, si le temps lui manquait pour le reporter
à l'emploi de peinture, avant de se coucher, elle le posait par terre dehors
près de la porte de sa cellule, de façon à bien indiquer qu'il ne faisait pas
partie des objets à son usage.
Pour écrire son manuscrit, elle se procura par notre Soeur Léonie un cahier
de deux sous en mauvais papier. Elle croyait, en commençant, n'en
employer qu'un seul, aussi sa surprise fut-elle grande en se voyant obligée
d'en demander un autre. Quant à la partie adressée à Mère Marie de
Gonzague qu'elle rédigea lorsqu'elle était si malade, il fallut l'obliger à
écrire moins serré, en mettant une distance convenable entre les lignes et
sur un papier quadrillé. Lorsqu'elle composait ses poésies, elle les notait sur
de petits morceaux de papier de toutes teintes et de toutes dimensions que
personne n'aurait voulus, aussi ses brouillons sont presque illisibles. Elle se
servait de ses plumes à écrire jusqu'à la dernière limite. A la fin de sa vie,
astreinte au régime lacté, elle les trempait dans un peu de lait mis à sa
disposition. C'était, disait-elle, pour leur donner de la douceur.
Ma chère petite Soeur me confia avoir éprouvé, dès sa plus tendre enfance,
une répugnance instinctive pour les repas. Elle ne comprenait point qu'on
s'invitât pour cela, que ce soit le but des réunions. Aussitôt qu'on veut jouir
de la présence de quelqu'un, disait-elle, on l'invite à dîner. Que c'est étrange!
On devrait avoir honte de faire cette action-là et se cacher. Ah! si Notre-
Seigneur et la Sainte Vierge n'avaient pas mangé, jamais je n'aurais pu me
consoler de le faire! [A ceux que déconcerterait une répugnance qu'ils
n'éprouveraient pas, la Sainte répondrait, sans doute, comme à Soeur Marie
du Sacré-Coeur, effrayée par ses grands désirs de martyre: Ce n'est pas du
tout cela qui plaît au bon Dieu dans ma petite âme, ce qui lui plaît, c'est de
me voir aimer ma petitesse, ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que j'ai
en sa miséricorde. Répugnance pour les repas, désirs de martyre furent des
dispositions propres à la Sainte, mais qui n'appartiennent en rien à la Petite
Voie qu'elle a mission d'enseigner.]
A la fin de sa vie, quand elle était si malade, elle eut de menus désirs par
rapport à la nourriture. Aussi elle me dit avec un petit air triste : Cela
m'humilie beaucoup ! mais je le veux bien, puisque c'est la volonté de Dieu
que je passe par cette faiblesse.
Voici les pénitences qu'elle se permettait au réfectoire puisque les autres lui
étaient interdites : Quand le manche de son couteau ou de sa cuillère n'était
pas suffisamment essuyé et que, légèrement gluant, il adhérait à sa main,
elle se gardait bien de faire cesser cette mortification qui lui coûtait
beaucoup et la continuait jusqu'à la fin du repas.
Une année que, pendant les dernières semaines de Carême on lisait un livre
sur la Passion de Notre-Seigneur, elle me dit que cela lui répugnait tant de
prendre sa nourriture en écoutant cette lecture qu'elle était forcée
d'accomplir comme furtivement cet acte qui lui semblait si bas et se privait
de boire jusqu'à ce que la lectrice s'arrêtât un instant ou que le récit fût
moins émouvant. Alors, elle buvait vite et comme à la dérobée parce que,
disait-elle, il faut bien manger quand même, mais boire, on peut s'en priver,
c'est un soulagement. Elle me raconta ce fait non pour m'engager à suivre
son exemple, mais pour me montrer combien elle était émue par le récit des
souffrances de Notre-Seigneur.
« — Mais dépêchez-vous donc, lui dis-je, buvez cela tout d'un trait !
— Oh! non; ne faut-il pas que je profite des petites occasions qui se
rencontrent pour me mortifier un peu, puisqu'il m'est interdit d'en chercher
de grandes ? »
— Vous le savez bien, vous; c'est ainsi que vous avez toujours fait ?
— Oui, je me suis oubliée, j'ai tâché de ne me rechercher en rien. »
Quand je ne serai plus de ce monde, nous dit-elle à nous, ses trois soeurs,
faites bien attention à ne pas mener la vie de famille, à ne rien vous raconter
des parloirs sans permission, et encore à ne le demander que si ce sont des
choses utiles et non pas seulement amusantes.
Détachement
Quand Soeur Thérèse était malade, elle le disait par obéissance à notre
Mère, sans s'occuper d'être soignée ou non, et, si quelque chose lui
manquait, elle pensait que le bon Dieu était sûr de sa patience, ce dont elle
était toute fière et heureuse. Lorsque vous entreprenez un travail, me disait-
elle, il faut toujours le faire avec dégagement, laisser vos Soeurs vous
donner des conseils, le retoucher même, en votre absence, et vous faire
perdre par là plusieurs heures d'effort si elles n'ont pas le même goût que
vous. Bien plus, si votre ouvrage ainsi remanié perd de sa valeur, il faudrait
vous en réjouir, parce qu'on ne doit pas travailler tant dans le but
d'accomplir une oeuvre parfaite que de faire la volonté du bon Dieu ». [Ces
conseils sont donnés à une novice qui n'avait pas à se soucier d'un
rendement extérieur et qu'il importait de former à la vie spirituelle. Toutes
les âmes n'ont donc pas à les prendre à la lettre. A une autre novice, bien
moins portée à rechercher le fini, la perfection, elle recommandait de
s'appliquer à faire tout avec le plus grand soin pour l'amour du bon Dieu.]
Amour-propre
Pendant sa maladie, j'imaginai pour la soulager une organisation que
j'arrangeai si vite et qui lui semblait si ingénieuse qu'elle me considérait tout
étonnée. Elle me fit alors compliment de ma charitable promptitude, de mon
adresse et ajouta : Si on vous avait commandé cette chose-là, si c'était votre
première d'emploi qui en avait eu la pensée, l'auriez-vous exécutée avec
autant d’entrain ? Et, développant sa pensée, elle me montra combien la
nature est portée à trouver facile ce qui vient de notre inspiration
personnelle tandis qu'au contraire il y a toujours des si et des mais quand ce
sont les idées des autres qu'il faut adopter. Ainsi nous voyons d'un bon oeil
les soulagements que l'on donne aux autres quand nous les leur avons
obtenus par nous-mêmes. Si nous n'y sommes pour rien, mille tentations
s'élèvent en notre coeur, et nous trouvons à redire à tout ce que nous n'avons
pas touché!
Oui c'est moi qui veux tout ce qui est contre ma volonté, puisque j'ai dit tout
haut, le jour de ma Profession : « que c'était de mon plein gré et franche
volonté que je voulais être carmélite. » [Formule alors en usage avant
l'émission des Voeux.]
Au mois de mars 1895, étant au jardin avec les novices, j'aperçus dans un
parterre un petit perce-neige. Je me précipitai pour le cueillir, mais Soeur
Thérèse de l'Enfant-Jésus me retint en disant : Ce n'est pas permis. La
pensée que je ne pourrais même plus cueillir une fleur me parut si dure que
des larmes brillèrent dans mes yeux. C'était un dimanche. Rentrée dans
notre cellule, je voulus pour me consoler, composer un cantique qui dirait
tout ce que j'avais aimé et que je retrouvais en Jésus, mais je ne pus écrire
que cette seule finale:
Thérèse à qui j'allai confier mon chagrin ne dit rien, mais quelques jours
après, elle m'apporta une poésie intitulée « Le cantique de Céline » et qui
fut publié plus tard sous le titre de « Ce que j’aimais » [Le Cantique de Céline
Pn18]. A chaque ligne y brille, avec son espérance, son dégagement des
choses de ce monde.
Exemples de renoncement
Je les donne comme en ayant été témoin ou parce qu'elle m'en fit la
confidence pour m'exhorter au sacrifice. Notre Mère avait lu, en récréation
une lettre où il était question de Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, un jour où
celle-ci était absente. Elle me pria de la lui communiquer. Je la lui passai
avec permission. Quelques jours après j'en eus besoin. Elle me la rendit et,
comme je lui demandais si cela l'avait intéressée, elle fut bien obligée de
m'avouer ne l'avoir pas lue. Je la lui remis à nouveau pour qu'elle en prenne
connaissance, mais ce fut inutile, elle ne l'ouvrit pas. C'est ainsi qu'en toutes
choses elle mortifiait ses plus innocents désirs et, en cette circonstance, elle
voulut particulièrement se punir de me l'avoir demandée. Elle ne s'informait
jamais des nouvelles. Si elle voyait un groupe de Soeurs auxquelles la Mère
Prieure semblait en donner, elle se gardait bien d'aller de ce côté.
Quelquefois, elle avait bien envie de jeter un coup d'oeil sur l'horloge du
choeur, pendant l'oraison ou en d'autres circonstances. Elle s'en privait
toujours et attendait patiemment que l'heure sonne : Je suis pressée, c'est
vrai, se disait-elle, mais cela ne m'avancera pas de savoir s'il y a encore cinq
ou dix minutes. Elle supporta avec une patience d'ange et par esprit de
mortification des soins excessifs que lui donna sa première d'emploi au
Tour. C'était une bonne ancienne très lente et très maniaque, qui lui soignait
ses mains couvertes d'engelures et crevassées en hiver. Cette Soeur lui
enveloppait les doigts un par un dans une multitude de menues bandes. Un
jour, il ne restait que la dernière phalange du petit doigt dégagée, mais elle
ne tarda pas à être ensevelie comme les autres! Et devant ma stupéfaction,
Soeur Thérèse riait!
Sacrifices
Ma chère petite Soeur me confia qu'afin d'exciter à la vertu sa compagne de
noviciat, Soeur converse qu'elle essayait d'éclairer, elle feignit d'avoir
besoin pour elle-même, de toute une direction quotidienne des actions, pour
avancer dans la perfection. Chaque jour, un don spécial était offert à
l'Enfant-Jésus, tantôt des fleurs ou des fruits, tantôt des vêtements, ou bien
on lui faisait entendre de mélodieux concerts avec des instruments de
musique qui variaient sans cesse. Méthode qui allait à l'encontre de ses
attraits de grande simplicité, mais elle s'y appliquait avec tant de bonne
grâce que sa compagne pouvait être persuadée que ces stimulants lui étaient
nécessaires à elle-même.
Cependant, elle avait remarqué que les religieuses les plus portées aux
austérités sanglantes n'étaient pas les plus parfaites, et que l'amour-propre
même semblait trouver un aliment dans les pénitences corporelles
excessives. Ceci ne contribua pas peu à lui en montrer le danger [La Sainte
fut tout à fait éclairée là-dessus lorsqu'ayant porté une petite croix de fer
trop longtemps, elle en fut malade. La Révérende Mère Agnès de Jésus a
témoigné au Procès canonique [cf. Sum. § 630] que « pendant le repos
qu'elle dut prendre ensuite, le bon Dieu lui fit comprendre que si elle avait
été malade pour si peu de chose, c'était signe que là n'était pas sa voie ni
celle des « petites âmes » qui devaient marcher à sa suite dans la même voie
d'enfance, où rien ne sort de l'ordinaire ».
Voir aussi, dans les Derniers Entretiens, le 3 août I897, comment elle mit en
garde sa « Petite Mère » contre les pénitences corporelles excessives.
[Novissima Verba, p. 110].
Elle nous disait que toutes les pénitences corporelles n'étaient rien, mises en
balance avec la charité.
Pendant son noviciat — je l'ai su dans les derniers mois de sa vie — une de
nos Soeurs, ayant voulu lui rendre le service de rattacher son scapulaire sur
l'épaule, lui traversa, par mégarde, l'épiderme avec sa grande épingle,
souffrance qu'elle endura plusieurs heures avec joie.
FORCE DANS LA SOUFFRANCE SAINTETÉ ET GLOIRE
Moi qui ne goûtais pas ces austères maximes, en pratique du moins, j'étais
toute étonnée des ruines qui s'amoncelaient dans mon âme, par la
destruction qu'opérait sur le « moi » la formation religieuse, et je me
surprenais à regretter les impressions vives et ardentes ressenties autrefois.
— Vous vous démontez si facilement, parce que vous n'adoucissez pas votre
coeur d'avance. Quand vous êtes exaspérée contre quelqu'un, le moyen de
retrouver la paix c'est de prier pour cette personne et demander à Dieu de la
récompenser de vous faire souffrir. Il arrive, pourtant que, malgré tous leurs
efforts, le bon Dieu laisse des faiblesses à certaines âmes, parce que cela
leur serait très préjudiciable d'avoir de la vertu sentie, c'est-à-dire qu'elles
croient en posséder et que les autres leur en reconnaissent.
Au sujet de notre vie cloîtrée sans aucun apostolat actif, elle estimait que le
plus dur, pour la nature, est de travailler sans voir jamais le fruit de ses
labeurs, sans encouragement, sans distraction d'aucune sorte, que le travail
pénible entre tous est celui qu'on entreprend sur soi-même pour arriver à se
vaincre.
Voici un exemple des « croix » que l'on rencontre dans la vie religieuse :
A propos de la souffrance
J'avais, me dit-elle, une très grande capacité pour souffrir et une très petite
pour jouir, je ne pouvais supporter la joie. Ainsi, la joie m'enlevait tout
appétit, tandis que les jours où j'avais beaucoup de peine, je mangeais
comme quatre, à l'inverse de tout le monde ! Bien que désirant le martyre,
Soeur Thérèse ne cherchait pas la souffrance pour la souffrance ; elle
l'aimait parce qu'elle lui était un moyen de prouver à Jésus son amour,
comme Notre-Seigneur désirait son baptême de sang pour nous donner un
témoignage du sien, le redoutant tout à la fois, selon sa nature humaine.
De plus, lorsqu'elle exprime à Dieu son désir de souffrir beaucoup pour Lui,
elle subordonne toujours cette prière aux desseins de la Providence sur elle.
Et même à la fin de sa vie, cette disposition d'abandon total au bon plaisir
divin avait pris dans son âme une influence prédominante qui lui faisait
dire :
Il est si doux de servir le bon Dieu dans la nuit de l'épreuve, nous n'avons
que cette vie pour vivre de foi !...
C'est comme si on avait mis deux petits enfants ensemble, et les petits
enfants ne se disent rien ; pourtant, moi, j'ai dit quelque petite chose à Jésus,
mais il ne m'a pas répondu : sans doute qu'il dormait !
Elle nous conseillait de ne jamais lui confier une peine, une tentation,
lorsque nous étions encore émues. Si nous n'avions pas la force d'attendre,
elle nous écoutait cependant, mais nous disait :
Ne racontez pas, même à notre Mère, une difficulté pour que cesse la chose
dont vous vous plaignez, mais ouvrez-vous par devoir, avec dégagement de
coeur. Lorsque vous ne sentez pas ce dégagement, qu'il y a en vous ne fût-
ce qu'une étincelle de passion, il est plus parfait de vous taire et d'attendre
que votre âme soit pacifiée, autrement l'entretien ne fera qu'envenimer les
choses.
Lorsqu'il survenait quelque accident, elle en réparait. les dégâts avec une
tranquillité parfaite. Peu de temps après mon entrée au Carmel, il m'arriva
de répandre tout un encrier sur le mur blanc de notre cellule et sur le
parquet ; j'accourus à elle, hors de moi : « Venez vite », lui dis-je. — Pour
me secourir, à mon idée, il eût fallu voler!
Elle, toujours si maîtresse d'elle-même, eut beaucoup de mal à garder son
sérieux. Il est vrai que mon aspect était pitoyable et, ce qui l'augmentait
encore, c'était le grand voile de crêpe qui pendait de mon bonnet de
postulante.
Elle avait pourtant de la peine lorsqu'il lui arrivait de commettre une faute
contre la pauvreté en cassant un objet quelconque.
Puisque ma chère petite Thérèse était mon idéal et que je brûlais du désir de
l'imiter, je le lui manifestais souvent. A chaque crainte que je lui exprimais,
elle trouvait des réponses qui remettaient mon âme dans le vrai, car j'étais
portée à estimer ce qui brille.
« Vous voyez bien, lui dis-je, que le bon Dieu vous aime particulièrement
puisqu'il vous met ainsi en avant [Pour la direction des novices bien qu'elle
n'en ait pas la charge officielle.] et permet que vous soyez estimée et aimée
des créatures, car vous ne pouvez nier que chacune, dans la Communauté,
vous recherche et vous aime !
Je me compare souvent à une petite écuelle de lait, tous les petits chats
viennent y boire, ils se disputent parfois à qui en aura le plus ; mais là-bas,
de côté, le petit Jésus guette ! je veux bien que vous buviez dans ma petite
écuelle, dit-il, mais je vais veiller à ce qu'elle ne soit pas renversée.
— Oui, mais c'est un signe qu'Il met en vous sa confiance. Vous êtes à un
poste d'honneur en étant à un poste de dévouement. Le bon Dieu est sûr de
vous.
— Ah vous ne savez pas ce que vous dites ! Humainement parlant, les plus
privilégiés sont ceux que le bon Dieu garde pour Lui seul. Il a, par exemple,
deux petits vases d'encens. Il garde l'un pour Lui et fait exhaler le parfum de
l'autre devant les créatures. Lequel est le plus privilégié ?
Il a de jolis petits paniers, Il garde les uns en magasin et met les autres en
montre pour attirer les passants. A ceux-ci, Il attache des rubans roses et
bleus, qui les font paraître plus beaux, mais cela n'ajoute rien à la valeur des
paniers en eux-mêmes, et ceux qui sont dans les armoires sont aussi jolis,
souvent davantage, car il faut presque un miracle de sa grâce pour que ceux
qu'Il met ainsi en devanture conservent leur fraîcheur. Et voilà ce que vous
enviez !
— Ah je n'envie pas cela, en soi, mais parce que vous l'avez. — Eh bien ! si
j'étais favorisée de grâces extraordinaires, vous ne pourriez pourtant pas les
désirer, parce que ce serait une faute vénielle. [Cf. saint Jean de la Croix]
L'âme qui veut avoir des révélations pèche au moins véniellement
[Maximes et Avis spirituel, la foi n° 34].
— Une âme, reprit-elle, n'est pas sainte parce que Dieu la prend pour
instrument. C'est comme un artiste qui emploie tel ou tel pinceau. Pourquoi
celui-ci, alors que celui-là reste de côté ? Il n'en est pas moins pinceau et
peut-être meilleur que l'autre. En tout cas, d'être employé à l'oeuvre du
Maître ne donne rien au premier.
Il y a des saints que nous connaissons parce qu'ils sont plus près de nous,
mais rien ne prouve qu'ils soient les plus grands. Ainsi, nous jugeons les
étoiles d'après leur distance, mais leur véritable beauté, Dieu seul la connaît.
Certaines qui nous paraissent toutes petites, ou même que nous ne voyons
pas du tout, sont incomparablement plus belles que celles que nous
appelons « de première grandeur ».
Sur la terre, on ne sait pas... Souvent, à mesure que les âmes montent, elles
perdent l'estime de ceux qui les entourent. De même qu'un ballon s'élevant
dans les airs semble de plus en plus petit, ainsi la sainteté la plus sublime est
parfois méprisée. Sachant cela, nous «ferions cas de la gloire qu'on reçoit
les uns des autres ?» [Jean 5, 44]
Rien ne nous assure que les saints canonisés soient les plus grands. Dieu les
a mis en relief pour sa gloire et notre édification, plus que pour eux-mêmes.
J'ai lu ceci : « l'amour que les saints se donnent les uns aux autres dans
l'éternité ne sera pas mesuré sur leur grandeur et leur élévation en gloire,
mais il y aura des sympathies entre eux. Nous pourrons aimer de toutes
petites âmes d'une affection bien plus grande que d'autres beaucoup plus
saintes. » Cette pensée m'a toujours ravie.
Croit-on que les saints canonisés sont les plus aimés ? Ah ! qui aime avec
désintéressement sur la terre ? Quel est le saint qui est aimé pour lui-
même ? On le loue, on écrit sa vie, on lui prépare des fêtes magnifiques, il y
a des solennités religieuses. « Fondons la cloche » et voyons ces personnes
qui s'agitent autour d'une draperie, se contrarient parce que tout ne réussit
pas, ou se réjouissent quand rien ne va à l'encontre de leur volonté. On crie,
c'est un tumulte, dans ce feu des préparatifs. Après, on parle de l'orgue, des
sermons... Et le Saint ? Ah ! moi j'aime mieux rester cachée que d'avoir une
demi-gloire. J'attends de Dieu seul la louange que je mérite.
Les saints ne sont pas saints parce qu'on les reconnaît tels et ne sont pas
plus grands parce qu'on a écrit leur « Vie ». Qui sait si ce n'est pas à un
autre saint — inconnu celui-là — que nous devons le bien fait par tel
ouvrage, soit qu'il l'ait inspiré, dirigé ou qu'il ait disposé les âmes à le
goûter. On verra tant de choses plus tard ! Je pense quelquefois que je suis
peut-être le fruit des désirs d'une petite âme à laquelle je devrai tout ce que
je possède.
Donc, à Dieu seul la gloire, nous ne devons désirer qu'une chose : qu’elle
arrive et être aussi contents que ce soit par les autres que par nous.
Je ne puis vraiment désirer une gloire qui tient ainsi à un cheveu, c'est une
loterie ! Et si les saints revenaient nous dire leur pensée sur ce que l'on a
écrit d'eux, on serait bien surpris... Sans doute avoueraient-ils souvent qu'ils
ne se reconnaissent pas dans le portrait qu'on a tracé de leur âme. [Devant
certaines biographies, abondantes en détails fantaisistes ou superflus, elle
avait dit une autre fois à Soeur
Geneviève d'un ton enjoué : Les saints sont tous mes parents là-haut. En
arrivant au Ciel, j'irai leur faire une petite révérence et leur demanderai de
me raconter leur vie. Mais il faudra que ce ne soit pas long ! En un clin
d'oeil !]
Tout peut être également apprécié ici-bas... Dans une « Vie », on loue tel
saint parce qu'il a été exempté des tentations de la chair, dans une autre on
louera le saint parce qu'il a vaincu ces mêmes tentations... Où est la gloire ?
Qu'est-ce qui est vrai, puisque de quelque côté que l'on se tourne, tout est
digne d'éloge !...
La gloire humaine n'est rien. Les artistes, par exemple, se la disputent entre
eux. Le reste du monde, ignorant tout de leurs oeuvres, ne s'en occupe pas,
ils n'ont donc qu'un petit nombre d'admirateurs et dans leur folie, ils s'en
contentent. Il en est de même pour la gloire extérieure attachée à la sainteté,
il n'y aura toujours qu'un très petit nombre de personnes qui l'admirera, qui
aimera tel saint, qui lira sa « Vie ».
Pour moi, j'avoue que je n'ai jamais cherché la gloire. Le mépris avait de
l'attrait pour mon coeur, mais ayant reconnu que c'était encore trop glorieux,
je me suis passionnée pour l'oubli.
Elle me dit, toutefois, que, comme moi, elle s'était enthousiasmée pour le
beau, le sublime, le parfait et avait éprouvé ce certain sentiment d'exil, cette
tristesse que l'on ressent quand on se croit inférieur ou moins privilégié que
d'autres, dont on entend la louange.
Soeur Thérèse eut toujours l'intuition que sa vie serait courte, ce qui lui fit
mépriser toutes les choses périssables.
Quand elle voulait se rendre compte si son degré d'amour de Dieu était
toujours égal, elle se demandait si la mort avait autant d'attrait pour elle.
Une journée trop prospère, une joie vive lui étaient à charge parce qu'elles
tendaient à affaiblir son désir de la mort.
Afin de nous communiquer cette conviction, elle s'appuyait sur les plus
menus faits qui se passaient près d'elle.
L'Evangile des ouvriers de la dernière heure, payés autant que ceux qui
avaient porté le poids du jour, la ravissait :
Une de mes amies m'ayant donné une poupée, je l'offris à la fête de notre
Mère et, tandis que les autres Soeurs apportaient des choses magnifiques,
mon modeste cadeau fit plus de plaisir que tout le reste.
A ce propos, notre chère petite Soeur me dit : Les saints agiront ainsi avec
nous, ce sont nos aînés, ils nous feront des présents et nous nous trouverons
riches...
Les Soeurs qui ont confectionné des écrins splendides, des objets de prix et
de patience me représentent les saints qui ont fait des actions et laissé des
écrits admirables. Et cependant votre petite poupée a davantage attiré
l'attention... et encore un petit jouet qui vous avait été donné! Rien de vous !
DERNIERE MALADIE DE LA SAINTE
Les dernières années que la Servante de Dieu passa sur la terre furent l'écho
de sa vie, elle ne se démentit pas un seul instant de son tendre abandon à
Dieu, de sa patience, de son humilité. Son visage avait une expression de
paix indéfinissable. On sentait que son âme était arrivée là où l'avaient
conduite les désirs de toute une vie, dirigée vers un but unique maintenant
atteint. Comme Notre-Seigneur, avant d'expirer, elle me dit la veille de sa
mort d'un ton grave — Tout est bien, tout est accompli, c'est l’amour seul
qui compte.
Les souffrances physiques qu'elle endura les derniers mois étaient atroces,
car, à la maladie de poitrine se joignit la tuberculose dans les intestins qui
amena la gangrène, tandis que des plaies se formaient, causées par son
extrême maigreur, maux que nous étions impuissantes à soulager.
Le soir venu, comme elle n'était pas encore reconnue grande malade, il ne
pouvait être question de matelas, aussi je n'avais que la ressource de plier en
quatre notre couverture et de la glisser sur sa paillasse, ce que ma pauvre
petite Soeur acceptait avec reconnaissance, sans qu'il s'échappât, de ses
lèvres, un seul mot de critique sur la façon primitive dont les malades
étaient alors soignées. C'est vrai qu'au milieu des douleurs les plus aiguës,
elle gardait grande sérénité et gaieté. Intérieurement je m'en étonnais,
pensant que c'était parce qu'elle ne souffrait pas autant qu’on le croyait et je
désirais la surprendre en un moment de crise. Peu de temps après, je la vis
sourire avec un air angélique et lui en demandai la cause. Elle me dit : C'est
parce que je ressens une très vive douleur de côté, j’ai pris l'habitude de
faire toujours bon accueil à la souffrance.
GAIETÉ HÉROIQUE
C'est pourquoi je n'hésite pas à livrer ces petits mots familiers, qui la
montrent si simple aux heures les plus douloureuses de sa vie. je les groupe,
n'en ayant pas gardé les dates précises.
Je lui faisais des frictions, par ordonnance du médecin, c'était pour elle un
martyre, elle le confia plus tard à Mère Agnès de Jésus, mais à moi, elle les
réclamait…
Une fois où je voulais, sans doute, les omettre, elle me fit ce rappel :
J'ai peur que Notre Mère ne soit pas contente, elle tient beaucoup aux
frictions, surtout dans le dos. Si le docteur vient dimanche, il se demandera
pourquoi l'on n'a pas fait ce qu'il avait dit... Peut-être vaudrait-il mieux
attendre à lundi ? Enfin, Pauvre, Pauvre [Surnom tiré d'une romance ],
faites comme vous voudrez, tout sera prêt demain. Surtout ne parlez pas à
ce pauvre M. [Pour ne pas rompre le « grand silence ], opérez comme bon
vous semblera et souvenez-vous que nous devons être riches, drès riches
tous les deux !...
Cette finale se rapporte au bon mot qu’une novice lui fit lire dans un
almanach, sous une gravure représentant un juif très cossu disant avec
suffisance à son ami :
« Che suis riche, drès riche, eh pien ! quand ch’ai' commencé les affaires,
che n'avais rien !
— Oui, répliqua l'autre, mais celui avec qui vous les avez faites avait
quelque chose ! »
Notre petite Sainte remarquait finement : Moi, je suis comme ce juif : Che
suis riche, drès riche, eh pien ! quand ch'ai commencé les affaires, che
n’avais rien !... Oui, mais Celui avec qui je les ai faites avait quelque
chose !...
Elle avait un petit frère qui ne possédait rien, et cependant était dans
l'abondance. Ce petit enfant tomba malade et dit à sa soeur : « Demoiselle »,
si vous vouliez, vous jetteriez au feu toutes vos richesses qui ne servent qu'à
vous inquiéter, vous deviendriez ma bo-bonne [Petite Servante, nom
familier qu'elle donnait à sa soeur, parce qu'elle la servait, pendant sa
maladie, comme seconde infirmière. Cette appellation lui était plus facile à
prononcer dans son état de fatigue extrême. Elle en avait humblement
demandé la permission et n'aurait pas voulu employer le nom de « Céline »
qui — soit dit en passant — lui était cher jusqu'à trouver sans charmes un
calendrier qui ne donnât pas sainte Céline, v. au 21 octobre !] rejetant votre
titre de « demoiselle », et moi, quand je serai dans le pays enchanteur où je
dois bientôt aller, je reviendrai vous chercher parce que vous aurez vécu
pauvre comme moi, sans vous inquiéter du lendemain. « La « demoiselle »
comprit que son petit frère avait raison, elle devint pauvre comme lui, se fit
sa bo-bonne et plus jamais ne fut tourmentée par le souci des richesses
périssables qu'elle avait jetées au feu...
Son petit frère tint parole, il vint la chercher quand il fut dans le pays
enchanteur, où le bon Dieu est le Roi, la Sainte Vierge la Reine, et tous les
deux vivront éternellement sur les genoux du bon Dieu, c'est la place qu'ils
ont choisie.
Une autre fois, faisant allusion encore à l'image des deux enfants et, de plus,
à une maîtresse de maison à laquelle il ne manque rien dans toutes ses
armoires, elle dit :
Je couchais près d'elle, dans une petite pièce communiquant avec son
infirmerie. Un soir qu'elle me voyait me déshabiller, elle fut prise de
compassion devant la misère de nos vêtements et, se servant d'une
expression comique qu'elle avait entendue, elle s'exclama :
Pauvre, Pauvre, comme vous êtes torée ! [Mal tournée (Tore, en latin torus :
corde)] mais vous ne serez pas toujours comme cela, c'est moi qui vous le
dis!
Un soir des derniers jours, comme on craignait qu’elle ne passât pas la nuit,
on avait apprêté dans l’appartement contigu à l'infirmerie un cierge bénit, le
bénitier et le goupillon. Elle le soupçonna et demanda qu'on mît ces objets
de façon à ce qu'elle les vît. Elle les regardait de temps en temps d'un air de
complaisance et nous dit aimablement
Puis elle nous découvrit tout ce qui arriverait après sa mort, elle passait en
revue avec bonheur chaque détail de sa sépulture et en faisait part dans des
termes qui nous faisaient sourire quand nous aurions voulu pleurer. Ce
n'était pas nous qui l'encouragions, mais elle qui nous remontait.
Ma place m'importe peu ; qu'on soit n'importe où, qu'est-ce que cela fait ? Il
y a bien des missionnaires qui sont dans l'estomac des anthropophages et les
martyrs avaient bien comme cimetière les corps des animaux féroces.
Licence
CC BY-NC-ND 3.0 FR
Illustration : Céline en 1957
Sa prudence
Humilité
Sujets d’humiliation
Un petit moyen
La vraie joie
Pauvreté spirituelle
ESPRIT D'ENFANCE
Voleurs de Ciel
Direction d’intention
CONFIANCE
Pas de quiétisme
Amour de Dieu
Regretter d'avoir lu
Générosité
Le kaléidoscope
RECONNAISSANCE
Rappelle-toi
UNION A DIEU
Ni empressement, ni nonchalance
Office divin
PIÉTÉ
Piété eucharistique
Culte du sacerdoce
Piété mariale
Dévouement fraternel
Sagesse humaine
Quand vous serez au moment de la mort
Ange de paix
Juger favorablement
Après sa mort
Fidélité à la règle
Obéissance
PAUVRETÉ
Détachement
Amour-propre
RENONCEMENT
Exemples de renoncement
Sacrifices
INSTRUMENTS DE PENITENCE
A propos de la souffrance
MAITRISE DE SOI
INSTRUMENTS DE DIEU
SAINTETE ET GLOIRE
GAIETÉ HÉROIQUE