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BIBLIOTHÈQUE DU SEIZIÈME SIÈCLE

LE R ESSEN

154-5-15 2

TOME II
(1578-1582)

1
(Ouvrage pubLié avec l'appui de la Foncla/ion Universitaire)

BRUXELLES
LIBRAIRIE NATIONALE n'. Rf RT D'HI T IR
1934
",-\LEXA.~DRE F.AR~BSE
P?::'\C:::: DE P.\R\12
,.:;,:·rn:R:'\EL"R GÉ:'\ÉR.\L DES P.\ YS-B.-\S
;1545-1502)
PL. l

ALEXAXDRE FARXtSE
Gravure de P. de Jode, d'apl'l's le purt ruit peint pal' otto Venins.
(Ms. 16314-19 de la Bibliothèque Ro-;-aJe de Belgique, fO 115.)

Ji
LEON VAN DER ESSEN
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN

MEMBRE DE LA COMMISSION ROYALE D'HISTOIRE

DOCTEUR « HONORIS CAUSA :& DES UNIVERSITÉS

DE PADOUE ET DE MONTPELLIER

ALEXANDRE FARNÈSE
PRDrCE DE P .unfE
GOL"YERXEŒ GÉ~-tR..
ll DES PAYS-BAS
(1545-1592)

rrOME II
(1578-i582)

BRl-XELLE~

LIBRAIRIE NATION ALE D'..\ RT ET D'HISTOIRE


1934

~.
d"..:1Ured Cauchie
mon. maitre.
AVANT-PROPOS

Dans l'introduction du tome pr de notre Alexandre Farnèse,


nous avons suffisamment expliqué l 'économie de notre travail, pour
qu'il soit inutile d 'y revenir encore.
Le prés-ent volume conduit l 'histoire du prince de Parme depuis
le moment où il prend en mains le gouvernement des Pays-Bas jus-
qu'à celui, où, s 'opposant au proj et du Roi de diviser le pouvoir entre
Marguerite de Parme et son fils, il obtient d'une manière définitive
tous les pouvoirs civils .et militaires. Entre ces deux dates, Farnèse
a 'accompli de grandes choses: il a pris d'assaut Maëstricht, réduit
à l'impuissance l'armée des États Généraux, conduit à bonne fin les
négociations délicates avec les provinces wallonnes, semé la zizanie
dans les rangs de ses adversaires et rompu l'unité de front que lui
opposait le prince dOrange. C'est une des phases Ies plus impor-
tantes de son gouvernement, pendant laquelle il s 'est révélé à la fois
grand guerrier et grand homme d'État.
Au cours de la rédaction de ce volume II, nous nous sommes
rendu compte qu'il serait impossible de comprimer une matière aussi
vaste que cene que nous avons à traiter, dans les trois volumes que
laissait prévoir l'introduction au tome I'". Le tome III, dont le
manuscrit est achevé et prêt à être livré à l'imprimeur, conduira
l'histoire d'Alexandre Farnèse jusqu'aux débuts du siège d'Anvers
en 15>84·et jusqu'à l'assassinat du prince d'Orange. Nous sommes
ainsi obligé de prévoir un quatrième volume, qui terminera l'ouvrage,
en le menant jusqu'au décès du prince de Parme en 1592.

5
Nous ne pouvons oublier de remercier ici les personnes qui nous
ont spécialement aidé dans I'élaboration du tome II. Notre gratitude
va, une fois de plus, ,à Monsieur le professeur E. van Cauwenbergh,
bibliothécair-e de l'Université de Louvain) et à Monsieur J. Cuvelier,
archiviste général du Royaume, qui ont facilité grandement nos
recherches, le premier, en nous procurant les livres :spéciaux néces-
saires, le second, en nous laissant bénéficier de sa largeur de vues et
de sa serviabilité bien connues.
Nous devons, cette fois, rendre un hommage particulier à
Monsieur V. Tourneur, conservateur en chef de la Bibliothèque
Royale de Bruxelles, qui, en nous donnant des facilités spéciales pour
l'étude des manuscrits du dépôt confié à sa garde,s 'est montré un
conservateur très libéral et très désireux d'aider les érudits qui ont
reCOUfSà sa bienveillance.
Enfin, notre collègue Monsieur J. Gessler n'a pas cessé de nous
faciliter les recherches en mettant spontanément, et de manière très
désintéressée, à notre disposition ses vastes connaissances !bibliogra-
phiques,
Nous avons cru bien faire en rejetant à la fin du présent volume
le relevé des livres et des articles principaux, dont nous nous sommes
servi pour composer le récit de, oe tome II.
Voici les signes et les abréviations que nous avons employés
dans les notes de notre travail pour désigner certaines sources dont
la citation revient plus ou moins fréquemment:
A. F. N. = Archives farnésiennes de Naples.
A. F. P. = Archives farnésiennes de Parme.
A. G. R. = Archives Générales du royaume à Bruxelles.
A. V. = Archives du V:atican.
Liber relationum = L-iber relationum eorum quae gesta [uere in
Belgio et alibi per serenissimum D. Ducem. Alexandrum Farnesium
(Ma. II, 1155 de la Bibliothèque Royale de Bruxelles).
Libro de las cosas = Libro de las cosas que succedierow en
Flande« (Bibliothèque Nationale de Paris, ms.espagnol n° 182).
B. N. P. = Bibliothèque Nationale de Paris.

LÉON VAN DER ESSEN.

Louvain, le 27 février 1934.

6,
CHAPITRE LIMINAIRE.

L'ARMÉE ESPAGNOLE DES PAYS-BAS

Avant de commencer l'étude du gouvernement d'Alexandre


Farnèse, il est indispensable de connaîtr-e l'organisation de l'armée
espagnole des P:ays-Bas, c'est-à-dire de l'instrument dont il s-e servit
pour forger ses victoires et, aussi, pour appuyer ses manœuvres
politiques (1).
L'armée que Philippe II entretenait en Flandre comptait des
soldats de quatre nationalâtês différente-s : des Espagnols, des Ita-
liens, des Wallons et des Allemands. L'infanterie espagnole, qui.
fut toujours considérée comme le noyau de ces troupes (2), était
divis-ée en terçios ou régiments. Ces terçios, destinés aux guerres
extérieures de la monarchie, venaient de Milan, de Naples ou de
Sicile, où ils étaient casern-és en temps de paix. C'est ainsi qu'ils
étaient connus sous le nom de terçio de Lon'!Jbardie, terçio de N aptes
ou ierçio de Sicile (3).

(1) Nous n'avons pas l'intenlion de fournir ici une étude originale et approfondie:
elle n'est pas nécessaire. Nous nous contentons de donner les renseignements et les
détails qui sont Indispensables pour mieux comprendre le récit des événements de ce
tome. Nous nous sommes servi, pour rédiger cette esquisse, des ouvrages suivants:
D. Joss FERRER, Album del eiercïto. Historia militar desde los primitivos tiempos tuista
uuestros dias. T. 1. Madrid, 1846; J.-P ...•
A. BAZY, Etat militaire de la monarchie espagnole
sous le règne de Philippe IV. Poitiers, 1864; G. T. DENISON, A history of cavalry,
Londres, 1877.
(2) « Y porque slendo, como son, los dichos Espaiioles el nervio 'Y 10 principal de mis
exercltos, 'Y de quien mas conûanza 'Y caudal hago, conviene que no se mezclen con ellos
otros aigu nos de otras naçlones ». Instruction secrète de Philippe II à Requesens concer-
nant les affaires militaires, dans Documentos inéditos para la Historia de Espana, t. CIl,
pp 299 svv.
(3) La relation écrite par l'ambassadeur vénitien Paolo Tiepolo en 1563, à son

'l
Chaque terçio était composé de 10 à 12 compagnies d'infanterie,
ou enseignes (4). TI était commandé par un maître de camp, assisté
d'lm sergent-major, officier en second. TI comprenait Bn outre des
officiers d'administration, des officiers de justice, un aide ou adjudant
du sergent-major, et un ooosuierado, qui portait la bannière ou
guidon général du régiment. III y avait, de plus, une bannière par
compagnie. Le maître de camp commandait toutes les forces du ierçio,
et était en même temps capitaine de la première compagnie; le ser-
gent-major commandait la deuxième compagnie.
Lorsque le terçio était régulièrement constitué, c'est-à-dire lors-
qu 'il comptait exactement 10 compagnies, le nombre total des hommes
était approximativement de 1.200 à 1.600 : chaque bandera,enseigne
ou compagnie, groupait, en effet, de 120 à 160 hommes. Dans la
pratique, cependant, on constate que le nombre de soldats formant un
terçio varie souvent : c'est que chaque compagnie était plus ou moins
fournie s,elon le prestige et l'autorité des capitaines qui l'a recru-
taient (5).
Ces compagnies ou banderas se formaient en Espagne, au moyen
de volontaires. Le trésor royal ou Hacienda passait un contrat avec
un capitaine, dont la réputation était de nature à garantir un nombre
suffisant d'hommes qui se grouperaient autour de lui. Ce capitaine
était obligé de présenter à la revue (muesira} le chiffre convenu de
soldats,car le trésor lui .payait la solde calculée pour ce chiffre. Des
ueedores ou inspecteurs s'assuraient que la compagnie était au com-
plet, avant de laisser distribuer la paie (6). Pour combler les vides
existant dans les compagnies après une bataille ou une guerre, on
avait recours aux aoeniureros, aventuriers ou volontaires, qui étaient,
en grand nombre, disposés à prendre la place des soldats qui man-

retour d'Espagne, dit que Phâippe Il entretenait à Milan 10 enseignes ou compagnies


d'Espagnols, d'un total de 3000 hommes, et qu'on appelait le terçio de Lombardie; qu'à
Naples, il avait un terçio de 4l()00 de ces soldats ; qu'en Sicile, il entretenait, comme
garnison ordinaire, un te?'çio de 2000 fantassins. ,(ALBERI,Relazioni ..., t, XIII, pp. 8-i4.)
(4) La dénomination d' « enseigne» vient du petit drapeau ou guidon de la compagnie
d'lnfarrterle, qui s'appelait enseigne. (J. P. A. BAZY, O. c., p. 30.)
(5) D. JosÉ FERRER, o. C" t. I, PP, 45&-457. Voir aussi P. l!'EA, O .. c. p. 468, note i,
qui fait remarquer que, au XVIe siècle, le régiment n'était pas une unité tacttque, mais
une unité administrative, et qu'il variait selon la richesse du colonel ou maître de camp
qui l'enrôlait et selon la nation à laquelle il appartenait. A l'époque de Farnèse, les
compagnies espagnoles et Italiennes ne dépassaient pas 200 hommes et, souvent, n'attei-
gnaient pas ce nombre. En 1571, les compagnies des tel'çios comptaient 300 hommes
(Documentos inéditos para la historia de Espana, t. XXXV, p. 407); en 1M3, elles étaient
de iOO hommes (Documentas cités, t. CIl, p. 465).
(6) Cfr W. RÜSTOW, Geschichte de?' Infanterie, t, I, pp. 212-213.

8
PL. II

DÉTAILS D'AnlVIUHES DU XYI" SIÈCLE

Rn haut,' Corselet et cabasset italiens, travnil m!l:tll(,'- .. ,::.:,.,' :. """11- fUl'[e.


Rn bas " N° 1. : Bourguignottc OU\'Cl'[C, trnvait :-cll.:n:';!l,,:: C' ~: :\!tll'ion italien
de la seconde moitié du XYlc stècle ; n° ;3 : Cl:.a~"·:: 'hU·on. 01., 138iJ environ.
(Musée de la Porte de H»l. il B:'1l"':·Le5 ..
quaient. Ces aventuriers n'étaient pas toujours des Espagnols: ils
appartenaient à toutes sortes de nations.
Personne ne pouvait lever des forces militaires sans la permis-
sion du Roi. Celui-ci 'Ou ses capitaines généraux s'entendaient avec
le capitaine contractant pour désigner les officiers qui occuperaient
les postes subalternes de teniente (lieutenant) ou d'alferez (porte-
bannière). Les autres officiers étaient désignés par le maître de camp.
Pour le recrutement des ierçios, il existait en Espagne des
marchés publics denrôlement, où le prix de celui-ci se débattait par
fractions de réal. Une fois la bandera ou compagnie levée pour servir
dans un ierçio espagnol, le capitaine ne pouvait recruter aucun indi-
vidu hors d'Espagne.
Les Espagnols que Philippe II employa pour ses guerres extê-
rieures ne furent jamais bien nombreux. Dans les guerres de Flandre,
les trois ou quatre terçios de nation hispanique ne comprirent guère
au total plus de 10.000hommes.
Comment les soldats de ces régiments étaient-ils armés' En guise
d.'arme blanche, la pique constituait l'armement général des piétons.
La pertuisane et la hallebarde étaient portées par les chefs, sergents et
officiers. La gineta ou courte lance était le signe distinctif des capi-
taines. Dans les compagnies du ierçio, les piquiers et les arquebusiers
étaient mélangés, mais dans une certaine proportion numérique. Dans
une compagnie de 120 hommes, il y avait d'ordinaire 80 piquiers et
40 arquebusiers. Dans le carré formé par la compagnie, c'est-à-dire
par la masse des piquiers, les arquebusiers couvraient le front et les
angles, pour tenir l'ennemi à distance. Cette couverture s'appelait
manga ..
Les uns et les autres de ces soldats portaient le costume du pays
d'origine: tous avaient la culotte courte et les souliers ou les bottes
de campagne, la cuirasse de cuir ou de fm' (corselet); sur la tête, un
morion en fer. Ils étaient munis d'une épée, dont les dimensions
dépendaient de leur goût personnel. Les piquiers portaient, au bras
gauche, comme protection, la « rondache », un petit bouclier rond.
Aux arquebusiers, la poudre était distribuée dans la mesure où
pouvait se remplir la « poire »,attachée au ceinturon par une' cour-
roie, du côté droit. Les balles n'étaient pas faites davance. Chaque
arquebusier recevait 'Unecertaine quantité de plomb ou d'étain, qu'il
(levait fondre lui-même pour en faire les projectiles. TI en résultait,
on le comprendra, une certaine inégalité de tir dans la bataille: la

9
forme des balles n'était pas toujours la même et le calibre n'était
pas toujours exactement adapté aux arquebuses.
A l'époque de Philippe. II, on employait aussi IQ mousquet (7).
Celui-ci, à cause de sa longueur, devait être posé ou appuyé sur une
fourche. en .fer (fourchette, [ourquette) placée devant lui par 'le
tireur, et qui permettait àce dernier de viser plus ou moins bien.
Enfin, tous les chefs des compagnies étaient armés du pistolet (8).
Chaque compagnie d'un terçio espagnol comprenait (9) un capi-
taine' un olieree ou porte-enseigne, un sergent, sept à dix chefs
d'escouade, un fifre et deux tambours. L'état-major du régiment était
composé du maître de camp, avec ses huit hallebardiers de garde,
d'un sergent-major, d'un adjudant, d'un obanderado ou porte-enseigne
général, d'un tambour major, d'un bar-rachel ou juge de campagne,
d'un auditeur militaire, de, deux alguazils (employés de justice) et
d'un bourreau.
L'infanterie italienne était organisée comme l'infanterie espa-
gnole. Elle se recrutait dans les provinces du Nord et du Midi de'
l'Italie. D 'ordinaire, le régiment italien au service de l'Espagne
s'appelait, lui aussi, ierçio. Souvent, pour l.e distinguer des troupes
espagnoles, on l'appelait coronélie et 'son chef portait alors le titre
de colonel. L'infanterie italienne était moins prisée que l'irufanterie
espagnole. Quoiqu'elle égalât celle-ci en bravoure, elle n'en avait pas
l'endurance et la discipline, et, pendant les campagnes d'Alexandre
Farnèse en Flandre, elle fut, la plupart du temps,composée de sol-
dats nouvellement recrutés, qui ne pouvaient être comparés aux
vétérans des troupes espagnoles (10).
L'infanterie italienne avait ses enseignes comme l'infanterie
espagnole. A sa tête se trouvait un colonel, qui commandait la coro-
nélie ou le terçio et qui était en même temps officier commandant la
première compagnie. Chaque compagnie ou enseigne comptait un
c.apitaine, un alferez ou porte-enseigne, un sergent, 10 chefs
d'escouade, deux tambours 'et un fifre. L'état-major du régiment
groupait le colonel ou maître de camp, le sergent-major, le fourrier-

(7) Il fut introduit par le duc d'Albe. Cfr W. RÜSTOW, Geschichte âer Infanterte,
t. I, p. 224..
(8) D. J. FERRER, O. c., t. r, pp. 462-472.
(9) suetao
de una compaiiia de infanteria espaiiola, dans A. F. N., Carte farnesiane,
Fiandra, fascia 1628.
(fO) Voir notre travail Les Italiens en Flandre au XVI' et au XVIIe siècle. Pour la compo-
sition du terçio ou coronélie de soldats italiens, voir le budget d'un corps d'armée au temps
du duc d'Albe publié par M(}REL-FATIO, L'Espagne au XVIe et XVIIe siècle, pp. 218 SVV.

10
major, et un barrache: ou officier de justice de campagne (11). La
compagnie comptait d'ordinaire 200 hommes.
L'infanterie wallonne était formée par des soldats recrutés dans
l'Artois, le Hainaut, le comté de Namur, les quartiers wallons du
Brabant et d'Outre-Meuse, à Lille, Douai et Orchies, Tournai et dans
le 'I'ournaisis (12). Depuis la fin du règne de Charles-Quint, la com-
position organique de l'enseigne wallonne était la 'Suivante: un capi-
taine, un porte-enseigne, un clere des « montres » (revuesjvdeux
sergents ou guidons, un four der, un chirurgien, un tambour, un fifre,
deux hallebardierspour Iagarde du capitaine (13). En principe, ·e11e
comptait de 200 à 300 soldats, mais le plus souvent elle n'était que
de 200 (14.)
C'est à l'époque du duc d'Albe que l'infanterie wallonne avait
été bien organisée. Requesens la négligea et sous Alexandre Farnèse,
elle ne reprit jamais l'importance et la bonne forme qu'elle avait
connues ,en 1568.
Les soldats de l'infanterie wallonne devaient s'équiper et s'armer
à leurs frais. La moitié d'une enseigne était composée d'arquebusiers;
lin quart avait des piques et un quart des hallebardes (15).
Les soldats wallons portaient généralement les couleurs du capi-
taine qui les avait recrutés, ou celles de leur ville ou de leur province:
tous avaient, sur le dos et sur la poitrine, la croix rouge de Bourgogne
ou de Saint-André. Ils étaient protégés par une cuirasse et portaient
le casque. Comme les Espagnols, ils étaient munis de l'épée. Depuis
1553, les. piquiers avaient adopté le hallecret ou corselet léger fait
de mailles, ,et les arquebusiers avaient pris 1'habitude de se coiffer
du morion. Comme nous ~'avons vu à propos des Elspagnols, une fois
la compagnie wallonne régulièrement constituée, le capitaine ne pou-
vait plus apporter aucun changement dans le personnel de celle-ci;
les vides qui se produisaient devaient être remplis par des enrôle-
mentsde volontaires (16).

(U) MOREL-FATIO, 0, C,. loc. cit.


(12) A.HENNE, Histoire du règne de Chartes-Guint en Belgique, éd. 1866, t. IV, p. 283,
(13) BARON GUILLAUME, lIlstoire de l'infanterie wallonne sous la maison d'Espagne,
roc. clt., p. 9.
(14) BARON GUILLAUME, 0, c., loc. clt.; Relaçion de la gente ëe glterra que en fin Ile
d·iziembre de 1573 habia en los Estatios Bajos, dans Documentas inéditos"" t. CIl,
np, 465 SVV.

(15) BARON GUILLAUME, o. c., loc. cit., p. fi,


(16) A. HENNE, o. C., t. IV, pp. 287-288.

11
Quant à l'infanterie appelée allemande, il faut soigneusement
distinguer les compagnies de Bas-Allemands des compagnies de
Haut-Allemands.
Les Bas-Allemands étaient, en réalité, des gens des Pays-Bas,
recrutés dans les régions de langue germanique: le Limbourg et les
cantons allemands du pays d 'Outre-Meuse, les quartiers allemands
du Luxembourg, la Hollande, la Zélande, la Frise, l 'Overijssel, le
pays d'Utrecht et la Gueldre, ainsi que la principauté de Liège. Il est
à remarquer que la Flandre et le Brabant ne fournissaient pas de
recrues aux compagnies bas-allemandes. Leurs soldats étaient groupés
à part et conservaient Ieur nom de Flamands ou de Brabançons (17).
Si la compagnie wallonne rappelait, par son organisation, le
système français, lacO'mpagni'e bas-allemande se rapprochait du
système allemand.
Organisées en régiments à I'époque de Charles-Quint, les com-
pagnies bas-allemandes comptaient d'ordinaire 300 hommes; elles
étaient plus fournies que les enseignes wallonnes (18). L'enseigne de
Bas-Allemands avait un capitaine, un porteur d'enseigne, un sergent
de bataille, un chapelain, un clerc des « montres » (revues), deux
sergents ou guidons, un fourrier, un chirurgien, un tambour, un fifre
et 4 hallebardiers pour la garde du capitaine. L'état-major de la
coronêlie ou du' régiment comprenait : un colonel, avec ses 8 halle-
bardiers de garde, un chapelain, un clerc O'Usecrétaire, un tambour,
un fifre, le lieutenant du colonel avec ses 4 hallebardiers de garde,
un écoutète avec son hallebardier, un prévôt, un lieutenant du
prévôt, un clerc et un sergent de justice et 6 hallebardiers, 6 à ;8
exécuteurs des sentences, un geôlier, un maître des hautes œuvres et
son valet, un chapelain pour Iescondamnés, un sergent ou oe:rwîjfel
exerçant la surveillance des prostituées qui accompagnaient le régi-
ment, un maître du guet avec son hallebardier, un quartier-maître
et un maître des vivres, chacun avec son hallebardier, et, enfin, un
chirurgien (19).
Les eoronélies de Haut-Allemands avaient presque la même
organisation (20). Elles étaient aussi divisées en compagnies de

(17) A. HENNE, O. C., t. IV, p. 283.


(18) A. HENNE, O. c., t. IV, p. 285; BARON GUILLAUME, O. c., loc. cit., p. 9; Relaçion 'de
ta gente de querra ... citée, loc. cil.
(19) A. HENNE. O. C., t. IV. pp. 284-285.
(20) Nous la décrivons d'après les tableaux de solde des troupes de Flandre conservés
à A. F. N.. Carle tamestasœ, Fiandra, fascio 1628.

12
300 hommes chacune. Chaque compagnie avait un capitaine, avec son
page, un porte-enseigne, avec son page, 2 fifres et 2 tambours, un
chapelain, un secrétaire, un barbier, un fourrier, 2 sergents, avec
chacun leur hallebardier, un guidon, un interprète et un sergent-
major. L'état-major du régiment se composait du colonel, avec ses
16 gardes et ses 16 hallebardiers, qui avait droit à deux chariots de
bagages; un tambour général et un fifre, un secrétaire, unchapeîain,
un interprète, un chirurgien major, quatre sergents de bagages,
2 maîtres de sentinelles avec leurs 2 hallebardiers, respectivement;
2 pourvoyeurs de vivres avec leurs 2 hallebardiee-s, 2 fourriers-
majors avec leurs 2 hallebardiers. Il y avait en outre un prévôt par
coronélie,avec tout un personnel de justice, et un juge par régiment.
A la tête de la justice militaire des eoronêlies se trouvait le prévôt
général des Allemands, disposant de 16 hallebardiers et de 63 hommes
d'armes, et groupant en outre autour de lui, avec ses bourreaux, ses
valets, ses aides, un peu plus de 20 hommes.
Les « lansquenets» allemands étaient armés, eux aussi, de piques
et d'arquebuses (21).

Au sujet de la valeur respective de l'infanterie de ces diverses


nations, les ambassadeurs vénitiens nous ont laissé des appréciations
intéressantes, mais qui ne concordent pas toujours entre elles. Tous
sont daocord pour estimer beaucoup J'infanterie espagnole. Les
soldats de cette nation, disent-ils, sont patients,endurants, forts « de
cœur et de corps », gardent une discipline sévère. Ils sont aptes à
faire de longues marches, à dresser des embuscades, à défendre un
défilé, à se lancer à l'assaut de remparts. Pendant la retraite, ils sont
impassibles. Mais on IS 'accorde à les trouver insolents et avides de
pillage (22). En 1576, l'ambassadeur vénitien Priuli remarque que
cette infanterieespagnole commençait cependant à perdre de son
ancienne réputation: la guerre contre les Maures, à l'époque de Don
Juan, lui avait fait perdre beaucoup de son esprit offensif et l'avait
peu il, peu habituée à l'oisiveté et à la mollesse (23). Sur ceci, les
écrivains espagnols de l'époque étaient d'accord jusqu'à un certain

(21) A. HENNE, O. c., t. IV, pp. 288-289.


;(22) Relation de Marcantonio de Mula, dans GACHARD, Les amoassaâeur« vénitiens,
p. 311; Relation de Suriano, ibiclem, p. H!l; Relation de Francesco Morosini, dans
ALBERI, Relazioni ..., t. XIII, p. 320.
(23) ALBERI, Relazioni ..., t. XIII, p. 245.

13
point. A l'époque de Charles-Quint, l'infanterie espagnole était com-
posée de jeunes gens de famille noble, qui allaient à la guerre « pour
l'honneur ». Mais,sous Philippe II, ces troupes s'étaient plus démo-
cratisées et il y était entré beaucoup de gens qui recherchaient dans
la guerre les gains matériels et les avantages financiers (24). La plaie
du jeus 'était introduite dans les terçios : les capitaines n'étaient pas
toujours des gens honorables et on trouvait parmi eux plus d'un
aventurier ou d'un criminel qui essayait de se soustraire à la justice.
Le favoritisme sévissait pour l'accès aux grades élevés du eomman-
dement, favoritisme que Cervantès, le glorieux mutilé de Lépante,
fustigea dans son Don Quichotte. Les contemporains accusèrent
Philippe II d'être responsable de cette décadence : il n'aimait pas les
soldats.rcontrairement à son père Charles-Quint, et préférait combler
de ses faveurs les hommes de loi et les lettrés (25).
Mais, malgré ces défauts, le soldat espagnol était cependant resté
le guerrier le plus admiré et le plus redouté de l'Europe (.26). Il était
féru d'un catholicisme ardent et farouche, mais dont la sincérité ne
peut être mise en doute. Il se considérait comme le soldat de Jésus-
Christ, appelé à exterminer les hérétiques. Il joignait d'ailleurs à
cett,e foi profonde un sentiment de supériorité infinie vis-à-vis des
autres nations. Il avait l'orgueil de sa naissance castillane, un orgueil
insensé et très chatouilleux. Il nourrissait aussi le sentiment de '1'hon-
neur, poussé jusqu'à l'excès. Brantôme ne l'entendit-il pas affirmer:
« Nous sommes des hidalgos comme le Roi, l'argent en moins »7
Lorsque ces soldats avaient en face d'eux un général juste, énergique,
sévère, mais en même temps respectueux de leurs coutumes et de
leur caractère, ils étaient prêts à le suivre jusqu'au bout du monde et
à se faire tuer pour lui. Dans ce cas, l 'héroïsme prenait le dessus sur
l'esprit dindiscipline ou l'âpreté au gain, et ces hommes des terçios
étaient capables de choses magnifiques (27). Aussi étaient-ils d'ordi-
naire mieux traités que les soldats des autres nations. On les payait
mieux et avec plus de régularité et on leur donnait toutes sortes
d'avantages (28).
On s'accordait aussi, en général, à trouver l'infanterie ita-
lienne plus hardie que l'infanterie espagnole : elle exceUaitdans la
(24) Voir le chapitre Le soldat espagnol en Flandre dans E. GOSSART, Les Espagnols
en Flandre, Histoire et poésie, pp. 14.0 svv.
(25) D. A. SALCEDO RUIZ, El coronei Crist6bal de ftfondmg6n, pp. 100 svv.
(26) Cfr W. Rüsrow, Geschichte der Infanterie, t. ï, p. 213 .
.(27) D. A. SALCEDO RUIZ, O. c., pp. 105 svv.
(28) Relation de Morosini, dans ALBERI, o. c., t. XIII, p. 320.
charge, l'escarmouche, l'assaut et surtout dans les rencontres où l'on
combattait « à la légère ». Les ambassadeurs vénitiens prétendent
que le soldat italien était, dans l'armée espagnole, le plus maltraité
de tous. Les autorités militaires espagnoles prenaient plaisir à
l'abaisser et le Roi n'avait pas grande confiance en ces troupes: il
avait l'habitude de ne s'en servir que pour peu de temps et seule-
ment en cas de nécessité (29).
Il est à peine besoin de dire que la condition du soldat italien
s'améliora pendant le gouvernement d'Alexandre Farnèse, sans que
cependant celui-ci montrât la moindre partialité vis-à-vis de ses com-
patriotes.
Les Wallonsétaient estimés comme se battant très bien en rase
campagne et comme gardant une belle ordonnance (30). Mais, après
le gouvernement du duc d'Albe, l'organisation des compagnies wal-
lonnes ne fut plus aussi bonne, la discipline se relâcha et, pendant le
gouvernement du prince de Parme, la réputation de ces belles troupes
souffrit du peu de confiance qu'inspirèrent leurs chefs au point de
vue politique et militaire. Les soldats des régiments wallons étaient
moins orgueilleux, moins attachés au point d'honneur que les Espa-
gnols, mais ils devaient être traités avec 'bonhomie et douceur. Leurs
officiers surtout, presque tous issus de famines nobles du pays,
n'auraient pas supporté un chef mal éduqué, grossier de manières et
trop imbu de sa supériorité hiérarchique. On devait leur parler avec
politesse et déférence et tenir compte des sentiments aristocratiques
dont ils faisaient volontiers étalage (31).
Les soldats allemands étaient considérés généralement comme
aussi courageux que les 'Vallons et chez eux aussi on admirait la
belle ordonnance en campagne. On les représentait comme des com-
battants tenaces dans la bataille. Mais on les savait très pointilleux
sur la question du paiement régulier de leur solde. Celle-ci était
d'ordinaire assez élevée et dès que, à la suite du manque de res-
sources, le capitaine général ne pouvait les satisfaire au moment fixé
par le contrat d'enrôlement, ils étaient immédiatement prêts à se
révolter (32).
(29) Relation de Morosini, dans ALBERT, o. C., t. XIII, p. 320; Relation de Marcantonio
cie Mula, dans GACIIARD, Relations des ambassadeurs vénitiens, p. 313; Relation de
Lorenzo Priuli, dans ALBERl o. c., t. XIII, pp. 2/16-247. Voir notre étude Les Italiens en
Flandre au XVIe et au XVIIe siècle.
(30) Relation de Suriano, lioc. cit.; Relation de Morosini, loc. cil.
(31) D. A. SALCEDO RUIZ, O. c., pp. 45-46.
(32) Relation de Suriano, Ioc, cit.; Relation de Marcantonio de Mula, IDC. clt.: Relalion
de Morosini, Ioc. cit.
15
Les aVIS sur la valeur combattive de ces troupes diffèrent.
D'aucuns estimaient que les arquebusiers allemands ne valaient pas
beaucoup et soutenaient que les piquiers de cette nation étaient
dépassés de loin par les Suisses (33).
Voilà pour ce qui concerne l'infanterie.
Dans 1'armée espagnole desPays-Bas, il y avait aussi diverses
sortes de cavalerie. Il ifaut signaler en premier lieu les « hommes
d'armes »des célèbres « bandes d'ordonnance » organisées par
Charles le Téméraire. Ils étaient, en somme, la continuation du cheva-
lier bardé de fer du moyenâge et constituaient la cavalerie lourde,
bien cuirassée. Un édit de Charles-Quint avait réduit cette cavalerie,
en 1547, à 3.000 chevaux, comprenant 15 bandes (34). Ce chiffre
semble être resté le même pendant tout le xvre siècle (35).
Les bandes d'ordonnance étaient composées d'un certain nombre
de « lances ». Sous le nom de lance, on désignait le groupe formé par
un « homme d'armes », deux archers, un coutelier et un page. Les
hommes d'armes portaient la cuirasse complète, la salade à gorgorin
surmontée de plumes, la lance, l'estoc, le couteau et la masse d'armes.
Ils avaient, chacun, avec eux un page et un coutelier à cheval. Quant
aux archers, ils portaient la salade à gorgerin sans visière et une
chemise de mailles sans manches. Ils étaient armés de l'arbalète ou
de l'arc, d'une épée qui devait être maniée à deux mains, d'une
longue dague.
Chaque bande d'ordonnance avait son capitaine, son lieutenant,
son porte-enseigne, un guidon, un capitaine des archers, un ou deux
trompettes et un chapelain (36).
,C'est cette cavalerie lourdement armée que souvent, dans les
sources espagnoles et italiennes, on appelle lanciers. L'emploi et le
perfectionnement des armes à feu ayant augmenté le rôle de l'infan-
terie, la cavalerie lourde devint moins nombreuse, et on la remplaça
de plus 'en plus par la cavalerie légère. Cene-ci court dispersée par
le champ de bataille, alors que les hommes d'armes s'avancent en
masses eompactes et régulières. Elle sert à poursuivre les ennemis
fugitifs, à livrer combat à part, à provoquer des escarmouches. Cette
cavalerie légère comprenait des arbalétriers et des arquebusiers à

(33) Relation de Lorenzo Priuli, loc. cit., p. 246.


(34) A. HENNE, o. c., 1. IV, pp. 288-289.
(35) Une Relaçion de 1573 montre dans l'armée des Pays-Bas 15 bandes d'ordon-
nances de 3000 chevaux (Documentos inéditos ..., t.en, pp. 465 svv.).
(36) A. HENNE, o. C., t. IV, pp. 292-294>.

16
nOUTIGUIGî\OT'l'E DE PA1L\DE
rxvt- siècl«)

(Musée de la Porte de Iln l. it Bntxell'è~.'


cheval. Ces compagnies de ehevau-légers, quelle que fût leur espèce,
comptaient toujours 100 hommes ouà peu près et, pour elles, l'usage
du pistolet s'était généralisé. Il y avait des ehevau-lêgers espagnols,
italiens et albanais. Pendant l'époque d'Alexandre Farnèse, on
employa de préférence des cavaliers de ces deux dernières nations.
Les ehevau-lêgers espagnols s'appelaient souvent ginétaires, du nom
de gineta, lance courte. Ils étaient habillés à la turque, et montaient
de petits chevaux, harnachés à la façon des Maures. Les Albanais,
répartis en compagnies de 300 à 400 hommes, étaient de véritables
mercenaires, qui montaient leurs propreschevaux, Habillés aussi à
la turque, mais sans le turban, ils employaient l'arzegaye, une lance
courte munie des deux côtés d'une pointe en fer. Les Italiens étaient
de véritables arquebusiers, maniant cette arme à feu pour protéger
les flancs de l 'armée et soutenir la cavalerie lourde. Souvent, ils
combattaient en se dispersant, pour dérouter et molester l'ennemi.
Ils étaient coiffés du morion .et portaient une casaque de cuir (37).
L'Allemagne fournissait aux armées de Philippe II deux espèces
de cavaliers, les reîtres et les noirs harnais. Les reîtres allemands',
appelés aussi « pistoliers », étaient armés d'une façon plus légère
que la cavalerie lourde: ils montaient des chevaux rapides et
employaient l'épée et le pistolet. Leurs compagnies se formaient en
profondeur (jusque 16 hommes de profondeur), couraient à l'ennemi
sans charger, puis arrivés près de Padversaire, les cavaliers tiraient
chacun deux coups de feu. Ouvrantensuite leur escadron, ils décou-
vraient un second rang de cavaliers, qui tiraient à leur tour. Entre-
temps, le premier rang se reformait à l'arrière et rechargeait ses
armes (38).
Quant aux noirs harnais iherreruelos en espagnol, ferraioli en
italien), on les appelait ainsi parce que les harnais qu'ils portaient
étaient noirs, avec manches de maille. Ils étaient destinés pour le
choc ou le combat corps à corps, sans ordre régulier. Ils étaient armés
d'un maillet, marteau très pointu aux deux extrémités, et de deux
pistolets, enfoncés dans une poche de la selle. Leur armement défensif
consistait en un corselet, des épaulières et des brassières de cuir très
noir ou de fer de même couleur. Sur la tête, ils portaient un casque
spécial ressemblant à la bourguignotte (39).

(37) A. HENl\E, o. c., t. IV, pp. 291-292; D. J. FERRER" Aüntm «el. eiercito, L I,
j'p. 479-480; G. T. DENISON, A history of cava/ry, pp. 237, 243-244,
(38) G. 'f. DENISON, o. c., pp. 236-237.
(39) D. J. FERRER, Album dei eiercuo, t. I, p. 480.

17
Pour recruter les cavaliers allemands, on passait nn contrat avec
des capitaines appelés riitmeisiers, qui se chaœgeaient de les lever,
de les enrégimenter et de les conduire au lieu convenu.
L'utilité des noirs harnaie fut souvent très contestée. Marcan-
tonio de Mula déclare que, dans un terrain entrecoupé de fossés, ils
ne rendent aucun service (40). Michel Suriano estime qu'ils font plus
de mal aux amis qu'aux ennemis, car ils sont insolents et désobéis-
sants. En petit nombre, ils ne servent à rien; s'ils sont nombreux, ils
mettent le désordre dans l'armée et ruinent le pays. Ils ont encore
le désavantage de coûter fort cher (41). Enfin, Lorenzo Priuli déclare
que Dette cavalerie cause beaucoup de dommages aux princes qui
s'en servent. Elle ne fait que se livrer au pillage. Elle n'est d'ailleurs
pas de taille à affronter la cavalerie légère, et ne réussit pas à rompre
un bataillon de piquiers (42).

Il nous faut parler aussi de l'artillerie et des services qui s'y


rattachent (43). En 1609, le roi Philippe III réduisit les multiples
pièces d'artillerie à quatre: le canon de 'batterie, avec 10 'calibres de
longueur d'âme; le demi canon, de 19 calibres ; le quart de canon, de
~4 ealibres : les pièces de campagne, de 32 calibres. Mais, avant cette
réforme, on avait déjà adopté au xvre siècle le groupement des
pièces d'artillerie en trois sections. Il y avait d'abord les pièces de
grandcalibre ou de boiterie: Celles-ci opéraient au centre de la pre-
mière ligne de bataille, sans aucune liaison avec tous les autres canons
que l'armée possédait. Il y avait ensuite les pièces moyennes, appe-
lées pièces de campagne. On les groupaiten deux batteries ou unités
égales qui travaillaient avec l'infanterie, soit au centre de la ligne
que formaient les masses d'infanterie, soit séparément, aux ailes de
ces groupes. Il y avait enfin les [aucowneau», ou artillerie légère, qui
opéraient généralement sur les flancs de l'armée. La décharge de ces
pièces était sans grand effet aussi longtemps que les ennemis n "en
venaient pas aux mains. Mais dès que le contact avec J'adversaire
était établi, le feu nourri des fauconneaux, mêlé au tir des arquebu-

(40) GACHARD, Relations des ambassadeurs vénitiens, p. 31.2.


(41) GACHARD, o. c., p. 1111.
(42) ALDERI, RelazIoni ..., t. XIII, p. 2/16.
(43)Cfr D. J. FERRER, O. c., t. I, pp. 166 SVV.; A. HENNE, O. C., t. IV, pp. 297 svv,;
PAUL HENRARD, Histoil'e de 1'Q1·tillerie en Belgique, pp, 57 svv.

18
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siers, intercalés dans toute la ligne de bataille, produisait une espèce
de .mitraille très meurtrière. En cas d'attaque, les fauconneaux
accompagnaient les hommes d'armes au moment de la charge,pour
briser les masses ennemies.
Au xvre siècle, l 'artillerie espagnole comprenait trois capitaines
généraux de l'artillerie, un pour l'Espagne, un pour l Ttalie, un pour
la Flandre. Lorsque les forces d'artillerie étaient divisées, elles
étaient sous les ordres de deux ou trois lieutenants du capitaine
généraL Les groupes de pièces étaient commandés par des ,gentils-
hommes (gentilhombres) ou officiers, dont le nombre était en rapport
avec celui des pièces que possédait l'armée. Pour chaque groupe de
trois pièces en campagne, il y avait un gentilhomme, assisté des
canonniers, des servants et des conducteurs. Le personnel des canons
comprenait les artilleurs proprement dits, les conducteurs à pied et
à cheval, les mineurs et les pionniers. Ces derniers marchaient
devant les pièces, munis des outils nécessaires pour détruire les
obstacles qui pouvaient se présenter SUl' leur route. Le corps des pion-
niers (gastadores) se composait des hommes les plus robustes et les
plus expérimentés de toutes les enseignes en campagne: ils touchaient
une solde supplémentaire pour leur service à l'artillerie. Parmi le
personnel de cette arme, il faut encore compter les ouvriers (obre-
1'OS), employés aux travaux de fortification et de mines; les pétardiers

{petorderos), qui fabriquaient les feux artificiels; les marins et


calfeutreurs, qui avaient la garde des ponts militaires, service .attri-
bué à l'artillerie.
Les fourriers majors devaient entretenir les parcs d'artillerie
et choisir le logement des artilleurs, Les ienderos s'occupaient de
dresser les tentes et avaient le soin des munitions. Les ingénieurs et
les tracistes veillaient au choix de l'emplacement et à l'installation
des pièces, mesuraient les distances nécessaires pour le tir, indi-
quaient le réglage de celui-ci.
L'a:rtillerie possédait aussi son organisation spéciale de justice,
avec un prévôt, des algua,züs et une garde de soldats. Ceux-ci
devaient veiller à ce que chaque soldat occupât sa place pendant les
marches et pendant la bataille, arrêtaient les déserteurs et empê-
chaient l'évasion des criminels.
Il est à noter que, en majeure partie; les artilleurs n'étaient pas
considérés comme soldats. Aussi, il leur était interdit de prendre part
à la répartition du butin lors de la prise d'une ville, ou après la

19
---------
_----_
_~--------------pa.

défaite d'une armée ennemie en campagne. Toutefois, si un château-


fort ou une ville, garni d'artillerie, se rendait à la suite du tir die
l'artillerie assiégeante, toutes les pièces de la position conquise
devaient être « rachetées » par la garnison vaincue et par les habi-
tants et le produit du rachat devait être .rêparti entre les artilleurs
vainqueurs (44).
Pour la garde des pièces d 'artillerie et de leur train, on employait
des soldats : ceux-ci considéraient cette mission comme la plus hono-
rable et la plus enviable de toutes. Pour se procurer les chevaux ou
les mules nécessaires au transport des canons, on passait un contrat
avec des particuliers. Le prix d'un cheval étant relativement élevé,
on prenait toutes les précautions pour sauvegarder la vie de ces
animaux. Pendant le combat, les conducteurs et les chevaux se
cachaient dans un repli du terrain, dès que les pièces avaient été
amenées en place. Il eu résultait que si les canons devaient changea.'
de position pendant la bataille, on était obligé de les rouler à la force
du bras.
1.1ebudget d'un corps d'armée et d'une batterie de2ü canons,
établi pal' le duc d'Albe,on ne sait en quelle année, nous fait 0011-
naître de près l'organisation de l'artillerie. En voici le relevé:

Un capitaine général , . 200 ducats.


8 hallebardiers de sa suite .. . . . . . . . . .. .., .. 4
Un lieutenant - . 40
Le ooniador et le paqudor avec leurs officiers .. 110
Un majordome d'artillerie et ses 2 adjudants 41
100 artilleurs, 5 par pièce, à chacun .. _ . 8
10 gentilshommes, 1 par 2 pièces _ . 15
20 conducteurs, 1par pièce . 10
1 chapelain . 6
1 médecin . 15-
1 fourrier général . 20
1 prévôt et 2 exécuteurs de justice . 23
2 raffineurs (de poudre) et 2 fondeurs chacun 10
30 charpentiers .
10 maréchaux ferrants .
2 maîtres ferrante avec 2 adjudants ..

(1t4) D. J. FERRER, o. C., t. I, p. 180; A. SEl\'lEli, Die Geschichte der Al'tiUerie,


pp. 6-7.

20

)
~
3 faiseurs cl'outres,6 tonneliers, 6 cor-
- diets '.. ':' . '.' , , .
Un chef-maître des artilleurs qui s'ache
raffiner la poudre et qui s'eatend en
-..fonderie -
; - .
Un maître dresseur de tentes avec. 2
officiers (45) .

'* *-*

Il- nous reste iL parler des différents personnages importants de


l'armée et de leur 1..ôle respectif (46), A la tête se trouve, aux P ays-
Bas, le capitaine générai, qui était en même temps gouverneur
général du pays. Souvent, il avait près de lui un lieutenant où
téniente du capitaine général. C'est la place qu'Alexandre Far;lèse
avait occupée près de Don Juan.
Vient ensuite le maître de camp général, qui correspond plus ou
moins à ce que nous appelons maintenant le chef d'état-major. A lui
incombait la direction générale des-troupes, Il établissait l'ordre de
marche, choisissait l'endroit pour camper la
nuit, s 'occupait de la
désignation des logements, et pourvoyait à tout ce dont l'armée avait
besoin. Une fois les opérations militaires décidées par le capitaine
général, il était réservé au maître de camp général de les proposer
au conseil de guerre et de les faire exécuter. Le maître de camp
général avait sous ses ordres un lieutenant ou sergent général de
bataille et le nombre suffisant d'officiers pOUTcommuniquer ses déci-
sions' aux différents ierçios, aux corps de cavalerie et à l'artillerie.
Le quartier-maître (cu..a-rtelnwestre) ou maréchal des logis
s'occupe de la distribution des logements. Tl fait observer la vigi-
lance dans tout lé pourtour du oamp, Dans ce but, il parc-ourt les
quartiers de celui-ci avec l'aide d'officiers qui connaissent les diverses
langues parlées dans l'armée, et note ce qui fait défaut, pour en
avertir immédiatement. le maître de camp général.
Le « commandeur du guet » dirigeait de petites compagnies
d'éciaireurs (quias, guides), sous les ordres d'un capitaine. C'étaient,
en général, des soldats d'élite, qui connaissaient bien la contrée, pour
guider la marche des troupes et pour épier les mouvements de
l'ennemi.

(45) MOREL-FATIO, O. c., pp. 218 SVV.


(46) D, J. FEll.RER, o. c., t. l, pp. 481 8VV.

21
Sous Philippe II apparaît le grand prévôt, officier superieur de
la justice militaire, qui s'occupait à la fois de la discipline et des
mœurs des soldats. C'est lui qui réglait la vente des vivres au sein
de Parmêe et qui en fixait ou surveillait les prix. Une compagnie de
fantassins et une compagnie de cavaliers I'accompagnaient toujours
pour lui prêter main forte.
Le guidon était un officier supérieur à qui revenait l'honneur de
porter l'étendard royal de Castille.
Les 'Officierssupérieurs d'administration comprenaient le tréso-
rier général (46bis), chargé des dépenses; le coniador général, qui avait
mission de contrôler l'emploi des sommes requises pour la solde,
l'achat de vivres et de munitions; le veedor général, contrôleur des
listes des unités de 1'armée, qui devait prendre soin du maintien des
régiments à effectif plein et empêcher les fraudes qui se commet-
talent, lorsque le capitaine de compagnie réclamait le paiement de
la solde pour un nombre de soldats supérieur à celui qu'il possédait en
réalité. Le pagador général surveillait le versement de la solde et
toutes les autres dépenses militaires. Le proveedor général, appelé
aussi commissaire général, devait s'occuper du ravitaillement de
l 'armés (47).
Nous devons encore signaler le commissaire général de la cava-
lerie légère. Cet office avait été institué « pour donner au capitaine
général de la cavalerie légère un homme de valeur, d'autorité et
d'expérience qui pût veiller au bon ordre qui devait règner dans cette
arme ». Il examinait la qualité des soldats à admettre et leur équipe-
ment et surveillait leur inscription sur les listes de compagnie. Il
devait veiner au bon paiement de la solde et au ravitaillement de la
cavalerie, ml choix et à la répartition des logements. TI avait aussi à
maintenir la discipline des soldats. En temps de guerre, il devait être
obéi comme délégué du capitaine général de l'armée auprès de la
cavalerie, Le partage du 'butin était réglé par lui et il était obligé de
protéger les hommes contre la rapacité ou l'inj ustice des officiers (48).
Il est aussi souvent question, à propos de l'armée espagnole en
Flandre, des capitaines réformés (rejormados ) et de-s eniretenidos.

(46bis) Voir à ce sujet Le registre de Franciscus Lixaldius, trésorier géné1'al de l'armée


espagnole aux Pays-Bas, de 1567 à 1576, éd. F. RACHFAHIJ.
(47) Ces renseignements d'après les documents d'administration mi'litaire de A. F. N.;
Carte famesiane, Fiandta, fascio 1628.
(48) Instruction pour le commissaire général de la cavalerie légère, dans A. F.
N., Carte tornesione, Fumâr«, fascia 1628.

22

-----._--
1

Les reiormados étaient des capitaines dont la compagnie avait


été dissoute ou distribuée entre divers terçios pour combler les vides
provoqués par la guerre dans la composition du régiment. Ces offi-
ciers réformés étaient alors attachés à la maison du capitaine général
et entretenus à ses frais (49).
Les0ntretenidos étaient des officiers d'élite - on dirait aujour-
d'hui des officiers d'état-major - attachés eux aussi à la personne
du capitaine général ou mis à sa disposition, qui mangeaient à sa
table et le suivaient partout (50).
Les reformadoset les enireienido« étaient fréquemment employés
pour des missions de confiance ou des missions périlleuses. Alonso
Vasquez nous explique fort bien en quoi consistaient ces missions :
« Don Juan et le prince de Parme, dit-il,estimaient beaucoup les
« capitaines entretenus » puisqu'ils. les employaient à des services
très spéciaux et pour des reconnaissances à faire du côté de l'ennemi ...
On leur confiait encore d'autres missions, comme aller en qualité
d'ambassadeur auprès de princes étrangers, conduire des régiments
d'élite, assister aux revues militaires comme substituts du oeedor
général, à qui il incombe de voir que l'on ne commette pas de fraude
au détriment des finances de Sa Majesté. On les employait aussi pour
porter des ordres, pOUTsurveiller les travaux militaires, les tran-
chées, les batteries. Surtout, ils ne peuvent abandonner la personne
du capitaine général et ils constituent la garde de son guidon ou
étendard. Bref, c'est à grand 'peine qu'on peut vivre sans eux» (51).

Pour finir cette esquisse, il faut encore élire quelques mots de


la division ordinaire d'une armée en marche (52). Depuis Charles-
Quint, l'armée espagnole était divisée en trois corps principaux:
l'avant-garde, le corps de bataille on la baiaille, l'arrière-garde.
L'avant-garde comprenait la majeure partie des troupes légères,
comme les noirs harnaie et les arquebusiers à pied et à cheval de
toutes nations On y voyait aussi les bataillons de sapeurs on pion-
niers de l'artillerie, qui devaient préparer la route à suivre, réfec-
tionner les ponts ou en construire là où c'était nécessaire. L'avant-

(49) Listes de reforma dos dans A. F, N., Carte [arnesiane, Fiondm, fascio 1663.
(50) Listes d'entl'etenidos dans A. F. N., Carte tarnesume, Fiatuira, fascio 1663.
(51) Los suces os de Flmuies 11 Francia .....• 1" partie, éd. citée, p. 88.
(52) D. J. FERRER, O. C., t. 1. pp. 485 svv.

23
garde était presque toujours commandée p.ar le maître deicamp
général, suivi de, ses officiers et d'une compagnie de sa garde, à cheval.
La « bataille » constituait le noyauIe plus solide de 1'armée,
Elle groupait la cavalerie de ligne ou « hommes el'armes: » -loUl'de~
ment cuiras-sés et armés, la principale masse. d'infanterie;' l'artillerie
avec tous .ses services, et.finalement, le quartier .royal ou général, à
moins que la nature dangereuse de la région. oud'autres eirconstances
ne forçassent le capitaine général à se trouver' à Pavant-garde ou
avec I'arriêre-garde. Dans ce cas, une portion d'artillerie et de cava"
lèrie lourde augmentait la division où le général sc trouvait présent.
Dans le corps de bataille ,et à la suite de l'artillerie et de son
train, toujours bien gardés par des forces considérables coutre toute
tentative de coup de main, venait le grand prévôt avec les bagages
du capitaine général et de toute l'armée, protégés par une escorte
nombreuse, qui était fréquemment échangée ou relevée. Sur les flancs
du corps de bataille évoluaient des compagnies légères de corredores
ou éclaireurs, qui avaient mission de dépister les embuscades.
L'arrière-garde, composée presque de la même façon que l'avant-
garde et non moins forte que cene-ci et que le corps de bataille, était
précédée et entourée, elle aussi, d'éclaireurs. iLes 'renseignements
nécessaires pour lamarche de l'armée étaient constamment commu-
niqués par les capitaines des guides.
En ordre régulier, les compagnies el'infanterie marchaient par
files d'un front considérable : 20 hommes de front, 60 de profondeur.
Cette mass-e de 1.200 hommes formait approximativement un terçio
ou une coronélie. La cavalerie flanquait les colonnes dinfanterie,
pour protéger celle-ci contre toute surprise.
Autour du capitaine général se groupait toujours un escadron
de cavaliers de toutes armes, non pour lui servir el'escorte, mais. pour
se porter immédiatement, sur un ordre de sa part, à l'endroit où' 1.111
danger pressant était révélé ou là où sa présence semblait requise.
Ce-groupe de cavalerie s'appelait l'escad1'on volant. Nous l'avons vu
manœuvrer à la bataille de Rijmenam.

24
CHAPITRE PREMIER.

LES DÉBUTS DU GOUVERNEMENT


D'ALEXANDRE FARNÈSE
(1578)

Au moment où le prince de Parme succéda à Don Juan comme


gouverneur et capitaine général des Pays-Bas, il était entré dans sa
trente-quatrième année. De sa personne se dégageait une impression
de force et d 'intelligence, et àsa beauté physique, héritée de' ses
ancêtres, s'ajoutaient de grandes qualités d'esprit et de cœur (1).
Alexandre était de taille moyenne, sinon petite; il avait la jambe
bien faite et les pieds menus, le corps plutôt maigre, mais musclé' et
plein de force (2). La tête, petite et ronde, était couverte d'une
chevelure assez foncée, abondante et brossée en arrière. Là figure,
fine. et distinguée, de teint bronzé, présentait un nez aquilin 'et de
forme parfaite, un front haut et large. Des yeux noirs y flamboyaient
et se mouvaient avec grande rapidité. Une barbe bien taillée en
pointe l'allongeait: de fortes moustaches, relevées, complétaient
l'aspect martial qui se dégageait de toute la personne. Détail qui nous
est livré par un de ses intimes : les mains du prince, loin dêtre fines
et délicates, ressemblaient plutôt à dès mains d'ouvrier (3). Les
exercices physiques auxquels il s'était livré dès l'enfance lui avaient

,(il « Erat... ipse omnibus, quae deslderari in principi possent, animi et corporis
dotibus apprimo ornatus. » J. B. DE TASSIS, Commentariorum de tumultss belgicis, éd.
clt., p. 327.
(2) Paolo Rinaldi, familier d'Alexandre, nous en donne une description détail'lée
dans son Liber relationum déjà souvent cité, fo 249 : « D'el corpe fu più che di meseana
statura et di pelo piutosto nero che biondo, con testa plocola, ocohio grosso più bianco
che negro , di bella racola e presenzia et di ganba dispostissimo, con pieplccclo et molto
garbato et di suprema torea s.
(3) Liber 7'e/.at'ionurn, r- 2l19.

25
donné une constitution de fer, uneendurance aux fatigues et une
souplesse qui faisaient de lui un adversaire redoutable. Nul ne fut
plus excellent cavalier que lui; lorsqu'il passait avec sa monture au
milieu des -troupes, il laissait une impression de majesté et de force
qui fascinait les soldats (4). En voyage et en campagne, il enfourchait
toujours des chevaux nerveux, puissa.nts et rapides, gui l'emmenaient
souvent loin de son escorte ou de. sa suite, qui satisfaisaient son
impatience daller vite, mais qui l'exposaient plus d'une fois, seul
et isolé, dans des chemins et des endroits dangereux où il pouvait
être attaqué par des ennemis ou des bandits (5). Oette maîtrise dans
l'équitation rappelle celle d'Emmanuel-Philibert de Savoie, auprès
duquel, dans sa jeunesse, à Bruxelles," il avait perfectionné son
apprentissage.
'Farnèse était animé d'un courage indompta bleet tranquille. A
la guerre, il était toujours le premier dans les occasions dange-
reuses. Il passait des nuits entières dans les corps de garde et dans
les tranchées et i.l se risquait dans les endroits les plus 'exposés. Il
veillait sous la pluie, le vent ou la neige, il encourageait s'es soldats
et ses travailleurs, se tenant au milieu d'eux sans aucune escorte.
Plus d'une fois, comme on l'a vu dans les chapitres précédents, il
aidait lui-même ses sapeurs et ses pionniers, il portait lui-même des
fascines et du bois pour construire des redoutes on couvrir des tran-
chées. A l'occasion d'un siège, il entreprenait 811 personne des reeon-
naissances de nuit dans les fossés des places assiégées, s'engageant
dans 'l'eau jusqu'à la ceinture et ne craignant pas d 'y rester sept on
huit heures consécutives, poursurprendre les secrets de l'ennemi ou
préparer son plan d'attaque. En ces moments-là, il semblait n'estimer
sa vie un fétu (6).
S'il se sentait malade, il n'en continuait pas moins à s'exposer
aux f'atigueaet aux dangers, i,J.refusait de se mettre au lit et de
suivre le conseil ou les ordres de ses médecins, il ne leur obéissait
que lorsque la maladie ou la fièvre le terrassaient. Son grand principe
était qu'il fallait dominer les faiblesses du corps (7).
Ce courage s 'exaltait surtout au moment de la bataille. Dès qu'il
avait aperçu les enseignes et les drapeaux de l'armée ennemie, il

(4) Ibidem.
(5) Ibidem.
(6) Liber ~'elationum, f0245vO : « che pareva che non istimasse la sua persona.
et vita un pel di gatto ».
(7) Liber retauonum, to 246.

26
Dessin à hl plume représentant
ALEXA?\DRE F,\R?\ÈSE .\ CI-IEV,\L A COl'É DE DON JUAN

(Itecucü de Pierre Lc Poivre, ms. J9611 cie la Bibliothèque royale de I3clg'iquè, fu 23.)
n'avait plus qu'une idée, qui le possédait alors tout entier: ouvrir
l'attaque et en venir aux mains. Cette impétuosité, que Don Juan eut
l'occasion de lui reprocher maintes fois, pendant la guerre contre les
Turcs et après la bataille de Gembloux, fit cependant peu à peu place
à plus de réflexion et de prudence (8). Ce changement se manifesta,
nous avons eu l'occasion de le constater, après la prise de Sichem et
ne fit que s'accentuer avec les années, sans que pour cela l' «esprit
offensif» du prince subît la moindre atteinte.
Faut-il s'étonner dès lors qu'Alexandre F'arnèse exerçait sur ses
soldats un empire considérable 1 Ils étaient fiers d'être commandés
par un tel chef, ils le suivaient sans rechigner dans les entreprises
les plus fatigantes ou les plus périlleuses. Pour lui, soldats espagnols
et italiens subissaient sans révolte des marches forcées sous un
ciel pluvieux et humide, à travers des champs détrempés, par les
chemins boueux, ou traversaient sans hésiter des cours d'eau en
temps de crue (9). Le 'Climat insalubre de Flandre faisait beaucoup
souffrir ces fils du Midi, habitués au soleil, et les maladies les fau-
chaient par centaines (10). Mais l'exemple d'endurance que donnait
leur chef Tes empêchait de murmurer trop haut ou de se révolter.
Durant les sièges que -le prince entreprit en si grand nombre,
plus d'une fois au cœur de l'hiver, il se faisait un devoir d'aller
réconforter ses hommes dans leurs quartiers inondés, dans leurs
tentes secouées par la bourrasque, dans les tranchées et les galeries
remplies de fange ,et de boue. H leur parlait alors amicalement, leur
faisait entendre raison et leur laissait entrevoir des récompenses
qu'il était toujours fort libéral et très ponctuel à accorder (11). Il
s 'efforçait d 'ailleurs de connaître le plus de soldats possible et de
retenir leurs noms ou des détails les concernant, les interpellant
lorsqu'il les rencontrait, les appelant par leur prénom et se mon-
trant informé de leur lieu dorigine (12). Ce fut là le secret de sa
popularité parmi ses troupes et de Paffection que lui portaient les
mllitaires de toutes les nations qui y étaient représentées (13).
(8) Liber relationum, f· 247.
(9) Liber relationum, r- 246.
(10)Cfr L. VAN DER ESSEN, Les ltaiiens en Fùnuu:«.
(11) Liber relationum, fo 245'''0.
(12) Liber relationum, r- 249.
(13) Liber relationum, f· 250. Le contador Alonso Carnero témoigne sur ce point:
« Fue de anfmo muygrande y asicon los que mucho presurnlan de si proçedla sin
perder un solo punto de su dignidad, aunque con los inferiores rue muy humano y de
gractosa famlliaridad. Tanto que no avia capitan de todas naolones ni alf'erez ni soldado
parncutar en todo el exercito que no los conoctese por sus nombres, y aun a muchos

27
Mais il exigeait,en retour, une discipline parfaite et se montra
toujours impitoyable vis-à-via des insoumis et des manvaises têtes.
Dur pour lui-même, il se croyait en droit d'exiger des autres la plus
stricte discipline et l'ordre le plus parfait. On devait lui obéie sans
réplique, à moins que l'impossibilité d'exécuter les ordres donnés
,n'eût été démontrée ou que des circonstances nouvelles ne fussent
intervenues (14). Combien de fois) 'absence de paie n'eût-eHep.as
excusé les rapines, les brigandages et la licence des soldats! (15)
Mais, tout en tenant compte de .la misère qui souvent accablait ses
.hommes, le prince de Parme n'admettait sut ce point aucune excuse,
Lorsqu'il pouvait .le constater ou1ors:queqllelque subordonné portait
le fait à sa connaissance, les excès commis par ses hommes à l'endroit
des bourgeois des villes ou des paysans étaient toujours sévèrement
punis, ainsi que les insolences que la soldatesque aurait pu com-
mettre dans les maisons où elle était logée.
La colère de Farnèse était surtout terrible lorsque des dépréda-
tions avaient eu lieu au préjudice dêglises ou de couvents ou
lorsque, à l'occasion du sac d'une ville ou de la prise d'une place
forte, l'honneur des religieuses on la vie des ecclésiastiques n'avaient
pas été respectés. Lorsqu'il ne lui était pas possible, comme à Sichem,
de prévenir ces excès sacrilèges, il en tirait une vengeance terrible,
Il était aussi très sévère sur le point du respect que l'on devait aux
femmes : malheur à celui qui, en rue ou dans une maison, avait eu
l'audace d'injurier ou deblesser dans son honneur une dame ou une
jennefille, de quelque rang social qu 'elle fût! (16) 'Cette sévérité,
Alexandre Farnèse ne la montrait pas seulement vis-à-vis de ses
soldats, mais aussi vis-à-vis des gens de sa maison ou de sa cour.
A Mons, à Tournai, à Bruxelles, où les quelque 1.500 personnes qu'il
entretenait à son service comme gouverneur général résidaient -
foule où les bravi et lès insolents ne manquaient pas (17) - il faisait

mosqueteros y, soldados orclinarios, ·quando' entrava en las trrncneras los lamava por sus
nombres, y llevava uno bolsilla Ilona de escudos J' el que major tiro haçiale premiar,
J' quanclo salia los havia reparticlo entre los soldados, » (Historia de las querroe civiles ...,
éd. clt., p. 281.)
(14) Liber relatumum, ros 247'\'0 el 2481'0 et 248'vo,
(15) Sur la psychologie du soldat espagnol en Flandre, il faut lire les excellentes
pages de D, ANGEL SALCEDORUIZ, El coronel Cl"ist6bal de Mondrag6n; pp. 10'0'-110, et
de E. GOSSART, Les Espagnols en Flandre, ch. III: Le soldat espagnol en Flandre,
pp, 139 svv,
(16) uoer retauonum, r- 248,"° .
. - (17) « Una grau quantità dihuomini suggieUial -Be 'et d'attre paiU et de slgnori
et ~valieri principali, ootonelu, maestrl di oampoccapttani, uffitiali et solclati del paes~

28
régnai: la sécurité, défendant de portal' la main à l'épée et punissant
gravement eeuxqui s'étaient rendus coupables de meurtre ou qui
avaient blessé quelqu'un (18).
Dans leamomenbs où une sédition ou un mouvement de révolte
particulièrement grave avait éclaté ou menaçait de se déclarer, le
prince de Parme n 'hésitait pas à affronter les mutins, seul, au péril
de sa vie et, par son courage impressionnant, les ramenait au calme.
Nous >811 verrons la preuve en parlant de la mutinerie des régiments
allemands au siège d 'Audenarde.
Une autre circonstance qui explique l'impression qu'Alexandre
Farnèse produisait chez ses soldats, c'est son habitude de se vêtie
avec richesse et magnificence. Cette habitude, il la tenait probable-
ment moins de son père Ottavio que de sa mère. On se rappelle le
faste que celle-ci déploya à Bruxelles à l'occasion des noces de son
fils et il n'est pas interdit, semble-t-il, d'y trouver l'influence de son
origine flamande, les ambassadeurs vénitiens affirmant que les Fla-
mands s 'habillaient plus richement « qu'aucun autre peuple au delà
des monts » (19).
Le prince de Parme s 'habillait avec un goût raffiné, tant à la
guerre qu'en temps de ~paix, usant de tous les artifices pour faire
ressortir davantage les dons que la nature lui avait si la:rgement
distribués (20). Il était surtout beau en cavalier revêtu de s'es armes
d'apparat, avec l'armure de Milan incrustée d'or qu'il affectionnait
et sa haute fraise de dentelles ou lorsqu'il portait le casque de
bataille avec ses plumes multicolores. Son apparition avait alors le
don d'enthousiasmer ses soldats et de les remplir du désir de S'El
lancer sur ses traces pour attaquer l'ennemi (21).
Le prince avait d'ordinaire une garde-robe très bien fournie,
avec une multitude de costumes de cour et de campagne, tous de drap

et rorestieri et d'ogni isorte nation! '8 grau quantità di cervelli sventati, bravi et inso-
lenti... » (Ibidem)~
(18) Liber relationum, fo 248·,0.
{i9)Relation de Frédéric Badoaro au Sénat de Venise, dans GACHARD, Relations des
ambassaâeurs vénitiens, .p. 81.
(20) Liber retauonum; fo. 245fO et 245vO •

(21) « A cavallo compariva cosi bene quando cavaliere Q principe che si potesse
videre et massime quand' era armato et riccamente addobbratoegli e il cavallo con
e soliti pennachi alla grande, stan do oltr' al va go con tanta attillatara, garbo et porte
il cavallo che invaghino tanto i soldati che s' inflamavono tanto d'anime bellicoso che
non desideravono altro che d'esser seoo a comhattere con e nemtct » (Liber reiatunuun,
loc. ctt.).

29
ou de soie de toute première qualité. Toujours, les bas de soie, les
Iacets, les chapeaux à plumes, les ceinturons ou les baudriers, le poi-
gnard et l'épée étaient adaptés de façon à créer un ensemble de bon
goût. Le jour de l'an, Alexandre avait T'habitude de distribuer ses
habits à ses camériers et à ses gentilshommes, qui se les dispu-
taient; même les capitaines espagnols de noble souche n'oubliaient
point de les demander à l'avance et de s'en faire promettre l'un ou
l'autre qu'ils avaient particulièrement admiré.
Nous retrouvons ici le Farnèse de la cour d'Espagne, avec sa
prodigalité et son goût des dépenses, qui avait alarmé si souvent le
due Ottavio et même Marguerite de Parme par le montant excessif
de ses dettes.
Toutefois, si le prince avait conservé ce goût du faste et du luxe
et faisait montre d'une générosité excessive, en sa qualité de gouver-
neur et capitaine général des Pays-Bas il avait trouvé l'occasion
d'exercer cette générosité pour des motifs élevés ou dans des buts
nobles et dignes de respect.
Il faisait largement l'aumône aux pauvres du pays. Chaque jour,
sa maison leur distribuait par son ordre du pain blanc et leur remet-
tait les restes des repas du matin et du soir: ce service de bienfai-
sance comptait de 150 à 200 bénéficiaires tous les jours. Sa libéralité
se manifestait aussi vis-à-vis de ses domestiques, dont il aH:ége.aitles
misères ou dont il payait souvent les dettes. Il leur faisait remettre
un mémorial et si l'examen qu'il confiait aux fonctionnaires de sa
trésorerie particulière avait révélé que l'on se trouvait devant un
honnête homme et un bon serviteur, il faisait verser une somme
suffisante pour tirer les requérants d'embarras (22).
Les malades aussi étaient Pobjet de son attention et de sa
libéralité particulières. Il faisait bénéficier de celle-ci ses amis et les
serviteurs de sa maison, mais 'surtout les soldats blessés ou infirmes.
A la cour, en campagne, et dans n'importe quel endroit où il se trou-
'vait, le service d'hôpital était toujours bien organisé, avec des bar-
biers, des apothicaires et des médecins en nombre suffisant et un
personnel bien stylé. Le prince faisait rêgulièrement prendre des
nouvelles de ses malades et de ses blessés et, s'il s'agissait de gentils-
hommes, les visitait plus d'une fois en personne.

(22) il. ce propos Rinaldi affirme: « Al sua dir non c'era più replica ... elle seclo Il
quel elle comandava non ibisognava repllcare al dette SUD chi non volepa la sua
disgrazia et questo è uiteroenuto a me moue volte » ,(Liber relationum, fo 243).

30
Lorsqu'il s'agissait de serviteurs ou de fonctionnaires de sa
maison, cette sollicitude et cette largesses 'attachaient jusqu'aux
détails. Si, au <Joursde la campagne, un gentilhomme ou un fonction-
naire tombait malade, Farnèse le faisait aussitôt envoyer dans un
endroit où il serait en sûreté, d'ordinaire le confiant à quelque femme
capable de prodiguer de bons soins au patient. Le prince Iaissait
aussi auprès du malade un membre ide ,sà maison avec la somme
d'argent nécessaire pour payer tous les frais de l'entretien et des
services médicaux. il agit de la sortependant aaparticipation à la
guerre contre les Turcs, en 1571~1573:il y eut alor-s â Messine et à
Palerme jusque près de 90 malades Taisant partie de sa, maison;
il fit chercher les meilleurs médecins qu'on pouvait trouver dans ces
deux villes, et mobilisa tout un personnel pour soigner ses gentils-
hommes et ses serviteurs,aux frais de sa propre bourse (23).
S'il se montrait charitable et bon, il exigeait aussi, d'autre part,
une correction et une exactitude parfaites des fonctionnaires de sa
cour et de sa maison dans le paiement des gages et des pensions.
Les familiers qui n'étaient pas nourris à la cour touchaient deux
doubles d'or par mois pour leur nourriture et un salaire qui était
en rapport avec leur qualité et leur rang social. Cette indemnité et
ce salair-e leur étaient toujours payés chaque mois avec une régula-
rité absolue. Quant à ceux qui mangeaient à sa table, ils touchaient
leur traitement tous les trois mois, avec la même exactitude. Les
débiteurs du .prince devaient être payés et toutes les dettes devaient
être éteintes au moins le jour de l'an.
Aussi, Alexandre Farnèse avait-il un crédit inébranlable auprès
des marchands, qui étaient pour lui des prêteurs d'argent indispen-
sables. Ils savaient qu'il tenait ses promesses et que sa loyauté était
sans réserve. Sur simple parole ou signature de sa part, ils lui
prêtaient, pour les besoins de la guerre, 200.000 ou 300.000 écus à la
fois, alors qu'à Philippe II ou à ses ministres ils n'auraient pas
avancé un réal. C 'est ce qui explique que, malgré les retards que le
Roi mettait à envoyer à son gouverneur en Flandre l'argent néces-
saire, celui-ci parvenait à se tirer d'embai'ras et à faire face à des
situations qui devaient souvent paraître inextricables (24).

(23) Liber relationum, r- 243 vo.


(24) Liber relationum, fo 243. « Se non havesse havuto questo credite con i meroa-
tantl, per i mancamenti dl denarl che c'erono, el maneggëo della guerra saria andata a
traverse ln ognt cosa et egli in questa maniera andava rdparando, di quando in quando
alla strettezza de denari... » (Ibidem).

3i
Pour faire face à ses obligations, Farnèse n'hésitait jamais à
engager son propre avoir. Pour acheter la réconciliation des princi-
paux seigneurs wallons en 1579 et pour donner les cadeaux et les
mercèdes qu'ils ne cessèrent de réclamer avec tant de cynisme et de
convoitise, il contracta des dettes dont ses héritiers subirent long-
temps après le contrecoup (25). D'ailleurs, lorsqu'il s'agissait du
service du Roi, Alexandre ne lésinait point sur le fait dels avances
d'argent à faire ou des dépenses à supporter. Les sommes qu'il paya
de SOntrésor personnel en faveur de Philippe II pendant sa partici-
pation à la guerre contre les Turcs et pendant les seize années qu'il
le servit aux Pays-Bas atteignent un total d'un million d'écus
d'or (26).
Il ne s 'appropria jamais le butin fait à la guerre. S'il arrivait
que les gentilshommes de sa maison en eussent pris une partie
qu'ils lui destinaient ou qu'Ils désiraient garder au profit de la cour,
il le leur reprochait avec véhémence et faisait immédiatement resti-
tuer les objets, les sommes ou les meubles dont on s'était emparé. A
ses amis et à ses soldats, il voulait bien laisser les dépouilles de la
campagne, mais dans une juste proportion. Le droit de guerre du
XVI" siècle considérait comme propriété du vainqueur ou de l'occu-
pant le foin, le froment, le blé des régions où l'on campait : cepen-
dant, le prince de Parme ordonnait d'en payer la saisie ou la réquisi-
tion aux propriétaires, dans la mesure où les circonstances permet-
taient de le faire. S'il s'agissait d'objets enlevés aux habitants, il
arrivait souvent que le prix en était payé deux fois, Farnèse ordon-
nant de dédommager les soldats afin qu'ils renonçassent à leur droit
de butin et de payer aux habitants les sommes qu'ils réclamaient
pour ce qui leur avait été enlevé. Plutôt que d'instruire un procès
pour savoir qui des deux avait raison, le prince préférait payer des
deux côtés pour mettre fin aux contestations (27). Cette conduite lui
valut, en Espagne, l'accusation de dilapider les biens de l'Haçie1~da
royale et, en Flandre, l'étonnement de ses propres subordonnés.
Ne voulant s'approprier un réal de l'argent envoyé par Phi-
lippe II pour les besoins de la guerre en Flandre - Don Juan
n 'avait pas eu cette délicatesse - il avait établi une distinction sévère

(25) Voir les documents concernant le mariage du baron de Montigny dans A. F. N.,
Carte farnesiane, Fiandra, fasclo 1706.
(26) Lioer relatumum, fo 254.
(27) Liber relationum, r- 2441'0.

32
errtreIe maniement de ces sommes et celui de son trésor personnel.
Seuls' les contadors et les, pagadors officiels de l'armée avaient la
distribution des subsides royaux. A l'encontre de ses prédécesseurs,
fe prince n'autorisait jamais les trésoriers de sa maison à toucher
aux sommes destinées au gouvernement ouà la guerre (28).
Aimant le faste et sachant que celui-ci pouvait être aussi un
moyen de gouvernement, la majesté et la gloire dont l'autorité
s "entoure imposant nécessairement plus de révérence et de respect,
il avait avec lui, aussi bien pendant la campagne qu'en temps de
quartier d 'hiver et d'armistice, une cour nombreuse, composée de
gens de toutes nations : Espagnols, Italiens, Allemands et Flamands.
Sans compter les piétons et les vivandiers qui en faisaient partie, on
'peut estimer cette foule à plus de 1.500 personnes, puisque les four-
riers qui la suivaient avaient à s'occuper de plus de 1.500 che-
vaux (29), Le princ-e s'efforçait d 'y maintenir une discipline sévère;
par contre, il voulait que toutes ces personnes fussent bien entre-
tenues et bien nourries.
Ses cantines étaient toujours fournies de toutes sortes de bon
vin et ses cuisines remplies de bonne viande, crue et cuite, qu'il
mettait liibéralement à la disposition de ses gentilshommes, qui pou-
vaient s'y ravitailler à volonté, surtout lorsqu'on était en campagne
et que beaucoup de choses étaient inaccessibles (30).
Lui-même avait eu coutume, dès sa jeunesse, de se régler dans le
boire et le manger selon les exigences de la nature et l'appétit du
moment. Mais lorsqu'il approcha de la quarantaine, il s'obligea à
être sobre. Oette sobriété, il ne se l'imposa point par souci de sa
santé, mais pour dormir moins et pour être à tout instant plus dispos
et d'intelligence plus éveillée. TI n'avait dailleurs jamais eu de
dispositions pour discerner la finesse du vin ou la qualité et la bonne
préparation de la nourriture. Il se surveillait de près avec la disci-
pline qui fut toujours la règle de sa vie. A l'âge de trente ans, une
hérédité désagréables 'était fait sentir: la goutte, qui avait torturé
Charles-Quint, qui faisait beaucoup souffrir Marguerite de Parme,
et qui avait aussi atteint ses ancêtres paternels et maternels, avait
fait assez tôt son apparition. Sur le conseil de ses médecins, le prince
avait adopté comme boisson de l'eau bouillie mélangée de cannelle.

(28) Liber relationum, fD 244vo,.


(29) Liber relatumum, fo 254,
(30) Liber reiatumum, t- 245.

33
Ge régime ne 1'empêchait voependant pas de s'intéresser aux
choses de la table et on le voyait plus d'une fois parcourir SBS
cuisines - où il entretenait les meilleurs cuisiniers qu'on pût trou-
ver - et d'assister à la confection des plats qu'on destinait aux
gens de sa maison et à lui-même (31).

Tel était l'homme. Quant au chef d'armée et au politique, il


convient d'en dire aussi quelques mots. Dès sa jeunesse, nous l'avons
vu, il s'était intéressé aux choses de la guerre. Il s'était formé à
l'école d 'hommes dont nous avons cité les noms et que nous rappe-
lons ici: l'ingénieur Francesco di Marchi, le proveditor vénitien
Sforza Pallavicino, les comtes de Santa Fiore, les deux frères
Vitelli, Don Alvaro de Sande, le marquis Ascanio della Cornia,
condottieri ou guerriers fameux qu 'il avait pu admirer dans la
guerre contre les Turcs, ou dont il avait suivi les exploits en Flandre.
Doué de réflexion à un degré remarquable et en ce point tout
différent de Don Juan - « ce n'était ni un rêveur ni un homme à
projets » dit justement de lui Mottley (32) -, Alexandre Farnèse ne
se croyait pas dispensé de suivre les conseils d'autrui et ne se fiait
pas exclusivement à s'a propre expérience. Il ne négligeait aucune
source d'information avant de marcher contre l'ennemi ou d'entre-
prendre le siège d'une place forte. Aux conseils de guerre, il écoutait
patiemment tout le monde et était attentif à 1'avis d'un chacun. Il
répondait à toutes les, observations et finissait par donner sa
propre opinion, ne s'obstinant jamais dans celle-ci s'il lui était
apparu que l'idée d'autrui était meilleure. En rase campagne, aux
tranchées de siège, aux corps de garde, il parlait avec les simples
soldats et écoutait leurs réflexions. Tl avait coutume d'affirmer que
tout le monde pouvait dire quelque chose de sensé et qu'il avait plus
d'une fois entendu de la bouche d'humbles hommes de troupe des
observations qui égalaient l'avis des guerriers les plus expérimentés.
Lorsqu'il avait quelque entreprise en vue, il commençait d'ordi-
naire par réunir les membres de son conseil de guerre, puis, après
Ies avoir écoutés avec attention et déférence, les licenciait en disant:
« C'est bon; nous examinerons la question encore une autre fois »,
sans trahir quelle était sa véritable intention. Entrctemps, il donnait

(31) Liber relationum, fo 245.


(32) La révolutian des Pays-Bas au XVI" sMcle, trad. elt., t. V, p. 264.

34
des ordres pour exécuter le plan qui lui semblait le mieux adapté
aux circonstances, sans en faire connaître Pessence, Seuls quelques
confidents étaient mis dans le secret. Il feignait de sie rendre en un
endroit précis et, de fait, s'en allait dans un autre,apparaiss.ant sur
le terrain là où l'ennemi ne l'attendait point. Avant de commencer
une campagne, il interrogeait, plusieurs jours avant le début des
opérations, ses gentilshommes de chambre, pour la plupart seigneurs
et principaux du pays et de nations étrangères, pour savoir quels
étaient les desseins qu'on lui attribuait. L'un disait : « On raconte
que vous allez vous lancer dans telle entreprise »,et Farnèse répon-
dait : « Oe serait une bonne entreprise ». Un autre disait: « Mais
non! voici le plan qu'on vous soupçonne d'avoir établi » et le prince
de répondre : « Eh bien! ce plan-là aussi serait bon» et ainsi il allait,
dépistant la curiosité de touset s'informant lui-même très bien des
bruits qui circulaient. A tous il répondait: « Les Flamands ont beau-
coup de jugement »; à d'autres il disait : « Je tiendrai compte de
tous vos avis »; à la plupart, il faisait connaître que son plan diffé-
rait du leur, mais sans Siedécouvrir le moins du monde.
Entretemps, il savait où il frapperait, et une rois sa décision
prise, il l'exécutait avec une ardeur farouche, ne s'octroyant pas à
lui-même le temps le plus minime entre la décision finale et la réali-
sation du projet (33).
Alexandre Farnèse n'était d'ailleurs pas loquace. Dans sa jeu-
nesse, cette attitude lui avait valu, à Bruxelles, la réputation d'être
hautain et dédaigneux. Mais c'était chez lui une attitude née de S'a
nature : comme tous les grands actifs, il dédaignait les paroles inu-
tiles et ne parlait qu'à bon escient. Toutefois, il se départissait de
sa réserve avec ses officiers et ses soldats, lorsqu'il fallait les encou-
rager et les soutenir dans leur dur métier, ou lorsque les devoirs de
sa charge le contraignaient à être éloquent ou persuasif. Avec les
ambassadeurs qui le visitaient ou les hommes politiques qui l'abor-
daient, il parlait en ordonnant clairement ses idées et en employant
une langue imagée. La langue espagnole, il la parlait à la perfection,
y mettant des intonations et accompagnant sa parole de gestes qui
faisaient croire à d'aucuns qu'il était né en Espagne.
Nous avons vu que cette circonstance avait plu très peu aux
seigneurs des Pays-Bas qui l'approchèrent pour la première fois
lors de son mariage à Bruxelles. Jusqu'à la mort de Don Juan

(33) uu» retaûonum, r- 248.

35
d'Autriche, et par suite même de l'éducation qu'il avait reçue, il
affectionna avant tout la langue espagnole et se donnait l'air d'un
Espagnol. Mais une fois devenu lui-même gouverneur général des
Pays-Bas, le prince italien qu'il était réapparut au premier plan et
il se glorifia d'être né en Italie. TI comprenait le latin, le flamand,
l'allemand et le français, mais il ne parlait cette dernière langue que
difficilement, en mêlant aux mots français des 'mots italiens (34).

:0;;:
*.~ *

Alexandre Farnèse avait donc été désigné par Don Juan mourant
pour lui succéder comme gouverneur et capit.aine général dés Pays-
Bas, jusqu'au moment où le Roi ferait connaître ses intentions à
ce sujet.
L'armée prêta serment au nouveau gouverneur par l'intermé-
diaire de ses chefs et cet acte d'obéissance fut successivement posé
par tous ceux dont on pouvait l'exiger: le comte Pierre-Ernest de
Mansfelt, en sa qualité de maître de camp général; le comte de
Berlaymont, comme général de l'artillerie, gouverneur du comté de
Namur et colonel d'un régiment allemand; le comte de Rœulx, comme
chef des troupes wallonnes; le comte de Fauquemberg, le baron de
Hautepenne, le haron de Manderscheid, et tous les autres colonels des
troupes « flamandes »; Ottavio Gonzaga, chef de la cavalerie, avec
tous les capitaines des lanciers et des arquebusiers à cheval; le lieu-
tenant du duc de Brunswick, qui commandait 3.000 cavaliers alle-
mands ; le duc de Saxe, colonel de 1.500 reîtres; le sire de Samblemont,
colonel de 1.000 cavaliers allemands; Charles Fugger et le baron de
Fronsberg, colonels d'infante.rie allemande; le baron de Chevraux
avec ses Bourguignons; finalement, M. de Naves, proveedor général
des vivres, avec tous ses commissaires, contadors et officiers (35).
La nomination du prince de Parme fut très agréable à l'armée,
dont il avait su conquérir les sympathies. Même ceux dont on aurait
(34) Liber 1·elati.onum, fo 249. Une preuve typique de ce fait dans le récit de PIERRE
DE COLINS, Histoire des choses les plus mém01·Œbles...., éd. clt., p. 615 : « Je vis en Iadicte
ville [Lille] les bourguemaistres deputez présenter leur requeste à Son Altesse ..., attestans
qu'ils ne devoient rien de reste, affin de pOUVOirencor vivre soubs la mesme contribution.
Le Prinee leur donna pour response: Manque denari [il n'y a pas d'argent]. » et p. 618:
« Le Prince ayant bénignement escouté la harangue qu'à cest effect luy faisoit 'le seigneur
d'Orembroucq, leur fit la responce en langage italien, meslé de françois, en la forme
telle que j'ay entendu estant présent. »
(35) Liber reiatumum, fo 47,"0_48ro. Les Espagnols n'étaient pas obligés à ce serment:
« 10 cual se jur6 alll por las personas à quien toea asegurar por [uramento.. que en

36
pu soupçonner qu'ils ne le voyaient pas de trop bon œil, comme
l 'inirigantOttavio Gcnzaga ou l'ancien secrétaire de Don Juan,
Andres de Prada, ne purent que confirmer au Roi la bonne impres-
sion que la désignation d 'Alexandre Farnèse avait produite chez
tons (36).
Qu"en pensait le prince lui-même? Il convient de rappeler ce
qu'il écrivit à sa mère peu de temps avant la mort de Don Juan.
d'Autriche, lorsqu'il parla de l'avenir. Il n'avait montré alors aucun
enthousiasme à l'idée de devoir rester en Flandre, parce qu'ils 'ima-
ginait que la paix n'était pas loin et parce que Don Juan lui avait
laissé entrevoir que lui, Farnèse, serait chargé de réformer l'armée et
peut-être de la conduire hors des Pays-Bas. Cette perspective ne lui
avait guère souri et à la simple idée d'être obligé d'accepter une
telle charge, il avait, un instant, conçu le projet de quitter les Pays-
Bas,sous prétexte qu'il avait des intérêts de famil1e à défendre.
Seules, avait-il dit à sa mère, la gravité de la situation en Flandre et
la crainte de paraître esquiver les responsabilités l'engageaient à ne
pas déserter son poste (37).
Ges paroles de Farnèse étaient très probablement sincères. Ce
qui le guidait toujours dans ses actions - et sur ce pointDttavio
Farnèse et Marguerite de Parme l'avaient toujours 'encouragé -
c'était le souci de son honneur Bi de sa réputation, dont il avait une
très haute idée {38).
Ce souei, que le prince de Parme poussa toujours très loin durant
sa vie, lui avait fait accepter contre son gré l'entreprise du siège
de Limbourg, comme indigne de lui après le refus du comte de
Mansfelt de s'en charger, et combien de fois Marguerite de Parme
elle-même n'y avait-elle pas fait appel lorsque Alexandre, impatient
de se rendre utile, avait voulu s'engager dans des entreprises qui
semblaient inférieures à sa situation et à son rang.

nuestra naeion no se usa, pues hay otras prendas que nos obligan tanto ». Le maUre
de camp D. Gabriel Niiu: de Çwliga a D. Diego de CordOba, camp de Bouges, 1er octo-
bre 1578 (PORRENO, Historia aet seren. senor Don Juan de Austria, p. 518).
(36) Jean-Baptiste de Tassis au RoJ, Bouges, 2 octobre 1578 (A. G. R., Copies de
Simancas, vol. !ibis, fo 3); Andres de Prada à Antonio Perez, Camp de Bouges, 21 octo-
hre 1578 (Ibidem, fo 78); Gonzaga au Roi, Bouges, 1er novembre 1578 (Ibidem, fo 102).
(37) Farnèse à sa mère, Camp près de Graesen, 5 septembre 1578, dans A. F. N.,
Carte tamesume, Fiandra, fascio 1624.
(38) Voici, à ce sujet, UîIl texte caractértstique : « E pué molto bene credere il Duca
[Ottavio) che chi stima l'honor 'come me, non si move s<c non per rtputatione suae di
Lutta la casa ». (Même lettre).

37
C'est encore ee même souci qui mit le prince dans un cruel
embarras au moment où il fut question d'accepter la succession de
Don Juan d'Autriohe.
La situation qui se présentait en Flandre était, en effet, loin
d'être encourageante et un homme qui était avide de succès et de
gloire militaire ne pouvait que la considérer avec crainte. Si, depuis
la bataille de Gembloux, l'armée royale avait pu ajouter la posses-
sion du duché de Limbourg à celle des deux provinces de Namur et
de Luxembourg et d'une partie du Brabant, on ne pouvait négliger
la perte d 'Amsterdam et de plusieurs villes du Nord. On ne pouvait
surtout oublier que, grâce à l'intervention pécuniaire d'Elisabeth
d'Angleterre et au secours fourni par le palatin Casimir et par le duc
d'Anjou, les rebelles avaient pu mettre sur pied une armée considé-
rable qui, peu à peu, dépassait en nombre les forces espagnoles,
Le prestige de celles-ci, qui s'était relevé d'un bond par la victoire
de Gembloux, avait disparu depuis l'échec de Rijmenam et celui-ci
avait été suivi d'une humiliante retraite jusqu'à ce fortin de Bouges,
où Farnèse se trouvait pour ainsi dire assiégé (39).
Sans doute, cette position était forte et avait été bien dotée de
toutes les devises de défense par le vieux capitaine! expérimenté
qu'était Gabrio de Serbelloni. S'étendant en partie sur les collines
dominant Namur de ce côté, elle était pourvue de tranchées et
flanquée de redoutes, la partie sud s'appuyant à la Meuse.
Mais Farnèse devait s 'y sentir comme un lion acculé et cerné
dans sa tanière. Bouges et Namur se trouvaient d'ailleurs sur le
passage des troupes de secours qui venaient d'Italie par l'a Savoie,
la Bourgogne, la Lorraine et le Luxembourg et il ne pouvait être
question de laisser cette position se perdre sans, provoquer un
désastre (40).
Tout semblait de nature à exclure de grands espoirs, au moins
dans un avenir immédiat, et la promesse de victoires devait
s'estomper pour le prince de Parme dans un éloignement incertain et
obscur. Ce qui semblait l'inquiéter surtout, c'étaient les desseins des
Français : à bien des reprises, en écrivant à sa mère pendant les

(39) FEA, Alessandro Fornese, p. 68; Liber relationum, fO 48. Alonso Vasques écrit :
« 'l'edo esto pudiera causargran terrer "Yespanto al principe de Parma, que se hallaha
enoerrado con todo el exercitoespaiiol en el forte de Bujen .... » (Los succesos, loc, clt.,
j). 149).

(40) us» retauonuni, fO 48.

38
dernières semaines de la vie de Don Juan, il avait exprimé ses
craintes à ce sujet (41).
D'autre part, le prince n'ignorait point que sa famille se trouvait
vis-à-vis du Roi dans une situation délicate. Il restait toujours cette
question de la citadelle de Plaisance,dont la restitution était le but
principal de la politique farnésienne. De même que Marguerite de
Parme avait accepté autrefois la mission périlleuse de gouverner
les Pays-Bas dans I'espoir que ce dévouement engagerait le Roi à
rendre la forteresse, le prince se disait que tout refus de sa part de
continuer à servir le souverain en Flandre pourrait avoir pour les
intérêts dvnastiques de sa maison des conséquences incalculables.
De plus,en ce moment, il ne s'entendait plus du tout avec son père
Ottavio et il ne devait pas envisager sans appréhension la perapec-
tive d'un retour à Parme et d'une reprise de la vie en commun avec
le duc (42).
Dans ce conflit de sentiments contradictoires, c'est cependant le
souci de sa réputation qui semble l'avoir le plus préoccupé. A la fin
d'octobre, au moment où il fut confirmé par le Roi dans le poste que
Don ,Juan lui avait confié, il écrivit encore à sa mère que « la situa-
tion des affaires aux Pays-Bas était si mauvaise que tout homme de
bon sens devrait refuser le poste de gouverneur, s'il pouvait refuser
honorablement » (43).
C'est précisément l'impossibilité de « refuser honorablement »
cette mission qui a fini pal' décider le prince de Parme à accepter. Si
Alexandre Farnèse fut toujours vivement préoccupé de sa réputa-
tion, il possédait cependant aussi à un degré élevé le sens de l 'hon-
neur et une vue très nette de son devoir. Il comprit que celui-ci
l'obligeait à ne pas abandonner le Roi en ce moment. C'est ce qui
ressort très nettement d'une lettre qu'il adressa à son père Ottavio,
Celui-ci avait manifesté son mécontentement de voir, comme il le
disait, le trop grand empressement de son fils à se mettre au service
d'un souverain étranger et à se compromettre dans une mission péril-
leuse et dans un pays où il n'était guère possible en ce moment de
cueillir des lauriers (44). Une correspondance de ton assez violent

(41) Lettre du camp de 'I'irlemont, 7 août '1578 (A. F. N., Carte tamesume Fiandra,
fascio 1624); Lettre du camp de Graesen, 4 septembre 1578 (Ibidem).
(42) Cfr FEA, o. C., pp, 65-66.
{43) Farnèse à sa mère, camp de Bouges, dernier octobre 1578 (i\.. F. N., Carte tome-
siane, Pianâra; fascia i624).
(44) FEA, o. c., pp. 65-66.

39
avait été échangée à ce sujet entre le père et le 'fils (45). Une des
lettres envoyées à cette occasion par Alexandre nous expose si claire-
ment la succession des sentiments qui l'agitèrent, qu'il. est nécessaire
de la reproduire ici :
« Je confesse, dit le prince à Ottavio, que j'ai eu les mêmes
pensées que Votre Excellence. Je vous le témoignai,en vous entre-
tenant de la maladie de Don Juan, et je sais,comme vous me faites
l'honneur de m'en avertir, que je n'ai été que trop pressé en acceptant
cette charge. J'aurais dû m'efforcer de l'endosser au Conseil
d'Etat, mais je considérai que le mal des Pays-Bas procédait de ce
que, après la mort du Grand Commandeur (Requesens), le Roi avait
donné le gouvernement au Conseil d'Etat; je constate que tout le
monde demeure ici daccord que les calamités qui suivirent ne seraient
point arrivées si le Roi eût promptement envoyé un successeur.
D'ailleurs, si l'armée royale n'avait pas eu de chef, elle se serait
infailliblement débandée à la suite des intrigues de quelques nobles,
des mauvaises manœuvres qui refroidissaient les esprits et même pa!
les entreprises de quelques grands seigneurs qui étaient sur le point
de se détacher du service du Roi et qui eussent peut-être passé dans les
rangs des Etats, s'il y avait eu quelque désordre parmi nous. Enfin,
après avoir, auparavant, demandé à Dieu des forces capables de
soutenir un si grand poids, je me résolus de risquer ma réputation et
mon honneur, dont je voyais la perte assurée si le Roi m'eût oublié
ou si des insuccès eussent fait condamner mon entreprise, plutôt que
d 'abandonner, en récusant cette charge, le reste des Pays-Bas sans
secours et sans défens-e au pouvoir de l'ennemi,
» Comme Dieu sait que je ne me suis exposé à ce risque que pour
avoir des occasions de témoigner ma fidélité au Roi et qu'il n 'y il
point de péril que je ne méprise pour sa cause, j 'espère aussi que
Dieu aura tant de soins de ma conduite qu'il ne permettra pas
que je fasse rien qui ne réponde aux souhaits de Votre Excellence et
à l'extrême passion que j'ai pour le service du Roi. » (46)
. (45) Voir surtout la lettre du duc du 4 décembre 1578, où oelul-ci constate que son
fils n'a jamais suivi sesoonsells et 'ajoute: « l'andata vostra ln Fiandra, nel modo che
et ariuate. sopra i quall io non voglio stare e discorrere più oltre, ma dir6 solo che
gli hominl di giuditio non si fondano sopra gli esiti, come cosa Incerta, ma sopra la
raglone. » (A. F. N., Carte îarnesiane, Fiandra, fascie 1624). Cfr aussi FEA, o. c., p. 65-66.
(46) Le texte ellecette lettre nous a été conservé par STRADA,Histoire de la guerre des
Pays-Bas, éd. clt., t. II, pp. 403-404. Des raisons identiques sont développées par le prince
dans les lettres qu'il envole j, sa mère, au cardinal Farnèse et au pape Grégoire XIII:
Farnèse à sa mère, Bouges, 6ootobre 1578, Farnèse au Cardinal Farnèse, Bouges, 3 et
22 octobre 1578 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1624); Farnèse' au pape
Gr~goire XlII, Bouges, 2 octobre 1578-, dans A. V., Leitere di pl'incipi, t. 42, fOS 14.0 et 151-

40
Dans ce doctunentseretrouventlasagesse-politlque, lé sentiment
de l'honneur et le loyalisme d~Alexandre Farnèse (47) : Philippe II
pouvairu'eetimeriheureux d'avoir à la
tête de son patrimoine de
Flandre un tel gouverneur (48).

'*' " '*'

Au moment où Alexandres 'était décidé à rester en Flandre,


comment -se présentait hl situation militaire et politique 1
Au fort de Bouges, que Gabrio deSerbelioni et l'ingénieur Sei-
pion Oampi avaient rendu aussi inexpugnable que possible, Don Juan
avait concentré la plus grande partie de son armée; la cavalerie
dOttavio Gonzaga se trouvait éparpillée dans les villages voisins (49).
O'est dans cette position, défendue par de bonnes palissades, des
redoutes et des fortins, qui en jalonnaient le périmètre, qu 'Alexandre
Farnèse fut d'abord contraint dattendro les événements. Le retran-
chement principal ne dépassait pas l'étendue de 1.500 pas, afin qu'on
pût d'autant plus facilement le défendre (50). On y avait amassé la
plus grande quantité possible de vivres, réquisitionnés dans les
régions amies (51). On pouvait craindre, en effet, que les ennemis, se
rendant maîtres du cours de la Meuse et de la Sambre, n'arrêtassent
tout envoi de ravitaillement et ne parvinssent à affamer la garnison
de Bouges. Déjà, à maintes reprises, ils s'étaient aventurés en
barques SUI' la Meuse pour rançonner le pays. La cavalerie de Gon-
zaga déployait tous ses efforts pour empêcher ces expéditions de
pillage (52).
A Pintêrieur du camp de Bouges, la situation était lamentable.
Par cet automne pluvieux, on y pataugeaitdans la boue et pour se
rendre d'un baraquement à l'autre, les soldats étaient obligés d'entrer
dans l'eau jusqu'à la ceinture. Quelquefois, pour chercher les vivres

(47) Au sujet dies sentiments qui agitèrent Faruèse à propos de sa mission, Strada
a mi-sen avant des motifs et des réflexions que nous considérons comme inexacts, car
nous n'en trouvons aucune trace dans la oorrespondance du prince. Cfr STRADA,o. c.,
1. II, pp. 423-/125.
(48) « Cierto yo holgara mucho escusarme desta carga. Pero como nacl para servir
à S. M. yo no vine aquî à otra cosa ; paresciüme que no cumpliria con mi obligacion si en
este occasion dejase de mostrar el amor y çelo que tengo Ii su servicio. » Farrnèse à
Antonio rere«, Camp de Bouges, 2 'octobre 1578, dans PORRENO, o. c., pp. 520-521.
(49) STRADA,o. C., t. II, p. 401.
{50) STRADA,o. c., t. III, p. 11.
(51) CAMPANA,Della truerra di Fiandra, p. 214.
(52) Liber relatumuni, r- 48; FE'\', o. c., pp. 84-85.

41
dont ils avaient besoin, ils étaient 'Obligés de marcher douze ou qua-
torze lieues, au péril d'être surpris et abattus par l'ennemi {53).
Celui-ci, après la pris-e de Gembloux, s'était établi à trois lieues
de distance du camp espagnol. Pour le moment, il était maître de la
campagne et ses soldats faisaient fréquemment des attaques subites
et rapides et parvenaient jusqu'aux tranchêes même-s. Le prince de
Parme ne pouvait leur opposer que des troupes infêrieures en
nombre, des soldats nécessiteux, mécontents et démoralisés et dont
beaucoup étaient malades. La fièvre typhoïde avait continué à faire
des victimes : dans les quartiers du camp, on voyait étendus de
nombreux morts, qu'il n'avait pas été possible d'enterrer, et une
grande quantité de malades (54). Le prince, conformément à son
habitude, avait pris immédiatement des mesures pour secourir ces
malheureux de sa propre bourse, et donné ordre aux services de sa
maison de leur fournir la nourriture. Dtautre part, il envoyait dans
toutes les directions des partis de fourrageurs qui battaient la cam-
pagne pour augmenter les provisions de vivres. Les prisonniers que
l'on fit en ces diverses occasions furent employés à aider les soldats
dans leur dure besogne (55).
Les forces militaires dont le prince disposait en ce moment
étaient certainement inférieures en nombre aux troupes du comte de
Boussu, son adversaire. Celui-ci semble avoir eu, dans son camp non
loin de Gembloux, quelque 50.000 combattants (56), tandis que, du
côté espagnol, des témoins bien informés estimaient le chiffre des
forces royales à 25.000 fantassins et 7.000 cavaliers. Il fallait en
décompter 5.000 hommes, qui gardaient les villes au pouvoir de
Farnèse (57). Ces chiffres concordent avec une autre estimation faite
par les mêmes témoins, d'après laquelle l'ennemi dépassait certaine-
ment de moitié les hommes du prince de Parme (58).
Aussi, dans les première-s lettres qu'il envoya en Espagne au
Roi, Farnèse parla d'une « situation terrible » (59). Une autre
(53) VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. clt., p. 149,
(54) VASQUEZ, o. c., pp. 149-150.
(55) VASQUEZ, o. C., lac. cit.
{56) FEA, o. c., p. 85.
(57) Paolo Rlnaldi dans son Liber retationum, r- 44"0.
{58) Libe1' retationum, fo 50.
(59) Farnèse au Roi, camp de Bouges, 2 octobre 1'578, dans A. G. R., Copies de
Simancas, vol. Hbis, fo 9.
Bn parlant alnst, Farnèse n'exagérait pas pour impressionner fortement le Roi,
car au même moment, Jean-Baptiste de Tassls écrivait du camp de Bougies: « por ver
los tlempos tan aehacosos y vldriosos, juzgo que quanto mas presto sobre ello llegare la
orden de V. M. sera. tanto mejor » (PORRENO, o. C., p. 520).
question angoissante, c'était la situation du trésor de l'armée : il
était complètement à sec. Le prince et Ottavio Gonzaga ne cessaient
de décrire cette situation sous les couleurs les plus sombres. Alexandre
fit connaître qu'il était urgent d'envoyer l'argent nécessaire pour
payer la solde due aux vétérans allemands 'enrôlés naguère par Don
Juan. Sinon, une mutinerie se produirait et, comme le nombre des
soldats espa.gnols et italiens que comptait l'armée était petit, il était
à craindre que ces Allemands, se sentant les plus forts, ne devinssent
intraitables (60). Leur insolence serait encore augmentée par l'arrivée
prochaine des troupes que Don Juan avait fait lever par le baron de
Polweiler : il y aurait alors au camp plus de 15.000 fantassins et
8.000 cavaliers allemands et, faute d'argent pour les payer, Farnèse
frémissait d'inquiétude : « le moindre incident pouvait provoquer un
désastre» (61). Les marchands de Besançon, auxquels on avait fait
présenter des lettres de change encore sign-ées de Don Juan avaient
refusé d'y faire honneur: 200.000 écus venaient ainsi subitement à
manquer, sur lesquels le prince de Parme comptait pour faire passer
Ia revue aux reîtres allemands qui tr.aversaient déjà le Luxem-
bourg (62).
A sa mère, Farnèse signalait au même moment que si les Alle-
mands se mutinaient, les solda.ts espagnols et italiens suivraient cet
exemple. Comment sévir, comment licencier éventuellement ces mau-
vaises têtes, sans un réal en caisse! (63)
Si, de ces préoccupations immédiates le prince de Parme détour-
nait son attention pour considérer la situation générale du pays, le
spectacle était loin d'être réconfortant.
Il y avait d'abord la menace de Casimir, J'Electeur palatin, et
des troupes que la politique peu claire d'Elisaheth d'Angleterre
avait introduites aux Pays-Bas. La Reine savait que le prince
d'Orange n'aimait pas les Anglais; elle assistait aux intrigues du
duc d'Anjou; elle ne pouvait oublier l'intervention de Mathias. EUe
résolut d'avoir sur la scène politique des Pays-Bas son représentant
à elle et entam.a des négociations avec Casimir. Pour prix de sa par-

(60) Farnèse au Roi, camp de Bouges, 2 octobre 1578 (Loc. clt.).


(61) Farnèse au Ro,i, Bouges, 20 octobre 1578 dans A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 11bis, to 63,
(62) Ottavio Gonzaga à Antonio Peres, Bouges, 21 octobre 1578, dans A. G. R., Coptes
de Simancas, vol. Hbis, to 80.
(63) Bouges, 22 octobre 1578, dans A. F. N., Carte farnesfane, Flandra, fascio 1624.
Au régiment allemand du colonel de Frons.berg seul on doit « un monde di danari »
(Ibidem).

43
ticipation à la lutte du côté des Êta ts Généraux, elle lui fit verser un
premier subside de 20.000 liv~essterling et lui 'en promit d'autres.
_ Le Palatin partit de Kaiserslautern avec 5.000 cavaliers et
1.000 fantassins : des forces huguenotes le rejoignirent sur le Rhin,
d'autres lui promirent leur concours. A Zutphen, où son armée de
fanatiques livra les -églises aux flammes et ne vécut que de pillages,
Casimir apprit, par un envoyé anglais que la reine d'Angleterre
navait plus besoin de lui et qu'il ferait mieux d'aller s-ervir dans
l'armée du duc d'Anjou.
. . .
Le Palatin ne fut pas trop surpris de cette
- .

volte-face d'Elisabeth: apprenant l'échec des Espagnols .à Rijme-


nam, il entraîna son armée vers Malines, trop tard pour assister à
la retraite de Don Juan. Il se rendit.à Bruxelles, au milieu d'une
compagnie de sectaires, et y alla au prêche. Au moment où Don Juan
mourut, Paventurier apprit le mouvement démagogique qui avait
éclaté à Gand, où la faction d'Hembyze voulait organiser une répu-
blique à l'instar de Genève. L'on sait comment ce mouvement de
sect.aires violents vint traverser les efforts du prince d'Orange pour
maintenir la cohésion entre les provinces rebelles. Aussi, le Taciturne
et les États Généraux essayèrent-ils de retenir le prince allemand à
Bruxelles, Ce fut en vain: le 10 octobre, le Palatin fut reçu solennel-
lement à Gand et y manifesta le désir d'être proclamé général des
Gantois (64).
Que pouvait-il sortir de cette aventure l Toutefois, le prince de
Parme ne semble pas avoir trop r-edouté les conséquences de l'inter-
vention de Casimir en ce moment : peut-être appréciait-il à sa juste
valeur ce « personnage sans cervelle» (65), qui ne demandait qu'à
jouer TIll rôle et à recueillir du butin. C'est du côté du duc d'Anjou
quAlexandre Farnèse regardait avec anxiété, parce qu'il entrevoyait
le danger de l'intervention directe du roi de France aux Pays-Bas.
Le 9 septembre 1578, au son des trompettes, le duc d'Anjou avait
fait publier dans les rues de Mons le texte du défi qu'il adressait à
Don Juan. En v-ertu du traité qui le liait aux États Généraux, il
avait insisté sur une action commune immédiate entre ses troupes et
les leurs. On lui avait indiqué comme objectifs dignes de le t-enter
Binche et Nivelles (66),

(64) KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 201-211, 279-283.
Gft' aussi MOTTLEY, o. c., -éd. clt., t.V, pp. 269 svv.
(65) L'expression est de MoUley (o. c., p. 278). Dans sa correspondance française
Farnèse l'appelle « le Cazlmlrus », peut-être avec une nuance ou une intention de dédain.
(66) KERVYN DE LETTENHOVE, o. c., t, V, pp. 220-222.

44
C'est au moment où Don Juan était mourant qu'une armée
française, sous les ordres de Bussy, vint mettre le siège devant la
première de ces villes. Quelques jours à peine après son entrée en
charge, le prince de Parme devait apprendre que la cité avait été
prise, après une résistance héroïque de la part de ses défenseurs. La
plupart de ceux-ci avaient été passés au fil de l'épée et, rien que clans
l'église principale, les Français avaient emporté un trésor valant
plus de 100.000 écus d'or (67).
Ces événements s'étaient passés le 8 octobre. D'autre part, le
prince de Parme savait que les huguenots à la solde de Oasimir et
des 'État,s s'étaient jetés en Bourgogne dans le dessein de fermer le
passage aux renforts espagnols qui se rendaient à marches forcées
vers les Pays-Bas. Heureusement, là se trouvait le comte Annibal
dAltemps avec 20 enseignes: le prince de Parme put lui envoyer
comme renfort six compagnies de ehevau-légers, et ces forces réunies
suffirent pour couper court à la menace qui se dessinait de ce
côté {68).
Oet ensemble complexe d'événements recélait cependant des sur-
prises favorables à la cause du Roi, dont Alexandre Farnèse n'était
pas le dernier à s 'apercevoir. Les excès des bandes deOasimir, la
répulsion qu'il inspirait aux principaux chefs des troupes wallonnes
encore au service des 'États, la fureur antireligieuse et le régime de
propagande terroriste instauré par les calvinistes gantois devaient
finir par semer la zizanie entre les adversaires du prince de
Parme (69). Il assistait en spectateur attentif au progrès du mouve-
ment qui allait éloigner de plus en plus les provinces wallonnes du
reste de la « généralité» dominée par le prince d'Orange.
De cette lueur d'espoir, Alexandre Farnèse ne détournera plus
les yeux (70). Avec la clairvoyance qu'il possède à un si haut degré
et la sagesse politique qui lui fait voir toutes choses en leur place,
avec cette habileté consommée qu'il a de manier à la fois la guerre

(67) Liber reiatumum, fo 46vO ; LibTO de las casas de Flandes, r- 186vo, 187"0.
(68) Farnèse au Roi, Camp de, BOUSIes, 20 octobre 1578, dans GACHARD;Correspon-
dance d'Alexandre Farnèse ..., dans les Bulletins cie la Commission royale d:histoiTe,
2" sér., t. IV, 1852, pp. 381-382.
(69) Sur tout ceci cfr H. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. IV, 3" édition, pp. 124-135.
(70) Le 20 octobre 1578, il écrit déjà au Roi: « Votre Majesté verra non seulement
en quelz termes se retreuvent les affaires, et la grande division qu'il y a entne les Estatz,
mais aussi ûa voy€ et moyen pour commencher à réunir les cathollcques et des chasser
les héréticques » (GACHARD,Correspoïuumce d'Alexandre Farnèse, loc. clt., p. 380). Le
21 octobre, il écrit dans le même sens, en espagnol (RODRIGUEZVILLA, Correspondencia
de Alejandro Parnesio, loc. ctt., pp. 306-307).

45
et la paix, il va profiter des événements qui s 'annoncent pour briser
en un point important le cercle des ennemis qui le menacent de tous
côtés. Un chapitre spécial de ce travail montrera le rôle qu'il joua
dans la réconciliation des provinces wallonnes.

Comment Alexandre se représentait-il les termes du problème


angoissant qu'il avait à résoudre!
Mottley, traçant du prince de Parme un portrait qui, dans
l'ensemble, est plutôt une caricature, a écrit cependant deux phrases
qui sont absolument vraies : « F'arnêse, dit-il, avait un genre de
caractère tout à lui et tout en lui. il se rendait un compte exact de
l 'œuvre que demandait Philippe, et 'se disait qu'il était précisément
l'ouvrier que Pon attendait depuis si longtemps» (71).
Et tout d'abord, le prince de Parme, qui avait pu observer la
psychologie de son prédécesseur Don Juan et qui avait discerné les
défauts de s'On caractère et de sa politique, était bien décidé à ne
pas imiter ses erreurs. Don Juan n'avait pas adopté, vis-à-vis de
Philippe II, l'attitude qui s'imposait à l'endroit de ce maître obstiné
et soupçonneux. Don Juan avait eu l'habitude de se plaindre conti-
nuellement du Roi et d'incriminer les conseillers qui assistaient le
souverain à Madrid. Colérique de tempérament, il s'était laissé
aller à adresser à Philippe II et à ses collaborateurs des lettres
enflammées, qui avaient offusqué grièvement ceux à qui elles
étaient destinées. Le prince de Parme avait très bien compris que
c'était là un procédé détestable et, avec le tact que les circonstances
demandaient, avait amicalement reproché à son oncle ces excès de
langage (72).
Aussi, devenu gouverneur à son tour, Alexandre adopta tout de
suite un autre système. il avait des qualités qui avaient fait
défaut à son prédécesseur : il était de caractère souple et réfléchi,
de tempérament calme et se distinguait par un jugement solide.
De l'examen de sa correspondance, il est permis de conclure que,
au début de sa mission, il se faisait de ses administrés une idée iden-
tique à celle qu'exprima plus tard l'auteur bien informé du traité
intitulé Oonsidérations sur le gouvernement des Pays-Bas:

(71) La révolution des Pays-Bas au XVIe siècle, trad. ctt., t. V, p. 264.


(72) Liber reiatumum, fo 45 "',

46
« Ce peuple, écrivait cet auteur (73), veut être gouverné avec
modération, douceur et affabilité, avec laquelle on tirera de lui tout
ce qu'on voudra; son naturel est dêtre mené et non forcé, de façon
que si on lui communique ce qu'on désire de lui et qu'on justifie, par
raison, ce qu'on lui propose, on l 'aura entièrement à sa dévotion,
mais lorsqu'on le voit bien disposé, il ne faut pas perdre de temps,
mais aussitôt prendre la résolution et Pexêcuter, Si on la diffère, ces
gen~ se raillent de vous. Charles-Quint avait l 'habitude de dire qu'il
n'y avait peuple au monde qui, étant conduit paternellement, fût plus
souple à se soumettre aux volontés de leur prince que celui des Pays-
! '.- . .

Bas, quoiqu'il n'y eûtpeuple qui haïsse plus la servitude, et que le


respect ne, pouvait s'acquérir chez lui par crainte, car il était
opiniâtre à résister à la force et facile à la douceur. » (74)
Farnèse se rendit bien compte, en effet, qu'il ne fallait pas, aux
Pays-Bas) faire la guerre pour la guerre, mais comme un moyen,
destiné à inspirer la crainte, à désunir ses adversaires, à provoquer
l 'amorce de négociations où le vainqueur pouvait plus facilement
imposer ses conditions. C'est ainsi qu'il écrivit au Roi, le 22 no-
vembre 1578, que rien n'était mieux, pour redresser la situation, que
demployer la douceur, mais qu'il fallait en même temps pouvoir y
joindre, si c'était nécessaire, la force (75). Il partageait en cette
matière l'opinion du cardinal de Granvelle. Celui-ci conseilla au
prince de ne pas imiter les gouverneurs précédents, qui n'avaient
jamais su profiter des occasions qui s'étaient offertes pour traiter
avec avantage: guerriers avant tout, ils avaient fait la guerre pour
leur propre réputation,et non en fonction de la politique du Roi. De
la sorte, ils avaient laissé espérer des miracles, et ils n'avaient pro-
duit que des désastres, La politique des prudents, affirmait avec force
Granvelle, c'était de négocier des accords au moment où l'on se
trouve plus fort que l'adversaire et qu'on a remporté des succès,
parce qu'alors on peut obtenir de meilleures conditions (76).
Le prince de Parme ne devait pas se laisser guider dans cette
voie par le cardinal, car il avait déjà agi de cette façon depuis deux
mois, lorsque ces sages conseils lui furent adressés de Rome (77).

(73) Ed. de Robaulx de Soumoy, t. I, p. 190.


(74) Ceci fut écrit vers le milieu du XVIIe sièole, l'auteur ayant terminé sou' ouvrage
cn 1646.
(75) Lettre citée dans KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. V, p. 294.
(76) Correspondance du cardinal de Granvelle, t. VII, p. 220.
(77) Cette lettre de Granvelle datte en effet du 1cr décembre 1578.

47
Farnèse connaissait le peuple des Pays-Bas, où il avait séjourné
dans sa jeunesse, et où il résidait depuis la fin de 1577. Il avait eu
l'occasion de rencontrer les principaux seigneurs du pays, il avait
pu découvrir leurs défauts et leurs qualités. Il voyait la situation
telle qu'elle se présentaiten réalité, en observateur à l'esprit lucide
et dénué de passion. Il avait pu voir combien la politique suivie par
Don Juan avait été peu adaptée à cette situation et il avait eu le
temps de réfléchir aux remèdes que l'on pouvait peut-être encore
mettre en action.
Il se rendait compte que, en tout état de cause, le Roi devrait
finir par conclure un accord avec ses sujets et qu'un moment vien-
drait où les négociations l'emporteraient sur la guerre. Mais il savait
aussi qu'au moment de reprendre sur ses épaules le fardeau sous
lequel Don Juan avait succombé, la politique de douceur n'était pas
possible. La masse du peuple était sous l'influence de celui qui se
dressait comme son génial adversaire, le 'I'aciturne.
Renon de France a finement analysé cette influence et a vu la
réalité telle que Farnèse dut la voir en la fin de cette année 1578 (78).
Aussi, le prince de Parme ne se faisait aucune illusion sur le
sort des tentatives daccord que le Roi avait déjà fait entreprendre
'par Don J nan et dans lesquelles il s'obstinait aV'BCautant de ténacité
et de confiance qu'il en avait mis d'ahord à préférer le système de
terreur.
A peine installé dans S'es nouvelles fonctions, Alexandre avait
exposé au souverain tonte la gravité de la situation. S'il se mépre-
nait SUT l'importance de J'action du duc d'Anjou, qui' allait bientôt
s'évanouir dans le ridicule, il insistait avec raison sur la probabilité
du refus de paix de la part des États Généraux. Il réclamait de
Philippe II des ordres urgents et précis, et il s 'efforçait de faire
comprendre que le silence que le Roi avait gardé pendant la fin du
gouvernement de Don Juan devait être rompu, si l'on ne voulait aller
à une catastrophe. Meis il savait aussi qu'en Espagne, on ne SB ren-
dait pas compte de la réalité (79) et que les décisions devaient êtr-e
éclairées par ceux qui He trouvaient sur place aux Pays-Bas.

(78) Histoire des troubles des Pays-Bas, t. II, pp. 95-96.


(79) Par exemple ce. texte-cl : « J'aviserai minutieusement le duc dé 'I'erranova
de toutes ces choses qu'il doit savoir, car je me le figure arrivant ici et croyant connaître
la situation telle qu'on désire en Espagne qu'elle soit. Or, cela vest impossible, car la
situation change d'une heure à l'autre. l'> Farnèse à sa mère, Visé, le 12 décembre 1578
\}\. F. N., Carte tarnesume, Fumâra, fascio 162/,).
Voilà pourquoi il demanda à Madrid des ordres pour toutes les
éventualités qui pouvaient se présenter. Lesennremis pourraient
couper complètement les vivres au camp de Bouges, et alors il fau-
drait sortir des retranchements et combattre coûts que coûte. Ou bien
on pouvait songer à sauver toute cettB infanterie et cette cavalerie
assiégées à Bouges, lui donner l'ordre de retraite et se frayer un
chemin parmi les Huguenots qui barraient la route du retour, en
Bourgogne. Quelle décision choisir ~
L'intervention de l'Empereur semblait devoir échouer devant
l'obstination des rebelles, qui envisageaient un tout autre moyen pour
arriver à la paix. « Si Votre Majestè, écrivait le prince, refuse leurs
demandes, il faudra bien reprendre tout de suite la voie des armes,
mais en y mettant plus de ressources qu'on ne l'a fait jusque main-
tenant. Je demande donc à Votre Majesté d 'y réfléchir : ou bien, elle
doit concéder leurs demandes aux rebelles, ou bien elle doit continuer
là guerre » (80).
C'était poser très exactement le problème, et par le ton même
de la lettre Philippe II pouvait bien se rendre compte que son gou-
verneur ne voyait, en ce moment, que la deuxième solution: la lutte.
Il fallait alors un certain courage pour parler si clairement
au Roi. Philippe II avait accepté, nous i'avons vu, I'interven-
.tion de l'Empereur en faveur de la paix et avait même interdit à
'Don Juan de continuer les tractations directes avec les États Géné-
raux : il wemblait espérer beaucoup de cet arbitrage impérial. Dès
la première lettre qu'il adresseau prince de Parme, il lui parle dans
le même sens. Il se l'end bien compte, certes, que l'armée de Flandre
est nécessaire et qu'il ne peut s'agir de la liceacier, puisqu'elle est la
sauvegarde des quelques territoires qui obéissent encore au Roi. Mais
il paraît lui assigner simplement un rôle défensif. Ce qui importe,
c'est de ne pas traverser brutalement les efforts de ceux qui ont
entrepris de le réconcilier avec ses sujets (81).
(80) Farnèse au Roi, Camp de Bouges 2 octobre 1578 (A'. G. R., Copies de Siman-
cas, vol, 1i bis, r- 9).
(81) « Y.o os ruego ... que atendàis a 10 de ahî y à la ejecucion y cumpllmlento de 10
que sahéls que-tenia en orden mi hermano ... y, sobre todo, à la conservacton de la parte
que sie tiene en esos Estados y de mantener en ellos ese ejèrcito, pués importa tante para
el remedie de Jo demàs de ahi, y ma-s en este ocaslon, que se trata de qué las cosas
se acomoden y asienten. Jo rnejor que se pudiere por la via dei concierto y por el medio
del Emperador ». Le Roi à Farnèse, 13 octobre 1578 (PORRENO, o. c., pp. 526-527).
« Y asi dernas., comberna que tambien vos procurais encaminar esto par vuestra
parte por todos los medios y oüctos postbles que ha sido el fin que yo he tenido y tengo
y el que he deseado siempre ... » (Lettre du 13 octobre 1578, dans A. G. R., Copies de
Simancas, vol. iibis, fo 44).
Farnèse avait prudemment laissé entendre que ces efforts pour-
raient être vains. Mais il s'était gardé d'agir comme Don Juan et de
représenter, avec passion, la guerre comme le seul remède efficace.
Avec sa souplesse naturelle, il ne voulait pas contrecarrer ouverte-
men t les idées du Roi.
Il était convaincu que les négociations que devait amorcer l'Em-
pereur ne conduiraient à rien. Il écrivit à sa mère une lettre qui nous
éclaire sur son sentiment à ce sujet (82). Mais, tout en insistant sur
la nécessité de renforcer l'armée, d'envoyer de l'argent pour payer
les soldats, d'être prêt à toute nouvelle offensive, le prince ajoute
toujours une prudente réserve pour ne pas offusquer le Roi : en caso
q~le no aya eiecio la paz (pou» le cas où la paix ne se ferait pas) est
une phrase qui revient toujours lorsqu'il entretient le souverain des
nécessités d'ordre militaire.
C'est avec une habileté consommée qu'il s'efforce d'habituer le
souverain à l'idée qu'il faudra peut-être en revenir à la voie des
armes. Il affirme catégoriquement qu'il n'a aucunement l'intention de
contrecarrer les négociations qui peuvent conduire à un accord (83).
Mais il découvre nettement au souverain les raisons de cette attitude.
Le 3 novembre, il presse Philippe II de présenter le plus vite possible
aux États Génér.aux des Pays-Bas les conditions de l'Empereur et
les siennes propres. Il ajoute que l'espoir de voir aboutir ces négo-
ciations lui paraît peu sérieux, mais il trouve dans ces tractations un
moyen de démontrer que, au moment où la chance semble favoriser
le Roi, celui-ci est suffisamment magnanime pour offrir la réconcilia-
tion à ses sujets. Ne constate-t-on pas, en effet, que les forces mili-
taires des Etats vont en diminuant, tandis que celles de Farnèse
augmentent (84).
î

D'ailleu~s, le prince de Parme n'exclut pas la possibilité d'une


paix générale, mais il y faut d'autres moyens que la médiation de
l'Empereur ou la négociation avec les États Généraux. C'est du côté
des provinces wallonnes que se trouve la solution du problème. Si
l'on parvient à les faire rentrer' dans l'obéissance moyennant des

(82) Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578, passage chiffré. (A. F. N.,
Carte tamesiane, Fuiïuira, fascio 1624).
(83) Farnèse au Roi, Bouges, 23 novembre 1578: « No 'es color para émpedir el trato
':i el conclusionde la paz, pues nsseguro a. v. M. que no me passa por la imaginacion
sino encaminar las causas para que se haga eon la mayor segurtdad die 10 que V. M.
dessea » (A. G. R., Copies de Simancas, vol. l1bis, r- 90). .
(84) Farnèse au Roi, Bouges, 3 novembre 1'578 (A. G. R., Copies de Si.mancas, vol, Hbis,
[0 112).

50
conditions favorables pour elles et acceptables pour Philippe II,
peut-être les autres provinces se laisseraient-elles tenter et l'on
arriverait ainsi, par le moyen d'un accord particulier, à la pacification
de tout le pays (85).
Mais pour pouvoir compter sur cette réconciliation des VI allons
avec quelque chance de succès, il ~e faut pas que le parti du Roi
apparaisse comme étant Ie plus faible et incapable de vaincre ses
adversaires. Il fallait frapper, si possible, quelque grand coup. Cet
exploit, auquel Farnèse songeait déjà sous le gouvernement de Don
Juan, c'était la.prise de Maestricht (86).
De la sorte, la guerre que le prince envisageait n'était qu'un
moyen pour amener les Wallons à rentrer dans I'obêdience de Phi-
lippe II et ten'ter, par là, la réconciliation de tous les rebelles.
On peut dire, en considérant ce plan, que le prince de Parme
répondait en tous points 'au portrait du gouverneur idéal tel que se
le représentait Granvelle. « Pour le gouvernement de ces provinces,
disait le cardinal, il ne convient en aucune manière d'employer des
jeunes gens, pour d'infinies raisons, mais il y faut des personnes
graves et réfléchies et qui, sans s'en laisser distraire, s'occupent tous
les instants du but à atteindre. » (87).

(85) Farnèse au Roi, Bouges, 23 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. Hbis. fo 90).
(86) Lettre d'Ottavio Gonzaga au Roi, Bouges, 29 octobre 1578 (A. G. 'R., Copies de
Sirna.ncas, vol. !ibis, fo 88); Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578, chitïres
(A. F, N., Carte fames'Iane, Fuuuira, fascio 1624); Parnèse à la même, Visé, 12 décem-
bre 1578 (ibidem).
(87) Granvelle au Roi, Rome, 23 octobre 1578 (PORRENO, o. C., p. 530). Le 20 mai 1578,
Giovanbattista del Monte. avait déjà écrit au duc Ottavlo : « Solo le dlré che V. E.
si puoglloriare de avere a lassare un'erede non solo de 10 stato ma anche del valor
e prudentia sua, che non 10 dico pel' esserlt io tante affectionato scrvitore, ma pel'
I'istessa verità, assicurando a V. E. che filtre al valere e prudentia con che si governa,
da anche tanta satlsfatione a tutti 0 particolarmente a ,la natione spagnola ... » A. F. P.,.
Cat'te{foio tamesumo, 1578-1580.

51
CHAPITRE II

LES ÉVÉNEMENTS POLITJQUES ET MILITAIRES


JUSQU'A LA FIN DE L'ANNÉE 1578

Lorsque Philippe II avait appris que Don Juan s'était décidé à


se retirer à Bouges, il avait approuvé cette décision. « Comme Bouges
constitue une position forte, lui disait-il, l'ennemi ne pourra vous
forcer à combattre. D'autre part, il devra' entretenir des troupes
considérables et faire des dépenses très élevées s'il veut les main-
tenir. Au bout de quelque temps, il se v-erra forcé de se retirer et de
licencier au moins une grande partie de ses gens. » (1)
Ces prévisions devaient se réaliser à la lettre.
Déjà fin septembre 1578,peu de jours avant la mort de Don Juan,
les agents anglais aux Pays-Bas signalaient l 'absence complète de
discipline qui sévissait dans le camp de l'armée des Etats, les
,éféso:rdres'et les pillages auxquels les soldats se livraient, au point
qu'il semblait « que ceste armée soit employé en intention à manger
de pied à pied tout le pays par où nous avons pa:ssé » {2), et le
2 octobre, ils exprimaient leur crainte' que, vu la situation que l'on
constatait, l'ennemi ne gagnât la bataille sans combattre, « soeulle-
ment en temporisant » (3).
Le prince de Parme connaissait cette situation : il s'avait que la
mésentente régnait entre ses ennemis et que l'argent commençait

(1) Le Roi à Don Juan, 10 octobr-e 1578, dans PORRENO, o. C., p. 526.
(2) KERVYN DE LETI'ENHOVE, Relations politiques des Pays-Bas avec l'Angleterre,
t. X, p. 853.
(3) Fremyn à Davison, Camp de Thiméon, 2 octobre 1578 (KERVYN pE LETI'ENHOVE-
GILLrODTS VAN SEVEltEN, XI,p. 1).
O. C., t,

52
à leur manquer. Mais ce n'était pas encore la débandade et il se
sentait lui-même trop faible pour pouvoir passer à l'offensive (4).
La cavalerie légère, composée en grande partie d'Italiens, et
qui était si importante pour dégager les environs du camp de Bouges
et repousser les pointes de I'ennemi, n 'était plus assez en forme.
Magnifique à l'époque de la bataille de Gembloux, elle avait fondu
rapidement par suite des combats subséquents et suetout à la suite
de maladies. Elle manquait en ce moment de cadres et son chef,
Ottavio Gonzaga, jugeait nécessaire de faire opérer de nouveaux
recrutements en Italie (5). Les troupes italiennes et espagnoles
n'étaient plus en nombre suffisant et le gros de l'armée se composait
d'Allemands qui, puisqu'on 'n'avait pas de quoi les payer) étaient,
comme d'habitude, prêts à se mutiner (6).
Le prince de Parme craignait encore toujours la jonction des
troupes d'Alençon, dont une partie venait de se rendre maîtres de
Binche, des troupes de Casimir, dont on ne connaissait pas bien la
force, et des troupes du comte de Boussu, son adversaire principal...•.•.
Il ne lui restait d'autre ressource que de se tenir 'enfermé dans ses
retranchements de Bouges, en attendant l'arrivée des secours qu'il
savait imminente (7). '
Le baron de Polweiler devait lui amener des renforts de soldats
allemands sur lesquels il comptait beaucoup et. qui porteraient le
chiffre des forces de cette nation là 15.000 fantassins et à 8.000 cava-
liers. Il espérait bien grouper pour le début de novembre ces nou-
velles troupes, ainsi que 6.000 Allemands du comte Annibal Altemps,
3.000 du régiment de Fronsberg, 30 enseignes de W allons, 5.000 noirs
harnais, 3.000 reîtres du duc de Brunswick et Pinfanterie et la
cavalerie espagnoles qui lui restaient (8).
D'autre part, il désirait se débarrasser des vétérans allemands
que Don Juan avait naguère enrôlés et auxquels on devait. un
arriéré de solde très considêrabls (9). Ce problème ne laissait pas
(4) Farnèse au Roi, Bouges, 20 octobre 1578 (A., G. R., C01Jies de Simancas, vol. ubis,
1'0 63); Farnèse au Roi, camp de Bouges, 2 octobre 1578 ~RODRWUEZ VILLA, Correspon-
âencu: de Alejandro Parnesio, Ioc. oit., p. 2-45)_
,(5) Gonzaga au Roi, 30 octobre 1578 {A. G. H., Copies de Simancas, vol. 11bis, fO 96),
(6) Farnèse à sa mère, Bouges, 22 octobre 1578 (A. F. N., Carte temesume, Fiandra,
fascio 1624).
(7) Farnèse au cardinal Farnèse, Bouges, 22 octobre 1578, chiffres (A. F. N., Carte
tarnessar», Fuuuira, fascio 1624 j.
(8) Lett.re de Gonzaga au Roi, 20 octobre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol.
1ibis, fO 73); Farnèse au cardinal Farnèse, Bouges, 3 octobre 1578 (A. F. N., Carte
rcmesum», Fiandra, fascio 1624); A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. cit., pp. 150 et 153.
(9) Farnèse à sa mère, Bouges, 22 octobre 1578 (Loc. clt.).
d'inquiéter Farnèse, car il savait par expérience combien était vraie
la parole du Landgrave de Hesse, qui avait dit un jeur : « Il vaut
mieux avoir 30.000 diables aux trousses que 30.000 Allemands récla-
mant leur solde; car il est possible de payer les diables avec le signe
de la croix, tandis qu'on ne peut se débarrasser des Allemands
qu'avec de l'argent ou des coups» (10).
Heureusement, Philippe II, ébranlé par les appels répétés de
F'arnèse et d 'Ottavio Gonzaga, se décida finalement à assigner sur
des marchands de Besançon une somme de 300.000 écus pour faire
face aux besoins les plus urgents (11).
Pendant que Farnèse temporisait, les événements travaillaient
pour lui. Le comte de Boussu, qui l'assiégeait pour ainsi dire dans
son camp, attendait avec confiance l'armée du duc d'Alençon, forte
de 10.000 fantassins et de 1.500 cavaliers et commandée par le sire
de Fervacques, maréchal de camp {12). On attendait aussi, dans le
camp des États, les troupes du palatin Casimir. Ces espoirs s'en
allèrent vite en fumée.
Binche une fois prise, l'armée du duc d'Anjou estima qu'elle
était arrivée au terme de sa campagne. Elle se décomposa pour
ainsi dire d'elle-même. Ses soldats, prétendant avoir satisfait à leur
promesse de servir pendant trois mois, désertèrent parce qu'on ne
les payait pas et se retirèrent par Landrecies et Le Quesnoy, pillant
et ravageant tout sur leur passage (13).
Le secours attendu de la part de Casimir fut encore plus pro-
'plématique. Pendant que le Palatin festoyait à Gand avec les sec-
taires calvinistes .et se laissait offrir d'opulents cadeaux, on lui fit
comprendre que le moment était venu de faire quelque chose de
positif pour la cause eommUl1'e: il se mettrait à la tête de ses reîtres
pour disperser l'es Wallons qui s'étaient dressés contre les excès des
soldats d 'Hembyze, en West-Flandre. Casimir s'avança jusque Cour-
trai, mais là il reçut une lettre du prince de Parme qui l'épouvanta.

(10) MOTTLEY,O. c., trad. cit., t. v; p. 279.


(11) Le Roi à Farnèse, 20 octobre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 11bis, r- 67).
(12) Mémoires .âe Philippe de Lalaing, dans GACHARD,La Bibliothèque nationale à
Paris, t. I, p. 205; Davison à Burghley, 12 octobre 1578, dans Foreign Calendar, Elisa-
beth, 1578-79, p. 303.
(13) ~KERVYN.DE LE'I'TENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, p.224. Philippe de
Lalaing écrit à ce sujet dans ses Mémoires (loc. cit., p. 305) : « Et, comme, après ladicte
prinse [de Binche], il avait conclu se joindre avec l'armée des Estats à I'eïïect que dessus,
uois la première journée que l'armée debvoit marcher, se desbanda de sorte que, par
mille, deux et trois mille, retournarent en France, causant ce désordre faulte d'argent
et la parclalité des chlefz de ladicte armée ».
Alexandre Farnèse.qui (connaissait le personnage et qui avait
une piètre idée de sa bravoure, lui écrivit, le menaçant, s'il exécutait
son dessein, de le chercher pour livrer bataille. Le Palatin Be ;retira
précipitamment, décidé à abandonner s'es reîtres à leur sort, iouten
essayant de faire payer pal' d'autres leur arriéré de solde. «Je
ne désire Tien davantage, osa-t-il écrire au Taciturne, que d'être
déchargé de mes reîtres et m'en retourner en ma maison où j'l;ii,
Dieu merci, selon mon rang et ma qualité, assez de temps à employer
en occupations honnêtes. » (14).
Du coup, le prince de Parme vit s'éclipser le cauchemar qui
jusque-là l'avait hanté (15).
C''est à ce moment qu'il reçut de Madrid la nouvelle que Phi-
lippe II confirmait la charge où l'avait installé Don Juan. 0 'est le
22 octobre, semble-t-il, que lui parvinrent les lettres royales le
nommant gouverneur et capitaine général des Pays-Bas.
Philippe II n'avait pas attendu longtemps pour donner son
entière approbation à la nomination que Don Juan avait faite SUl'
son lit de mort. Ignorant encore que celui-ci était décédé, il lui avait
écrit le 10 octobre. Or, le 13, il fait rédiger les dépêches qui doivent
apporter au prince de Parme la nouvelle de sa nomination comme
gouverneur général.
Nous n'attachons donc pas trop d'importance à la lettre que
David Spilimbergh, agent du duc Ottavio Farnèse à la cour de
Madrid, écrivit à son maître pour lui signaler les difficultés que la
nomination d'Al,exandre Farnèse rencontrait à la cour. D'après
l'agent farnésien, beaucoup de conseillers avaient essayé de dissua-
der le Roi de confirmer son neveu dans sa charge, En rappelant
l'existence de cette lettre, Strada suppose que l'on jugeait inoppor-
tun de confier le poste de gouverneur général des Pays-Bas ,à Farnèse
au moment. où le fils de celui-ci briguait la couronne royale de Por-
tug~il, et parce que les Espagnols 'se sentaient humiliés à l'idée de
confier le commandement des forces militaires de l'Espagne à un
prince italien (16).

(14) KERVYN DE LETI'ENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 283-284.


(15) Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578 (A. F. N., Carte tœmesume,
Fiandra, fascio 1624).
(16) STRADA, o. C., trad. ctt., t. II, pp. 424-425. A l' « Archivo historico nacional » de
Madrid on conserve, sous 'le na 1414, les consultes du Conseil d'Etat pour les commissions
et instructions des gouverneurs des Pays-Bas, de 1573 à 1689. L'instruction destinée
il Farnèse ne s'y trouve pas.
Si Philippe II se laissa peut-être un instant retenir par ces
observations, son hésitation ne fut pas longue. Et ce fait, chez un
monarque dont la lenteur à se décider n'est que trop connue, prouve
clairement toute la confiance 'que le souverain accordait à Alexandre
Farnèse,
Il y eut d'abord une « commission provisionnelle » ou provisoire.
Elle est datée de Madrid, 13 octobre 1578 (17).
A ce moment, le Roi venait d'apprendre' que Don Juan était
dangereusement malade. Il s'empress,a d'avertir Alexandre Farnèse
que, si son oncle mourait, il devait ouvrir les dépêches qui lui étaient
destinées et qui lui avaient été adressées au moment où, à Madrid,
on ignorait encore tout de la gravité de son état. Philippe II disait
dans ces dépêches que Pon devait conserver, à tout prix, ce qu'on
avait jusque-là pu garder aux Pays-Bas. A Farnèse, le souverain
répétait la même injonction: l'armée devait se tenir sur la défensive
pendant que se développeraient les négociations pour un accord par
L'intermédiaire de I'Empereur. Ge que l'on devait surtout avoir en
vue, c'était de pratiquer une fois pour tontes l'oubli du passé et de
réduire le pays à l'antique obédienc-e, en maintenant sauves l'obéis-
sance due au Roi et la religion catholique romaine (18).
Cette lettre était accompagnée de quatre documents, une « com-
mission provisionnelle» de lieutenant gouverneur et capitaine général
des Pays-Bas et de Bourgogne, en date du 13 octobre, une « commis-
sion absolute » de la même date, une patente de nomination de capi-
taine général des troupes et une cédule attribuant à Farnèse le trai-
tement afférent à son poste, s'oit 36.000 écus par .an,assignés sur le
budget de l'armée de Flandre (19).
Dans la « commission provisionnelle » Philippe II nommait
Alexandre Farnèse gouverneur et capitaine général au cas où Don
Juan viendrait à mourir, parce qu'il était nécessaire de pourvoir tout

(17) L'original se trouve aux Archives générales du Royaume à Bruxelles, dans la


section Pa.pie1's d'Etat et d'Audience, n- 1222: Commissions et 'instructions des gou-
Vlwneut'S génémux des Pays-Bas, vol. II, fu ([3. Ce document, original SUl' parchemin, a
été restitué par l'Autriche en 1867.
(18) A. G. R., Copies âe Simancas, vol. Hbis, fu .114.
(19) Les deux commissions, en langue française, se trouvent aux A. G. R., Papiers
a'Etat et d'Audience, n° 1222, vol. II, fos 43 et 46. La cédule de nomination de capitaine
Ilénéral est aux Archlves farnésiennes de Naples, Fiasuira, rascio 1706: la cédule allouant
a Farnèse son traitement de 36.000 écus se trouve dans le même fascio.
La minute des commissions est aux ·Archives de Simancas, section Secrétaria pro-
'v-incia~ de Piasuies, n° 2567.

56
de suite au l'emplacement du défunt. Le Roi désignait le prince de
Parme {Jamme successeur, « à cause de la grande prudence, de
l'expérience et de la loyauté » qu'il avait toujours trouvées en sa
personne, et « à cause de l'amou.ret de l'affection qu'il portait au
service du Roi et principalement à toutes les choses que le souverain
avait à cœur ».
Le document disait aussi que cette nomination se faisait « par
prooision. et tant qu'il nous plaira ».
Le deuxième document, intitulé « commission absolute s , présen-
tait le même texte, avec cette seule mais importante différence que le
Roi n 'y disait plus qu'il nommait le prince gouverneur « par provi-
sion ». Le texte portait ici simplement: « tant qu'il nous plaira ». Ce
deuxième document était évidemment destiné à être employé, à la
place du. premier, si Don Juan était déjà décédé lorsque les dépêches
du 13 octobre arriveraient à Bouges. (20).
Quelle était la signification de l'expression: tant qu"il noue
plaira? A en juger à première vue, pal' l'expression espagnole cor-
respondante dans la cédule de nomination de capitaine général (le
nambramos ... enireiasue que ordenasnos oka cosa) (21) et dans la
cédule octroyant à Farnèse le traitement de 36.000 écus (en,tretante
que proueuessemos y ordenassemos otra cosa) (22), le Roi semblait ne
pas faire une nomination définitive.
Mais nous ne pouvons nous laisser tromper par les formules.
Nous connaissons, heureusement, la valeur exacte de celles-ci par
une lettre et un mémoire que le secrétaire d'État Alonso de Laloo
remit à Philippe II en 1593 (23).
Dans ce mémoire, de Laloo expose à Philippe II comment il
conviendrait de changer les formules des patentes et commissions
de gouverneur général des Pays-Blis, afin d'éviter que celui-ci pût
dorénavant outr-epasser ses pouvoirs et d'empêcher le retour des
abus que l'on avait constatés dans le passé. Un des remêdes que le:
secrétaire d "État propose à son maître consistait à limiter dêsor-

(20) Le titre ou intitulé de la pièce porte, dans le registre cité des Papiers d'Etat et
d'Audience : « Commission absolute.; en cas de mort dudiot feu Sr. Don Jehan
d'Austrlce ».
(21) le nommons ... jusqu'à ce que nous ordonnons autre chose.
(22) jusqu'à ce que nous pourvoyions et ordonnions autre chose.
(23) A. G. R, Papiers d'Etat et d'Audience, n° 1222, fO' 137 et. HO sv.

57
mais la durée de la commission de gouverneur en 11 'y insérant
plus, comme on l'avait fait jusque-là, la formule; Tant qu'il nous
plaira (24).
Celle-ci excluait donc, pour le prince de Parme, toute limitation
précise. Il faut donc s'abstenir de suivre, le cardinal Bentivoglio,
lorsque, dans son Della querr« di Eiamdra, il prête à Philippe II,
en ce moment, l'idée de faire revenir Marguerite de Parme pour 10
gouvernement politique et de limiter les pouvoirs d 'Alexandre à la
direction de la guerre (25).
D'ailleurs, nous possédons la minute d'une lettre du Roi au
prince de Parme, datée du 31 octobre 1578, avec une remarque
autographe du souvesain qui est très significative. Philippe II
. commence la lettre comme suit: « Je vous ai nommé, pour le
'moment (por agora), à la place de Don Juan dAutriche ». C'est du
moins ce texte-là que le secrétaire Perez propose à la signature du
Roi; mais, en marge de ce passage, le souverain annote sur la minute;
« Je crois qu'il serait bien de lui dire : pour toùjours » (creo es bien
irle diciendo ; .por siempre) (26).
Il n 'y a dès lors pas moyen de se méprendre sur l'intention
réelle du Roi au moment où il confirma la nomination faite par Don
Juan.
La patente ou commission de gouverneur et capitaine général
que reçut Alexandre Farnèse était écrite sur parchemin, conformé-
ment à la tradition établie, depuis 1531, pour le gouvernement de
Marie de Hongrie. Dans ces patentes, on ne faisait aucune-mention
des conditions spéciales mises à Pexercice du pouvoir, pour ne pas
affaiblir, vis-à-vis des conseils. collatéraux, et principalement vis-
à-vis du Conseil d"État, I'autoritê du gouverneur (27). Les instruc-
tions que Philippe II envoya au prince de Parme ne furent pas
'différentes de celles qui furent adressées à ses prédécess-eurs (28).
Ecrites sur papier, elles étaient au nombre de trois; une « instruc-

(24) « Que aquel governo general se provea con limitacion de anos para que el pro-
veydo proceda con mas recaudo, esperando alguna continuacion despues, y que se dexe
la clausula Tant qu'il nous plaira corno hasta aquî. » Lettre d'A.lonso cle Laioo, 28 jan-
'vier 1593 (Loc. cit.).
(25) 2 partie, lib. r, éd. de Milan, 1826, t. II, p. 7.
0

(26) A. G. R, Copies de Simancas, vol. 11 bis, fo 89.


(27) Mémoire d'Alonso de Laloo (A. G. R., Papiers d'Etat et d'A.udience, n- 1222,
fo 140).
(28) A. G. R, Papiers d'Etat et d'Audience, n° 1222, r- 40.

58
Hon particulière » pour le gouverneur lui-même (29), une instruction
appelée secrète (30),et une instruction pour le Conseil c1"État rési-
dant auprès de sa personne (31).
Comme jsecrêtaire particulier, Alexandre Farnèse prit Andres
de Prada, qui avait rempli la même fonction auprès de Don Juan,
en attendant qu'il eût eu le temps de se mettre entièrement au cou-
rant des affaires (32).
Dans le Conseil d'-État, 1·eprince de Parme accorda de suite une
bonne place aux seigneurs du pays, sachant que c'était une condition
essentielle de bon gouvernement et le seul moyen d'éviter les diffi-
cultés qui avaient surgi pendant l'administration de Don Juan.
Vargas, I'ambassadeur de Philippe II à la cour de France, s'en
plaignit, mais le Roi lui répondit en approuvant la conduite de
Farnèse. « On ne peut agir en ceci autrement qu'on ne l'a fait,
déclara le souvèrain. Il faut montrer confiance aux conseillers natifs
du pays, car une des choses qui ont fait beaucoup de mal aux Pays-
Bas, c'est que les habitants se sont imaginés qu'on se défiait d'eux.
Il faut leur démontrer qu'il n'en est pas ainsi. » (33).
Parmi les naturels des Pays-Bas que Farnèse s'était attachés
se trouvait notamment le conseiller Christophe dAssonvillc, qui
exerça sur le nouveau gouverneur une influence qui doit être signalée.
D'Assonville était fort apprécié par Philippe II : celui-ci estimait
que, après Viglius, c'était celui qui s'était montré le plus versé dans
les affaires d "État (34). Ce cons-eiller entretenait avec Marguerite de
Parme une correspondance très suivie, où se découvre un dévouement
sincère à la famille Farnèse. On sait, d'autre part, que d 'Assonville
11 'aimait guère l-es Espagnols et qu'il mettait toujours en avant, en

honnête homme qu'il était, les intérêts du pays (35).


Dans ses lettres à Marguerite de Parme, il n'avait pas caché
que la méthode employée par Don Juan n'était pas la bonne, Après
la batailla de Gembloux, qui avait mis en appétit ceux que le C011-
seiller appelait « allumettes ou boutefeux de guerre », il avait
exprimé l'avis que cette victoire était uniquement Tœuvre de Dieu

(29) 4. G. R., ibidem, fO 69.


(30) A. G. R., ibidem, r- 65.
(31) A. G. R., ibidem, fo 85.
(32) CARNERO, Historia de las gue1'1'C(s civiles ..., p. 149.
(33) Philippe II à Vargas, 22 janvier 1579 dans GACHARD, La Bibliothèque nationale
il Paris, t. I, p. 419.
(34) Philippe II à Requesens, 12 mai 1574 tCorreeponaonce de Philippe Il).
(35) Correspondance de Granvelle, t. V, pp. XXXV-XXXVI,

59
et qn 'il ne fa.llait pas en tirer prétexte pour entraîner 10 Roi dans
une guerre coûteuse et dommageable. Il était partisan de la poli-
tique de conciliation et ennemi tenace de ceux qu'il accusait de vou-
loir la guerre uniquement pour le profit qu'ils en tiraient. Ce lan-
gage, très compréhensible chez un ~juriste, il le tiendra aussi à
Farnèse et il montrera sans cesse ql~e,en fondant un accord sur la
conservation de la religion catholique et sur l'obédience due au Roi,
la paix et la tranquillité peuvent renaître aux Pays-Bas. Il estimait
qu'un moyen pour y parvenir, c'était d'ôter la défiance que les
gouverneurs précédents, par leur politique insensée, avaient fait
germer dans le cœur de tous les Flamands. Il était attentif au
moindre bruit de paix, mais il se rendait bien compte que l'obstacle
principal à une réconciliation se trouvait dans la personne du prince
d'Orange. Aussi porte-t-il à ce dernier une haine implacable et ne le
ménage-t-il jamais dans ses correspondances (36).
« La situation, écrivit-il à Marguerite de Parme en juillet 1578,
pourrait devenir stable, si I'on acceptait 'en substance le traité de
Marche en Famenne, en y apportant quelques changements. Quant à
la Pacification de Gand, il y a bien quelque chose à amender. Si l'on
avait profité de la bataille de Gembloux pour entamer de sérieuses
négociations, on eût pu amener le changement des points préjudi-
ciables qui se trouvent dans ces deux accords ... Après cette horrible
guerre, la fin sera toujours un accord. Les partisans de la guerre
me traitent de « conseiller de la paix » : je le considère comme un
honneur » (37).
Mais le conseiller admettait qu'on eût recours à la force pour
montrer à l 'adversaire ce que pouvait faire le parti du Roi et pour
amener d'autant plus rapidement l'ouverture des négociations. C'est
ainsi qu'il comprit parfaitement l'importance du siège et de la prise
de Maëstricht, qui était destinée à précipiter l'accord avec les pro-
vinces wallonnes (38).
Les idées de' dAssonville se rencontraient sur bien des points
avec celles d'Alexandre Farnèse lui-même et avec celles du cardinal
de Granvelle et le prince de Parme allait trouver en ce juriste honnête
et clairvoyant, quoique quelquefois un peu léger et loquace, un appui
précieux pour la politique qu'il avait arrêtée.
(36) D'Assonville il. Marguerite de Parme, Namur, 22 mars, 1er avril, 30 avril,
fil juiHet, 14 août, ·20 août 1578 (A. F. N., Carte tarnesume, Fiandra, fascio 1629).
(37) Lettre du 31 juillet 1578 (Loc. clt.).
(38) Lettres du 6 avril et du 23 mai 1579 {A. F. N., carte farnesiane, Euuuira, fascio
1629).

60
Outre le Conseil d iÉtat, dont faisaient partie les quelques
seigneurs qui étaient. restés fidèles au parti du Roi, Alexandre
Farnèse avait auprès de lui son conseil de guerre, composé de per-
sonnes qui avaient déjà rempli cette mission auprès de Don Juan.
En réalité, ce conseil était double : le conseil suprême de guerre, où
étaient dêlibêrées -et résolues les affaires les plus importantes et
secrètes concernant la conduite des opérations militaires et où ne
paraissaient que ceuxqui avaient reçu du Roi une patente expresse
de conseiller de guerre'; l'autre était une assemblée plus large où tous
ceux qui,en raison de leur charge, devaient s'intéresser aux affaires
milit.aires avaient le droit d'entrée (39).
De ce second conseil, que le prince de Parme avait l'habitude
de réunir régulièrement, faisaient partie Pierre-Ernest de Mansfelt,
maître de camp général, Ottavio Gonzaga, général de la cavalerie,
Jean de Oroy, comte de Rœulx, colonel des 'Wallons, Gilles de Berlay-
mont, général de l'artillerie, Gabrio de Serbelloni, Gaspar Bobles de
Billy, Adrien Noyelles de Rossignol et les colonels des régiments
espagnols, dont Cristobal de Mondragon, des régiments allemands
et des régiments bourguignons (40). Dans ce conseil, le prince avait
à ménager prudemment les susceptibilités de deux personnages
ombrageux, le vieux Mansfelt et Gonzaga. Pierre-Ernest de Mansfelt
souffrait du rôle subalterne qu'il devait jouer: il estimait que les
services rendus au Roi auraient dû lui valoir une considération plus
grande et il supportait avec impatience la supériorité hiérarchique
d'un homme encore jeune comme Farnèse, dont il ne pouvait
admettre l'expérience.
Alexandre, stylé en ceci par sa mère, qui aimait beaucoup Mans-
felt,essay:ait par tous les moyens de captiver la bienveillance du
comte, mais il le trouva intraitable et entêté comme personne ne
l'était: il ne savait comment se comporter avec lui (41). Les difficultés
étaient d'ailleurs rendues plus grandes par le fait que le fils de
Pierre-Ernest, Charles de Mansfelt, une sorte de reître brutal et
indiscipliné, excitait son père et montrait en toutes occasions qu'il ne
portait point Farnèse dans son cœur.
Gonzaga était connu comme intrigant et remuant: il entretenait
avec Philippe II une correspondanee secrète et son amitié avec le

{39) Considérations SUt le gouvemement des Pays-Bas, t. III, pp. 192-193.


III, p. 21; Liber relationum,
(110) STR.ADA, O. C., t. ro 44 VO.
(41) Farnèse à sa mère, 12 décembre 1578 {A. F. N., Carte farnesiane, Fuuuira, fascia
1624).

61
secrétaire d'l1ltat espagnol Antonio Perez le rendait êt'angereux (42).
Aussi, nous l 'avons vu, dès son arrivée aux Pays-Bas, le prince de
Parme avait-il essayé de désarmer Gonzaga par l'attitude amicale et
bienveillante qu'il adopta à son égard.

:'.':

Dès le début de S011 entrée en charge, au milieu du désarroicausé


par la disparition de Don Juan, Alexandre Farnèse avait songé tout
de suite à prendre contact avec les personnages et avec les groupes,
dont il était important de connaître les sentiments, de ne pas froisser
les susceptibilités, ou de garder l'amitié ou les bonnes dispositions.
Il avait envoyé une lettre, annonçant la mort de Don Juan
d'Autriche au Roi de France, Henri III, et demandant la continua-
tion des relations de paix et de « bon voisinage » entre son maître
et le monarque français (43). Lettre. de courtoisie, sans doute, et qu'il
ne faut pas prendre trop au sérieux. Le prince de Parme avait
adressé une missive identique à· la reine Élisabe,th d 'Angleterre, où
il priait celle-ci de continuer la bonne correspondance que les anciens
traités avaient assurée entre l'Angleterre et lesPays-Bas (44).
La réponse d'Élisabeth ne se fit pas attendraot eUe fut signifi-
cative. La Reine déplorait la mort de Don Juan, le' vainqueur des
Turcs, dont le malheur fut qu'il n'eut à moissonner comme fruit de
ses efforts « que le hasard des erreurs d'autrui ». EUe louait ensuite
la prudence et la sagesse du prince de Parme et se lamentait de ce
que l'on n'eût pas suivi son conseil à elle : si l'on avait tenu compte
des bons offices qu'elle fit naguère par l 'intermédiaire de ses ambas-
sadeurs, les affaires du pays auraient été en meilleurs termes, Ces
affaires iraient d'ailleurs de mal en pis si Alexandre Farnèse ne les
redressait « par de meilleurs et plus sains conseils » (45).
Pour faire parvenir cette lettre au prince de Parme, le secrétaire
d"État Wialsingham pria l'agent anglais Davison, qui résidait à
'Anv,ersauprès des États Généraux, d'obtenir de ceux-ci le service

(42) Le 4 octobre, Gonzaga écrit à Perez, du csmp de Bouges: « de 10 que tooa ~


ml cargo y S. M. me ha hecho merced, entiendo goçarlo con todas las honores, preminen-
cias y prerogatrvas que han hecho todos los demas capltanes generales de Ia caballeria ».
En marge de ce passage, Ile Roi note: « Que aqui podria aver diferencias con el de
Parma y converna prevenirlo, » (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 11bis, fo 21).
(43) Publiée par GACHARD,Analectes belgiques, 3e cahier, p. 444.
(44) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, n- 1222, fO
(45) GACHARD,Anaiectes belgiques, loc, cit.

62
d'un de leurs trompettes. Ce dernier, sous le couvert de l'immunité
de parlementaire, irait remettre au nouveau gouverneur des Pays-
Bas ce document ainsi que deux lettres de l'ambassadeur d'Espagne
à Londres (46).
Presque en même temps, Alexandre Farnèse avait envoyé une
missive importante aux États du Hainaut, d'Artois, de Lille, Douai
et Orchies, de 'I'ournaisis, ainsi qu'aux villes principales de ces pro-
vinces, pour leur annoncer la mort de Don Juan. Ce n'éta1t là, en
somme, que le prétexte, car la lettre était un appel -éloquent, prudent
et habile en faveur de la réconciliationavec Philippe II (47).
Dans cet appel, Alexandre Farnèse montre qu'il ne se fait pas
d'illusion sur la situation: il sait fort bien que, de même qu'on a
bafoué les bonnes intentions de Don Juan d'Autriche, de même ses
avances seront peut-être mal interprétées. TI ne veut cependant laisser
de s 'adresser aux provinces wallonnes parce que s'On devoir de gou-
verneur I'oblige à parle-r haut et clair. TI offre donc aux États et aux
villes des régions mentionnées plus haut, à condition qu'ils gardent
inviolablement la religion catholique romaine et qu'ils se remettent
dans Pobéissanee au Roi, le maintien de leurs privilèges, usages et
coutumes et un gouvernement comme au temps de l'empereur
Charles-Quint, TI leur promet l'oubli du passé, et s'engage à ne pas
leur imposer la présence de soldats' étrangers.
Ge document, comme le dit avec raison Gachard,est « un monu-
ment de, cette sage politique que Farnèse déploya aussitôt qu'il prit
les rênes du gouvernement ».
Get appel aux provinces wallonnes est daté du 10 octobre 1578,
neuf jours à peine après le trépas de Don Juan. Comme nous l'avons
dit plus haut: le mouvement de mécontentement qui s'était fait jour,
à l'endroit de la politique du prince d'Orange, dans cette région du
pays, constituait une lueur despoir, dont le prince de Parme ne
détournerait plus les yeux. Dès les premiers jours de son gouverne-
ment, il ossaie de J'exploiter parce qu'il y voit le point faible dans
la cuirasse de ses adversaires.
G 'est, en effet, aux provinces wallonnes seules qu'il adresse cet
appel à la réconciliation. En homme avisé et en politique réaliste, il
se rend très bien compte qu'un tel appel ne peut être adressé à « la
(46) GILLIODTS-VAN SEVERE N, Relations politiques des Pays-Bas avec l'Angleterre,
t. XI, pp. 127 et 173.
(47) Publiée par GACHARD, Collection de documents inédits concernont l'histoire de
la Belgique, t. I, p. 372 SV., et dans A. DE, SCHRINEL, Recueil de documents relatifs aux
tTo'l<,~les religieux en Flandre, t. II, p. 178,

63
généralité »,à l'ensemble des rebelles, dominés par- le Taciturne. Il ne
perdra pas son temps en vaines tentatives de ce côté: il leur réserve;
la guerre, parce qu'il leasait obstinés.
De plus, la date du 10 octobre est importante à retenir, p.arce
que, en ce moment, Philippe II n'était pas encore avisé de 1a mort
de Don Juan d'Autriche et navait pas encore eu l'occasion de faire
connaître ses directives au nouveau gouverneur. L'offre faite par le
prince de Parme est donc, de la part de celui-ci, une inspiration per-
sonnelle. EUe est en parfaite harmonie avec les vues du Roi et elle
montre à quel point Farnèse voyait clair dans la situation. Les obser-
vations qu'il avait pu faire pendant qu'il était lieutenant de Don
J' uan avait pleinement porté leurs fruits et, sur le fond de la poli-
tique à suivre, sinon sur les méthodes pratiques à employer, le sou-
verain et son nouveau représentant allaient se trouver entièrement
daccord. C'était, pour la suite des événements, d'excellent augure.
C'est d'ailleurs avec une habileté consommée que le prince de
Parme fait toucher du doigt aux provinces wallonnes l'instabilité de
leur situation et de la politique qu'elles ont suivie jusqu'ici. En leur
promettant qu'on ne leur imposera pas la présence de soldats étran-
gers, il leur montre comment, pour garantir une situation que le Roi
leur offre sincèrement et spontanément,elle·s ont précisément fait
appel à des étrangers - le duc dAnjou et le palatin Casimir -,
qui ne 'sont là que pour les exploiter et qui les abandonneront à leur
sort dès qu'ils ne seront plus 'sûrs de pouvoir compter sur elles pour
gagner le but égoïste qu'Us se sont proposé,
Cet acte d'Alexandre Farnèse est donc un acte qui révèle un
politique habile, réalisateur, aux idées justes, qui sait ce qu'il veut
dès le début et qui suivra invariablement la voie qu'il s'est tracée.
Aussi, le prince d'Orange ne put-il s'empêcher de marquer tout de
suite les conséquences que la nomination d'Alexandre Farnèse allait
entraîner pour la politique des rebelles. L 'historien Bor nous a gardé
le résumé des impressions du Taciturne (48) : le prince d'Orange
était d'avis que le gouvernement du prince de Parme serait plus
dommageable pour le' pays que ne le fut celui de Don Juan, parce
que sa nature était plus douce et s'accorderait mieux aVBCle tempé-
rament des habitants; il connaissait mieux la psychologie des Fla-
mands, pour avoir séjourné au pays du temps du gouvernement de sa
mère, Marguerite de Parme; il avait entretenu des relations suivies

(48) P. BOR, o. c., 2" stuk, p. 3.

64.
avec les principaux seigneurs dont il avait Ïaitla connaissancepen-
dant ses noces à Bruxelles. Farnèse, disait encore le prince d'Orange,
avait d'ailleurs le tempérament italien et n.êtait pas moins astucieux
et dissimulateur que Don Juan. Il concluait en affirmant que, étant
données la désunion qui commençait à se manifester entre les pro-
vinces des Pays-Bas, la jalousie qui divisait le duc d'Anjou et Casi-
mir, les disputes qui dressaient ceux de Gand contre les Wallons, la
mort du prince de Parme, si elle arrivait, apporterait au pays beau-
coup plus de profit que de dommage (49).
Le Taciturne, on le voit, s'inquiétait à bon droit des germes
croissants de discorde qui menaçaient l'édifice que jusqu'ici il avait
si patiemment construit. A Alexandre Farnèse, le fait n'avait pas
échappé et c'est pour ce motif qu'il eut à la fois l'audace et la con-
fiance tranquille dadresser cet appel à La réconciliation, non pas
après une victoire, mais au moment même où il se trouvait assiégé
par ses ennemis dans le campement inondé et pestilentiel de Bouges.
Au moment où la menace des troupes françaises d'Alençon et
celle des troupes de l'armée du palatin Casimir s'évanouissaient, le
camp des États établi près de Ligny se trouvait dans une situation
de moins en moins favorable. Malgré la supériorité numérique de
ses troupes, le comte de Boussu n'avait entrepris aucune action
denvergure : ses soldats s 'étaient contentés de piller et de ravager
la région.
Bientôt, des signes avant-coureurs d'une débandade certaine
apparurent aux yeux d'Alexandre Farnèse. Le prince pouvait
escompter voir arriver très rapidement le moment où, grâce aux
renforts qui lui parvenaient et qui devaient encore lui parvenir, il

(49) Citons ce texte important dans 'la langue originale: « Des Prince van Orangien
o.pinie was dat de regeringe van den Prince van Parma den lande schadelijker soude
wesen als die van Don Juan geweest was omdat sijn naturel sachter was en beter
metter Landsaten nature soude overeen komen, dat hij ook de nature van de inwoondérs
beter kende aIs Don Jan, hebhende langen tijd hem in dese Ianden gehouden, ten tijde sijne
moeder de hertoginne van Parma het gouvernement van dese lande hadde, hebbende
ook goede familiare kennisse onder de prlnclpaelste Heeren en Edelen van de Neder-
landen ondeshouden, die meest al op zijn bru-yloftsfeest waren geweest, doen hij troude
mette dochter van PortugaeI... dat hij ook den Italiaensen aert hadde en nlet min
lisLig en geveinst was aIs Don Jan hadde geweest; evenwei meende hij dat ln dese
g"Iegenth·eid en oneenigheid der Provinclen onder den anderen 'en de ja'lousie die daer
was tusschen den hertog Gaslmlrus en den hertog van Anjou, daerbi] gevoegt de
geschillen tusschen die van Gent en de Walen, sijn dood dese lande meer psofljts aIs
sehade inbrengen souden, »

65
allait pouvoir quitter ce camp malsain de Bouges, se « donner de
l'air» et peut-être entreprendre quelque mouvement offensif (50).
Dans la nuit du 23 octobre, il fut averti qu'au matin l'armée des
Etats abandonnerait ses positions <et se retirerait vers le Nord. Il
sortit aussitôt de ses retranchements avec 1.000 cavaliers et 1.500
fantassins, dans l'intention de poursuivre S'es adversaires. Cepen-
dant, il s'aperçut que l'ennemi occupait encore son camp et que la
nouvelle de sa retraite était prématurée. Farnèse regagna ses lignes.
Cependant, il n'avait pas été mal renseigné, car dans la journée du
30 octobre, les troupes des États abandonnèrent de fait leurs tran-
chées avec tant de précipitation, qu'il fut impossible de se lancer à
leur poursuite. Elles disparurent dans la direction de Hoegaerde et
de Jodoigne, sans que Farnèse pût imaginer quelle était leur desti-
nation finale (51).
Presque en même, temps que la retraite précipitée de l'ennemi,
il se produisit un événement hautement significatif qui devait eon-
firmer le prince de Parme dans l'idée que la situation de ses adver-
saires n'était plus très favorable.
Sehwarzemberg, l'ambassadeur impérial qui avait déjà négocié
avec Don Juan à propos de la conclusion d'une paix générale, et
qui se trouvait alors à Anvers auprès du prince d'Orange et des
États Généraux, adressa au prince de Parme une lettre pour lui
demander, avec insistance, de retirer ses troupes des positions
qu'elles occupaient et de négocier immédiatement un armistice.
L'argument qu'il mettait en avant pour exiger ces mesures,
c'était qu'il avait trouvé certains membres des États Généraux fort
enclins à la paix.
Alexandre Farnèse fut surpris de cette démarche. Il se rappe-
lait, en effet, qu'au mois d'août, lors des pourparlers qui eurent lieu
à Louvain entre Don Juan, Schwarzemberg et les commissaires dee
Etats, ces derniers avaient déclaré qu'en aucune façon il ne pouvait

(50) « El campo de los reheldes anda en vispera de deshazerse par .falta de dinero
":i por la gran division que entre ellos hay, assi el nuestro va engrosando con la gente
que de dia en dia llega y se espera de la oavaUeriae Inrantena alemana que S. A.
havia mandado levantar, y como acabemos de [untarnos, que sera dentrode muy pocas
dias, quedaremos sefiores de la campana, con fuerzas para intentar qualquiera cosa ».
Farnèse à Don Juan de Borgia, Bouges, 29 octobre 1578 (RODRIGUEZ VILLA, Corj'espondencia
d'Alejandro Farnesio, loc. ctt., p. 308); Farnèse au Roi, 3 novembre 1578 {A. G. R., Copies
de Simancas, vot. 11bis, fo 112).
(51) Farnèse à sa mère, Bouges, 31 octobre 1578 (A. F. N., Carte farnesiane, Fîandra,
rasclo 1624); Farnèse au Cardinal Farnèse, même date (A. F. N., loc. cit., fascio 409).

66
être parlé d'armistice. Et voilà que, à brûle pourpoint, le même
Schwarzemberg demandait au prince de Parme de se prêter à la
conclusion immédiate d'une trève.
Farnèse décida de ne pas répondre à ces avances: il était con-
vaincu qu'il ne s'agissait pas ici d'une initiative de l'Empereur, mais
d'une manœuvre du prince d'Orange et de ses partisans. Etant donnés
les liens amicaux existant entre le Taciturne et Sehwarzemberg, il
s 'imaginait que les lettres envoyées par I'ambassadeur avaient en
réalité été préparées par les « Orangistes ». Aussi, pour que la
manœuvre ne pût se développer à son détriment, il en avertit de
suite le Roi et I'ambassadeur d'Espagne à la cour impériale, Don
Juan de Borgia.
Il mit en évidence que la conclusion éventuelle d'un amnistiee
ne pouvait se présenter à un plus mauvais moment. Le camp des
Ëtats venait de se disloquer et ces troupes étaient en retraite : les
forces espagnoles, au contraire, augmentaient progressivement en
;nombre. En peu de jours, le prince espérait être maître de la situa-
tion et pouvoir passer à l'offensive. En effet, si le bruit de la décon-
fiture de l'ennemi se confirmait - dèconfiture provoquée par le
manque d'argent, pal' la désunion et par la nouvelle de ce qui se
passait dans les provinces wallonnes - Farnèse était décidé à exécu-
ter le projet qu'il caressait depuis si longtemps : le siège et la prise
de Maestrioht.
Dans ces conditions, la conclusion d'unarmisti<l8 viendrait tra-
verser tous ses desseins. Il supplia donc le Roi et Don Juan de
Borgia d'empêcher que l'Empereur ne se laissât entraîner dans la
manœuvre imaginée par les Etats Généraux et dont l'ambassadeur
impérial lui semblait être le naïf complice, A Don Juan de Borgia en
particulier, Farnèse fit comprendre qu'il ne pouvait être question
darmisticeei l'on n'était d'abord assuré qu'il s'agissait réellement
d'une paix sincère, construite sur des basessolides. Et de cette paix,
le prince ne voyait pas Ta possibilité si les États ne commençaient par
forcer les Français de quitter le pays ou, du moins, ne se déclaraient
ouvertement contre eux.
L'attention devait d'ailleurs se porter surtout du côté des
événements d' Artois ; le mouvement quientraînaii les provinces
wallonnes vers un retour à l'obédience était la clef de la situation
politique (52).
(52) Farnèse au Roi, Bouges, 23 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas,
\'0'1. Hbis, fo 90); Farnèse à Don Juan de Borgia, Bouges, 29 octobre 1578 {RODRIGUEZ

67
Si le prince d 'Orange ot les 'États n'avaient pas inspiré la
démarche de Schwarzemherg, ils en espéraient en tout cas un bon
résultat. Nous avons l'écho de leurs désirs dans les lettres que les
agents anglais résidant auprès d'eux à Anvers, Davison et Rossel,
adressèrent
1
cette occasion aux ministres d '·Élisabeth.L 'un d'eux

allait jusqu'à écrire : « Si Farnèse exécute ce qu'on lui demande,


nous sommes à la fin de la guerre ! '> (53)
L'armistice iproposé alors par Schwarzemberg se comprenait
cependant fort bien. Si, au mois d'août, I'ambassadeur impérial et
les Etats Généraux avaient déclaré ne pas vouloir entendre parler
d'une telle mesure, parce qu'ils avaient été victorieux à Rijmenam,
cette fois ils étaient dans leur rôle en la demandant, parce qu'ils
constataient que la grande armée qu'ils avaient mobilisée contre
leurs adversaires se disloquait rapidement et qu'ils perdaient l'a
maîtrise de la campagne (54).
Philippe II semble l'avoir deviné immédiatement, car, au reçu
des lettres d 'Ottavio Gonzaga l'informant de la démarche de Schwar-
zemberg, il fit convoquer son Conseil d"État pour discuter de la
situation: il lui paraissait que cet armistice était tout à fait
inopportun (55).
Le prince de Parme était. d'ailleurs fermement décidé à ne pas
',donner dans le piège : il avait son plan tout prêt et ne dévierait pas
un ins tan t de la ligne de conduite qu'il s'était tracée : observer
'attentivement le mouvement de retour à l'obédience des provinces
wallonnes, l'encourager, l'exploiter, et en même temps en accélérer
la fin désirée ·en frappant un grand coup à Maëstricht (56).

\'ILLA, Correspondencia de Alejandro Farnesio, loc. clt., p. 308); Ottavio Gonzaga au


Roi, 29 octobre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 11bis, fo 88); Farnèse au Roi,
Bouges, 30 octobre 1578 (RODRIGUEZVILLA,O. c., p. 310); Farnèse au Roi, Bouges,
3 novembre 1578 (en français); dans GACHARD,Correspondance d'Alexandre Farnèse, 100.
clt., pp. 387-389.
{53) Davison aux secrétaires d'Etat d'Elisabeth, Anvers, 19 octobre 1578; Rossel à
Walsingham, mërne date; Davison à Burghléy, Anvers, 26 octobre 1578, dans Foreign
Calendcr, Elisabeth 1578-f.'i79, nOS 309. 318, 329.
(54) Les agents anglais résidant à Anvers signalent avec anxiété que l'armée des
Etats perd sa supériorité et devra bi-entôt céder à celle de Parnèse (Foreign Calendar,
Elisabeth 1578-1579, n= 351 et 352).
,(55) Sur la lettre de Gonzaga du 29 octobre, citée el-dessus, le RoI traoe cette
apostllle en marge: « ·Voir demain matin au Conseil ce qui s'ecrit de cet armistice;
il me paraît que cela ne convient pas. Répondre tout de suIte à De point ». (A. G. R., Copies
de Simancas, vol. 11bis, fo 88,)
(56) Solo supplloo é. V. Md. que en la resoluçlon que huvlere de tomar, nô pferda
tiempo, pues por no haver gozado del y de las occasiones que por lopassado se han
offreoido, estamos .agora tan atras, y si la division que ha començado a haver entre

68
Aussi, tout en protestant auprès du Roi qu 'iln 'entendait en rien
mettre obstacle aux efforts pour la paix (57), Alexandre se moquait
des avis de ceux qui navaient d'yeux et d'oreilles que pour ce côté
de la question. « Jecrois, écrivit-il à Antonio Perez, que toutes les
personnes qui ont été ici aux Pays-Bas autrefois - il désignait par
là notamment sa mère et le cardinal de Granvelle - ont perdu le
nord. Affirmer qu'il faut conclure la paix à n'importe quelle condi-
tion, pourvu qu'on sauvegarde la religion catholique et l'obédience
au Roi, c'est nous exposer aux plus graves difficultés du monde. En
effet, vous savez très bien que si nos adversaires l'avaient voulu
accepter ainsi, il y aurait déjà deux ans qu'ils seraient en possession
de cette paix! » (58).
Aussi le prince va-t-il pousser, sans plus se laisser distraire, à
la préparation de l'offensive contre les rebelles. Le moment propice
était enfin arrivé (59).
Au début de novembre, par suite de l'arrivée de nombreuses
troupes de secours, il disposait d'environ 26.000 fantassins et 8.000
cavaliers (60), tandis que l'armée des États, si l'on ne comptait pas
los Estados duro -y V. Md. se hall a apercibiclo, no dubdo sino que se hara algun gran
progreso -y que se atajara mucho camino. » Farnèse au Roi 21 octobre 1578 (RODRIGLTEZ
V(LLA, o. c., pp. 306-307). « Si el campo de! enemigo se deshaze como por todas partes
se aflrma que sie heshara, podriamos dar luego sobre Mastr lch. » Farnèse au Roi, 30 octo-
bre 1578 (RODRIGLTEZ VILLA, O. c., p. 310).
(57) « No es color para impedir el trato -y el conctuslon de la paz, pu'es asseguro
V. M. que no me passa por la imaginacion sino encaminar las cosas para que se haga
para la ma-yor seguridad de 10 que V. M. dessea » (A. G. R., Copies de Simancas, vol.
1ibis, fo 90).
{58) « Crea que todas las personas que an estado aqui en otre tiempo pierden agora
el norte » (Bouges, 3 novembre 1578, dans RODRIGl'EZ"VILLA,O. c., p. 350).
{59) « Comme j'ai maintenant toute l'armée qui peut entrer en campagne, je me
mettrai face à l'ennemi et j'agirai comme Dieu me l'inspirera ». Farnèse à sa mère,
l!2 octobre 1578 (A. F. N., Carte [arnesuine, Puuuira, fascia 1624).
(60) Lettre de Farnèse à sa mère, Visé, 12 décembre 1578 (A. F. N.,Carte t arnesume,
Fuuuira, fascio 1624). Strada donne le chlfïre de 24.000 Iantasslns et 7.000 cavaliers
(o. C., t. III, p. 19).
Voici d'ailleurs un état exact des forces, envoyé par Ottavlo Gonzaga au Roi en
date du 5 novembre 1578 :
Terçio espagnol d'Hernando de Tolède, 25 compagnies; Terçio espagnol de Don Lope
de Figueroa, 23 compagnies; terçioespagnol de Don Gabriel Nlfio, 17 cornpagnies ;
compagnies de chevau-légers : 31.
Reîtres allemands : 3.000 du duc de Brunswick; 1.500 du duc de Saxe; 1.000 de
1\1. de Samblemont; 1.000 du neveu de l'évêque de Ma-yence; 600 de M. de Bil'ly ; 500
de M. de BUs. - Infanterie alûemande ; 13 compagnies de Fronsberg; 22 compagnies de
Polweller, dont 5 en garnison à Ruremonde et 3 à Deventer; 11 compagnies du comte
de Berlaymont ; 5 compagnies de Charles Fugger; 20 compagnies du comte Annibal
d'Altemps. Infanterie bourguignonne; le régiment du baron de Chevraux et celui du
marquis de Varembon; 9 compagnies de ohevau-légers bourguignons se trouvant en
Bourgogne. - Wallons : 2 régiments, sous le comte de Mandravei (?) et le colonel Ver-

60
les troupes laissées par Alençon, ne pouvait lui opposer que 30.000.
fantassins et 7.000 cavaliers (61).
La plus grande partie des forces d 'Alexandre Farnèse était
composée d'Allemands, dont beaucoup, nous le savons, n'avaient plus
été payés depuis longtemps. 0 'Hait là, pour le prince, un très grave
souci, car il se demandait comment ces soldats, si habitués à se
mutiner, tiendraient la campagne dans ces conditions. Aussi n'avait-il
cessé, depuis deux mois, de supplier le ROI de lui envoyer l'argent
nécessaire pour faire face aux difficultés: de son côté, Ottavio
Gonzaga avait harcelé le souverain dans le même sens (62).
Finalement, le 12 novembre, Philippe II annonça qu'il avait
donné ordre de payer toutes les cédules qui portaient encore la
signature de Don Juan, qu'il envoyait 300.000 écus, et qu'il avait
mandé d'expédier 67.000 écus pour payer les vétérans allemands.
D'autres sommes allaient suivre, fournies par l'arrivée de quatre
galères chargées d'or dans les ports de Catalogne (63).
Tranquillisé quelque peu par ce secours et cette promesse, le
prince de Parme réunit son conseil de guerre pour aviser à la situa-
tion. Il savait maintenant où se trouvait I'armêe des Etats: par
Jodoigne, Tirlemont, Léau, Saint-Trond et Tongres (64), ces troupes
semblaient se retirer dans la direction de Maëstricht. Cette retraite
était accompagnée de désordres et d'actes d'indiscipline: dans la

dugo ; 3 régiments wallons, respectivement du comte de Rœulx, de M. de Floyon 'et de


M. de Hautepenne; 4. compagnies de Wallons venus de Philippeville, 2 compagnies de
Wallons en Limbourg. - 12 compagnies d'infanterie italienne. Il fallait y ajouter
les ,garnisons de Louvain, de Diest, de Léau, de Philippeville, de Beaumont, de Bouvignes,
de Mariembourg, de Chimay, du Luxembourg et du Limbourg, de Ruremonde, de
Deventer et de Bourgogne.
(A. G. R., Copies de Simancas, vol. iibis, r- 128).
(61) Lettre de Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578 .(A. F. N., carte torne-
siame, Pumâra, rasclo 1624.).
D'après le rapport d'Ottavio Gonzaga, l'armée des Etats se composait comme suit
en ce moment: 13 à 14.000 reîtres; 1.500 arquebusiers et gens des « bandes d'ordon-
nance »; 300 lanciers hongrois; 4.0 oompagniesanglo-écossaises; un régiment d'Alle-
mands; 8 compagnies de Français; 8 compagnies hollando-flamandes; il fallait y ajouter
5 à 6.000 hommes de Casimir et ce qui restait des troupes d'Alençon. A la date du
5 novembre 1578, Gonzagaestimait qu'il ne devait plus rester que 8.000 fantassins.
Farnèse Iul-même estimait cependant la force de ses adversaires au chiffre que nous
avons donné.
(62) P. ex. Lettres du 20 et 21 octobre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. Hbi;s,
fo' 63, 73, 76. 80, 88).
1(63)Le Roi à Farnèse, 12 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. Hbîs,
r- 136).
{64.) Raymond de Fornari à Davlson, .7 novembre 1578 (Foreign Caienda», Elisabeth,
1578-1579,n- 358).

70
région de Looz, les reîtres se Iivraient à des pillages et allaient jus-
qu'à dépouiller les habitants de leurs habits, les chassant tout nus de
leurs maisons (65).
Au conseil dé guerre assistèrent Pierre-Ernest de Mansfelt,
Ottavio Gonzaga, le comte de Rœulx, le comte de Berlaymont, Gabrio
de Serbelloni, Robles de Billy, Adrien de Noyelles, Jean-Baptiste de
'I'assis et tous les colonels des ierçios espagnols (66).
Il apparut tout de suite, au cours des délibérations, que deux ques-
tions dominaient toutes les autres: d'abord, le danger où se trouvait
la ville de Deventer, assiégée en ce moment par Georges de Lalaing,
comte de Renneberg, et que défendait courageusement un lieutenant
du baron de Polweiler avec une garnison de soldats allemands;
ensuite, les événements qui se passaient dans les provinces wallonnes.
On pouvait marcher avec l'armée dans la direction de la Flandre,
pour y soutenir les Wallons contre les Gantois et les déterminer à se
réconcilier plus rapidement avec le Roi. Mais le prince de Parme
estimait que cette campagne serait difficile, pour ne pas dire
impossible : on manquait dartillerie, de munitions, de sapeurs. En
hiver, il serait dur d'assiéger des places fortes et il n'y aurait
d'ailleurs pas moyen d'établir des camps en Flandre par la saison
de pluies qui avait commencé.
D'autre part, si l'armée s 'en allait dans la direction de
Deventer, pour dégager cette ville, il était à craindre que les Wallons
ne finissent par s'entendre avec les Gantois ou qu'ils ne se jetassent
dans les bras des Français : on savait que leurs chefs conservaient
encore des sympathies pour le duc d'Anjou.
On ne pouvait cependant pas nier l'importance de Deventer:
c'était la porte par laquelle il serait possible de s'introduire dans les
provinces de Gueldre, de Frise et d'Overiissel et d'essayer de les
réduire à l'obédience du Roi. Il fallait d'ailleurs conserver intactes
l'infanterie et la cavalerie espagnoles qui restaient. EUes constituaient
toujours le nerf principal des forces du prince de Parme, et il ne
fallait pas les faire décimer afin de les conserver pour une offensive
à faire au printemps, si les efforts du Roi en \TUede la paix subis r-

saient un échec (67).

1(65) Même lettre.


(66) STRADA,o. c., t. III, p. 21.
(67) Farnèse au Roi, Bouges, 18 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. Hbis, fo 146); Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578 {A. F. N., Carte torne-
siane, Fiandra, rascto 1624).

71
Pour toutes ces raisons, que Farnèse développa devant . les
membres du conseil de guerre, il fut' résolu de commencer par porter
secours à Deventer. Le prince de Parme, quittant Bouges, partirait
avec la plus grande partie de l'armée vers le duché de Limbourg, se
rendrait maître en passant du « repaire de brigands » qu'était le
château de Karpen et se dirigerait vers le Rhin. De cette façon, il
couvrirait l'opération du secours de Deventer. Dans ces régions,
l'armée royale pourrait dailleurs mieux se ravitailler que dans la
région de Namur, où tout avait été pillé et dévasté.
Une fois Deventer dégagée, on tâcherait de découvrir les inten-
tions de l'ennemi, on sonderait les dispositions des populations de
Gueldre, dOverijssel et de Frise, et on finirait par aller là où il
semblerait possible de frapper un coup (68).
Ces décisions marquent clairement le désir secret de Farnèse de
remonter vers le Nord pour se rabattre au moment voulu sur Maes-
tricht et en commencer immédiatement le siège (69).
Des négociations de paix que Philippe II tentait d'amorcer avec
les 'lDtats Généraux par l'intermédiaire de l'Empereur, le prince' de
Parme, tout à ses projets d'offensive, ne se préoccupait pas beau-
coup; il n "avait aucune confiance dans leur résultat et estimait
impossible de fonder la paix sur les points auxquels le Roi tenait :
le maintien de la religion catholique, le retour à l'obédience, la Paci-
fication de Gand, avec certains correctifs' (70).
Des tentatives de I'Empereur, on n'avait d'ailleurs aucune
nouvelle (71). Il restait, il est vrai, la démarche insolite de Schwar-
zemberg pour obtenir la conclusion d'un armistice. Cette question-là
fut au s'si soumise par Farnèse à son conseil.
Certains conseillers - et l'on peut sans doute supposer que
d'Assonville fut parmi eux - auraient voulu que le prince de Parme
ne refusât pas de discuter la question de L'armistice : ils lui suggé-
raient de déclarer à Schwarzemberg qu'il serait heureux d'entamer
des négociations et de proposer une réunion, qui se tiendrait à Lou-
vain, entre ses délégués et ceux des 'États Généraux. Dans l'esprit
de ces conseillers, cette attitude aurait 'surtout pour but de montrer
que le prince de Parme ne refusait pas d'entendre· raison et que ses
(68) Farnèse au Roi, lettre citée; Farnèse au cardinal Farnèse, Namur, 26 novem-
ore 1578 (A. F, N" Carte tamesume, Fiandra, fascia 1624),
(69) Cfr M. H, J, P. THOMASSEN, Krijgsbedrijven van Alexander Farnese in Limburg
en aangrenzende gewesten, pp. 36 et 37.
{7D) Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578 (lac, clt.).
(71) Farnèse à sa mère, lettre citée; Farnèse au Roi, lettre citée.

72
dispositions étaient pacifiques. Si .les conditions proposées parais-
saient inacceptables, onn',auraitriell perduià amorcer ces pour-
parkr& .
U Il autre groupe de conseillers, parmi lesquels Gilles de Berlay-
mont se montra le plus décidé,. estimaient qu'en aucune manière on
ne pouvait se prêter à ces discussions; -Les 'Etats Généraux étant
divisés entre eux, les décisions prises ne pourraient en aucun cas
être sérieuses. De plus, en négociant avec les-partisans du prince
d'Orange, on pourrait exaspérer les provinces wallonnes et les
engager à se tourner du côté des Français. Ce serait là la pire des
catastrophes : puisque Ie Roitenait surtout à la conservation de la
religion catholique, on ne devait pas pousser.uux extrêmes ceux qui,
précisément pour cette cause de religion, avaient pris les armes (72).
Le prince de Parme ne put qu'approuver cette dernière manière
de voir. Cependant, pour ne pas paraître intraitable, il consentit
à recevoir Schwarzemberg et à Pécouter {73). Mais il était décidé
d 'avance à ne pas concéder l'armistice. Pour lui, il restait convaincu
que cette démarche de l'ambassadeur impérial n'était qu'un piège
tendu par le prince d'Orange pour contrecarrer la réconciliation des
provinces wallonnes et se faire attribuer le mérite d'avoir entamé
le premier des négociations en vue d'une paix générale (74). De plus,
il estimait nécessaire d'attendre la venue du duc de 'I'erranova, qui
était en route pour porter à l'Empereur les conditions auxquelles
Philippe II était prêt à se rêconcilier ravec les rebelles (75).
Refoulant donc cette question de l'armistice à l'arrière-plan de
ses préoccupations (76), et tout en continuant à observer ce qui se
passait en Artois et chez les M olconients et à maintenir le contact
avec eux, AJexandre Farnèse se donna tout entier à l'œuvre militaire.
Conformément aux décisions prises en conseil de gu,erre,Gilles
de Berlaymont avait été envoyé en avant pour dégager Deventer
assiégée. Comme l'ennemi, à la nouvelle de l'arrivée de ce secours,
avait passé de J'autre côté du Rhin pour en disputer le passage et

(72) Farnèse au Roi, Bouges, 18 novembre 1578. (lac. cit.).


«3) Farnèse à sa mère, Visé, 12 décembre 1578 (A.F. N., Carte tameeuine, Fuuuira,
fassio 1624).
(74) Même lettre; Farnèse au. Roi, 16 décembre 1578 (GACHARD, Correspondance
d'Alexandre Farnèse, lac. cit., pp, 413-414).
(75) Farnèse à sa mère, Visé, 12 décembre 1578 (lac. cit.).
(76) Le Roi l'approuvait d'ailleurs sur ce point, en lui écrivant: « Au regard de la
suspension d'armes, m'a semblé (comme à .vous et pour les raisons par vous alléguées)
qu'elle ne convient pour maintenant, dépendante, pour l'avenir, du chemin que prendront
les affaires. » (GACHARD, Correspondanced.' AJexandte Farnèse ..., lac. olt., p. 406).

73
empêcher l'accès de la place, Robles de Billy reçut l'ordre d'appuyer
Berlaymont avec quelques cornettes de cavalerie (77).
En même temps, le prince de Parme fit partir dans la direction
du duché de Limbourg l'infanterie espagnole et 'allemande, pour
soutenir les efforts de ses deux capitaines (78). Avant le départ de
ces troupes, il les avait passées en revue et lem avait distribué une
partie de leur arriéré de solde pour éviter qu'elles ne se révoltassent
en chemin. Il avait aussi réussi à se débarrasser des 3.500 reîtres du
duc de Brunswick qui n'avaient plus été payés depuis longtemps et
qui n'étaient plus d'aucun secours (79).
Le 28 novembre, Farnèse lui-même quitta Namur, faisant arbo-
rer pour la première fois son étendard, porté par le même alferez
'qui avait porté naguère celui de Don Juan d'Autriche. Sur l'un
des côtés de cet étendard était représenté Je Christ, sur l'autre
figurait l'image de la Vierge Marie tenant l'enfant Jésus dans ses
bras (80), avec cette inscription: 8ub tU~tm praesidùvm confu-
gimus (81).
Pal' Marche-en-Famenne, le prince se dirigea sur Limbourg, où
il arriva le 3 décembre (81'2).n y apprit par Olivera, commissaire
général de la cavalerie, qu'il avait envoyé en reconnaissance du côté
de Deventer, que cette ville venait de se rendre 'au comte de
Renneberg et que les efforts de Berlaymont et de Robles de Billy
avaient été vains (83).
,Ce contretemps, aggravé par la circonstance que la reddition
s'était faite alors que les défenseurs avaient encore des vivres pour
vingt jours, embarrassa le prince de Parme. Il réunit sur le champ
son conseil de guerre. Il fut décidé que l'on commencerait par s 'em-
parer des châteaux fortifiés de Karpenet dErkelens, de façon à
assurer les communications avec l'Allemagne et à pouvoir plus faci-
lement se ravitailler. La prise de ces endroits fortifiés empêcherait

(77) STRADA, O. c., t. III, p. 24.


((8) Farnèse à sa mère, Namur, 26 novembre 1578 (lac. cit.).
(79) Gonzaga au Roi, Bouges, 18 novembre 1578 et 19 novembre 1578 (A. G. R,
Copies de Simancas, vol. Hbis, foS 154 et 156); Giorgto Rinaldini à Marguerite de Parme,
Limbourg, H décembre 1578 (A. F. N., Carte tarnesiane, Fiandra, rascto 1629).
(80) Giorgio Rinaldlni à Marguerite de Parme, 27 novembre 1578 (A. F. N., Carte
farnestane, Fiandra, fascio 1629).
(81) Liber relationum, r- 250vo•
(82) STRADA, o. c., t. III, p. 25.
(83) Liber relationum, r- 51vO ; Farnèse au Roi, Limbourg, 5 décembre 1578 (A. G. R.,
Copies de Simancas,vol. iibis, fo 233); Farnèse à sa mère, Visé, le 12 décembre 1578
~A. F. N., Carte [amesum«, Fiandra, fascio 1624}; STRADA, o. C •• t, III, pp. 25 svv.

74
aussi la ville de Maestrieht de communiquer du côté du Rhin et pré-
parerait de loin son complet investissement.
H fallait ensuit-e assurer Ruremonde en lui fournissant des
secours en hommes et en vivres. C 'est en cet endroit, en effet, que
le prince de Parme, après avoir réuni toute SOlIl armée, comptait
passer la Ruhr et pénétrer dans la Campine, pour compléter de ce
côté l'encerclement de Maestrieht,
La menace ainsi prononcée contr-e cette ville pourrait servir
à encourager les M alcontenis et les provinces wallonnes : M. de la
Motte, le principal agent de Farnèse dans ces régions, avait fait con-
naître que cette manœuvre était de nature à aider beaucoup l'œuvre
de réconciliation. De plus, Alexandre Farnèse estimait que, si un
armistice venait à être conclu à la suite de l'intervention de ~'Empe-
reur, cet événement trouverait l'armée du Roi « en pays ennemi »,
où elle pourrait vivre eans dommage aucun pour ses amis. Appuyé
sur Namur, Louvain et les villes de la Campine, Farnèse serait en
sécuritésuffisarrte pour ·S 'occuper, saas en être distrait, des affaires
des M alcontents (84).
Pendant que le prince faisait occuper par ses troupes toute la
région qui s'étend entre Daelhem et les environs de Macstricht,
lui-même alla se fixer à Visé, sur la Meuse, d'où il pourrait mieux
surveiller le développement de ses plans (85).
En ce moment, toute opération d'envergure était empêchée par
une pluie abondante (86). De plus, le prince ne disposait pas d'une
quantité suffisante de poudre pour canonner quelque ville impor-
tante (87). Les renseignements qu'il possédait sur la situation de
l'armée des rebelles étaient cependant de nature à suggérer quelque
coup à faire: cette armée avait fini sa retraite et se trouvait
groupée entre Grave et Bois-le-Duc (88).
Débandée en partie et travaillée par le mécontentement, faute
de solde, elile inquiétait ses chers. Ceux-ci avaient été obligés de
laisser leur artillerie, comme gage, entre les mains des reîtres et des
lansquenets allemands (89).
(84) Tout ceci d'après la lettre de Farnèse au ROi,Ltmbourg, 5 décembre 1578 (A.
G. R., C()I[Jies de Simancas, vol. 11bis, fo 233) et celle de Farnèse à sa mère, Visé, le
12 décembre 1578 (lac. cit.).
(85) STRADA, o. C., t. III, p. 28.
(86) Liber relationum, fo 52.
(87) Lettre citée.
(88) Farnèse au Roi, Limbourg, 5 décembre 1578 (lac. cit.).
(89) Davison aux secrétaires d'Elisabeth, 3 décembre 1578, dans Foreign Calenda1',
Elisabeth, 1578-1579, n° 413.

75
D'autre part.Tes :]]tats Généraux ne pouvaientplus compter SUl'
l'appui des reîtres du palatinCasimir;
Celui-ci, 'llOUS l 'avons vu, ne' pensait qu'à s'en débarrasser au plus
vite, s'il pouvait trouver quelqu 'un qui consentît à leur payer leur
arriéré de solde. Or, lesÉtats n'avaient plus de ressources (90); de
.sorte que ces cavaliers, surtout redoutables au moment où ils avaient
la bourse vide, parcouraient en tout sens la Campine, vivant sur le
pays et semant la terreucdanstes villages.
Farnèse .déeida de: s'en tenir. aux- premières opérations décidées
par le conseil de guerre :l'attaqne de Karpen et de Erkelens,
qu'allait faciliter l'arrivée de cinq-cu six pièces d'artillerie expédiées
de Namur (91).

A ce moment, il se présenta un nouveau développement dans


l'ensemble des tentatives de Schwarzemberg pour obtenir la conclu-
sion d'un armistice. L'ambassadeur impérial cherchait par tous les
moyens à entrer en contact avec Farnèse. En compagnie du prince
d'Orange, il s'était présenté, le 1er décembre, à l'assemblée des
États Généraux à Anvers et leur avait fait connaître les proposi-
tioasquil comptait faire au prince de Parme au nom de l'Empe-
reur (92). Les États discutèrent immédiatement ces propositions. Le
2 décembre, ils furent d'avis qu'il était, en effet, opportun de
s'acheminer vers les négociations
, . pour la paix générale en propo-
sant un armistice d'un mois à six semaines. Us décidèrent d'écrire
à toutes les provinces « comme l'on. est entré en pourparlé de paix »,
les engageant à ne rien attenter contre l'union de tous en face de
l'Espagnol, aussi longtemps que les tractations dureraient (93).
Schwarzembergeut d'abord quelque difficulté à entrer en rapport
avec Farnèse. Il s'était imaginé le trouver encore à Namur; ayant
(90) Farnèse au Roi, Vise; 14 décembre 1578 (A. G. R, Copies de Simancas, VGL iibis,
fo 2411.
(\J1) Sur les négociations pénibles que les Etats entreprirent avec les reîtres du
palatin Casimir et les autres qui étaient à leur service, voir des documents significatifs
dams N. JAPIKSE, Resouüiën. de?' Btaten Genertuü, t. II, 1578-1579, pp. 236-250.
(92) JAPIKSE, neeotuuë« de?' Btaten. 'Generaal, t. II, 1578-1579, p. 49, n- 122. A lire
ces résolutions, i'l semble bien que c'est l'Empereur qui avait pris l'initiative de la pro-
position d'armistice et il en résulte que Farnèse s'était. trompé en voyant dans la
démarche de Schwarzemberg une manœuvre du prince d'Orange. Mais la résolution
des Etats du 2 décembre nous semble indiquer assez clairement qu'ils y voyaient surtout
un moyen d'empêcher la scission des provinces wallonnes et Farnèse avait donc ju~
sainement la portée des démarches de. I'ambassadeur Impérial.
(93) JAPIKSE, O. C" t. II, pp. 50-51, n° 124.

76
appris qu ']1 était parti pour le Limbourg, l'ambassadeur s'arrêta à
Louvain et s'efforça d'obtenir du prince une entrevue (94). Alexandre
Farnèse le laissa pendant quelques jours dans la plus complète
incertitude.
En effet, il se défiait beaucoup de Schwarzemberg. Si, à la suite
des décisions qui avaient été prises en Conseil, ill était prêt à le
recevoir, il n'attendait aucun résultat de cet échange de vues.
Aussi avait-il commencé par retenir l'envoyé de Schwarzemberg
pendant trois jours à Limbourg. En le laissant rpartir, il l'avait
chargé de dire à SOiIl maître que, comme il était avec son armée en
campagne et sans résidence fixe, on pourrait pellt-êtrees'sayer
d'organiser une entrevue soit à Namur, soit à Louvain. Ce que vou-
lait surtout Farnèse, c'était gagner du temps: il était résolu à ne
rien décider avant l'arrivée du duc de Terranov.a ou avant d'avoir
reçu des nouvelles de Don Juan de Borgia. Cependant, il ne voulait
pas refuser l'entrevue que Schwarzemberg sollicitait, pour qu'on ne
pût pas l'accuser d'être opposé à la paix (95).
A sa mère, :Îil confiait, à ce propos, qu'il était toujours convaincu
que l'ambassadeur impérial n 'était en tout ceci que le porte-parole
du prince d'Orange et que le but des démarches de Schwarzemberg
,était d'empêcher la réconciliation des provinces wallonnes (96).
Finalement, L'entrevue eut lieu à Visé, le 23 décembre (97).
L'ambassadeur impérial commença par demander avec insistance
la conclusion d'un armistice. Il fit valoir que, si on ne l'accordait pas,
les Pays-Bas pourraient se détacher complètement de l'obédience du
Roi: les États, poussés par le désespoir, se jetteraient dans les bras
des Français et concluraient avec ceux-ci une alliance formelle. Le
prince de Parme demanda alors à Schwarzemberg si les 'États se
soumettaient à l'arbitrage de l'Empereur pour les conditions de 'la
réconciliation; il lui fut répondu que oui.
Ne se fiant point à cette déclaration, le prince pria l 'ambassa-
deur de lui mettre par écrit les affirmations qu'il venait de faire.

(94) Foreign coienaar, Elisabeth, 1578-1579, nOS443, 450, 453.


(95) Farnèse au Roi, Visé, 15 décembre 1578 (A. G. R., Copies de Sirnancas, vol. ii/ris,
fo 252; vol. 12, r- 3 ); Farnèse à sa mère, Visé, 12 décembre 1578 (loc. cit.).
(96) Farnèse à sa mère, Visé, 12 décembre 1578 (loc. cit.). Comparez la lettre de
Farnèse au Roi, Visé, 16 décembre 1578 {GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse ...,
lOC. cit .. pp, 413-414).

(97) « Estant ledict comte icy arrivé le XXII" dud!ct moys passé, et luy ayant donné
le Iendemain audience ... » Farnèse au Roi, Visé, 7 janvier 1579 (GACHARD, Correspondance
d'Alexandre Farnèse, loc. clt., p. 424).

77
Lorsque Farnèse prit connaissance de cet écrit, il constata qu'il n'y
était point dit que les États se soumettaient à l'arbitrage de l'Em-
pereur, mais bien qu'ils prenaient celui-ci comme « médiateur et
intercesseur ». Il était clair, dès lors, qu'ils rr'entendaient pas se sou-
mettre à la décision que l'Empereur imposerait en la matière.
Dès ce moment, le prince fut plus convaincu que jamais que
Schwarzemberg n'était que l'écho du prince d'Orange.
, Afin qu'aucune échappatoire ne fût possible, Farnêse envoya
chez l'ambassadeur impérial le conseiller Fonck et Jean-Baptiste de
'I'assis, membre du conseil de guerre, pour demander formellement
à Sehwarzemberg s'il n'y avait aucune déclaration de la part des
:États de se soumettre à la sentence de l'Empereur. Schwarzemberg
dut avouer qu'il n'y avait pas autre chose que ce qu'il venait de
déclarer par écrit; très embarrassé, il finit par dire que, personnelle-
ment, il avaitcependant compris la décision desÉtats dans le sens
d'une soumission entière à l'arbitrage impérial.
Suffisamment édifié sur le fond de l'affaire, le prince de Parme
fit observer à Schwarzemberg que les mots « médiateur et interces-
seur» n'étaient pas de nature à lui donner satisfaction. Schwarzem-
berg, fort perplexe, insista cependant pour que l'on consentît à
traiter de l'armistice, se faisant fort d'obtenir des 'États la soumis-
sion à l'arbitrage dont Farnèse faisait une condition absolue (98).
Farnèse réunit alors son conseil et fit examiner la situation. Il
apparut à tous qu'en aucune manière on ne pouvait commencer la
négociation pour I'armistice avant que les 'ÉtaJts n'eussent remis,
sans rés-erve, la pacification générale entre les mains de l'Empe-
reur (99). Tous les conseillers furent aussi d'avis que ces négociations
seraient dommageables, puisqu'elles pourraient susciter les soupçons
des Wallons et entraver la négociation entamée avec eux (100).
On remit à Sehwarzemberg une déclaration par écrit affirmant
que le prince de Parme ne consentirait à conclure un armistice 'que
si les députés du Roi d'Espagne et ceux de l'Empereur, qui devaient
se réunir à Cologne pour traiter de la paix générale, jugeaient qu'il
devait en être ainsi.
Schwarzemberg s'en montra fort mécontent. Pour ne pas rompre

.(98) Farnèse au Roi, Visé, 7 janvier 1579 (lac. cit.).


(99) Farnèse au RoI, Visé, 31 décembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. !ibis,
fo 285).
(100) Ofr la lettre d'Ottavio Gonzaga au Roi, Vis'é, 30 décembre 1578 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. !ibis, fO 281),

78
complètement le contact, le prince de Parme fit rédiger urie autre
note, où il se disait prêt à expédier immédiatement un courrier au
duc de Terranova afin desavoir ce que contenait l'instruction donnée
à celui-ci par le Roi à propos de l'armistice. En 'attendant ces
nouvelles, Schwarzemberg pourrait se retirer à Liége ou en un autre
endroit et y attendre de plus amples informations de la part de
Farnèse.
Là-dessus, l'ambassadeur partit. Il a'attarda deux jours à Liége;
n'obtenant aucun éclaircissement de Farnèse au bout de ce séjour,
il s'en retourna à Anversauprès des 'États Généraux (101).
Les agents anglais résidant dans cette ville auprès du prince
d'Orange avaient suivi avec une attention particulière les péripéties
du voyage de Schwarzemberg (102). L'angoisse les tenaillait: chargés
'par la reine Élisabeth d'empêcher, 'si possible, que les États ne se
donnassent au duc d'Anj-ou, tout effort de pacification et de récon-
ciliation avec Philippe II devait être pour eux le bienvenu. Malgré le
silence observé par Schwarzemberg après son entrevue de Visé, ils
espéraient toujours et, le 2-9 décembre, Rossel, écrivant à Wal-
singham, lui laissait croire que bientôt on aurait une suspension
d'armes (103).
De son côté, en rendant compte au Roi de son entrevue avec
l'ambassadeur, Alexandre Farnèse insista sur le fait qu'il n'y avait
rien à attendre de ce-s négociations. Les États se trouvaient sous
l'influence du prince d'Orange, « qui est, dans le m-onde entier,
l'homme qui a le plus horreur de la paix ». N'avait-il pas découvert
ses intentions sur ce point à un de ses confidents, Vanden Dorpe, qui
fut gouverneur de Zierikzee, que les soldats espagnols avaient fait
1
prisonnier et avec lequel Farnèse avait pu parler librement de la
situation ~ Le Roi devait savoir aussi que ces manœuvres de Sehwar-
zemberg avaient refroidi les sentiments des 'Vallons et que les
négociations entamées en souffraient déjà. Le prince de Parme avait
d'ailleurs réussi, en offrant un copieux banquet à l'ambassadeur, à
délier la langue de celui-ci et à lui faire déclarer que ses efforts pour
obtenir un armistice s'inspiraient de la mauvaise situation où se
trouvait l'armée des 'États. Farnèse en concluait que consentir à
l'armistice, ce serait permettre aux États de reprendre des forces, de

(101) Farnèse au Roi, Visé, 7 janvier 1579 (GACHARD, loc. cit., pp. 425-426).
(102) FlYl'eign Caienâar, Elisabeth, 1578-1579, n= 443, 450, 453, 457, 460, 473, 476.
(103) Anvers, 29 décembre 1578, dans Foreign Calendar, Elisabeth, 1578--1579, n- 476.

79
recueillir de l'argent chez leurs alliés pour payer l'arriéré de .solde
de leur armée et pour mettre sur pied de nouvelles troupes, qui vien-
draient assaillir les Espagnols au prochain printemps {104).
Le prince de Parme jugea aussi nécessaire d'avertir Don Juan
de Borgia et de le mettre en garde contre les manœuvres des adver-
saires. Il lui disait être étonné de la partialité avec laquelle Sehwar-
zemberg jugeait la cause des 'États. Comment pouvait-il se faire que
l'Empereur, alors que les États ne lui avaient pas encore remis en
mains la négociation pour la paix comme l'avait fait le Roi
d'Espagme, désirât un armistice au moment où cette suspension
d'armes était défavorable à la cause espagnole La situation telle
î

qu'elle se présentait dans les provinces wallonnes semblait laisser


présager de ce côté un prompt retour à l'obédience. C'est pour ce
motif que le prince d'Orange avait envoyé Schwarzemberg chez le
prince de Parme et fait partir pour l'Artois le vicomte de Gand et
le marquis de Havré, avec des instructions précises au nom de
I'archidue Mathias et des Etats Généraux. Ces émissaires devaient
déclarer aux Etats des provinces wallonnes que Schwarzemberg était
muni de pouvoirs suffisants pour conclure un armistice et pour trai-
ter de la paix générale et que, si les Wallons ne restaient pas fidèles à
« la généralité », ils se verraient exclure des bénéfices du traité de
paix définitif. On pouvait constater que déjà les négociations enta-
mées par Farnèse avec les Wallons ne marchaient plus aussi bien.
Et Farnèse de conclure : avant tout, l'Empereur ne doit plus
parler darmistice avant que les Etats Généraux n'aient formelle-
ment déclaré se soumettre d'avance à son arbitrage.
Ce qui lui incombe, c'est le devoir de réunir le plus tôt possible
ses députés, ceux du Roi d'Espagne et ceux des 'États Généraux à
Cologne ou ailleurs et d'entamer la question de la paix d'une manière
sérieuse et sur des bases solides (105).
Une fois de plus, le prince de Parme ne s'était pas laissé dis-
traire de son objectif principal: mener de front les négociations avec
les Wallons et les opérations offensives contre les rebelles et activer
celles-là par le bon résultat de celles-ci.
L'année 1578 se terminait d'ailleurs sous de bons auspices ~ le
principal adversaire de Farnèse, le comte de Boussu, le vainqueur de

(104) Farnèse au RoI, Visé, 31 décembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol Hbis,
fOS 285 svv.).
(105) Farnèse à Don Juan de Borgia, Visé, 29 décembre 1578 (A. G. R., Copies de
Sfmancas, vol. Hbts, r- 276).

80
Rijmenam, mourut. L'armée des Êtats, pour autant qu'elle méritait
encore ce nom, y perdit UIll chef de valeur éprouvée, celui qu'Ottavio
Gonzaga appelait « la meilleure pièce que le prince d'Orange possé-
dait dans son jeu» (106).

(106) Gonzaga au Roi, Vis'é, 30 décembre 1578 (A. G. R., Copies de S'imancas, vol. 11bis,
rD 281).

8J
OHAPITRE III

L'OFFENSIVE DE FARNÈSE
ET LES PRÉPARATIFS DU SIÈGE DE MAESTRICHT

Les comtes de Mansfelt et de Berlaymont avaient suggéré de


diriger l'armée sur le Hainaut et d'essayer de pénétrer par là en
Flandre, mais Farnèses 'y était refusé par crainte de voir rompre
les négociations avec les Wallons et parce que, à cette époque de
l 'année, il était impossible d'entreprendre une campagne dans les
plaines flamandes (1). Le prince s'en tenait donc à sa première idée:
occuper tout le pays de Limbourg et les régions avoisinantes pour
isoler Maestricht , ensuite, lorsque son artillerie aurait été réorga-
niséeet renforcée, tenter le siège de cette ville (2).
Il lui semblait toujours que c'était l'entreprise qui se présentait
COIDilIl:eétant la plus facile à mener à bonne fin. De Visé, où il se trou-
vait, on pouvait disposer librement de la Meuse,et du côté de l'Alle-
magne il y avait désormais toute sécurité (3). En effet, dans les pre-
miers jours de janvier, Mondragon était apparu devant le château de
Karpen, Après un bombardement de quatre jours, la garnison se
rendit. Elle fut massacrée : le commandant Beelen, fils de l'écoutète
Mathias Beelen de Maëstricht, fut pendu. Oette exécution avait pour

(1) Le 21 février, le Roi fit connaître à Farnèse qu'â abandonnait le projet de faire
marcher son armée sur Alost, Gand et Bruges, projet que lui avait suggéré le comte
Annibal d'Al temps, et qu'Il approuvait l'Idée d'assiéger Maestrlcht (A. G. R., Copies de
Simancas. vol. 12, r- 99).
(2) Farnèse au Roi, Visé, 9 janvier 1579 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12,
fo 15); Farnèse au même, 23 janvier 1579 (ibidem, fO 33).
(3) Farnèsë au Roi, 23 janvier 1579 (loc. clt.).

82
but de punir ces soldats des pillages et des cruautés dont ils s'étaient
rendus coupables dans la région (4).
Puis ce fut le tour d'Erkelens en Gueldre. Parcourant victorien-
sèment la province de ce nom, Mondragon rencontra une troupe de
500 fantassins et de 50 cavaliers des 'États, quise rendaient à Venloo,
et les tailla en pièces. Il chassa ensuite de la ville de Stralen la gar-
nison qui l'occupait (5).
En même temps que Mondragon opérait dans cette région, le
capitaine de cavalerie espagnol Pedro de Tassis, un ancien com-
pagnon d'armes de Farnèse, avait joint ses troupes avec celles du
comte de Rœulx. Attaqués par un groupe de soldats des 'États, les
deux chefs espagnols les repoussèrent et les poursuivirent jusqu'aux
portes de Venloo. Envoyé par Farnèse 'Pour occuper le château de
Bleyenbeek, dont le propriétaire, Sehenck, était du parti du Roi,
Pedro de Tolède avait passé de nuit la Meuse et surpris un cornette
de reîtres ennemis, cantonnés dans un couvent qui se trouvait dans
les environs (6).
Ayant ainsi complètement isolé Maastricht du côté de l'Alle-
magne et de la Gueldre et acquis la maîtrise de la Meuse 'dans ces
régions, le prince de Parme fit pousser fiévreusement les préparatifs
pour la grande entreprise qu'il méditait depuis si longtemps. Etant
donné le manque de chariots de transport, on pourrait, grâce à la
présence de la Meuse, acheminer déjà vers Maestricht les munitions,
les vivres, les fascines pour retranchements et tout le matériel requis
pour le siège. Le comte de Berlaymont, préposé à l'artillerie, s'effor-
çait de rassembler 40 à 45 canons et une quantité de poudre suffi-
sante pour tirer 12.000 coups; il fit venir de Bourgogne, de Lorraine
et des places fortes occupées par des garnisons espagnoles une aussi
grande quantité de munitions que possible. Pierre-Ernest de Mansfelt
était parti pour son gouvernement du Luxembourg afin d'y recruter
des sapeurs et des pionniers et comptait en lever aussi dans le pays
de Liége (7).
Entretemps, le prince de Parme faisait harceler l'ennemi dans
la région située entre Maestricht et Louvain et avait chargé de cette

(4) TROMASSEN, Krijgsbedj'ijven van Alexandej' Farnese in Limburg, pp. 38-40; err
aussi STR.ADA, o. c., t. MI, pp. 28-29. Dans sa lettre au Roi du 7 janvier, Farnèse parle
de « la ladroneria de Querpan ».
(5) TROMASSEN, o. c., p. 40; 8TRADA, O. c., t. III, pp, 29-30.
(6) TROMASSEN, o. C., p. 40; STRADA, o. C., t. III, pp. 30-3L
(7) Farnèse au Roi, Born, 23 [anvler 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. i2,
ros 33 sv.).
83
mission le marquis Jean-Baptiste del Monte. Celui-ci s'en acquitta
av-ec l'audace et Texpérience qui l'avaient toujours caractérisé.
Près de Léau, alors qu'il ne disposait que de 50 lanciers et de
25 arquebusiers, il n'avait pas hésité à attaquer cinq cornettes de
reîtres et les avait mis en fuite.D 'après les ordres du prince de
Parme, .il tint continuellement I'ennemi en haleine, ne lui laissant
point de repos, et l'attaquant av-ec les f-orces qu'il avait fait venir
des garnisons de Diest" Lêau et Aerschot (8).
Les soldats de Farnèse semblaient ven ce moment en bonne
forme: les agents anglais aux Pays-Bas ne pouvaient s'empêcher
de le signaler à la reine Élisabeth : « La discipline et l'ordre dans
l'armée du prince de Parme, écrivait Rogers, sont de beaucoup meil-
leurs à ce qui se constate dans Parmêe des États, où, pour le moment,
il n'yen a pas» (9).
Le 18 janvier, le prince de Parme quitta Visé avec le gros de
son a.rmée (10). Celle-ci comptait en ce moment des lanciers et des
'arquebusiers espagnols et italiens, ainsi que des reîtres allemands,
au nombre total de 7.500, et 26.000 fantassins. Après avoir passé par
le sud du Limbourg) l'armée s'approcha de la Meuse à Born et se
dirigea sur Echt. Farnèsey avait fait préparer un pont pour passer
le fleuve; la pluie l'empêcha de réaliser son projet (11). En l'absence
de barques) il décida de chercher un passage à un autre endroit. Il
fallait avancer avec prudence, car on signalait un rassemblement
de troupes ennemies à Eindhoven (12),
D'Echt, l'armée se dirigea vers le Nord, ce qui l'obligea à passer
d'abord la Ruhr au-dessus de Ruremonde. Deux joUTS après, elle
arriva à Beesel, où devait se faire la traversée de la Meuse (13).
Le prince de Parme rencontra de grandes difficultés. On avait
préparé un pont immédiatement au nord de Ruremonde, mais la
pluie ayant g-onfléles eaux' du fleuve, il fallut tenter le passage une
demie lieue plus loin. Le 2 février, l'avant-garde de 'l'armée commença
Ia traversée de la Meuse, qui dura jusqu'à la nuit. Une tempête de
vent e.t de neige arrêta alors les opérations. Le 7 au matin, le·prince
de Parme passa avec le reste de sesrtroupee, après avoir envoyé

(8) STRADA, O. c., t. III, pp. 31-33.


(9) Rogers à Walsingham, Gand, 6 janvier 1579 (Foreign üatenaar, EUsabeth, 1578-1579,
n° 496).
(10) Farnèse au Roi, Born, 23 janvier 1579 (loc. cU.),
(H) Liber relattonum, r- 53.0•
(12) Farnèse au Roi, lettre oitée el-dessus.
(13) THOMAS SEN, o. c., p. 42; STRADA, o. c., t. III, p. 42.

84
toute son artillerie à Ruremonde, où il l'aurait à sa disposition pour
toute éventualité.
Une fois l'armée SUT l'autre rive de la Meuse, le maître de camp
Francisco Valdès fut envoyé avec ses soldats espagnols et le ierçio
du maître de camp Francisco de Toledo dans 11;1 direction de 'la ville
de Weert, dont Farnèse voulait s'emparer. Ces troupes rencontrèrent
de la résistance de la part. des soldats ennemis qui occupaient le
château ou la citadelle de Weert. On parvint cependant à se rendre
maître de celle-ci.
Pendant la nuit, le prince fit pendre tous les prisonniers faits
dans le château aux fenêtres du bâtiment principal, pour les punir
de leur obstination et répéter I'avertissement que naguère il avait
donné Iors du sac de ,Sichem. Peut-être cette exécution fut-elle aussi
dictée par la colère, car au moment où la garnison se rendit, le prince
dut constater que son artillerie n'avait plus assez de munitions (14).
Lorsqu'il fut cantonné à Weert, Farnèse n'osa pas pousser
immédiatement ses préparatifs pour l'attaque de Maestrieht : le
temps n'était guère favorable, la pluie continuait à tomber, et, eireen-
stance plus importante encore, on ignorait où pouvaient ·se trouver
les troupes de l'ennemi (15). Une reconnaissance s'imposait d'abord:
elle eut lieu du côté de Eindhoven, où les paysans avaient signalé la
présence de 7.000 à 8.000 cavaliers. Gonzaga fut envoyé dans cette
direction avec la cavalerie légère et 1.000 reîtres.
Craignant que son lieutenant ne fût en danger d'être assailli
subitement par des forces supérieures, le prince de Parme partit à
son tour de Weert le 10 février, avec le reste de la cavalerie, composé
de « noirs harnais », 'et avec le régiment espagnol de Pedro de Valdès
et se dirigea du côté de Eindhoven. Cette localité fut trouvée
inoccupée: on y logea immédiatement quatre compagnies d'arque-
busiers à cheval. Cependant, de la région dAerschot, où une concen-
'tration assez importante de cavaliers ennemis avait été signalée,
arriva subitement un corps des 'États de 1.500 hommes, composé de
soldats choisis et où l'on remarquait un nombre élevé de gentils-
hommes. Les Espagnols furent attaqués sauvagement et il fallut
l'arrivée rapide de la cavalerie de Gonzaga pour terminer le combat
en leur faveur : 1.200 cavaliers ennemis restèrent sur le carreau. Le
reste s'enfuit dans la direction d'Aerschot.
(14) Farnèse au Roi, Weert, 18 février 1579 (A. G. R.. Copies de Simancas, vol. 12,
r- 81).
{i5) Farnèse au Roi; Weert, 17 février 1579 (A; G. R., Copies de Simancas, vol. 12,
fO 73).
85
Le prince de Parme voulut les suivre. Cependant le commissaire
général Olivera et les autres chefs de la cavalerie légère firent
observer que leurs hommes étaient trop fatigués parla longue route
qu'ils venaient de parcourir : Farnèse résolut alors dattendre jus-
qu'à l'arrivée du régiment d'infanterie de Valdès, qui était resté
en arrière. Le 11 février, ses troupes partirent dans la direction
d'Aerschot : arrivées en cet endroit, elles apprirent que l'ennemi
s'était retiré (16).
Ottavio Gonzaga regagna alors avec ses hommes la région de la
Meuse et se fixa à Helmont,envoyant de tous côtés des reconnais-
sances pour Herenseigner sur la force et la position de l'adversaire.
Quant à Alexandre Farnèse, il retourna à Weert, où était campée
la majeure partie de ses forces. Il y fit la revue de son armée et,
comme il disposait en ce moment d'un peu dargent envoyé par
Philippe II, il en profita pour payer son infanterie espagnole (17).
L'esprit qui animait celle-ci l'avait inquiété depuis quelque
temps déjà. TI y 'constatait une licence et un esprit d'indiscipline
qui ne présageaient rien de bon. Il en était d'ailleurs de même de la
cavalerie légère. Ces soldats avaient souffert beaucoup de la pluie
continuelle et du froid, et étaient démoralisés. De plus, ils man-
quaient de tout, faute de solde. Les maîtres de camp des ierçios
espagnols étaient presque tous malades et incapables de tenir leurs
hommes en main. « Ils ont pris un mauvais pli, qu'il ne sera pas
possible de changer 'en un jour »écriv.ait Farnèse au Roi. Il était
cependant décidé àsévirot à punir les mauvaises têtes et les rebelles,
en espérant que ses officiers voudraient bien le soutenir (18).
Oe qui préoccupait aussi le prince de Parme, c'est que, dans
l'armée', les Espagnols étaient en ce moment si peu nombreux: la
fièvre typhoïde et le séjour malsain de Bouges en avait fait mourir
un grand nombre. Il n'osa pas faire la revue des ierçios avec la
rigueur réglementaire, afin de ne pas révéler aux soldats des autres
nations la diminution de l'élément espagnol. En cas de trouble ou de
révolte, les soldats de <lette dernière nation étaient un soutien et un
noyau de troupes fidèles : révéler publiquement leur petit nombre
aurait été comme un encouragement donné aux indisciplinés, surtout
aux Allemands, qui étaient toujours prêts à se mutiner (19).
,(16) Farnèse au Roi, 18 février 1579 (loc. cit.).
(17) Farnèse au Roi, Weert, 18 février 1579 (loc. cit.).
(18) Farnèse au Roi, Weert, 17 février 1579 (loc. cU.).
(19) Farnèse au Roi, Weert, 18 février 1579 .(A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12,
r- 77).
86
Le prince de Parme alla s'établir à Eindhoven le 21 février. TI
apprit qu'à Turnhout et dans les environs se trouvait un corps
ennemi considérable et que le bruit circulait que les Espagnols n'ose-
raient pas l'attaquer parce qu'ils avaient subi une défaite. Farnèse
estima qu'il ne pouvait laisser ce bruit se répandre plus longtemps:
il était dans l'intérêt de la cause royale de montrer qu'on était supé-
rieur à l'adversaire (20).
TI ordonna donc de faire tous les préparatifs nécessaires pour
entreprendre une expédition de ce côté. On réunit tous les chariots de
transport disponibles et on prépara des vivres pour trois ou quatre
jours. Le départ fut fixé pour le 22 février, au matin.
Dans l'ignorance relative où Farnèse se trouvait encore au sujet
des forces et des positions ennemies, il pria Giovanni Battista del
Monte, qui battait l'estrade en Campine avec sa cavalerie, de venir
le rejoindre. En ce moment, il n'était pas possible d'empêcher corn-
plètementI'ennemi de ravitailler Maestrieht et l'on pouvait dès lors
mettre temporairement fin à la mission de del Monte (21).
Le prince de Parme partit d'Eindhoven avec la cavalerie espa-
gnole de Valdès, à laquelle se joignirent 1.000 lanciers du colonel
Annibal d'Altemps: le reste de l'armée suivrait à quelque distance.
Lorsque les troupes de Farnèse arrivèrent à Turnhout, elles n'y
trouvèrent plus les forces ennemies qu'on avait signalées. Que
s'était-il passé?
TI s'agissait en réalité des reîtres que Casimir avait emmenés
aux Pays-Bas au secours des États et dont, comme nous l 'avons vu,
faute de pouvoir leur payer la solde qu'ils réclamaient, il désirait
depuis quelque temps se débarrasser, En ce moment, le Palatin rési-
dait en Angleterre : parti de Gand le 16 janvier, il avait été justifier
sa conduite auprès de la reine Élisabeth. Quoique se rendant bien
compte que le vaniteux personnage n'apporterait jamais un concours
efficace à la cause qu'elle défendait, la Reine avait réprimé son
indignation: elle ne voulait pas rompre définitivement les liens avec
l'Allemagne protestante (22). Pendant que, en compagnie de Lei-
cester, le Palatin chassait les daims à Hyde-Park, ses reîtres erraient
dans la Campine, conduits par le duc Maurice de Saxe, vivant sur le
pays et pillant partout.
(20) C'est ce que Farnèse dit lui-même dans sa correspondance avec le Roi.
(21) Farnèse au Roi, Eindhoven, 21 février 1572 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 12, r- 97).
(22) KERVYN DE LETl'ENROVE, Les Huguenots et les Gueux, t. V, p. 287.

87
Dès qu'ils avaient appris l'approche des troupes de Parnèse, ces
cavaliers - au nombre de 6.400 (23) -estimant ne pas pouvoirse
défendre efficacement à Turnhout, s'étaient éloignés dans la direction
de Bois-le-Due, pour s'y retrancher. Mais le~ habitants de cetteville
leur refusèrent l'entrée. ....
Ob!igé ainsi d'errer à l'aventure, Maurice de Saxe prit une réso-
lution extraordinaire. oS 'étant mis en rapport avec son frère, lé duc
François, qui :commandait un. corps de reîtres dans I 'armée de
Farnèse, il le pria dedaire connaître au prince dé Parme que, si
celui-ci voulait payer les six « monstres » ou parts de solde qui
étaient dûs aux cavaliers de 'Casimir, ceux-ci s'engageraient à ren-
trer aussitôt en Allemagne et à abandonner les 'États.
On comprend que Farnèse fut tout d'abord étonné de cette offre
étrange et qu'il soupçonna un piège, mais lorsqu'il eut examiné
.}'affaire de plus près, il vit qu'il pourrait se débarrasser à peu de
frais d'une force ennemie importante et porter indirectement un
coup sérieux à ses adversaires. Sous prétexte de récompenser la
fidélité du duc François de Saxe et les services qu'il avait rendus
jusque-là à la cause royale, il consentit à donner aux reîtres de
Casimir un passeport en due forme, qui les autorisait à traverser,
sans être molestés, les territoires de Sa Majesté catholique pour ren-
trerchez eux,sous la protection d'une escorte. Ils devaient s-engager
à quitter le pays dans les quinze jours, à ne causer aucun dommage,
et à ne plus porter les armes contre le Roi d'Espagne pendant trois
mOIS.
Les reîtres acceptèrent ces propositions. Tenant scrupuleuse-
ment parole, Farnèse fit réparer à leur intention le pont de Kessel
sur la Meuse,entre Ruremondeet Venlo 0, pour leur permettre de
regagner plus facilement leur pays. Une compagnie de deux cents
lanciers espagnols leur fit escorte. Des' soldats espagnols campés le
long dee .berges de la Meuse,en voyant passer sur le pont des cava-
liers allemands, leur envoyèrent des "Coupsd'arquebuse. Aussitôt que
le prince de Parme eût été mis au courant de ce fait, ill fit faire une
enquête sévère et ordonna d 'abattre les coupables à coups de mous-
quet au milieu des soldats de leur nation (24).

(23) 1'1Y avait 32 cornettes de 200 hommes chacun, {STRADA, o. c., t. III, pp. 38-39).
(24) Liber retauonum, fO 55'vo. STRADA, o. C., t. .III, pp. 42-43 enjolive quelque peu
le récit de ces faits. Voir aussi les Mémoires du comte de Lalaing dans GACHARD, La
13ibliothèque nationale à Pm'is, t, l, pp. 217-218.

88
Casimir apprit le. départ de ses reîtres-le jour même où Elisa-
beth d'Angleterre venait de L'investir de la Jarretière. Quelques jours
après, il quitta l'Angleterre et séjourna-à. Utrecht: là, logé à la
«'Maison des Allemands », il montracunplaisir exubérant. àla
pensée de la dernière .aventure de ses solda-ts .et,ponrdivertir ses
convives, chanta même quelques-couplets dsIaLallade f~vorite de
ses cavaliers (25). ... .
.. La joie de les voir .partir inspira auxpopuJaJi()l1s qui~:vai~nt
été leurs victimes les rimes quevoici..

Hebdij niet in Brabant geweest, aen der Btaten sijden?


Moet gij niet tevoete gaen, moogtgij ni et meer rijden ?
'K Heb el' geweest, komm' el' ni et meer,
Sij hebben kein geld, sij hebben kein eer,
Het sijn verlochende lieden (26).

C'était pour le prince de Parme un coup de maître de s'être


ainsi débarrassé d'un nombre considérable d'adversaires. Précisément
en ce moment, le service d'espionnage de Farnèse lui signala que
l'infanterie des États avait ses quartiers d'hiver tout près d'Anvers,
à Borgerhout. Il y avait là 30 à 40 compagnies, composées de Fran-
çais, d'Anglais et d'Ecossais, que le prince d'Orange considérait
comme les meilleures de ses troupes. EUes étaient commandées par le
colonel anglais N orris, qui avait bravement combattu à Rijmenam,
et par le maréchal de camp François de la N oue, guerrier huguenot
fort estimé, qui avait remplacé le comte de Boussu ,à, la tête de
Parmée. Celle-ci se trouvait solidement retranchée et semblait à l'abri
d'un coup de main (27).
Farnèse résolut d'aller attaquer ces soldats, qui constituaient
les dernières forces des États encore en campagne.Ies autres étant
dispersées, en garnison, dans les villes du Brabant. Il avait décidé de
'se débarrasser du gros de ses adversaires avant de tenter le siège de
Maestricht {2-8) et il croyait qu"en attaquant les forces massées près
d'Anvers, il les obligerait à s'enfermer dans cette ville, lui laissant

{25) MOTTLEY, La révolution des Pays-Bas au XVIe siècle, t. V, p. 282.


(26) VAN VLOTEN, Nederlandsche geschiedzangen, II, p. 24i.
(27) STRADA, o. c., t. III, p. 44. Le nombre de 30 à 40 enseignes pour les troupes
des Etats près d'Anvers est fourni par Davlson, qui se trouvait dans la viUê.(Davison
aux secrétaires d'Etat d'Elisabeth, 1er mars 1579, dans Foreign ëaienao», Elisabeth, 1578~
1579, n- 587); -Cfr H. HAUSER, François de La Noue, pp. 98-99.
(28) Il l'affirme expressément dans une lettre adressée au .Roi et datée de Visé,
18 février 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, r- 81).

89
ainsi la complète maîtrise du plat pays entre la Meuse et l'Escaut. Il
était convaincu, d'autre part, qu'en assaillant L'ennemiavec vigueur,
il produirait une bonne impression chez ceux d'entre les Wallons qui
hésitaient encore à se réconcilier avec le Roi.
Partant des environs de Turnhout, l'armée du prince de Parme
passa près d'Herenthals, où se trouvaient le seigneur de La Noue ('29),
le colonel Norris, M. de Moye, avec une quinzaine de compagnies,
flamandes, françaises et anglaises, et deux cornettes de cavalerie.
Farnèse engagea quelques escarmouches avec eux afin, semble-t-il,
de ne pas révéler quel était son véritable objectif.
Bientôt l'avant-garde espagnole s'approcha des environs
d'Anvers (30) et vint en contact avec les gens des États. Ceux-ci
s'empressèrent el'abandonner les villages où ils logeaient et de
rejoindre le gros de l'armée campée à Borgerhout. Aussitôt l'armée
espagnole s'installa à Deurne, où Farnèse passa ses hommes en
revue (31).
L'approche du prince de Parme intrigua beaucoup le prince
d'Orange et l'archiduc Mathias, qui se trouvaient à Anvers. On se
demandait si les Espagnols, qui devaient posséder des intelligences
dans la place, espéraient, en la menaçant, y provoquer quelque mouve-
ment populaire (32). C'est un fait qu'au même moment, un vif mécon-
tentement s'était manifesté dans la ville contre le Taciturne et que
des pasquilles circulaient où on critiquait violemment sa politique (33).
Aussi, à l'approche de l'ennemi, et se défiant de la plèbe toujours
'Prête à quelque excès, le prince avait rappelé autour de lui sa garde
personnelle (34). D'autres encore s'imaginaient que Farnèse se pré-
parait à assiéger Lierre ou Herenthals, D'autres enfin supposaient
que l'armée espagnole, manquant de vivres, s'avançait ainsi en pays
ennemi pour s 'y ravitailler et pour épargner de la sorte les régions

(29) H. HAUSER, F1'ançois de la Noue, pp. 107-108.


(30) « Et le dernier jour dudîct mois de febvrier 1579, estans lesdictz ennemis près
ladicte ville d'Anvers, au quartier des villaiges de Vremde et Busbeque, jusques au pont
de Durne, les bourgeois dudict Anvers furent fort troublez .... » Mémoires anonymes ...,
L III, p. 338.
{3i) Davison aux secrétaires d'Elisabeth, 1er mars 1579 (loc. cit.); STRADA, o. c.,
t. III, pp. 45-46.
{32) Lettre citée de Davison.
1(33) KERVYN DE LE'ITENHOVE, Les Iluguenots et les Gueux, t. V, pp. 299-3U.
(34) Rossel à Walsingham, 1er mars 1579 (Foreign caienao«, Etisabeth, 1578-1579,
n" 591).

90
qui lui étaient fidèles (35). On fut bientôt fixé: le prince de Parme
s'apprêtait à attaquer les troupes des États sous les murs mêmes
d'Anvers.
On apprit, dans cette ville, que les Espagnols avaient eanonné
Herenthals avec six pièces d'artillerie et avaient envoyé quelques
boulets au château de Grobbendonck. On estimait leur nombre entre
13.000 et 17.000 hommes ice qui devait être exact, car Farnèse
n'avait certainement pas avec lui toute son armée. Les 'États pou-
vaient y opposer, à Borgerhout, environ 2.000 fantassins (36).
Ceux-ci s'étaient fortement retranchés dans ce faubourg, ayant
détruit les ponts sur la rivière H et Schijn et barricadé les approches
de l'agglomération (37).
Après avoir passé ses troupes en revue, le prince de Parme
disposa d'abord dans la plaine qui s'étendait devant Borgerhout un
corps de réserve, composé des deux régiments allemands d'Altemps
et de Fronsberg, quil flanqua des deux côtés de' mousquetaires
espagnols. A l'extrémité des deux ailes, il disposa, d'un côté, les
cavaliers du duc François de Saxe, de l'autre, la cavalerie de Pedro
de Tassis. Le reste de cette arme, sous Ottavio Gonzaga, devait
faire office d'arrière-garde.
Il constitua, en outre, un groupe d'attaque de trois régiments,
composés chacun de 10 à 12 compagnies, choisies parmi les meilleures
de l'armée. Du côté de la citadelle d'Anvers, SB trouvait le premier
de ces régiments, formé des Espagnols de Lopez de Figueroa i le
second, composé de vieilles troupes flamandes, fut placé au miil.ieu,
sous les ordres de Francisco de Valdès i à la droite, se massèrent les
Wallons de M. de Hautepenne. Chacun de ces trois régiments fut
renforcé d'une compagnie de mousquetaires, dont quelques-uns armés
de haches. Chaque groupe d'attaque était muni d'un pont de bois,

(35) Lettre de Davison, citée.


(36) Mémoires anonymes, t. III, p. 340. Ce chiffre donné par l'auteur de ces Mémoires
no concorde pas avec celui fourni par les agents anglais à Anvers, qui parlent de
11).000 fantassins (Rossel à 'Walsingham, 1er mars 1579, loc. cit.). L'auteur des Mémoires
parle de « six contre ung », ce qui correspond aux 13.000 hommes de Farnèse contre les
2.000 défenseurs. Mais toutes les troupes dont disposaient les Etats ne prirent point part
au combat de Deurne (Mémoires anonymes, t. III, pp. 341-342). Dans une lettre du 3 mars,
écrite par Rossel à Walsingham, nous trouvons confirmation de ces données. Rossel
estime l'armée de Farnèse forte de 9.000 fantassins et de 3.000 cavaliers et cite le chltf,re
de 2.000 pour les défenseurs de Borgerhout (KERVYN DE LETTE1ŒOVE, Relations pOlit-iques ...,
t. XI, p. 311).
(37) Ibidem.

91
qui devait être 'jeté sur le fossé qui entourait Borgerhout, Enfin, la
cavalerie légère d'Antonio de Olivera se tenait prête à soutenir, là
où le besoin s'en ferait sentir, l'assaut de linîanterie (38).
Farnèse ordonna d'abord une prépnration d'artillerie ; après
quoi, le signal de l'attaque fut donné. Rivalisant d'ardeur, Espagnols,
Flamands et "\Vallonss 'élancèrent en avant, sous les yeux de Farnèse
en personne, entouré du comte de Rœulx et du comte de Berlaymont:
le jour venait de selever (39).
Lorsque ·lesassaillànts essayèrent de passer les fossés au
moyen des ponts volants qu'ils avaient avec eux, les Anglais et les
Français les repoussèrent avec force : une mêlée générale eut lieu
qui dura plus de deux heures. Finalement les trois groupes d'assail-
lants parvinrent aux barricades érigées en dehors de Borgerhout et
les emportèrent. Pénétrant dans l'agglomération, les gens du prince
de Parme se répandirent dans le village,enfilant les rues et atta-
quant les corps de garde. Il était alors 7 heures du matin. A un
moment, les soldats français du prince d'Orange furent obligés de se
replier sur leurs quartiers, mais ils se heurtèrent soudain à la cava-
lerie d 'Olivera, qui' avait passé les ponts à la suite de l'infanterie et
qui s'était glissée entre les défenseurs et les mu~s de la ville d'An-
vers. S'éparpillant alors à travers les avenues et les chemins du
village, les Français essayèrent de s'échapper mais beaucoup furent
abattus durant la fuite. Entretemps, dans Borgerhout, la mêlée con-
tinuait sur d'autres points, avec une obstination féroce (40).
Le prince d.'Orange, qui était monté sur les murailles d'Anvers
pour suivre de là les péripéties de la lutte, ordonna à ses troupes de
se replier sur la ville, sous le couvert de l'artillerie {41). Cet ordre fut
exécuté. La cavalerie espagnole poussa la poursuite jusqu'aux glacis
mêmes de la place, là où se dressaient un certain nombre de moulins-
à-vent, mais son élan futarrêté par le feu violent des canons d'An-
vers (42).
Dans la lutte pour Borgerhout, au moins 200 des défenseurs

{3S) STRADA, o. C., t. III, p. 46.

(39) Rossel à Waâslngham, Anvers, 3 mars (Foreign Calendar, Elisabeth, 1578-1579,


Il 595); Davlson aux Secrétaires d'Elisabéth, Anvers, 9 mars 1579 (ibidem, n- 601) .
O

.(40) STRADA, o.c., t. III, pp. 47-48; Rossel à Walsingham, Anvers, 3 mars 1578 (loc.
cit., ns 595); Davlsen aux secrétaires dEllsabeth, 9 mars 1578 (loc. cit., n- 601).
{41) Lettre de Rossel, citée.
(42) Lettre de Davlson, citée.

92
périrent; du côtâespagnol-Jes pertes ne dépassèrent pas 50 â 60
hommes (43).
Le combat avait duré [usque vers 1 heure : en se retirant,
Alexandre Farnèse fit mettre le feu à Borgerhout (44). Les soldats,
affamés, se répandirent un peu partout dans les belles maisons de
plaisance qui étaient .situées dans cette région et s'y livrèrent à un
sac en règle. 'I'rouvant dans ces logis une quantité considérable de
salaisons.et des provisions de vin,ils s'en donnèrent à cœur joie et
finirent par emporter tousIes objets qui n'étaient pas trop lourds
pour être enlevés. Puis, tout fut livré aux flammes (45). Du haut
des murailles d 'Anvers, le prince d'Orange et ses conseillers contem-
plaient ce spectacle, non sans étonnem-ent, fort impressionnés par
l'audace de cet adversaire, qui était venu les défier jusque sous les
murs de la ville.
Ayant rapidement fait rassembler son armée, à cause du manque
de vivres .(46), le prince de Parme se retira dans la direction: de Ranst:
I'ennemi, ne disposant pas de cavalerie pour le poursuivre, ne l'in-
quiéta point dans sa retraite. Pendant que le combat ,de Borgerhout
,était en cours, les Etats' avaient œnvoyé d'urgence nn message à
M. de Noyelles, seigneur de Bours,commandant de Malines, afin
d'obtenir par lui que les régiments de Montigny et de Hèze mar-

.(43) Rossel signale à Walsingham que les défenseurs de Borgerhout eurent 250 tués,
dont 3 capitaines français; Davison dit qu'il vit lui-même 200 tués environ. Ce dernier
cite aussi le chiffre des pertes espagnoles qu'il estime entre 50 et 60. L'auteur des
Mémoires anonymes (t.. Ill, p. 342) cite 'le chiffre d'environ 300 pour les pertes subies
par les défenseurs de Deurne.
Dans une lettre adressée par Alexandre Farnèse à son père, en date du 4 mai i579,
le prince dit que l'ennemi ne perdit pas plus de 600 hommes et que lui-même n'avait eu
que 8 tués et une quarantaine de blessés {STRADA., o. c. 1. III, p. 48). Le récit de Vasquez,
Los sucesos, (Documentos inê.ditos, LXXII, pp. 174 svv.) est assez rantatstste.
(44) L'auteur du Liber relationum prétend que le feu fut mis au village sans qu'on
sût par qui I8t que le prince de Parme en fut très peiné (fO 55). Vasques (Los sucesos ...
dans Documentos inéditos, t. LXXII, p. 176) affirme que le feu fut mis parce que les
défenseurs avalent incendié la maison de campagne du trésorier général Schetz. Strada,
qui est toujours prêt à excuser le prince de Parme, dit cependant expressément « que le
feu fut mis par ordre d'Alexandre» .(0. e., t. III, p. 48).
(45) « Entrato poi in quelle belle et d-elltlose case, le rltrovono tutte piene
di belli et ricchi mobili et d'ottlme vivande insalate et vive con vini excellentissiml di
tutte le sorte, che satiatosl i nostri a crepacorpo, ne porterono via quel che poterono e
doppo in più luoghi con pazza et crudel furia barbara fu dato il fUOCD » Liber rela-
tumum, r- 55.
(46) Rossel à Walsingham, Anvers, 3 mars 1579 (lac. cit.) « Essendo stato costretto
I'esserclto dl ritirarsi qulndi tosto, non havendo condette vettovaglle da nodrirsl... »
CAMPANA, Della guerra di Fiandm, L. l, 2· p., M. oit., p. 5.

93
chassent incontinent au secours d'Anvers (47), Ils ne se doutaient-
pas, semble-t-il, qu'en ce moment l'accord des chefs wallons avec
Farnèse n'était plus très loin de se conclure!
Le 3 mars, le prince de Parme se présentait devant le château
de Grobbendonck, à une lieue dHerenthals, propriété du trésorier
général des Finances, Schetz. A la première sommation, la garnison,
composée d'une compagnie de Français, se rendit. La nuit précé-
dente, La Noue et le colonel Norris étaient venus pour mettre le châ-
teau en état de défense: guidés par un domestique de Schetz, ils
s'échappèrent à grand.'peine à travers l'armée de Farnèse et purent
regagner Herenthals (48).
Après avoir brûlé les provisions de grain qui se trouvaient dans
le château, le prince de Parme, négligeant Herenthals, poursuivit tout
droit sa route vers Maestrieht (49).
Comme l'écrivait Davison lui-même aux secrétaires d"Élisa:beth
d'Angleterre:. « Farnèse, ensomme, avait sondé les forces des ':États;
les ayant trouvées dépourvues de toute cavalerie et très inférieures en
infanterie à sa propre armée, sans compter le mécontentement que
l'absence de solde avait fait naître dans cette infanterie, il ne laissera
probablement pas échapper l'avantage dont il jouit. » (50)
La maîtrise de la campagne avait passé entre ses mains. Le siège
de Maestricht pouvait commencer.

{/17) JAPmSE, Resotutiën der StatensGenertuü; 2° deel, 1578-1579, pp. 540-54!. n° 67a.
(48) Davison aux secrétaires d'Elisabeth, Anvers, 9 mars 1579 (loc. cil.).
(49) Mémoires anonymes, t. III, pp. 344-345; La Noue aux Etats, 5 mars 1579 (JAPIKSE,
o. C., p. 541, nO 71, note après le texte). Sur l'ensemble des opérations en Campine et
autour d'Anvers, of. la lettre de Farnèse au cardinal Farnèse, Turnhout, 4 mars 1579
(A. F. N., Carte tarnesume, fascia 409).
(50) Foreign Coletuiar, Elisabeth, 1578-1579, n° 601.

94
CHAPITRE IV

FARNÈSE ET LES NÉGOCIATIONS


AVEO LES PROVINCES WALLONNES
(octobre i578-avril 1579)

Au moment où le prince de Parme se retournait avec toutes ses


forces contre Maëstricht, la réconciliation des provinces wallonnes
avec le Roi d'Espagne n'allait plus tarder longtemps à se faire.
Alexandre Farnèse avait joué dans ce drame un rôle important,
n'oubliant point de diriger la manœuvre au milieu des préoccupations
d'ordre militaire qui l'avaient assailli depuis la mort de Don Juan.
,C'est ici le moment de considérer cette action dans son ensemble
et de démêler, dans l'écheveau embrouillé des faits d'ordre politique
et diplomatique, la mesure exacte de la part que Farnèse prit à la
préparation de cet important événement (1).

Dans les provinces wallonnes, où, sous le gouvernement de Mar-


guerite de Parme, le calvinisme avait trouvé de nombreux adeptes,

{i) Nous n'avons pas. il refaire ici l'histoire de la réconciliation des provinces wal-
lonnes, qui a été exposée en détail par M. C. H. T. BUSSE?1A·KER dans son travail De
a,fscheiding der Waals che aeweeter: van de Generale Unie et par M. CH. HIRSCHAUER
dans le volume 1er de Les Etats d'Artois. Nous devons nous lim'itJer à déterminer le rôle
personnel de Farnèse d'après sa correspondance avec les commlsaires accrédités par lui
auprès des provinces wallonnes et d'après sa correspondance avec le Roi. Sa corres-
pondance avec Valentin de Pardieu, seigneur de la Motte, n'a malheureusement pas
été conservée en entier (Cfr J. L. A. DIEGERICK, Correspondance de Valentin de Parâieu,
p. 65-66). Nous avons utilisé aussi la correspondance de Jean Sarrazin, publiée par
M. CH. HraSCHAUER sous le titre Correspondance secrète de Jean Sarrazin, grand-prieur
de Saint-Vaast, avec la Cour dll Namur (1578).

95
la réaction catholique avait triomphé avec la venue du duc d'Albe:
] 'échafaud et l'exil avaient fait disparaître les principaux agitateurs
du parti des Réformés (2).
Cependant, en 1576, après la mort de Requesens, pendant les
troubles qui suivirent, les calvinistes wallons, ceux de l'Artois, du
Tournaisis, du Hainaut, de Lille, relèvent la tête. Ils créent) à l'instar
de ce qui s'était fait dans les régions flamandes, un parti des
epatriotes ». Ce parti comptait dardenta défenseurs de la politique
« orangiste », qui étaient en relations fréquentes avec Guillaume de
Nassau et avec les agitateurs populaires de Bruxelles et de Gand et
qui recevaient d'eux leur mot d'ordre.
Ce mouvement rencontra bientôt une vive opposition dans ces
régions, où le clergé était riche et influent et où l'aristocratie, unani-
mement catholique, était ennemie déclarée de toute tendance démago-
gique et réformée,
Le désastre de Gembloux, qui porta un coup sensible à la poli-
tique de Guillaume d-Orange et des États Généraux, permit à cette
opposition de se manifester. Les Orangistes puisaient leur force dans
la politique de « la généralité », qui, sous l'égide du prince d'Orange,
tendait à grouper toutes les provinces des Pays-Bas dans un faisceau
Bolide opposé à la domination du Roi. Le jour où ce faisceau se
briserait, les calvinistes wallons se verraient privés de leur principal
soutien. Pour arriver à cette désunion, il suffisait de dissoudre
1'assemblée des États Généraux, centre et foyer de« la généralité» (3).
C'est cette pensée qui 'amena le clergé et la noblesse des États
d'Artois à demander, dès le 7 février 1578, la clôture des ~tats Géné-
raux; le L" mars, ces États proposèrent de conclure la paix avec Don
Juan, proposition à laquelle les États de Hainaut se ramèrent
quelques jours plus tard.
Cette politique de particularisme et d'entente avec le Roi,
inspirée par le clergé et la noblesse, provoqua de la part de l'é1é-

~2) Pour cet exposé de la situation des provinces wallonnes jusqu'à la .nominatlon
de Farnèse comme. gouverneur général, nous avons consulté H. PIRENNE, Histoire de
Belgique, S" éd., t. IV, pp. 1S'6 S'V'V; C. H. T. BUSSEMAiKER, O. C., t. r, pp. 247 svv; CH,
HIRSCHAUER,Correspondance secrète de Jean Sm'1'azin, introduction; LE IIItME, Les troubles
d'Artois de 1577-1578, dans lë Bulletin lie l'Institut historique belge de Rome, 1922, fasc. 2,
pp, 45 svv.: LE Ml1:ME,Les États d'Artois, t, I, pp. 261 svv.; E. DoNY, Histoire du Hainaut
de 1488 à nos jours, pp. 167 svv.; MULLER et DIEGERICK,Documents concemant les rela-
tions entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas, t. II, pp. 540-562 .
.(S) Sur le particularisme des Etats des provinces wallonnes et particulièrement de
ceux d'Aetols, err CH. HrRSCHAUER,Les troubles d'Artois, loc. clt., pp. 49-50; LE Ml1:IIIE,
Les Etats d'Artois, loc. oit,

96
ment populaire, qui était entièrement sous la domination des agita-
teurs calvinistes et des bandes armées qu'ils avaient à leur solde,
une offensive brutale. L'exemple des sectaires gantois encouragea
le peuple de Béthune, d'Aire, de Saint-Omer, de Douai et d'Arras à
réagir violemment contre les partisans de la paix et du retour à
Pobêdience. On perdit toute retenue, on commença il, chanter en public
les psaumes de Marot, on exigea l'exercice public du culte calviniste.
Le chroniqueur contemporain Pontus Payen affirme 'que, en ce
moment, « l'État ecclésiastique était réduit au désespoir et que la:
noblesse tremblait de peur ».
Pour asseoir définitivement sa domination dans les villes, l'élé-
ment « orangiste» navait qu'à imiter la politique des Gantois et à
appeler à son aide des forces militaires. Les tribuns de Gand,
Ryhove et Hembyze, promirent cette aide. Déjà, une partie des reîtres
de Casimir et des mercenaires écossais étaient en route vers les pro-
vinces wallonnes, lorsque se passa un événement lourd de censé-
quences : la mutinerie des troupes wallonnes du baron de Montigny (4).

Après la défaite de Gembloux, pendant que le prince d'Orange


constituait dans le Nord cette nouvelle armée que nous avons vu
combattre à Rijmenam, les troupes wallonnes - débris de la vraie
armée nationale vaincue par Don Juan - étaient restées dans les
provinces du Sud. Les chefs de ces troupes, tous nobles wallons et
catholiques, Lalaing, Montigny, Melun, Hèze, Champagney, éclatè-
rent bientôt en récriminations amères. Ils se savaient suspects aux
« patriotes », ils soupçonnaient le prince d'Orange de les abandonner
et ils en cherchaient la preuve dans le bit que les Ëtats Généraux
n'envoyaient plus un denier pour la solde de leurs troupes. A cela
s'ajoutait l 'exaspération du comte de Lalaing, le chef de ces soldats
wallons, qui supportait de moins en moins la politique démagogique
que Guillaume de Nassau se voyait obligé de mener et qui soupçon-
nait le prince de vouloir introduire de force le calvinisme dans les
provinces wallonnes grâce à la Religionsfried} établissant l 'égalité
des cultes protestant et catholique, contrairement à la Pacification de
Gand. Lalaing avait déjà déclaré qu'en Hainaut n'entrerait « nul
'soldat de religion contraire à la catholique ».
(4) Cfr DIEGERICK, Lettres inédites d'Emmanue~ de Lalaing, marquis de Renty,
baron de .Montfgny, 1577-1579, dans les Bulletins âe La Commission royale d'histoire,
2" sér., t. IX, pp. 320 svv,

97
Le 8 avri11578, Valentin de Pardieu, sire de la Motte, qui était
gouverneur de Gravelines, expulsa de la ville son lieutenant, fidèle
au parti des États. Il permit, par cet acte de trahison, le début de
négociations de la part des partisans du Roi qui, en se développant,
allaient avoir des conséquences incalculables (5).
Si, momentanément, cet exemple de défection ne fut pas suivi
par les chefs des troupes wallonnes, ceux-ci n'en prirent pas moins
une attitude très inquiétante pour le maintien de « la généralité ».
Bientôt, ils ,s'·appellenteux-mêmes « les Malcontents », et ce nom
restera. Ils s'irritent de l'abandon où les États Généraux laissent
leurs troupes; ils s'indignent de ce qu'on ne semble plus se souvenir
des services qu'ils ont rendus à la cause nationale; ils sont avides de
jouer un rôle, car ils sont tous des jeunes gens remplis d'ambition.
Enfin, catholiques convaincus, ils sont de plus en plus inquiets en
voyant comment on foule aux pieds la Pacification de Gand et com-
ment, sous prétexte de « paix de religion », les « orangistes » intro-
duisent partout dans les villes wallonnes le culte calviniste. Déjà,
toute la Flandre « flamingante » est sous la domination des sectaires
gantois: Lille est menacée (6).
C'est sous l'empire de ces sentiments que le 'baron de Montigny
décide d'employer contre les Gantois et leurs bandes militaires les
troupes que les États Généraux semblent vouloir abandonner à leur
sort (7). Le 1er octobre 1578 - au moment où Don Juan meurt à
Bouges - il se rend maître de Menin et s'y installe avec ses soldats
et ceux d'autres compagnies wallonnes rassemblées autour de lui.
Les positions avancées des sectaires gantois, Ypres et Courtrai,
sont menacées et toute communication est maintenant coupée entre
les agitateurs de Gand et les zélateurs calvinistes wallons. Désormais

(5) Voir l'introduoLion de DIEGERlCK, Correspondance de Valentin de Pariiieu,


pp. 21 svv.; C. T. H. BUSSEilfAKER, o. c., 1. I, pp. 284 svv.
(6) A noter que les calvinistes gantois, contrairement à l'opinion du Taciturne,
voulaient imposer en Flandre et en Brabant le cachet de l'église réformée. Cfr A. A.
VAN SCHELVEN, Prins Willem en tiet oeruieer tegen Parma, dans Wflhelmus van Nas-
souwe, pp. 16·2-163; vole aussi L. KNAPPERT, Prins Willem en de godsdienstv1'ijheid,
ibidem, pp. 184-185 .
.(7) « C'estoit chose facile de croire à tous quy avoient quelque peu de discours, que
l'altération des trouppes soubz le Baron de Montigny à Menin estoit causée par la con-
fusion des affaires, désordres de ceux de Gand, divertissement des deniers aux relttres
de Jean Casimir et le peu de compte que l'on avoit tenu des meilleurs soldatz naturels
pour estre catholioques. l> (RENON DE FRANCE, Histoire des troubles des Pays-Bas, t.II,
p. 295).

98
c'est la guerre civile entre les paiemoeterknechien de Montigny
comme les Gantois les appellent - et les troupes protestantes de
Ryhove (8).
::.:!
-;;.:.: :,.:

O'est au moment où les hostilités ouvertes s'engagèrent en


Flandre entre les « Malcontents » et les Gantois, qu 'Alexandre Far-
nèse avait succédé à Don Juan comme gouverneur général. Nous
avons vu plus haut comment il saisit immédiatement l'occasion pour
envoyer, dès le 10 octobre, une lettre aux différents États et aux
principales villes des provinces wallonnes pour leur offrir la récon-
ciliation avec le Roi, moyennant le maintien de la religion catholique
et de l'obédience due au souverain, et pour leur promettre la garantie
de leurs libertés et privilèges « comme au temps de Charles-Quint ».
En même temps, il ne perdit pas de vue qu'on ne pouvait omettre
d'exploiter les sentiments de la Motte, qui se trouvait toujours à
Gravelines, et qui ne s'était pas encore déclaré franchement pour la
cause du Roi (9). Il lui écrivit pour lui demander s'il ne pouvait
conclure quelque traité avec les chefs des « Malcontents », pour se
joindre ensemble contre les sectaires gantois. La Motte était autorisé
à leur offrir de l'argent, à leur promettre l'oubli du passé, et à leur
donner l'assurance que le Roi les prendrait à son service (10).
Au début de novembre, le prince de Parme chargea La Motte
de faire parvenir à Egmont, à Hèze, à Montigny, à d'aut.res encore,
des lettres les félicitant de la bonne résolution qu'ils avaient prise,
leur faisant connaître que le Roi l'avait chargé.d 'honorcr « de sem-
blables personnages » et leur affirmant que s'ils voulaient se mettre
en rapport avec lui, il leur donnerait tout l'appui dont ils auraient
besoin (11).
Afin de mieux pouvoir sonder les dispositions réelles des chefs
wallons, Farnèse dépêcha encore auprès de la Motte Robert de
Helfault, seigneur dHavroult, qui résidait auprès de lui, pour exa-

(8) Voir T. C. H. BUSSEMAKER,o. c., t. I, pp. 394 svv .


.(9) Farnèse au Roi, Bouges, 3 novembre 1578 (A. G. R., Copies (le Simancas, vol. l1bis,
r- 112).
(10) Farnèse à La Motte, 18 octobre 1578 (BUSSEMAKER,o. C., t. II, p. 352); Farnèse
au Roi, Bouges, 20 octobre 1578 (GACHARD,Correspondance d'Alexand?'e Farnèse, .loc.
eit., p. 381); La Motte à Farnèse, Gravelines, 16 novembre 1578 (P. L. MULLER et A.
DIEGERICK,Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas,
t. II, p. 300).
(U) DIEGERIGK,Correspondance de Valentin de Pardieu, p. 35.

99
miner sur place la situation, et pour engager le gouverneur de
Gravelines à s'emparer des places fortes de cette région (12).
Le prince de Parme employa en même temps les services de
plusieurs seigneurs wallons, qui étaient restés fidèles à la cause du
Roi et qui, après avoir accompagné Don Juan, se trouvaient main-
tenant avec lui. Gilles de Berlaymont, baron de Hierges, et Maximi-
lien de. Longueval, seigneur de Vaulx, furent, à ce point de vue, très
précieux : ils se mirent en relation avec le comte de Lalaing et les
principaux chefs des « Malcontents » (13) et secondèrent les efforts
du gouverneur général. Jean de Noyelles, seigneur de Rossignol, et
Guillaume Le Vasseur, receveur du Roi en Artois, qui s'était rendu
auprès du prince de Parme après s'être échappé de la prison où les
calvinistes l'avaient enfermé à Arras, se dépensèrent aussi dans ces
négociations (14). Enfin, Robert de Helfault, en dehors de sa mission
auprès de la Motte, devait aussi entrer en relation avec les villes de
l'Artois pour les mettre en garde contre les tentations du duc d'An-
jou et les engager à se réconcilier promptement avec Philippe II (15).
Toutefois, l'agent secret qui parut être, à bon droit, le plus
important de tous, et avec lequel le prince de Parme s'était mis
immédiatement en rapport, c'était Jean Sarrazin, prieur de Saint-
Vaast d'Arras (16). Sarrazin avait déjà rendu de très grands ser-
vices pour ramener les provinces wallonnes à la dévotion du Roi
pendant le gouvernement de Don Juan d'Autriche. Il avait entre-
tenu avec celui-ci ou avec ses agents une correspondance suivie
et, dans le mouvement de réaction catholique qui se dessinait en
Artois, il avait joué un rôle de tout premier plan, TI venait d'assister
à des événements décisifs, qui allaient fournir à Alexandre Farnèse
une excellente occasion de précipiter ses manœuvres.
Le 17 octobre, à la nouvelle que Douai avait expulsé les prêtres)
les « patriotes» d'Arras estimèrent que l'occasion était propice pour
s'emparer du pouvoir. Le capitaine Ambroise -Leducq et ses lans-

(12) Farnèse au Roi, 3 novembre 1578 (GACHARD, Correspondance d'Alexandre Eamëse,


loc. cit., p. 391); Le même au même, même date (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 11bis, f' 112); La Motte à Farnèse, 16 novembre 1578 (loc. cit.).
(13) Ils devaient les « attirer à se joindre de ce coustel, les ungs par promesses,
les aultres par promotion à honneur et estatz, les aultres par aultres voyes .. » (Farnèse
au Roi, 3 novembre 1578, dans GACHARD, o. c., p. 390).
(14) Lettres d'Alexandre Farnèse au Roi, 3 novembre 1578 (Loc. ctt.).
(15) Farnèse au Roi, 3 novembre 1578 (GACHARD, o. c., loc. clt., p. 392).
(16) Voir sa biographie dans CH. HIRSCHAUER, Correspondance secrète de Jean Sar-
razin, introduction.

100
quenets, que, à l'exemple des Gantois, les calvinistes avaient pris à
leur solde, charge, avec l 'aide du bas peuple, le corps de garde de
l'Hôtel de ville et s'empare de celui-ci. Les officiers, les échevins, le
lieutenant •de ·lal gouvernance sont (faits prisonniers. Une faction
démagogique, à l'instar des comités des XV de Gand et de Bruxelles,
est maître de la ville. Mais les catholiques ne se laissent pas faire:
des compagnies 'bourgeoises qui leur sont dévouées marchent sur
l'Hôtel de ville, s'enempare!lit et rendent 131 liberté au magistrat
emprisonné. Les chefs de la faction calviniste, parmi lesquels l'avocat
Nicolas Gosson, sont incarcérés ret finalement exécutés sur l'écha-
faud (17). Ces faits s'étaient passés du 23 au 25 octobre.
Alexandre Farnèse, à l'annonce des événements d'Arras, aurait,
dit-on, illuminé son camp. Cette joie était justifiée : Douai imita
l'exemple d'Arras et l'influence du prince d'Orange dans les pro-
vinces wallonnes s'évanouit d'un coup (18).
Entretemps, le 1er et le '2 octobre, les États d 'Artois, réunis à
Arras, avaient repoussé à l'unanimité la Religionsfried que le Taci-
turne tâchait de faire admettre partout; ils déclarèrent qu'elle était
opposée à la loi divine et contraire à la Pacification de Gand (19).
Au moment où l' Artois et la Flandre wallonne prenaient aussi
nettement position contre le parti de « la généralité », le Hainaut
proposa, de sa propre initiative, une ligue des provinces catholiques
opposée à celle des protestants de Hollande, de Zélande, de Flandre
et de Gueldre qui, en dépit de la Pacification de Gand, entravaient
l'exercice de la religion romaine (20). Déjà, le 6 octobre, le comte de
Lalaing, dans une réunion des États de Hainaut, avait déclaré qu'il
était plus que temps de mettre un terme aux excès des sectaires.
Quelques jours après, il revint sur la question: une aide puissante
était nécessaire et on pourrait l'obtenir du duc d'Anjou ou du Roi
de France (21). Cette proposition de Lalaing s'explique par le fait

(i 7) Jean Sarrazin au secrétaire Le Vasseur, Arras, 26 octobre 1578 (CH. HIRSCHAUER,


Correspondance secrète ..., p. 98, n- XXXI). Voir aussi A. GUESNON, "le Nicolas Gosson,
avocat, décapité à Arras en 1578. Arras, 1911.
{18) CH. HIRSCHAUER, Correspondance secrète ..., p. XXI; LE MÊME, Les Etats d'Artois,
t. I, p. 272. .
(19) Texte de la résolution des Etats d'Artois dans A. DE SCHREVEL, Recueil de
documents relatifs aux troubles religieux en Flandre, t. II, p. 141; T. H. C. BUSSEMAKER,
o. C., t. I, p. 413; CH. HIRSCHAUER, Les Etats d'Artois, t. I, p. 271.
(20) CH. HIRSCHAUER, Les Etats d'Artois, t. I, p. 272 .
. (21) P. L. MULLER et A. DIEGERICK, Documents concernant les ?'elations entre le duc
d'Anjou et les Pays-Bas, t. II, pp. 2iO~2U et note ; BUSSEMAKER, o. c., t. J, p. 423.

101
que, en Hainaut, à la différence de l'Artois, ceux qui redoutaient éga-
lement le Roi. et le prince d'Orange, tenaient pour le duc 'd 'Anjou et
constituaient un « parti alençonniste » bien organisé (22).
Losque, le 13 octobre, les ~tats de Hainaut se réunirent en
assemblée plénière, Lalaing fit la proposition formelle d'union entre
toutes les provinces catholiques wallonnes. Les ecclésiastiques l'accep-
tèrent : tout en penchant pour la réconciliation avec le Roi, ils ne
purent ou ne voulurent nier que, à défaut de cette solution, il fallait
chercher ailleurs un« protecteur ». La noblesse se prononça dans le
même sens. Les députés des villes se montrèrent surtout très excités
contre les Gantois (23). Les événements d'Arras, et le fait que les
sectaires y étaient les maîtres en ce moment, rendirent provisoire-
ment impossible aux États de Hainaut d'entrer en rapport avec ceux
d'Artois.
Cependant, le 27 octobre, réunie à Mons, l'assemblée plénière des
États de Hainaut vota des résolutions importantes: il fallait se
défendre contre les excès des sectaires de Gand, rétablir la religion
catholique partout où elle était opprimée contrairement au statut de
la Pacification de Gand, invoquer l'aide du duc d'Anjou et du Roi
de France pour protéger la Pacification et l'Union de Bruxelles qui
en avait été le coronaire. De plus, après avoir entendu les explica-
tions du 'baron de Montigny au sujet de sa conduite lors de la prise
de Menin et du but qu'il poursuivait, l'assemblée le couvrit de son
approbation. Elle prenait donc ouvertement parti pour les « Malcon-
tents » (24).

Il est évident qu'Alexandre Farnèse n'allait pas négliger de


profiter de cet ensemble d'événements si favorables pour la réalisa-
tion de ses plans.
Comme il était en rapports suivis avec Jean Sarrazin (25), resté
courageusement à Arras au milieu des dangers, et comme la réaction
(22) CH. HIRSCHAUER,Les troubles d'Artois ..., loc. olt. p. 50. Sur l'état d'esprit en
Hainaut, voir l'exposé détaillé donné dans P. L. MULLER et A. DIEGERIC'K,O. c., t. II,
pp. :144-:148.
(23) BUSSEMAKER,o. C., t. I, pp. 4123-425; GACHARD,Actes des Etats-Généraux, p. 423
et. note.
(24) BUSSElIIAKER,o. c., t. I, pp. 442-443; GACHARD,Actes des Etats Généraux, t. II,
p. 431.
(25) Voir les lettres au R!ol du 20 octobre, 3 novembre, 19 novembre :1578 (GACHARD,
o. c., loo. clt., pp. 379, 390, 398), la lettre de Sarrazin à Farnèse, du :13 octobre 1578, et
sa correspondance avec le secrétaire Le Vasseur (CH. HIRSCHAUER, Correspondance
secrète ..., p. 88, nO XXIX, pp, 94-108, nos XXX-XXXIII).

102
catholique en cette ville, si complète et si rapide, laissait espérer
un revirement considérable, c'est du côté d'Arras et de l'Artois qu'il
dirigea ses premiers efforts.
Il décida d 'y envoyer deux hauts personnages de la province
d'Artois, qui s'étaient réfugiés auprès de lui à cause des troubles,
Mathieu Moulart, évêque d'Arras, et Guillaume Le Vasseur, seigneur
de Valhuon, dont nous avons }}B!l'llé plus haut .(26). Le' 11 novembre, il
fit rédiger leurs instructions, qui sont dat-ées du camp de Bouges (27).
Aussitôt arrivés à la frontière d'Artois, les commissaires de
Farnèse devaient essayer de faire parvenir au Conseil d'Artois et au
magistrat d'Arras les missives qui leur étaient confiées. Ils devaient
aussi, par l'intermédiaire de Sarrazin et d'autres amis, faire en
sorte que ces lettres fussent lues et sérieusement examinées. Dans la
lettre adressée au Conseil d'Artois, le prince de Parme, après avoir
annoncé la mort, de Don JUMl dAutriche, exprimait l'espoir que le
Conseil engagerait ses ressortissants à se défaire des perturbateurs
publics et qu'il se rendrait à Pobêissance de Sa Majesbé. Moyennant
cette obéissance et le maintieœ Ide la religion catholique, le Roi leur
garantissait la conservation de leurs privilèges, us et coutumes comme
du temps de l 'Emper,eur Charles-Quint. Le prince de Parme terminait
en remerciant les membres du Conseil de là part qu'ils avaient prise
dans les récents événements d 'Artois (28).
L'autre lettre, adressée ,au magistrat de la ville d'Arra:s, rappelait
celle du 10 octobre que, le prince de Parme lui avait écrite, et les
propositions de réconciliation qui y étaient faites. Avec beaucoup
d 'habileté, Farnèse disait se souvenir. du bon accueil que la ville
d 'Arras lui avait fait lorsqu'il séjournait dans les Pays-Bas au
temps de sa jeunesse, il louait le magistrat de s 'être débarrassé de-s
sectaires et exprimait l'espoir qu'il continuerait à marcher dans le
droit chemin. Il renouvelait son offre de réconciliation et promettait
la sauvegarde des privilèges comme au temps de Charles-Quint j il
affirmait qu'il ferait partir les soldats étrangers et que les villes
pourraient organiser leur propre garde.

0(26) CH~HIRSCHAUER,Les Etats d'Artois, t. I, p. 275.


(27) Il: Instructlon pour vous, evesque d'Arras, et Guillaume Le Vasseur, sr du
Valhuon, recepveur general des aydes du Roi mon seigneur en Arthois, de ce que avez
à traicter et négocier en lceluy pays vers lequel vous envoyons présentement. » (A. G. R.,
Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fD 2). Gfr la lettre de Farnèse au Roi,
19 novembre 1578 (GACHARD,o. C., loc. clt., p. 398).
(28) Farnèse au Conseil provincial d'Artois, Camp de Bouges, 11 novembre 1578
(A. G. R, Papiers d'Etat et d'AUdience, registre 192, fD il.

103
. Le prince de Parme savait,en effet, - et il en avait averti le
.Roi -:--:que-jamais on. n~.arriveraitàfaire .l'entrer les W.allons dans
l'obédience du souverain si on ne leur donnait .I'assurance que les
]Jspag~ol~et .a~tre$étr,angersq.uilt~eraient les Pays-~as (29}. En
terminant.sa lettre au magistratd ~Arra.s,F arnèse le-mettait en garde
contre les entreprises desB'rançais et. rappelait habilement tout 'ce
que le pays d'Artois avait-souffert de la main de .cet ennemi cent
ans auparavant . (30).
.

Les commissaires envoyés en Artois ne devaient rien négliger


pour ramener la ville d'Arras à l'obéissance: si la sécurité était
suffisante, ils devaient même s'établir dans la cité, sinon ils pou-
vaient engager le magistrat à envoyer des délégués pour traiter avec
eux. Une fois la communication établie, l'évêque d'Arras et le sire
de Valhuon étaient autorisés à offrir de la part du prince de Parme
les conditions de réconciliation qui étaient indiquées dans le mémoire
joint à leurs instructions.
. Ces conditions - qui pouvaient être offertes à toutes les pro-
vinces et à toutes les villes wallonnes 'en généra:! - étaient les sui-
vantes (31) : 1° oubli général et perpétuel du passé; 2° Interdiction
de se reprocher mtrtuellement les ,événements du passé; 3° absence
de garnison dans les villes ou au plat pays, à moins que les vines
réconciliées n'en désirassent une, pour garantir leur sécurité, ou que
la présence d'une garnison y eût été coutumière. Dans ce cas, cette
garnison s-erait formée de soldats du pays; 4° suppression des tailles,
impôts, capitations et charges extraordinaires qui avaient été décré-
tés à leur endroit durant et à l'occasion des troubles; 5° promesse de
ne leur imposer à l'avenir d'autres tailles ni gabelles que celles qui
existaient à l 'époque de Charles-Quint; 6° maintien des privilèges et
remise en vigueur de ceux qui auraient été violés j 7° on aura à cœur
le bonheur et la prospérité du pays, comme au temps de Charles-
Quint; 8° dansle cas où il serait réclamé des assurances pour L'exé-

(29) Farnèse au Roi, 20 octobre 1578 (GACHARD,o. C., loc, cit., p. 381); Le même au
même, 3 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, voL !ibis, fo i12). Dans cette
de-rnière lettre, le prince de Parme, parlant du départ des soldats étrangers, dit: ~ porque
esto es 10 que mas los ha de mover ».' .'
(SO) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 3 vo.
{3i) ~ Poinctz et articles que son Ex. offre estre accordez aux villes et provinces
que vouldront se reduyre et remectre souoz S. M., moiennant I'observacce de la Religion
catholique romaine et obéissance à Sad. Ma té, qui sont Ies dieux poinotz par Elle requis.s
(A.,G. R.; Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192. fO.3,)CfrRENON DE FRANCE;.Histoire
(les troubles des Pays-Bas, t. II, p, 333.

104.
cution de ces promesses, Farnèse et le Roi offriraient toutes celles
qui sembleraient raisonnables.
Ces conditions étaient le fruit des réflexions d'Alexandre Far-
nèse et non l-a reproduction d'instructions ou de suggestionsdirectes
de Philippe II. Jusqu'ici le Roi n'avait indiqué. dans sa correspon-
dance que les deux points sur .lesquels on ne pouvait pas céder:
I'obêissance et le maintien de la religion catholique. D'autre part, le
duc de 'I'erranova, qui était en route pour êtreprésent aux négocia-
tions pour la paix générale qui devaient s'ouvrir à Cologne, n'était
pas encore arrivé et le prince de Parme ignorait ce que contenaient
les instructions de ce délégué. Il avait donc été réduit à imaginer
lui-même les principales conditions de la réconciliation en s'inspi-
rant à la fois des circonstances, et des pouvoirs que le Roi avait
donnés en septembre à la Motte pour autoriser celui-ci à négocier
avec les Wallons (3.2).
Les commissaires envoyés à Arras pouvaient aussi déclarer que
les promesses de Farnèse seraient confirmées par des lettres person-
nelles de sa part et par des lettres de Sa Majesté.
Si le magistrat d'Arras, avant ou après l'accord qu'on espérait
pouvoir conclure, désirait de plus amples informations, il pouvait
envoyer des délégués au prince de Parme, qUI leur accorderait le
sauf-conduit nécessaire pour le voyage et le séjour auprès de lui.
Les offres et les promesses faites à la ville d'A;1~aspouvaient
aussi être communiquées aux ecclésiastiques, aux nobles et aux Villes
non seulement de l 'Artois, mais aussi de Hainaut, de la Flandre
wallonne, de Tournai et Tournaisis. Si, au cours des conversations
que les commissaires de Farnèse réussiraient à engager, on leur
demandait quelles assurances seraient accordées pour l'exécution des
promesses faites, l'évêque d 'Arras et le' sire de Valhuon devaient

(32) Le prince de Parmë pouvait sans doute s'inspirer des avis qui lui parvenaient
des provinces wallonnes. VOici, par exemple, ce que lui faisait connaître Sarrazin au
début de novembre: « plusieurs nobles, bons bourgeois et peuple ont délibéré y obvier
[à l'introduction du calvinisme] et ne trouvé par mon advis nul meilleur moyen que
soy reconseiller avecque le maistre [Philippe II], moyennant la conservation de la
Pacification de Gand et tout» estranqiers tiré hors du pays ... » (HIRSCHAUER, Corres-
pondance secrète..., pp. HO-Ui). D'autre part, il n'ignorait pas, par ses rapports avec
la Motte, que celui-ci avait reçu des lettres patentes du Roi, datées du 1i septembre 1578,
l'autorisant à négocier la réconciliation avec le souverain et à promettre l'oubli du passé,
moyennant le maintien de la religion catholique et l'obédience. La Motte pouvait aussi
garantir que les réconciliés n'auraient plus à subir la présence de soldats espagnols ou
n'autres étrangers et qu'on leur conserverait et garantirait leurs privilèges comme avant
les troubles. (DlEGERICK, Correspondance de Valentin de Pardieu, pp. 241-243).

105
engager leurs interlocuteurs à formuler des conditions. Farnèse s'en-
gageait à accorder d'embl,ée celles qui seraient justes et raisonnables.
Les commissaires devaient aussi déclarer à ceux qui voudraient se
réconcilier que le Roi leur garderait une vive reconnaissance « pour
avoir été les premiers qui, par si louable' exemple et fa(]on de pro-
céder, auraient donné occasion à la réduction du pays ».
Lesdeux agents du prince de Parme étaient ainsi nantis de pou-
voirs suffisamment étendus et pourvus d'instructions assez précises
pour pouvoir traiter sans difficulté ni retard.Tls se mirent immédia-
tement en route vers l'Artois.
Le 11 novembre, le prince de Parme avait aussi fait rédiger une
lettre aux États d'Artois, pour leur rappeler ses offres du lO octobre
et pour les engager iL rentrer dans l'obéissance de Sa Majestê (33).
Cette lettre fut confiée à Moulart et à Le Vasseur (34), pour 's'en
servir au moment opportun.

Avant que ne lui parvinrent les premières nouvelles de ses deux


commissaires, le prince de Parme apprit par Jean Sarrazin un évé-
nement qui devait le remplir de joie. Depuis la mort de Don Juan,
le prieur de Saint-Vaast n'avait pas cessé ses bons offices auprès des
nobles d'Artois. n essayait depuis quelque temps déj'à d'attirer au
parti du Roi le seigneur de Capres. Oudart de Bournonville, seigneur
de Capres, avait été nommé gouverneur de l'Artois pendant l'absence
de Robert de Melun, vicomte de Gand, qui oooupait un poste dans
l'armée des États. Comme 'beaucoup d'entre les chefs des Walllons,
,il était connu pour ses sympathies à l'égard du duc d'Anjou et plus
d'une fois, des villes s'étaient refusées à lui ouvrir leurs portes de
,peur qu'il ne se rendît maître de l'endroit pour le livrer aux Fran-
çais (35) . Sarrazin rencontrait chezCapres dassea bonnes disposi-
tions, mais il se rendait compte que ce seigneur ne se déclarerait
point ouvertement, si on ne le gratifiait du gouvernement de He-sdin,

(a3) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo po.


(34) Dans sa lettre au Roi en date du 19 novembre, Farnèse dit: « leur [c'est-à-dire
aux commissaires] ayant faict donner lettres de remercyement a ceulx de ladlcte ville ...
et a ceulx du conseil d'Arthois et aux Estatz. » (GACHARD, O. C., loc. cit., p. 398).
{35) Note sur l'état des affaires extraite d'une lettre de Sarrazin au prince de Parme,
13 octobre 1578, dans HmscHAUER, Correspondance secrète..., pp. 88 svv., n° XXIX; Rossel
à Walsingham, 16 novembre 1578 (K!mVYN DE LE'ITENHOVE, Relations politiques ..., t. XI,
p. 140). VQir aussi C. T. H. BUSSh'i'fAKER, O. c., t. l, pp. 327-328.

106
qu'il convoitait, et si on ne le nommait définitivement gouverneur de
l'Artois, au détriment de Robert de Melun (36). Cependant, Capres
savait qu'il avait perdu la confiance du prince d 'Orange .depuis qu'il
avait appuyé la réaction catholique qui s'était déclarée à Arras et
qu'il avait laissé mettre à mort l'avocat Gosson €t ses compagnons.
Le Taciturne lui avait même écrit à ce sujet une lettre inquiétante (37).
Le fait de se savoir suspect aux « patriotes » était de nature à
pousser l'ambitieux seigneur du côté où on ne :se Iassait pas de lui
offrir avantages et honneurs. Sarrazin et ses amis lui promettaient
de le faire nommer définitivement au gouvernement qu'il convoitait
,et en profitaient pour le pousser à se déclarer ouvertement pour le
parti de 1a réconciliation avec Philippe II. Le 13 novembre, après une
nouvelle sollicitation du prieur de Saint-Vaast, Capres avait promis
d'engager les États, qui allaient se réunir ce jour, à s'unir contre les
Gantois et à reconnaître le Roi (38). Il tint parole. L€ 15 novembre,
dans l'assemblée plénière des États d'Artois, il protesta « d'un
cœur magnanime et face allègre » qu'il était prêt à maintenir l 'hon-
neur de Dieu, l'obéissance au Roi et la religion catholique (39). Cette
déclaration produisit son effet et raffermit ceux dont les sentiments
étaient encore indécis. Aussi, Sarrazin s'était-il empressé d'exploiter
ce succès, de couvrir Capres de louanges et de l'assurer que le Roi
lui donnerait sans aucun doute la récompense promise. Il finit par
lui arracher un billet, que ce seigneur signa de sa main, et par lequel
il s'engageait à « maintenir la religion catholique et l 'obéissance à
Sa Majesté en conformité de la Pacification de Gand » et déclarait
qu'il était prêt à y employer corps et 'biens et à verser la dernière
goutte de son sang (40).
Sarrazin a'empressa d'envoyer le précieux document à Phi-
lippe II et en communiqua le texte au prince de Parme, en priant
celui-ci de faire tout son possible pour que la promesse faite à
Capres eût son plein effet. Le prieur en profita aussi pour rappeler

{36) Jean Sarrazin au seigneur du Valhuon, Arras, 10 novembre 1578, dans HIR-
SCIIAUER, Correspondance secrète ..., pp. H3 SVV., n° XXXV.
(37) Même lettre.
(38) Jean Sarra:zin au seigneur du Valhuon, Arras, 13 novembre 1578, dans HIR-
SCHAUER, Correspondance secrète, o. C., pp. 120 SVV., n- XXXVI.

{39) Jean Sarrazin à Alexandre Farnèse, Arras, 16 novembre 1578 (HIRSCHAUER" o. c.,
pl). 123 sv., JlO XXXVII).
(40) Le texte de la déclaration de Capres dans HIRSCHAUER, Corresponâance secrète ...,
p. 124, note 1.

107
que lui-même, en récompense de ses services, attendait son élévation
à la dignité abbatiale de Saint-Vaast (41).
Le prince de Parme comprit l'importance du geste que Capres
venait de faire et en écrivit longuement au Roi. Il jugeait acceptable
la prétention de ce seigneur d'être pourvu du gouvernement de l' Ar-
tois et de la ville de Hesdin à la place du vicomte de Gand. Il estimait
que cette faveur pouvait engager Capres à faire rentrer sa province
dans l'obéissance et l'empêcherait de se donner aux Français. Car si
les villes et le peuple regardaient ceux-ci de mauvais œil, la noblesse
était à leur dévotion, et Capres, maître de Hesdin, dont il venait
dexpulser les hérétiques, aurait pu ouvrir les portes de cette ville
aux troupes d'Anjou.
D'autre part, on n'était pas très sûr des sentiments catholiques
du vioomtede Gand et le prince de Parme trouvait que celui-ci
n'était pas l'homme pour être gouverneur de l'Artois. Il ne voyait
qu'une objection à la nomination de Capres : le poste convoité par
celui-ci devait revenir à M. de Vaulx, qui avait tout sacrifié pour
suivre Don Juan et le prince de Parme. Mais Farnèse se rendait
bien compte qu'il fallait exécuter la promesse faite à Capres; il avait
d '.ailleurs déjà averti les seigneurs qui étaient restés fidèles et qui
résidaient auprès de lui, qu'il importait d'abord d'attirer les autres,
ceux qui avaient fait défection. Les fidèles devaient prendre patience
jusqu'au jour où le Roi ne serait plus lié dans la distribution de ses
faveurs (42).
Le prince de Parme n'ignorait pas non plus que, en nommant
Capres au poste de gouverneur de l'Artois, on mécontenterait encore
un autre seigneur, Don Fernand de Lannoy, beau-frère de Granvelle,
qui avait rempli cette charge avant Pinsurrection, et qu'en donnant à
Oudart de Bournonvitle le gouvernement de Hesdin, on infligerait de
la peine au seigneur de Helf.ault, qui était gouverneur de cette place
avant les troubles (43). Malgré tout, il estimait que la promesse faite
à Capres devait être tenue. Il avait d'ailleurs déjà expédié des

(41) Jean Sarrazin au prince de Parme, lettre cit-ée, loc. cit.; le même au seigneur
du Valhuon, Arras, 17 novembre 1578 (HmscHAuER, o. c., pp. 125 sv., n- XXXVIII). Voir
aussi la lettre de Farnèse au Roi, Namur, 27 novembre Hi78 (GACHARD, o. c., loc. cit.,
pp, 399-403).
(42) Farnèse au Roi, Namur, 26 novembre 1578 {A. G. R., Copies de Simancas,
vol. Hbis. r- i67).
{43) Même lettre et une autre, du 27 novembre 1578, en français (GACHARD, o. c.,
loc. clt., pp. 40i-402).

108
patentes de nomination provisoires,faisànt sav-oir au seigneur inté-
ressé que le Roi lui en enverrait de définitives, s'il continuait à
garder l'attitude qu'il avait prise.
Farnèse 8 'excusa auprès du Rcidavoir été si loin, mais il esti-
mait qu'il devait le faire pour empêcher l'entrée des Français en
Artois et pour détacher cettè province des autres.
Le cas de Capres obligeait d'ailleurs 1.e gouverneur à prévoir
d 'autres situations analogues qui naîtraient dans l'avenir. Que faire
sl. Beauduinvde Gavre, seigneur d'Inchy, qui gouvernait en ce
moment Cambrai pour:h~sÊtatsGénér.aux,et8iGeotg,e.s de Mon-
tigny, seigneur de Noyelles, gouverneur de Bapaume au nom dès
« orangistes », se laissaient amener aussi à se réconcilier avec le
RoH (44).
Philippe II, sur ce point, était prêt à toutes les générosités :
Farnèse pouvait offrir « ce qui était raisonnable '> et il ne devait pas
négliger l'appât de l'argent. C'est surtout au retour à l'obédience
de Lalaing et de son frère, le baron de Montigny, que le souverain
attachait une grande importance (45).
La volte-face de Oapres n'empêcha pas Farnèse de songer aussi
ft la Motte et à ce qu'il venait de faire à Saint-Omer (46). Il conseilla
.au Roi de fournir l'argent nécessaire pour mettre cette ville en bon
état de défense: on pourrait peut-être faire parvenir la somme en
argent comptant, en le remettant par voie de mer en sacs de laine (47).

* * ;'t

En attendant des nouvelles de ses commissaires, le prince de


Parme était travaillé par la crainte de voir les chefs wallons conclure
une alliance avec le duc d'Anjou, plutôt que d'accepter ses proposi-
tions de réconciliation avec le Roi (48). Les nouvelles que Sarrazin
donnait d'Arras étaient cependant bonnes. Les États d'Artois
.8 'étaient réunis et, malgré un discours du conseiller Bichardct en
faveur du maintien de « la généralité »et du refus de toute négocia-

(44) Farnèse au Roi, Namur, 27 novembre 1578 (loc. clt.).


(45)Le Roi à Farnèse, 12 et 21 novembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. !ibis,
fO'134 et 161).
{46) Valentin de Pardleu avait gagné à sa cause le gouverneur de cette place impor-
tante.
i(47) Lettre du 26 novembre 1578 (Loc. cit.),
(48) Farnèse au Roi, Bouges, 18 novembre 1578 {A. G. R., Copies de Simancas,
vol, !ibis, fo 146).

109
tion séparée, l 'assemblée s'était prononcée pour la constitution d'une
ligue catholique entre toutes les provinces wallonnes. Des députés
de l'Artois et du Hainaut seraient chargés de sonder les États de
la Flandre wallonne, de Tournai et de Tournaisis et la ville de
Valenciennes au sujet de leur entrée dans cette ligue. Montigny et la
Motte avaient eu des conférences (49) à Wacken et à Saint-Omer avec
les seigneurs de Manuy et de Ruminghem, respectivement comman-
dant de la garnison et gouverneur de Saint-Omer, qui avaient montré
des dispositions favorables à la réconciliation. Montigny avait
envoyé à Mons des délégués auprès de Lalaing et des autres chefs
des « Maleontents » pour sonder leurs volontés. De même, François
de Bernimicourt, sire de la Thieuloye, qui gouvernait Béthune, avait
fini par se déclarer aussi (50). Le prieur de Saint-Vaast avait faU
.de la bonne besogne. De son côté, le seigneur de Capres avait, au
milieu de sérieux périls pour sa vie, ramené la plupart des villes de
l'Artois à I'observation de la Pacification de Gand. Sarrazin deman-
dait pour lui un subside secret de 3.000 écus, aân de lui permettre de
continuer sa campagne (51).
Le 21 novembre, l'évêque d'Arras et le seigneur du Valhuon
donnèrent de leurs nouvelles au prince de Parme. ils n'avaient pas
encore osé se rendre à Arras et attendaient des assurances de la part
de Sarrazin pour continuer leur route vers cette ville. ils signalaient
la prochaine réunion des États d'Artois et des députés du Hainaut,
ainsi que, peut-être, d'autres régions encore, qui auraient à se pro-
noncer définitivement concernant le projet de ligue catholique sur la
base de la Pacification de Gand (52).
Le prince de Parme saisit tout de suite l'occasion pour faire
tenir à ses deux commissaires des lettres pour les États dArtois.
En ,s'adressant aux 'États comme tels, Farnèse les met en garde contre
ceux qui, s'étant posés jusque là « comme leurs protecteurs et alliés »,
n'avaient eu d'autre but que dabaisser la noblesse et de détruire
J'ordreecclésiastique. Us n'ont réussi qu'à creer une situation désor-
donnée et confuse, où les gens de bien n'ont que peu de crédit et de

(4.9) Voir à ce sujet la lettre de la Motte au prince de Parme, Gravelines, 16 novem-


bre 1578 {MULLER et DIEGERICK,O. c., t. II, pp. 300-302) et la discussion au sujet des
intentions de Montigny, que les éditeurs font suivre au texte de cette lettre.
(50) Jean Sarrazin au secrétaire Le Vasseur, Arras, 17 novembre 1578 (Hrascnœsa,
O. C., p. 128, nO XXXIX).
(M) Le même au même, même date (HIRSCHAUER,o. C., p. 134., n- XL).
(52) Lettres du 21 novembre 1578 :(A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192,
fi> 6. ro et r- 6·vO).

110
pouvoir. Les événements de Gand n'ont-ils pas ouvert les yeux? Le
soulagement du peupl-e dépend des salutaires résolutions que les
États vont pr-endre (53).
Le prince de Parme s'adressa aussi par lettres spéciales et parti-
culières aux trois ordres des ·États. Aux ecclésiastiques, il demande
d'inspirer de bonnes décisions, s'ils veulent mettre fin à leurs, souf-
frances et sauvegarder leurs personnes et leurs biens; aux nobles, il
affirme que, malgré toutes les calomnies, le Roi est encore toujours
bien disposé envers eux, ,et que le souverain attribue les troubles non
à un défaut de loyautêde leur part, mais à l'intérêt et à Pambîtion
qu'avaient des gens malintentionnés de troubler l'ordre public. Les
nobles doivent se rappeler leur serment de bons et fidèles vassaux
et, s'ils reviennent à l'obédience, le Roi leur donnera en retour hon-
neur et profit pour eux et toute leur postérité. Les exigences du
souverain ne sont d'ailleurs pas dures et rien ne s'oppose à la récon-
ciliation. Aux membres des villes, le prince de Parme exprime son
bonheur de voir que l'on peut désormais discerner clairement le but
de ceux qui ont plongé le pays dans le malheur. A Arras, où l'on a
maté les sectaires, ne peut-on en ce moment comparer le bonh-eur du
temps passé avec les misères du jouit TI faut que les villes exigent
des États le retour à l'ancienne tranquillité, moyennant l'obéissance
due à Sa Majesté et le maintien du catholicisme. C'est à ce prix que
leurs privilèges seront non seulement maintenus, mais sauvegardés
et protégés (54).
Alexandre Farnèse faisait ainsi très habilement sonner la note
juste et nécessaire pour toucher les membres des trois ordres
sociaux: aux ecclésiastiques, il parlait de la fin des persécutions dont
ils avaient souffert; aux nobles, il parlait d'honneur et de devoir,
tout en promettant des faveurs; aux villes, il rappelait-les conditions
nécessaires à leur repos et à leur tranquillité, garantie de la prospé-
rité matérielle.
Une lettre spéciale fut destinée au seigneur de Capres : eUe le
louait hautement de la résolution qu'il avait prise. Le gouverneur
général s'empresse surtout de faire connaître à « ce gentilhomme
d'honneur et de valeur» qu'il a envoyé au Roi un courrier exprès
pour le mettre au courant de sa conduite et qu'en attendant les

(53) A. G. R., Papier» d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 8Yo. Cfr aussi A. DE
SCHREVEL, Recueil ..., t. Il, pp. 439-441,
(54) A. G. R., Papiers !t'Etat et d'Audience, registre 192. fO. IfYo. 10vo• 11 va.

111
patentes officielles de Philippe II, il lui accorde le gouvernement
d'Artois et celui de Hesdin. I..•e prince de Parme espérait ainsi
engager Capres à ne pas s "arrêter en si bon chemin et à développer
jusqu'au bout les conséquences logiques de l'attitude qu'il avait
prise (55).
Entretemps, les commissaires de Farnèse s'étaient :fixés au
château d'Humbercourt, à six lieues d'Arras, pour y observer de
près les événements. Après avoir réussi à faire parvenir les lettres
du prince de Parme aux États et au Conseil dArdois, au magistrat
d'Arras et à Oudart de Bournonville, ils avaient appris qu'on ne
refusait pas de les entendre, mais qu'on remettait cette entrevue
jusqu'à la réunion des États d'Ar;tois et de Hainaut, qui devait se
tenir le 1er décembre.
Cependant, de nombreux ecclésiaetiques et des notables, leurs
amis, étaient déjà venus les visiter et des négociations officieuses,
sans conséquence mais utiles pour le but poursuivi, avaient com-
mencé. Si le peuple des campagnes et celui des villes inspirait
confiance aux commissaires de Farnèse, ceux-ci ne voulaient cepen-
dant pas se laisser tromper par des illusions : ils redoutaient, non
sans raison, les intrigues du duc d'Anjou et les pièges du prince
d'Orange. Sentant combien tout le monde était décidé à exiger le
maintien de la Pacification de Gand, ils soupçonnaient que cette
demande pourrait devenir une pierre d'achoppement à laquelle se
heurteraient les négociations (56).
L'évêque d'Arras et le seigneur du Valhuon avaient prié Farnèse
d'expédier au gouverneur et aux villes du Hainaut des lettres iden-
tiques à celles qu'il avait adressées à ceux d'Artois (57). Sachant
combien la situation était complexe dans la première de ces provinces,
où la noblesse tenait beaucoup pour le duc d'Anjou, mais où le
peuple était anti-français (58), le prince n'avait pas donné suite à
cette demande, se réservant d'attendre jusqu'après la réunion des

(55) Farnèse à Capres, Namur, 25 novembre 1578 (A. G. R., Papiers d'Etat et
(t'Audience, registre 192, fo H); L. VAN DER ESSEN, Correspotuumce d'Alexandre Farnèse
avec le comte de Hénin, dans les Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 1913,
t, LXXXII, p. 392. Voir la réponse de Capres ibidem, p. 393.
,(&6) L'évêque d'Arras et le sr du Valhuon à Farnèse, château d'Humbercourt,
28 novembre 1578 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 7VO).
(57) Les mêmes au même, 21 novembre 1578, lettre cItée .
.(58) Il: Tous les citadins [de Mons] s'estoient mutinez en disant beaucoup de mal
de tous les François, comme de les vouloir hacher en pièces et chasser tous hors de
leurs villes. » Jean Sarrazin au secrétaire Le Vasseur, Arras, 27 octobre 1578 (HIRSCHAUER,
o. c., p.105).

112
États qui était annoncée (59). D'autre part, il jugea opportun
d'envoyer une lettre au marquis de Havré pour lui 'exprimer l'espoir
que L'exemple donné par quelques villes et par des gentilshommes
des provinces wallonnes l'engagerait à s'employer aussi à la res-
tauration de la religion catholique (60) ..

Le 4 décembre au matin, les envoyés de Farnèse reçurent l'avis


que les 'États d'Artois les invitaient à se rendre à Arras et étaient
disposés à les entendre (61). Ils avaient craint un moment, à en juger
par la froideur des lettres que certains leur avaient adressées, que
l'arrivée des députés du Hainaut n'eût une fâcheuse influence sur
les délibérations de l 'assemblée. Une lettre écrite par Jean Sarrazin
vint les rassurer (62). L'actif prieur de Saint-Vaast y racontait ce
qui s'était passé à l'ass-emblée des États du L" décembre et des deux
jours suivants. Au début, certains membres du Tiers-États 'étaient
opposés à ce que l'on entendît les commissaires de Farnèse. Lorsque
se présentèrent à l'assemblée les députés de la Flandre wallonne,
Sarrazin et ses amis ,insistèrent encore. Le Tiers s'obstina, prétendant
devoir en référer d'abord à Passemblée des bourgeois, ses commet-
tants.Quant au clergé et à la noblesse, ils s'étaient assez rapidement
déclarés pour la réconciliation avec le Roi, mais n'osaient encore le
proposer ouvertement, pour ne pas offusquer les députés du Hai-
naut, dont les sentiments « alençonnistes » n'avaient pas diminué.
Parmi les députés hennuyers, le marquis de Havré surtout se mon-
trait de mauvais vouloir. Finalement, le Tiers État, entraîné par la
bourgeoisie d'Arras) consentit à ce que l'on fît venir à l'assemblée
les représentants du prince de Parme (63).

(59) Farnèse à ses commissaires, Limbourg," 7 décembre 1578 CA. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 8vO ).
(60) Lettre datée de Bomal, le, décembre 1578 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
registre 192, fo 11'°).
(61) Les commissaires à Farnèse, Arras, {) décembre 1578 (A. G. R., Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 192, fo 13VO,); Lettre d'un personnage d'Arras, Arras, 3 décem-
bre 11)78, dans A. DE SCHREVEL,Recueil ..., t. II, p. 497.
(62) Voir aussi la lettre de Jean Sarrazin à Mathieu Moulart, du 3 décembre. 1578
(BUSSEl\IAKER,o. c., t. II, p. 373).
(63) Jean Sarrazin aux commissaires de Farnèse, Arras, 3 décembre 1578 (HIRSCHAUER,
o. c., p. 136, n° XLI); CH. HmSCHAUER, Les Etats d'Artois, t. I, p. 275. Le 5 décembre,
avant de recevoir les envoyés de Farnèse, les Etats d'Artois avertissaient les Etats Géné-
r3UX des ouvertures faites par le prince de Parme et leur demandaient communication
des " poinctz et ouverture ~ que les Etats Généraux avaient préparés pour la négociation
de paix générale avec l'Empereur (GACHARD,Actes des Etats Généraux, t. II, p. 446).

113
-.

En arrivant à Arras, Mathieu Moulart :et le sire du Valhuon


s'aperçurent que l'unanimité était loin de régner parmi le peuple:
si plusieurs les reçurent avec allégresse, d'autres ne leur cachèrent
guère les sympathies qu'ils avaient pour le duc d'Anjou. Ils appri-
rent que le vicomte de Gand était rentré à Arras et qu'il était quelque
peu ébranlé dans ses sentiments, en entendant que l'on mettait en
doute ses convictions catholiques. Les commissaires s'empressèrent
de signaler ce détail à Farnèse, en l'engageant à écrire « une bonne
lettre» à ce seigneur pour essayer de le gagner (64).
Le 6 décembre, les deux envoyés fur-ent admis à l'audience des
États. On les fit entrer dans une chambre séparée du lieu de
I'assemblée et l'on s 'empressa de vérifier leurs lettres de créance et
de prendre connaissance de la copie des articles de réconciliation que
Farnèse faisait proposer. Des délégués de l'assemblée vinrent, après
peu de temps, conférer avec eux pour mieux sonder les intentions du
Roi et du prince de Parme. Philippe II avait-il réellement donné à
son gouverneur général le pouvoir de traiter de la paix avec les
Wallons et avec les autres provinces ~_On savait cependant que le
souverain avait interdit naguère à Don Juan de continuer les tracta-
tions pour un accord, au moment où il avait remis toute la question
de la paix entre les mains de l'Empereur. On savait aussi que le
prince de Parme avait reçu la visite de Schwarzemberg. Que venaient,
dès lors, faire à Arras Moulart et Valhuon ~
A _cette question insidieuse, les deux commissaires répondirent
que si le prince de Parme proposait de discuter de la réconciliation,
il avait évidemment le pouvoir de le faire; ils ajoutèrent que, si le
Roi avait naguère interdit à Don Juan de s'occuperencol'e de négo-
ciations de ce genre, c'était parce que le souverain s'était rendu
compte que ce gouverneur était odieux aux gens des Pays-Bas. La
réponse était habile.
Les États, en attendant de délibérer plus amplement entre eux,
désignèrent à Moulart et à Valhuon une maison, où ils devaient
s'engager à résider sans en sortir jusqu'à nouvel ordre. On ne les y
retint cependant pas comme des prisonniers, car on n'y mit aucune
garde. Les envoyés de Farnèse purent ainsi y recevoir la visite
d'amis et de personnes sympathisant avec eux. Ils en profitèrent
pour entreprendre auprès de ces visiteurs une active et pressante
propagande en faveur de la récÛll1<ciliationavecle RoI. Ceux qui S;e\

(64) Les commissaires à Farnèse, Arras, 5 décembre (Loc. clt.):

114
rendirent auprès des envoyés du prince de Parme étaient presque
,tous des personnages gagnés d'avance à l'idée du retour à Pobé-
dience ou animés d'une véritable haine contre Je prince d'Orange
et son parti,et qui ne faisaient ces visites qu'à titre personnel. LBs
membres du corps des États ne se hasardaient dans la maisonqu 'en
secret et rarement (65) : pour le moment, ils ne désiraient pas se
compromettre,
Du logis où ils ,se trouvaient confinés, Moulart et Valhuon
pouvaient suivre à leur aise les mouvements d'opinion qui se mani-
festaient depuis que les propositions du prince de Parme avaient été
introduites auprès des États. Plusieurs membres de ceux-ci essayaient
de traverser les projets du gouverneur général en affirmant qu'il
fallait s'en tenir uniquement aux négociations de paix générales que
l'Empereur devait commencer bientôt, et repoussaient l'idée d'une
négociation séparée pour les provinces wallonnes.
C'était là une manœuvre très habile, qui semblait pouvoir être
difficilement contrebattue. Les commissaires de Farnèse essayaient
cependant de le faire par tous les moyens, en faisant appel à l'aide
du seigneur de Captes, de J ean Sarrazin, de plusieurs. nobles, eeclé-
siastiques 'et bourgeois qui étaient partisans de la réconciliation.
TI leur semblait que le vicomte de Gand} dont on avait redouté
dabord les convictions « orangistes », pourrait être attiré dans le
parti des « réconciliés », si onexploi tai t l'inquiétude et l 'irrésolu-
tion qui commençaient à se manifeste.r chez lui. Il était venu dîner
avec les commissaires, leur avait rappelé la collaboration qu'il avait
naguère prêtée à Don J nan et avait désiré' savoir si le secrétaire
Le Vasseur n'avait pas « jeté au feu » les dépêches royales qui lui
,avaient accordé des faveurs. TI avait ainsi prêté le flanc à une
manœuvre qui, habilement conduite, pouvait l'amener à abandonner
le parti des rebelles (66).
Après quelques discussions, les États réunis à Arras avaient
décidé de tenir une nouvelle assemblée générale le 23 décembre. Jus-
qu'à cette date, Moulart et Valhuon ne pourraient pas quitter la
maison où ils résidaient.
Le magistrat d'Arras avait décidé, entretemps, de ne pas
repousser la pacification et la réconciliation avec le Roi, soit par le
moyen de la paix générale, soit par le moyen d 'un accord particulier
{65) Les commissaires à Farnèse, Arras, 8 décembre 1578 (A: G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fo 14).
(66) Même lettre.

115
pour les provinces wallonnes. A la suite de cette décision, les États
firent connaître à l 'archiduc Mathias et aux 'États Généraux siégeant
à Anvers qu'ils désiraient la conclusion de la paix de la part de
toutes les provinces, si la chose était possible; que sinon, ils étaient
décidés à conclure Un accord particulier avec le Roi. Ils avaient exigé
une réponse immédiate . Sous l'influence du seigneur de Capres, ils
avaient refusé nettement de payer la contribution que l'archiduc
Mathias avait sollicitée pour s'acquitter envers les reîtres de l'armée
des,~tats Généraux (67).
Sentant qu'il se développait ici une situation dangereuse pour le
maintien de « la généralité », le prince dOrange faisait répandre le
bruit que Schwarzemberg était occupé à négocier, par mandat de
l'Empereur, un traité de réconciliation générale, qui serait beaucoup
plus avantageux que n'importe quel accord particulier. Le Taciturne
'avait aussi envoyé à l'assemblée des États à Arras des députés de
Gand et des Quatre Membres de Flandre, pour présenter des excuses
au sujet des excès des seetaires et promettre que de tels faits ne se
représenteraient plus (68). Il manœuvrait aussi du côté des Malcon-
tents, en faisant offrir à Montigny et à ses hommes tout ce qu'ils
désireraient, à condition qu'ils consentissent à évacuer Menin.
Le prince de Parme fut averti par ses délégués que ces
manœuvres entravaient considérablement leur mission. Moulart et
Valhuon étaient d'avis qu'il était nécessaire d'expliquer clairement
aux États d 'Artois les raisons qui avaient poussé le gouverneur
général à envoyer des commissaires, TI était important de montrer
que le prince l'avait fait en vertu d'une commission royale aussi
étendue que celle de Don Juan, et qui n'empêchait pas Farnèse d'en-
tamer des négociations séparées avec les Wallons au moment où
l'Empereur allait entamer les tractations pour une paix générale.
C'était le seul moyen de contrebattre la manœuvre du Taciturne. Un
autre danger encore se présentait: certains membres des États
annonçaient leur volonté de maintenir l'archiduc Mathias comme gou-
verneur, au C3IS où l'on négocierait avec la généralité des provinces.
Les commissaires de Farnèse s'étaient empressés de faire valoir que
Mathias était trop jeune, qu'il n'av.ait pas d'expérience, qu'il avait

(67) Les commissaires à Parnèse, Arras, 13 décembre 1578 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fo 15VOl.
(68) Le prince d'Orange se rendit compte, dès le début des excès des sectaires gantois,
combien cette politique serait néfaste pour la sienne, pour la politique de l' « union »,
Ofr TROSÉE, Historisctu: Studiën, pp. 284-288. .

i16
montré jusqu'ici peu de respect pour le serment qu'il avait prêté de
maintenir la religion catholique, qu'il étalait trop de complaisance
pour le prince d 'Orange, et que le Roi pourrait difficilement le main-
tenir dans le poste qu'il occupait, Ils avaient essayé de montrer qu'il
était préférable de reconnaître comme gouverneur le prince de
Parme, qui connaissait le pays pour y avoir résidé et dont la mère
avait naguère si bien administré ces provinces.
Ce qui embarrassait surtout les commissaires, c 'est qu'ils consta-
taient une unanimité absolue à réclamer le maintien intégral de la
Pacification de Gand, « acceptée par Don Juan, et ratifiée par le
Roi ». Ils avaient posé à plusieurs de ceux qui venaient les visiter
la question: « Si, cependant, cette Pacification a été violée par le
prince d'Orange, comment le Roi serait-il tenu de l'observer à l'en-
droit de celui-ci T » La réponse avait été unanime et significative: il
était impossible d'amener le peuple, les gens de guerre, et même les
nobles et les ecclésiastiques à l'idée de la réconciliation avec le Roi,
sans leur promettre la ratification pure et simple de la Pacification.
Faute de cette ratification, t'Out le monde serait convaincu que le sou-
verain ne l'avait approuvée naguère une première fois que pour s'en
servir dans un « dessein sinistre ». Tout au plus quelques notabilités
wallonnes étaient-elles prêtes, si l'on en arrivait à un accord parti-
culier, à exclure le Taciturne du bénéfice de cet accord. Mais le grand
nombre ne voulaient même pas entendre parler de pareille sugges-
tion (69).
Moulart et Valhuon réclamèrent du prince de Parme des instruc-
tions précises au sujet de ces problèmes dangereux.

* "
Entretemps, Farnèse avait fait envoyer aux États du Hainaut
une lettre, leur signalant la mission de ses commissaires auprès des
États d'Artois et les engageant à prendre une résolution décisive
pour le maintien de la religion catholique et l'obédience due au
Roi (70). Une lettre de même teneur avait été expédiée aux États 'de
Lille, Douai et Orchies, à ceux de Tournai et du 'I'ournaisis, et à la
ville de Valenciennes (71). De plus, le gouverneur général s'était
adressé spécialement au vicomte de Gand pour lui faire comprendre
qu'il ne désirait rien d'autre que le repos et le bien du pays et que,
(69) Même lettre,
(70) A. DE SCHREVEL, RecueiL, t, II. p. 507.
(71) A. DE SCHREVEL, Becueü ..., t. II, p. 511.

117
au milieu de cette explosion de démagogie que l'on constatait un
peu partout, il voulait maintenir surtout le prestige et Tinfluenee de
la noblesse. Il lui rappelait les obligations auxquelles il était tenu
envers Dieu et envers le Roi, et lui prédisait une gloire immortelle
et le gain d'innombrables faveurs, e 'il se réconciliait avec le souve-
rain (72).
Farnèse n'avait fait que suivre ici à la lettre les suggestions de
ses délégués. Il procédait avec prudence, ne voulant rien brusquer et
rien compromettre. Il se contentait d'observer les événements, prêt
à saisir l'occasion favorable pour pousser sûrement au but qu'il
entrevoyait (73).
TI agissait de même vis-à-vis de la Motte, dont l'audace etI'acti-
vité entreprenante on faveur de la réconciliation venaient de remporter
en ce moment un succès considérable. En l'absence de Montigny, qui
jouait encore toujours un double rôle (74), il avait réussi à amener
les troupes wallonnes de ce seigneur à entrer en négociations pour
se remettre au service du Roi. Ces soldats ,étaient prêts à s 'accorder
avec le souverain, ·si on leur payait I'arriêrê de vingt mois de solde
qu'on leur devait: à ces conditions, il se déclaraient prêts à rendre
les places de Menin et les châteaux d'Estaires et de Cassel, et à
continuer leur service comme avant les troubles. Il faudrait leur
payer au total une somme de 140.000florins (75). Le prince de Parme
s'était empressé d'avertir Alonso de Curiel, facteur du Roi à Calais,
qui résidait en ce moment à Gravelines près de La Motte, de prendre
cette somme sur son crédit et il avait en même temps euppliê Phi-
lippe II de couvrir Curiel pour cette opération (76). A l'aide des
troupes des « Malcontents » ainsi rentrées au service du souverain
et des soldats que La Motte, avait à Gravelines et à Saint-Omer, on

(72) A. G. R., Papie1's d'Etat et d'Audience, registre i92, fo 22.


(73) « Il i!lllporte que ce faict 6'01t manié délicatement, comme j.e fais, oyant et escou-
tant, sans en rien vouloir faire chose, sinon ce que peult donner goust, tant ausdicts
d'Arras, que pays d'Arthois et aultres de la langue wallonne que se sont declairez
ouvertement contre le prince d'Oranges et estatz flamengs et hérétlcques. » Farnèse
au Roi, 27 novembre i578 (GACHARD,Correspondance d'Alexandre Farnèse, loc. clt.,
p. 400).
(74) Voir sur ce point MULLER et DIEGERICK, Documents concernant des relations
entre le duc d'Anjou ..., t. II, pp. 305-3i2; BUSSEMAlŒR,o. c, t. II, pp. 34-45, surtout la
note i de la page 40 et svv.
(75) La Motte à Alexandre Farnèse, Gravelines, 25 novembre i578 (MULLERet DIEGE-
RICK, O. c., t. II, pp. 303-305); Farnèse au Roi, Visé, i6 décembre 1578 (GACHARD,o. C.,
Ioe, oit., pp. 411-4i2); Fa.rnèse au Roi, Visé, 14 décembre i578 (A. G. R., Copies de
Stmancas, vol. Hbis, ro 24il.
(76) Farnèse au Roi, Visé, 14 et 16 décembre 1578 (loc, cit) ,

H8
aurait pu faire des progrès appréciables en reprenant les villes les
plus importantes de ces régions: Arras, Aire, Béthune, Hesdin et,
d'autre part, Dunkerque et Bergues-Saint-Winoc (77).
Le retour de ces troupes wallonnes au service du Roi aurait
rendu plus facile la réconciliation des provinces d'Artois, de Hai-
naut et de Flandre wallonne avec le Roi. Farnèse se rendait bien
compte en ce moment que, quelle que fût la bonne intention de ceux
qui désiraient retourner à l'obédience, jamais ils ne consentiraient
,à recevoir chez eux des troupes espagnoles (78). Les régiments de
Montigny auraient pu former ainsi le premier noyau de l'armée que
les Wallons réconciliés devraient mettre sur pied pour se défendre
contre les « Orangistes ».
Dans l'ensemble de la manœuvre dont il tenait les fils, le prince
de Parme ne négligeait pas non plus de tenir compte de la psychologie
Spéciale qu'il découvrait autour de lui chez les seigneurs wallons qui
étaient restés fidèles à Philippe II, M. de V.aulx, Berlaymont, Helfault,
le sire de Gernicourt et autres. De Madrid, où il ne pouvait savoir
exactement ce qui se passait, le Roi avait engagé ces seigneurs à
aider son gouverneur général dans la négociation avec l'Artois.
Farnèse décida de ne pas se rendre à ce conseil du Roi. Il fit savoir
à celui-ci que tous ces seigneurs étaient tellement passionnés et pré-
occupés de leur intérêt personnel qu'il aurait été dangereux de s'en
servir pour des manœuvres aussi délicates. M. de Vaulx surtout,
ennemi du seigneur de Capres, ne pouvait certainement pas être
envoyé à Arras,et il en était de même des autres (79).
Qu'on se figure d'ailleurs la situation de ces seigneurs restés
fidèles !En suivant Don Juan, et ensuite Alexandre F'armèse, ils
avaient tout sacrifié: leurs biens avaient été confisqués par les
rebelles, leurs familles étaient exposées à la vengeance. Or, ils
voyaient couvrir de louanges et bénéficier de promesses, qui seraient
certainement tenues, des gens comme La Motte, comme Capres, comme
d'autres encore, qui avaient trahi le Roi et qui ne semblaient cher-

, ,(77) La Motte à Farnèse, lettre citée; DIEGERICK, Correspondance de Valentin de


Pm'dieu .." pp. 254-264.
(78) « Pero tengo por cierto que, aunque se muestren aficionados al servicio de
V. M. y se declaren en él, no pediran ni quernan ser ayudadcs de la gente deI exerclto,
slno valerse de la que eIlos podran juntar alla largo ». Farnèse au Roi, Limbourg,
4, décembre 1578 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 11bis, fo 227).
(79) Farnèse au Roi, 3 novembre 1578; Le Roi à Farnèse, 15 novembre, 7 décem-
bre 1578; Farnèse au Roi, 16 décembre 1578 (GACHARD, o. O., lac. cit., pp. 386, 396, 406,
407-408, HO).

119
cher dans la réconciliation que profits et honneurs (80). Certes, Phi-
lippe II engageait vivement son gouverneur général à récompenser
les vieux fidèles, mais le prince de Parme n'avait pas d'argent et se
voyait obligé de payer les faveurs qu'il pouvait donner au moyen
de l'argent destiné à l'armée des Pays-Bas.

A.vant que ne lui parvint la lettre où ses commissaires 'lui fai-


saient part des difficultésauxqueliles se heurtaient leurs négociations,
le prince de Parme leur avait envoyé des instructions complémen-
taires au sujet des points litigieux qu'il prévoyait. TI se rendait bien
compte qu'il fallait déjouer la manœuvre des « Orangistes », consis-
tant à ne vouloir entreprendre que des négociations pour l'ensemble
de « la généralité ~, sous prétexte que tel était bien le désir du Roi.
A cette objection, Moulart et Valhuon devaient répondre que le
Roi, en soumettant la question de la paix à l'Empereur, n'avait
jamais eu l'intention de déroger â l'autorité de son gouverneur géné-
.ral et que celui-ci pouvait entreprendre des négociations particu-
lières avec tous ceux qui voulaient se réconcilier. Les tractations
particulières n'étaient d'ailleurs pas de nature à contrecarrer la
conclusion d'une paix générale, mais devaient, au contraire, faciliter
celle-ci et la rendre plus avantageuse pour 'le bien de la religion. Si
les provinces catholiques,en effet, donnaient l'exemple, la sauve-
garde des intérêts religieux était mieux assurée.
Les commissaires de Farnèse devaient aussi contrecarrer la
manœuvre du prince d'Orange en montrant que celui-ci n'avait qu'un
seul but : maintenir le calvinisme et avoir en mains la direction des
négociations, afin de les engager dans la voie choisie par lui seul.
On ne pouvait laisser ignorer aux Wallons les efforts que le Taci-
turne déployait en ce moment pour conclure une union particulière
entre les provinces flamandes (81), où il espérait trouver plus de
sympathie pour la religion réformée.

(80) « Pour faciliter ceste négociation, le prince de Parme assura soubz main aulcuns
principaux du pais... que Sa Majesté leur conûrmeroit Ires gouvernements, prélatures
et charges auxquelles estoient parvenus par la vole de l'Archiducq et Estatz généraux,
hien ... qu'il y alla du préjudice d'aulcuns quy avolent suivi la personne du Sr Don Juan
et abandonné leur fortune pour le service de Dieu et de Sa Majesté. » (RENON DE
FRANCE, Histoire des troubles des Pays-Bas, t. II, pp. 336-337).
(81) Gfr PIRENNE, Histoire de Belgique, t. IV, M. clt., p. 151. Voir le texte de l'Union
d'Utrecht dans A. DE SCBREVEL,Recueil ..., t. II, pp. 336 svv, Gfr KERVYNDE LETTENBOVE,
Les Huguenots elles Gueux, t. V, pp. 312 svv.

120
Pour rassurer les 'Vallons, les commissaires pouvaient pro-
mettre, de la part du prince de Parme, que Bi, par aventure, les
autres provinces obtenaient plus d'avantages par la méthode. de la
pacification générale, le Roi accorderait sans nul doute les mêmes
faveurs> aux provinces déjà réconciliées. .
Si, malgré tout - et en ce moment.on pouvait le craindre -
Ies Wallons, en majorité, décidaient de ne vouloir s'engager que dans
des négociations englobant « la généralité » tout· entière, il fallait
essayer de sauver ce qui pouvait encore l'être. Les commissaires
,
devaient obtenir. en tout cas, le maintien de la bonne résolution qui
'

avait été prise concernant la religion catholiqme et l'obédience au


Roi. ,Si, par respect des autres provinces, les Wallons rejetaient la
méthode de l'accord particulier, ils devraient exiger l'observation
intégrale de la Pacification de Gand, la cessation des prêches calvi-
nistes, la restauration dee églises, et la mise en liberté des ecclésias-
tiquesemprisonnés. Enfin - nous retrouvons ici le 'souci constant de
Farnèse - il fallait obtenir le départ des troupes françaises
d'Alençon.
Pour bien montrer les dispositions du Roi et l'étendue de sa
patience, les commissaires pouvaient affirmer que, si la paix générale
ne sortait pas-ses effets, le souverain serait encore toujours prêt à
répéter les offres pour un accord séparé telles que le prince de Parme
les avait fait connaître (82).
A peine ces instructions étaient-elles envoyées que Farnèse reçut
les lettres, par lesquelles Moulhart et Valhuon demandaient des direc-
tives au sujet du point de la Pacification de Gand et du maintien de
l'archiduc Mathias,
Le prince leur répondit 'Sommairement que, tant de son côté que
du côté du Roi, on prêterait une grande attention à toute demande qui
serait raisonnable, bien entendu si ce n'était pas l'intention secrète
des provinces wallonnes de donner « par des interprétations
sinistres» une entorse à la Pacification, à l'instar du princed 'Orange,
TI se débarr assait en quelques mots du problème concernant Mathias,
en relevant que, puisque Ies provinces waâlonnes se sépareraient
des autres, il était clair que l'archiduc ne pouvait rester leur
gouverneur (83).

(82) Farnèse à ses délégués, Visé, 22 décembre 1578 {A, G. R., Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 192, fo 23).
(83) Lettre écrite de Visé, 24 décembre i578 (A, G. R., Papie1'S d'Etat et d'Audience,
registre 192. fO 25). . ..

r
12i
On comprend très bien la sobriété des instructions du prince de
Parme au sujet du point délicat de Ia Pacification de Gand. TI ne
savait pas encore quelle était, pout les détails, l'idée du Roi à ce
sujet. Celui-ci avait faitconnaître cette idée au duc de 'I'erranova, en
vue des négociations de Cologne. Mais, fin décembre, 'I'erranova ne
s'était pas encore mis en communicationavec le gouverneur général
des Pays-Bas (84).
Entretemps, à Arras, les commissaires de Farnèse avaient pu
pénétrer les desseins du vicomte de Gand et essayer de le gagner à
leur cause. C'est à la suite de la Iettre que le prince de Parme avait
envoyée à Robert de Melun que celui-ci s'était présenté à la maison
,épiscopale où Moulart et Valhuon résidaient.
il leur avait dit qu'il n'avait rien à se reprocher et qu'il ne
croyait pas avoir manqué au respect dû à la religion et au Roi. En
conscience, il ne désirait autre chose-que la pacificationdes provinces,
mais il ne pouvait se résoudre à approuver le système des tractations
particulières. TI se sentait uni avec les autres provinces - avec toutes
les provinces - et son honneur lui interdisait d'accepter autre chose
que les négociations de paix générales.
L'impression des commissaires de Farnèse fut que le vicomte
était sincère et que ses intentions étaient droites, mais qu'il était
circonvenu par ses parents et par sa femme, qui tenaient pour les
Ëtats Généraux. Malgré tout, il était à surveiller de près.
Sur Oapres, les déclarations de Robert de Melunsemblent avoir
fait une grande impression : n y trouvait la preuve qu'on avait
calomnié ce seigneur en jetant Jia suspicion sur ses sentiments catho-
liques. TI s'était déclaré prêt à laisser au vicomte de Gand le gouver-
nement de l 'Artois et de Hesdin, s'il pouvait être entièrement assuré
au sujet de la sincérité de ces sentiments (85). Cette déclaration était
de nature à faciliter grandement l'œuvre de Farnèse, en supprimant
des négociations le point délicat des récompenses à accorder à ce
seigneur influent.
:Si, en ce moment, on croyait au désintéressement absolu de
Capres, les événements se chargeraient bientôt de montrer quel était
le dessein caché qu'il poursuivait.

* * *
(84) Farnèse au Roi, Visé, 5 décembrë 1578 {A. G. R., Copies de Simancc/'s, vol. Hbis,
r- 233).
, (85) Les commissaires à Farnèse, Arras, 31 décembre 1578 :(A. G. R, Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192. fO 27).

122
C'est le 3 [anvier 1579,et non le 23 décembre 1578, comme on le
leur avait dabord annoncé, que Moulart et Valhuon furent appelés
à comparaître devant l 'assemblée des États réunis il. Arras. En ce
moment, les délégués du Hainaut et ceux de Valenciennes n'étaient
pas encore présents et seuls ceux de la Flandre wallonne avaient
rejoint les députés de l'Artois. On se borna à faire expliquer une
nouvelle fois par les commissaires quels étaient les pouvoirs du
prince de Parme quant aux négociations de paix et à prendre con-
naissance des lettres qu'il avait écrites à ce sujet à ses mandataires.
Ceux-ci, après cette brève entrevue, furent ensuite reconduits à la
maison épiscopale, pour attendre l 'arrivée des députés des autres
provinces wallonnes et une nouvelle 'assemblée des 'États (86).
Malgré ces délais successifs, Moulart et Valhuon pouvaient
constater que l'idée de la réconciliation gagnait de plus en plus du
terrain. Au cours dtme réunion tenue chez eux, à laquelle assistaient
Capres, Jean ,Sarrazin, plusieurs prélats, des nobles, le vicomte de
Gand, au milieu de l'approbation générale, avait fermement déclaré
que si le Roi ratifiait la Pacification de Gand, il se déclarerait promp-
tement pour le retour à l'obédience. Il avait même ajouté qu'il. était
prêt à adresser un défi ·au prince d'Orange, lui promettant de le com-
battre, s'il ne remettai timmédiatement en leur état ancien les églises
et toutes autres choses, qui avaient été confisquées ou endommagées
contrairement à la Pacification de Gand.
Ce fut pour Moulart et Valhuon l'occasion de revenir encore sur
la nécessité de ratifier purement et simplement cette Pacification : ils
ne cachèrent point à Farnèse les grandes difficultés qui allaient surgir
et entraver l'œuvre de réconciliation, si on ne parlait de tout cela
« rondement et ouvertement ». Leur avis fut que, si le texte de la
Pacification pouvait être discuté, iQserait dautant plus facile d'obte-
nir qu'on l'interprétât « sairiement ». Il ne fallait pas accumuler à ce
sujet des difficultés et des conditions en ce moment-ci. Une fois la
réconciliation faite, les gouverneuracatholiques, qui seraient alors
à la tête des provinces, feraient très aisément l'interprétation néces-
saire des points préjudiciables de la Pacification (87).
Les députés du Hainaut arrivêrent à Arras au bout de peu de
jours d'attente. Ils apportaient avec eux des instructions leur per-
mettant de traiter de la réconciliation générale. Si celle-ci ne pouvait

{86) Lettre du 31 décembre 1578 (loc. olt.) et lettre du 3 janvier 1579 {A. G. IL,
Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 31).
(87) Lettre du 3 janvier 1579, citée.

123
se conclure, ils se prêteraient à des négociations pour un accord
séparé, mais en exigeant des assurances pertinentes de la part du Roi.
Les députés de Douai avaient un mandat analogue. Quant aux villes,
toutes MUes d'Artois, ainsi que Saint-Omer et Béthune, étalent
déeidêes :à entamer des négociations particulières avec Farnèse,
même si les autres n'étaient pas de cet avis. Les députés de Lille
furent renvoyés chez eux, parce que leurs pouvoirs n'étaient pas
suffisants. Enfin, ceux de Valenciennes étaient encore toujours
absents.
Lorsqu'il apparut que la majorité des députés penchaient vers
le retour à l'obédience, les bourgeois d'Arras décidèrent d'aller de
l'avant. Ils se déclarèrent prêts à entamer des tractations particu-
lières avec Farnèse, si, à la fin du mois de janvier, l'archiduc Mathias
et 1es'États Généraux n'avaient pas commencé à négocier pour la paix
générale et n'avaient rétabli, dans l'ensemble des provinces, ce qui
y avait été changé, supprimé ou transformé contrairement à la Pacifi-
cation de Gand (88).
Sous l'influence du peuple d'Arras, les États adressèrent à
Mathias une lettre manifestant leur intention expresse de R 'en tenir,
pour toutes négociations avec le Roi, à la ratification de la Pacifica-
tion. Ils prièrent l 'archiduc et les 'États Généraux siégeant à Anvers
de leur faire connaître, dans le courant du mois, leurs intentions
relatives au maintien de l'Acte de Gand et de l'Union de Bruxelles,
afin de se conduira en conséquence (89). De plus, les États d'Artois,
les députés du Hainaut et ceux de Douai présents à Arras publièrent
un manifeste, déclarant s'unir pour I'accomplissement de la Pacifi-
cation de Gand, pour laconservàtion de la religion catholique, de
l'obédience due au Roi et des privilèges du pays (90). L' « Union
d'Arras» était née (91).

* * *
Ceci était un nouveau point de repère dans l'ensemble des événe
ments. La ligne de conduite du prince de Parme se trouvait tout
naturellement tracée. TI fallait pouvoir assurer les provinces wal-
lonnes que Philippe II ratifierait purement et simplement la Pacifl-

(88) Les commissaires à Farnèse, Arras, 7 janvier 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, reg-istre 192. f032·'0).
(89) GACHARD, Actes des Etats Gënërau», t. II, p. 452.
(90) GACHARD, o. c., t. II, p. 454.
(91) Voir à ce sujet KERVYN DE LE'ITENHOVE,Les Huguenots et tes Gueux, t. V,
pp. 319-328.

124
eationf.sans exiger que les articles du texte, dont on avait pu con-
stater qu'ils étaient préjudiciables à la religion ou à l'obédience,
fussent au préalable changés. Gomme, d'autre part, on pouvait pré-
voir que le prince d'Orange et les 'États Généraux ne s'exécuterai,ent
.point avant un mois. sur les points Déclamés par les Etats réunis à
Arras, il était raisonnable de supposer qu'on en viendrait à des
tractations particulières avec les Wallons.
Les délégués de Farnèse faisaient d'ailleurs comprendre à
celui-ci qu'en envoyant aux 'États Généraux leur miseen demeure, les
États des provinces wallonnes obéissaient à un sentiment d'honneur.
Ils se considéraient comme engagés avec les autres dans la lutte com-
mune et jugeaient ne pouvoir reprendre leur liberté d'action, ques 'il
était clairement établi que toute collaboration avec les États siégeant
à Anvers était devenue impossible (92).
.si tel n'était peut-être pas le sentiment ou le calcul du peuple,
qui semblait sincèrement désireux de se réconcilier le plus tôt
possible (93), les seigneurs wallons l'entendaient ainsi. Il était devenu
clair que, si le vicomte de Gand pouvait ainsi justifier à ses propres
yeux et vis-à-vis de ses amis et de ses parents son retour à l'obé-
dience, il ferait immédiatement le pas décisif.
Il s 'était d'ailleurs montré sincère dams8'es sentiments favo-
rables à la réconciliation, en entreprenant avec Capres un voyage à
Douai pour y conférer avec son frère, le sénéchal du Hainaut, et avec
le seigneur de Villerval : il avait conseillê à ces deux personnages
influents d'accepter les tractations particulières ,aVHCFarnèse si,
endêans un mois, les 'États Généraux n'avaient pas répondu affirma-
tivement à l'invitation des États d'Artois. Il s'était rendu aussi dans
le même but à l'assemblée des États de Lille.
Mais, en même temps, Capres et lui avaient fait entendre à
Philippe II et au prince de Parme qu'ils devaient ratifier au plus
tôt, sans réserves d'aucune sorte, la Pacification de Gand, si l'on ne
voulait pas faire naître chez les Wallons une défiance invincible (94).

* * *
{92) Les commissaires à Farnèse, Arras, 17 janvier 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fD 34).
(93) « Se peult aysément percevoir de combien nostrë besoingne serolt advanché et
facillité se montrons la puissance et force de Sa Majesté, auquel cas vraysemblablement
le populaire (tant du plat pays que des villes, fort affecté à la réconciliation) feroit
bien tost changer d'opinion ceulx qui n'estudient que a leur particulier bien ou affection
pnvéeempescheant le progrès de nos affaires ». Lettre de Moulart et de Valhuon du
iJ1 nëcemore 1578 (Loc. cit., r- 30).
{94) Les commissaires à Farnèse, Arras, 17 janvier 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience. registre 192, fo 34).
125
Une occasion s'offrait précisément à Alexandre Farnèse de
mesurer les dispositions des provinces wallonnes, non seulement de
l'Artois mais aussi du Hainaut. En effet, le 4 janvier était arrivé au
camp de Visé Robert Bienaymé, prieur de Renty, porteur d'une lettre
de La Motte, qui Paccréditait auprès de Farnèse comme « un per-
sonnage de bonne volonté » (95). Le prieur vexposa au prince de
Parme que La Motte, désirant entraîner Montigny à mettre ses
,troupes à la disposition de Philippe II, l'avait envoyé lui-même vers
ce seigneur pour en négocier. Montigny avait fini par déclarer qu'il
ne pouvait rien faire sans l 'approbation de son frère, le comte de
Lalaing, et des -États du Hainaut. Il avait proposé de se rendre à
Mons av-ecle prieur, afin « d'y prendre une bonne résolution ». Une
conférence ee tint au logis de l 'abbé de Hasnon, où furent présents
bon nombre de seigneurs, de prélats et de notables : à la fin de cette
réunion, Lalaing et Montigny remirent à Renty un mémoire, conte-
nant plusieurs avis et articles « pour le redressement de-s affaires de
par deça » (96). Le prieur fut chargé de communiquer le contenu
de ces avis au prince de Parme, afin de connaître l'opinion de celui-ci,
Alexandre Farnèse examina ce mémoire, qui n'était pas signé,
et s'aperçut immédiatement qu'il contenait quatre points de nature
à soulever de grandes difficultés : le prompt départ des Espagnols et
des soldats étrangers; le maintien du duc d'A'lençon comme allié et
confédéré; le maintien de l'archiduc Mathias au gouvernement; la
validité et la confirmation des offices et des gouvernements conférés
par les rebelles.
Ne sachant si ces exigences étaient le fait des États de Hainaut
ou des idées personnelles de Lalaing et de Montigny, le prince
de Parme se proposa de leur faire savoir que, comme le mémoire ne
portait aucune signature et que, dans une affaire d'aussi grand
poids, on ne pouvait pas s'engag-er sans en avoir communiqué avec
les États de Hainaut, il suggérait d'envoyer des députés à Namur ou
bien, s'ils n'avaient pas confiance, de leur envoyer en Hainaut ses
propres délégués. Le prieur de Renty pria Farnèse de n'en rien faire:
il objecta que Lalaing et Montigny se refuseraient à envoyer des

(95) Voir l'étude de J. DEl PAS., Un pl'ieul' de Renty agent politique de Philippe II
et des gouvemeul's des Pays-Bas (de 1578 à 1582), dans le Bulletin historique de la
Société des Antiquail'es de la MOl'inie, 1931, t. XV, pp. 142-186.
(96) Voir BUSS.EMAKER, o. c., t. II, pp. 120-121:

126
députés, de crainte de se rendre suspects aux autres Ebats et au duc
d'Alençon, s'ils n 'étaient pas certains qu'on arriverait à quelque
accord.
Farnèse se rendit à ces raisons. Il consentit alors à écrire sur le
mémoire quelques apostilles inspirées des idées qu'il savait être celles
du Roi; mais sans les signer de son nom. C'était, croyait-il, un moyen
de se rendre compte si Lalainget Montigny, ainsi que les 'États de
Hainaut, ne se Iaisseraient.vpas gagner par les conditions qu'il
suggérait de la sorte (97).
Sa méthode était toujours la même: rassurer ceux qu'il voulait
« attirer », et attendre patiemment le résultat de ces dé-clarations,
sans brusquer les événements (98). Ce faisant, il agissait dailleurs
enconformité de vues avec le Roi, qui ne cessait de lui rappeler, à
chaque courrier envoyé d'Espagne, qu'il devait s'efforcer de gagner
Lalaing, Montigny, le duc d'Aerschot, le marquis de Havré et d'autres
encore, en leur promettant l'oubli absolu du passé, la restitution de
leurs biens et de leurs offices, et la reconnaissance du souverain avec
toutes les récompenses qui en seraient la preuve. Philippe II conseil-
lait, pour Lalaing en particulier, d'user des bOIJ1,s offices de Madame
d'Arenberg, dont ce seigneur avait épousé la fille, car on racontait
que celle-ci dominait entièrement son mari et que, gagnée elle-même
à la réconciliation, elle le forcerait à se déclarer dans ce sens (99).
Par suite de la tournure que prenaient maintenant les événe-
ments d'Artois et de Hainaut, et pour satisfaire au désir de ses
commissaires à Arras, qui avaient demandé de leur adjoindre un
aide, le prince de Parme résolut d'envoyer là-bas le seigneur de
Selles (100).
Ce choix était dicté par plusieurs considérations. Jean de Noir-
carmes, baron de Selles, qui était gentilhomme de bouche et capitaine
des archers de la garde du Roi, navait rempli aucune charge aux
Pays-Bas, n'avait jamais pris part aux troubles, et serait donc un
négociateur moins suspect qu'un seigneur wallon comme M. de

(97) Farnèse au Roi, Visé, 7 janvier 1579 (GACHARD, Correspondance d'A/Jexandre


Farnèse, 10c. clt., pp. 428-430); Le même au même, Visé, 9 janvier 1579 '(A. G. R., Copies
de Suïumcas, vol. 12, fo H). Au sujlet de ces faits, voyez la note critique dans MULLER
et DIEGERlCK,o. c., t. II, pp. 563 svv.
{98) « A mon advis, le tout consiste en les asseurer, et que le reste Sie pourra bien
accomoder s , Lettre citée, 10c. cit., p. 430.
(99) Le Roi à Farnèse, 23 janvier 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo 37).
(tOO) Farnèse au Roi, janvier 1579 {GACHARD, o. C., pp. 431-432).

127
Vaulx ou d'autres de l'entourage de Farnèse (101). De plus, ce qui
dominait à présent toute la question du retour des Wallons à
l'obéissance, c'était la demande de la ratification pure et simple de la
Pacification de Gand. Or, sur ce point, le baron de Sel'les pouvait
déclarer, avec quelque apparence de sincérité, les intentions du Roi.
Au cours de l'année 1578, il avait été envoyé vers les Etats Généraux
pour essayer d'amorcer dBS négociations de paix et sur le fait de
la Pacification le Roi lui avait donné des instructions précises (102).
Avant de se décider à faire appel au baron de Senes, le prince de
Parme avait écrit à La Motte et aux autres seigneurs du parti de la
réconciliation pour leur dire qu'il lui semblait nécessaire, dans l'inté-
rêt même de la religion et de l'obédience, d'éclaircir certains articles
de la Pacification qui, mal interprétés par le prince d'Orange, avaient
permis aux calvinistes de faire des progrès si considérables. La
Motte répondit immédiatement qu'il ne- fallait pas y songer : le
peuple tenait tellement au maintien intégral de la Pacification qu'il
fallait sur ce point donner toute satisfaction. Une fois la réconcilia-
tion faite, il ne- serait p3JSdifficile, en manœuvrant prudemment, de
modifier peu à peu ce qui pourrait être préjudiciable (103).
Le prince de Parme fut très impressionné par cette déclaration,
qui concordait d'ailleurs avec l'avis de-Moulart et de Valhuon. Il fit
cependant savoir à Philippe II que, au moment où se conclurait Ie
traité de réconciliation, il provoquerait par tous les moyens possibles
des déclarations et des interprétations au sujet des points non
.admissibles de la Pacification. 8i cette manœuvre devait toutefois
apparaître comme impossible, il désirait connaître nettement les
ordres du Roi concernant cette question (104).
En attendant, il prescrivit au baron de Selles de s'inspirer des
lettres que le Roi avait naguère écrites au sujet de la Pacification :
si les Wallons l'interprétaient « sainement » et non avec de mauvaises
intentions, Farnèse se faisait fort d'obtenir l'accord du souverain.
(101) Farnèse au Roi, Born, 25 janvier 1579 (A. G.R, Copies de S"imancas, vol. 12,
fo 43).
(102) « Lui ayant donné ehargë de déclarer aux Etats l'intention en ce qui touche
la ratiftcalion de la Paclûcatlon de Gand, de quoy se debvront par ratson contenter. »
Farnèse à ses commissaires, Meersen, 19 janvier 1579 (1\. G. R., Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 192, fo 35vo) ,
(103) Farnèse au Roi, Born, 25 janvier 1579, lac. eu.
(104) Ibidem. « Que sé bien yo soy ësorupuloso en estas materias de religion y no
querria que por mi mano pasase jamas cosa que pudlese dar nota al mundo, no de
menes me parece que se debe llevar la mira a 10 que puede ser en mayor servicio de
Dios, de V. M., y bien de la crlstiandad. »

128
De plus, dans la lettre de créance que de Selles devait produire à
Arras, le prince parlait de « la ronde et bonne intention » que Sa
Majesté entretenait dans cette affaire (105).
En l'absence de toute instruction précise de Philippe II et du
duc de Terranova, que pouvait faire Alexandre Farnèse? Il n'en
reste pas moins que les tractations qui allaient s'ouvrir au sujet de
la ratification de l'acte de Gand se trouvaient placées dès le premier
moment sous le signe de l'équivoque.
En attendant la convocation d'une nouvelle assemblée des États
d'Artois, prévue pour le 6 février, Capres continuait à négocier de
tous côtés. A Lille, tout en étant d 'accord pour s'unir aux Artésiens
dans une guerre délfensive contre les violateurs de la Pacification de
Gand, on ne voulut pas encore se résoudre à une réconciliation avec
Ie Roi. D'autres 'efforts furent faits à Tournai et dans le Tournaisis.
,Toutes les villes d'Artois furent aussi travaillées par des émis-
saires (106).
De leur côté, les « Orangistes» n'omettaient aucun moyen de
pression en sens contraire. L'archiduc Mathias envoya au sénéchal
de Hainaut une commission de grand maître d'hôtel et traversait
les efforts de Capres par l'intermédiaire de la mère et des sœurs de
ce seigneur (107). Il avait offert, d'autre part, au vicomte de Gand,
la charge de général de l'armée des États et une pension de 12.000
,écus d'or (108). Aussi, Alexandre Farnèse conseillait-il à ses délégués
de répondre vigoureusement à ces manœuvres, à la prochaine réunion
des États d'Artois. Ils devaient affirmer que, dans son entretien avec
Ie prince de Parme à Visé, Schwarzemberg n'avait pas traité de paix
générale et dénoncer la politique du prince d'Orange: celui-ci tra-
vaillait toujours à conclure une union particulière des provinces du
Nord et n'avait inventé sa Religionsfried que pour propager plus
facilement le calvinisme (l09).

(105) Farnèse à Selles, Meersen, 19 janvier 1579 'et Lettre de créance de même
date (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fa 361'0 VO); Parnèse au
Roi, janvier 1579 (GACHARD, o. c., lac. ctt., p. 432).
(106) Les commissaires à Farnèse, Arras, 22 janvier 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fo 37).
(107) Même lettre.
(108) Le 31 janvier 1579, Farnèse faisait savoir à Gapres que le Roi était très content
des services qu'ël avait rendus et laissait entendre qu'il en serait largement récompensé
(L. VAN DER ESSEN, Correspondance d'Alexandre Farnèse avec le comte de Hénin, lac.
ctt., p. 393).
,(109) Lettre de Echt, 31 janvier 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
registre 192. fo 40VO).

129
Dès que le baron de Selles eut rejoint Moulart et Valhuon à
Arras, il se rendit compte que toute négociation serait vaine si on
ne pouvait, le plus vite possible, assurer les Wallons de la ratifica-
tion de l'accord de Gand. « Envoyez promptement cette assurance,
écrivit-il à Alexandre Farnèse, car, sur mon honneur! ceux qui la
demandent n'ont point de sinistres intentions: ils désirent uniquement
le maintien de la religion catholique et de l'obédience au Roi» (110).
Les deux autres commissaires n'en jugeaient pas autrement. De con-
cert avec de Selles, ils s'étaient mis en rapport avec «des personnages
savants » pour connaître leur avis au sujet des points de la Paciûca-
tion qui pouvaient sembler les plus mauvais. L'opinion de ces per-
sonnages ne fut pas différente de celle des évêques, des prélats, des
facultés et des universités qui avaient documenté Don Juan avant
l'Edit perpétuel. A leur avis, en tenant compte des circonstances où
la Pacification avait été conclue, elle ne contenait que des éléments
avantageux pour la religion catholique. On aurait pu suspecter sa
tendance en ce qu'elle remettait à l'examen des 'États Généraux le
« fait de religion» pour la Hollande et la Zélande. Mais, si on 1'inter-
prêtait sainement, il était évident qu'on n'avait jamais voulu
remettre à la décision des 'Éta.t,s Généraux la question de savoir
laquelle des deux religions était la vraie et la bonne, mais lu question
de l' « exercice politique » de la religion réformée, vu le grand
nombre d'adhérents que celle-ci comptait dans ces deux provinces.
Les nobles, qui étaient en office en ce moment dans les provinces
wallonnes, voulaient - à en croire les commissaires de Farnèse -
appliquer honnêtement la Pacification; ils ne demandaient pas que
Farnèse dît ou fît autre chose que ce que Don Juan avait fait lors
de l'Edit perpétuel (111).
Vers le même temps où ses trois délégués lui communiquaient
ces réflexions optimistes, Alexandre Farnèse avait reçu du Roi des
instructions pour la méthode à suivre dans ses négociations avec
~es Wallons (112). Outre les deux points du maintien de la ,redigion
catholique et de l'obédience, le souverain détaillait les conditions
de réconciliation. Ceux qui refusaient le maintien du catholicisme et
de l'obédience devaient quitter le pays: on leur accorderait six mois
(110) de Selles à Farnèse, Arras, 11 février 1572 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
registre 192. r- 43).
:(111)Les trois commissaires à Farnèse, Arras, 11 février 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fo 43'V01).
(112) Farnèse au Roi, Born, 25 janvier 1579 (Ioc. cit.). Les instructions du Roi ont
été publiées par BUSSEMAKER, o. C., 1. II, pp. 465-470.

130
pour réaliser leurs biens immeubles. Toutes ligues existantes devaient
cesser. On rendrait leurs offices et leurs dignités à ceux qui, 'restés
fidèles au Roi, 'en avaient été dépouillés par les rebelles. On devrait
fournir du secours pour combattre les provinces qui n'accepteraient
pas I'accord. Les églises, les couvents, les châteaux détruits devaient
être réédifiés. Le prince d 'Orange serait obligé de quitter les Pays-
Bas : ses biens seraient administrés par des catholiques, ou bien le
Roi lui donnerait des revenus en Allemagne. De son côté, le souve-
rain promettait une amnistie générale et le maintien des privilèges,
us et coutumes « comme du temps de Charles-Quint ». Il donnerait
au pays un gouverneur de sang flamand, acceptable pour tous; les
forteresses seraient mises entre les mains de gens du pays. Les
extorsions commises par les soldats seraient dédommagées. Les
troupes étrangères partiraient et ne reviendraient qu'en cas de
guerre étrangère ou de nécessité absolue. Les provinces autres que
l'Arto1s et le Hainaut pourraient accéder à ce traité.
Ce projet n'était pas l'œuvre de Philippe II, mais du duc d'Albe,
que le souverain en avait chargé (113). Le duc avait consulté les
papiers qui avaient servi à guider Don Juan pour les négociations
de Louvain en 1578, ainsi que des projets anciens et nouveaux
envoyés à Madrid par d'Assonville. Albe y avait ajouté des sugges-
tions quant à la manière de traiter avec La Motte au sujet de cet accord
et les précautions à prendre pour qu'on ne sût pas, dans les provinces
wallonnes, que ce projet, que Farnèse sortirait au moment opportun,
émanait en réalité de Madrid. Il 'est à peine besoin de dire qu'en
transmettant au prince de Parme ce projet et les instructions qui
l'accompagnaient, le Roi ne découvrit point qui en était l'auteur.
Alexandre Farnèse se contenta d'accuser réception de ces docu-
ments,en disant qu'il suivrait ces instructions, parce qu'elles lui
paraissaient bonnes. En Téalité,elles ne pouvaient lui être d'aucun
secours pour résoudre la question qui dominait tout : la Pacification
de Gand. Les instructions n'en soufflaient mot (114) et le prince
demeurait aussi ignorant qu'auparavant des intentions réelles du
Roi en cette matière.
(113) C'est ce que n'a pas vu Bussemaker (loc. cU., t. Il, p. 77), qui le représente
comme émanant du Roi. Il suffit de lire la lettre du duc d'Al:be au Roi, que contient le
volume !ibis des Copies de Simancas, fo 199, aux Archives générales du Royaume, et de
la comparer avec les instructions du Roi datées du 18 décembre 1578 (ibidem, fo 256). La
lettre du duc d'Albe est un document des plus intéressants.
(114) Cependant, dans la lettre au Roi, le duc d'Albe parle d'articlesinterprétatoires
de la Pacification dressés par Assonville: « La declaracione interpretacion que se ha

131
Il se décida alors à harceler le souverain pour recevoir une réponse
à ce sujet. Le 11 février, il lui écrit que les États d'Artois exigent la
.ratification inconditionnelle de la Pacification de Gand, « ce qui me
fait croire, ajoute-t-il, qu'ils ne songent à se réconcilier que poussés
par la nécessité et par leur propre intérêt, et que, 8 'ils voient le
moyen de faire la paix avec « la généralité », ils ne rompront point
l'union qui les lie avec eux ». Que doit-on faire, si l'on continue à poser
ces conditions? Les instructions envoyées naguère à Don Juan étaient
contraires à l'idée de ratifier la Pacification: d'autre part, le prince
ne connaît pas le contenu des directives secrètes données au duc
de Terranova.
« Pour l'amour de Dieu! écrit Farnèse, que Votre Maj,est~
daigne ordonner qu'à des choses de pareille importance, on me donne
.réponse sans perdre du temps! » (115) Le 2'0 février, le prince
revient à la charge. Il s'indigne de ne pas encore avoir reçu commu-
nication des instructions du duc de 'I'erranova, Il fait remarquer qu'il
ne peut cependant pas imiter La Motte, qui offre la ratification de
la Pacification au nom du Roi. Ses responsabilités sont différentes de
celles de Farnèse. Comment se conduire, devant le silence de
Madrid ~ (116). Le lendemain, nouvelle lettre, pour signaler que le
comte de Lalaing vient de lui écrire : les États de Hainaut refusent
de s'engager dans une tr actation particulière; PEmpereur leur a
envoyé un courrier les avisant que le Roi lui a remis l'ensemble des
négociations pour la paix. D'Arras, les lettres se succèdent pour
insister sur la ratification de la Paciûcation de Gand. Le gouver-
neur général croit dès lors de son devoir d'avertir le souverain que,
une fois cette ratification accordée; les troupes espagnoles devront
sortir des Pays-Bas. Or, ce départ ne semble pas admissible avant
que les Pays-Bas ne soient soumis au Roi ou que le parti de celui-ci
ne soit plus fort que celui de ses ennemis.
Craignant sans doute d'avoir trop insisté, le prince de Parme
termina sa troisième lettre en disant qu'il ne voulait pas aller plus
loin: « ce sont des affaires où les hommes ne peuvent avoir un

de dar Ii los siete articulos de la capitulacion de Gante que me han parescido muy
bien J' muy bien apuntados J' con muy buenas salidas tanto que s·e podra seepechar
salieron de otra aljava ... muy convenient.e cos a embiarles luego al Duque de Terranova »
(loo. cit., fo 205). A Farnèse, le Roi ne les envoya point, voulant sans doute réserver
la question pour les négociatëons générales de Cologne.
(115) A. G. R., Copies de Simancas, vol. i2, fU 77 sv.
(HG) A. G. R., Copies de Simanca.s, vol. 12, fD 93.

132
jugement sûr et je suis ennemi de la méthode qui crée des difficultés
là où le dommage n'est pas suffisamment clair. » (117).
Finalement, une réponse arriva d'Espagne : elle était laconique
et étonnante d'imprécision. Philippe II y faisait connaître que, sur
le point de la ratification de la Pacification de Gand, le prince
devait se conduire conformément aux instructions du duc de 'I'erra-
nova! (118) . Une lettre personnelle du secrétaire Antonio Perez, qui
accompagnait celle du Roi, et qui prétendait en être le commentaire,
n'était pas beaucoup plus claire. Elle suggérait cependant que, s'il
n'y avait pas moyen de faire autrement, on pouvait maintenir la
Pacification (119). « Il faut bien, disait Perez, que, dans un intérêt
majeur, les princes confirment certaines concessions. La situation des
Pays-Bas est telle, qu'il faut s 'accommoder des nécessités du moment.»
~.;:
~ o~

Entretemps, il s'était produit uri événement capital, qui allait


permettre au prince de Parme de se conduire avec moins d'arrière-
pensées dans les négociations avec les Wallons, Devant I'aversion
que, manifestait pour lui la masse populaire en Hainaut et presque
tout le monde en Artois, le duc d'Anjou avait voulu Ibrusquer les
choses. Le 23 décembre 1'578, il avait risqué un coup de main sur la
ville de Mons, mais s'était heurté à la vigilance des habitants. Dénué
de fonds, voyant ses soldats prêts à se révolter, il avait abandonné la
partie et s'était retiré à Condé. Il finit par reprendre la route de
,Paris (120).
Le cauchemar qui avait plus d'une fois troublé Farnèse s'était
ainsi évanoui : la crainte de voir les principaux chefs wallons con-
clureune alliancs formelle avec le duc d'Anjou plutôt que de se
réconcilier avec le Roi n'avait désormais plus de raison d'être (121).

1(117) A. G. R., Copies de S'imancas, vol. 12, fo 97.


(H8) « Coneeaienâote» en le que toca à la capitulacion de Gante todo aquello que
esta advertido en la instrucion del Duque de Terranova », Prado, 28 février 1579 {A.
G. R.,- Copies de Simàncas, vol. 12, r- 103). !\fais Farnèse ignorait précisément quelles
étaient ces concessions permises!
(H9) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo i05.
, (1.20) H. PIRENNE, Histoire de Belgique, 1. IV, éd. cit., p. 150. Cfr la lettre des bour-
geois de Mons aux Etats Généraux, 30 décembre 1578, et la note orltique xle l'éditeur,
dans MULLERet DIEGERICK,o. c., t. II, pp. 430-440.
(121) « Et n'a esté peu faict d'estre le duc d'Alençon et tous ses gens sortiz hors du
pays. Ce que je procure maintenant, est de donner à ung chascun de par delà conten-
tement et satisfaction, et principalement à ceulx qui font service à Vostre Majesté ».
Farnèse à Philippe II, Eindhoven, 21 février 1579 (GACHARD,o. c., loc. clt., p. 43'8).

133
Certes, il ne devait pas en résulter nécessairement que Lalaing, Mon-
tigny, Hèze prêteraient immédiatement plus d'attention aux avances
du prince de Parme. Si celui-ci avait pu se bercer un instant de cet
espoir, les nouvelles que lui donnait, à la date du 26 janvier, le prieur
de Renty (122), étaient certainement de nature â lui enlever ses illu-
sions. Si le seigneur de Hèze semblait montrer quelque bonne' dis-
position, le double jeu de Montigny apparaissait fort clairement,
ainsi que la colère qu'il nourrissait contre La Motte, qui avait voulu
débaucher une partie de ses troupes. Lalaing n'avait pas osé entrer
en communication ouverte avec le prieur de Renty, par peur de se
compromettre.
Cependant, malgré tout, la disparition du duc d'Anjou avait
changé considérablement la situation en Hainaut. Le peuple n'y
craignait plus les menées des Français et des partisans du duc, et
on se montrait de moins en moins hostile à la réconciliation avec
Philippe II, malgré une certaine appréhension de se remettre par
là sous la domination des Espagnols (123).
A mesure que le désir de se tourner du côté du Roi se mani-
festait aussi en Artois, la question du départ des soldats espagnols
.prit de plus en plus d'importance dans l'esprit des chefs wallons.
Au moment d'aller conférer avec La Motte et Montigny, vers la
mi-février, Capres et le vicomte de Gand exigèrent de la part des
commissaires de Farnèse une déclaration nettaà ce sujet. Se basant
sur les termes mêmes des instructions que le prince de Parme leur
avait remises, Moulartet Valhuon avaient cru pouvoir promettre
le départ des soldats étrangers, à condition que la réconciliation se
fît promptement. Mais Capres et le vicomte avaient insisté: les
soldats étrangers partiraient-ils aussi, si les provinces wallonnes
étaient seules à rentrer dans Pobédience'l Les commissaires de Far-
nèse avaient répondu affirmativement, à condition que fussent main-
tenues la religion catholique et l'obéissance au Roi (124).
C'était peut-être aller un peu Vite et le prince de Parme ne dut
pas être content de la précipitation de ses délégués. Mais ceux-ci, bien
informés à Arras de tout ce qui se passait, avaient probablement

(122) Correspondance de Granvelle, t. VII, pp. 555 svv.


(123) MULLER et DIEGERICK, o. C., t. II, pp. 603-5.
(124) Les commissaires à Farnèse, Arras, 15 février 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192, fo 45vo).

134
compris toute l'importance qu'il y avait à pouvoir rassurer Montigny
:quant au départ des Espagnols.
On ne pouvait oublier que, après la fin de l'équipée du duc
d'Anjou, Montigny avait conclu avec Tes députés des Gantois la
convention de Comines, par laquelle il s'engageait à cesser les hosti-
Iités contre les Flamands, à condition que la liberté du culte catho-
lique fût pleinement assurée, et que les seigneurs captifs des Gantois
fussent remis entre les mains d'une personnalité neutre, éventuelle-
ment du duc de Clèves (125): Si cette convention était exécutée, on
ne pourrait plus compter SUl' les troupes de Montigny pour la
défense et la sauvegarde des provinces wallonnes. C'est pourquoi
La Motte, Gapres et le vicomte de Gand allaient unir leurs efforts
pour ramener Montigny à de meilleurs sentiments (12-6). Il importait
avant tout de pouvoir lui donner 'l',a,ssuranc~ que, en cas de récon-
ciliation avec le Roi, les troupes étrangères quitteraient les Pays-Bas.
,C'est pourquoi, à la réunion du 7 février) les Etats d'Artois, s'ils
délivrèrent un sauf-conduit au haron de Selles pour rejoindre les
deux autres commissaires de Farnèse, se bornèrent à ce geste peu
compromettant. Ils voulaient attendre le résultat des tractations
engagées avec Montigny (127).

Le 16 février, les États d'Artois reprirent leurs délibérations :


les députés du Hainaut, de Douai et de Lille y prirent part. Qu'allait-
il en sortir Dès la fin de janvier, les 'États Généraux, effrayés de
ï

voir le mouvement de séparation s'accentuer dans les provinces


wallonnes, y avaient envoyé trois émissaires pour contrecarrer
l'action de Farnèse et dé' ses agents: le marquis' de Havré, le con-
seillerMeetkerke et l'abbé de Saint-Bernard (128).
Alexandre Farnèse fut averti de cet état de choses par une
lettre de François de Moncheaux, datée du 17 février. Ce correspon-
dant lui signalait que, si le peuple était sincèrement attaché à l'idée

(125) BUSSEMAKEI\., O. c., t, II, pp. 134-140.


(126) BUSSEMAKER, '0. c., t. II, pp. 160-163.
{127) CH. HII\.S'CHAUER, Les Etats d'Artois, t. l, p. 281.
(128) GACHARD, Actes des Etats Généraux, t. II, p. 137, n- 1645; p. 140, n° 1654;
p. 143, n- 1664; p. 144, n= 1669 et 1670; p. 145, n° 1675; p. 146, n° 1677; p. 147"
n- 1680; ,MémOires anonymes, t. III, pp. 298-299, 323, note 2.

135
de la réconciliation, les ecclésiastiques et les nobles du Hainaut et
de Lille montraient de très mauvaises dispositions (129). Cependant,
au cours des délibérations, les délégués des États Généraux n'eurent
pas le succès qu'ils avaient espéré après l'accueil consolant .reçu au
cours de leur tournée en Hainaut. Les commissaires du Prince. de
Parme avaient eu audience les premiers, pour exposer les avantages
d'une réconciliation séparée: les dBUXthèses, celle de la paix géné-
rale conclue pour toutes les provinces par l'intermédiaire de l'Empe-
reur, et celle de la tractation particulière avec Farnèse, allaient ici
se confronter.
Le lendemain, les délégués des 'États Généraux furent entendus
à leur tour. Ils s'aperçurent de suite que leur exposé ne plut pas 'il;
une grande partie de l'assemblée: plusieurs se montrèrent « merveil-
Ieusement altérez et malcontents » (130). Ce qui leur parut surtout
de mauvais augure, ce fut le peu dB mystère que firent Capres et lê
vicomte de Gand de leurs relations avec La Motte et Montigny. TI
apparut bientôt' que les députés d'Artois, fort travaillés par La
Motte et les autres, penchaient vers la thèse de la réconciliation
séparée (131).
Le 2-3 février, se produisit un coup de théâtre. Les commissaires
de Farnèse donnèrent lecture de dépêches de Philippe II, datées du
7, et qui leur étaient parvenues le 19. Par ces dépêches, le Roi
envoyait aux trois délégués une véritable procuration, contenant la
promesse que Sa Majesté ratifierait toutes les conventions qu'on
serait amené à conclure en vertu des pouvoirs et des instructions
que leur avait donnés le prince de Parme (132). Cette fois, les États
tenaient les assurances qu'ils avaient réclamées dès le début des
tractations. En faisant connaître les dépêches royales, les commis-
saires donnèrent la déclaration écrite que le Roi était prêt à accorder
la ratification des articles de la Pacification, de l'Union de Bruxelles
et de l'Edit perpétuel, à toutes les provinces tant en général qu'en
particulier (133).

(129) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Auclience, registre 581, fo' 203-204.


{130) V.oir à ce sujet RENON DE FRANCE, HiMoÏ1'e des troubles des Pays-Bas, t. II,
pp, 353-354.
(131) L'abbé de St.-Bernsl'd, Meetkerke et le marquis de Havré aux ELats Généraux,
Arras, 20 février 1579 (GACHARD, Actes ..., t. II, pp. 149-150, n- 1688).
«32) BUSSEMAKER, o. C., t. II, p. 181; CH. HIRSCHAUER, Des Etats cf' Artois, t. l, p. 282
et note 2.
(133) RENO" DE FRAl\"CE, Histoirè des troubles (les Pa.ys-Bas, 1. II, pp. 338-339.

136
Du COThp,la manœuvre du prince dOrange était déjouée. Il
n'était plus possible de continuer à prétendre que Farnèse n'avait
pas les pouvoirs de conclure une paix séparée et que, pour atteindre
un résultat, il fallait choisir le procédé de la paix générale.'
Aussi, les dernières hésitations disparurent. Toutefois; avant de
faire le pas décisif, les États réunis à Arras voulurent justifier la
décision qu'ils allaient prendre, en demandant une dernière fois aux
'États Généraux ,s'ils étaient prêts à exécuter la Pacification de Gand
et à maintenir L'exercice de la religion catholique et l'obédience.
Ils attendaient probablement de cette manœuvre deux résultats
possibles : ou bien, les catholiques bien pensants qui suivaient encore
les 'États Généraux se sépareraient de ceux-ci, si la réponse était
négative, et les provinces wallonnes formeraient avec eux un bloc
catholique solide; ou bien, tous les sectateurs des Etats Généraux
seraient inaccessibles et il ne resterait plus aux Wallons qu'à se
réconcilier seuls.
Il est fort probable que la plupart des seigneurs wallons avaient
proposé cette démarche pour se libérer la conscience vis-à-vis de
ceux qui avaient été si longtemps leurs compagnons de lutte. Tel
avait été l'avis non équivoque du vicomte de Gand - on l'a v1l plus
haut - lors de son premier entretien avec les commissaires de
Farnèse.
Tel devait être aussi l'avis de Montigny, mais pour des motifs
encore plus personnels et plus particuliers. En effet, depuis la con-
vention de Comines conclue par ce seigneur avec les Gantois, La
Motte n'avait pas cessé de travailler pour la rendre Inopérante, et
avait préparé une entrevue, à Quinchy, entre Montigny, lui-même,
Capres et le vicomte de Gand. Des promesses sérieuses furent faites
à Montigny pour le jour où il rentrerait dans les rangs du parti du
Roi, ensemble avec ses troupes.
Malgré ces offres avantageuses, Montigny, fidèle à 1'attitude
quil avait gardée jusque-là, ne s'était pas rendu tout de suite. TI
voulait attendre les résultats de la convention de Comines et mesurer
les avantages qui pourraient lui venir de ce côté. Il lui importait donc
de savoir, auësi bien qu'au vicomte de Gand, quelles étaient les
intentions réelles des Etats Généraux siégeant à Anvers {13'4).

(134) BUSSElIIAKEB, O. c. pp. 177-185.

137
Le 26 février, l'assemblée des députés réunis à Arras se décida
à écrire à Alexandre Farnèse. Comme le remarque avec raison
M. Ch. Hirschauer : par cette démarche, ils renouaient publiquement
avec le gouverneur désigné pal' le Roi (135). Le contact personnel
que Farnèse' avait si patiemment, mais si ardemment désiré, était
enfin établi.
, Dans sa lettre, l'assem:blée d 'Arras' signalait la nécessité de
ramener à l'obédience et à l'observation de la religion catholique,
par le moyen d'une réconciliation générale, « tout le troupeau de ces
Pays-Bas égaré et dispersé ». En conséquence, elle priait le prince
de Parme d'offrir sans tarder aux 'États Généraux siégeant à
Anvers des conditions « honnêtes et raisonnables », qui ne déro-
geaient point à la Pacification de Gand, à l'Union de Bruxelles et à
l'Edit perpétuel. L'assemblée affirmait que, par cette démarche, elle
n'entendait nullement arrêter les efforts faits en vue d'une pacifica-
tion générale, mais qu'elle désirait simplement mettre dans leur tort
et faire éclater aux yeux de tous la conduite de ceux qui refuseraient
éventuellement de se rallier à l'idée de la réconciliation avec le
Roi {136).
Cette communication devait faire comprendre clairement au
prince de Parme qu'il ne s 'agissait plus cette fois d;'opposition
entre les deux thèses, celle de la pacification générale et celle de
l'accord particulier, mais qu 'on était décidé de s'arrêter nettement à
cette dernière, aussitôt que la carence. des États Généraux d'Anvers
aurait été constatée. C'est dailleurs ce qu'écrivit à Farnèse le
vicomte de Gand, en date du 27 février : Pinvitaticn à adresser aux
partisans du prince d'Orange n'avait pour but que de montrer, s'ils
ne se conformaient pas à des exigences aussi raisonnables, la justice
de la cause des Wallo.ns (137).
Les commissaires du prince de Parme quittèrent d'ailleurs
Arras après l'assemblée du 23 février et se rendirent auprès de leur
maître, pour le mettre oralement au courant de ce qui 's'était
passé (138). Ce retour, à lui seul, indique qu'une phase nouvelle et
importante des négociations venait de s'ouvrir.

'(135) Les Etats d'Artois, t. r, p. 283,


(136) A. G. R., Papiers d'Etat' et d'Audience, registre 192, fo 47'''0.
{i37) Ibidem, fo 48vo -,
(la8) Ibidem, fo 49. Ils apportaient avec eux la lettre de l'assemblée d'Artois et des
missives de Capres et du vicomte de Gand (Parnèse au Roi, Camp devant Maestrlcht,
17 avril 1579, dans GACHARD, o. c., 100. cit., p. 445).

138
Avant den écrire à Farnèse, les États d'Artois, les, députés du
Hainaut et ceux de Douai réunis à Arras avaient d'ailleurs adressé
aux Etats Généraux à Anvers une lettre des plus significatives (139).
Ils s'étonnaient de ce qu'on les suppliât de rester dans l'union avec
la généralité, alors qu'ils n'avaient jaJllaisabandonné celle-ci et
qu'ils étaient restés fidèles à la Pacification. Ils reprochaient aux
États d'Anvers de ne pas leur avoir donné satisfaction, endéans les
limites du temps fixé par eux, aux demandes de leur leUre du 5 jan-
vier, c'est-à-dire qu'on n'avait redressé nulle part les affaires en
conformité avec la Pacification de Gand. Bien plus, en restant ainsi
groupés avec ceux qui ne gardaient ni foi ni serment, ils s'exposaient,
disaient-ils, à la colère de Dieu, à l'indignation du Roi et à la perte
de leur honneur.
Ils ne refusaient cependant pas de travailler ensemble à une
paix et réconciliation générale, à condition que ce fût sur la hase du
respect de la Pacification de Gand, de l'Union de Bruxelles et de
l'Edit perpétuel. Ils ne cachaient pas qu'on leur avait offert de se
réconcilier avec le Roi à des conditions raisonnables et que le souve-
rain s 'était engagé à ratifier tout ce que les commissaires du prince
de Parme concluraient avec eux. Ils avaient prié Farnèse de vouloir
entamer des négociations pour la paix générale et ils espéraient que
les Etats Généraux ne négligeraient pas cette 'occasion unique, sillon
ils seraient obligés de passer outre. Ils finissaient par demander de
leur répondre, avant le 20 mars, au sujet de leur lettre du 5 janvier
et de leur communiquer le texte des propositions de paix qui avaient
été remises à SchwarzembcrgvLasilenoe des 'États Généraux serait
considéré comme un refus de donner satisfaction aux Wallons.
Le prince de Parme entra en communication avec 'les Etats
Généraux, comme l'assemblée d'Arras le lui avait demandé. Il
réunit cependant son conseil de guerre, avant de faire ce pas impor-
tant: Pierre-Ernest de Mansfelt, d'Assonville, Ottavio Gonzaga,
Robles de Billy, Gabrio de Serbelloni, J·ean Fonck et Jean-Baptiste
de Tassis y furent invités à donner leur avis. Celui-ci ne fut pas una-
nime. Certains craignaient que, en écrivant aux Etats Généraux, on
n'indisposât l'Empereur, qui était chargé d'amorcer les négociations
de p.aix générale. A ceux-là, il semblait aussi que, en faisant si faci-
lement droit aux demandes des Wallons~ on faisait vis-à-vis d'eux

(i39) En date du 23 février. Le texte en est publié par GACHARD, Actes des Etats
Généraux, t. II, p. 462, et par J. B. BLAES d'ans son éditiion des 1Ifémoires anonymes sur
les troubles des Pays-Bas, t. III, pp. 3-24-'326,en note.

139
montre de faiblesse. D'autres furent, au contraire, d'avis qu'il fallait
passer outre à ces objections et qu'on ne devait pas donner aux
Wallons un prétexte de changer une fois de plus d'attitude, mainte-
nant que les négociations étaient en bonne voie. Alexandre Farnèse
appuya cette manière de voir, et il fut décidé d'écrire aux 'États
Généraux (140).
C 'est du camp de Petersheim, près de Maestricht, que fut
envoyée la lettre, le 12 mars. Après avoir signalé ses négociations
avec les provinces wallonnes, le prince de Parme faisait connaître
que, puisque celles-ci inclinaient à y comprendre « l'assemblée
d'Anvers», il avertissait les membres de celle-ci de cette intention pour
qu'ils lui fissent éventuellement connaître leur décision. Il y serait
répondu de sa part «avec sincérité et Tondeur» : il avait offert à
l'assemblée d'Arras la ratification de la Pacification de Gand, de
l'Union de Bruxelles et de l'Edit perpétuel, à condition que l'exercice
de la seule religion catholique et l'obédience due au Roi fussent main-
tenus et observés comme du temps de Charles-Quint (141).
Cette communication était rédigée en un style sec et impersonnel,
et il était visible que Farnèse nes 'y était décidé que pour libérer sa
conscience. TI ne pouvait 'garder aucune illusion au sujet de la
réponse qui y serait faite.
Combien le ton de la lettre aux États siégeant à Anvers ne
contraste-t-il pas avec celui de la missive que le gouverneur général
avait adressée la veille à l'assemblée d'Anas! A celle-ci, il disait sa
joie de la «bonne et sainte résolution» qu'on y avait prise et il affirmait
que personne plus que lui ne désirait la paix, en rappelant l'affection
que s.a mère portait au pays et en disant quel bon souvenir il avait
conservé du séjour qu'il avait fait dans les régions wallonnes au
temps de sa jeunesse. Il leur accordait ensuitesolennellement, au nom
du Roi et en son nom personnel, la ratification de la Pacification de
Gand, de l'Union et de l'Edit perpétuel.
Il leur annonçait quil avait écrit aux 'États Généraux et qu'il
ferait connaître immédiatement leur réponse (142).

(140) STRADA,O. C., t. III, pp. 65-67.


(141) Lettre « aux députés des provinces assemblées en Anvers » {A. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, rëgistre i!f2, fo53·vO). Le texte en a été publié par J. B. BLAES
dans Mémoires anonymes, t. IV, p.p. 357-358.
, (142) Pamèse aux Etats d'Artois et aux députés des autres provinces assemblés, à
M'ras, Camp de Petersheirn, 11 mars 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
registre 192, r- 49'VO).

140
Il adressa en même temps des lettres au comte de Lalaing, à
Montigny, au sire de la Thieuloye et à son cousin, le sire de Dauchy,
à dautree encore. Aux uns, il exprimait sa. satisfaction de l'attitude
qu'ils avaient prise, en leur promettant qu'on n'oublierait pas ces
.services et qu'ils en seraient récompensés. Le vicomte de. Gand, en
p.articulier, était averti de ce qu 'il pouvait s'attendre à l'érection en
marquisat :de sa terre de .Bichebourg et à la confirmation de ses
gouvernements d'Artois et de Hesdin. A Capres, le prince suggérait
qu'on pourrait l' « honorer de quelque titre ». Aux autres - Lalaing'
et Montigny -'il exprimait l'espoir de les voir aller jusqu'au bout
du chemin qui s'étendait devant. eux (14~).
Enfin, à La Motte, Farnèse signalait. la bonne tournure des
négociations : « Comme toutes les difficultés se réduisent au point.
de la ratification de la Pacification de Gand, écrivait-il, me souvenant
de ce que vous m'avez dit si souvent par lettres àce sujet, j'ai
accordé le tout. » (144)
Au moment où il envoya aux États Généraux l'invitation à se
réconcilier aux conditions accordées aux provinces wallonnes,. le
prince de Parme, sous l'influence des craintes qui s'étaient fait jour
au conseil deguerre, décida d'envoyer un agent à l'Empereur, pour
justifier la démarche qu'il allait faire à Anvers (145).
Une autre raison encore inspirait l'envoi de cet émissaire. Par
lettres du duc de Terranova .et de Don Juan de Borgia, Farnèse
venait d'apprendre que l'Empereur avait décidé de réclamer la sus-
pension des hostilités, préliminaire aux négociations pour la paix
!générale. C'était là un coup probablement inspiré par le prince
d'Orange et auquel il fallait parer tout de suite (146).
C'est :M. de Gomicourt que le prince de Parme choisit comme
délégué auprès de l'Empereur (147). Il reçut comme instruction
d '.essayer de rencontrer en route, près de Cologne: le duc de 'l'erra-
nova, qui se rendait au congrès de la paix par Nuremberg, Augs-

(143) Ces lettres,


toutes datées du 12 mars 1579, se trouvent dans A. G. R., ParJle1'S
(l'Etat registre 192, f'· 51, 52,
et d'Audience, 53.
(144) Camp de Petershelm, 12 rnars1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
registre 192, f' 53). VOJ'lez la lettre qu'il écrit
le même jour à Capres, dans L. VAN' DEll.
ESSEN, Correspondance d.'Alexandre Farnèse avec le comte cle Hénin, loc. ctt., p. 394.
(145) Farnèse au Roi, Petersheim, 19 mars Hi79 {A, G. R., Copies de Simancas,
vol. 12, r- 125).
(146) Ibidem.
(147) Instruccion a Mos: de Gomicourt de 10 que ha de Iuicer por serviciode'l Rey
mi Senor [Petersheim, 13 mars 1579]. (A. G. R., Copies de Simancas, voL 12, [OS 10'7'-122,
copie, déchiffré).

:141
bourg et Mayence. Il devait lui communiquer le contenu des direc-
tives que Farnèse.
avait données. Il devait a'O'irensuite
0
de même
auprès de Don Juan de Borgia, à la Cour impériale. A l'Empereur
lui-même, Gomicourt exposerait que le prince-de Parme ne faisait
qu'user des pouvoirs que le Roi avait donnés naguère à Don Juan
d'Autriche. Ces pouvoirs autorisaient le gouverneur à admettre à la
réconciliation toutes les provinces, les villes ou communes, les parti-
culiers qui se présenteraient pour le faire, et, même, lui prescrivaient
de les y attirer par tous les moyens. L'envoyé du prince idevait
ensuite exposer brièvement l 'histoire des négociations avec les
Wallons jusqu 'au moment où ceux-ci avaient demandé au gouverneur
général d'écrire aux Etats Généraux d'Anvers. Il expliquerait com-
ment son maître avait hésité longtemps à le faire, pour ne pas être
accusé de se. mêler des affaires de la paix générale; il montrerait
que le prince s'était exécuté en entendant ses commissaires à Arras
lui affirmer que les Wallons tenaient beaucoup à cette démarche et
qu'ils pourraient changer d'avis, s'il ne leur donnadt pas satisfaction
sur ce point.
Gomicourt fournirait ces éclaircissements afin que l 'Empereur
ne fût pas irrité et que, au contraire, il approuvât la politique de
Farnèse. Certes, dirait Gomicourt, le prince n'attend pas beaucoup de
cette démarche à Anvers, puisque Orange y réside et trouvera bien le
moyen de faire tout échouer. Mais il se pourrait cependant que l'une
ou l'autre province, dont les députés siègent à l'assemblée d'Anvers,
désirât suivre l'exemple des Wallons.
L'agent du prince de Parme devait ensuite montrer à l'Empe-
reur combien l'armistice, dont celui-ci demandait la conclusion, serait
contraire aux intérêts du Roi !d'Espagne, LE: pays était tellement
ruiné que les soldats, pendant cet armistice, ne trouveraient de quoi
se nourrir et se livreraient aux pires excès. C'était précisément pour
parer à une telle situation que Farnèse avait décidé de s'emparer de
Maastricht, La prise de cette ville fournirait au Roi une région où il
pourrait nourrir son armée, et les vassaux du souverain, constatant
que sa clémence grandissait en raison direct de l'accroissement de
.ses forces , 'Ile se laisseraient plus tromper par ceux qui prétendaient
que ses offres de paix n'étaient pas sérieuses. Gomicourt ferait
d'ailleurs comprendre à l'Empereur que le prince de Parme avait
l'ordre de continuer la guerre jusqu'à ce· que, de Cologne, on lui
intimât l'ordre de conclure un armistice, mais, bien entendu, à la
demande unanime des députés des 'Etats Généraux, de ceux du Roi et

142
des commissaires de l'Empereur qui y seraient réunis au 'Congrès.
Gomicourt défendrait aussi Farnèse contre les accusations de
l'ambassadeur impérial Sehwarzemberg. Il montrerait comm.entc-e
dernier avait poursuivi, au cours de sa mission, des fins particu-
lières et comment il avait été le jouet du prince d'Orange, jusqu'à
mettre en danger les négociations en cours avec les Wallons (148).

La lettre qu'Alexandre Farnèse adressa aux États Généraux


portait la date - nous l'avons dit - du 12 mars. Elle avait donc
été écrite une dizaine de jours après l'attaque de Borgerhout ,et on
pouvait s'attendre à ce que la démarche provoquât la colère de ceux
que l,e prince de Parme était venu défier si audacieusement jusque
sous les murs de la ville d'Anvers. C'est, en effet, ce qui arriva. Le
trompette de l'armée espagnole qui apporta la lettre de Farnèse fut
détenu, injurié et menacé de mort, malgré sa qualité de parlemen-
taire. On finit cependant par le relâcher ,et par lui remettre la
réponse des États Généraux (149).
Les 'États siégeant à Anvers commencent par dire, dans ce
document, qu'ils n'ont jamais laissé de s'occuper de la conclusion
d'une bonne paix, comme il était apparu lors des négociations de
Louvain au mois d'août 1578. C'est le Roi qui y a mis un terme en
liant les mains à Don Juan et en confiant de nouvelles tractations à
I'Emperenr. ISchwarzember.ga ensuite essayé, avec le consentement
des Etats et à leur demande, d'amorcer des négociations avec Farnèse.
Celui-ci, au lieu de traiter avec lui, a marché par « des voies obliques»
en essayant de conclure un traité séparé avec les" allons. Aussi, les
Etats Généraux se demandent comment il pourra répondre, devant
,l'Empereur, de « ces longueurs et de cette défiance ».
Les offres de Farnèse au nom du Roi - surtout la réserve into-
lérable au sujet de la «seule religion catholique romaine» - détruisent
le sens de la Pacification de Gand. Il en serait «comme du temps de
feu l'Empereur Charles »,
Oublie-t-on que tous les Etats des Pays-
Ba3, devant les bûchers et les placards destinés à protéger la religion
(148) Sur la mission de Gomicourt, voir les renselgnements de STRADA,o. c. t. Ill,
pp. 136-140.
(149) Farnèse au Roi, Camp devant Maestricht, 17 avril 1579 (GACHARD,o. C., loc.
clt., p. 445); Farnèse aux députés assemblés à Arras, 29 mars 1579 (A. G. R., Papier«
d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 62ro). Voir le commentaire que fait Davison, dans
une lettre adressée aux secrétaires d'Elisabeth, au sujet de l'offre du prince de Parme
(Foreign ûaienaa», Elisabeth, 1578-1579, n° 621).

143
catholique, ont été d'accord pour suspendre ces mesures et surseoir
à leur exécution? L'offre que fait Farnèse manque donc certaine-
ment de « rondeur et discrétion ». Malgré tout cela, les JDtats Géné-
raux se déclarent encore toujours prêts à traiter de la paix, pa:r
l'intermédiaire de l'ambassadeur impérial dans les termes, que l'état
des affaires et les traités par lesquels ils sont liés, permettront.
'C'est donc le prince de Parme qui tient la décision entre ses
mains. D'avance, les 'États affirment que les inconvénients qui pour-
raient encore naître seront imputés à ceux qui, en continuant la
guerre contre le peuple des Pays-Bas, ne font qu'augmenter la défi-
ance, le mécontentement et l'altération parmi les sujets du Roi (151).
Cette réponse était telle que Farnèse la prévoyait et, sans aucun
doute, la désirait. Elle rejetait les avances faites par les provinces
wallonnes, elle déliait celles-ci du scrupule qui les ,avait retenues
,jusque-l'à,e:lle les rendaât ~ibres die se détach~r 'désormais, sans
attendre encore, de « la généralité ».
D'ailleurs, l'assemblée d'Arras avait reçu, de son côté, une
réponse des États Généraux à la mise en demeure qu'elle leur avait
adressée 1e23 février. Les États siégeant à Anvers rappelaient les
termes de la Pacification de Gand pour prouver aux Wallons qu'ils
ne devaient pas, sous prétexte de la maintenir, la rompre, en prêtant
l'oreille aux ouvertures des Espagnols et de leur adhérents. Ils
essayaient surtout d'établir que si, contrairement à la Pacification,
la religion réformée s'était introduite dans plusieurs provinces, la
faute en était à la conduite de Don Juan et des Espagnols. Ils
faisaient valoir qu'on ne pouvait tenter de l'en bannir, sans provo-
quer la guerre civile et le massacre d'un grand nombre de citoyens.
D'ailleurs, disaient-ils, dans les provinces où les Ét~ts n'ont pas
voulu de la Religionsfried, on n'a forcé et on ne forcera personne à
la recevoir. La différence de religion devait-elle être un motif pour
déchirer l'union si solennellement promise 1 Les États Généraux
finissaient par conjurer l'assemblée d 'Arras de ne pas se laisser
abuser par les offres perfides de l'ennemi. Ils assuraient les Wallons
,qu'ils étaient contents d'accepter les articles de paix conçus par
l'assemblée d'Arras « moyennant que tous y soient compris, sans
faire différence de religion» (151).

(150) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre '192, fo 54. Le texte en est,
publié par J. D. Blaes dans Mémoires anonymes, t. IV, pp. 358-361.
(f51) GACHARD, Actes des Etats Généraux, t. Il, p. li65.

144
TI ne pouvait faire de doute pour personne que c 'êtait le prince
d'Orange lui-même qui parlait ici par l'intermédiaire des États
Généraux.
Cette réponse dut apparaître clairement à l'assemblée d'Arras
comme une fin de non-recevoir. Le fossé entre elle et l'assemblée
d'Anvers s'élargissait de plus en plus. Le malheur voulut qu'en même
.temps deux séries' d'événements étaient venues accuser encore plus
Iortement cette opposition (152), ,
Bous' l'empire de la colère que les tractations de l 'assemblée
d'Arras avec Farnèse avaient fait naître, les magistrats d'Anvers,
de Gand et d'Ypres, poussés d'ailleurs dans cette voie par le peuple,
avaient mis sous séquestre les biens des marchands originaires des
provinces wallonnes (153). Cette nouvelle provoqua à Arras une
émotion bien compréhensible. Les députés des États Généraux auprès
de 'l'assemblée des ÉtGtts en cette ville, le marquis de Havré, l'abbé
de Saint-Bernard et Meetkerke furent tout de suite traités comme
otages et il leur fut interdit de retourner à Anvers (154).
D'autre part, sous l'empire des mêmes causes, les Gantois
avaient recommencé leurs persécutions contre les catholiques. Quatre
églises, où ceux-ci pouvaient célébrer leur culte, furent attaquées par
des bandes armées aidées par la populace, pillées et en partie
détruites. Des personnes furent blessées. Des couvents aussi subirent
la rage des sectaires (155).
L'ensemble de ces événements exerça une influence considérable
sur l'esprit de l'assemblée, d'Arras (156), et diminua à Lille et dans
le Hainaut le nombre de ceux qui l'estaient opposés à la conclusion
d'un accord particulier .avec Farnèse.

(152) Sur l'importance, à ce point de vue, des excès des sectaires gantois, voir W.
NOLET,PrinslVillem en de nationale gedachte, dans Wilhelmus van Nassouwe, pp. 205-
206, et P. GEYL, Streven en verwezenlijking, ibidem, pp. 274-275.
i(153) « Lors, audlct temps de février 1579, comme ceulx d'Arthois et leurs alliez
dérnontrolent se vouloir désunir de ceulx dudict Flandres et leurs consors... ceulx de
Gandt, d'Anvers et d'aultres lieux, leurs alliez, arrestent et détiennent la marchandise
chargée, non seullement de ceulx d'Arthois et leurs dictz alliez, .... tant qu'iceulx
d'Arthois et leurs adhérens auroient démonstré amplement Iadicte union et conjunction
en ce temps requise ... » Mémoires anonymes, t. III, pp. 325-327. Cfr GACHARD,Actes des
Etats Généraux, t. II, p. 151, nO' 1692 et 1693; p. 152, n- 1694; pp.153!-154, n- 1700;
p. 155, n- 1706; p. 157, n- .1714.
{154) BUSSE~IA.KER, o. C., t. II, p. 155.
(155) BUSSEMAKEll, o. c., t. II, p. 199.
{156) Lettre des commissaires à Farnèse, Arras, 20 mars 1579: « qui anime tant
plus les provinces walonnes en prendre vengeance et leur donner plus de cœur a
soy réconcilier particulièrement» (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo 55).

145
La nouvelle réunion des États d'Artois ne devant se tenir que le
26 mars, les députés du Hainaut, ainsi que ceux de Lille, Douai et
Orchies étaient retournés vers leurs mandants pour reprendre le
contact et rendre compte de ce qui s'était passé depuis la dernière
assemblée.
Le 19 mars, les États de Hainaut se rassemblèrent. Jean Sarra-
zin et des députés d'Artois y étaient venus pour prôner la conclusion
d'un accord séparé avec le Roi. Le prieur de Saint-Vaast prononça
un très habile discours, rappelant le séquestre pratiqué par les gens
d'Anvers à l'endroit des biens de commerce des Wallons et n'oubliant
pas de stigmatiser les derniers excès des Gantois (157). Le comte de
Lalaing et une partie de la noblesse hennuyère, ainsi que la ville
d'Ath essayèrent encore de contrecarrer l'action de Jean Sarrazin,
mais ils constatèrent tout de suite que les derniers événements
avaient considérablement changé la mentalité de I'assemblêe (1.'58).
Les « 62 hommes » de Mons étaient venus déclarer celle-ei que si
à

les prélats et les nobles ne se décidaient pas à faire la paix avec Far-
nèse, eux passeraient outre et s'engageraient par éerit, Contre Pierre
de Melun, prince d'Epinoy, qui refusait de se joindre, avec Tournai et
le Tournaisis qu'il gouvernait, aux députés d'Artois et de la Flandre
wallonne pour admettre la réconciliation, des manifestations popu-
laires s'organisèrent (159). La famille de Lalaing fut aussi l'objet
de menaces (160).
Le 23 mars, survint la décision finale: malgré Lalaing, les
États de Hainaut décidèrent que leurs députés à l'assemblée d'Arras
pouvaient y retourner avec pleins pouvoirs pour négocier la paix.
Les articles de l'instruction remise à ces délégués furent immédiate-
ment communiqués à Farnèse par les trois commissaires de celui-ci.
Lalaing', voyant que son obstruction était vaine, avait signé le
premier, de son propre mouvement, la résolution prise par les
États (161).

.(157)BuSSEMAKER,O. C., t. II, pp. 205-206.


(158) Ibidem.
~159) Extrait d'une lettre du baron de Selles à Assonville, Aeras, 2·3 mars 1579 (,\.
F. N., Carte (arnesiane, Fiandra, rascio 1(29).
(i60) Selles et Valhuon à Farnèse, Cateau-Cambrésis, 20 mars 1579 (A. G. R., Papie7's
d'Etat et d'Audience, registre 192, fo 55); Les trois commlssaires à Farnèse, Arras,
23 mars 1579 (Ibidem, fo 55vo) •
.(16'1) Les commissaires à Farnèse, Arras, 28 mars 1579 {A. G. R., Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 192, fo o9VO).

146
L'instruction des députés du Hainaut contenait les points sui-
vants (162). ils étaient autorisés à SB rendre à Arras à l'assemblée
des provinces wallonnes pour y entrer en conférence avec les députés
du prince de Parme, au sujet dun traité de paix Bt de réconciliation
générale avec Sa Majesté. Ils avaient à déclarer que, désirant la
tranquillité de l'ensemble des Pays-Bas, et sans préjudice ou exclu-
sion pour aucune des provinces, ils étaient décidés à passer outre
aux tergiversations et àconclure le traité, pour ne pas laisser échap-
per les offres si avantageuses que faisait le Roi. Ils soumettraient.
au comte de Lalaing et à leurs mandants à Mons les doutes et les
difficultés qui pourraient surgir au cours des discussions. Ils traite-
raient avec Montigny et ses troupes, afin de le retenir au service des
provinces wallonnes «et conséquemment à Sa Majesté »J s 'accommo-
dant de tout ce qui serait résolu au sujet de la solde qu 'on devrait lui
payer (163).
Le 30 mars, les États de Lille, qui jusque-là sétaient montrés
rebelles à toute idée d'accord séparé, décidèrent de se rallier eux
aussi (164) et ils en informèrent les États Généraux par lettre
du 31 (165).
Cette fois, c'était la victoire du Prince de Parme sur Orange et
les États Généraux: la lutte pour le maintien de « la généralité »
touchait à sa fin.
LB 29 mars, Farnèse avait adressé une lettre à l'assemblée
d'Arras, pour lui faire connaître la réponse des États siégeant à
Anvers. « Vous y verrez, disait-il, le peu d'envie qu'ils ont. de main-
tenir la religion catholique et l'obéissance à Sa Majesté. Ils nous
accusent d'avoir toujours reculé devant les négociations pour la paci-
fication générale et d'avoir traité avec YOUS pour vous séparer des
autres provinces. Ce qu'ils ne disent pas, c'est qu'eux-mêmes ont
conclu une ligue nouvelle à Utrecht, que le texte en est déjà imprimé,
et qu'ils y accordent la Reli-.gionsfr'ied non seulement pour deux
sectes, mais pour toutes. Cestbien le contraire de vouloir s 'accom-
moder avec le Roi.
(162) AI'ticles l'tisOlUS par les 1;sta.tz de tkumau mentionnez en la lettre précédente
pow' servir à leurs députez d'instruction, Mons, 23 mars 1579 (A. G. R., Papiel's d'Etat
et d'Audience, registre 192, f' (0). Le texte en est publié par BUSSEMAKER,o. C., t. II,
pp.i3G-440.
(163) Voir la lettre des Etats de Hainaut écrite aux Etats Généraux, dans GACHARD,
Acles des Etats Généraux, t. II, p. 167, n- 1751 et la réponse des Etats Généraux, ibidem,
o. 170. n- 1759,
(164) GACHARD,o. C., t. II, p. 479.
(165) GACHARD,0, c., t, II, p. 481.

147
Concluez donc la paix sans plus attendre, puisqu'on vous
accorde tout ce que vous avez demandé. Devant Dieu et devant- les
hommes, vous êtes libérés de I'union avec eux! » (166).
Comme le dit M. Hirschauer : la cause de' la « généralité » était
désormais perdue (167).

Au moment où les' députés de Farnèse commencèrent les négo-


ciations pour la conclusion du traité de réconciliation, Montigny était
arrivé à Arras. Depuis les événements de Gand ei les dernières'
tractations qu'il avait eues avec 1eseigneur de 'Bours, commis
par les 'États Généraux pour I'exéeution stricte 'et intégrale de
l'accord de Comines, il s'était rendu compte qu'il ne devait plus rien
attendre de 00 côté (168). 11 se rapprocha donc de Farnèse, pour
savoir ce qu'on pouvait lui offrir. Aux commissaires de celui-ci,il
lavait déjà déclaré qua.s 'il avait été auparavant ennemi des Espa-
gnols, dorénavant il le serait encore plus du prince d'Orange et de ses
partisans. Vu ces bonnes dispositions, Capres, le vicomte de Gand
et les commissaires de Farnèse l'emmenèrent le 5 avril à Mont-Saint-
Eloi, pour y rencontrer La Motte (169). Celui-ci avait tout intérêt en
ce moment à se rapprocher de Montigny, car il avait appris que les
États Généraux avaient pris à leur service François de la Noue et
l'avaient chargé d'attaquer « le traître » (170). De leur côté, les pro-
vinces wallonnes désiraient pouvoir compter sur les troupes de Mon-
tigny, pour obtenir d'autant plus facilement le retrait des troupes
étrangères et les remplacer I?a.r cet embryon d'armée nationale.
Le 6 avril, un accord fut signé (171). En présence de Mathieu
Moulart, du baron de Selles, de M. de Valhuon, du vicomte de Gand,
et du seigneur de Capres, La Motte conclut avec Montigny une con-
vention, par laquelle ce dernier s'engageait, tant en son nom qu'au

(166) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, r- 62vo,.


(167) Les commissaires à Farnèse, Arras, 4 avril 1579 (A. G. R." Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 192, fo 63). Alexandre Farnèse le comprit bien ainsi. Dans une
lettre adressée au Roi le i7 avril, il écrit: « Et ainsy suis maintenant attendant, de
moment en m'ornent, la finale résolutron et disjonction âesâsctes provinces des aultres. »
(GACHARD,Correspondance d'Alexandre Farnèse, loc. cit., p. 446).
(168) Voir KERVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 337-338 ..
0(169) Ibidem. .
(170) KERVYN DE VOLKAERSBEKE"Correspondance de François de la Noue, p. 43,
no III; H. HAUSER, François de La Noue, p. 108.
(171) Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, baron de Montigny, M. J. B. BLAES,
pp. XXVII sv. Voir KERVYNDE LETI'ENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 339-340.

148
nom du baron de Hèze et de tous ceux qui l'avaient suivi en Flandre
- ces troupes comptaient 6.000 ou 7.000 fantassins, environ 400
cavaliers et quelques pionniers - à exécuter ce qui suit. Il rentre-
rait sous l'obéissance du Roi, il maintiendrait la religion catholique,
il servirait fidèlement Sa Majesté envers et contre tous, il obéirait au
prince de Parme et remettrait entre les mains de celui-ci Menin,
Cassel et d'autres places occupées par ses troupes. Cet engagement
ne devait cependant avoir aucun ëff'et, si le Roi ne consentait pas à
retirer du pays les Espagnols, les Italiens, les Albanais, les Bour-
guignons qui servaient dans sonarmée.
De son côté, La Motte s'engageait à payer, au nom du Roi, au
seigneur de Montigny la somme de 205.000 florins, dont 40.000
seraient versés immédiatement, 65.000 avant le 6 mai et les autres
100.000 avant le 6 juin. A ces conditions, Montigny s'engageait à
entretenir ses troupes pendant les mois d'avril et de mai, à l'aide
des contributions qu'il lèverait en Flandre, et passerait au service,
avec solde ordinaire, au début de juin (172).
Ainsi fut réglé le retour des Malcontents au service du Roi.
Certes, cette convention n'était que provisoire, puisque l 'engage-
ruent de Montigny ne tenait que pour le cas où les négociations con-
cernant le traité de réconciliation des provinces wallonnes abouti-
.raient (173). Mais il n'en restait pas moins vrai que, dans les deux
questions du retour des Wallons à l'obédience et de la reprise en
service des Malcontents, Alexandre Farnèse, 'au début d'avril 1579,
pouvait enregistrer la victoire sur le Taciturne et les États Généraux.

(172) Le texte de la convention dans Jfémoires sur Emmanuel de Lalaing, pp. 35-37,
et dans DIEGERICK, Correspondance de Valentin de Pardieu, pp. 265-267.
(173) Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, pp. XXVIII-XXIX.

149
CHAPITRE V

LE SIÈGE DE MAESTRICHT
(mars-juin 1579)

Maestricht était une ville bien fortifiée, dont J'enceinte et le"


moyens de défense iextérieurs dataient de la première moitié du
XVIe siècle. Elle comptait au moment du siège environ 30.000 habi-
tants. La prospérité y fut longtemps grande, à cause de la présence
de nombreux établissements de draperie -et de brasserie. Cependant,
dans les dix dernières années qui précédèrent le siège, la ville avait
beaucoup souffert des troubles civils et de l'occupation militaire et
s~n ancienne opulence avait commencé à décroître. Un 'beau pont de
pierre reliait la ville proprement dite, située sur la rive gauche de
la Meuse, au faubourg fortifié de Wijck, qui se trouv:ait sur la rive
droite (1).
Depuis longtemps déjà, on se doutait à Maëstricht que l'inten-
tion du prince de Parme était de s'en emparer, Déjà en novembre
1578, lorsque l'armée espagnole se trouvait aux environs de Dalhem,
le magistrat prit les mesures nécessaires en vue d'un siège. Toutes
les personnes suspectes furent expulsées de la vine. On fabriqua des
canons (2), on se pourvut de poudre et de munitions et la milice bour-
geoise fut soumise à unentraînement intensif. Les paysans des envi-
(i) M. H. J. P. THOMASSEN, Krijgsbedriiven van Alexander Farnese in Limburg,
pp. 5i-5-2; STRADA, o. c., t. III, pp. 88-89,
(2) Le 21 janvier Melchior de Schwarzemberg, 'gouverneur de Maestricht, écrit aux
Etats Généraux que la nouvelle artillerie lui sert très bren, mais que, comme elle est
trop peu nombreuse, il sera obligé de se procurer plus de cloches pour la fonte. Il prie
les Etais de lui permettre d'en enlever, après en avoir dressé l'inventaire (KERVYN DE
VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, Documents historiques inédits concernant le.ç troubles des
Pays-Bas, t. I, p. 114).

100
l'ons, qui s'étaient réfugiés en ville devant la menace de l'ennemi,
furent armés et répartis parmi les groupements militaires munici-
paux. On les fit aussi travailler à consolider les remparts (3).
Au début de janvier 1579, le gouverneur de la. ville ne pouvait
plus ignorer les desseins de Farnèse, car ce dernier lui adressa, le
10 de ce mois, une lettre datée de Visé, engageant les habitants à se
soumettre à l'autorité du Roi et leur promettant, dans ce cas, pardon
du passé et restitution de leurs privilèges « comme au temps de
Charles-Quint ». Cette lettre était accompagnée d'une missive de
Montesdoea, qui avait été gouverneur de la place au nom des Espa-
gnols (1569-1577),engageaJnt les habitants à envoyer des députés au
prince de Parme pour s'entendre avec lui au eujet de la réconcilia-
tion (4).
Au même moment, le gouverneur de Maestricht avait averti
l'archiduc Mathias de Pimminence du péril. Le prince d'Orange en
avait saisi tout de suite les États Généraux pour les prier de renfor-
cer la garnison et de préparer des secours (5). Comme tout se borna
pour le moment à des promesses, les habitants de Maestricht ne
cessèrent d'insister auprès des États, mettant en relief l'importance
de la place pour la défense du duché de Brabant (6).
Entretemps, le prince de Parme avait habilement manœuvré
pour isoler complètement celle-ci, comme nous l'avons vu dans un
des chapitres précédents. Après avoir coupé toutes les communica-
tions du côté de l'E,st, du Sud-Est et du Nord, il avait passé la
Meuse, '8 'était débarrassé des masses de cavalerie ennemie qui par-
couraient la Campine, et avait fini par refouler l'infanterie des
États jusque dans Anvers. Cette méthode d'isolement systématique
des places qu'il convoitait fut toujours appliquée par lui au cours
des nombreux sièges qui suivirent.
Lorsque, après l'attaque de Borgerhout, le prince de Parme Sie
fut éloigné dans la direction de Turnhout, La Noue se rendit compte
que l'armée espagnole avait l'intention d'assiéger Maëstricht. Il

(3) M. H. J. P. THOllL\SSEN, .0.(:., p. 52; H. DIEGERICK, ttet b.eleg van Maastricht do or


Parma in 1579, loc. clt., p. 16i. Le 9 décembre 1'578, l'ennemi s'approchant peu à peu
de la réglon de Maestrtcht, Il fut question de faire renouveler le serment de fldéllté par la
garnison, les bourgeois et le clergé (Ibidem, p. 162, note).
(4) TH OlllAS SEN, o. C., pp. 53-56; KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICiK, Documents
historiques inédits concernant les troubles des Pays-Bas, t. I, pp. 89, 92, 94.
(5) KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICiK, o. c., t. l, p. 103; G. B.ROllf, Archivalia
in /talw, t. II, p. 319.
(6) iI/émoires anonymes, t. III, p. 261.

151
s'avança rapidement dans cette direction avec des troupes fran-
çaises, mais Farnèse lui barra le chemin. Il avait ordonné à Giovan-
battista deI Monte d 'occuper avec sa cavalerie tous les passages aux
environs d'Hérenthals, par où La Nouedevait venir. Cette manœuvre
réussit complètement. Le célèbre capitaine huguenot fut forcé
d'abandonner l'entreprise (7).
Le nombre des défenseurs de Maëstricht était de 1.200 soldats,
formant la garnison, Ecossais, Français 'et Anglais. A eux se joigni-
rent 4.000 bourgeois et paysans, qui restèrent vaillamment sur la
brèche tant que dura le siège (8). Le gouverneur de la ville était
Melchior Schwarzemberg de Heerlen, appartenant à la branche nêer-
landaise des ,Schwarzemberg (9).
Ce seigneur n'étant pas fort expert dans l'art militaire, le' prince
d'Orange lui avait envoyé comme lieutenant Sébastien Tapin, un
Lorrain, excellent ingénieur et homme de guerre, qui s'était trouvé
à côté de La Noue pour défendre La Ro chell e, qui fut présent au
siège de Haarlem et qui avait de nombreux faits d'armes à son
actif (10).
Avant de partir de Turnhout avec le gros de l'armée, Farnèse
envoya en avant la plus grande partie de sa cavalerie pour recon-
naître le terrain et pour rabattrevers la ville la population rurale
des environs (11). C'était, en effet, l'habitude de Farnèse' d'appa-
raître subitement devant les places qu'il voulait assiéger, le plus
souvent au moment où un marché ou une fête y avait fait accourir
beaucoup demande. Il enfermait ainsi par ce stratagème le plus
grand nombre possible d 'hommes dans la place, et diminuait, par la
quantité de bouches à nourrir, les ressources du ravitaillement et
par conséquent la force de résistance de l'ennemi (12).

(7) STRADA, O. C., t. III, P'P. 87-88.


(8) C'est le chiffre donné par Farnèse dans sa lettre au Roi, datée du camp de
Maestrlcht, 12 avril 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo. 137). Ce chlff1"e cor-
respond très bi'enà celui donné par l'auteur toujours .hien informé des Mémoires ano-
nymes, t. III, p. 40: Celul-ol parle de 1.000 soldats - 13 enseignes - de 1.200 bourgeois
et de 2.000 paysans. P. BOR, Oorsprongk, begin en vervolg der Nederlandsche oortoaen,
2" stuk, fo 36, donne les mêmes chiffres. Le .contador Carnero donne le chiffre global
de 8.000 hommes {Historia de las guerras civiles, p. 155), mais il n'est pas témoin
direct. Strada {o. c., t. III, pp, 89-90) parle d'une garnison de 1.200 hommes et de
5.000 bourgeols.
(9) 8TRADA, o. c., t. III, p. 89; THOMASSEN, o. C., p. 62,
(10) Liber relatumum, fO 56vo; STRADA, o. C., t. III, p. 89; CArllPANA, Della guerra
di Fiandra, t. Il, fO 6.
(11) Liber relationum, fO 56vo.
(12) FEA, o. C., p. 479.

152
OeUefois, cependant, il se trompa dans ses calculs. Lorsque,
le 6 mars, la cavalerie d'Ottavio Gonzaga arriva à l'improviste aux
alentours de Maestricht, il se tenait un marché, fréquenté par les
paysans et leurs familles. Cette foule, ne put plus sortir de la ville
et fut ainsi forcée de passer par les angoisses du siège. Plus de
3.QOOpaysans, sans compter les femmes et ,les enfants; 'furent
enfermés (13). D'autre part, ceux qui n'avaient pas quitté leurs
villages, se replièrent aussi vers Maestricht à l'arrivée de l'ennemi.
D'auttesréussirent à s'enfuir avec leurs familles du côté de Liége (14).
Il en résulta ceci. Tapin avait accumnlédaus la ville des pro-
visions en très grande quantité; loin de redouter la présence des
paysans, il les accueillit avec joie. Il s'en servit pour les travaux de
défense et pour les terrassements' à faire. TI 'les employa d'abord,
principalement les femmes, pour consolider les murs et les tours ; il
fit relever les remparts, il :fitconstruire des ravelins devant les portes,
pratiquer des casemates dans les flancs des bastions; il :fit placer des
fourneaux de mines dans la contrescarpe du fossé, où il mit des ton-
nelets de poudre. TI fit ouvrir de fausses portes, que Passiêgèant ne
pouvait découvrir, pour organiser des-sorties à Pimproviste. A Pinté-
rieur de la ville, il ordonna de construire des barricades, des demi-
lunes, toutes les devises, en un mot, que suggéraient son vesppit
inventifet sa Ionguaexpêrience '(15). ' -
Si la présence des paysans dans Maestricht fut ainsi d 'un grand
secours pour la défense, dautrapart, le fait qu'ils avaient déserté
la campagne priva l'assiégeant de pionniers.
Farnèse souffrit beaucoup de cette situation. Il envoya sa cava-
lerie réquisitionner des travailleurs en pays occupé par l'ennemi, du
côté de Hérenthals, niais on ne réussit qu'à en trouver 300. Plusieurs
de ces travaiIleurs amenés de force s'enfuirent, soit qu'ils étaient mal
gardés par les sentinellea.soit qu'ils réussirent _à corrompre celles-
ci (16). Farnèse dut finir par demander des pionniers au prince-
évêque de Liége, Gérard de Groesbeeck, qui consentit à lui en envoyer
4.000 (17)."T'

'(13) LibeT relationum, fOS 56"°_57 ro; A. CARNERO, o. e.; p. 155; STMDA, o. C.,
t. III, p. 87.
(14) 5TRADA, o. C., p. 87.
(15) Liber relationum, fG 56"'; STRADA, o. C., t. III, p. 90.
(16) Liber relationum, f·· 57 vO_57,ro,.
(17) S. BALAU et E. FAIR.ON, Chroniques liégeoises, t. II, p. 592.

153
L'armée du prince de Parme suivit de près la cavalerie et arriva
devant Maestricht le 8 avril (18). Ayant appris par ses éclaireurs
que des soldats de la garnison étaient sortis pour mettre le feu aux
villages des environs, afin d'ôter à l'ennemi toute commodité de loge-
ments, il. envoya à leur poursuite le régiment de Don Lapez de
F'igueroa et une compagnie de cuirassiers. Ceux-ci arrêtèrent les
incendiaires qui leur tombèrent sous la main et les pendirent; ils
mirent en fuite les autres (19).
Aussitôt qu'il fut en vue de Maëstricht, le prince de Parme
prit ses dispositions pour isoler complètement la ville. Il divisa son
armée en deux parties. Le colonel -Cristobal de Mondragon fut envoyé
sur la rive droite de la Meuse, avec mission de bloquer le faubourg
fortifié de Wijck : il avait avec lui une partie des troupes wallonnes,
tous les Bourguignons et une pa~tie de la cavalerie. Farnèse garda
avec lui la plus grande partie de son armée, qu'il installa sur la
rive gauche de la Meuse : le reste des Wallons, les régiments alle-
mands, les régiments espagnols et la cavalerie, sous les ordres
d 'Ottavio Gonzaga (2{»).
Il établit son quartier général au château de Petersheim, situé
à une demie lieue de Maëstricht, Ce.château, qui appartenait aux
seigneurs de Mérode, était occupé par une garnison ennemie, qui
semblait décidée à se défendre jusqu'à la mort. Mais le prince de
Parme l'ayant f.ait menacer du sort de Sichem si elle attendait
l'assaut, elle se rendit assez rapidement. Le château fut livré au
pillage 'et les soldats y firent un butin considérable (21).
Pour que les deux tronçons de l'armée, installés sur les deux
rives de la Meuse, pussent éventuellement s 'entraider, le prince
de Parme fit construire deux ponts de bât baux, l'un au nord de
Maëstricht, à Haren, l'autre au sud, à Heugem. Ces ponts étaient
appuyés sur' des barques très solides, enchaînées l'une à ·1'autre,
et placées en des endroits où l'artillerie de la défense ne pouvait les
atteindre. Ils permirent le passage de chevaux, de chariots et de

(t8) G'est. la date donnée pal' Farnèse dans sa lettre au Roi, citée plus haut, par
Paolo Rinaldi, dans le Liber relationum, [0 57, ainsi que par l'auteur du Lib,'o de las
l'osas de Flandes, fO 192 "0.
(19) SntADA, o. C., t, Ill, p. 90; S. RIf,AU <et E. FAIRON, O. C., t, Il. p. 590,
(20) Liber relationum, fo 57; S'l'IlADA. o. c., t. III, pp. 90-91; A. VASQUEZ, Los
sucesos ...., loc. clt., 1.. LXXII, p. 186; A. SALCWO RUIZ, El cOl'onel Cristobal de Mon-
dragon, pp, 14:g~150.
(21) Liber re/.ationum, fo 57; STRADA, o. C., t. III, p. 91; A. VASQuEZ', o. c., 100. ett.,
llP. 185-186.

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DISPOSI'l'ION DES 'l'HOUPJ~S D~ FAHNJ~SJ~ PJ~:,<J)AN'r L8 SlÈ;GE DE ~IAES'rHICI-I'r
(Dessin d'un soldat allemancl qui assista au siège, cxtrnit cie I'ouvrage cie 'l'no:\IASSI'N,
Rl''ijgsbec/l'ij'/Jcn '/Jan Aicxtuuicr Farnesein Limburç.i
transports pondéreux sans la moindre difficulté. Pour empêcher les
ennemis, au cours d'une sortie, de les détruire ou d 'y mettre le feu,
Farnèse avait fait creuser, à la tête de ces ponts, sur la rive, de
profondes tranchées, où il installa des corps de garde. Ceux-ci
devaient à la fois repousser tout assaut qui pourrait venir du côté
de la terre et empêcher l'arrivée de secours pal' le cours de la
Meuse (22).
Le princede Pa-rme procéda donc ici de la. même maniere que
plus tard, Iorsqn 'il fit jeter le célèbre pont sur l'Escaut, au siège
d'Anvers.
Pour protéger ses troupes du côté d'où pouvait venir une
armée de secours, Farnèse fit construire quatre forts. Le premier
fut établi vers la « montagne des Huns », par où la rivière Jeker
descendait vers la ville; le second fut conatruit sur une éminence
devant la porte de Tongres; le troisième vis-à-vis du 'bastion de
Saint-Servais, et le dernier, à l'extrémité de la ville, face à l'église
des chevaliers de l'Ordre teutonique <23).
Il ne fut pas facile dentreprendre ce travail. Par suite des
circonstances que nous avons mentionnées, le prince de Parme n'avait
pas un nombre suffisant de pionniers. Il est vrai que Pierre-Ernest
de Mansfelt s 'était chargé d'en faire venir du Luxembourg, dont il
était gouverneur, mais ils n'étaient pas encore arrivés. Nous savons,
d'autre part, combien cette besogne répugnait aux soldats. Alors
Farnèse, comme il l 'avait déjà fait antérieurement dans des circons-
tances analogues et notamment à Sichem et à Philippeville, donna
lui-même l'exemple. Il saisit un hoyau et commença lui-même à remuer
la terre et à porter des fascines. Immédiatement les gentilshommes
de sa maison l'imitèrent et finalement tous, jusqu "aux personnages
nobles et aux capitaines des troupes espagnoles, prirent part au
travail. Entraînés par cet exemple, les soldats s'empressèrent
d'accourir, apportant de la terre, des mottes de gazon, enfonçant des
pieux. En deux jours, les forts furent terminés. Assez grands pour
contenir chacun plusieurs compagnies, ces ouvrages étaient de forme
carrée, munis d'un rempart et d'un fossé. Ils étaient garnis d'artil-

(22) Farnèse au Roi, Camp de Maestrfcht, 12 avril Hi79 (loc. cit.); Liber relationum,
fo 57; STRADA, o. C., pp. 91-92; A. VASQUEZ, O. C., loc. ctt., p. 187.
(23) STRADA, o. c. 1. III, p. 92.

155
lerie et gabionnês. Les ingénieur El militaires Giovanbattista Plato et
Propercio Barozzi avaient dirigé l'exécution du travail. De l'autre
côté de la Meuse, Mondragon fit construire deux forts du même
genre, qui devaient empêcher toute tentative de secours du côté de
Cologne (24).
Maestricht étant ainsi enfermé de toutes parts, le prince de
Parme examina la question très importante de l'emplacement des
batteries de siège et de l'endroit où se. ferait le premier assaut de
la place. Il avait chargé le comte de Berlaymont,général deL'artil-
lerie, d'amener de Namur, par la Meuse, une quantité considérable
de pièces de gros calibre (25).
O'est un fait à signaler que le prince de Parme fut le premier
à séparer nettement les pièces de campagne-et les canons de siège et
à se-munir d'une artillerie particulièrement nombreuse. En fait de
pièces de campagne, chaque régiment de son armée en possédait
d'ordinaire deux ou trois,alors qu'en France, à la même époque,
il n'y avait qu'un canon par 1.000 hommes. Rarement avant lui vit-on
une si grande quantité de canons de siège que celle qu'il concentra
devant Maestricht (26). Il en eut environ 50, sans compter un bon
nombre de pièces de moindre calibre (27),
En attendant l'arrivée de ce matériel, Farnèse donna l'ordre
d'ouvrir les tranchées, après avoir chargé Pierre-Ernest de Mans-
felt, maître de camp général, ainsi que Gabrio de Serbelloniret le
comte Guido San Giorgio, tous deux très experts en ces matières,
de chercher l'endroit le pluspropice pour approcher Maëstricht (28).
Les premiers travaux furent entrepris du côté de la porte, de
Bruxelles,
Lopez de Figueroa,qui occupait avec une partie de son terçio
espagnol le fort le plus proche de cette porte, fut chargé de se porter
au secours des pionniers, si les assiégés tentaient une sortie de ce
côté.

(24) uue» retaiumum, fo, 57"0_5,7VO ;STRADA, o. c., pp. 92-93.


(25) Farnèse au ROi,Maestricht, 17 avril 1579 (Loc. ctt.) : STRADA, o. C., t. III, p. 95.
{26) FEA, o. c., p.469.
(27) « Haveva il conte di Berlamont,generalc dell' arLigliera, per ordlne del Prin-
cipe fatto condurre al esercito per acqua da Namuro sin a cinquanta pezzl d'artiglieria
grossa da batteria, senza buon numero d'altra più minuta di più sorte, eon un numero
inflnito di palle et ,altre monitio da guerra. » Liber reiaiumum, fo 57vo•
(28) Liber relationum. fo 57'°. /

156
PL. VII

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·Le travail fut, en effet, plus d'une fois troublé par des attaques
s~Jaites que 'I'apin lançait pendant la nuit. Il organisa même un
assaut en plein jour. Il fit sortir 600 fantassins par la porte de
Bruxelles et 60 par celle de Bois-le-Duc, et s'étant mis à leur tête,
tomba à l'improviste sur les travailleurs et les soldats de Figueroa.
Il en tua 48 et en blessa plus de cinquante. Après avoir détruit la
tranchée sur une longueur de 150 pas, les assaillants rentrèrent en
ville, enhardis par ce succès et décidés plus que jamais à se défendre
jusqu'à la mort (29).
Entretemps, le conseil de guerre de Farnèse s'était réuni et on
avait discuté la question de savoir par où l'on attaquerait Maes-
tricht. Francisco de Montesdoea, qui avait été autrefois gouver-
neur de la ville, avait estimé qu'il fallait commencer par le bastion
qui faisait face à l'église des chevaliers de l'Ordre .teutonique, vers
la porte de Bois-le-Duc. Il expliqua que cet ouvrage était le plus
faible et que, comme il n'était pas situé loin de la Meuse, il serait
facile de faire appuyer l'attaque par les troupes de Mondragon, de
Pautrs côté du fleuve. Le prince de Parme, qui avait été reconnaître
les remparts avec Serbelloniet le comte San Giorgio, partagea cet
avis. Toutefois, il fut décidé de ne rien entreprendre avant l'arrivée
de Berlaymont qui,en sa qualité de général de l'artillerie, devait être
consulté sur Pemplaoement de pièces de siège (30).
Lorsque Berlaymont fut arrivé, le 20 mars, il critiqua le plan
que Farnèse et Serbelloni avaient établi. Il ne pouvait approuver,
disait-il, de commencer l'attaque de la place par la porte de Bois-le-
Duc. Le terrain y était le plus bas et, en cas de pluie, on aurait die
grosses difficultés à faire passer l'artillerie par ces endroits maréca-
geux. De plus, les soldats y seraient trop en vue et exposés au tir
des assiégés. Il conseilla d'attaquer du côté de la porte de Tongres.
Il y avait là un bastion et une vieille tour, et ensuite une muraille
qui faisait un coude pour rejoindre la porte de la ville. La ruine de
de l'angle saillant de ce bastion et la chute de la moindre partie de
cette tour et de ce coude, provoquerait l'éboulement d'une quantité
suffisante de pierres et de terre pour ouvrir aux soldats un chemin
pour aller à l'assaut (31).
(29) Lettre du secrétaire Andres de Prada à Don Alonso de Sotomayor, Camp de
Maestricht, 17 avril 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo 163); STRADA,o. c..
t. III, p. 94.
(30) STRADA,o. C., t. III, p. 95.
(31) Farnèse au RDi, 12 avril 1579 (loc, clt.) : Andres de Prado il Sotomayor.
17 avril 1579 (A. G. R., Coptes de Simancas, vol. 12, fos 137 et 163); STRADA, o. c.,
t. III, pp. 95-96.
157
Le prince de Parme ne fut pas convaincu, mais s'inclina devant
l'expérience de Berlaymont. TI ordonna donc de faire les approches
du côté de la porte de Tongres, par des chemins larges et profonds
comme une tranchée, qui empêchaient l'assaillant d'être vu. On
choisit la nuit suivante pour dresser en cet endroit une batterie, qui
fut protégée par des gabions remplis de terre. On fit 'ensuite sortir
les troupes des quartiers qu'elles occupaient dans les villages et on
les répartit entre les tranchées et les forts qui protégeaient celles-ci.
Le prince de Parme vint lui-même du château de Petersheim pour
assister à l'installation de la batterie. Celle-ci comportait 18 pièces,
dont 8 de gros calibre (32). Comme le bruit avait couru qu'une armée
de secours était en marche, le prince de Parme avait fait occuper
tous les chemins autour de' Maestricht par la cavalerie de Gon-
~aga (33).
Pour pouvoir plus facilement entreprendre les travaux de SIege
et protéger les batteries qu'on installait du côté de la porte de
Tongres, le prince de Parme avait fait hisser sur une éminence qui
se dressait en cet endroit deux coulevrines, qui turaient continuelle-
ment sur la ville et qui tenaient les assiégés en haleine, tout en
opérant une destruction systématique (34) ,
'L,e 25 mars, le bombardement commença contre le bastion de
la porte de 'I'ongres, la tour et la courtine en forme de coude qui
les reliait et fut continué pendant une partie du 26. On tira 6.000
coups de canon. Une partie de la muraille s'écroula, mais l'éboule-
ment n'ouvrit PaS une voie suffisante pour se lancer à l'assaut.
De plus, on constata, non sans étonnement, que derrière la brèche
qui venait d'être ouverte, se dressait à l'intérieur des remparts un
grand terre-plein, avec plate-forme très élevée, contre lequel le canon
semblait devoir être impuissant (35).
Farnèse se rendit alors compte qu'il avait eu tort d'écouter
Berlaymont : le côté de la porte de 'I'ongres était incontestablement
plus fort qu'on ne s'était imaginé. Les assiégés avaient d'ailleurs

(32) C'est le ohiffre donné par Paolo Rinaldi dans son Liber re~ationum, fo, f)7,0-58:
Il concorde avec les indications du plan du siège dressé par un soldat allemand qui y
assista et que nous reproduisons ici.
(33) STRADA, o. c., t. Ill. p. 97.
(34) Liber reuiuonum, f08 57vo-58.
(35) Lettre de Farnèse au HOi, 12 avril 1579 (loc. clt.) ; Andres de Prada à soto-
mayor, 17 avril 1579 (Loc. cit.); STRADA, Q. e., t. III, pp. 97-98. La chronique de ~.? int-
Servais affirme que, pendant cette période du siège, les Espagnols tirèrent en 5 jours
11.000 coups de canon, et en 8 jours, 13.807 '(DlJSERINGK. o. c.,loo. cit., p, 170)'.-......
158
fait des sorties, tuant le capitaine Pedro de Guzman et cinq ou six
soldats et blessant grièvement l'entretenido Sancho Beltran (36).
Le prince de Parme décida d'en revenir à S'a première idée et
de reprendre l'attaque du côté de la porte de Bois-le-Duc. Il chargea
P~re,.Ernest de Mansfelt de la préparer. Vingt canons furent placés
en cet endroit, face 'aux bâtiments de la. commanderie des chevaliers
de l'Ordre teutonique. De l'autre côté de la Meuse, six grosses
pièces d'artillerie et quatre moyennes concentreraient aussi leur feu
sur cette partie des murailles. (37). Entretemps, on nabandonneraif
pas l 'entreprise contre la porte de 'I'ongres, parce qu'il y allait de
la réputation des assiégeants et parce qu'un résultat, aussi mince
fût-il, avait déjà été obtenu de ce côté (38).
Les assiégeants travaillèrent à la miné, de façon à s'approcher
du glacis et à faire crouler l;e plus de parties de rempart qu'il était
possible. Ce fut une lutte sauvage, car les assiégés, sous la conduite
de Tapin, inventèrent toutes sortes de stratagèmes pour repousser
l'ennemi. Aux mines des Espagnols, ils opposaient des contre-mines.
On se battait féroc.ementsous terre, les défenseurs dépistant les
galeries de Farnèse et les inondant d'eau bouillante et de liquide
enflammé. Plusieurs soldats espagnols furent atrocement brûlés; les
autres s'enfuirent en poussant des hurlements de douleur, Pour
mettre un terme à l'audace de l'ennemi, Farnèse choisit alors dix
soldats armés de pistolets, et donna à chaque couple de ces soldais
un bouclier de bois,épais de cinq à six pouces, pourvu de crénaux, et
soutenu par un pied qui permettait de le dresser. Derrière ce bou-
elier, les soldats pouvaient se couvrir, et tirer, en se mettant appuyé
sur un g'enou. Les soldats, pourvus de cette couverture ingénieuse,
s'introduisirent dans lamine; en silence. Puis, ils Hemirent à pOUSSBr
des cris pour attirer les soldats de Tapin. Ceux-ci. se précipitèrent
aussitôt, mais furent abattus de derrière les boucliers. Lorsque
quelques-uns d'entre, eux essayèrent de renverser ces défenses à
coups de piques, ils furent eux-mêmes surpris et abattus par des
piquiers que Farnèse avait fait placer derrière ses tireurs (39).
Entre-temps, l'ingénieur militaire Giovanbattista Plato, s'aper-
cevant que cette première mine avait été éventée par les assiégés,
avait commencé à en creuser une autre, dont l'entrée se trouvait
(36) Andres de Prada à Sotomayor, loc. cit.
(37) Liber relationum, fo 68; Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loc. cit.).
(38) STRADA, o. C., t. III, p. 98..
(39) STRADA, o. C., t. III, pp. 99-100.

159
ass-ezloin de la place, pour qu'on ne pût la découvrir trop vite. Il en
conduisit le tracé vers le bastion de la porte de Tongres en s'aidant,
de nuit, de l'aiguille aimantée, et de jour, du niveau d'eau et de
l'équerre. Les pionniers et les mineurs parvinrent ainsi au bord du
fossé, qui les séparait du bastion. Ils creusèrent ensuite la mine sous
le fossé et débouohèrentfinalement sous le ravelin lui-même. Ils y
creusèrent une chambre, l'étançonnèrent, la bourrèrent de barils de
poudre, et y placèrent U!ITe mèche qu'il serait possible d'allumer par
un conduit s'ouvrant sur la camp.agne (W).
Dès que Farnèse fut averti que ce travail était terminé, il fit
avancer, le 3 avril, quelques compagnies d'Espagnols vers le bastion
miné et ordonna de le faire sauter. La mine éclata,enemportant
l'angle du bastion. Par l'éboulement ainsi provoqué, un groupe de
80 Espagnols, sous la conduite du capitaine 'I'rancoso, s'élança et
arriva au sommet de l'ouvrage. Ils n'y trouvèrent pas d'ennemis et
croyaient déjà pouvoir s'emparer de la porte de Tongres, lorsqu'ils
se butèrent soudainement à un retranchement, précédé dun fossé et
de pieux garnis de pointes de fer. De ce retranchement, un feu nourri
les accueillit. Le capitaine Trancoso tomba, ainsi qu'une dizaine de
ses hommes. Les as-siégeants ne purent progresser : Farnèse leur
envoya du secours et leur donna l'ordre de tenir le fossé et le bas-
tion qu'ils avaient conquis (41). Une sortie des assiégés ne parvint
'pas à les en déloger. Au cours de la lutte qui s-elivra en cet endroit,
les soldats de Tapin réussirent à faire bon nombre de prisonniers.
Après Iles avoir maltraités, le commandant de Maestricht leur fit
pendre une grosse pierre au cou et donna l'ordre de les précipiter
dans la Meuse, du pont qui reliait la ville au faubourg de Wijck.
Parmi 'eux se trouvait Alexandre Cavalca, un des gentilshommes du
prince de Parme .(42).
Vasquez prétend que Tapin se livra à ces exécutions barbares
pour exaspérer les assiégeants et pour empêcher ses hommes de
songer à la reddition, puisqu'ils devaient s'attendre, après ce qui
venait de se faire, à ne recevoir de l'ennemi aucun quartier (43).

(40) STRADA, O. c., t. III, pp. roo-ror. \


(41) Farnèse au Roi, 12 avril 1~79 rt.oc. clt.); STRADA, o. c., t. III, pp. 101-102.
(42) Liber retatumum, f' 58vo; A. VASQUEZ, O. c., 100. clt., pp. 188-189; STRADA, O. C.,
t. III, pp. 102-103.
{43) O. C., 10e. olt., pp. 188-189.

160
De l 'autre côté de la ville, à la porte de Bois-le-Duc, Mansf'elt
continuait ses préparatifs, quoique avec lenteur : les chariots et les
pionniers qu 'en attendait et qui devaient venir du Luxembourg
n'étaient pas encore arrivés. De plus, par suite des pluies, la Meuse
avait débordé et, dans ce terrain en contre-bas,av.ait inondé les fossés
de la ville. Ingénieurs et soldats s'étaient mis immédiatement à
l'ouvrage pour les mettre à sec, en creusant des canaux d'écoule-
ment, mais ce travail ne put avancer rapidement (44). Aussi, le
prince de Parme aurait-il attendu patiemment que les conditions
d'attaque fussent meilleures, s'il n'avait pas été averti par une lettre
du duc de Terranova quecelui-ci arriverait à Cologne le6 avril pour
ouvrir les négociations de paix générale. Terranova avertissait Far-
nèse de ce que la première question à l'ordre du jour était la con-
clusion d'un armistice. Le prince ne pouvait donc se laisser sur-
prendre par cet événement, qu'il redoutait depuis si longtemps, et
devait se rendre maître de Maëstricht le plus rapidement possible (4i5).
Ge fut la raison de la hâte avec laquelle Farnèse prépara
l'assaut général de la place, dans des conditions qui devaient pro-
duire des effets désastreux. On peut dire qu'ici encore, il fut victime
des circonstances polit.iques, quientrav.aient son action militaire, et
qu'il ressentit le contre-coup des manœuvres habiles du 'I'aciturne,
qui voyait dans la conclusion d'une trêve le moyen darrêter la
marche victorieuse des armées espagnoles.
Alexandre Farnèse décida donc qu'on donnerait I'assaut général
à Maestricht le 8 avril. La veille, ii appela autour de lui tous les
colonels et les maîtres de camp, 'et leur annonça qu'ils devaient se
tenir prêts à mar-cher le lendemain avec leurs soldats à l'attaque
des remparts. Tout était prêt : les tranchées avaient été menées jus-
qu 'au bord des fossés de Maestrieht, les mines étaient préparées et
prêtes à sauter, l'artillerie était partout en position. Les soldats
furent consignés dans leurs quartiers et se préparèrent au combat du
lendemain, fourbissant leurs armes, rédigeant leur testament, courant
de l'un quartier à l'autre pour voir des amis et s'entretenir un
instant avant la grande journée. Dans les tranchées, des religieux
vinrent occuper leur poste pour confesser les soldats ou pour les
préparer à bien mourir. Dans le quartier de l'hôpital, chirurgiens et

(44) Farnèse au Roi. 12 avril 1579 (Loc. oit.); STR.A.DA, O. c., t. III, p. 103.
,(45) Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loc. cit).

161
barbiers s'affairaient pour préparer de la paille et du matériel de
pansement (46).
A l'aube du 8 avril, toute la cavalerie. de Gonzaga devait se
réunir à la place d'armes; l'infanterie en ferait autant, de son côté.
C'était le signal accoutumé de I'assaut. D'ailleurs Farnèse voulait
tenir son armée prête,car peu de jours auparavant on avait capturé
un pigeon, qui portait attaché sous l'aile gauche un billet du prince
d'Orange destiné aux assiégés et par lequel il leur annonçait Parrivée
de secours pour le 15 avril (47).
Entretemps, les 'batteries placées devant la porte de Tongres et
celles installées du côté de la porte de Bois-le-Duc, ainsi que les pièces
de Mondragon qui, de l'autre côté de la Meuse, prenaient en enfilade
la défense du côté de la maison des chevaliers de l'Ordre teutonique,
s'étaient livrées à un bombardement intensif {48). De 40 à 50' pièces
tiraient sans répit sur Maëstricht (49). Deux colonnes d'assaut se
préparèrent à l'escalade. La première, du côté de la porte de Bois-le-
Duc, assez près de la Meuse, comprenait le terçio de D. Lapez de
Figueroa, appelé « le vieux ierçio de Lombardie », le régiment de
Francisco Valdès, 10 compagnies du comte Annibal Altemps, corn-
posées d ~Allemands et de Bourguignons, 5 compagnies de W allons.
On remarquait dans ce groupe les « gentilshommes aventuriers » ou
volontaires, qui avaient suivi Farnèse à son départ de Parmé.et à la
tête desquels se trouvait Fabio F'arnèse, chevalier de Malte et parent
du prince.
L'autre colonne, qui devait attaquer du côté de la porte de
Tongres, était formée du terçio espagnol de D. Hernando de Tolède,
appelé le ierçio de la Ligue, parce qu'il avait combattu en Imlà
Lépante, d'un nombre considérable de troupes wllemandes, sous le
comte de Berlaymont, Charles Fugger et George Fronsberg, ainsi
que des soldats wallons du comte de Rœulx (50).

(46) A. VASQUEZ,O. c., 100, clt., pp. 198-199.


(47) A. VASQUEZ,O. e., 100. clt., p. 199.
(48) Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loo. cit.); VASQUEZ, o. C., loc. cit., pp. 199-200;.
STR;ADA. o. C., t. III, p. 103.
'(49) « Ma:estrlcht, as VIlle heare, was yesterday battered with XXVII or XXX pieces
of great ordynance_ » W. Davison à Leicester, Anvers, 27 mars 1579 (KERVYN DE LETTEN- "-
HOVE, Relations politiques ..., t. XI, p. 323)_ A ces 27 ou 30 pièces de gros calibre s'en '\
ajoutèrent plusieurs autres pour l'attaque du 6-7 avriL BOR (o. c., 2° stuk, fo 51), parle
de 36 pièces de gros calibre.
(50) Liber relationum, fO' 59'0_59'0; STRADA, o. C., t. III, pp. 103-104.

162
Ces troupes d'assaut devaient représenter quelque 10.000
hommes (51) ~
A l'intérieur de la ville, on .se préparait à une défense acharnée.
Tapin, qui se multipliait et qui était partout, avait réparti le travail
entre les bourgeois et les paysans, qui devaient aider les soldats 'et
pourvoir au ravitaillement des défenseurs. Une troupe de ruraux
jeunes et robustes fut armée de fléaux et de piques et devait prendre
part au combat. Les vieillards et les femmes devaient porter du pain,
de la bière, des victuailles aux soldats qui défendraient les remparts.
Les femmes furent employées aussi à remplir des paniers de terre et
devaient se tenir prêtes à combler les brèches faites dans les murs.
Elles furent aussi destinées au travail des contre-mineset s 'y mirent
avec courage. Plusieurs étaient prêtes à monter sur les murailles,
pour jeter de là sur les assaillants des pierres, des madriers pointus,
de l'eau bouillante (52). Tout le monde eut un rôle à remplir, jus-
qu'aux religieuses et aux chanoines du chapitre de Saint-Servais (53).
Dans la nuit du 7 avril, pendant que les pionniers plaçaient une
mine sous la tour de la porte de Tongres, Où les assiégés avaient
construit une plate-forme, on entendit que les défenseurs étaient
occupés là poser des contre-mines. Farnèse donna l'ordre de faire
sauter sa mine tout de suite; mais l'explosion n'enleva que la pointe
de la-plate-forme. D'autre part, on avait travaillé toute la nuit du
7avril et pendant une partie delanuit du 8 à assécher les fossés de
Maestrieht où l'eau de la Meuse était entrée, pendant que le bombar-
dement continuait sans cesse (54).
A 3 heures de la nuit 1(55),le 8, il parut que le dommage causé
par le feu des canons était suffisant pour risquer l'assaut.
A la porte de Bois-le-Duc, les premiers à monter sur la brèche
furent deux gentilshommes italiens, de la maison du prince de Parme,
(51) FEA, O. c., p. 98.
{52) Liber reiatumum, fO. 58"°, 59"0 : « Instno a' vecchi inabili, et le donne et
monache s'erano messe constante etbelioosamente alla difesa. » - STRADA,O. C" t. III,
pp. 104-105; A. CARNERO, O. c., p. 155: « Adonde se vïo yr las mujeces 11 travajar a las
murallas, y algunas peleavan con mucha determinaoion, y andavan repartldas en tres
compafiias ».
{53) Le 1er mai 1580, le pap:e Grégoire XlII charge le vicaire général de l'évêque
de Llége de lever la censure eccléalastlque prononcée contre 9 chanoines et 24 chapelains
de Saint-Servais de Maestrlcht, qui avalent combattu pendant Ie siège contré les Espag-
nols. (BROllf, Archivalia in Itaûë, t. I, p. 684). Les chapelains avaient été forciés, contre
leur gré, de prêter le serment de fidélité aux Etats et de tenir la promesse <fu com-
battre l'armée royale. Ils tinrent parole et prirent une part réelle à la défense. Cfr
DIJSERINCK,O. C., 100. ctt., pp. 16q-165.
{M) Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loo. cit.). {55) Même lettre.

Hia
le comte Pietro de Noire et Marcantonio Simonetta. Tous deux péri-
rent presque à l'instant. L'assaut fut mal conduit et engendra une·
confusion extraordinaire. La brèche faite étant trop étroite et le
front sur lequel les assaillants se déplièrent étant trop large, le
régiment de Valdès bouscula celui de Lopez de Figueroa, tandis que
1.500 Bourguignons essayaient de se frayer un passage entre les deux.
Il s'ensuivit une effroyable mêlée, sans que les assaillants pussent
avancer où reculer (56).
Pendant ce temps, les défenseursenrent la besogne facile. Par
le mousquet, l'épée, la pique, même avec du feu et des pierres, ils
repoussèrent les Espagnols qui tentaient de monter sur les ruines
des murs écroulés. Les paysans, maniant le fléau, abattaient leurs
adversaires comme s'ils eussent battu le blé. Des femmes précipitaient
sur l'ennemi des cercles de feu artificiel, qui emprisonnaient quelque-
fois deux ou trois [soldats à la fois, les brûlaient é les faisaient se
contorsionner, pendant que des 'Coups de feu partis des murailles les
achevaient (57).
Au beau milieu de la mêlée, Tapin inventa subitement une
ruse de guerre, qui était le fait .d'un capitaine très expérimenté et
qui remplit d'admiration jusqu'à ses ennemis (58). Près de la porte
de Bois-le-Duc se dressait sur la courtine une tour à demi ruinée,
que Farnèse avait considérée comme ayant été abandonnée. Depuis
le début du siège, jamais un coup de feu n'avait été tiré d-elà et per-
sonne ne s 'y était montré. Cependant, en secret, 'Tapin y avait Lait
installer quelques fauconneaux et d"autres petites bouches à feu.
Comme de ce côté, le fossé n'avait pu être mis suffisamment à sec,
cette tour n'avait été approchée par personne. Elle flanquait la
défense de la porte de Bois-le-Duc. Au moment où la mêlée devant la
brèche avait atteint son point culminant, l 'artillerie de cette tour se
mit à tirer dams le flanc des assaillants et provoqua un véritable
carnage (59). Un grand nombre de gentilshommes volontair-es et de

(56) C'est ainsi que Farnèse décrit les faits' dans sa lettre au Roi, du 12 avril (Loc,
cit.). ne son côté, Andres de Prad a écrit à Sotornayor : « El asalto se dlô 10 mas desor-
denadarnente que nunca se ha vïsto 7> (Loc. cit.).
{57) STRADA, o. C., t. III, p, 108.
(58) STRADA, o. c., t. III, p. 109. A. VASQUEZ, O. c., loc. clt., pp. 201'-202, consacre
un passage enthousiaste à cette ruse de Tapin.
(59) Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loo. oit.). « Par la parte de los Theut{)nicos [pu
côté de la maison dies chevaliers teutoniques) se dejo de arremeter un pedazo della
cortina que se halbia batldo, que era la mas facil subida por no estar cegado el f'080 »
Andres de Prada à Sotomayor, 17 avril 1579 (Loc. cit.).

164
personnages de qualité y trouvèrent la mort, comme Carlo Bencio,
Antonio Mentovato, Vincente Machiavelli, le marquis Malaspina,
Pedro de Çuniga, et Fabio Farnèse lui-même. Celui-ci fut blessé à
la tête d'UllCOUPde mousquet, cependant qu'un boulet de canon lui
brisa ~ jambes. La vue de tant de mourants et de blessés refroidit
l'ardeur des assaillants : en cet endroit, la situation était manifeste-
ment grave et menaçait de tourner au désastre (60).
Un témoin oculaire décrit .ainsi le spectacle qui s'offrait à la vue:
« C'était chose àen pleur-er que de voir ceux qui avaient été blessés
par le feu de l'artillerie, des mousquets et des arquebuses. A [fun
manquait une jambe, à l'autre un bras: chez celui-ci on voyait les
entrailles jaillir du corps, chez un autre la moitié de la face avait
été arrachée, D'autres moururent entre les mains de ceux qui l-es
transportaient. D 'autres encore avaient des blessures étrangement
réparties sur tout le corps. Tous ceux qui ne pouvaient marcher
furent retirés des fossés et de d-essous la brèche, non sans grand
danger. Au milieu de lamentatio.ns et de crisstridents, on les portait
aux pavillons les plus proches, que le prince de Parme avait fait
planter un peu partout en un lieu sûr, parce qu'il n'y avait pas de
maisons en cetendroit.lJà, chirurgiens, médecins, pharmaciens s'en
occupaient, leur donnant les médicaments et tous les soins néces-
saires ... Le prince vint les visiter souvent, les réconfortait et les con-
solait, leur montrant beaucoup de compassion, leur distribuait de
l'argent, leur remontait le moral, en leur promettant des récom-
penses, des avantages, des honneurs ...
» Par ce que l'on put voir ,et par ce que l'on sut par après, il y
eut en fait de tués et de blessés plus de 1.500 hommes de toutes les
natipns, y compris beaucoup de gentilshommes, de capitaines et
d'officiers de valeur ... En somme, la fleur des combattants y trouva la
mort et la plupart des blessés, tant ceux qui furent conduits aux
hôpitaux que ceux qu'on soigna dans leur quartier, ne survécurent
pas. » (61)
L'attaque du côté de la porte de Tongres ne réussit pas mieux.
Elle fut aussi désordonnée que celle de la porte de Bois-le-Duc. A
droite, les Allemands et les Wallons montèrent à L'assaut du bastion,
dont la plate-forme avait été emportée par l'explosion de la mine,
et dont on s'imaginait que la prise serait par conséquent facile. Ils

(60) STRADA, O. c., t. III, pp. 109-110.


{61) Paolo Rinaldi, dans son Liber reuuumum, f' 60. • •

165
coururent 'en avant, sans attendre le régiment espagnol de Tolède,
avec 'lequel ils devaient opérer en liaison. Leur confiance et' leur
insouciance furent bientôt cruellement démenties, car les assiégés
avaient réparé tant bien que malle dommage causé et garnice poste
de mousquetaires, appuyés par quelques pièces de canon. Celles-ci
étaient chargées de clous, de chaînes, de projectiles de tout' genre.
Une décharge bien nourrie 'abattit une partie' des rassaillants ': les
autres, surpris par cette résistance à laquelle ils ne s'attendaient
pas, reculèrent et refluèrent en désordre (62).
, En ce moment .arriva à toute bride un cavalier, envoyé du côté <le
la porte de Bois-le-Duc par Pierre-Ernest de Mansfelt, qui cria' à
pleins poumons: Victoire! Victoire! 8a;ntiago! Le terçio de Lom-
bardie est entré dans la place! C'était de la part du vieux comte une
ruse de guerre, destinée à encourager les combattants : deux autres
cavaliers vinrent, à court intervalle, crier la même nouvelle. D'autre
part, sur l'ordre du même Mansfelt, un cavalier lancé à toute bride
avait déjà été annoncer aux assaillants de la porte de Bois-le-Due que
les Wallons du comte de. Rœulx avaient planté leur drapeau sur la
porte de Tongres (63). Au moment même, cestratagème putexciter
un instant l'émulation des uns et des autres, mais la cruelle réalité
ne tarda pas à être connue (64). Cependant, une compagnie de soldats
espagnols qui, dans le désordre du combat, se trouvait marcher avec
les Allemands, se lança 'en avant vers Je bastion, 'Sons la conduite
du capitaine Pedro Lopez Urquiza, et l'escalada. Mais ils finirent
par être rejetés en bas, pendant que' le chef tombait, tué' de deux
coups d'arquebuse (65). La perte la plus sensible qu'on souffrit du
côté de la porte de Tongres fut celle du jeune comte Guido di San
Giorgio, que Farnèse aimait beaucoup. TI était venu récemment d'Ita-
lie, apportant au service du prince deParme sa témérité folle et une
connaissance approfondie. de la science de l'ingénieur' (66).
Bientôt, des rumeurs sinistres parvinrent aux oreilles de .F'ar-
nèse. Lopez de Figueroa lui faisait savoir de la porte de Bois-le-Duc
que les pertes étaient terribles et qu'on n'avançait pas. De son côté,
Hernando de Toledo annonçait de la porte de 'I'ongres que son

(62) Farnèse au Boi, i2 avril 1579 (Loc. cit.) ; STlIADA, o. e., t. III, pp: HO-HL,
(63) Liberrelationum, fo 59'vo; STRADA, o. c., loc. oit.; A. VASQUEZ, O. c., loc. clt.,
p. 201.
(64) « Ma non giovando nulla queste astutte ... l) (Liber retauonum, fo 5900).
(65) Farnèse au Roi, i2 avril i579 (Loc. cit.); 8TRADA, o. c., t. III, p. H2-.
(66) STRADA, o. C., loc, cit.

166
ierçio - le terçio de Lépante -était ignominieusement repoussé. Le
prince apprit aussi la mort d'.aussi vaillants capitaines que D. Diego
Hurtado de Mendoza, Pedro Pacheco, Alfonso Castillo ; il écouta
avec douleur L'annonce de la mort du comte de San Giorgio, et
voici qu'il vit t'amener vers l'hôpital, mourant et couvert de sang,
son parent Fabio Farnèse, qu'il tenait en très haute estime (67).
Alors, la douleur, la colère, la honte bouillonnèrent en. lui. Il
sembla redevenir le jeune homme audacieux et irréfléchi de Lépante.
Il-défendit de sonner la retraite et annonça qu'il allait se mettre à la
tête de ses soldats} pour entrer le premier dans Maestricht ou y l'ester
tué (68). •
Déjà, il avait jeté àsonéeuyer l'ordre de le suivre, armé d'une
pique, lorsque Robles de Billy! J. B. de Tassis, des officiers espagnols
s'interposèrent, en lui faisant remarquer la folie qu'il allait com-
mettre. Finalement le vieux Gabrio de Serbelloni parvint à le calmer
et obtint qu'on fît S011nerla retraite (69).
L'échec de l'assaut de Maëstricht était complet {70). Ni la porte
de Bois-le-Duc ni celle de Tongres n'avaient été prises et nulle part
les EspagUiolsn'avaient réussi à s'installer dans les ouvrages avancés
de la place. Les pertes subies étaientconsidérables, Dans une lettre
écrite le 14 avril, le prince de Parme en donna lui-même une première
estimation. On comptait 150 officiers espagnols tués et environ 200
de blessés. Pour les régiments des autres nations, en se bornant aux
capitaines, enseignes, sergents et volontaires de qualité, on citait le

1(67) Liber reiatumum, fG 59VO ; STRADA, O. c., t. III, p. 114; A. VASQUEZ, O. c., loc.
cit.pp. 203-204.
(68) « Veduto questo, il Tolledo e il FicJ1el'oa mandarono a dire al Prlnclpe che 10
sforzo che havevon faJtti i nostrl pel' entrare era stato vano e che non ci vedevano plù
speranza nlssuna, e.-cht nostri pel' il combattereeron molto affaticati et Iassl, e pel' i
mortiet feriti che restavano pel' il f'Gssoet in su la batteria eron molto avilitiet in
contlnuo pericolo, che pareva a lor bene a ritirarsl, che inteso e visto Parmaquesto ne
crepava di doglia, si pel' il danno ricevuto come pel' la veegogna, of~er,endosi, se vole-
vono aspettarlo quivi, di voler rtprovar la pugna con .la medeslma sua persona, e s'aviava
in la perfarlo, ma ne fu ritenuto e soonslgllato da princlpaIi del oonslgllo, e.non bastava,
elle essendoglt a torno tutti i principali, e Imparticclare gli Spagnoli non 10 volsero
tollerare, dlcendo ohe questo nonera officia sun, se non da oommandaee, ohe di questa
sua deüberazlone ne potria riusclre atrocissimo danno al Re e vergogna al IuL.. » Liber
relationum, fG 60. Cfr STRADA, o. c., t. III, pp. H4-H5.
Serbelloni ayant écrit au Roi pour se plaindre de ce que Farnèse s'exposalt si
facilement au danger, Philippe II adressa, le 4 juin, une lettre au prince pour le prier
de ne pas ainsi risquer sa vte mutîlernent (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fG 212).
(69) Liber retationum, fG 60; STRADA, O. C., t. III, p. H5.
(70)« Cosi dette ordlne ohe si rltlrasse la gente di ogni parte con tutti fêriti, come
si ïece. E ln questa maniera hehbe inféliceet mlseeabll fine I'assalto de Maestrtcht, »
(Liber relationum, r- 60).

167
chiffre denviron 100; 200 étaient grièvement blessés {71). Dans une
lettre au Roi, Farnèse, après s'être fait remettre les listes des pertes
dans les régiments espagnols, et se bornant aux gens importants,
donna les précisions suivantes. Dès le début du siège jusqu ',à l'échec
du 8 avril, 400 Espagnols avaient été tués: à l'hôpital de 'l'armée se
trouvaient 400 blessés. A Louvain, 130 autres blessés étaient soignés.
De plus, environ 200 officiers ou gentilshommes étaient retenus dans
leurs quartiers par des blessures graves (72).
Nous savons, d'autre part, que 12 gentilshommes italiens étaient
morts et 10 blessés (73).
Cette hécatombe d 'officiers et de personnages de haut rang lais SB
entrevoir les coupes sombres que la magnifique résistance des défen-
seurs de Maestricht avait pratiquées dans les rangs des assaillants.
Une circonstance Spéciale avait encore augmenté le nombre des
morts. Au moment d-ela retraite, qui se fit sans ordre, beaucoup de
soldats étaient allés momentanément se cacher derrière les gabions
et les remparts qui protégeaient l'artillerie espagnole. Un tonnelet
de poudre, touché par le feu des défenseurs de Maestricht ou à la
suite d'une imprudence des artilleurs, prit feu. Une formidable
explosion projeta en l'air tous ceux qui s'étaient réfugiés dans les
environs (74). D'après Bor, toujours bien renseigné, les troupes du
prince de Parme auraient perdu au total 2.000 tués (75).
Paolo Rinaldi emploie, pourcaractériser les sentiments de Far-
nèse,une expression énergique: « il crevait de douleur, dit-il, autant

(71) STRADA,O. c., t. III, p. 118.


(72) Relaçion de las personas particulares que [ueron muertos y heruioe en el asâlto
que se di6 a la villa de Maestricht â los 8 abvril de 1579, (chiffré) 1 dans A. G. R., Copies
de Simancas, vol, 12, fO 135 .
. .(73) Liber reiatumum, fo 60vo,. Italiens tués: Fabio Farnèse, Guido di S. Giorgio,
piémontais; te comte Pietro Nofri, Marcantonlo Simonetta, le marquis Corrado Malaspina,
Carlo Benzi, savoyard, Antonio Mentovato, de Plaisance, Agostino Sohiaftnato, mllanals,
Marcantonio da Terni, Giacomo Valenta, Vincenzo Machiavelli, Francesco Anghetti, flo-
rentm. Italiens blessés: Flaminio Delfini, Guidlo Alherni, Mandrtoamo Pallavicini, comte
Carlo San Vitale, Ambrosio del Andrlana, Lodovlco Visconti, Filippo Rinuccini, Francesco
Antinori, Antonio Gomini, Coriolan Serena. - Capitaines espagnols tués: Pedro de Guz-
man, 'I'rancosc, Urtiz, Pedro Pacheco, Garavantes, CastiUo, D. Juan Manrique, D. Vasco
de Çuiilga, Hieronimo Dacis, D. Juan Grimaldi, Andrea Urtado. - Capüaines espagnols
btessëe : D. Antonio de Çuiiiga, Sanche Beltran, Juan de Caslfllo, Agostin d'Arem, Lazare
d'Issa, D. Carlo d'Africa, D. Bernardino de Mendoza, Juan Saquas de Palencia, Amador
del Abadia, Carlos Perea, Sancho de Vilalba, D. Sancho de Leyva, - Enseignes espagnols
tués: Tavantes, D. Juan de Quifiones, D. Garcia Urtado, D. Juan de Villanda, Juan de
Villais.
(74) « En hun cruyt is aengegaan en sijn weI 40{)~ebr,ant. » Chronique de Saint-
Servais de lofaestricht, citée dans TnollfAssEN, o. c., p. 79.
(75) O. C., 2" stuk, to 52.

168
à cause des pertes subies que de la honte qu'il ressentait» (76). Le
prince,en 'envoyant au Roi une lettre où. il rendit compte de ce qui
s'était passé, affirma qu'il n'avait rien à se reprocher, qu'il avait
tout surveillé de près, de jour comme de nuit, et qu'il n'avait épargné
ni peine ni travail, s'exposant continuellement au danger (77).
Ce disant,il affirmait la vérité. Le secrétaire Andres de Prada
parla d'ailleurs dans le même sens dans une missive qu'il fit parvenir
à Don Alonso de Sotomayor (78). A qui devait être imputée la cause
de l'échec qu'on venait de subir Farnèse mit lui-même en cause
î

plusieurs de ses subordonnés dans une lettre adressée à son père


Ottavio, en date du 15 avril (79), et prétendit qu'il avait sujet de
s'en plaindre et d 'être en colère contre eux. Berlaymont s'était
incontestablement trompé en faisant d'abord attaquer la porte de
Tongres, qui était un des côtés les plus forts de la ville. Dans l'entou-
rage de Farnèse, on reprochait à Berlaymont de ne pas avoir agi
avec son énergie coutumière, mais le comte se défendait en disant
que l'attaque avait échoué parce quon n'avait pas suffisamment
asséché les fossés par où l'escalade devait se faire (SO). Le prince de
Parme lui attribua cependant une grande responsabilité dans l'affaire:
il le dépeignit au Roi comme un homme mécontent et intéressé,et
qui ne savait pas ou ne voulait pas maintenir la discipline parmi
ses soldats allemands. D'autres colonels ne valaient pas mieux:
Altemps, F'ronsberg, le comte de Rœulx. Les deux maîtres de camp
espagnols) Don Lopez de Figueroaet Don Hernando de Tolède
méritaient aussi des reproches. Ils navaient pas de goût pour leur
service et ne se dépensaient pas assez pour diriger leurs hommes.
Il fallait d'ailieursajouter, à leur décharge, qu'ils étaient malades
et qu'ils étaient incapables de rester jour et nuit au poste, comme les
circonstances d'un siège tel que celui de Maëstricht I'exigaient, Des
troupes allemandes et wallonnes, Farnèse n'avait rien de bon à dire,
on ne pouvait s 'y fier. Seuls les fantassins espagnols et la cavalerie
légère étaient utilisables et donnaient leur plein rendement (81).

(76) Liber relationum, fo 60.


(77) Lettre du 12 avril 1579 (Loc. cit.).
1(78)Lettre du 17 avril (Loc. cit.) .
.(79)STRADA, o. c., t. III, p. 119.
(80) Lettre citée d'Andres de Prada.
(81) Lettre de Farnèse à Don Alonso de Sotomayor, Camp de Maestricht, 16 avril 1579
(A. G. R., Copies de Slmancas, vol. 12, fo 154). En réponse aux lettres qu'il lui avait
adressées, Marguerite de Parme répondit à 'son fils, d'Aquila, le 15 mai: « Ben credo
che se Ii altrt 'et ctascuno nel suo grado havasse fatta la sua parte, che la villa si

169
Tout cela, certes,pouvait expliquer la défaite, mais ce n'étaient
cependant là que' des considérations telles qu'un général en chef pou-
vait en faire, en réfléchissant sur les qualités ou les défauts' de
l'instrument dont il devait user pour conquérir la victoire
Paolo Rinaldi, dans son Liber relationusn. et Alonso Vasquez,
dans ses Sucesos de Flomdes sont d'accord pour attribuer une bonne
partie du désastre à des négligences coupables d'ordre technique
et militaire. Ils affirment tous deux que, an moment de l'assaut, le
fossé de la ville, par lequel l'attaque des brèches et des murailles
devait se faire, n'était pas suffisamment à sec.
Les gens que Farnèse avait envoyés en reconnaissance n'avaient
pas prêté àce détail important l'attention nécessaire et a valent
affirmé de manière concordante que l'assèchement était bien fait. Il
n'en était rien. A la porte de Bois-le-Duc, notamment, il n'y avait eu
qu'un endroit où le passage était possible, et cet espace était si étroit
que deux hommes seulement avaient pu y passer de front (82). Ge
fut l'origine du désordre avec lequel l'assaut fut mené et la cause de
la mort de tant d 'hommes, Les uns en rejetaient la faute sur Pierre-
Ernest de Mansfelt qui, en sa qualité de maître de camp général,
aurait dû y pourvoir (83); les autres incriminaient plus spéciale-
ment l'infortuné comte Guido di San Giorgio et le maître de camp
Francisco Valdès (84).
Il nous paraît cependant que ce ne sont là que des causes accès-
soires de l'échec. Pour nous: le prince de Parme échoua parce qu'il
avait été forcé par la crainte d'un armistice de hâter plus que de
raison les préparatifs de l'assaut (85). Il ss fia probablement aussi à
sa bonne étoile, qui jusque-là ne lui avait valu que des victoires, et
il sous-estima certainement la valeur des défenseurs de Maëstricht
et, surtout, la science, l'expérience, le courage indomptable de Tapin.
A en croire Strada, Farnèse avait avoué qu'il avait appris deux

sareobe presa ... Vi torno a dire che raclate ricapiLo et capitale dei conte dl Manstelt,
perchè 10 conosco cavalierè honorato et buon servitore di S. Mta et dl chi veramente
cavarete construtto, aocomodandovi al suo humore, che Ver essere della qualit' et età
che è, sell puô cornportare qualche cosa. » (Bibliothèque royale de' Bruxelles, ml>. II,
3063 {5iM), r- 7).
(82) Liber relationum, fo 61.
{83) Ibidem, fO' 61or_61 vo.
{84) A. VASQUEZ, o. c., loc. clt., p. 200.
(85) A noter cette phrase dans la lettre que Farnèse écrit au Roi le 16 avril:.« Remar-
quant qu'on ne pourrait, d'ici beaucoup de jours, asséoher le fossé et que, eniretempe,
l'armistice pouvàu être imposé, .j'ordonnai d'assécher seulement par intervalles, là où
le fossé avait des embouchures. » ' ..

170
choses au cours du siège: qu'à l'avenir, il devait 'se servir beaucoup
plus de mineurs que de soldats et qu'il ne devait rien entreprendre
avant d'avoir vu lui-même les lieux et la disposition des attaques (86).
Si le prince de Parme a en réalité exprimé ces idées, nous pouvons y
trouver une confirmation de ce que nous venons de dire, car, en ce
cas, il s 'est renduoompte que la hâte avec laquelle l'assaut du
8 avril fut préparé était la cause principale de l'échec subi.
L'impression produite sur l'armée par la défaite fut énorme:
un grand abattement s'empara des soldats (87) et bientôt les mauvais
instincts affluèrent à la surface. L 'argent faisant défaut, les Alle-
mands, toujours prêts à se révolter dans ces circonstances, firent
sonner très haut leurs réclamations; les Wallons les imitèrent et se
mirent à exiger leur solde en provoquant du tumulte. Les maîtres
de camp, humiliés par la défaite, se disputaient en rejetant la faute
les uns sur les autres. D 'aucuns étaient découragés au point d'esti-
mer que prendre Maëstricht avec les forces, dont on disposait était
chose impossible (88).
Le .premier à se ressaisir fut Alexandre Farnèse. Après les
moments de colère et de désespoir, pendant lesquels il donna libre
,cours à sa nature impétueuse, il reprit conscience de eon devoir et
essaya de ranimer ses officiers et ses hommes. Debout à l'entrée de
sa tente, il harangua ses maîtres de camp et ses capitaines et leur
parla avec tant de persuasion qu'il leut rendit courage (89). « C'est
par la générosité qu'on vainc l'adversité, leur dit-il. Faisons le pro-
pos de triompher coûte que coûte, recommandons-nous et nos
affaires à Dieu. C'est pour son saint service que nous sommes ici,
pour exposer notre vie dans la lutte contre ces hérétiques. Laissez
faire à Dieu, et à moi! » (90).

(86) O. C.,t. III, p. H9. Très significatif, à 00 point de vue, est le passage du Della
guerradi Fiandra deC. Campana (t, II, f 6) : « Questo assalto apporto, con si grau
O

danne, solamente quel beneûcio a gli assalltorl ch' impararono, scoprendl le difficoltà
magg1ori, a governarsi con più senno e minor ris chio pel' Innanzi, atteso che, ricorsi alla
zappa 'e accrescluto il numero di guastatori ..., presero ·ad' andar, adagio, agevolendcsi
con mine, e con riempimenti di rosat la strada ». N'oublions pas, pour apprécier l'intérêt
de ce passage, que Campana fut documenté par Cosimo Masi, I'anoien secrétaire du
prince de Parme,
(,87) « Stava tutto l'esercito sbatuto e di mala voglia, » Liber relationum, fo 61;
« Ha causado este suceso tanta conruston que estamos todos tan desanirnados que se.
maravillaria. » Anase» de Prada à Sotomayor, lettre citée; Alexandre Farnèse à son
père, Maestricht, 28' avril 1579 (A. F. N., Carte famesiane, Fiandm, fascio 1661).
{8S) Andres de Pradaà Sotomayor, lettre citée.
(89) Liber relationum, fo 61; A. VASQUEZ, O. C., 10c. clt., p. 204.
(90) Liber retatumum, r- 61.

171
Le conseil de guerre fut réuni. Quelques-uns furent d'avis
d'abandonner le siège : Farnèse répliqua que leur réputation était
en jeu, quon ne pouvait pas encourager l'ennemi. Abandonner
Maastricht, ce serait provoquer la cessation des tractations avec les
Wallons et rendre inutiles les négociationspour la paix. On s'e ren-
dait bien compte que Maestricht était fort et que ses défenseurs se
battaient avec une vaillance admirable, mais il y avait trop de raisons
pour persévérer. Où logerait-on l'armée' Comment conserverait-on
autrement les conquêtes déjà faites ~ Comment pourrait-on, sinon,
empêcher l'ennemi de joindre ses forces La ville commandait
î

d'ailleurs la Meuse et les communications avec l'Allemagne (91).


Il fut donc résolu de continuer le siège. Farnèse, ne se fiant plus
aux dires d'autrui, entreprit de faire lui-même tout le tour des rem-
parts pour se rendre un compte exact de la situation. Sa décision
était prise: il changerait de tactique. Au lieu de continuer à exposer
ses hommes dans des assauts mal ordonnés et précédés d'une prépa-
ration d'artillerie trop hâtive, il emploierait la mine et la sape pour
se rapprocher lentement des murs et manœuvrer à coup sûr (92).
Il y avait d'autant plus de raisons d'agir ainsi que, pendant la
nuit qui suivit l'assaut,Tapin n'avait pas dormi: il avait fait répa-
rer les brèches, et dresser un peu partout de nouvelles et solides
défenses, notamment des terre-pleins pour y placer l'artillerie (9-3).
On avait appris aussi que les assiégés élevaient à l'intérieur de
L'enceinte une demi-lune très forte, avec fossé et palissade solide-
ment renforcée de terre, et des plates-formes pour établir des bouches
à feu (94).
Pour mieux encercler la ville et isoler complètement la défense
du monde extérieur, pour se prémunir aussi contre l'arrivée possible
d'une armée de secours, le prince' de Parme fit entreprendre des tra-
vaux de cireonvallation considérables (95). Il chargea Berlaymont de
faire une nouvelle provision de poudre, de balles et de fascines et
donna mission à Serbelloni de se procurer des sapeurs et des mineurs.
On réquisitionna les paysans que l'on put trouver encore dans les
environs, ainsi que les ouvriers,et on leur promit de bien les traiter

{91) Ce sont tout-es ces raisons que Farnèse indique dans sa lettre au Roi du
12 avril 1579 {Loc. cit.).
(92) Liber retauonum, f 61 vO_6!"'o ; ·C.
09 CAMPANA, Della guerra di Fuuuira, lac. oit,
(93) A. VASQUEZ, O. c., loc. cit., p. 204.
(94) Ibidem.
(95) Farnèse au Roi, 12 avril 1579 (Loc. cit.).

172
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et de bien les payer (96). Un détachement de cavalerie emmena de
force ceux qui refusèrent de se laisser embaucher. Le prince-évêque
de Liége consentit à en envoyer environ 4.000, qui étaient habitués
au travail des charbonnages (97).
Après avoir accompagné le prince de Parme dans sa tournée
d'inspection autour de Maëstricht, Serbelloni commença la construc-
tion de redoutes et de forts destinés à compléter l'encerclement de
la place. Là où il n'yen avait pas encore, des tranchées furent
creusées, qu 'on eut soin de doubler le long des routes qui menaient
aux portes de la ville. Ces tranchées, larges et profondes, furent
reliées entre elles par un système de forts, intercalés de distance en
distance dans la ligne de circonvallation, Ces forts étaient au nombre
de onze sur la rive gauche de la Meuse, et de cinq sur la rive
droite (98). Partant de la Montagne Saint-Pierre, par où passait la
route vers Liége, il y en avait un occupé par les soldats de M. de
Hautepenne, placé entre la Meuse et les pentes de la montagne.
Deux autres furent construits presque en face de la porte de
Tongres, des deux côtés duJ eker, et occupés par la cavalerie de
Gonzaga; un fort plus petit les appuyait, bâti tout près de la route
vers Tongres. Face à la porte de Bruxelles se dressèrent deux autres
ouvrages, gardés par les Espagnols du maître de camp Valdès.
Devant la muraille de la ville s'étendant entre la porte de Bruxelles
et celle de Bois-le-Duc s'échelonnèrent quatre autres forts, où se
logèrent les troupes des colonels Altemps et Verdugo et celles de Don
Lopez de Figueroa. Enfin, un dernier ouvrage fut établi sur la rive
droite de la Meuse, en face d'un bastion qui terminait l'enceinte du
côté du fleuve. Il était gardé par une partie des soldats de Moudra-
gon. Sur la rive droite de la Meuse, cinq forts reliaient les tranchées
qui encerclaient le faubourg de Wijc'k : ils étaient occupés par le reste
des troupes de Mondragon, parcelles de Berlaymont, et par le régi-
ment du baron de Chevraux (99).
De la sorte, il ne restait aux assiégés aucune espérance dêtre

,(96) Farnèse 'Ml Roi, lettre citée.


(97) 8TR.ADA, o. c., t. III, p. 120; C. CAMPANA, O. C., t. II, r- 6.
(98) STRADA, o. C., t. III, p. 122.
(99) Nous nous inspirons, dans cette description, des indications du plan du siège.
dressé par l'architecte Pierre Le Poi;vll'e,que nous reproduiscns ici. Ce plan est conservé
dans la j]ibliothèque particulière de l'ex-roi d'Espagne, Alphonse XIII. Le baron de
Borchgrave, ambassadeur de Belgique à Madrid, nous en procuea très aimablement une
photographie,

173
secourus du dehors, et si, par hasard, des troupes venaient à, l'aide de
Maëstricht, le prince de Parme pouvait se porter à leur rencontre
avec toute son armée, ne laissant devant la ville que 3.000 ou 4.000
hommes, parfaitement à l'abri dans les tranchéeset les forts (100).
Le prince dOrange n'avait pas laissé de supplier les États
Généraux de lever les forcesnécessaires pour secourir les admirables
défenseurs de la place. De temps en temps, l'un ou l "autre de ceux-ci
avait réussi ,à se glisser de nuit entre les tranchées des assiégeants
età atteindre Anvers pour y apporter des nouvelles. Le 3 avrilçun
capitaine s 'était vainsi échappé, Ia veille de la grande attaque du
8 avril, huit 'cavaliers avaient passé à travers les rangs ennemis
et étaient venus communiquer à l'archiduc Mathias les renseigne-
ments que .lea.assiégês pouvaient fournir (101).
, Mais que pouvaient faire les États Gênêraux Le seul homme de î

guerre digne de ce nom qu'ils avaient à leur service, La Noue,


guerroyait en ce, moment en Flandre contre les Mcilcontents, et on
ne pouvait pas le rappeler de ce théâtre d'opérations (102). Le prince
d'Orange avait beau écrire à Anvers« que devant touttes choses soit
trouvé moyen de 'secourir ceulx de Maëstricht » (103), ces moyens
manquaient, tant en hommes qu 'en argent, malgré lès taxations qui
avaient déjà été imposées dans ce but. Finalement, on avait réussi
à mettre sur pied une armée, composée des vieux soldats qu'on avait
tirés des garnisons et d'autres qu'on avait engagés, et comptant
3.000 chevaux et environ 100 enseignes d'infanterie. Jean de Nassau,
le frère du Taciturne, et le comte Philippe de Hohenlohe, son beau-
frère, en avaient pris le commandement (104).
Alexandre Farnèse avait été avisé de cette concentration de
troupes ennemies par Maximilien de Vaulx, qui jusque-là avait résidé
auprès de lui, mais qui venait de se rendre à Cologne pour y assister
comme délégué espagnol aux négociations pour la paix. Ce seigneur
avait f.ait connaître que les ennemis allaient se concentrer à Venloo
pour faire lever le siège (105) .
. Toutefois, Philippe de Hohenlohe, s'étant avancé avec quelques
cavaliers pour reconnaître le camp du prince de Parme, fut stupéfait
(100) STRADA, O. C., t. III, p. 122.
UO!) Rossel à Walsingham, Anvers, 10 avril 1579 (Foreign Calendar, Elisabeth,
f578-{579, n° 647); Thomas Cotton à Burghley, !2 avril 1579 {Ibidem, nO 653).
(102) H. HAUSER, O. c., pp. 108~!09.
(103) KERVYN DELETrENHOVE, Relations politiques ..., t. XI, p. 343.
{104) STRADA, o. c., t. III, pp, 122-123.
(10;') STRADA, o. c., t. III, p, 120,

174
de constater quel formidable système rde circonvallation les Espa.
gnols venaient d'établir. Aussi, il communiqua à Jean de- Nassau la
conviction qu'il ne fallait guère songer à passer et à introduire dans
la place des troupes de secours (106).
Entretemps, Alexandre Farnèse, abandonnant sa résidence de
Petersheim, installa son quartier général dans une demeure située
plus près de l,a ville, non loin de la porte de Tongres (107). Il avait
pris la décision de reprendre L'attaque à la porte de Bruxelles, comme
il en avait eu l'idée aux tous premiers jours du siège. Certes, il y
avait là un grand ravelin, qui défendait les approches de cette porte,
et le fossé y était plus profond qu'ailleurs. Mais, creusé loin du
terrain que l'a Meuse pouvait inonder, comme Ia porte de Bois-le-
à

Duc, ce fossé était presque à sec. Ce côté des défenses ne présentait


pas non plus autant de flancs de bastion, d'où on aurait pu abattre
les assaillants pendant qu'ils se lançaient à l'escalade des brèches
faites par I'artillerie ou la mine. Enfin, l'enceinte y était plus exposée
à l 'action de la sape, des mines et des balles (108).
L'entreprise ne pouvait cependant être considérée comme facile.
La ravelin qui couvrait la porte de Bruxelles était construit en forme
de bastion, avec angle saillant. il était pourvu d'un parapet d'où l'on
pouvait tirer à couvert, et environné d'un fossé assez profond, A
l'intérieur même de ce ravelin était construit un ouvrage plus petit
du même genre, où les assiégés pouvaient se retirer par un pont en
bois. Derrière ces deux ravelins se dressait une troisième défense,
,avec parapet .et fossé. Ces ouvrages avancés étaient reliés à la ville
par un pont qui traversait le grand fossé de la plaeeet conduisait à
la porte de Bruxelles. Cene-ci était défendue par quatre petites tours
et une grande. Le fossé de la ville était garni un peu partout de
fourneaux de mine (109).
C'est contre ce système de défense que le prince de Parme con-
centra tous ses efforts (110). Il avait imaginé de faire construire en
face un grand cavalier, fait de gabionssuperposês, qui devait domi-

(106) Ibidém, p. 123.


{107) Liber relatumum, to 63.
(108) Farnèse au Rol,Gamp de Maestrioht, 8 mai 1579 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 12, r- 183).
(109) STRADA, o. C., t. III, pp. 166-167; A. VASQUEZ, O. C., loc. clt., p. 206.
(110) .Le 23 mai, d'Assonvllle écrit, de Cologne, à Marguerite de Parme: « Le prince
travaille, Jour et nuit, avec diligence, comme tous l'affirment et comme moi-même j'ai
pu le constater pendant les quelques jours que j'ai psssés au camp. » (A. F. N., Carte
farnesiane, Fiandra, rasclo 1629).
ner les bastions, les tours et les murs de la ville. Lorsqu'il découvrit
ce projet en conseil de guerre, la plupart de ses collaborateurs se
montrèrent sceptiques : ils estimèrent que jamais on ne pourrait
construire un ouvrage de cette importance dans l'espace de temps
nécessaire, Mais l'ingénieur major, Gabrio de Serbelloni, et le ser-
gent-major Pedro. de Paz, vieux soldat expérimenté, approuvèrent
chaleureusement la proposition (111).
On la réalisa (112). Farnèse envoya les gentilshommes de sa
maison recruter dans toute l'armée un grand nombre de travailleurs
volontaires, auxquels on promit une paie supplémentaire, et qui
devaient fabriquer des fascines et des claies. Une partie de ce travail
fut accompli par les femmes des soldats allemands, et par ces soldats
eux-mêmes aux moments où ils n'étaient pas de garde, On fit ainsi
la charpente en bois d'une soixantaine d'énormes gabions, que l'on
remplit de terre.
Pendant la nuit, ces gabions furent plantés sur le bord du fossé
qui précédait le ravelin de la porte de Bruxelles. Les superposant les
uns aux autres, on fit plusieurs étages et on vit ainsi monter peu à
peu une sorte de grosse tour, qui fut consolidée par des claies rem-
plies de gazon et de terre détrempée.
Cette levée était de forme quadrangulaire, et portait au som-
met une plate-forme, dont le plan, plus élevé du côté de Maestricht,
allait en s'inclinant vers l'arrière. Sur le front et les deux côtés
droit et gauche elle était défendue par des tranchées et des gabions.
D 'line largeur. de 46 pieds.elle avait une longueur de 54. Très haute,
elle dominait le ravelinde la porte de Bruxelles, les fossés, les tours
et la muraille de la ville. De l'intérieur, les assiégés ne pouvaient
voir ce qui s 'y passait au sommet et. se trouvaient, au contraire,
exposés au tir que de là on pouvait diriger sur eux. En effet, par
un plan incliné qui, de derrière, conduisait au sommet du cavalier
ou de la plate-forme, le prince de Parme y fit amener trois pièces
d'artillerie de gros calibre .et quatre canons de bronze plus petits.
Il y installa aussi un C01~pS de garde de mousquetaires, qui furent
choisis parmi les meilleurs tireurs que comptait l'armée (113).

{Hl) A. VASQUEZ, O. c., 100. cit., p. 206.


(H2) Voir les ordres donnés pal' Farnèse - document intéressant à cause de ses
précislons - dans P.' FEA, Il âuca Alessandro Farnese e le carte dell' archivio napoletano,
loc. ctt., pp. 23-24.
{H3) Liber r·elattonum, r- 63·;.A. VASQUEZ, o. c., loc.vclt., pp. 206-207; STRADA, o. C.,
t. III, pp. 167-168.

176
Bientôt, le tir continu des canons placés eu haut du cavalier et le
feu précis des mousquetaires infligèrent aux défenseurs des pertes
considérables. Canonnés d'en haut sans pouvoir se défendre, il leur
devint presque impossible de travailler encore aux fortifications ou
de réparer les brèches faites (114) ..
Farnèse avait aussi fait conduire des tranchées jusqu'à la pointe
du ravelin de la porte de Bruxelles et d'autres qui débouchaient sur
le fossé de la ville. Ne se fiant plus aux renseignements d'autrui,
il avait inspecté lui-même ce travail, s'exposant plus d'une f-ois à
être tué. Des officiers qui se trouvai-ent à ses côtés et avec lesquels il
parlait avaient été abattus par des coups de feu tirés des rem-
parts (115).
A coups de mine, les Espagnols firent sauter Pangle saillant du
ravelin de la porte de Bruxelles et s'en rendirent maîtres. Toutes
les défenses sautèrent l'une après l 'autre, non sans qu'il y eut des
luttes corps à corps pour la possession des ouvrages, les assiégés
contre-attaquant avec une énergie désespérée. Finalement, l'assail-
lant était arrivé à la gorge qui reliait le ravelin à la porte de
Bruxelles. Afin de s'en 'emparer, Farnèse fit amener au bord du fossé
six pièces d'artillerie, que l'on mit en batterie de part et d'autre du
pont jeté sur le grand fossé de Maestricht. De la sorte, l'envoi de
secours par ce chemin devint impossible et l'artillerie du prince de
Parme put s'approch6r assez près pour abattre l-e haut des tourelles
qui défendaient la porte de Bruxelles (116).
Les assiégés se retirèrent alors à l'intérieur, non sans avoir
détruit l'e pont derrière eux, et accoururent sur les murailles pour
repousser l'assaut qui allait suivre. Ils ne purent empêcher les
soldats de Farnèse de conquérir les tours de la porte de Bruxelles
et la porte elle-même, et de se remparer immédiatement au moyen
du pic et de la pelle. Il y eut là un corps à corps féroce, où on se
battit à l'épée et à la hallebarde (117).
Dès que <lepremier avantage eut été obtenu, Farnèse mena des
troupes jusqu'au bord du fossé de la ville et les y déploya sur une
distance de près de 500pieds devant la porte de Bruxelles et la tour
Saint-Servais. S'aidant de la sape, les soldats parvinrent jusqu'au
pied des muraillès. Pendant que l'artillerie faisait sauter toutes les
(114) Liber relationum, fo 63; G. CA.lYIPANA, O. c., t. II, fo 6.
(115) Liber relationum. r- 6avo•
(116) Liber relationum, f 63'vo; STRADA, o. c., t. III, pp. 168-169.
O

{H7) Liber relationum,fo sa=.


177
défenses de flanc qui garnissaient les murs ~t que ie tir c1;enhallt
du cavalier gênait considérablement la défense, des ouvriers creu-
sèrent trois grands trous sous les remparts, y placèrent des mines
et mirent le feu à celles-ci. Une grande partie de l'enceinte s'écroula,
non loin de la tour Saint-Servais, Par la brèche ainsi faite, les
Espagnols montèrent à l'assaut ets 'installèrent sur les ruines, où
ils purent se fortifier dans un espace assez large. Comme on. était en
possesslcnde la porte de Bruxelles, le prince de Parme avait fait
raser et transformer en plate-forme deux de ses tours, où il fit
installer des canons.
De cette position, et des remparts ruinés où ils s'étaient solide-
ment installés, Ies assaillants pouvaient maintenant dominer une
partie des rues et battre tout cet espace de leur tir (118).
Toutefois, si le prince de Parme, déjà maître d'une partie des
murs, ne doutait plus maintenant du succès (119), il n'était pas
encore au bout de ses peines. Par la brèche faite dans la muraille
était apparu, neffiet un ouvrage considérable que les assiégés
avaient fébrilement élevé derrière la partie de l'enceinte qui était
sur le point de céder. Il s'étendait sur une grande Iargeur derrière
la porte de Bruxelles et ses deux extrémités allaient rejoindre le
rempart qui s'étendait des deux côtés de la brèche qui avait été pra-
tiquée. C'était comme si une seconde enceinte avait surgi derrière
celle qu'on venait de conquérir (120).
Sur L'existence et le but de cet ouvrage, Farnèse fut dailleurs
renseigné par un transfuge, qui vint le trouver pendant la nuit et le
mit au courant de la situation de la défense. D'après les dires de
ce soldat, un millier d'hommes avaient déjà péri depuis le début du
'siège, aussi bien habitants que soldats de la garnison. Tapin avait
été blessé d'un coup de mousquet dans le bras, qui avait mis un
instant ses jours en danger. Les soldats français, anglais et écossais
qui défendaient la viner étaient réduits de 1.200 à 400. r8ept de leurs
meilleurs capitaines étaient tués. La garnison avait été trouver le

(118) Lettre de Farnèse au Roi, 9 juin 1579 (H. N. P., ms, espagnol !182, r- 288).
Dans cette lettre, Farnèse dit que l'entreprise fut plus dure qu'on ne s'était Imaginé
et qu'il fallut s'avancer pas à pas, à cause de la réststance acharnée des défenseurs,
(119) « Presupose il Principe fra di se che, la città non gli poteva più uscire dalle
mani. » (Liber retauonum, fo 64vol.
(120) Voir le plan de Le Poivre. - Farnèse au Roi, 23 juin 1579 (B. N. P., ms. espagnol
182. r- 288vO). Farnèse 'Y raconte que les mines pour faire sauter la muraille né ürent
pas grand dommage, à cause des contre-mines des assiéSlés,et qu'il fallut surtout
employer la sape, pour se rendre maître d'une partie des remparts de Maestricht.

178
gouverneur et on avait mis en délibération la question de la œeddi-
tion, mais les bourgeois, encouragés pal' les prédicants hérétiques qui
se trouvaient parmi eux, avaient refusé avec indignation d'.en entendre
parler et avaient menacé' d'exécuter comme traîtresceux qui on par-
Ieraient encore. Rassurés par Tapin, qui leur fit espérer du secours
de la part du prince d'Orange, les soldats 'avaient fini par promettre
'qu'ils défendraient la ville jusqu'à la mort. On s'était alors mis à
construire une sorte de demi-lune derrière la porte de Bruxelles,
1'ouvrage considérable dont les Espagnols venaient de découvrir
il'existence. Il était précédé et entouré d'un fossé ,qui n'avait pas
moins de 45 pieds de profondeur (121).
Ces renseignements du transfuge devaient être exacts, car
Farnèse avait remarqué que, depuis une quinzaine de jours, les
assiégés avaient fait 'souvent des signaux lumineux du hautpes
tours et il savait qu 'ils avaient commencé à souffrir de maladies
contagieuses (122),
A Anvers, cependant, dans le milieu des États Généraux, on
espérait toujours et l'agent anglais, Davison écrivit à Walsingham
que, «selon le jugement des plus sages, on pouvait s'attendre â un
-autre -siège de Haarlem » (12:3). On essayait d'ailleurs de se ren-
seigner par des espions qui rôdaient autour du camp de Farnèse et
même jusqu'à l'intérieur des circonvallations.
Le 24 mai, un de ces .espions décrivait dans un rapport l'empla-
cement des différents corps de l'armée assiégeante, entre lesquels il
'avait pu se promener sans être inquiété.
Il avait même assisté à une sortie que les assiégés avaient faite
du côté de Wijck et qui avait engendré une forte mêlée : un village
'Où logaient des Espagnols avait été incendié par les gens de Tapin.
TI avait remarqué aussi 28 pièces de canon montées sur leurs
affûts et deux non encore affûtées, que l'on hissait au moyen d'une
grue pour les mettre .en place. Il signalait que l'assiégeant avait
amené 13 pièces d'artillerie devant la porte de Bruxelles. Les
Espagnols travaillaient jour et nuit et se saisissaient de tous ceux

(121) STRADA, O. C., t. III, pp. 171-172. Strada est leseul à fournir ces renseignements,
mais il est toujours mieux renseigné que les autres, ayant puisé abondamment dans les
papiers de Farnèse. Le 8 mai, Farnèse avait écrit au Roi « qu'en ce moment, il 'n'avait plus
de nouvelles des a,sSlMgés » (Loc. cit.), ce qui laisse supposer qu'il en avait eues anté-
rieurement.
(122) Farnèse au Roi, 8 mai 1579 {Loc. cit.).
(123) Anvers, 10 mai 1579 (Fm'eign caienaor, Elisal?eth" '(578~1579, n° (75) . ,

179
qu'ils pouvaient prendre pour leur imposer des corvées de pionniers.
Ils ne se donnaient point de repos, étaient toujours à cheval et en
campagne, « au point qu'ils mangeaient étant en selle ».
Retourné à Aix-la-Chapelle, d'où il était peut-être venu, l'espion
signalait encore qu'il avait lâché vers Maestricht un pigeon porteur
de nouvelles. Ce pigeon était arrivé à bon port, car les assiégés
avaient répondu par signaux trois jours de suite, ces signaux con-
sistant en fumée, en feux allumés et en drapeaux arborés sur la tour
de l'église Saint-Jean (124). C'étaient probablement ces signaux que
le prince de Parme avait aperçus et qu'il avait pris pour des preuves
de détresse.
Dès qu'il eut constaté la force de la demi-lune que les assiégés
avaient construite pour arrêter net toute nouvelle irruption vers
l'intérieur de la ville, Farnèse décida d'amener sur la partie des
murs dont on était maître des pièces d'artillerie pour attaquer
l'obstacle.
Pour faire parvenir ces pièces sur la muraille et sur le terre-plein
que les Espagnols avaient organisé sur .les tours en ruine de la
porte de Bruxelles, il fallut jeter par-dessus le fossé très large de la
ville trois ponts, faits de madriers ,et de fascines. Comme c'était une
besogne ardue et pénible, le prince n'hésita pas à donner de nouveau
l'exemple, aidant à rouler les canons, à porter des madriers, à faire
fonctionner les grues pour hisser les pièces sur le terre-plein de la
porte (125). Il Y courut un grand danger, En effet, le comte de Ber-
laymont, qui commandait le feu des deux pièces de campagne établies
sur le bord du fossé, fut atteint d'un coup de mousquet et tomba
raide mort (126).
La perte de son général de l'artillerie affecta beaucoup Farnèse,
qui l'aimait malgré les différends qu'il avait eus plus d'une fois avec
lui.
Dans sa lettre au Roi du 23 juin, le prince de Parme, en signa-
lant que les assiégés avaient construit la redoutable demi-lune,

(124) KERVYN DE VOLKAERSBE'IŒ et DJEGERlCK, Documents historiques inédits concernant


les troubles des Pays-Bas, t. I, pp. 328-330. ,
{125) Liber relationum, r- 63vO -64; STRADA, o. c., t. III, p. 172-173.
(12t» STRADA, o. C., t. III, p. 174. - Le rascto 1642 des Carte [amesum« de Naples
contient une supplique de la veuve de Berlaymont, Lamberte de Croy, qui fait connaltre
la mort du comte devant Maestricht, Elle rappelle toutes les pertes que la famlUe a
subies pendant les troubles, à cause de son loyalisme, et elle exprime l'espoir que le
souverain n'aura pas oublié les servroes rendus à Charles-Quint pail' le comte de Rœulx,
son père, et ceux rendus au Roi par son mari.

180
exprimait la conviction que, derrière celle-ci, il n'y avait plus
d'autres fortifications et disait qu'il s'attendait à la fin de la
résistance. « Mais, ajoutait-il, ils disposent encore de beaucoup de
travailleurs et pourraient construire de nouvelles tranchées. Ils sont
cependant condamnés à devoir se rendre, faute de secours. O'est
en tous les cas une chose quej 'admire, que la ténacité et l'obstination
de ces gens. Oomme ils se défendent l Tous travaillent, depuis le
plus jeune jusqu 'au plus vieux, et aussi bien les femmes que les
hommes. » (127)
C'est sous l'empire de ces, sentiments que Farnèse, avant de
procéder à l'attaque de l'a demi-lune, fit, une dernière fois, sommer
les assiégeante de se rendre, afin de leur épargner les horreurs du
sac et du massacre qui allaient immanquablement accompagner la
prise de la place. Le parlementaire espagnol que le prince leur
dépêcha fut c-ependant renvoyé avec mépris : Maastricht ne se ren-
dait pas et se défendrait jusqu'au bout (128).
L'attaque de la demi-lune fut alors déclenchée: on était le jour
de la Saint-Jean, 24 juin. Le prince de Parme fit procéder à des
prières et mit l'entreprise sous la protection du patron de ce
jour (129). Une première attaque lancée contre l'ouvrage pour se
rendre maître des casemates, que les défenseurs avaient pratiquées
dans les parties avancées de l'a demi-lune, avait été repoussée' avec
vigueur (130). On se mit alors à battre et à miner le saillant gauche
de la position. Lorsqu'on l'eut fait saute-r, les assaillants se frayèrent
un chemin parmi les ruines et voulurent planter leur drapeau sur
le rempart. Mais les défenseurs opposèrent une résistance si furieus-e
qu'il fut impossible davancer, Il y eut des combats corps à corps
dans une mêlée désordonnée. Entretemps, les pièces de gros calibre
que le prince de Parme avait fait installer sur le terre-plein de la
porte de Bruxelles avaient fait crouler l 'angle droit de la demi-lune.
De ce côté, on vit les Espagnols monter à L'assaut. A 00 moment, le
vaillant Tapin était tombé, comme mort, grièvement blessé d'un éclat
de pierre. On l'emporta (131).

(127) B. N. P., ms. espagnol 182. r- 288"0.


(128) uue- relationum, r- 64.
(129) STRADA, o. c. t, III, p. i75; A. VASQUEZ, O. C., loc. cit. p. 212.
{t30) Liber relationum, fo 64; A. VASQUEZ, O. C., 100. ctt.: Libro âe las cosas ae Flanâes,
1'0 193.
(f3i) Liber relationum, fo 64,1'0; STRADA, o. C., t. III, p. 175.

181
La vue de cet incident très grave s-emble avoir découragé les
assiégés : leur résistance faiblit et bientôt ils abandonnèrent leurs
positions. Poussant des clameurs de triomphe, les Espagnols vou-
lurent s'élancer en avant, mais le prince de Parme fit arrêter leur
élan. II était monté en un endroit élevé, d'où on pouvait le voir et
d'où il pouvait encourager ses soldats. De ce poste, il venait de
s 'apercevoir que derrière l'ouvrage qu'on venait dé conquérir et
qu'on. avait 'cru être le dernier, lès défenseurs de Maastricht en
avaient construit un autre. C'était un retranchement plus spacieux
encore que la demi-lune, haut de 15 bras au-dessus du fossé qui le
précédait, protégé par des flancs faits de levées de terre et de
madriers reliés et consolidés par des chaînes (132).
Farnèse ne voulut pas exposer ses hommes à une mort certaine :
il donna l'ordre de conduire des tranchées dans la direction du nouvel
obstacle, et de mener les boyaux jusque sous l'angle droit et l'angle
gauche de l'ouvrage (133). Ce fut là la dernière disposition qu'il put
prendre sur place.
En effet, le 25 juin, il se sentit malade. Il avait pris tant à cœur
cette entreprise de Maëstricht, n'épargnant ni travail ni fatigue, que
sa robuste constitution finit pal' en être minée. Il gagna un catarrhe,
qui bientôt le secoua de violentes fièvres. Il n 'y fit guère attention, et
continua encore pendant deux ou trois jours, par un temps affreux,
à s'exposer dans les tranchées et 'au milieu de ses soldats. Finale-
ment, il se mit à saigner du nez avec abondance; il fut pris d'insom-
nies, il faiblit jusqu'à s'évanouir plusieurs fois. TI fut obligé de rester
dans sa tente et de s'aliter (13'4).
Ainsi, par une coïncidenoe extraordinaire, Tapin, l'animateur de
la. défense, et Farnèse, l'âme de l'attaque, venaient à manquer :
Tapin, à la suite de la blessure reçue le jour de la Saint-Jean, avait
été transporté au faubourg de Wijck, où on le s-oignait (135).
L'absence du prince de Parme se fit immédiatement sentir dans
le milieu des assiégeants. L'activité se relâcha. Les chefs, au lieu de
veiller la nuit au milieu de leurs soldats, comme Farnèse avait cou-
tume de le faire, allèrent se reposer, laissant pendant ce temps-là les
sentinelles, les grand'gardes et les travailleurs ·à eux-mêmes (136).
(132) Liber relationum, r- 64"°.
(133) Ibidem.
(134) Ottavio Gonzaga au Roi, Maestrtcht, 2 juillet 1579 (A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 13, fO il. .
(l3!» Liber relationum, r- 65.
r
(136) Liber relationum, o 65.

18~
Comme, d'autre part, Tapin n'était plus là pour les animer, les
assiégéss 'abandonnèrent à la fatigue qui les accablait après tant
d'efforts sans cesse renouvelés. Il y eut tout de suite chez eux plus de
négligence à veiller à leur poste de combat, moins d'ardeur à réparer
les <brèches,moins de combattivitê aussi (137). On eût dit que, par un
accord tacite, de part et d'autre on voulait laisser à l 'adversaire
quelque répit.
Cependant, le soir du 28 juin, des combats avaient. encore eu lieu
devant le dernier bastion des ennemis, derrière la porte de Bruxelles,
où, de part et d'autre, on s'était assailli avec fureur. Puis', à la tombée
de la nuit, une accalmie s'était produite. Les sapeurs espagnols en
avaient profité pour étendre le réseau de leurs tranchées vers L'angle
droit de l'ouvrage, où les adversaires résistaient encore. Arrivés à
un saillant de cet obstacle, ils l'avaient gratté de l'extérieur et pra-
tiqué peu à peu une ouverture, Un peu avant l'aube du 29 juin, les
Espagnols purent ainsi jeter un coup d'œil dans l'intérieur du rem-
part ; ils constatèrent avec surprise que les défenseurs n'étaient pas
à leur poste et que leurs corps de garde se trouvaient plus loin
:à l'intérieur, accablés sans doute par la fatigue et se couvrant mal
contre le danger (138). Aussitôt la nouvelle se répandit dans les rangs
des assiégeants. On s'empressa d'en avertir le prince de Parme.
Celui-ci,quoique malade, avait exigé qu'on le tînt régulièrement au
courant des événements. Aussitôt Alexandre Farnèse, remarquant
qu'on était la fête des saints Pierre et Paul, crut y voir un présage,
et donna l'ordre de ne pas laisser échapper cette occasion unique de
pénétrer dans la ville (139).
A peine cet ordre fut-il parvenu, que les soldats de Farnèse, qui
avaient été immédiatement alertês partout, se jetèrent en avant, esca-
ladèrent le bastion ennemi à l'intérieur de la ville ou se faufilèrent
par l'ouverture qui y avait été pratiquée, et tombèrent à l'impro-
viste sur les assiégés, rompus de fatigue et presque tous plongés
dans le sommeil. Surprls de la sorte, les défenseurs de: Maestrieht
ne purent riposter à l "attaque avec l'énergie nécessaire. Ils opposèrent
toute la résistance qui était possible à l'entrée de la grand 'rue où

(137) Liber relationum, r- 65.


(138) Ibidem. Nous préférons suivre ici le récit simple de Paolo Rinaldi, qui était
présent au siège, plutôt que l'exposé sans doute tort circonstancié, mais plus compliqué et -
nous semblé •..t-il - plus fantaisiste de Vasques (o. C., loc. cit., p. 214) et que eelul de
Strada, o. C., t. III, pp. 177-178. Les trois récits se corroborent d'ailleurs quant à la
substance des faits.
(139) Liber relationum, fD 65; STRADA, o. C., t. III, p. 178.

183
menait la porte de Bruxelles. Attiré par le bruit, le gouverneur de la
place, Melchior de Schwarzernberg, accourut lui-même, une pique à la
main, criant aux soldats et aux bourgeois qu'il put rallier de se
défendre jusqu'à la mort. Il tomba en combattant, sans avoir pro-
noncé, ni avant ni pendant la lutte, une seule parole pour découvrir
sa qualité (140).
Bientôt, la dernière résistance faiblit devant le nombre de plus
en plus grand. d'Espagnols qui s'engouffraient en ville par la brèche
faite. ,Ce fut alors lesauf-qui-peut général, les défenseurs ne son-
geant plus qu'à échapper à la fureur de l'ennemi et à atteindre le
faubourg de Wijck.
Les soldats de F'arnèse se rendirent coupables d 'un hor-rible
massacre. Tout le monde fut ab.attu, sans distinction d'âge ni de
sexe. Les femmes qui fuyaient par les rues portant leur enfant, celles
qu'on trouvait dans les maisons, furent tuées sans pitié. On ne
peut oublier qu'elles avaient pris part à l.a défense et que beaucoup
de soldats avaient péri par leurs mains. Semblables à des chiens
enragés, .les assaillants ne faisaient pas de quartier: les pertes
cruelles subies au cours du siège leur étaient un trop cuisant souvenir
pour qu'ils pussent conserver des sentiments d'humanité. Bientôt
toute la ville retentit de cris de douleur et d'effroi, cependant que,
dans une course folle, tous ceux qui en avaient encore la force se
précipitaient vers le pont sur la Meuse pour se mettre en sûreté à
Wij0k (141).
Comme l'entrée de ce pont était trop étroite pour livrer passage
à la foule qui désirait s'échapper, il y eut là une mêlée effroyable, où
beaucoup de personnes périrent étouffées. D'autres tombèrent d.ans
la Meuse (142). Quant à ceux qui réussirent à passe-r outre, ils ne
furent pas tous sains et saufs. En effet, Ies occupants du faubourg
de Wijck, en apprenant que Maëstricht était tombée aux mains de
l'ennemi, s'étaient empressés de remonter le pont-levis qui communi-
quait avec le pont sur la Meuse, de sorte que beaucoup de fuyards,
poussés par la foule qui les portait en .avant, tombèrent dans le vide
ainsi subitement ouvert et se noyèrent (143).
(140) Libe?' relationum, fO. 65·ro~65vo.
(141) Liber 1'elationum, to 65vo; A, VAS([UEZ, 0, c., loo. cit., pp. 2141-215; STRADA,
p. :18i. ~ ~
(142.) STRADA,o. c., t. III, p. 181.
,(143) STRADA,o. e., t. III, p. 18!. Sur le sac de la ville, on trouve
des détails nombreux
dans la ooreespondanoe de Cosimo Masi, secrétaire de Farnèse, conservée aux Archives
farnésiennes de Parme, Carteggfo tamesumo, 1578-1579. Surtout intéressante est la lettre
de Masi à Picco, datée du 30 juin,
18i
PL. IX

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PLi\~ DE :\L\ESTnICH'l'
montrant par où les Espagnols entrèrent dans la ville
(R.ecuEil de Pierre Le POhTC, ms. 19611 de la Bthliothèquc royale de Bclgiquc, fO 32.)
Rien n'arrêta la fureur des soldats, car les chefs qui auraient
dû calmer leur colère et empêcher le mas sacre des habitants, Pierre-
Ernest de Mansfelt et Ottavio Gonzaga, étaient en ce moment en
dispute. Mansfelt, vieux serviteur de Charles-Quint et maître de
camp général, prétendait que, en l'absence du prince de Parme, tous
devaient lui obéir. Mais Gonzaga, jeune homme ambitieux et qui se
vantait du crédit qu'il' avait auprès des Espagnols, refusait de se
.soumettre au comte. Il avait suffi de la disparition momentanée du
prince de Parme pour faire éclater entre eux la discorde, qui couvait
déjà depuis longtemps (144).
En prévision de la prise éventuelle de la place, Tapin avait fait
transporter à Wijck, pour les y mettre en sûreté, la plus grande
partie des richesses que contenait la ville, mais seulement depuis le
moment où, blessé, il y avait été amené lui-même. En effet, aussi
longtemps qu'il fut valide, il s'était opposé à l'évacuation des biens
meubles des habitants vers le faubourg, sachant bien qu'une telle
mesure aurait provoqué une panique ou diminué le courage des
défenseurs. Il avait conçu le plan, pour le cas où les Espagnols se
rendraient maîtres des remparts, de résister pendant un jour ou
deux derrière les murs du vieux Maestricht, qui encerclaient encore
le noyau de la ville. C'est pendant cette résistance qu'on aurait
envoyé à Wijck, avec les choses les plus précieuses, les femmes et
les enfants et les bourgeois non combattants. Puis, Tapin se serait
retiré à son tour dans Wijck, après avoir mis le feu à Maëstricht
dépouillée de ses richesses, dans l'espoir de pouvoir tenir encore deux
mois de l'autre côté de la Meuse, et d 'y attendre le secours si souvent
promis (145).
Vers le milieu de juin,en effet, les États avaient réussi à mettre
un terme à la révolte qui avait éclaté parmi les troupes destinées à
secourir Maestricht et campées à Meghem et à Ravenstein : quelque
3.000 Anglais, Ecossais et Français et quelque 1.000 reîtres avaient
refusé d'avancer plus loin, parce que leur solde n'avait pas été
payée. Le 15 juin, le français La Garde et l'anglais Stuart devaient
conduire ces soldats dans la direction de la ville assiégée (146).

(144) Liber relattonum, fo 66.


(145) Liber relationum, r- ee=.
(i46) Christophe Carleil à Davlson, Anvers, 5 juin 1579 (Foreign Calendar, Elisabeth,
1578-1579, n° 687); Avvisi d'Anvers, 14 juin 1579 (KEItVYN DE LETTENHOVE, Relations poltti-
ques ..., t. XI,p. 358).

185
Mais la blessure que Tapin avait reçue le 24 juin avait contre-
carré tous ces plans. Cloué sur son lit à Wijclk, il aurait voulu, après
la prise de la ville, s'échapper de là avec ses soldats, mais les bour-
geoiss 'y opposèrent et exigèrent que l'on traitât avec le prince de
Parme (147).
Celui-ci ordonna à Mansfelt 'et à Gonzagade se mettre en:l'ap-
ports avec les occupants de Wijek: la haine qui divisait ces deux
chefs ne facilita pas la conduite des négociations. Celles-ci furent
amorcées dans Maestrieht conquise.
Pendant que ces tractations pour la reddition de Wijck étaient
en. cours, le bruit se répandit subitement au milieu des troupes bour-
guignonnes, qui étaient campées de l'autre côté dé la Meuse, que Ies
Espagnols étaient entrés dans le faubourg et étaient déjà occupés à
le piller et à le mettre à sac. Furieux à l'idée qu'ils ne pourraient
pas avoir leur part du butin, les Bourguignons, sans se soucier die
leurs chefs, se précipitèrent en avant, dressèrent les échelles d'assaut
et pénétrèrent dans Wijclk. Un nouveau massacre allait avoir lieu,
mais au bruit de cette invasion, Mansfelt et Gonzaga accoururent
avec une troupe nombreuse de soldats et réussirent à calmer ces
furieux, non sans qu'une partie des soldats anglais et écossais de
la garnison eussent été tués. Ils firent désarmer ceux qui restaient et
les enfermèrent dans une église, sous bonne garde. Quant aux bour-
geois, ils les livrèrent en mains aux soldats espagnols, pour que
ceux-ci pussent en retirer la rançon qui était d'usage en pareil
cas (148).
Tapin fut trouvé, blessé, dans une chambre. Devant ce héros,
Ottavio Gonzaga et les soldats espagnols qui l'accompagnaient ne
sentirent aucun respect ni aucune pitié: aveuglés par. la colère, ils
le firent mourir sans aucune forme de procès. Lorsque le prince de
Parme apprit ce fait, il en fut profondément indigné et le reprocha
violemment à Gonzaga (149). Il aurait voulu sauver la vie du vaillant

(147) Liber ?'elationum, fo 66.


(148) LifJer relationum, fo 66vO ; STMlJA, O. c., t. III, pp. 183-184.
(149) Liber relationum, fo 66"0. Vasques, Campana 'ctStrada affiNnent que Tapin
fut fait prisonnier et mené devant 1e prince de Parme, qui lui accorda la vie sauve. Il
serait mort peu après au service de l'Empereur. Nous croyons devoir récuser leur témoi-
gnage. Ils ne sont pas témoins oculaires ou immédiats, tandis que Paolo Rinaldi, l'auteur
du Liber relatumum, l'est. Il se trouvait auprès de Farnèse malade, dans la tente où
celui-ci était couché. Or,son témoignage est catégorique: « Chevenendo [Tapin) in
mano d'Ottavlo :Gonzaga et de Spagnoli, lo tecero morire malamente senza ordine et
saputa di Parrna, che oost ho dettoalt' hora sbava lnf'ermo, la qualcosa come seppe se ne
rlsenti gag;liardamenle COll Ollavio Gonzaga di questo... » fo 66 T.). Stradaet Campana

186
défenseur deM.a:estricht, mais, immobilisé par la maladie dans ses
quartiers et ne sachant de ce qui se passait dans la ville que ce qu'on
voulait bien lui apprendre, il ne put empêcher que son héroïque
adversaire ne pérît victime de la vengeance des Espagnols.
Le pillage de Maëstricht dura plusieurs jours. Le butin que Pon
fit; tant en meubles qu'en marchandis-es, en y ajoutant les sommes
versées par les malheureux habitants qui durent payer une forte
œançon pour être -remis -en liberté, .reprêsentait plus d um million
d1ûr. A Liége, à Aix ,et à Clèves.con déboursa, pour -le rachat despri-
sonniers, plus de 200.000 florins en argent comptant. Les soldats
visitaient minutieusement maisons et magasins, et menaçaientde tuer
quiconque ne leur remettait pas' ses trésors. Plusieurs bourgeois,
saisis de désespoir, entraînèrent leurs bourreaux jusque sur la rive
de la Meuse, comme pour leur révéler la cachette de leur argent; et
se précipitèrent sous leurs yeux dans le fleuveçen les invitant à les
suivre pour assouvir leur rapacité (150).
La ville fut vraiment en proie à la curée: beaucoup de Liégeois
profitèrent de la circonstance pour aller à Maëstricht acheter le
butin que les Espagnols y avaient fiait et s 'enrichir à bon marché (151)
Combien de personnes furent tuées pendant le sac de Maestricht 1
Cosimo Masi, le secrétaire d'Alexandr,e Farnèse, estime qu'il n'yen
eut pas moins de 4.000, -en y comprenant ceux qui se noyèrent dans
la Meuse (152). L'auteur des Mémoires wnonymesdonne le même
chiffre, mais semble y inclure ceux qui moururent' pendant toute la
durée du siége (153). Dans une lettre au Roi, Alexandre Farnèse fixe

disent que Farnèse,après avoir rsauvé Tapin, le fit mener et enfermer au château de
Limbourg. N'y a-t-il pas ici conruslon avec l'histoire de La Noue, dont Tapin fut 1,0 lieu-
tenant? C'est peut être là I'origine de la légende.
{150) STRADA, o. C., t, Ill, p. 185; Liber relationum, fo 66vo• - La. chronique liégeoise
du règne de Gérard de Groesheek dit à ce propos: « Après, toute la ville entièrement pillée
et les hommes femmes et enffans qui restoient prins prisonniers et rançonez à g'l'and.e
somme de deniers. Ceulx qui ne pouvaient pas payer estotent mls cruelement à mort ».
{S. BALAU et E. FAIRON, O. C., p. 591),
(151) « Or, comme les Liégeois .couroient au camp des Bspagnots acheter le pillage
et butin des pauvres 'I'rectenalres, ils rapportèrent aussi avec \eux la peste ... Les Hutois
furent plus sages, car leurs bourgemajstres ne voulurent jamais permettre qu'aucuns de
leurs bourgeois y allassent ». - « Par quoy les Liégeois allèrent requérir les vieux
chaudrons de leur grande mère, c'est à dire que l'es Liégeois allèrent requérlre leur bien
que Les 'I'rectenairee avaient prim; aux Liégeois du temps du duc Char-le de Bourgogne
l'an 1568 (ste), Iœsqu'Il prént .et saccagea Liége. » (S. BALAU et E. FAIRON, O. C.. p. 593),
{i52) STRADA, o. c., t, Ill, pp. 181-182.
(153) Loc. clt,

187
le nombre de ceux qui furent massacrés à 900 ou 1.000 (154). Chose
curieuse, les renseignements qui circulaient à Anvers une quinzaine
de jours après la prise de la ville tendaient à minimiser le chiffre
des défenseurs qui furent mis à mort. « Le meurtre n'y a pas esté
si grant qu'on a fait bruit, écrivit J aeques de Somere à Davison, il y
peut avoir eu quelques 300 ou 400 de tuez en la furie. » (155). Le
conseiller d'AssonviHe parle de 500 à 600 morts (156).
Nous sommes 'en tous les cas loin, en nous fiant à ces estimations
faites par des témoins ou par des gens bien informés, du chiffre de
18.000 que certains citent où propos du sac (157) et il ne semble point
- comme on l'a prétendu - que la ville fût « vidée de ses habi-
tants »et repeuplée par des gens venus de Liège ou d'ailleurs.
L'examen des registres paroissiaux a montré, en tous cas, que l'on
trouve les mêmes noms de famille après et avant le siège; que les
membres du conseil de la ville, les doyens des gildes, les messagers
municipaux, les chefs des institutions charitables, les boulangers, les
brasseurs, les marchands de vin, les bouchers, sont les mêmes après
comme avant la prise de la cité (158).
Les pertes subies pendant le siège furent de 7.000 à 8.000 per-
sonnes du côté des défenseurs, tués par le feu des mousquets, des
arquebuses 'et de l'artillerie (159). Parmi les morts se trouvaient
1.700 femmes (160) . Nous croyons qu'on peut vestimer à environ
10.000 le nombre de tués ou de morts, ce qui représente à peu près
le tiers de la population de Maëstricht.
Les pertes de l'armée assiégeante en tués s'élevaient, à en croire
des témoins bien informés, à 2.500 hommes, dont 37 officiers et le
général de L'artillerie, Gilles de Berlaymont (161).
Il s'en fallut de peu que Farnèse lui-même ne mourût. Le bruit
de sa mort courut pendant quelques jours à Anvers et dans les
milieux des 'États Généraux (162). Quoique malade, il avait pu conti-

(154) « Mataronse 900 a mil hombres ». Lettre du 29 juin 1579 {B. N. P., ms. espagnol
:182, r- 289VO); Libro de las cosas de Puuuie», loc. cit., fO 194..
(155) KERVYN DE LE'ITENHOVE, Relations politiques ..., t. XI, p. 377.
(156) Lettre à Marguerite de Parme, Cologne, 9 juillet 1579 (A. F. N., Carte [œmesume,
FiantJ,ra. fasclo 1629).
(157) THOMASSEN. o. C., p. 105.
(158) THOMASSEN, o. C., p. 104...
(159) Liber retatumum, f· ss=.
(160) STRADA, o. c., t. III, p. 186.
(161) Liber relationum, fO 68.•0; STRADA, o. C" t. III, p. 186.
(162) Liste des morts envoyée à Davison, dans Foreign Calendar, Elisabeth, 1579-1580,
-TI. 20; ibktem, n- 9.

188
nuer à vaquer à ses besognes, couché dans sa tente: Le jour de la
prise de Maestricht, il put ainsi annoncer la bonne nouvelle au Roi:
il terminait sa lettre en disant que, depuis quatre jours, il était obligé
de garder la chambre, à la suite d'un catarrhe qui lui avait occa-
sionné de la fièvre, mais que, après avoir pratiqué une saignée et une
purge, il se sentait mieux (163).
Pour faire connaître la bonne nouvelle et fournir des détails sur
l'important fait d'armes, le prince envoya Cristobal de Mondragon
au Roi d'Espagl1e, et le capitaine Ercole Magno au pape Gré-
goire XIII, à son père Ottavio et à Marguerite de Parme, ainsi qu'aux
autres princes d'Italie (164).
Mais, tout de suite après, la maladie s'aggrav.a. Dans la nuit du
30 juin, l 'entourage du prince crut qu'il allait mourir. La fièvre pour-
prée couvrit son corps de stries violettes et lui donna du délire. Cinq
médecins furent appelés autour de son chevet : le médecin du prince-
évêque de Liége, celui de l'Electeur de Cologne, deux médecins atta-
chês à la maison de Farnèse lui-même et celui qui avait soigné Don
Juan d'Autriche. La vue d'une tumeur très grosse et enflammée dans
Ia région des reins fit supposer aux praticiens qu'il s 'agissait de la
peste ou de quelque maladie. analogue (165).
Jugeant le cas extrêmement grave, les médecins exigèrent qu'on
laissât le malade dans la plus grande tranquillité .. Le conseil de
guerre se réunit dans la tente de Pierre-Ernest de Mansfelt et il
fut décidé de dresser un acte, par lequel le prince de Parme remet-
tait la charge des affaires au Conseil d'État, pour la durée de sa
maladie, et pour le cas où il mourrait (166).
L'entourage de Farnèse ne gardai t,en effet, pas beaucoup
d 'espoir au sujet de sa guérison. Le 2 juillet, Ottavio Gonzaga
adressa une lettre à Philippe II pour lui dire qu'il ferait bien de
songer à nommer un successeur du prince, pour parer à toutes les
éventualités, et de donner des ordres aux marchands qui étaient
prêteurs du Roicûn qu'ils payassent les cêdules {167).

(163) Lettre de Maestrioht, 29 juin 1579 (8. N. P., me. espagnol 182, fo 289ro); Cosimo
i\fasi à Pico, Maestrlcht, 22 juillet 1579 {A. F. N., Carte fwrnesiane, Fia.ndra, fascio 1644).
(164) STRADA, o. c., t. III, p. 187; Lettre de Cosimo Masl à Pico, 30 juin 1579, et de
Paolo Rinaldi, du 11 juillet 1579, dans A. F. P., Carteggio tarnesiano, carteggio 1578-1579.
(165) Liber relationum, r- 69.
(166) Lettre d'Andres de Prads au Roi, Maestricht, 10 juillet 1579 (H. N. P., ms,
espagnol 182, r- 289 vOl ; Lettre de Ganzaga au Roi, Maestricht, 2 [utllet 1579 {A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 13, fo 1); Libro de tas cosas de Flan.des, fO 19/1"0.
{167) Loc. clt,

189
Le5 juillet, Gonzagaconfirmait au Roi qu'il n'y avait plus
aucun espoir et quîà Madrid on devait tenir prêtes les patentes de
nomination (168).
Cependant, les médecins s'étaient décidés à ouvrir l "abcès du
malade. Après cette opération, celui-ci se sentit mieux; la fièvre
diminua et bientôt tout danger de mort avait disparu. Une longue
convalescence allait suivre jusque vers la fin du mois de juillet (169).
,~~
'x: :::1

La nouvelle de la prise de Maestricht fut reçue en Espagne avec


une joie intense. Nous avons une indication intéressante de l'impor-
tance' qu'on y attribua à cet événement dans le fait suivant. Les
moines hiéronymites que Philippe II avait installés à I'Escurial
avaient parmi eux un chroniqueur, le frère Juan de San Geronimo,
qui ne notait dans ses mémoires, en fait d'événements 'extérieurs à
l 'histoire du monastère, que les plus saillants et les plus exception-
nels. Le frère Juan avait ainsi inscrit la date de la bataille de
Lépante. Il s'empressa de noter aussi la prise de Maëstricht : « Le
8 juillet 1579, on prit la ville de Maestrieht (ln Flandre pour le Roi
Don Philippe, notre maitre, étant capitaine général le prince de
Parme, son neveu.» (170).
Aux Pays-Bas, la perte de Maëstricht provoqua un peu partout
une émotion considérable, et particulièrement à Anvers. Déjà à la
fin de juin, le peuple de cette ville avait commencé à murmurer contre
le prince d'Orange parce que rien ne se faisait, semblait-il, pour
secourir la place (171). Lorsqu'on apprit la nouvelle du S'ac et des
massacres qui avaient été commis par le vainqueur, ce fut une
soudaine explosion de fureur. On en rendit responsable le Taci-
turne (172), disant que le prince avait assuré qu'on pouvait secourir
Maestricht moyennant une somme de 50.000 florins, que les villes de

{168) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, r- 17.


(169) Liber retauonum, fo 69vO _69'°,.
(170) Memorias de (ray Juan de .San Geronimo, p. 268.
{i7f) Rossel à Walsingham, Anvers, 25 juïn 1579 (Foreign Calendcl1', Elisabeth 1578-1579,
n° 695).
(172) Le 3 juillet, Charles de Croy écrivit aux Eta:ts Généraux: « Pleust à Dieu que
les vtlles eussent falot Ie devoir tant d,e furnir argent que de demeurer [omctes à la
généralité ainssy que la ville d'Anvers, 'j'espereroy que la ville de Maestricht serott encore
nostre. » (KEII.VYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, o. C., t. I, p. 397). Les Gantois avaient
refusé de contribuer 'au secours de la ville de Maes·tl'lchtaussi .longtemps que les /lfalcon-
tents seraient en Flandre.

190
« la généralité » en avaient fourni 250.000, et que ces sacrifices
avaient été vains. Aux réclamations s'ajoutèrent les calomnies.
N'avait-on pas employé ces deniers, destinés aux vaillants défen-
seurs de la ville assiégée,. à acheter en France des seigneuries pour
la princesse d'Orange, afin qu' elle en disposât pour ses mignons?
Un moment même, le tumulte faillit touruer au tragique : le peuple
voulut massacrer ceuxqu '11considérait comme étant coupables. Les
colonels de la ville d'Anvers se virent obligés de mener en prison, en
pleine nuit, le seigneur de Fresin, afin d'éviter que le peuple ne le
tuât. Les portes de la ville furent fermées et des mesures extraordi-
naires d'ordre durent être prises (17.3).
Ainsi, une fois de plus, comme après la défaite de Gembloux, le
peuple cherchait des victimes et découvrait partout des traîtres (174).

Si, dans les rangs des adversaires de Farnèse, la discorde s'était


ainsi mise, menaçant de mettre en péril l'autorité du prince d'Orange,
dans le camp espagnol devant Maestrieht, tout n'était pas non plus
en ordre parfait. Pendant la maladie du prince de Parme, de nom-
breuses disputes avaient éclaté entre les chefs de l'armée. Mansfelt
et Gonzaga s'étaient violemment querellés; une discussion orageuse
avait opposé Don Hernando de Tolède et Robles de Billy. La faute
en était, semble-t-il, à Gonzaga qui, convaincu que le prince de Parme
ne guérirait pas, avait commencé à répandre des bruits désobligeants
et à exciter les passions. Cet ambitieux, qui se savait très aimé des
Espagnols parce qu'il avait été élevé à la cour d'Espagne, s'arro-
geait plus d'autorité qu'il n'avait en réalité et se trouvait continuel-
lement aux prises avec Mansfelt,
Le prince de Parme intervint: il obligea Gonzaga à céder, et
imposa silence à tout le monde (175).
Pendant la maladie du gouverneur général, le conseil d'Etat
avait décidé de placer à la tête du gouvernement de Maestricht Mon-
tesdoea, qui avait rempli cette mission autrefois déjà, et de mettre

(173) Rossel à Walsingham, Anvers, 3 Jumet 1579 (Fore.ign caienaar, Elisabeth, 1579-
1580, n- 5).
(174) « (La prise de Maestrleht] a causé une grand' frayeur en ceste ville et altéra-
tion entre le peuple qui sont en authorité, les accusant de trahison ... Il est malaisé que
le peuple ne descharge sur quelqu'un ». Lettre écrite d'Anvers à W. Davison, 3 juillet 1579
lKERVYNDE LETl'ENHOVE,Relations politiques ..., t. XI, p. 373). - Voyez le récit très typique
de l'auteur des Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas, t. IV, pp. 191-194.
(175) Liber relationum, tos 69"°_70.

191
dans la ville une garnison de -huit compagnies d'Espagnols, deux COIIl-
pagnies d'Allemands et trois compagnies de Wallons. 11avait aussi été
convenu quePierre-Erneet de MansfeIt partirait avec la plus .grande
partie de Parmêe vers la Gueldre, en suivant le cours de la Meuse
jusque près de Venloo. Arrivé là, il devait agir selon les eireen-
stances, observantIes sentimentades gens de cette région; essayant
de -se .rendre maître de l'une ou de-l 'autre place, _etencourageant par
sa présence les catholiques _de Frise, dont _on"savait qU'ils. Il~atten~
daient qu'une occasion propice pour se déclarer en faveurduRoijl'[S).
Ces' mesures ne purent être exécutées, à·
cause de l'indiscipÜn.e
qui se manifestait dans une partie de Parmêè: Les reîtres et 1'infan-
terie allemande refusèrent de bouger, si on ne leur payait immédia-
tement l'arriéré qui leur était dû. Déjà pendant le siège de Maes-
tricht, les Allemands n'avaient pas craint d'abandonner les travaux
ordinaires du camp et d'affirmer que, si on ne leur payait leur
. -

solde, ils ne se défendraient pas contre l'ennemi. L'exécution


par-pendaison de quelques mutins n'avait produit aucun effet. Le
prince de Parme avait alors envoyé à Cologne Gaston de Spinola
pour y obtenir de l'argent en prêt de la part du duc de 'I'erranova,
et il avait mis en gage à Liége une grande partie de sa vaisselle
d'argent et de son équipage. A l'aide des sommes ainsi recueillies,
il avait pu apaiser pendant quelque temps la mauvaise humeur des
compagnies allemandes (177). Maintenant que le siège était terminé
et que la maladie du prince avait eu pour effet un relâchement de
la discipline, les quémandeurs revinrent à la charge, Farnèse décida
de ne pas céder à leurs menaces et de les faire assiéger dans leur
quartier par le reste de ses troupes, afin de les affamer et de les
amener à résipiscence. De plus, on craignait que, si la plus grande
partie de l'armée s'en allait, comme on avait cru pouvoir le décider,
du côté de Venloo, les mutins, en nombre considérable, auraient pu
s 'emparer de Farnèse malade et toujours retenu dans sa tente, et le
garder comme otage jusqu'à ce qu'on eût fait droit à leurs réclama-
tions. Pour ce motif, on ne fit partir que le comte de Rœulx avec ses
troupes wallonnes et sept compagnies de chevau-légers. Le reste de la
cavalerie légère, ainsi que les régiments espagnols et bourguignons
furent retenus au camp devant Maestricht, jusqu'au jour où

(176) Farnèse au Roi, Maestricht, 1& juillet 1579 (A. G. R., Copies de stmancas, vol, 13',
r- 25).
{177) STRADA, o. C., t. III, p. 147-14&.

192
Alexandre, guéri et ayant .recouvrê ses forces, pourrait faire S011
entrée dans la ville conquise et y serait à l'abri de toute entreprise
hostile de la part des Allemands mutinés (178).
Par suite de ces incidents, il fut possible au prince d'Orange de
prendre des mesures pour secourir Venloo menacée ,et y introduire
des renforts. Farnèse en conclut (179) que la petite armée du comte
de Rœu1x, qui s'acheminait dans cette direction, n'était pas assez
forte et lui envoya, pour en augmenter la force combattive, Pinfan-
terie bourguignonne, trois compagnies supplémentaires de chevau-
légers et deux cornettes de reîtres du baron de Billy, qui ne s'étaient
pas joints aux mutins.
En attendant l'arrivée d'une somme de 400.000 écus qu'on avait
sollicitée du duc de F'lorenee, des négociations furent entamées avec
les reîtres révoltés (180). Le 2 août, une partie des Allemands ren-
trèrent dans le devoir, parce qu'ils étaient affamés et qu'une maladie
pestilentielle s'était déclarée dans leur camp.
Entretemps, la santé du Prince de Parme était allée en s'amé-
liorant et le moment vint où il parut possible qu'il fît son entrée
solennelle à Maestricht. La nouvelle' de la guérison du prince fut
reçue par les soldats de son armée avec une joie presque enfan-
tine (181) et de toutes parts on se mit à faire des préparatifs pOUTle
grand événement, auquel on voulut donner un aspect de triomphe (182).
Le prince était trop faible pour monter à cheval; d'autre part,
il refusait de se laisser transporter en carrosse. On dêeidaelors de ie
porter dans un fauteuil d'apparat, qui fut garni de velours cramoisi
et de franges d'or, et que l'on surmonta d'un petit baldaquin de
même couleur.
Le 21 juillet, un cortège militaire se forma au camp pour cher-
cher le prince de Parme dans ses quartiers et le conduire en grande
pompe à Maestricht. Farnèse avait revêtu pour la circonstance un

.(i 78) Farnèse au Roi, lettre citée ; Libro de las cosas âe Ftasuies, fo 19",'0.
(179) Farnèse au Roi, Maestrtcht, 19 julll'et 1579 (GACHARD, Correspondance d'Alexandre
Farnèse, loc. cit., pp. "'62-"'63).
(180) Farnèse au Roi, lettre ciMe •. Gonzaga au Roi, 2 août 1579 (A. G. IL, Copies de
Simancas, vol. 13, r- 47).
(181) Lettre de Cosimo Masi, Maesèrlcht; 11 juillet 1579 (A. F. N., Carte farnesiane,
J.'iandra, rascto 1646); Lettres de Benedetto Giandemarla et de Pompeo Siripando, de
Maestrlcht, juillet 1579 {A. F. P., Carteggio Farnesian», Paesi Bassi, carteggto 1578-1580).
(182) Lettres de Cosimo Masl à Pico et à Nuccio Sirigattl, 22 juillet 15-79 {A. F. N.,
Carte tamesiane, Fiandra, rasoto 1644).

193
costume de velours etde damas cramoisi,garni dorriements d'oret
d'argent et de joyaux précieux. Par-dessus ce vêtement, il portait
une robe de damas azur, relevée de fourrure de loup cervier. Il était
coiffé d'un chapeau d'armoisin, orné de plumes jaunes, blanches et
bleues - les couleurs de la maison Farnèse. En mains, il tenait son
bâton de capitaine général. On le fit asseoir dans le fauteuil de
parede.et des capitaines espagnols, qui avaient réclamé. ce privi-
lège, le hissèrent sur leurs épaules. Le cortège se mit en marche,
accompagné de tous les soldats de l 'arméa.des maîtres de camp, des
colonels et des capitaines qui formaient une sorte de garde d'honneur,
au son des tambours et des trompettes} au milieu de décharges de
mousquets et de salves d'artillerie. Sous le baldaquin qui le couvrait,
le vainqueur de Maestricht apparut au milieu de ses troupes,
pâle comme un mort et la figure ravagée par les soucis et la
maladie (183).
On le fit passer par le pont de la porte de Bruxelles, à travers les
ruines des tours, des bastions et des murailles écroulées. Par la
brèche qui avait livré la ville aux assiégeants, le cortège pénétra,
reçu par les soldats de la garnison, en grande tenue. Farnèse, en
arrivant dans les rues, ornées de frondaisons et de fleurs par les s'Oins
de S'eshommes, vit s'avancer au-devant de lui le groupe du clergé, du
magistrat et des principaux bourgeois survivants, qui lui firent hum-
blement leur soumission, et qui implorèrent sa clémence, réclamant
sa protection contre les insolences-et les excès des soldats (184).
Aussitôt, le prince donna l'ordre de publier un édit interdisant 'le
pillage des maisons, la mise à rançon des habitants, les injures à la
population. Cette défense était faite' sous peine de mort. Ordre fut
donné aussi, sous menace de châtiment en vertu des règlements mili-
taires, de renvoyer chez eux les femmes et les enfants que les soldats
gardaient encore prisonniers (185).
Le clergé conduisit ensuite le prince de Parme à l'église de Saint-
Servais, où il pria dévotement et où il fit chanter _,en musique :un
solennel Te Deum. Après cette cérémonie, ses forces le trahirent et
c'est en donnant tous les signes d'une grande lassitude qu'il alla
se reposer dans les quartiers qui lui avaient été réservés (186).

(l83) Libel' relationum, fo 70: « con facia smorta et. moltoestenuata ».


(184) Liber relationum, r- 70.
{185) STRADA, o. c., t. III, pp. 185-186.
(186) Liber 1'elationum, r- 71.

194
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FARNÈSE pow1'É '1'HIo~rPI-IALI~~ŒN'1' PAH SI':S S01,DA'1'S ~
VEHS ~fAl~S'l'RICTT'l' CONQUlSE

(Gravure de R. de Hooghe, daprès le capilaine-ingénieUl' Lcdcsma.)


11avait droit à quelque repos (187). TI avait réussi, malgré toutes
les difficultés, à atteindre les deux buts principaux qu'il avait eus en
vue dès son avènement comme gouverneur général. Maastricht appar-
tenait désormais au Roi, sans que le prince d'Orange eût pu conjurer
cette catastrophe (188). D'autre part, avant la prise de la vine, la
réconciliation des provinces wallonnes avait fini pal' se conclure
définitivement.

(187) Le 12~eptembre, le Roi lui écrivit : « Puisqu'il a pIeu à Dieu le Créateur vous
remettre en convalescence, je vous prie aultant arïeotueusement que je puis que vous
tenez soin de votre personne, évitant que pour trop travailler et sourtrir malaise, vous
ne vaillez pis. » (GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse, 100. cit., p. 1!73).
(188) Le travail de C. NA'fHAN, Die Belagerung von Maestr!cht im Jahre1579, publié dans
les Publications de la société historique et. archéologique dans le Limbou1'g, t. XXXXVII,
1901, pp. 353-368, ne contient rien d'original et n'a pu en rien nous servir.

195
CHAPITRE VI.

LA RÉCONCILIATION DES PROVINCES WALLONNES


(juin-octobre i579)

Les efforts déployés' par Farnèse pour se rendre maître de


Maestrlcht ne lui avaient pas fait oublier la politique et ne l'avaient
pas empêché de continuer à négocier avec les provinces wallonnes.
Avant même que les Espagnols ne pénétrassent dans la ville le jour
de la fête de Saint Pierre, les délégués des Wallons étaient venus au
camp pour débattre avec le prince les dernières modalités du traité.
On se rappellera qu'au début d'avril 1579, les commissaires que
le prince entretenait à Arras s'étaient réunis avec les délégués de
1'Artois, du Hainaut et de la Flandre « gallicante » pour discuter les
premières bases d'une convention qui devait les séparer de « la génê-
ralité ». Le 4 avril, on était d'accord sur les points principaux, c'est-
à-dire la ratification, par le Roi, de la Pacification de Gand, de
l'Union de Bruxelles et de l'Edit perpétuel, moyennant l'observance
de la religion catholique et l'obédience due au souverain. Cependant,
une discussion surgit soudain au sujet de la formule « comme du temps
de feu l'Empereur ». Cette formule, nous l'avons dit, .avait déjà été
critiquée par les États Gênêraux dans la réponse faite par eux aux
offres de réconciliation de Farnèse. Ils l'avaient interprétée comme
si elle signifiait: « le maintien des placarts comme au temps de
Charles-Quint ». Les députés réunis à Arras, influencés sans nul
doute par cette interprétation des États Généraux, le comprirent
aussi de cette manière (1).
{1) Les commissaires de Farnèse à celui-ci, Arras, 4 avril 1579 (A. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, registre 192, r- 63); Farnèse au I\Ioi, 17 avril 1579 (GACRAM,
Correspondance d'Alexandre Farnèse, loc. elt., p. 446).

196
Les commissaires du prmce de Parme purent assez facilement
redresser cette erreur,
Gomme les députés de Valenciennes et de Tournai ne s'étaient
pas encore présentés à l'assemblée, Selles, Moulart et Valhuon leur
envoyèrent des gens de conûanee pour les induire à venir se joindré
aux représentants des autres régionswaUonnes. Ils écrivirent aussi
une lettre au sénéchal du Hainaut, pour .luifaire espérer que le Roi
le. confirmerait dans son poste de gouverneur de Tournai, s'il C011-
sentait à se réconcilier avec le souverain et à observer le maintien
de la religion catholique et de l'obédience. Capres et le vicomte de
Gand secondèrent cette action de toute leur force (2).
Le 5 avril, les commissaires de Farnèse s'étaient rendus à Mont-
Saint-Eloi pour y signer l 'accord conclu avec Montigny pour la
rentrée des Malcontents au service de Philippe II. Pendant qu'ils y
étaient encore, le 7 avril, Capres et le vicomte de Gand vinrent les
avertir que de graves difficultés avaient surgi et que les négociations
étaient en danger d'être rompues (3). Les commissaires se transpor-
tèrent tout de suite à Arras. Ils y apprirent qu'un certain nombre des
députés, travaillés sans doute par la propagande du prince d'Orange,
exigaient que l'on maintînt l 'archiduc Mathias en sa qualité de
gouverneur général des Pays-Bas. A cette prétention,ils opposèrent
une fin de non recevoir absolue, affirmant. que jamais ni le Roi ni le
prince de Parme ne consentiraient à accorder ce point. Ils déclarèrent
qu'ils seraient plutôt prêts à tout rompre et partir. La majorité de
à

l'assemblée les soutint, mais la minorité së démena si énergiquement


que les négociations durent être provisoirement suspendues. On ne
les reprendrait que le 14 avril. Entretemps, Ies députés du Hainaut
et ceux de Lille iraient reprendre contact avec leurs commettants (4).
Sur les pressantes insistances de Capres et du vicomte de Gand,
qui avaient affirmé qu'ils emploieraient corps et biens pour arriver
à la réconciliation, les commissaires avaient fini par consentir à ce
délai. Ils s'en excusèrent auprès de Farnèse.
Cependant, l'abbé de Saint-Bernard et le marquis de Havré, les
deux députés des États Généraux qui étaient retenus à Arras presque

{2) Ibidem; Alexandre Farnèse à .Capres, 6 avril 1579 (L. VAN DER ESSEN, Correspon-
tumces d'Alexandre Farnèse avec le comte de Bénin, lac. cit., pp. 394--395).
(3) Les commissatres à Faenèse, Mon.t-Saint-Eloi,.7 avril 1579 (A. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, registre 192, fO 66).
(4) Les comsnissairea à Farnèse, Arras, 13 avril 1579>(A. G, R., Papiers d'Etat et
d'Audience, reg. 192, fo 66"0); Les mêmes au même, 27 .avril 1579 (ibidem, fo 70).

197
comme otages en·attendant que fût levé le séquestre mis à Gand et à
Anvers sur les biens des marchands des provinces wallonnes, s'étaient
enfuis et s'étaient réfugiés à Cambrai (5). De là, ils intriguèrent
auprès du comte de Lalaing, d'accord avec le seigneur d'Inchy, gou-
verneur de Cambrai, et parvinrent à le ramener à des sentiments
nettement hostiles au traité. Ils y parvinrent d'autant plus facile-
ment que Lalaing venait dintereëpter des dépêches chiffrées, qui
étaient adressées à Alexandre Farnèse. Flairant quelque secret
important, Lalaing les avait envoyées au prince d'Orange pour les
faire déchiffrer (6). Lorsqu'on les eut examinées, il apparut qu'elles
contenaient la correspondance d'Alonzo de Curiel, agent de Farnèse
auprès de La Motte, et qu'elles fournissaient la preuve irrécusable
de la mauvaise foi des Espagnols dans l'accomplissement des enga-
gements qu 'ils avaient contractés avec les M alconienis. Lalaing fut
immédiatement averti de ce fait par l'archiduc Mathias .. En même
temps les États Généraux conçurent l'espoir, e11dévoilant le contenu
des lettres de Curiel, de ramener à eux les M olconients. Ils chargèrent
le seigneur de Crunynghem d'en porter le texte aux chefs wallons et
Pautorisêrent à entamer avec eux .de nouvelles négociations (7).
Cette affaire vint compromettre dangereusement les négociations
d'Arras. Lalaing, heureux de trouver ici l'occasion de reprendre son
opposition, travailla immédiatement le peuple du Hainaut, surtout à
Bouchain, Landrecies, Avesnes, Le Quesnoy, pour l'engager à rester
fidèle à l'archiduc Mathias et à ne pas se séparer des États Géné-
raux. D'autre part, les délégués de Farnèse purent craindre que
l'accord avec les M alcontents ne se rompît; il ne devait entrer en
vigueur que si l'on arrivait à réaliser la réconciliation des provinces
wallonnes. Or, les révélations apportées par la correspondance inter-
ceptéede Curiel avaient naturellement mis Montigny en fureur et
l'avaient complètement retourné (8).

{5) Les commissaires à Farnèse, 7 avril 1579 (Loo clt.).


(6) Lalaing au prince d'Orange, Mons, 19 avril 1579 (KERVIJN DE VOLXAERSBEXEet
DIEGERICK,Documents historiques inédits, t. I, p. 248, no CXLIV). On sait que Marnlx
de Sainte-Aldegonde, le consell1er du Taciturne, était très expert en déchiffrement. Les
Archives Générales du Royaume à La Haye contiennent nombre de déchltïrés de lettres
du prince de Parme, interceptées, et dont Marnix découvrit la clef, -(Communication
faite par feu A. Elkan).
(7) Mathias à Philippe de Lalaing, Anvers, 23 avril 1579; Mathias au seigneur de Hèze,
même date; Instructions au seigneur de Crunynghem {KERVYN DE VOI.KAERSBFJlŒet
DIEGERICK,o. C., t. I, pp. 253, no CXLVII, 255, no CXLVIII, 256, no CXLIX).
(8) GROENVANPRlNSTERER, Archives ..., t. VI,. p. 606.

198
J.ieprincecle Parme, abstraction f!i;ite.deCés .nouvelles difficultés,
n'entrevoyait d 'ailleurs pas sans crainte Pexéeution de l'accord avec
Montigny. Se fondant sur le texte d'une lettre du Roi en date-du
3 janvier, où Philippe II assurait les seigneurs et les villes d'Artois
qu'il ne leur impos-erait pas de soldats étran:gers,nil;\is qu'il Ïerllit
sortir les troupes du pays aussitôt que~elu~-ci, aurait des .forces
nationales sufflsantes pour se garantir contrePinvasion d'Ora~ge et
de ses partisans, La :Motte avait sollicité de Farnèse une réponse
précise surce point, en vue ,de l'exécution de la convention de Mont-
Saint-·Éloi.
Ne sachant PaS quelle était, en cette matière la pensée du Roi, le
prince -de Parme avait répondu par des généralités et des déclara-
tions vagues qui ne pouvaient le compromettre. Mais il supplia
immédiatement" Philippe II de lui faire connaître ses intentions, non
sans lui faire comprendre qu'il redoutait beaucoup le départ des
Espagnols (9).
N'oublions pas, en effet, qu'il venait de subir l'échec du premier
assaut de Maestricht et que, plus que jamais, il se rendait compte
qu 'avec les Wallons et les Allemands seuls, il ne viendrait jamais à
bout de la résistance de ses ennemis. Lui-même e,t Ottavio Gonzaga
avaient répété au Roi que les troupes espagnoles et italiennes consti-
tuaient le « nerf de l'armée », sans lequel il ne fallait pas espérer
continuer la guerre (10).
Aussi, devant la hâte que ses commissaires avaient mise à con-
clure l'accord avec Montigny et à traiter des articles de la réconci-
liation avec les provinces wallonnes, il se sentit extrêmement mal à
l'aise. Ce n'était point cela qu'il avait voulu. TI n'av:ait envoyé ses
délégués que pour « attirer les députés d'Artois et des autres pro-
vinees» et les faire venir vers lui; c'est en sa présence que devraient
être débattus les points précis de la réconciliation. Les commissaires
n'avaient qu 'à amorcer cette prise de contact et ne pouvaient se
substituer' à lui (11).
Aussi, en apprenant qu'ils étaient déjà occupés à débattre à
Arras les divers' articles du traité, il s'empressa de les rappeler à

(9) Farnèse au Roi, Maestricht, 17 avril 1579 (GACHARD.Correspondance d'Alexandre


Farnèse, lac. cit., pp. 447-448).
(10) [Les Espagnols] Son el frel desta valanga -y el freno solo de los enemigos y aun
tambten de la proprla gente ... alemana -y valona » Farnèse 'au Roi, 12 avril 1579; Gonzaga
au RoI, 13 avril 1579 (JI.. G. R., Copies de Simancas, vol, 12, fO. 137 'et 145).
(11) Farnèse. au Roi, 17 avril 1579 {Loc. cU.).

199
l'ordre. Mais, puisqu'ils étaient engagés fort avant dans les négocia-
tions, il ajouta qu'il espérait bien qu'à leur retour,ils seraient en
mesure d'invoquer des raisons sérieuses pour justifier cette manière
d'agir. TI leur donnait comme instructions de ne rieupromettreà la
légère en ce qui regardait le renvoi des troupes étrangères, la ques-
tion des nominations faites par les 'États et celle du poste de gouver-
neurgénêral, l'institution du nouveau Conseil d "État, la suspènsion
des placards (12). Le lendemain, il revint à la charge : ses délégués
devaient lui laisser l'examen de tous les points en litige et provoquer
au plus tôt l'envoi, chez lui, des députés des provinces wallonnes pour
entendre, sur l'ensemble des questions, son opinion personnelle {13),
On comprend d'autant mieux que le prince de Parme voulait en
ce moment empêcher ses commissaires de s'avancer trop loin, qu'il
venait,enfin, de recevoir copie des instructions secrètes du duc de
Terranova (14).
TI savait, après plusieurs mois d'incertitude, quelle était l'idée
de Philippe II sur les points les plus importants de la question de!
la réconciliation avec ses sujets! TI est vrai que cette instruction
avait été dressée le 8 septembre 1578 (15), à une époque où Don Juan
vivait encore, et que certains passages n'avaient par conséquent plus
de valeur. Mais Farnèse y apprit cependant à connaître l'opinion du
souverain sur quelques-uns des problèmes soulevés par les négocia-
tions avec les Wallons.
Dans cette instruction, que 'I'erranova devait employer pour se
guider au Congrès de Cologne, le Roi insistait, comme toujours, sur
la nécessité de garder intacte l'observation de la religion catholique
et ,le maintien de l'obédience. Aux Pays-Bas, la religion catholique
devait être professée «en tout et pour tout» dans les matières qui en
constituai-ent la substance . Sur les points qui ne concernaient que l'ap-
plication politique et humaine des matières religieuses, le Roi laissait
une assez grande latitude. La question de la suspension des placards
devait être traitée selon les circonstances du moment et, si l'on s'en
tenait aux deux points de l'obédience et de la religion, il ne fallait pas
provoquer, dans ce domaine, la rupture des négociations. TI fanait

(12) Lettre du 14 avril i(A. G. R., Copies de Simancas, vol, 12, r- 68).
(13) Lettre du 15 avril (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12 fO 68vo).
(14) Farnèse au Roi, 16 avril 1579 i(A. G.Ri., Copies de Simancas, vol. 12, fo 157).
(15) lnstruccum y advertimiento secreto de como vos, el Illustre Don Carlos de Aragon,
Duque de Terranova, nuestrc primo, os habeis de gobernar en la cornision que Uevais,
nuestra sobre las cosas de Flandes (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, fO 60).

200
essayer de faire annuler le chapitre de la Paciûeationde Gand où
il était question d' « union et ligue entre les Etats », sans toutefois
exposer pour cela la réussite des tractations. Le Roi ne: tolérerait
pas que Mathias restât comme gouverneur généraI. Le duc de Terra-
nova pouvait promettre la nomination d'un nouveaugouverneur, de
sang royal,' mais devait laisser le choix de la personne au Roi, que
cette question regardait seul.
Dans l'instruction de Terranova, Farnèse ne trouvait cependant
aucune indication au sujet du départ des troupes étrangères. Or, cette
question-là le préoccupait avant tout; elle était rendue, primordiale,
à la fois par les événements du siège de Maestricht et par les en-
genees des Wallons. Aussi, le 1,6 avril, il résolut d'en écrire longue-
ment au Roi (16).
TI lui signalait que les Wallons prétendaient pouvoir réclamer
le départ des troupes étrangères, en se fondant sur la lettre écrite
l'e 3 janvier par Philippe II. D'après eux, soldats espagnols, italiens
et bour.guignons devaient partir immédiatement après' la conclusion
du traité, les forces du pays étant suffisantes pour combattre « les
hérétiques ». Le prince de Parme estimait qu'il ne pouvait faire
aucune ouverture sur ce point, avant de connaître la résolution que
prendrait l'assemblée d'Arras au sujet de la réconciliation. A son
avis, le Roi ne devait pas se montrer si large vis-à-vis de gens si
intéressés : « jamais ils n 'entament la discussion d'un point pour
s'en contenter, mais aussitôt ils passent à de nouvelles exigences »;.
La lettre royale du 3 janvier disait, sans doute, que le souverain
ferait partir les Espagnols dès que les troupes nationales se révéle-
raient suffisantes, mais 'Ondevait aussi inférer de son texte que les
Espagnols ne devaient pas' quitter les provinces non réconciliées
aussi longtemps que les partisans fidèles du Roi ne ser aient pas plus
forts que les rebelles. Or, les Wallons interprétaient la lettre de Phi-
lippe II comme s'il était entendu que les soldats étrangers partiraient
tout de suite. S'il en était ainsi, le Roi avait à fournir immédiate-
ment l'argent pour payer les troupes nationales. Dans ce cas, la
guerre durerait indéfiniment, car les grands seigneurs qui comman-
deraient ces soldats la poursuivraient sans fin, dans leur intérêt per-
sonnel et pour leur avantage. Si, d'autre part, le souverain ne four-
nissait pas cet argent, ces chefs se rendraient libres et indépendants
comme les cantons suisses ou les villes impériales d 'Allemagne.

(16) Loc. cit., fo 15.

20i
Dans cette même lettre, Farnèse signalait combien il était
difficile de satisfaire les nobles qui étaient restés fidèles depuis
toujours et qui vivaient autour de lui. O€S gentilshommes, parmi
lesquels' M. de Vaulx .était le plus en vue, s'estimaient lésés; ils
avaient, en continuant à suivre le" parti du Roi, perdu tous leurs
biens et ils étaient aigris dé voir' que' ceux -qui s'étaient mis en
rébellion, mais qui voulaient maintenant se réconcilier, étaient pré-
férés et gavés de récompenses. Ils avaient appris, eneffiet, que le
vicomte' de Gand venait de recevoir saconimission de gouverneur
du' pays et comté d'Artois et que le Roi érigeait sa terre de Riche-
bourg-en marquisat. Non content de cette libéralité,le vicomte avait
encore réclamé le gouvernement de Hesdin, qui lui avait été promis
naguère par Don Juan (17). Capres n'avait pas voulu recevoir une
donation dé biens, mais Farnèse lui avait promis la concession d'un
titre; s 'il ·lé désirai t (18).
~Le: prince de Parme avait à peine écrit au Roi la lettre du
16"avril au' sujet du départ des' troupes étrangères, qu'il lui en
expédia une' autre, dont le contenu est extraordinaire et dont le motif
nous échappe, à première vue. Elle est datée du 18 avril,
Après avoir affirmé qu'il n'y a rien à attendre des négociations
pour la 'paix générale qui avaient commencé à Cologne, Farnèse
exprime l 'avis que"le recours à la guerre et la formation d'une nou-
velle armée d'Espagnols, d'Italiens et d'Allemands sont des moyens
peu sûrs pour atteindre le but qu'on se propose. Le Roi ne pourra
continuer encore longtemps son effort financier et il faudra bien
renoncer aux moyens violents. « Toute cette engeance est tellement
obstinée, depuis le plus grand jusqu'au' plus petit, depuis le sujet
fidèle jusqu'au traître depuis le catholique jusqu'à 1'hérétique qu'ils
ne veulent pas d'aide des Espagnols ou de soldats, étrangers. »
Le prince de P arme .a examiné la situation avec un certaân
nombre de personnes bien intentionnées et fidèles au S'el'vice du Roi,
pour trouver" un moyen d'en sortir: Les uns conseillent de se con-
tenter de mettre de bonnes garnisons dans les vines les plus impor-
tantes. En accordant ensuite un bon traitement à ceux qui veulent
se réeoricilîer avec Je. Roi,en recourant aussi aux bons offices des
seigneurs fidèles, en profitant du dégoût quinspire à tous indistine-

(17) De vicomte de Gand à Farnèse, Arras, 18 avril 15-79 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, registre 192. fo 69).
(18) Farnèse à Capres, Petersheim, 12 mars 1579 (L. VAN DER ESSEN, Correspoïuiances
d'Ale:candl'e Farnèse avec le comte de Hénin, .., loc. cit., p. 394).

202
toment la guerre et son cortège de misères, on peut espérer que les
autres se soumettront sans grandes difficultés. L'objection que l'on
pourrait élever contre ce système, c'est que les sujets fidèles et
réconciliés retomberont de nouveau sous le joug des E,sp.agnols; le
prince d'Orange pourra montrer aux autres à quoi ils s'exposent
s'ils se remettent sous l'obédience du Roi et les pousser ainsi à s·~
défendre jusqu'à la mort .
. Après mûre réflexion, le prince de Parme est disposé à admettre
plutôt la solution suivante. On pourrait 'engager les provinces fidèle'El
et cellesqui se réconcilieront à prendre en mains leur ~ropre défense
et à faire la guerre contre les autres, en leur propre nom iet pour le
maintien de l'obédience due au Roi d'Espagne. On les libérerait de
la présence des Espagnols et des autres étrangers, mais il se pourrait
bien que, à un certain moment, elles finissent par demander eHes-
mêmes le secours d'un certain nombre de soldats non nationaux.
Devant faire la guerre elles-mêmes, elles en supporteraient les frais
et le Roi n'aurait à intervenir que pour un tiers des dépenses.
Si l'accord que l'on est occupé à négocier avec les Wallons devait
se rompre, le Roi perdrait infiniment plus que s'il leur témoignait
la confiance proposée par le prince de Parme. Personne, dans
Pentourage de Farnèse, ne croit que, si on libère les provinces récon-
ciliées du joug des Espagnols, elles chercheront un autre seigneur,
et l'exemple des faveurs accordées à leurs chefs peut inspirer les
autres provinces à revenir à de meilleurs sentiments. Farnèse ne
suppose pas qu'on entreprendrait quelque chose au détriment de la
religion. Ce point pourrait d'ailleurs être laissé à l'appréciation du
Pape, avec lequel on en traiterait directement. Quant à la ratifica-
tion de la Pacification de Gand, on pourrait toujours « assainir»
cet acte en interprétant comme' il convient les clauscsqui. semblent
préjudiciables (19).
Les termes de cette lettre et les suggestions qu'elle contient
sont étonnants, si on se rappelle que le prince de Parme venait,
quelques jours auparavant, d'insister auprès de Philippe II pour
qu'on lui envoyât le plus d'Espagnols possible pour renforcer son
armée et qu'il avait toujours envisagé avec la plus grande appréhen-
sion le départ des soldats étrangers. Que s'était-il donc passé!
Le prince écrit-il ici sous l'impression du sanglant échec que, dix
jours auparavant, il venait de subir devant Maestrichtet les diffi-

(19) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo 1.71.

203
eultês qu'il rencontrait au siege de cette place lui avaient-elles
vraiment fait croire que la guerre n'était pas le meilleur moyen pour
arriver au but que le Roi s'était proposét
C'est la seule explication qui SB présente à notre esprit. Cette
lettre du 18 avril nous paraît en tous cas fournir la preuve que, en
ce moment, Farnèse se trouvait ballotté entre des sentiments con-
traires et qu'il ne voyait plus très clair dans là situation. N'écrit"il
pas, en effet, le 8 mai, que « des Wallons, il ne sait plus quoi
pens-er »?
Entretemps, à Arras, les commissaires de Farnèse continuaient
leurs négociations, sans se douter, semble-t-il, qu'ils 'outrepassaient
la limite d-e leurs instructions. Les députés du Hainaut et ceux de
Lille, après avoir pris contact 'avec leurs commettants, étaient reve-
nus à l'assemblée, mais sans avoir des instructions suffisantes. Une
nouvell-e discussion s 'engagea avec les délégués du prince de Parme.
Comme on ne parvint pas à se mettre d'accord, un nouveau délai fut
accordé par Selles, Moulart et V.alhuon, et les députés du Hainaut et
de Liile quittèrent Arras pour leurs provinces respectives (20).
En présence de 'ces tergiversations, Montigny intervint. La colère
qu'avait provoquée chez lui la communication des dépêches' inter-
ceptées de Curiel était tombée. A la demande du seigneur de
Crunyngem, lui proposant de passer aux États Généraux, il avait fini
par répondre évasivement, comme toujours. Se voyant sollicité par
les deux partis, il attendait son-heure pour se déclarer. Cette fois,
les États' Généraux résolurent de laisser la décision aux Quatre
Membres de Flandre: ceux-ci jugeraient s'il fallait continuer à
tenter Montigny ou si on devait, sans plus attendre, déclarer la
guerre aux M alconte1~ts. Les Quatre Membres se prononcèrent pour
cette dernière solution. La Noue reçut l'ordre d'entrer en campagne
et attaqua le château de Boesinghe (21).
Aussitôt, Montigny ee sentit pris de zèle pour ,la caUS'8,de la
réconciliation avec le Roi. Il se rendit, en compagnie du vicomte de
Gand ,et d'un bon nombre de gentilshommes, à I'assemblée des États
du Hainaut pour y offrir ses bons offices et les engager à ne pas
retarder la conclusion de l'accord avec Farnèse. D'autre part, il
envoya une troupe d'arquebusiers vers Cysoing, pour y disperser

{20) Les commlssalres à Farnèse, 20 avril 1579 (A. G, R., Papiers d'Etat et d'Audience,
reg. 192, fG 69 vOl.
(21) BUSSE1\lAKER, o. e., t. II, pp. 23'2-236,

204
quatre enseignes du prince d 'Orange qui voulaient surprendre
Douai (22). Les délégués du prince de Parme se rendirent à leur tour
à l'assemblée de Mons, en compagnie de Jean Sarrazin. Ils repro-
chèrentaux Hennuyers de vretarder les négociations par leurs
demandes successives, de délai et exposèrent tous les inconvénients
qJ.1Ï
'en résultaient.
Après de nouvelles discussions, l 'assemblée de Mons céda fina-
lementsur le point du maintien de l'archiduc Ma'thias comme gou-
verneur général des Pays-Bas. TI fut entendu qu'on le recommande-
rait à Philippe II pour un autre' poste important; en dehors de
Flandre.
D'autre part, si la majorité de Pas semblée était prête à accepter
le prince de Parme comme gouverneur, il y avait cependant une
opposition considérable, surtout de la part de Lalaing et de ses par-
tisans. Pour ne pas s'expos-er à voir rompre les tractations, les com-
missaires de Farnèse finirent par concéder que celui-ci ne resterait
gouverneur que pour un certain temps, jusqu'au moment où le Roi
se prononcerait au sujet des candidats proposés pour cette mission.
Sans doute, ils déclarèrent qu'ils n'avaient pas le pouvoir d'admettre
expressément l'article concernant la limitation de la durée du gou-
vernement de leur maître, mais ils s'engagèrent à prier celui-ci de
I'aceepter, par considération pour « les bien affectionnés » d"entre
les Wallons. Ceux-ci avaient laissé entendre aux délégués qu'au bout
de peu de temps, le prince de Parme aurait si bien réussi à gagner les
cœurs que l'on finirait par ne plus vouloir d'autre' gouverneur que
lui (23),
Une dernière difficulté avait surgi. L'assemblée avait exigé que
les gouverneurs des vines et des forteresses dans les provinces
réconciliées fussent choisis par le Roi parmi des personnes agréables
aux États et pour une durée de six ans au moins. Estimant que
c'était l'à une demande qui était étrangère aux clauses de l'Edit
perpétuel, les commissaires du prince de Parme la rejetèrent caté-
goriquement (24).
Le 30 avril, Jean Sarrazin prononça u:n discours habile pour
démontrer la nécessité de se réconcilier avec le Roi. A cause de leur

(22) Les commissaires à Farnèse, Arras, 20 avril 1579 (LOC. cit.).


(23) Lettre des commissaires du 27 avril 1579 (A, G. R., Papiers d'Etat et d'Audience,
reg. 192, r- 70).
(24) Même lettre.

205
ancienne 'amitié avec les États d'Artois, dit-il, les Êtatsdu Hainaut
devaient consentir à ce que ·le prince de Parme occupât -pendant six
mois la charge de gouverneur général. Us devaient aussi observer
l'article 6 de l'Edit perpétuel et admettre que Sa Majesté ne fût
liée qu 'une.eeule et unique fois par Ia volonté des États dans la
question de la nomination des gouverneurs des villes et -des forte-
resses (25).
Sarrazin ren(3ontra de .la part. deLalaing et de la grande majo-
rité de la noblesse, ainsi que: de la part de. la ville d'Ath, une forte
'opposition, mais I'ordreecclésiastique et la presque totalité des villes
se rallièrent à ses vues et. menacèrent les autres de passer outre (26).
Finalement, les partisans de la réconciliation L'emportèrent.
Le 13 mai, à Arras, à deux heures de l'après-midi, les États
d'Artois, de Hainaut et de Douai se déclarèrent d'accord avec les
commissaires du prince de Parme au sujet des conditions de la
réconciliation, sauf certains articles qui devaient être soumis « au
bon plaisir » de Farnèse. TI ne restait plus qu'à entraîner ceux de
Lille, qui s'étaient ralliés à tous les articles, sauf celui concernant la
personne du gouverneur général. Capres accepta de se rendre chez
eux, afin de les décider âne pas faire obstade à l'unanimité des
avis (27).
Le 17 mai, l'accord était obtenu et on signa, à l'abbaye de Saint-
Vaast d'Arras, les divers articles du projet de réconciliation. Le
comte de Lalaing y apposa S'asignature le 23 mai (28).
Peu de jours après, Selles, Moulart, Valhuon et les représentants
d'Artois, de Hainaut, de Douai et de Lille se dirigèrent vers le camp
du prince de Parme à Maastricht, pour y obtenir confirmation du
projet de traité et le serment reqùis pour son observation.

Depuis le 15 avril, Farnèse navait plus écrit un mot à ses


délégués. Oe silence s'explique, d'après M. Bussemaker (29), parce
que le prince, nesachant point quelles étaient les idées du Roi, pré-
férait ne pas prendre sur lui la responsabilité du traité tel que ses

(25) BUSSEMAKER, O. C., t. II, p. 237.


(26) Les commissaires à Farnèse, Arras, 9 mai 1579 {A. G. R., Papiers d'Etat et d'Au-
dience, reg. 192, r- 72).
(27) Les commissaires à Farnèse, Arras, 13 mai 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Au-
,lience, reg. 192, fo 72). .
(28) Ibidem, fO 73.
(29) O. c., t. Il, p. 238.

206
commissaires Pavaient COU'ÇU et fait dresser, De cette façon, il pour-
rait toujours les désavouer plus tard, s'il était démontré que le
souverain n'était pas d'accord.
Il nous paraît cependantévident que Farnèse ne
voulait point
esquiver ses responsabilités. N'avait-iil. pas écrit au Roi, le 17 avril,
qu'il avait envoyé Senes, Moulartet Valhuon .« pour attirer les
députés d'Artois et d'.autres provinces et les fatitrevenir vers lui,
pour, en sa présence, débattre toutes choses» et qu'il ne les avait pas
expédiés à Arras « pour qu'eux le ûssent, et, par là, les termes du
traité une fois établis, ne pas charger sur ses épaules la rupture de
cette négociation, au cas où elle advînt » (30) ~
Les députés des provinces wallonnes se rendirent donc au camp
de Farnèse. Ils avaient à leur tête Jean Sarrazin et Capres. Aux fron-
tières d'Artois, ils trouvèrent le seigneur de Rossignol, maître d'hôtel
de Farnèse, qui leur apportait de la part de son maître lessauf-con-
duits nécessaires pour le voyage et quidevait leur souhaiter la bien-
venue pourvensuite, les conduire jusque Visé. C'est en cet endroit,
distant de 2 lieues du camp, que Farnèse leur avait fiait. préparer
un logement (31).
Capres, arrivé à Visé, se p1aignit sans doute de la façon dont
~l y était logé, car le 29 mai Farnèse s'empressa de lui écrire une
lettre pour s "en excuser et regretter qu'on eût si mal accommodé « un
ministre si principal de Sa Majesté» et qui s 'êtait exposé aux plus
grands dangers pour faire aboutir la pacification. II le pria en même
temps de se rendre le lendemain au camp devant Maestrieht, avec
les députés du Hainaut, de l'Artois, de Lille, de Douai et d'Orchies,
auxquels une première 'audience serait accordée (32).
Le 30 mai, les députés wallons, en approchant du camp espagnol,
virent a'avancer au-devant d'eux le comte de F'auquemberg, capi-
taine des gardes du prince, entouré de plusieurs gentilshommes
et accompagné de huit cornettes de mousquetaires à cheval Bi de
lanciers.
Tout près du camp, ils furent reçus par Pierre-Ernest de Mans-
felt Bt les principaux membres du Conseil d'Etat, qui lesconduisirent

(30) GAcHARD, Correspondance d'Alexandl'e Farnèse, loe. eit., p. 449.


(3i) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579. (GACHARD,o. C., loc. ctt., PP. 456-457).
(32) L. VAN DER ESSEN, Correspondance d'AlexlJ;ndre Pamèse avec le comte de Hénin."
Ioe. eit., p.395.

207
à, la tente du prince de Parme (33). Celui-ci leurréserva le meill eu l'
accueil ,et Ieur donna une audience, où il exprima son contentement
de les voir rester dans la bonne voie de l'honneur et de la fidélité (34).
Ce fut là l'audience solennelle, où l'on ne traita point affaires.
A peine les députés se furent-iis retirés que le prince de Parmss 'en-
ferma avec ceux qui avaient été .ses commissaires à Arras, pour
examiner ensemble, point par point, .le texte du projet de traité. Un
second examen, eut lieu ensulte en plein conseil (35).
'Voici ce que contenait le-traité' (36)~
, Article 1., La Pacification de Gand, l'Union de Bruxelles, l'Édit
perpétuel et la ratiûoation y donnée par le Roi demeureront en pleine
vigueur et seront exécutés en tous leurs points.
Article 2. Il sera aooordé« oubliance perpétuelle », des deux
côtés, des paroles et d-es'actions provoquées pendant la période des
troubles et à cause de ces troubles. Les jugesfiscaux ne se livreront
à ce sujet à aucune recherche. 'I'ous sentences, décrets et arrêts
rendus dans, les domaines sujets à Sa Majesté pour cause des
troubles passés seront rayés des registres, à décharge de tous ceux
qui sont compris dans le présent traité. Exception est faitepour les
séditieux, détenus et bannis cités en justice par les gouverneurs et
les magistrats des provinces contractantes.
Article 3. Le Roi ratifiera ce qui a été pourvu, conféré et octroyé
par l'archiduc Mathias, les 'États, Généraux et le Conseil d'État, du
moment que ce n'est pas contraire à la Pacification, à PU nion de
Bruxelles, à l'Édit perpétuel ou aux droits, privilèges et franchises
du pays.
Article 4. On ne recherchera pas 9U on ne fera pasrechcrehcr
ceux qui sont coupables de démolition de châteaux ou: de forteresses.
Oes châteaux -et ces forteresses ne pourront être réédifiés et de nou-
veaux ne pourront être construits sans le consentement exprès des
États dans chaque province.

(33) STRADA, o. c., t. III, pp. 73-74.


(34) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 {Loc. clt.}; STRADA, o. c., t. III, pp. 74 svv. D'après
Strada, Parnèse, par calcul, se serait montré froid; mais, dans sa lettre au Bol, le prince
affirme: « je leur ay faict le meilleur accuetl et caresse que m'a esté possible ». Voir
aussi la lettre de Cosimo Masl, datée du 9 juin 1579, et décrivant la réception, dans
A. F. P., Carteggio tarnesumo, Paesi Bassi, carteggio 1578~1580.
(35) Lettre au Roi, 4 juillet 1574. (Loc. cit.),
(36) Poinctz et Articles conceuz, advisez et arrestez pour parvenir à une bonne pai$
et réconciliation avecq Sa Majesté CA. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, ,regIstre 192,
f08 73-79).

208
Article 5. Le Roi fera sortir des Pays-Bas, y compris le duché
de Luxembourg, tous les goos de guerre espagnols, italiens, 'albanais,
bourguignons et tous autres étrangers non agréés par les signa-
taires de ce traité. Ce départ se fera six semaines après la publica-
tion du traité, si le corps d'armée dont il est question plus loin
pourra être mis sur pied en ce laps de temps. «Et en tous cas,
sortiront en dedans lesdictes six semaines ». Six semaines après, les
troupes étrangères sortiront aussi du comté de Bourgogne. Ces
troupes ne pourront revenir aux Pays-Bas et d'autres ne viendront
en aucun cas les remplacer, à moins que le Roi ne soit engagé dans
une guerre êtrangère et que la nêeessitê de la présence de soldats
étrangers nait été formellement reconnue par les États. De leur côté,
les États feront sortir tous Français, Anglais, 'Écossais et autres, sur
lesquels ils exercent quelque autorité.
Article 6. Les soldats espagnols, italiens, albanais, bourguignons
,et autres étrangers, à leur sortie des Pays-Bas, abandonneront dans
les villes et les châteaux les vivres, l'artillerie et les munitions qui
s 'y trouvent. Quant à l ïarfillerie enlevée des forteresses pour les
besoins de la guerre,elle y sera remise. Les châteaux et les villes
précités, ainsi pourvus, seront remis par le Roi - ceux qui sont
sous le gouvernement du Hainaut, 20 jours après la publication du
traité, Iea autres, 20 jours après ces premiers - entre les mains
de gouverneurs natifs du pays et agréables aux 'Éta,ts.
Article 7. Pendant la durée du départ des soldats étrangers, le
Boi ot les provinces réconciliées, de commun accord, formeront une
armée de gens natifs du pays et agréables aux provinces contrac-
tantes,et ce aux frais de Sa Majesté. Toutefois, les provinces assis-
teront le Roi au moyen de contributions, conformément à l'article 20
de ce traité, à J'effet de maintenir la religion catholique et l'obéis-
,sance au Roi, sur le pied de la Pacification de Gand, de' l'Union de
Bruxelles et de l'Édrt perpétuel et du présent traité.
Article 8. Le Roi ordonnera aux 'États et 'aux gouverneurs, tant
généraux que particuliers, ainsi qu'aux Conseils et aux magistrats
des comtés de Luxembourg et de Bourgogne de ne laisser commettre
quelque chose de préjudiciable à l'Edit perpétuel et au présent traité,
en tous leurs points et 'articles, ainsi que de ne laisser lever, passer
ou entrer' chez eux des 'gens de guerre au préjudice des pays liés par
traité. Serment sera prêté à ce sujet; de leur côté, les 'États des pro-
vinces wallonnes feront les devoirs requis, afin que le trafic et les
209
communications soient libres entre eux et le Luxembourg et la Beur-
gogne, comme par le passé.
Article 9. Les prisonniers que l'on détient de part et d'autre
seront relaxés tout de suite après la publication du présent traité,
sans rançon. Exemple : le seigneur de G-Ougnieset d'autres. Le Roi
est prié de renvoyer libre aux Pays-Bas le comte de Buren (37), à
condition qu ''il s'engage à maintenir la religion catholique romaine,
la Pacification de Gand, l'Union, 1"É,dit perpétuel et le présent traité.
Article 10. En ce qui concerne les biens s-aisis et séquestrés de part
et d'autre depuis la Paciûcation de Gand, chacun rentrera tout de
suite dans la possession de ses biens immeubles. Quant aux biens
meubles, on les récupérera aussi, pour autant qu'ils ne soient aliénés
par ordonnance du Roi ou de l'archiduc Mathias, du Conseil d ''État,
des États Généraux ou particuliers. Les biens de ceux qui sont pri-
sonniers des Gantois seront remis en mains d-admlnistrateurs fidèles
jusqu'au . jour de la publication du présent traité. Lors de leur libé-
.

ration, ces prisonniers rentreront en possession de ces biens, s'ils


jurent d'observer le présent traité.
Article 11. Les gouverneurs en fonction des pays, villes, places
et forteresses, y commis avant la retraite de Don Juan à la citadelle
de Namur, seront maintenus en charge. Il 8IIi sera de même de ceux
qui y auront été pourvus à la suite de vacation provoquée pa.r la
mort. Les gouverneurs qui n'ont été nommés que par provision, en
l'absence de seigneurs emprisonnés ou détenus, continueront à exer-
cer leur charge jusqu'au retour de ces seigneurs. Si ces prisonniers
venaient à mourir en captivité, il y serait pourvu conformément à
l'article 18. Le Roi promet de n',en destituer aucun, pourvu qu'ils
aient tenu le parti des 'États pendant Ies troubles et qu'ils aient
maintenu la. religion catholique, sur le pied de la Pacification de
Gand, de l'Union de Bruxelles et de 1''Édit perpétuel.
Article 12. En conformité de l'article 11 de l''Éd~t perpétuel, on
fera prêter serment aux États contractants, aux g-Ouverneurs, magis-
trats, bourgeois et habitants des villes et des bourgades où il y aura
une garnison, aux gens de guerre, même aux habitants des villes eit
bourgades où il n 'y a pas de garnison, ainsi qu'à tous ceux qui ont
offices et charges de guerre, de conserver la religion catholique
romaine et l'obéissance due au Roi. Ils ne pourront changer, ni rece-

(37) Le fils du Taciturne, détenu en Espagne.

210
voir des garnisons sans le su du gouverneur général en particulier,
et l'avis des États provinciaux. En cas de nécessité urgente, le gou-
verneur de province y pourvoira.
A'rticle 13.. Le Roi ne chargera de garnison, soit de soldats
étrangers, soit de soldats du pays, les villes et le plat pays,
à moins
qu'un danger ne leur fît exprimer le désir d'en avoir ou qu'il n'y ait
eu coutume. En ce cas, la garnison sera composée de gens du pays,
agréables aux États.
Article 14. Dans les villes et les bourgades où les magistrats ont
été renouvelés depuis le commencement des troubles, on rétablira
les usages et les privilèges tels qu'ils existaient du temps de l'Empe-
reur Charles-Quint.
Article 15. Le Roi nommera présentement et à l'avenir comme
gouverneur et lieutenant général des Pays-Bas un prince DU une
princesse du sang, agréable aux Ëtats, qui sera tenu de jurer solen-
nellement le maintien de la Pacification de Gand, de l'Union de
Bruxelles, de l'Édit perpétuel et du présent traité. On supplie le Roi
de vouloir maintenir comme gouverneur l'archiduc Mathias, pourvu
qu'il se retire de l'Union dAnvers et se joigne aux États réconciliés,
sinon pour toujours, au moins pour l'espace de trois mois. Au cas où
Sa Majesté n'y consent, les États supplieront l'Empereur doffrir
quelque 'Satisfaction à Mathias. Dans ce cas aussi, aussitôt après le
départ des Espagnols et des autres êtrangers, le prince d€ Parme
deviendra gouverneur général. Il ne conservera près de lui que
20 serviteurs étrangers. Il aura sa garde accoutumée, dont les étran-
gers ne devront pas être exclus, mais serviteurs et soldats de la
garde devront être agréables aux États. Le gouverneur général se
fixera dans une ville des provinces réconciliées, pour gouverner, par
avis du Conseil d'État, durant un terme de six mois à courir depuis
le départ des soldats étrangers et de la remise des fcrteresses entre
les mains des gens du pays. Tous les Iplacards, mandements et pro-
visions se feront par le Roi et uniquement au nom de celui-ci. Si,
au bout de six mois, le Roi n'a pas nommé un nouveau gouverneur,
le Conseil d'Ëtat, en attendant, prendra en mains le gouvernement
des provinces réconciliées.
Article 16. Le Roi choisira pour son Conseil d'État dix 'Oudouze
personnes, prises parmi les seigneurs et gentilshommes et parmi les
gens de robe longue. Les deux tiers de ces conseillers devront être
agréables aux États et devront 'avoir tenu le parti des Ëtats depuis
le commencement des troubles.
211
Article 17. C'est avec l'avis de ces conseillers; qui prêteront. le
serment prévu à l'article 12, que se feront toutes les dépêchesyqui
devront être paraphées par l'un des conseillers.
Article 18. A tous les gouvernements, qui deviendront vacants
en l'espace de six 'ans, à compter de la ratification du traité, le Roi
pourvoira en nommant des naturels du pays ou des étrangers
agréables aux :mtats, même s'il s'agit d'emplois de chefs de guerre.
TI en sera de même des gens du Conseil des Finances et d'autres
offices importants. Tous jureront fidélité au traité, avant leur nomi-
nation, et signaleront aux États des provinces ce qui se tramerait au
préjudice de ce traité, sous peine d'être tenus pour parjures et
infâmes.
Article 19. Le Roi ratifiera toutes constitutions de rentes, pen-
sions et autres obligations, assurances et impositions accordées ou à
accorder encore à tous ceux qui lui ont fourni ou fourniront à l'avenir
de l'argent pour subvenir à ses nécessités et payer les dettes con-
tractées à cause de la guerre et des troubles passês.
At,ticle.20. Ni gabelles, ni tailles, ni impôts neseront mis sur les
provinces autrement que dans la forme et manière usitée il. l'époque
de l'Empereur Charles-Quint, et, cela par consentement des États de
chaque province respectivement.
Article 21. Les·privilèges, iles us, les coutumes seront maintenus,
tant en général qu'en particulier, et rastaurés là où ils ont été violés,
Article 22. Les parties contractantes sont tenues de renoncer à
toutes ligues et confédérations qui pourraient avoir été conclues
depuis le commencement des troubles.
Article 23.. Etant donné les obligations contractées par les Éta.t,s
envers la Reine d'Angleterre et envers le duc d'Anjou pour la bonne
assistance qu'ils en ont reçue, le Roi, deux mois après I'entrêeen
charge du prince de Parme comme gouverneur général, enverra à la
Reine et au du:c des personnes de qualité pour faire les bons offices
requis. On continuera avec la Reine d'Angleterre la confédération
d'ancienne amitié; de même qu'avec le duc d'Anjou, qui sera doré-
navant tenu pour « bon ami, voisin et allié ».
Article 24. Afin de développer les sentiments de confiance réci-
proque qui doivent lier les souverains et leurs suj-ets, on prie le Roi
d'envoyer aux Pays-Bas, à la première occasion et au plus tôt, un de
ses enfants, celui qui devra probablement lui succéder dans la souve-
raineté de ces diverses provinces, afin d 'y être élevé « selon la façon
des Pays-Bas ».
212
.Article 25. Toutes provinces, châtellenies, villes ou personnes
particuliêree.qui voudront se .rêconcilieravee le Roi aux conditions
du présent 'traité, jouiront des mêmes avantages, à condition qu'ils
le fassent spontanément endêans les trois mois après le départ effectif
des Espagnols.
Article Le Pape, l'Empereur, le Roi de France, le duc
26.
d'Anjou, les Archevêques de Cologne et de Trèves, le duc de Clèves
seront invités à tenir la main àce que le traité soit ponctuellement
exécuté.
Article 27. Si dans l'exécution du traité, il surgissait quelque dif-
férend, à vider après la publication du texte, le Roi et les États des
provinces réconciliées enverront respectivement des commissaires
pour aplanir ces difficultés.
Article 28. Le traité sera confirmé réciproquement par serment
solennel, prêté 'sur les Saints Evangiles, et accepté par le Roi trois
mois après sa publication, ou plus tôt, si faire se peut (38).
Il est à peine besoin de dire que,de son point de vue,le prince
de Parme jugea plusieurs clauses de ce projet de traité exorbitantes
et inacceptables. Il estima que 'ses commissaires avaient outrepassé
leurs instructions; que pour certains points importants, ils auraient
dû, au préalable, le consulter, parce quecesrpoints étaient trop impor-
tantset qu'il devait B 'en réserver l'exécution. Mais il se trouva devant

(38) Le traité fut accepté et souscrit par les personnages suivants: Mathieu Moulart,
évêque d'Arras; messire Jean de Nolrcarmes, chevalier, baron de Selles; Guillaume Lé
Vasseun, écuyer, seigneur du Valhuon, commis et députés par le Prmce de Parme', d'une
part. D'autre part, Iles Etats du pays et comté d'Artois en assemblée' plénière; messire
Jacques Froye, abbé de Hasnon; Antoine verman, .abbé de Vioogne, messire Nicolas de
Landas, chevalter, seigneur de Heule, panetier héréditaire de Hainaut; Lancelot de Peissant,
écuyer, seigneur de la Haye; Jean d'Oïïegnles, seigneur de Marck, chief échevin et Louis
Corbault, second échevln de la ville de Mons; Jacques de la Croix, écuyer, seigneur de
Caumont; maître Thierry d'Ornegnies, seigneur de CalIevëlles , du Conseil de Mons; maître
David de Haulchin, docteur ès droits, pensionnaire de Mons; Louis Carlier, greffier des
Etats de Hainaut; le seigneur Roland de Vicq, écuyer, .bailli de Wavrin ; Jacques de
Hennin, écuyer, seigneur de Ghislen@hien, bailli de Commines; Jean Piramet, seigneur
du Grantbus, maïeur, et maître Denis le Guillebert, licenclé ès lois, greffier. de la ville
de Lille ; Pierre Carpentier, abbé de Loos; FloreDit van der Haer, chanoine de Saint-Pierre
de Lille; Eustache d'Ognies, seigneur de Austain, Grimson, etc.: messire Adrien de
Rei:Jreviettes, écuyer; Eustache d'Aoust, écuyer, seigneur de Fumelles, Franchières, etc.,
chef-échevin de Douai; maître Philippe Broide, licencié ès lois, conseiller et pension-
naire de la ville de Douai; Robert de Melun, marquis de Richebourg, vtcomte de Gand,
baron de Caumont, gouverneur et capitaine général du pays et comté d'Artois; Adrien
d'Ognies, chevalier, seigneur de Willerval, gouverneur et capitaine général des villes
et chàtellenies de Lflle, Douai et Orchies.
Le 23 mai, les articles furent acceptés par le comte de Lalaing, lieutenant, capi-
Laine général et grand bailli de Hainaut,

213
un dilemme angoissant. Il se rendait fort bien compte que, s'il rejetait
le traité accepté par ses délégués, il romprait par le fait même les
négociations avec les Wallons et que, d'autre part, le Roi ne pouvait
l'autoriser à accepter les clauses de l'accord dans leur entièreté ou
telles qu 'elles étaient libellées (39).
Il essaya alors d'en sortir par « quelque honnête moyen ». Il
décida de communiquer tout le dossier des négociations aux membres
de son Conseil d'Etat et de consulter à Cologne ses délégués à la
conférence pour la paix générale, dAssonville, M. de Vaulx, Fonck,
ainsi que le duc de 'I'erranova, qui connaissait mieux que personne
les idées du Roi au sujet des conditions de réconciliation. Jean-Bap-
tiste de Tassis fut chargé de se rendre auprès d'eux et .d'en discuter
d'une manière approfondie. Farnèse fit aussi venir de Namur à
Maestricht les membres du Conseil privé (40).
En même temps, il s'empressa d'en avertir Philippe II. Il lui
écrivit le 15 juin qu'il ne lui semblait pas possible de maintenir
toutes les concessions que ses commissaires avaient faites. il désirait
s 'opposer surtout à la clause qui permettait le départ des troupes
espagnoles de tout le territoire des Pays-Bas, et cela endêans les
six semaines qui suivraient la ratification du traité. Le baron de
Selles se' trompait, s'il jugeait suffisant cet espace de temps pour
mettre sur pied l'armée nationale qui devait remplacer les troupes
étrangères. gUI' ce point d'ailleurs, ce commissaire n'avait pas tenu
compte des intentions de son maître, qui n'entendait laisser partir
les troupes espagnoles que si le pays avait recouvré la tranquillité
nécessaire. Dtailleurs, les principaux membres du Conseil de Farnèse
estimaient que des modifications importantes devaient être apportées
au texte proposé (41).
Après des discussions laborieuses à Cologne, Jean-Baptiste de
Tassis revint, apportant l'avis écrit du duc de 'I'erranova, de Fonck,
de M. de Vaulxei d'Assonville. Ce dernier, à en juger par sa
correspondance avec Marguerite de Parme,était fort perplexe. Il
lui semblait que, d'une part, les clauses du traité étaient loin d'être

(39) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 (GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse,


100. cit., p. 457); le même au même, 15 juin 1579 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12,
t- 220).
(40) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 (Loc. cit.) et le même au même, 15 juin i579
(Loc. clt.).
(41) Loc. olt.

214
bonnes, mais il redoutait d'autre part le préjudice que causerait la
rupture des négociations. Le plus sage lui paraissait de tout remettre
à la décision du Roi en personne (42).
Farnèse' se fit 'aussi donner pal' écrit l'avis des membres du
Conseil d'Etat et de ceux du Conseil privé. En possession de ces
pièces, il débattit une nouvelle fois toute la question avec ses com-
missaires. Ceux-cine purent que lui confirmer que c';ébitsous l'empire
des circonstances qu'ils avaient été si loin dans 'leurs concessions.
Ils affirmèrent aussi, en ce qui concernait le départ des troupes étran-
gères, qu'ils Çj 'étaient basés sur des Iettres que Philippe II lui-même
avait adressées à plusieurs villes et à certains seigneurs des pro-
vinces wallonnes, et notamment au vicomte de Gand (43). Cette
déclaration embarrassa probablement le prince de Parme : il n'avait
plus de lettres du Roi depuis ie 17aViril (44) et il ignorait donc
quell-e pouvait être, 'en la matière, la pensée réelle du souverain.
Il se résolut alors, le 24 juin, à remettre aux négociateurs d-es
provinces waâlonnes une déclaration écrite au sujet du traité qui lui
était soumis (45). Dans ces apostilles, Farnèse louait et remerciait
ceux qui se réconciliaient de la bonne résolution qu'ils avaient prise
de maintenir inviolablement la religion catholique et l'obéissance due
au Roi, et promettait d'en avertir immédiatement le souverain. Il
acceptait -et ratifiait ensuite, au nom de celui-ci, le traité qui lui était
soumis et promettait de le tenir « pour ferme et s'table » et de
prêter le serment de il'exécuter ponctuellement. TI se déclarait prêt
à envoyer immédiatement des commissaires qui, avec les délégués
des provinces réconciliées, mettraient sur pied un corps d'armée,
suffisant non seulement pour tenir tête au prince dOrange, mais
encore pour le chaS,S61'de cette partie du pay-s qu'il occupait indû-
ment. TI promettait aussi de faire la diligence nécessaire pour que
les troupes étrangères sortissent du pays même avant les six semaines
stipulées par le traité, si la possibilité en était démontrée, et ce, en.
conformité des lettres écrites par le Roi au vicomte de Gand, en date
du 8 mars 1579.

(42) D'Assonvflle à Marguerïte de Parme, Cologne, 24 juin 1579 (A. F. N., Carte
tomessane, Fiandra, fasoio 1629).
(45) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 (GACHARD, o. c., 10c. cit., p. 458).
(44) Farnèse au Roi, 15 juln 1579 (Loc. clt.).
(45) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre 192, fOS 79-81. Les apostilles du
prince de Parme ont été publiées, d'après une copie authentique des archives d'Ypres,
par KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, Documents historiques inédits ..., t. l, pp. 371'-
374. Gette copie porte la date, erronée, du 26 juin, au lieu du .M.

215
Partoutce que nous savons des sentiments du prince de Parme,
il est évident qu'en faisantcette déclaration, celui-ci ne pouvait être
sincère et qu'il se réservait de profiter des événements pour enlever
à cette promesse toute S'on efficacité.
Passant ensuite à l'examen des articles particuliers du traité,
il déclarait qu'il entendait les article-s 6, 11 et 18 en ce sens que ce
qui y était dit de la provision des divers gouvernements ne s'éten-
drait qu'aux districts qui se réconciliaient par ce traité et à ceux qui,
endêans les trois mois, adhéreraient aux conditions de celui-ci. Le
prince excluait par là les régions occupées par Guillaume d'Orange
et ses partisans.
Farnèse exigeait aussi que, sous l'expression « agréables aux pro-
vinees réconciliées :b) seraient compris les seigneurs fidèles qui avaient
suivi Don Juan et lui-même.
Il enprimait surtout sa volonté nette de voir exclure de Pa:'r-
tiels 261~ mention du Roi de France et du duc d'Anjou. Les p'I'O-
vinees wallonnes étant limitrophes de la France, il fallait enlever
aux Français le prétexte de s'immiscer dans leurs affaires, sous
couleur de droits établis par le traité.
Pour ce qui concernait la personne du gouverneur général, le
prince admettait les termes du traité, y compris la condition que ce
gouverneur serait toujours «prince ou princesse du sang ». Sur l'épi-
neuse question du maintien de il'archiduc Mathias au gouvernement
général, il ne se prononçait pas; il remettait la décision au bon plaisir
du Roi. Il remerciait les provinces réconciliées de tolérer encore
sa propre personne comme gouverneur général pour le terme de six
mois, affirmant qu'il n'était d'ai'J.;leursaux Pays-Bas que pour rendre
service au Roi. Il ne faisait aucune, objection .aux conditions que le
traitéétablissait concernant l'a composition de sa maison et la nationa-
lité des membres de celle-ci ainsi que leur nombre'. Mais il n'admet-
tait pas que [es provinces ne le reconnussent comme gouverneur
qu 'après le départ des soldats espagnols. TI lui semblait qu'elles
devaient le reconnaître tout de suite, pour empêcher les manœuvres
de division qu'on pouvait attendre de la part du prince d'Orange et
de ses partisans.
Cette restriction se comprend fort bien, surtout si I'on tient
compte du fait que Farnèse n'était pas du tout disposé à laisser partir
les Espagnols au bout de six semaines, Au sujet de 80n maintien
comme gouverneur pendant un temps limité seulement, le prince de

216
Parme écrivit trèsouverlement à Philippe II. Il supplia le sou-
verain de donner sur ce point satisfaction aux: Wallons et de ne pas
tenir en ceci compte de sa personne. Il .n'êtait en Flandre que pour
servir Ha M!lje,sté, et il serait très heureux de quitter ce pays à Ia
tête des troupes' étrangêres, « pour de bonnes raisons et eonsidé-
rations »(46).
Ces raisons, nous pouvons les deviner. Le prince était convaincu
que, rien qu'avec l'armée nationale qui serait mise sur pied, il ne
serait pas possible de ,se maintenir contre les attaques des Oran-
gistes et, encore moins, de continuer la guerre contre eux. Il ne dési-
rait sans doute pas exposer sa réputation dans des conditions' aussi
défavorables et ii se disait certainement que le mieux était de se
retirer en Italie, chargé de la gloire d'avoir pris la ville de Maestricht,
dont son armée venait de se rendre maître la veille même du jour
où il écrivit cette lettre. Enfin - et cette dernière observation sur l'e
texte du traité était assurément la plus importante - Farnèse décla-
rait que, parmi les 28 articles proposés, il y en avait plusieurs qui
étaient «couchés obscurément ». Des disputes et des débats désa-
gréables pouvaient en naître par après. Aussi, le prince entendait
que les députés qui s'occuperaient de mettre sur pied le corps d'armée
national pussent aussi éclaircir ces articles, afin de rendre le traité
plus inattaquable et plus solide.
Farnèse terminait en exprimant le désir de voir cesser tout de
suite entre les provinces réconciliées et celles qui obéissaient à Sa
Majesté toute hostilité et de voir rétablir entre elles les rapports de
bon voisinage et de libre trafic.
'Comment les députés des provinces wallonnes réagirent-ils à la
vue de ces apostillest (47).
Après lui avoir demandé de prêter le serment de ratification du
traité, pour l'obtention duquel les provinces wallonnes avaient
envoyé à Maestricht « de si nombreux députés et de si 'loin », ils le
prièrent de nommer sans tarder des représentants qui collaboreraient
avec les leurs pour organiser le corps d'armée national qui était prévu
et pour éclaircir les passages obscurs du traité. Ils firent ensuite obser-
ver que,en ce qui concernait les articles 5 à 9 de l "acte de réconcilia-
tion, ils avaient à maintes reprises, par écrit et oralement, averti

(46) Farnèse au Roi, 30 juin 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, f' 260).
(47) Leur réponse se trouve consignée dans A. G. R., Papiers d'Etats et d'Audience,
registre 192, t-» 81-82 . Elle est publiée, d'après une copie des Archives d'Ypres, par
KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, o. c., t. I, pp. 378-381.

217
Farnèse qu'ils n'avaient pas le pouvoir d 'y changer quoi que ce fût.
Il en allait de même pour les articles 15 et 16. Leur mission ~ iŒ-s
insistaient sur ce point - consistait à accepter simplement la ratifi-
-cation du traité et à recevoir le 'serment du prince de Parme. On ne
pouvait donc que s'arrêter aux articles tels qu'ils étaient formulés
dans [e traité qu'on lui présentait, quitte à abandonner aux commis-
saires nommés de part et d'autre la solution des difficultés et des
obscurités qui pouvaient s'y trouver.
Ils insistaient pour que le traité, une fois ratifié, fût incontinent
publié, afin de rentrer immédiatement, de part et d'autre, en posses-
sion de leurs biens. Ils demandaient aussi de pouvoir retourner sans
tarder vers leurs commettants, appelant une /fois de plus l'attention
de Farnèse sur les graves dangers qui naîtraient pour la religion et
pour le service du Roi si le traité ne sortait rapidement son effet.
Devant cette attitude résolue des commissaires des provinces
wallonnes et constatant qu'ils admettaient la discussion SUT les pointe
obscurs de la convention, le prince de Parme, estimant qu'il ne s'en-
gageait pas beaucoup, décida de les contenter et de leur remettre une
nouvelle apostille (48).
C'est ce qu'il :fit le 28 juin, se déclarant d'accord sur les points
suivants : ill prêterait le serment requis sur le texte établi à Arras
le 27 mai, à condition que des commissaires désignés par les deux
parties se réunissent au plus tôt pour interpréter les articles obscurs
de l'acte (49).
Plus rien ne s'opposait désormais à la ratification du traité et à
la prestation de serment de la part des contractants. Un dernier
effort fut cependant fait par les délégués des provinces wallonnes
pour interpréter certaines elauses en leur faveur. Comme il était
stipulé par l'article 5 que le Roi ferait sortir du pays les soldats
êtrangersau plus tard six semaines après la publication du traité,
ils essayèrent d'obtenir celle-ci immédiatement de Farnèse, pour
rapprocher d'autant plus le moment de ce départ des Espagnols.
Oomme on peut bien le comprendre, le prince de Parme refusa
de leur concéder ce point. Il était bien décidé de faire traîner les
choses en longueur, non point en ce qui concernait l'acceptation de
I'accord, mais pour ce qui touchait aux discussions sur son interprê-

(48) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 (loc. cit., p. 4(8),


(49) A. G. R., Papiers d'État et d'Audience, reg. 192, fa' 82-83. La réponse de Farnèse
est publiée par KERVYN DE VOLI,AERSBEKE et DIEGERlŒK, o. c., 1. I, pp. 376-377, d'après une
copie des archives d'Ypres.

218
tatien, afin d'avoir le temps nécessaire pour recevoir de Madrid
l'expression de la volonté du Roi (50).
Les députés wallons furent forcés de s'incliner. 0 'est ainsi que,
le 29 juin, le jour même de la prise de Maestricht - circonstance
qui ne fut certes pas sans impressionner les Wallons et les engager
à se montrer plus conciliants (51) - furent échangés les serments
réciproques, par lesquels les deux parties s 'engageaient à observer
les articles de la convention. Farnèse promettait aussi de faire agréer
et confirmer par le Roi le texte du traité, endêans les trois mois (52).
Ainsi, le même jour, Alexandre Farnèse pouvait enregistrer
deux succès considérables, l'un dans le domaine militaire, l'autre,
dans le domaine politique. Ils étaient dûs, le premier, à sa ténacité,
à son courage indomptable, à sa science technique, à l'ascendant qu'il
exerçait sur ses soldats; le second, à son habileté manœuvrière, à son
esprit de modération, à sa conception exacte des possibilités, à la
confiance qu 'il avait réussi à inspirer à ses adversaires.
Mais, dira-t-on, le prince de Parme ne, fut-il pas manœuvré par
ses propres eommissairesî Certes, ceux-ci se laissèrent entraîner par
les circonstances et outrepassèrent manifestement la lettre de leurs
instructions. Wallons catholiques eux-mêmes, Moulart et le sire du
Valhuon ne concevaient probablement pas la situation de la même
façon que Farnêse et ils furent prêts à céder assez facilement sur des
points que Je prince de Parme considérait comme particulièrement
délicats. Mais le grand mérite du prince fut de ne pas désavouer ses
délégués, de ne pas détruire leur œuvre, de l'accepter telle qu'elle
était, en se réservant secrètement d'y apporter, à la suite de négocia-
tions ultérieures, des tempéraments que le service du Roi et les
nécessités du moment semblaient exiger.
Oe que l'on ne peut oublier non plus, -et ce qui met en lumière la
force decaradère d'Alexandre F'arnèse, c'est que les dernières
négociations faites avec les députés des provinces wallonnes eurent
lieu au moment où il était déjà malade et obligé de garder la
chambre. On se rappellera que c'est dans la nuit du 30 juin, le len-
«50) Farnèse au Rdi, 4 juillet 1579 (Lac. cit., p. 459).
(51) STRADA, o. c., t. III, pp. 79-80.
(52) A. G. R., Papier» d'Etat et d'Audience, reg. 192, fos 83'°-83 . - « Rlesel'varonso
la declaraçion de algunos puntos y particularmente de la salida de los estrangeros a la
communicaçion de otros nuevos deputados, que fue el camïno que paresçlo a todos los
dei consejo de Su Magd que assistian çerca la parte del dicho principe que se devia tener
segun el estado de las eosas presentes ». Libro de las casas de Flandes, fo 194. Le texte
de l'accord de Farnèse et des députés est publié d'après une copie des Archives d'Ypres,
par KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERIGI(, o. e., t. I, p. 377.

219
demain de Ia ratification de Paccord, que son état empira au point
d'inquiéter très fort son entoucage.
La longue lettre qu'il adressa au Roi le 4 juillet pour lui rendre
compte de ce qui s'était passé ne put même pas être signée de sa
main, son. état de santé ne le lui permettant point (53). Mais il con-
serv.aassez d'énergie pour dicter le contenu de cette missive à son
secrétaire et pour exposer, avec la -luciditédun homme en possession
de toutes ses facultés,' les pêripêties de la dernière négociation.
il s'était cependant rendu compte de l'étendue des concessions
qu 'il avait faites 'aux provinces wallonnes et il crut nécessaire
d'adr,esser à ce sujet au Roi une longue justification. Le mémoire
fut conçu et rédigé en partie avant qu'il ne tombât malade (54), mais
il ne fut terminé et expêdiê que le 4 juillet (55).
Farnèse commence par y déclarer que, puisqu'il ne paraît pas
tpo'ssible d'arriver à la conclusion d'une paix générale avec toutes
les provinces, il est nécessaire de provoquer la réconciliation par-
ticulière du plus grand nombre possible de régions, pour augmenter
les forces du Roi et diminuer celles de s'es adversaires. Laréconci-
liation avec les Wallons ferme définitivement la porte aux Français
et elle ne contrecarre pas la paix gênêraleypuisque les conditions
avantageuses accordées aux réconci1iés peuvent engager à rentré!
dans l'obédience les villes où le prince d'Orange n'est pas le maître.
Des négociations de Cologne, il ne faut attendre aucun résultat.
Le Taciturne ne désire pas la paix aux Pays-Bas, mais il tend au
contraire à un gouvernement appuyé sur la démagogie pour se
hausser ensuite à la monarchie. La multitude qui le suit ne veut pas
d'un arrangement à l'amiable; les villes de son parti sont convaincues
que le Roi ne possède pas les forces suffisantes pour s 'emparer
d'elles. Le prince d'Orange est engagé trop avant dans sa politique
ambitieuse pour revenir sur ses pas et il est dailleurs trop convaincu
de pouvoir maintenir la domination qu 'il exerce. Avec lui, affirme
avec force Alexandre Farnèse, on ne pourra jamais conclure un
accord basé sur le maintien de la religion catholique et de l'obé-
dience : l 'essayer, c'est se Iaisser tromper et perdre son temps.
D'ailleurs, le traité avec les WaHons laisse la porte ouverte: Orange

(53) « Vostre Majesté aura entendu, par mes dernières, que, pour mon indisposition,
je n'ay peu signer ... » MaestrIcht, 19 juillet 1579 (GACHARD, o. c., 100. ctt., p. 461).
(54) En effet, on y prévoit la prise de Maestelcht,
(55) Razones y motivos que han mooiao à toma» la resolucion que se tomado con los
de Hanao y Artoes. {A. G. R., Copies de Simancas, "01..13, fO •. 5-17).

220
et ses partisans, peuvent toujours y -adhérer, . s'ils ledésÎrent.
Ce serait gr.and dommage si I'accord avec les Wallons devait
se rompre : il serait « malsonnant :/)de ne pas admettre à la. récon-
ciliation précisément ceux qui professent la religion catholique. Si
on les. repousse, ils se mettront au pouvoir du Taciturne ou des
Français.
D 'autre part, le prince de Parme ne cache pas les désavantages
de l'accord. On exige le départ des troupes étrangères et le traitâ
contient quelques dispositions qui sont dangereuses pour le pres-
tige du Roi. « Mais, s 'empresse d'ajouter Farnèse, il ne m'a pas
été possible d 'y changer quelque <chose.Les commissaires que j'ai
députés à Arras, dans le but d 'inviter les provinces wallonnes à
m'envoyer leurs délégués, ont fait traîner les négociations en longueur
et ils ont dépassé le texte de leurs instructions, de teâle façon que
je n'ai rien su jusqu'au moment où ces commissaires me firent con-
naître ce qui se pratiquait. Je les ai immédiatement avertis du mal
qu'ils avaient fait et j'ai réclamé l'envoi des articles au sujet desquels
on était déjà convenu. Ils n'en ont rien fait, mais ils m'ont assuré que,
à .leur arrivée au camp de Maëstricht, je pourrais constater qu'ils
avaient procédé conformément aux intentions du Roi (56). J'ai donc
eu les mains liées. A leur arrivée, la seule raison qu'ils ont fait valoir
pour expliquer leur conduite, c'est que, s'ils avaient agi autrement,
les négociations auraient été rompues ».
Le prince de Parme a donc été obligé de s'incliner, quitte à
introduire des changementsausujet des points les plus importants.
Avec ces tempéraments, la négociation, estime-t-il, sera certainement
Ifructueuse. Voici les réserves qui ont été apportées au projet de
traité. Comme il n'était pas possible de refuser le départ des soldats
étrangers, ila affirmé que l'exécution de cet article serait remise
jusqu'au moment où on aurait pu mettre sur pied l'armée nationale,
dont il est question dans la lettre du Roi au vicomte de Gand, en
date du 8 mars. Comme cett-e nouvelle armée ne doit pas être seul-e-
ment défensive, mais qu'elle doit aussi servir pour expulser le prince
d'Orange des territoires qu'il occupe, il faudra garder sinon la tota-
lité, du moins une partie des troupes espagnoles. Parnêse 'se flatte
d'ailleurs de l'espoir que les circonstances amèneront les Wallons
à consentir à la présence de ces soldats étrangers. Pour remédier aux

(56) En comparant cet exposé du prince avec le récit des négociations que nous avons
donné plus haut, on s'apercevra que Farnèse déforme la vérité sur plus d'un point.

221
chapitres 6, 11 et 18, il a été établi que L'onconservera en tout point
dans l'état actuel tout ce que Sa Majesté possède en ce moment (57).
Il a été entendu aussi que pour la provision des gouvernements,
charges et offices,doivent aussi 'entrer en ligne de compte Iles seigneurs
qui sont restés fidèles à Sa Majesté. Enfin, on a refusé l'article 26,
proposant de demander au Roi de France et au Duc d'Anjou d'être
garants du traité. Les autres wrtieles ont été acceptés, pour éviter
la rupture des négociations. Onaadmis la ratification de IaPacî-
fication de Gand, puisque' tel était le désir du Roi, mais aussi parce
qu'ainsi on confirmait le fait de la séparation entre hérétiques et
catholiques. L'article 8, stipulant que le duché de Bourgogne et Ie
Luxembourg s'engageront à respecter le traité, a été admis parce
que son importance ;pratique 'est nulle. On ne s'est pas arrêté non
plus au préjudice dont souffriront le comte de la Roche en 0~ qui
concerne le gouvernement d'Artois, M. de Helfault en ce qui regarde
celui d'Hesdin, et M. de Vaulx en ce qui concerne celui d'Arras, car
le Roi pourra récompenser d'une autre manière ces seigneurs fidèles.
En ceci, le général doit d'ailleurs l'emporter sur le particulier ..
L'article 20 (pas de nouvelles tailles, gabelles ni impôts) a étéaccordé
aussi, puisque le Roi avait fait 'cette promesse à différentes reprises.
Ne resteront en suspens que les articles 15 et 16, au sujet desquels
le primee de Parme avait offert des conditions rais-onnables.
En somme, conclut Alexandre Farnèse, on a dû avoir re?ours
à un expédient, qui consistait en ceci: admettre -de suite- ee- qui est
de nature à les contenter et à les attirer à la réconciliation, et excepter
ensuite les articles inacceptables iaccepter le dernier article, permet-
tant à des commissaires d'éclaircir les points restés obscurs ou eonsi-
dérés comme tels. De la sorte, ia porte restait ouverte pour de
nouvelles négociations. Mais les députés des provinces wallonnes
ayant déclaré qu'ils navaient aucun pouvoir pour agir ainsi, Il ~
fallu imaginer un autre expédient: on a accepté le traité, à condition
que des commissaires spécialement désignés à cet effet se réunissent
pour prendre une décision au sujet des points qui ont été déclarés
obscurs.
« Ce procédé, fiait remarquer Farnèse, n'offre aucun inconvénient.
Mes commissaires auront l'ordre exprès de ne pas outrepasser mes
instructions au sujet des réserves faites. Comme d'autre part, les
députés des provinces wallonnes ont laissé entendre- qu'il n'y avait

(57) Gouvernements, villes et provinces.

222
pas grande opposition à nos prétentions, on arrivera à un bon résul-
tat et on y gagnera cet avantage que le Roi aura le temps d'examiner
le tout avant de prendre une résolution définitive. [Si Sa Majesté
estime qu'il faut changer le traité ou rompre les négociations, il
trouvera toutes les occasions pour le faire dans le point de la forma-
tion de l'armée nationale exigée par la convention. »
,ce fut le colonel de Mondragon qui apporta à Madrid le mémoire
du prince de Parme (58): il fut sans doute chargé d'insister auprès
du Roi pour que celui-ci fît connaître le plus tôt possible s'il approu-
vait le traité de réconciliation et comment il fallait se conduire au
sujet des points contestés. Oe qui intéressait le plus Alexandre
Farnèse, c'était de savoir s'il devait exécuter l'article concernant
le départ des troupes étrangères. Dans l'affirmative, il prévoyait
de très graves difficultés. Il ne serait pas possible de licencier ces
troupes sans les payer, Or, on leur devait un arriéré de solde consi-
dérable et la caisse de l'armée était pour ainsi dire vide. Il redoutait
de se trouver dans la situation où Don Juan s'était trouvé dans
des circonstances analogues et il ne se fit pas faute dappeler sur
ce point l'attention du Roi {59). « Ne veuillant Iaisser de représenter
à Votre Majesté, écrivit-il le 4 juillet, que ce qu'en ceci plus importe
est la provision briefve de deniers, tant pour le dressement du
nouveau camp, que pour la' sortie desdicts estrangiers, n'estant
possible d'étendre en l 'ung ny en l'aultre, 'sans ce » (60).

La réconciliation des provinces wallonnes eut des conséquences


jmmêdiates au point de vue politique : les espoirs que Farnèse avait
entretenus au sujet de la répercussion probable de cet événement
se vérifièrent en partie. Par l'intermédiaire du baron de Licques,
gouverneur de Louvain, le prince de Parme avait engagé des négo-
ciations avec Ia ville de Malines, qui. semblait prête à vouloir se
réconcilier avec le Roi aux mêmes conditions que les Wallons (61).

(58) BUSSEMAKER, O. C" t. II, p, 273,


(59) Farnèse au Roi, 15 juin 1579 (A, G, R., Copies de Slnwncas, vol. 12, fo 221); Le
même au même, 30 juin 1579 (Ibidem, fo 260).
(60) Farnèse au Roi, 4 juillet 1579 (GACHARD, Corresnonüance a'Ateeanare Parnèse,
10c. cit., n. 459).
(61) Farnèse au Roi, Maestricht, 19 juillet 1579 (GACHARD, Correspondance d'Ale:l?and1'e
Farnèse, loc, cit., pp. 465-467). Sur les antécédents de la réconciliation, voir C, CAMPANA,
Della querra di Fiandra, II,f" 12Yo• Le texte des propositions que Farnèse fit faire à

223
Les Malinois hésitaient cependant à sc déolarer ouvertement
et auraient désiré que la réconciliation restât secrète aussi longtemps
que les troupes de F'arnèse n'étaient pas dans les environs - pour
pouvoir les protéger - et jusqu'au moment où les '.États Généi..aux
les traiteraient en ennemis. Mais le iprince de ~'arme insista pour
une réconciliation ouverte et immédiate. Finalement, Malines eon-
sentit à se soumettre à ces conditions. Pendant que les négociations
pour l'accord étaient encore engagées, les habitants de la ville deman-
dèrent à Farnèse l'envoi de troupes d'infanterie et de cavalerie, qui
auraient pour mission de s'emparer du fort de Willebroeck et de
rompre les écluses du canal de Bruxelles à Anvers. Cette opération
aurait pour effet d'empêcher Vilvorde et Bruxelles de trafiquer avec
Anvers et de disposer plus Iacilement les habitants de ces deux
premières villes à une réconciliation avec le Roi (62).
Cette proposition fut examinée 'en conseil de guerre et trouvée
bonne. Aussitôt, le prince de Parme dépêcha dix compagnies de cava-
lerie et huit compagnies d'infanterie, sous le commandement de Jean
Marmier, seigneur de, Gastel, capitaine de, chevau-légers bourgui-
gnons, Oes troupes réussirent à rompre les écluses du canal, et après
une escarmouche avec quelques compagnies écossaises des '.États qui
occupaient Willebroeck, se rendirent maîtres de cet endroit.
Pontus de Noyelles, seigneur de Bours, gouverneur de Malines,
aurait bien voulu que les soldats de Farnèse missent le siège devant
Vilvorde, où les vivres étaient presque épuisés et dont la garnison
était mécontente et découragée .. Farnèse ne put momentanément faire
droit à cette requête, ne disposant pas de forces suffisantes (63).
La réconciliation de Malines était importante (64), la ville étant
le siège du Grand Conseil, et bien située pour interrompre les com-
munications entre Bruxelles et Anvers. De plus, son retour à l"obéis-
sance faisait rentrer dans le parti du Roi un seigneur aussi imper-
tant que Pontus de, Noyelles, en lequel les 'États Généraux avaient
trouvé jusque-là un partisan fidèle.
Un autre noble influent s'était aussi réconcilié, Philippe, comte
,d'Egmont, fils de Lamoral, la victime du duc- d'Albe (6'5). Avant
Malines par les seigneurs' de Licques, de Rossignol et de Gastel, ses commissaires, se
trouve à A. G. R, papiers d'État et d'Audience, reg. 192, fos 84-85; BUS&EMAKER, o.c.,
t. II, pp. 264-267.
(62) Farnèse au Roi, Maestricht 3 août 1579 (GACHARD, o. C., 100. clt., pp. 467-468).
{63) Farnèse au Roi, 3 aoüt 1t}79 {GACHARD, o. c., 10c. clt., pp. 468-470),
(64) Lettre de Farnèse, Maestrlcht, 12 aoüt 1579 (B. N. P., ms. espagnol 182, r- 290ro).
(65) STRADA, o. c., t. m, p. 72.

224.
de rentrer dans les rangs des partisans du Roi, il avait voulu se signa-
ler par quelque action d'éclat et, le jour de Pentecôte de l'année 1579,
il avaitess.ayé de se rendre maître, avec son régiment, de la ville de
Bruxelles.
Ce coup de main ne réussit point et le comte fut obligé de s ',~n-
tendre avec le magistrat de. la ville pour pouvoir sortir de celle-ci
dans une honteuse retraite. Il s 'entendit interpeller 'ainsi. par les
chefs de Bruxelles: « Comment venez-vous surprendre vos amis?
Il Y a. aujourd'hui onze ans qu'en ce même lieu, ici, votre père eut
la tête tranchée. Nous soutenons sa cause et vous, vous vous eondui-
.sez en Espagnol! » Egmont se contenta de répondre que son père
.avait mérité la mort; puis, « enfonçant son chapeau sur s'a tête », il
partit avec son régiment, au milieu des huées de la population (66).
Depuis lors, il avait ouvertement adhéré à Ia réconciliation des pro-
vinces wallonnes et avait mené la guerre contre les Gantois en
Flandre. Il s'était emparé de Nivelles, de Grammont et de Ninove et
avait commencé des tractations secrètes avec les habitants d'Alost.
Le prince de Parme s'était empressé de se mettre en correspondance
avec lui, offrant de l'aider, s'il en avait besoin, et il avait prié le Roi
d'adresser à ce seigneur « une bonne lettre » (67).
Dans d'autres régions des Pays-Bas, la prise de Maestricht et
la réconciliation des Wallons ne tardèrent pas à faire sentir 1&'11r
influence.
A Bruges, les catholiques, enhardis, renversèrent le magistrat
hérétique et chassèrent de la ville. les ministres calvinistes. Ceux-ci
y étant revenus, deux factions y furent bientôt aux prises. Alexandre
Farnèse avait immédiatement averti le sire de La Motte, afin qu'il
introduisît dans la place un régiment de Wallons. La Motte ayant
trop tardé à exécuter cet ordre, huit compagnies dEcossais envoyées
en hâte par La Noue purent.s 'installer dans la ville et empêcher le
coup de main des gens du Roi (68).
Dans les Pays-Bas s-eptentrionaux aussi, la politique de Farnèse
provoqua des retours à l'obédience. Comme à Bruges, les catholiques
,de Bois-le-Duc, à la nouvelle de la prise de Maestricht, prirent les
armes et chassèrent les calvinistes.

(66) PIERRE COLINS, Histoire des choses les plus mémorables ..., éd, cit., pp, 592-593,
(67) Farnèse au Roi, 19 juillet et 3 août 1579 (GACHARD, o. c., loc. clt., pp. 465 et 470),
(68) Lettre de Farnèse, Maestrlcht, 25 juillet 1579 (B. N. P., ms. espagnol 182,
fo 290ro). La raison de l'échec fut que La Motte « no haver cumplido con la gente
de Montagut ». Gfr STRADA, o. C., t. III, pp. 190-191; BUSSEMAKER o. c., t, II, pp. 2,617-268.

225
Là s 'arrêtèrent les répercussions immédiates de la prise de
Maestrieht et de la réconciliation des provinces wallonnes. Le prince
de Parme n'avait probablement pas attendu davantage. Jamais, !lOUS
le savons, il ne s'était flatté de l'espoir que les régions où le prince
d'Orange dominait en maître retourneraient rapidement à l'obé-
dience du Roi: il avait même estimé que c'était perdre son temps
que de s'arrêter à ces chimères.

226
PL. Xl

LE PRINCE D'ORAI\GE
(Granll'.e extraite de itnstone cler ,Yeclerlallclscller entie tiaerâer tcuburen cortoaer:
d'E. yan :\Ietel'en, édition de 1614,)
CHAPITRE VII

LES NÉGOOIArrIONS POUR LA PAIX A OOLOGNE


ET LA RATIFIOATION DU TRArrÉ D'ARRAS
PAR PHILIPPE Il

Pendant qu'Alexandr~llrnèse conduisait ses négociations avec


les provinces wallonnes, on avait commencé à Cologne les tracta-
tions pour la paix générale, sous les auspices de l'Empereur. N:ous
n'avons pas à exposer ici l'histoire de ces événements (1), mais
nous devons nous borner à 'examiner si Farnèse joua un rôle quel-
conque dans l'ensemble de ces faits.
Le prince de Parme n'est pas intervenu directement dans les

négociations de Cologne. Il n'avait d'ailleurs pas à s'en mêler,
Ie duc de 'I'erranova y représentant directement le Roi et possé-
dant des instructions détaillées -eu sujet de la politique à suivre.
Tout en ayant reçu de Philippe II l'autorité nécessaire pour accep-
ter la réconciliation de tous ceux qui voulaient se remettre sous
l'obédience du Roi, aux conditions que l'on sait, Faruêseuavait à
s'occuper directement que des provinces wallonnes (2).

(1) Pour l'histoire du Congrès de C-ologne, on trouve des renseignements étendus da.ns
S'l'HADA, o. c. t. III, pp. 123~165; J. B. DE TAS SIS, Commenta1'i01'lHn de tumultï» belgicis ...,
éd. ctt., pp. 348-393; RENON DE FRANCE, Histoire des troubles des Pays-Bas, t.. II, pp. 390 svv, ;
GACHARD, Correspondance de Guillaume le Tacüurne, t. IV, pp. XCIX svv.; J. HANSEN,
Der niederUinclische Pacificationstall zu ](6In im Jahl'e '1579, dans le Westdeutsche Zeit-
schrift, 1894, pp. 127 svv.; J. HANSEN dans l'introduction de Nuntuüurbericlite aus Deutsch-
land, 3" sér., 1572-1585, 1. II, p. XXXVI svv.; E. GOSSART, La domination espagnole
'Ians les Pays-Bas à la fin du règne de Philippe II, pp. 110-119.
(2) Le Roi il Farnèse, Madrid, 21 novembre 1578 (A. Go R., Copies de Simancas.
vol. l1bis, [.0 Hil); Farnès-e au Ro-i, Vh;é, 31 décembre 1578 (ibidem, r- 285).

227
Il n'avait d'ailleurs aucune confiance dans cet essai de paci-
fication générale. Il n'ignorait pas que, du moins au début, le Roi
semblait attacher à cette question une importance considérable (3),
mais il voyait trop clair dans la situation pour se laisser bercer un
seul instant par l'espoir d'un succès quelconque. Ses lettres sont con-
tinueUement remplies dexpressions de scepticisme et sa conviction
à ce sujet ne vade jamais (4).
TI considéra toujours ces négociations pour la paix générale
comme un moyen, non comme un but. Il était convaincu que les États
Généraux ne voulaient pas la paix et que le prince d'Orange, dont
le pouvoir semblait solidement établi dans les régions qui suivaient
sa politique, était certainement le dernier à la désirer (5). Il ne
voulait voir dans les dispositions pacifiques qu'affichaient les États
Généraux qu'un moyen d'arrêter les préparatifs de guerre que l'on
faisait du côté espagnol et un stratagèmapour contrecarrer les pro-
grès que l'on pouvait espérer faire,
Les démarches qu'avait faites Schwarzembcrg pour obtenir la
conclusion d'un armistice, ••bien avant que le Congrès de Cologne ne
<

se réunît, n'avaient fait que le confirmer dans cette opinion. Aussi


le voit-on de plus en plus considérer les tractations qui vont s'ouvrir
comme un danger qu'il faut surveiller de près. Ce' qui le préoccupe,
-constamment, c'est la crainte de voir l'Emper,eur intervenir pour
réclamer la cessation des opérations militaires (6).
Il y avait encore une autre raisoe-pour considérer avec peu de
sympathie les efforts pacificateurs de l'Empereur. Le faLt même
qu'on avait chargé Rodolphe II de servir d'intermédiaire et qu 'on lui
avait abandonné la mission de réconciliation générale exerçait une
influence directe sur la marche des négociations du prince avec les
provinces wallonnes. Combien de fois - nous l'avons constaté -
les Etats Généraux n'essayèrent-ils pas de brouiller les cartes en
prétendant que Famèse n'avait aucun pouvoir pour entreprendre

(3) Le Roi à Farnèse, Madrid, 2 novembre 1578 {A. G. R., Copies de Simancas,
vol. l1bis, fo 104).
{4} Farnèse au Roi, 31 décembre' 1578 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. !ibis, [0 285) ;
Farnèse à Don Alonso de Sotomayor, Maestricht, 16 avril 15,79 (ibidem, vol. 12, fo 154);
Pamèse au Roi, même date (ibidem, vol. 12, fo 157); Farnèse au Roi, 18 avril 1579 {ibidem,
vol. 12, fO 171).
(5) Famèse au Roi, Visé, 31 décembre 1578 {A. G. R., loc. elt., fo 285).
(6) J. HANSEN, Nuntiaturberichte aus Deutschland, 3" sér., t. II, pp. LV et svv. -
Le 7 avril 1579, Granvelle écrit à Farnèse .au sujet de la demande d'armistice: « La
suspension d'armes est trop approuvée <du comte de Schwarzemberg pour que Votre
Excellence l'accorde» (Cor1'espondance de Granvelle, t. VII, p. 359).

228
des otractations particulières, qu'il faâlait ·s'en tenir au plan de
réconciliation générale voulu par le Roi et que ceux qui se laissaient
prendre aux appâts préparés par le prince se verraient, en fin de
compte, exclus des avantages qu'on pouvait obtenir à Cologne.
Aussi lorsque Farnèse intervient auprès du due de Terranova,
ce n'est jamais pour l'aider directement dans sa tâche de paoifica-
tion, mais c'est pour lui dénoncer les manœuvres d~ l'adversaire
et pour prêcher une grande prudence.
Dans l'instruction secrète qu'il avait remise au duc de 'l'erra-
nova, le Roi avait exposé ses vues au sujet de l'armistice que l'am-
bassadeur impérial Schwarzemberg s'efforçait d'obtenir au nom de
son maître. Il était d'avis qu'il ne fallait pas le refuser si les com-
missaires à la conférence députés par l'Empereur, Terranova lui-
même et le prince de Parme le jugeaient nécessaire pour faciliter
la marche des négociations (7).
Lorsque le duc de 'I'erranova-arriva à Cologne, il y reçut une
lettre d'Alexandre Farnèse, datée du 4 janvier 1579, où ce dernier
lui exposait à cœur ouvert ses sentiments. Farnèse expliquait au
plénipotentiaire du Roi d'Espa,gne qu'il considérait l'effort fait par
les Flamands pour traiter de -"a paix comme un artifice du prince
d'Orange, destiné à empêcher la continuation des tractations avec
les provinces wallonnes et à obtenir une trève, dont ils profiteraient
.pour augmenter leurs forces militaires. Il déclarait à Terranova
qu'il nabandonnerait pae ses négociations avec l'Artois et les autres
provinces méridionales, connaissant bien l'intention de Philippe II
à ce sujet. Mais il désirait savoir quels ordres le duc avait au sujet
de l'armistice, en vue duquel il était continuellement sollicité par
Schwarzemberg. Ilavertit sans ambages Terranova qu'il était .opposê
à cette demande (8).
Par lettre du 19 février, le plénipotentiaire espagnol répondit
à Farnèse: la trève entrevue ne devrait durer que pendant la période
où tous les députés seraient assemblés à Cologne et, comme les Etats
Généraux n'avaient pas encore désigné leurs représentants, il ne
pouvait être question d'armistice en ce moment (9).
- Cependant l'Empereur, travaillé par les Etats Généraux, s'étonna
auprès de 'I'erranova, qu'il fit venir à Prague, du refus du prince

(7) STRADA, O. C., t. III, p. 128,.129. Strada eut en mains les documente originaux
concernant le Congrès de Cologne.
1(8) STRADA, O. c. t. III, pp. 129-130. '
(9) STRADA, o. C., t. III, p. 132.

229
de Parme de concéder l'armistice àSchwarzemberg. Le duc n'avait-il
pas dans s-es instructions un paragraphe qui lui recommandait de
l'accorder?
Le plénipotentiaire espagnol fit observer qu'il n'était pas le
.seul maître sur ce point et que l'avis du gouverneur général des
Pays-Bas était indispensable pour proclamer la trève. De son côté,
L'ambassadeur de Philippe II à la Cour impériale, Don Juan de
Borgia, que' Farnèse avait averti en temps utile, parla dans le même
sens. De concert avec Terranova, il supplia Rodolphe, au nom du Roi
d'Espagne, de ne pas encore parler de suspension d'armes en ce
moment et d'attendre jusqu'à ce que toutes les pacties en cause lui
eussent remis la négociation pour la paix (10).
Au début de mars, un message da Bchwarzemberg mit l'Em-
pereur en colère. Il y apprit comment Farnèse avait berné l'ambas-
sadeur impérial, en lui refusant à diverses reprises un entretien au
sujet de l'armistice. Rodolphe ayant menacé de faire retomber les
responsabilités non seulement sur Je prince de Parme, mais aussi
sur 'Terranova et Borgia, ces deux derniers apaisèrent l'Empereur
en lui laissant espérer que la t~ève se 'COnclurait. Strada suppose,
avec beaucoup de vraisemblance, que les deux ministres espagnols
avaient d'autant plus facilement cédé sur ce point que le c-Ourrier
envoyé par Schwarzemberg avait apporté la nouvelle. que, dans une
bataille- contre les Etats, If.arnèse avait perdu 10.000 hommes et
avait été vaincu (11).
'La nouvelle, il est à peine besoin de le dire, était fausse. Au
contraire, le prince de Parme venait en ce moment de refouler l'in-
fanterie des Etats jusque dans Anvers et avait commencé le siège
de Maastricht.
Aussi, lorsque Don Jua-n de Borgia essaya d'amener Farnèse
à confirmer la promesse de trève, le prince refusa de se prêter à ce;
jeu (12). Comprenant le danger où on voulait l'entraîner, il décida
d'enrvoyer à la Cour impériale le seigneur de Gomicourt pour mettre

(10) STRADA,O. c. t. III,. pp. 132-134 ..


(H) STRADA,o. c., t. III, p. 135.
(12) « Di Praga l'Imperatore et in contormita il Sor duca di Terranovaet il SOr Don
Giovanni di Borgia scrissero al Sor principe di Parma che conoedesse am stati suspen-
stone d'armi, ma S. Eco. .a si scusô, dicendo nan conventre al servitio del Re, anzi andô
sopra Mastrloh. » Le nonce Castagna au ca1'dina~ de Come, Cologne, 2 avril 1579 (J. HAN-
SEN, O. c., t. II, p. 276).

230
les choses au point et pour expliquer le péril que ferait courir l'ar-
mistice à la cause du Roi (13).
Rodolphe consentit à remettre la question jusqu'au moment où
tous les députés seraient arrivés à Cologne et où le congrès pour-
rait s'ouvrir.
Au début d'avril, les séances commencèrent. Farnèse n'eut
guère à s'en occuper et il aurait probablement continué à se désin-
téresser de ces efforts qu'il savait stériles si, à un moment, la ques-
tion de la trève n'avait été de nouveau soulevée. Le prince de Parme,
précisément pour brusquer l'entreprise de Maëstricht avant que la
proposition darmistioe ne fût venue arrêter ses 'efforts - nous
l'avons dit plus haut - venait d 'attaquer en vain la place iet de subir
l'échec sanglant du 9 avril. Le prince d'Orange en profita tout de
suite; il 'envoya Jean de Nassau à l'assemblée de Cologne pour exciter
les députés des Etats à poser de nouveau la question de la suspension
d'armes (14).
Ces députés se répandirent en violentes récriminations contre
Farnèse, le blâmant de son opiniâtreté et l'accusant de traverser
leurs efforts de pacification par ses entreprises militaires. Mais le
duc de Terranova réussit à éluder habilement la question et à faire
abandonner une 'nouvelle fois la demande-f!5).
Cependant, dès le mois de février, le Roi, sous l'influence des
idées de Farnèse, ne cachait plus à ce dernier qu'il eût été souhai-
table de voir la réconciliation générale se faife sans l'intervention de
.l'Empereur ou de n'importe quel autre prince, et de plus en plus
il considérait les négociations avec les provinces wallonnes comme
étant plus importantes que le congrès de Cologne (16). Le 21 février,
il alla jusqu'à lui écrire confidentiellement: « Ce qui importe beau-
coup, c'est la réduction, non seulement des Wallons, mais de toutes
les provinces, sans que l'Empereur ou quelque autre prince s'en
mêle. Mais ne laissez pas entendre que c'est moi qui vous l'ordonne;

(13) Nous avons parlé de cette mission au chapitre IV et fait connaître ,Je contenu
des mstructtons de Gomicourt. Sur la façon dont Gomicourt s'acquitta de sa mission,
voir STRADA,o. c., t. III, pp. 136-140.
{14) STRADA,o. c., t III, p. 150. Le 19 mai le nonce Castagna écrit au cardinal de
GOIIlle: « Qui si sta ancora net prtnciplo 'e si fa grand rnstanza di sospensionl d'armi
per libel'are per questa via illas/rien » (BRoMet HENSEN. Romeinsche bronnen ..., p. 584,
n- 744). -!
(15) Ibidem, pp. 150-153 : GACHARD,Actes des États Généraux, t. II, p. 201, nO 1844.
(16) Le Roi à Farnèse, Madrid, 7 février 1579 (A. cr. R., Copies de Simancas, vol. 12,
fo 51). Le même au même, 20 f,évl'ier 1579 (ibidem, fo 87).

231
dites simplement que vous accueillerez tous ceux qui veulent se récon-
cilier, suivant en ceci les ordres que j'avais donnés à Don Juan» (17).
Au mois de juillet, Farnèse eut de nouveau un sujet d'inquié-
tude (18). A ce moment, Ies commissaires de l'Empereur avaient
réduit à 21 articles toutes les propositions d'accord et les avaient
remises entre les mains des députés du Roi dEspagne et de ceux des
'États Généraux. Le duo d' Aersehot exprima l'espoir que les pro-
vincesaccepteraient ces clauses, et ajouta que, puisque les six
semaines de leur députation étaient expirées - on était vers la: 00-
juillet -, on enverrait un messager avec ces articles à Anvers, auprès
des Etats Généraux et aux provinces qui étaient représentées à
Cologne. Il fit en même temps remarquer que certaines dè ces pro-
'vincess 'attendaient de jour en jour à être envahies par les Espa-
gnols, que les messagers couraient du danger et que ces circonstances
menaçaient de bi·l'e traîner les choses en longueur. Il finit par
demander que, pendant quelque temps, on cessât les hostilités. C'est
ainsi que l'épineuse question revint SUl' le tapis (19).
Le 13•.Juillet, Terr.anova communiqua au prince de Parme les
articles proposés par les commissaires et lui demanda son avis au
sujet de la trêve (20). Après en ·avoir délibéré en conseil, Farnèse
répondit évasivement au sujet des propositions mêmes des commis-
saires impériaux, mais jugea nécessaire de mettre 'I'erranova en
garde. TI soupçonnait dans les bonnes dispositions apparentes des
députés des Etats Généraux une manœuvre du Taciturne. Ne vou-
lait-on pas, par ce semblant d '.acquiescement, retarder les opérations
militaires en un moment dangereux pour les États, lorsque la
Gueldre était en ébullition et que Nimègue et dautres places de cette
province n'étaient pas en état de se défendre contre les Espagnols?
(17) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 12, fo 99. C'était aussi l'avis de Granvelle, qui
attachait plus d'importance aux négociations avec les Wallons qu'aux tractations de
Cologne. (Correspondance de Granvelle, t. VII, p. 386).
(18) Les cornmlssalres impériaux, ayant appris que Farnèse négociait avec les
Wallons, avaient demandé des explications à 'ï'erranova. Celui-ci leur avait rëconou « che
il 5°' prencipe di Parma è governatore generale et per vlgore di tale offiUo pu6 accettare
et raccogtiere tubti quegli che volessero ritornare alla debif:ia. obedientia. » Le nonce
Castagna au cardinal de Come, Cologne, 15 mai 1579 dans J. HANSSEN, O. G., t. II, p. 288.
(19) 5TRADA, o. C., t. III, pp. 156-157; Lettres des députés au Congrès de Cologne
adressées aux Etats Généraux à Anvers, 18 juillet, 20 juillet, 31 juillet 1579 (GACHARD,
Actes des Etats Généraux, t. II, pp. 234-237, nO' 1926, 1927, 1931).
(20)' Le nonce apostolique, Castagna, écrivit à ce moment une lettre à Farnèse
où il insistait, de son côté, sur l'opportunité 'd'accordér une trève. Il avait trouvé les
députés des Etats Généraux bien disposés et Il était d'avis que la concession de la trève
serait peut-être un moyen d'adoucir des ,gens exacerbés. (BROM et HENSEN, Romeinsche
Lronnet; ..., p. 596, no 766).

232
Toutefois, pour ne pas être cause d'un trouble quelconque dans la
marche des négociations, le prince ne refusait pas de consentir à une
trève, à condition que les députés reçussent de leurs mandants les
pouvoirs de conclure le traité, pouvoirs qu'ils prétendaient ne pas
avoir (21).
Cette condescendance de Farnèse s'explique fort bien. Depuis le
29 juin, il avait glorieusement terminé le siège de Maestricht ; un de
ses objectifs principaux était atteint. D'autre part, la situation de
son armée, affaiblie par les pertes subies et où la révolte grondait,
faute de paie, n'était pas de .nature à lui permettre de grandes entre-
prises. Les négociations avec les Wallons étaiernten bonne voie. Tout
pouvait l'autoriser à se montrer, cette fois, gênêreux (22).
Cependant, l'entreprise de Cologne était condamnée à l'échec. Le
Roi n'eut bientôt plus dillusions à nourrir. Le 4 juillet, au moment
où la :fièvre le retenait dangereusement malade dans sa tente, le
prince de Parme avait encore Berit au souverain: « La négociation
de Cologne ne donnera rien, car Orange dominant les provinces qui
le suivent, celles-ci ne feront que ce qu'il désire. La paix de tout le
pays est trop opposée à la fin que, dès le début, il a cherchée. » ('23~
Les événements lui donnèrent raison. Le 26 juillet déjà, le Roi dut en
convenir: il fit/
'savoir, de Madrid, qu'il restait peu d'espoir
,
d'arriver
à un accord. Il tremblait d'indignation à l'idée que les 'Etats Généraux
osaient réclamer la Relligionsfried et le maintien de Mathias comme
gouverneur général. '
La conférence ne devait cependant pas se terminer alors : elle
traîna jusqu'au mois de novembre. Puis, tout croula. Philippe II
ne voulut consentir à aucune concession dans la question r~igieuse :
il exigeait le maintien sans réserves de la religion catholique,
d 'ailleurs soutenu en ceci par le nonce Castagna, que Grégoire XIII
avait envoyé à Cologne pour pousser à la réconciliation (24).

(21) STRADA,O. C., t, III, pp, 157-158,


(22) Le 2 août, les députés des, Etats Généraux furent avertis que le duo de Terra-
nova ne voulait pas concéder la treve, parce que, entre autres raisons, leur commission
pour conclure le tcatté de paix n'était vas en règle ou suffisante, et que les articles
exhibés en dernier lieu de la part des commissaires impériaux étaient si modérés et
raisonnables que la paix pourrait se conclure avant.qu'une suspension d'armes ne fût
nécessaire. (GACHARD,Actes des Etats Généraux, t. II, p. 240, n° 1939) .
.(23) A. G, R., Copies de Simancas, vol. 13, fo 5.
(24) J. HANSEN, 0, c., t. II, p. LXIII. Terranova écrit lui-même à Philippe' II : « el
punta de la religtom.; que solo por él ha dexado de tuuerse la paz ». (A. G, R., Copies
de Simancas, vol. 13, fo 141),

233
Le nonce, en faisant connaître' au cardinal secrétaire dfÉtat
J'échec de la conférence, essaya de se consoler et de consoler son
chef en lui écrivant comme suit : « Tous ensemble, nous jugeons que,
quoiqu'on n'ait pu obtenir la paix générale, néanmoins ce congrès
n'aura pas été inutile et pourra porter des fruits ... Les articles pro-
posés ici commencent à être goûtés par beaucoup. de villes, dont on
espère qu'elles se réconcilieront avec le prince de Parme en sa qualité
de gouverneur général, lequel a le pouvoir, soit avec les articles de
Cologne, soit avec ceux acceptés par l'Artois, le Hainaut, etc., de les
recevoir et il les accueillera avec beaucoup d'humanité, comme il a
déjà commencé à faire avec quelques-uns » (25).
Ces paroles du nonce apostolique, qui tentent de cacher l'échec,
sont la meilleure justification de l'attitude que le prince de Parme
'n'avait cessé de garder à l'endroit de cette entreprise sans espoir
et sans issue.

Cependant, Alexandre Farnèse avait continué à faire les prêpa-


ratifs nécessaires pour 'Illettre au point les articles du traité d 'Arras
qu'il n'avait voulu accepter que sous réserve. La situation n'était
pas aussi bonne qu 'on aurait pu l'espérer après la ratification de
l'accord, faite à Maestrieht.
Elle était rendue compliquée par le mécontentement que mani-
festaient les chefs des Malcontents contre LaMotte au sujet de
l'exécution des clauses du traité de Mont-Saint-Éloi, La Motte avait
déjà versé à Montigny, pour le paiement de ses troupes, une tranche
de 65.000 écus, puis une autre tranche de 10,000 écus, Il avait ensuite
cessé tout paiement sur l'ordre de .Parnèse, qui l'avait obligé
d'attendre l'accord final des ~T allons. Maintenant que le traité avait
été ratifié à Maestricht, il aurait fallu procéder au versement de c{\
qui restait à payer, mais l 'argent manquait et La Motte ne pouvait
faire face à ses obligations (26).
D'autre part, les provinces wallonnes étaient mécontentes de ce
que le traité de réconciliation restât soumis à des interprétations au
sujet desquelles leurs députés et ceux de Farnèse avaient encore à
se mettre d'accord (2·7). Ceux qui l'avaient négocié, Moulart, de

(25) J. HANSEN, o. C., t. II, p. 359.


(26) BUSSE;\lAIŒR, o. c., t. II, p. 255.
(27) Ibidem, p. 254..

234
Selles et Valhuon, sachant bien que le prince de Parme les accu-
sait d 'avoir outrepassé leurs instructions, craignaient de voir se
produire une rupture. Ils supplièrent Ie cardinal de Granvelle, que
le Roi venait d'appeler il, Madrid pour faire partie de son Conseil,
d'user de toute son influence pour que le souverain ne rejetât point
les articles de l'accord (28).
En attendant lui-même des indications au sujet de l'impression
que le traité avait faite sur Philippe II, Farnèse prépara les instruc-
tions des commissaires qui devaient discuter avec ceux des provinces
wallonnes les articles restés obscurs ou douteux 'et préparer en même
temps la mise sur pied d'unco,rps d'm'mée national (29). Impatientés,
les États des provinces wallonnes lui avaient envoyé Eustache de
Oroy, seigneur de Crecques, pour le prier d'activer la nomination des
délégués et la réunion de la conférence qui devait se tenir (30).
Le 14 août, les instructions pour ces délégués étaient prêtes.
Farnèse s'était résolu à les faire dresser à la suite des circon-
stances que voici. Aux délégués des provinces wallonnes, qui le
pressaient d'ouvrir la conférence prévue à Mons, à Arras, à Lille ou
à Douai, il n 'avait pas répondu, parce qu'il attendait le retour de
Sotomayor, qu'il avait envoyé à Madrid pour obtenir du Roi des
indications et de l'argent. Le 8 août, l'envoyé fut de retour à Maes-
trieht. Il apportait de l'argent, mais pas en quantité suffisante pour
satisfaire les Malcontents. Quant aux instructions que Sotomayor
avait avec lui, elles étaient sans valeur pratique, puisque Philippe II
les avait dictées à Madrid à un moment où il ne connaissait pas
encore la nouvelle de la .ratiûcation du traité d'Arras par Farnèse
et les clauses de cet accord (31). Comme ce fut si souvent le cas dans
l'histoire des troubles des Pays-Bas, les ordres du Roi n'étaient plus
exêcutables, les événements ayant, entretemps, pris une nouvelle
tournure.
Pour les négociations générales ou particulières, disait le Roi,
la Pacification de Gand ne devait pas être un obstacle- insurmontable.
En <le qui concernait le départ des soldats étrangers, le prince de
Parme et le duc de Terranova savaient qu'il ne devait se faire qu'en

(28) Lettre datée de Mons, 12 juillet 1579 {A. G. R., Copies de Sirnancas, vol, 13, fo 21).
(29) Farnèse au Roi, 19 juillet 1579 {GACHARD, Correspondance d'Aleœoïuire Farnèse,
luc. clt., p. 465); Le même' au même, 3 aoüt 1579 (ibidem, p. 470), '
(30) Farnèse au Roi, 3 aout 1579 (Loc. cit.).
(31) BUSSEMAJŒR, o. c., t. II, p. 276.

235
cas de paix générale. Si les provinces wallonnes demandaient que les
Espagnols sortissent de tout le pays, il fallait déployer des .efforts
pour leur faire abandonner cette exigence. S'il n'était pas possible
d'obtenir cette concession, on ne pouvait cependant pas laisser partir
ces troupes sans que le Roi fût avisé, Si les négociations devaient
échouer) il fallait réformer l 'armée,se contenter de bien garnir les
places. qu'on possédait cet, pour le reste, tenir la campagne aussi
longtemps que possible avec 1.500 à 2.000 cavaliers d'élite et 4.0QO
à 5.000 fantassins. Enfin, le Roi tenait surtout à ce qu'on arrivât à
la paix générale, et, à défaut de celle-ci, à un accord particulieryen
respectant les deux points de la religion et de l 'obêdience. En cas
d'échec dans ce domaine-là aussi, il ne resterait plus qu'un troisième
et ultime moyen pour sortir de l'impasse (32).
Farnèse, profondément désappointé de voir que ces suggestions
étaient sans utilité aucune au moment où elles lui étaient parvenues,
répondit immédiatement au Roi (33). Il lui' répéta une fois de plus
quil ne fanait rien attendre des négociations de Cologne ; que, dans
les négociations particulières avec les Wallons, il avait dû accepter
la condition du départ des Bspagnols -sous réserve de l 'approba-
.tion de Sa Majesté - et qu'il avait dû consentir à ce que ces soldats
quittassent le pays dès que l'armée nationale' serait sur pied. Il se
flattait cependant de l'espoir que, comme les Wallons devaient faire
une guerre offensive, ils me pourraient se contenter des Allemands ,et
des Bourguignons, mais qu'ils devraient aussi faire nécessairement
appel aux Espagnols et, surtout, à la cavalerie légère {italienne et
albanaise). TI ue voyait que cette alternative pour le Roi: ou bien
soutenir les catholiques et tous ceux qui voulaient revenir à l'obé-
dience, ou bien rompr-e les négociations.
Comme l'arrivée ae Sotomayor n'avait 'apporté 'à Farnèse aucun
élément nouveau pour les décisions à prendre, il ne put laisser
attendre plus longtemps les délégués des provinces wallonnes eft
rédigea donc les instructions pour ses propres délégués.
ICe document (34) nous permet de voir comment le prince de
Parme entendait habilement interpréter le traité d'Arras en sa
faveur.

(3·2) Copia de 'relaçion descifrada que Don Alondo de Sotomayor di6 al Pl'incipe de
Parma, Tolède, 7 juin 1579 {A. G. R., Copies de Simancas; vol. 13, r- 52).
{33) Maestricht, 16 août 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, fo 54).
(34) A. G. R.,Papiers d'Etats et d'Audience, reg. 192, fO. 85ro_97°°,

236
Après avoir exposé d 'une manière générale le but de la confé-
rence et indiqué que, pour des raisons de commodité, il avait choisi,
comme endroit où l'on se réunirait, la ville de Mons, Farnèse rappe-
lait les origines de la scission des provinces wallonnes, la marche
des négociations et le résultat de celles-ci. Il n'oubliait pas de mettre
en relief, une fois de plus, que les commissaires qui avaient négocié
cet accord avaient outrepassé leurs instructions et lui avaient pour
ainsi dire lié les mains. Il voulait ainsi faire comprendre à ses 'délé-
gués qui iraient à Mons que,cette fois, les instructions devaient être
suivies ponctuellement et qu'çn ne pouvait s'en départir sur aucun
point.
Le prince de Parme s'attendait à voir les commissaires des pro-
vinces wallonnes élever des protestations contre les changements
qu'il voulait apporter aux articles du traité, mais il était résolu à y
répondre. Il ferait valoir que ses délégués à Arras avaient outre-
passé 'ses instructions et qu'il se voyait, bien à regret, obligé de
revenir sur les 'articles qu'ils avaient acceptés contrairement à ses
Intentions. D.ans ce but, les commissaires qu'il envoyait à la confé-
rence de Mons emporteraient avec eux les instructions que Moulart,
de Selleset du Valhuon avaient eues naguère" la correspondance
échangée avec eux par le prince et la spécification des p'Oints sur
lesquels ils .avaient outrepassé leurs pouvoirs.
Cependant, les commissaires ne pouvaient produire ces pièces
que comme dernier argument, lorsque tout autre essai de convaincre
les délégués wallons aurait êehoué. Il leur était aussi formellement
enjoint de ne laisser remettre en discussion aucun des articles sur
lesquels les délégués wallons et Farnèse s'étaient antérieurement mis
d'accord. La discussion ne devait et ne pouvait se porter que sur les
articles, au sujet desquels les apostilles du prince sur le texte du
traité avaient formulé d',express·es réserves.
Ces réserves furent de nouveau signalées en détail dans les
instructions pour les nouveaux commissaires. Il s 'agissait d'abord
des articles 6, 11 et 1<8du traité. Farnèse entendait que les limitations
posées au libre choix du Roi pour les gouverneurs des provinces,
villes ,et forteresses ne devaient pas s 'étendre aux régions situées
en dehors des provinces réconc'iliées. Le droit constitutionnel du s'Ou-
verain ne pouvait pas être diminué dans Tesprovinces qu'il possédait
en ce moment, en dehors. des régions wallonnes. Il fallait donc refuser
de laisser comprendre dans le 'traité des places que Sa Majesté tenait

237
depuis toujourn.comme Chimay, Beaumont, Philippeville et Mariem-
bourg, dans le dessein de les réunir au Hainaut et d'y faire appliquer
les avantages du traité.
Le prince répétait aussi son interpr-étation des mots « agréables
aux provinces wallonnes », qui ne pouvaient exclure du bénéûce des
charges à conférer les seigneurs restés fidèles au Roi. Il en fut de
même de l'article concernant la compréhension, dans le traité, du
Roi de France et du duc d'Anjou: il ne pouvait en être question.
En ce qui touchait les articles 15 et 16, Farnèse exigeait que les
provinces wallonnes se soumissent tout de suite à l'autorité du
gouverneur g,énéral, sans attendre la publication du traité ,et la
sortie des Espagnols. On ne pouvait invoquer à <le sujet l'exemple
de Don Juan, que le pays uadmit au gouvernement général qu'après
la sortie des soldats étrangers. Don Juan ne pouvait, en effet, entrer
en charge avant que le Conseil d"Ét.at, que le souverain avait insti-
tué pour diriger les affaires, n'eût été formellement déchargé de
cette mission. TI n'y eut donc jamais de moment où le pays fu't sans
chef légitime. Il ne pouvait donc être question de ne pas obéir à Far-
nèse pendant que les Espagnols seraient encore aux Pays-Bas,
Les commissaires devaient proposer, au sujet de la nomination
des membres du Oonseil d"État (article 16), de donner un tiers des
mandats aux provinces wallonnes, et de laisser un autre tiers à la
disposition des provinces qui se réconcilieraient par après. En tous
cas, les comtes de Mansfelt et de Rœulx, le sire de Vaulx et d'Asson-
ville feraient partie du Conseil, puisquils 'tenaient déjà commission
royale à cet effet. On suggérait aussi comme lieu de résidence du
Conseil d "État la ville de Louvain, sinon Mons.
Oomme on le comprendra, l'attention du prince de Parme
.s'était surtout portée sur la question militaire, c 'est-à-dire la mise
sur pied de l'armée nationale exigée pare le traité.
Les commissaires devaient laisser les députés des 'États entamer
eux-mêmes les premiers la discussion sur ce point. Lorsque celle-ci
serait pleinement 'engagée, ils mettraient en avant la nécessité pour le
Roi de continuer la guerre pour recouvrer le reste de ses domaines et
pour profiterencore de la saison, qui était bonne pour faire la cam-
pagne. La prise de l'une ou de l'autre ville importante s 'imposait,
pour déterminer plus facilement les autres à se rendre. L'armée qu'on
mettrait sur pied devrait être forte et puissante, si l'on voulait s'em-
parer d'une ville suffisamment importante pour entraîner, par sa

238
conquête, de nouvelles réconciliations et si l'on voulait éviter de voir
l 'ennemi, encore bien pourvu de troupes, se lancer contre une ligne
de défense aussi étendue - de Gravelines à Ruremonde - et si diffi-
cile à tenir. Pour répondre à toutes ces nécessités, le prince estimait
nécessaire une armée d'au moins 30.000 fantassins ,et 8.000 cavaliers.
Il faudrait donc établir une statistique complète des forces dont les
provinces réconciliées pourraient disposer et de celles que Farnèse
pourrait retenir conformément au traité.
On aurait ensuite à dresser le plan des opérations militaires à
entreprendre: se dirigerait-on du côté de la Flandre où du côté de la
Gueldre, ou bien essaierait-on de s'emparer de Bruxelles,afin de
s'ouvrir le chemin vers Gand ~.si l'on estimait que l'entreprise devait
être dirigée du côté de la Gueldre, 'la prise de Venloo s'imposait, car
ainsi on pourrait facilement pousser vers Grave et Nimègue et
approcher au plus vite des régions maritimes, afin d 'y paralyser le
trafic des rebelles. On avertirait aussi les provinces wallonnes que de
bonnes garnisons devraient garder Buremonde, Maëstricht, le ehâ-
,teau de Karpen, Limbourg et les châteaux de la Meuse, Straelen,
E:rIkelens, Léau, Diest, Sichem, Aerschot, Louvain et les: châteaux
d'alentour, Gembloux, Namur, Philippeville, Mariembourg, Charle-
mont, Chimay et Malines.
Si les provinces wallonnes manifestaient l'intention de se con-
tenter pour le moment de la guerre défensive, remettant l'offensive
à L'annéaeuivante, les commissaires devaient leur déclarer que le
prince de Parme s'attendait, pour le moins, à voir continuer la poli-
tique de « la grâce dans l'une main et du glaive dans l'autre », qui
avait si bien réussi jusqu'ici, surtout depuis la prise de Maestricht.
Il fallait profiter de l'impression produite dans le pays, ne pas laisser
se refroidir Ies bonnes inclinations à la paix et à ~a 'rêconciliation,
et ne pas donner au prince d 'Orange 1'occasion de détruire par
ses manœuvres le bon 'effet des .rêsultats obtenus. Farnèse n'était
point disposé à se contenter dune guerre défensive, sachant quel
dommage en résulterait pour le service du Roi.
Il était à prévoir que les députés wallons insisteraient pour
publier aussi vite que possible le texte du traité, afin davancer. ainsi
la date du départ des soldats étrangers. Comme ce départ ne pourrait
en tous cas se faire avant qu'on n'eût mis sur pied une armée
suffisante pour la défense du pays, les commissaires devaient leur
montrer ce qu'il y avait de déraisonnable dans cette exigence.

239
Une dernière et importante recommandation était faite aux
délégués. Afin d'éviter que la noblesse wallonne ne pût insister obsti-
nément sur les points qui avantageaient son intérêt particulier,
il était nécessaire de se mettre en communication avec le peupâe, par
l'intermédiaire du magistrat, du conseil et de la commune de Mons.
En examinant l "ensemble des instructions données par le prince
de Parme à ses agents, on reste frappé de l'importance qui est
accordée aux affaires militaires. Il semble bien que Farnèse dévelop-
pait ainsi, avec une précision et une étendue exagérées, ce grand plan
d'action, dans l'espoir de faire comprendre aux provinces wallonnes
qu'on ne devait pas renvoyer les 'soldats étrangers. Il ne pouvait,
certes, avoir sincèrement confiance dans les seules troupes na'tionales
qui formeraient la nouvelle armée.
En effet, au moment même où il faisait rédiger ses instructions
pour la conférence de Mons, il écrivit 'au Roi dans les termes sui"
vants : « Je reste fidèle ,à l'opinion que j'ai toujours eue. Si l'on se
défait des soldats étrangers, l'ensemble du corps catholique étant si
faible, Ile nombre des mal intentionnés parmi eux étant si grand, et
les autres n'étant pas aussi résolus à se réconcilier comme il le
faudrait, ces provinces se perdront, si Votre Majesté ne les aide,
comme elles espèrent qu'Elle fera. EUes n'auraient ni chefs, ni
troupes qui vaillent quelque chose. Par contre, le prince d'Orange
aura l'un 'et L'autre de façon très complète, il se sert de Français,
d'Anglais et d'Ecossais, qui sont de valeur si supérieure aux Wal-
lons, comme on le sait. En ceux-ci, on ne peut avoir que médiocre
confiance: étant chez eux, dans leur patrie, il arrivera pour ces soû-
dats ce qui est arrivé lors de la guerre de Grenade, c'est-à-dire
qu'aujourd'hui on aura une armée, 'et demain on n'en aura
plus. » (35)
,Oe fut le comte Pierre-Ernest de Mansfelt que Farnèse mit à la
tête des commissaires qu'il envoya à la conférence de Mons : ce choix
avait été probablement influencé par Marguerite de Parme, avec
laquelle le prince ne cessait de correspondre. Peut-être Farnèse
l'avait-il choisi aussi parce qu'il ne faisait pas partie de la noblesse
wallonne et qu'il ne voulait plus renouveler l'expérience quil avait
faite antérieurement avec Moulart et Valhuon. Les autres commis-
saires étaient les seigneurs de Rossignol et de Gomicourt, les con-

(35) Farnèse au Bol, Maestrioht, 16 aoüt 1579 (Loc. cit.).

2400
seillers Vendeville et Houst, le conseiller de Frise Georges de Wes-
tendorp, et le secrétaire Le Vasseur (36).
Les députés des provinces wallonnes avaient attendu avec grande
impatience les commissaires du prince de Parme. Le 18 août, ils
avaient fait savoir que, si ces commissaires n'étaient pIUS arrivés à
Mons le 25 du mois, ils publieraient le texte du traité tel qu'il avait
été établi à Arras (37). Or, :le voyage des délégués de Farnèse fut
encore troublé par ce que l'on peut considérer comme une manœuvre
des 'États Généraux ou du prince d'Orange (38). Le comte de Lalaing
avait reçu d 'Anvers une lettre, qui était écrite, semblait-il, par Jean-
Baptiste de Tassis, conseiller du prince de Parme,et adressée au
greffier des 'États du Hainaut et à l'abbé de Hasnon. Dans cette
missive, rédigée dans des termes vagues, 'I'assis 'essayait de semer la
zizanie et parlait de Ia paix comme s'il s 'agissait uniquement d'une
manœuvre des Espagnols. Oette lettre était une fabrication des
adversaires de Farnèse, mais elle provoqua à Mons une émotion con-
sidérable (39). Mansfelt et les autres délégués, avertis du fait, n'osè-
rent pas continuer leur voyage et s'arrêtèrent à Ligny. Le prince de
Parme réussit à calmer les députés des provinces wallonnes (40),
mais les négociations avaient été retardées par l'incident au point
que le mois d'août était déjà terminé lorsque Mansfelt et ses collègues
arrivèrent à Mons (41).
Ils y trouvèrent non seulement 'les commissaires des provinces
wallonnes, mais aussi des députés de la ville de Malines qui venaient
se réconcilier aux mêmes termes que ceux du traité d'Arras. Ges
députés avaient cependant mandat de ne pas reconnaître tout de
suite Farnèse comme gouverneur et de ne pas mettre les troupes de
Malines 'sous le commandement de ses officiers (42).
(36) Farnèse au Roi, 12 octobre 1579 (GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse,
loc. cit., .p. 494). Lettre de Farnèse, 12 août 1579 (B. N. P., ms. espagnol 182, JO 290'°);
Libl'Q de las cosas de Flandes, fO 198'°.
{37) BUSSEMAh.'ER, o. c., t. II, p. 279.
(38) Sur cet incident, voir les' expûtcatlona rdonnées par J. B. de 'l'assis dans ses
Commental'iol'um de tumuitis belgicis ..., pp. 4H-412.
(39) BUSSEMARER, o. C., t. II, p. 280 et note; J. B. DE TASS1S, O. C" loc. ctt, ; J. RÜBSAM,
Johan Baptista von Taxis; pp. 47-48.
0(40) BUSSEMAKER, o. c., t. II, pp. 281-282.
(41) Farnèse au Roi, 14 octobre 1579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, fo 117).
La sol-disant lettre de Tassls était en réalité une missive du baron de Selles 'adressée
à Juan de Vargas Mexla (ibidem).
(42) BUSSEMAKER, o. c., t. II, p. 282. Voir les lettres de Farnèse au Roi du 19 juillet
et du 12 octobre 1579, dans GACHARD, Correspondance d'Alexandl'e Farnèse, loc. clt.,
pp, 466-467 et 485.

241
Le 1=scptembrc, la conférence s 'ouvrit. Mansf'elt, qui savait que
le prince de Parme aimait que l'on traînât les négociations en lon-
gueur aussi longtemps que Philippe II n'aurait pas fait connaître
son avis sur Pensemble du traité, entama des discussions oiseuses
sur certains points des commissions des délégués wallons. Mais
ceux-ci lui firent immédiatement comprendre qu'ils ne se prêteraient
pas à ce jeu. Ils déclarèrent que, dans dix jours, les tractations
devaient être terminées et que le texte de l'accord devait être publié,
même si on n'avait pas fini d'en discuter les termes obscurs.
Mansfelüee vit bien obligé de commencer la discussion de ces
points. TI rencontra chez ses adversaires peu de condescendance au
sujet des questions auxquelles Farnèse attachait une grande impor-
tance. Le 9 septembre, Mansfelt envoya le conseiller Houst à son
maître pour le mettre au courant de ce qui se passait et pour obtenir
des instructions précises de Farnèse avant le 10 (43).
Le prince de Parme écrivit de suite au Roi, Il lui fit connaître
que les députés des provinces wallonnes étaient décidés à publier
le traité, coûte que coûte, afin de rapprocher le délai de six semaines
au bout desquelles les Espagnols devraient quitter le pays. Il se
déclara fort perplexe: « ;Si je ne me, range au désir des délégués
ou si je demande un délai, c'est la rupture; si je donne satisfae-
tion aux Wallons sur ce point, j 'agiscontrairement aux ordres de
Votre Majesté, qui m'a prescrit de ne pas y consentir sans la con-
sultervCe qui est pireencore, même si j'accepte de laisser partir les
Espagnols si tôt, je ne pourrai exécuter l'a promesse, car pour les
licencier, il faut de l'argent, et je n'en ai pas ».
'Le prince de Parme résolut cependant de faire traîner Ies négo-
ciations jusqu'à ce qu'il eût des nouvelles du Roi (44).
D "est dans ce sens que, ile get lei 10 septembre, il rédigea des
instructions pour le commis des finances, Benoît Charreton, et pour
les délégués à Mons et qu'il les compléta le 11 dans les directives
données au conseiller Houst, Celui-ci devait déclarer à Mansfelt, non
pas au nom du prince de Parme, mais comme si la suggestion venait
de lui, que, plutôt que de, rompre les négociations, on pourrait peut-
être fixer 'au 30 septembre la date de la publication du traité, à condi-
tion qu'il restât alors un délai de six semaines pour attendre la

(43) BUSSEMAKER, O. c., t. II, pp. 282-283.


(44) Farnèse au Roi, 9 septembre 1579 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, r- 78).

242
ratification du Roi et l'envoi de :l"argent nécessaire pour l'exécution
de l'accord (45).
Cependant, les événements allaient se précipiter. Comme, au
jour du 11 septembre, les commissaires du prince n'avaient pas reçu
d'instructions de sa part, les députés wallons insistèrent pour qu'on
en finît. Pour engager plus facilement Mansfelt et ses collègues à
signer le traité, ils cédèrent sur quelques-uns des artiolesen discus-
sion et firent valoir qu'une prompte publication de l'accord pourrait
entraîner les gouverneurs de Cambrai, de Landrecies et de Bouchain
à se réconcilier avec le Roi (46).
Les délégués de Farnèse se laissèrent convaincre. Ils signèrent
le traité le 12 septembre. Le lendemain, la publication de l'accord se
fit au Grand Marché de Mons, au milieu de l'allégresse générale (47).
Les délégués des provinces wallonnes avaient consenti, au der-
nier moment, à accepter des modifications aux articles 3, 5, 9, 15, 16,
17, 22, 23, 24, 26 et 27 du texte primitif (48).
A l'article 3, il était établi que les nominations aux postes et
offices faites par Mathias et les Etlats Généraux seraient confirmées
par le Roi, à condition qu'elles eussent été faites avant le 17 mai 1579
(date du traité d'Arras). Mais il était entendu que ne tombaient p.as
sous l'application de cet article les nominations faites à des places
aux trois Conseils collatéraux.
A l ~article 5, il était inséré que Ies troupes étrangères, six
semaines après leur départ des autres régions du pays, c'est-à-dire
douze semaines après la publication du traité, devaient aussi évacuer
la Franche-Comté et qu'elles ne pouvaient revenir aux Pays-Bas si
ce n 'est en cas de guerre étrangère.
A l'article 9, traitant de la mise en liberté des prisonniers par
les parties contractantes, il n'était plus question du fils du Taciturne,
le comte de Buren.
Pour l'article 15, les Wallons avaient admis des modifications
importantes. On ne parlait plus de Mathias comme gouverneur; la
condition stipulant que le gouverneur général devait être agréable
aux États était biffée et remplacée par ceci: « un gouverneur ... dont
en toute raison nos subiectz se debvront contenter ».

(45) BUSSEMAKER, O. c., t. II, p. 284.


(46) BUSSElIfAIŒR, o. c., t. II, pp. 284-285.
(47) Farnèse au Roi, 12 octobre 1579 (GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse,
loc. cit., p. 495).
(48) Voir à ce sujet l'ingénieux tableauétabli par BUSSE'MAŒl:ER, o. C., t. II, pp. 472-497.

243
L'article 16 maintenait la clause d'après ûaquelle, des douze
membres du Conseil d'État, deux tiers devaient être agréables aux
États ,et devaient avoir toujours suivi leur iPal~ti. Mais on ajoutait
que, de ces deux tiers, cinq membres seulement recevraient la. com-
mission du Roi en forme ordinaire, tandis que les trois autres ne
seraient nommés que pour une durée de·trois mois. Le Roi n'était pas
obligé de les nommer de nouveau, passés ces trois mois; il pouvait
désigner en leur Iieu et place des gens de-s régions qui se, réconcilie-
raient plus tard, à leur tour, avec le souverain.
Dans l'article 17 était insérée la notification que toutes les pièces
du Conseil d'Etat seraient publiées de la même manière qu'elles
Pavaient été à l'époque de Charles-Quint.
A J'article 22, où il était
stipulé que, de part et d'autre, on
renoncerait à toutes ligues et confédérations, cette obligation n'était
plus mentionnée pour le Roi d'Espagne.
A l'article 24, on avait ajouté la promesse du Roi de considérer
sérieusement l'invitation des Etats à faire éduquer aux Pays-Bas
un de s'es enfants,
A l'article 26, les noms du Roi de France et du duc d'Anjou,
comme garants du traité, étaient biffés.
Enfin, à l'article 27 était ajoutée une déclaration, interprétant les
mots « agréables aux États », qui figuraient dans plusieurs clauses
du traité. Il était entendu que ne seraient pas exclus « les naturels
du pays ayant suivi l'un DU l'autre parti contractant ». Les seigneurs
restés fidèles ml parti du Roi ne seraient donc pas victimes de leur
loyalisme.
Lorsqu'on considère l'ensemble de ces modifications, on ne peut
nier que les délégués des provinces wallonnes eussent consenti à
des modifications qui étaient importantes et de nature à rendre le
traité plus facilement acceptable pour le Roi (49). Mais sur le point
qui intéressait avant tout Alexandre Farnèse, c'est-à-dire le départ
des troupes étrangères, aucune concession n'avait été obtenue.
Il s'était passé à Mons ce qui s'était pas-sé antérieurement à
Arras : les commissaires, devant 'la mise en demeure des députés
wallons, avaient conclu le traité sans en référer au prince de Parme
et ce dernier se trouvait, une deuxième fois, placé devant le fait
accompli.

(/19) C'est l'opinion de BUSSEMAKER, o. c., t, II, pp. 286-287, que nous partageons.

2H
M. Bussemaker suppose, à ce propos, comme il le fait à propos
des négociations d'Anas, que Farnèse avait laissé agir ses délégués,
avec l'intention de désavouer ce qu'ils avaient fait si le Roi ne se
montrait pas d'accord SUl' les résultats obtenus. Nous sommes con-
vaincu que cette façon de représenter la situation est inexacte. Cette
fois encore, Alexandre Farnèse n'entendait pas esquiver ses respon-
sabilités. Il avait nettement spécifié que ses commissaires ne pouvaient
rien conclure sans lui en avoir référé au préalable. Il était bien
décidé à rompre les négociations plutôt que d'accorder des conditions
qu'il jugeait dangereuses pour le service du Roi. Comment en douter,
lorsqu'on le voit écrire, dans une lettre personnelle, et confidentielle,
rédigée en chiffres, à son père Ottavio, le 20 octobre, des phrases
comme-celles-ci: « J'attendais les ordres de Sa Majesté pour les
points qui restaient en discussion, sinon j'aurais rompu plutôt les
négociations; car je ne veux pas engager ma responsabilité dans des
questions si importantes ... Mes députés ne pouvaient rien conclure
sans instruction ou ordre oral formel de ma part. Mais ils ont jus-
tifié la conduite qu'ils ont tenue en disant qu'ils avaient dû agir
ainsi, étant donné le danger de perdre Cambrai si la négociation se
prolongeait, Comme ils m'écrivirent qu'il était nécessaire d'accepter
la signature du traité, je résolus d'appeler auprès de moi M. de Vaulx
et le conseiller Fonck pour m'assister et me donner leur avis. Pendant
qu'on discutait, et que j'étais d'opinion de chercher le prétexte ou
une difficulté à propos de la formation d'une armée nationale pour
rompre les négociations, plutôt que de consentir ou de promettre
le départ des Espagnols,sans avoir des ordres de Sa Majesté,
M. de Blangerval arriva d'Espagne avec les dépêches du Roi... » (50).
En réalité, Alexandre Farnèse avait été surpris par l'attitude
de ses délégués. Mansîelt avait non seulement fait publier le t1raité
à Mons, mais, accompagné des députés wallons, il avait été à Arras,
à Line, à Douai et à Orchies, pour y agir de même (51).
Cependant les commissaires de Farnèse avaient constaté que
les pouvoirs des délégués wallons n'étaient pas suffisants pour la
conclusion de l'accord. Ils s'arrêtèrent donc à Namur pour y attendre
la ratification des États des provinces wallonnes. Dès que celle-ci

(50) Alexandre à son père Ottavio, 20 octobre 1579 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra,
fascio 1624).
(51) Farnèse au Roi, 12 octobre 1579 (GACHARD, Correspondance el'Ateœondre Farnèse,
loc. cit., p. 495).

245
leur fut parvenue, ils continuèrent leur voyage vers Maestricht, en
<compagnie du sire de Beaurepaire, député des Wallons, qui était
chargé de remercier le prince de Parme et de solliciter de celui-ci
I'exêcution du traité (52).
Farnèse, très perplexe (53), était occupé à entendre le rapport
de ses commissaires et se demandait sans doute comment il allait
sortir de cette situation délicate, lorsque lui parvinrent des lettres
du Roi, datées du 12 septembre (54). Philippe II y approuvait le
traité d'Arras. Certes, il aurait préféré que le texte en eût été plus
clair et qu'il eût contenu moins de restrictions de la part des Ëtats.
.Ceux-ci auraient dû se contenter de ne pas admettre les Espagnols
sur Je territoire des provinces réconciliées el autoriser Farnèse à
amployer, pour le reste, ces soldats étrangers pour c.ontinuer la
guerre contre le prince d'Or.ange, quitte à les renvoyer lorsque l'ordre
.aurait été rétabli dans tout le pays. Toutefois, les raisons exposées
par le prince de Parme dans le mémoire justificatif dont nous avons
parlé plus haut, avaient pleinement convaincu le souverain de la
nécessité de ratifier l'accord. Philippe Ifacceptait donc le départ des
Espagnols et la formation d'une armée nationale. Il engageait le
,prince de Parme à faire entrer dans cette armée ~e plus d'€trang,ers
possible', en tous les <las autant que l'on pourrait y inclure avec le
consentement des Wallons (55).
Le prince de Parme savait enfin à quais "en tenir. Mais l'accord
que le Roi marquait ainsi par cette lettre du 12 septembre portait
sur le texte du traité tel qu'il avait été dressé en mai à .A:rra.Sii',lie
texte nouveau, modifié à Mons, n'était pas encore en possession du
souverain. Aussi, Farnèse crut-il devoir garder secrète la communi-
cation du 12 septembre; il pria le Roi d'envoyer une autre ratification,
portant sur le texte nouveau de l'accord (56). C'est le 22 novembre
que Philippe II expédia cet acte (57). Flntretemps, le 4 octobre, dans
L'église Saint-Servais à Maëstricht, Alexandre Farnèse avait fait
publier solennellement le texte définitif du traité de' réeonciliation.

(52) Ibidem.
(53) D'Assonville à Marguerite de Parme, i2 octobre i579 (A. F. N., Ca1·tefarnesiane,
Fiandra, rasoto i643); Gonzaga au RGI, 25 septembrei579 (ft. G. R., Copies de. Simancas,
vol, i3, r- 95).
(54) Farnèse au Roi, i2 octobre i579 (Loc.cit,).
(55) GACHARD, Correspondance d'Alexandre Farnèse, 100. clt., pp, 472-484.
(56) Farnèse au Boi, i4' octobre i579 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. ii}, fo H7);
GA CHARD, o. c., lac. clt., p. 485.
(57) A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, registre n° 176, fo 123.

246
Ainsi se terminèrent ces négociations laborieuses, dont le résul-
tat le plus direct fut de faire rentrer les provinces wallonnes sous
L'obédience du Roi et de porter un coup décisif à l'œuvre du prince
d'Orange. La « généralité » était désormais morte (58).
Au cours de ces négociations, le prince de Parme avait donné la
mesure de ses talents politiques. Il avait exactement répondu au
programme qu'un jour - le 2 août 1576 - le Cardinal de Granvelle
avait tracé à Philippe II : « Je me souviens de vous avoir écrit,
il y a plusieurs années, qu'en transigeant sur tout ce 'à quoi vous
pouvez prétendre aux Pays-Bas, moyennant la conservation de la
religion catholique et de l'obédience qui vous est due, et qu'en
vous servant de personnes adroites et qui Vous soient dévouées,
en les secondant, de Madrid, avec l'intelligence requise des affaires
.et avec promptitude, on ferait plus par la voie des négociations et
avec dextérité qu'avec la force, même quand toutes les troupes
.d'Italie et d'Espagne y seraient employées, qu'on y consumerait
toutes les substances de nos royaumes, et quon vempêeherait le
progrès des autres-affaires de la monarchie par cette obstination à
marcher dans le mauvais chemin, où se sont engag.és ceux qui, à la
vérité ... n'y ont rien compris et qui n'ont su se servir du temps ni
des occasions qu'ils ont eues. » (59)
,Si le prince de Parme,en suivant cette politique, avait obtenu
le résultat prévu par Granvelle, le Roi, de son côté, n'avait pas
montré « l'intelligence des affaires » et surtout « la promptitude »
que réclamait le cardinal. Par son silence, par ses tergiversations,
par la dispersion de ses efforts et par ses directives contradictoires,
il avait fïailli compromettre l'œuvre de son gouverneur général (60).
Si celui-ci n'en réussit pas moins à toucher au but, c'est qu'il était
non seulement un grand chef militaire, mais encore un véritable
homme d'Etat.

(58) BUSSEMAKER, O. C., t. II,p. 289; P. J. BLOK, Wiltem de Berste, prins van Omnjel
t. II, p. 131. '
(59) Correspondance du cardinal de cranceue, t. IV, p. 267.
(60) « La qual [la décision du Roi] ha tardado "Ytarda tante que es de harto perjuizio
a su servlçlo "Ycada dia 10 sera mas ». Lettre de Farnèse, Malestric'ht, 27 septembre 1579
B. N. P., ms. espagnol 182, r- 290'0).

247
OHAPITRE VIn

ALEXANDRE FARNÈSE ET L'EXÉOUTION


DU TRAITÉ D'ARRAS

D'après les stipulations du traité d'Arras corrigé par les accords


,de Mons, Alexandre Farnèse devait encore occuper le poste de gou-
verneur général pendant six moïs. Passé ce délai, le Roi nommerait
~ sa place un prince ou une princesse du sang; si l'on tardait à faire
cette nomination, le Oonseil d'Etat prendrait en mains l'admini-
stration du pays jusqu ~àl'arrivée du nouveau gouverneur (1).
Le prince de Parme ne désirait cependant pas continuer sa
mission pendant les six mois que les provinces wallonnes voulaient
.bien lui accorder. Déjà avant la fin des négociations de Mons, il
avait pris la décision de solliciter du Roi l "autorisation de pouvoir
retourner en Italie au moment où les troupes étrangères quitteraient
.les Pays-Bas. Il avait envoyé, dans ce but, le comte Claudio Lamdi
à Madrid, et Pavait chargé non seulement d'en parler au Roi, mais
de faire valoir aussi auprès de Don Juan de Idiaquez, qui avait
.dans ses attributions les affaires de Flandre, les raisons qui lui
lavaient dicté cette démarche. Il était de l'intérêt de Sa Majes~é
royale, faisait-il dire, que, au milieu des troubles et des mutineries
qu'il prévoyait, l'autorité du gouverneur général ne sombrât pas dans
;te mépris. Il avait pu remédier à la licence des soldats par l'autorité
qu 'il avait 'eue comme chef suprême. Mais un gouverneur nommé
,pour six mois seulement nauruit plus cette influeneeet ne pourrait
.plus se faire respecter. Pnisqu'il devait partir dans quelques mois,
il valait mieux, qu'il sortît des Pays-Bas avec SDn autorité restée
(1) Article 15 du traité (A. G. R., Papiers d'Etat et cl'Aud'wnce, l'Cg. fD' iOO·o-W2rD).

248
entière. On agirait dans l'intérêt des provinces réconciliées en leur
,donnant un nouveau gouverneur, qui n'aurait pas fait la guerre
contre les peuples qu'il devait avoir sous son gouvernement (2).
Déjà le 25 août, le prince avait parlé dans le même sens à S011
,père (3). Mais il avait montré, dans cette lettre, que ce' qui le préoc-
cupait surtout, c'était le souci de sa réputation. « Les services que
j'ai rendus, écrivait-il, ne méritent pas d'être si mal payés comme ils
.le seraient infailliblement, si je prenais le risque de rester plus long-
temps ici dans les conditions actuelles ». Le 13 octobre, il s'expliqua
dans le même sens auprès du cardinal de Granvelle : « Je me trouve
,ici sans 'argent, et au milieu des insolences des soldais, qui n'ont plus
.de discipline. Je ne vois pas comment sortir de ce mauvais pas. Le
prince d'Orange n'attend que le départ des Espagnols pour frapper
quelque beau coup. J'ai chargé Landi et Sotomayor de mettre tout
cela sous les yeux de Sa Majesté, car je ne veux pas être rendu
responsable des désastres qui pourront se produire. Rester ici dans
ces conditions, c'est sacrifier d'avance ma réputation, car le monde
juge toujours par les résultats extérieurs. » (4)
Nous savons que Farnèse attachait effectivement beaucoup
d'importance à sa réputation et il n'est dès lors pas étonnant de' l'en-
tendre parler comme il L'avait fait à son père et à Granvelle. C'est
surtout le départ des troupes espagnoles qui devait lui pescret lui
.inspirer des craintes pour l'avenir. Il n"avait pas trop de confiance
dans la noblesse wallonne réconciliée (5), il en avait encore moins
dans la valeur des troupes nationales et il prévoyait qu'avec le seul
appoint d'une armée de ce genre, il ne pourrait faire face aux
ennemis ou entreprendre quelque chose d'où il pourrait retirer de
la gloire.
Cependant, est-ce là la vraie raison pour laquelle le prince solli-
cita son congéj Nous croyons que non. Nous croyons qu'au fond,
Farnèse voulait peser sur le Roi dans l'espoir que celui-ci le main-
tiendrait comme gouverneur général après l'expiration du délai de
six mois,contrairement aux clauses du traité. Ge qui répugnait à
(2) STRA.DA. O. C., t. III, pp. 202-203.
(3) A. F. N., Carte îarnesume, Fiandm, tasoio 1661.
(4) Farnèse à Granvelle, Maestricht, 13 octobre 1579 (A. F. N., Carte [arnesiane,
Fiandra, fascio 1661.
(5) « Car vous comprendrez le risque que je cours à rester ici, manifeste pour ceux
qui connaissent l'humeur et les procédés de ces gens et le peu de confiance que l'on
peut avoir en leur àme et en leurs armes» Parnëse à son père, 20 octobre 1579 (A. F. N."
Carte [amesume, Piaiuùa, fascio 162(1).

2-'19
Farnèse, c'était de voir que le souverain le sacrifiait aux exigences
des Wallons, après la victoire de Maastricht et les services rendus
dans la réconciliation d'Arras. Nous n'en voulons pour preuve que
le passage suivant, rédigé en chiffres, de la lettre qu'il adressa à son
père le 20 octobre: « Pour en venir aux intérêts de notre maison,
écrit-il, il me paraît bon de mettre sous les yeux de Sa Majesté les
considérations suivantes. Puisque le Roi ne veut pas confier la
charge de gouverneur à quelqu'un de la maison d'Autriche, dépen-
dant de l'Empereur (6), ce ne serait pas une si grande chose que de
faire instance auprès de moi pour que je continue à occuper ce poste.
Je ne vois pas quelle autre personne pourrait être trouvée tout de
suite, puisqu'il faut continuer la guerre. Dans ce cas, étant donné le
risque, on peut m 'y mettre, pour le service même de Sa Majesté. Et
alors, il ne me semblerait pas hors de propos de prier S:a Majesté
de nous restituer le château de Plaisance, Mais je ne connais pas
votre idée; si vous le désirez, avisez-moi. » (7)
IOe texte est clair et il montre à quels sentiments Ie prince
.obéissait, en offrant sa démission à Philippe II. Le Roi, cependant,
n'allait pas l'accepter. Il avait conçu un projet, qui ne faisait que
reprendre une idée à laquelle il s'était déjà arrêté au moment où
Don Juan d'Autriche, en des circonstances analogues, avait sollicité
la faveur de pouvoir accompagner les troupes espagnoles désignées
pour quitter les Pays-Bas. Il avait décidé d 'envoyer en Flandre
.Marguerite de Parme; le prince Alexandre resterait avec elle, en
,qualité de capitaine général, pour s'occuper des affaires militaires,
pendant les six mois prévus par le traité d'Arras. Après son départ,
.Marguerite lui succéderait avec plénitude de ,pouvoirs {8). C'est
1'ambassadeur espagnol à Rome, Don Juan de Zufiiga, qui fut chargé
de se mettre en rapport avec la duchesse et de l'amener à accepter
cette mission (9). Zufiiga exécuta cet ordre (10). Marguerite se décida
.à accepter la proposition, et en écrivit le même jour à l'ambassadeur
espagnol et au Roi. A Philippe II, elle fit savoir que la décision

(6) Depuis l'aventure de l'archiduc Mathias, Philippe II était très soupçonneux


vis-à-vis de la maison d'Autriche.
(7) A. F. N., Carte [arnesiane, Fianclra, fascia 1624 .
.(8) Philippe II au Grand Commandeur de Castille, San Lorenzo, 30 septembre 1579
(A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13, fo 99); GACHARD,Marguerite d'Auirictie ..., p. XL.
(9) Philippe II au Grand Commandeur de Castille, lettre citée.
(10) Zufiiga iL Marguerite die Parme, 27 octobre 1579 (GACHARD,Marguerite d'Au-
triche ..., p. XXXVIII).

250
d'accepter la mISSIon lui était encore plus pénible en ce moment
qu'en 1577, lorsqu'il en fut question une première fois. Elle était
plus avancée en âge et la goutte la tourmentait de plus en plus. En
.outre, la situation des Pays-Bas était de moins en moins bonne à
cause des progrès de l'hérésie ·et de la désaffection croissante des
sujets. Elle ne voulait cependant résister aux pressantes. instances
du souverain et était prête à y risquer sa vie et sa réputation. Tout
.ce qu'elle demandait, c'était des instructions claires et précises, pour
qu'eUe ne fût pas amenée à laisser se diminuer le maintien de la
religion catholique et de l'obédience, « pratique dont elle ne pourrait
plus s'accommoder» (11). Elle écrivit dans le même sens à Zuüiga,
.en insistant aussi sur les difficultés de sa mission. Son gouverne-
ment ne s'étendrait de fait qu'à cinq ou six provinces seulement,
le reste étant au pouvoir de l'ennemi, et dans ces six provinces la
.licence en était arrivée au point que les habitants semblaient plutôt
.prêts à commander qu'à être commandés.
En acceptant de se rendre au désir du Roi, la duchesse révélait
à Zuniga qu'eUe n'en avait parlé à personne, pas même au prince, son
fils,et elle prétendait garder ce mystère parce que, sans perdre un
moment,elle voulait immédiatement obéir et donner par cet empres-
sement la preuve qu'elle mettait le service du Roi au-dessus de
tout (12). Agit-elle ainsi parce qu'elle redoutait de voir le duc
Ottavio et surtout Alexandre s'opposer à ce qu'elle acceptât la
proposition du Roi ~ 0 'est plus que probable. Malgré ses remarques
.au sujet des difficultés de la tâche, eUe dut être extrêmement flattée
.de l'appel que le Roi venait de lui adresser.
Alexandre F'arnèse continu.a donc à ignorer que sa mère vien-
drait le -rejoindre bientôt. L.eRoi ne lui en dit pas un mot lorsque,
par une dépêche en date du 3 octobre (13), que devait apporter le
comte Claudio Landi, il lui fit savoir qu'il refusait de lui accorder
Je congé quil sollicitait. Le souverain estimait que Tes Pays-Bias
ne pouvaient rester 'Sans chef dans un moment si grave et que le
prince avait le devoir de commander l'm'mée nationale nouvelle qu'on
allait créer, jusqu'à ce que les six mois prévus p.ar le traité d'Arras
fussent révolus (14).
(11) A. G. R, Copies de Simancas, vol. 13, fo 133.
(12) A. G. R, Copies de Simancas, vol. 13, r- 137.
(13) Le Roi à Farnèse, San Lorenzo, 3 octobre 1579 (A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 13, r- 115).
(14) A ce moment, Philippe II ne savait pas encore si la duchesse se prêterait à
ses desseins et Zuiiiga Dies'étalt pas encore mis ~n rappont avec elle.

251
Ce n'est que le 31 novembre que Philippe II se décida à faire
connaître la nouvelle au prince de Parme. Il était maintenant assuré
de l'acceptation de Marguerite de Parme et il ne pouvait cacher
plus longtemps la vérité au gouverneur général. En lui annonçant
qu'il avait choisi Marguerite pour lui succéder, en vertu des clauses
du traité d'Arras, le Roi déclarait qu'il ne pouvait « faire choix de
personne de son sang qui fut plus à ,propos ni, avec raison, plus
agréable aux Pays-Bas ». Il faisait comprendre aussi à Farnèse que
Marguerite devait l'assister pendant les six mois prévus et qu'après,
elle lui succéderait dans sa charge de gouverneur général (15).
Le souverain} en créant ce dualisme de pouvoirs, allait provoquer
des difficultés graves et des dissensions, sur lesquelles nous aurons
à revenir,

* * *
C'est à la fin de novembre que le prince de Parme apprit, au
retour du comte Landi, que le Roi lui ordonnait de rester. Il s'inclina,
sans observations ni commentaires (16).
En attendant la réponse du Roi, Farnèse n'avait pas négligé de
s'occuper, immédiatement après la ratification du traité avec les
Wallons, de l'exécution des clauses de cet accord. Philippe II ayant
accepté l'exigence des provinces réconciliées sur le point du départ
des troupes étrangères) ce fut la première tâche qui s'imposa au
gouverneur général. Elle n'était pas facile, car pour pouvoir licencier
ces soldats, il fallait de l'argent et Farnèse nen possédait pas.
L'armée se composait en ce moment de quinze régiments d'infanterie,
soit cinq d'Allemands, cinq de Wallons, deux de Bourguignons, trois
dEspagnols. Il y avait en outre quelques troupes italiennes. La
cavalerie consistait en quarante-deux cornettes, principalement com-
posés de reîtres, d'Italiens, de Bourguignons et d'Albanais (17).
,Ce qui importait surtout, c'était de faire partir les Espagnols. Les
provinces réconciliées s'étaient déclarées prêtes,en effet, à incorpo-
rer dans la nouvelle armée les Allemands et les Bourguignons, et à
garder la cavalerie légère albanaise et italienne, dont elles devraient
se servir pour l'opposer à la cavalerie du prince d'Orange. Mais les

(15) Farnèse au Roi, Maestricht, 31 november 1579 (A, G, R, Papiers d'Etat et d'Au-
dience, registre 176, fo 127).
(16) Farnèse au Roi, Maastricht, 22 novembre 1579 (A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 13, r- 156).
(17) STRADA, o. c., t. Ill, pp. 204-205.

252
Bourguignons préférèrent s'en aller et les Allemands, refusant de
servir plus longtemps, réclamaient à cor et à cri la solide qui leur
était due (18). Déjà pendant le siège de Maestricht, nous l'avons vu,
ils s'étaient mutinés et avaient rendu impossible l'avance du comte
de Rœulx en Gueldre.
La caisse étant vide, Farnèse assembla son conseil pour exami-
ner comment on pourrait faire face à la terrible situation. Gabrio
de Serbelloni estima que, pour amener Philippe II à envoyer les
secours nécessaires, il fallait lui mettre sous les yeux un état exact
de ce que coûtait l 'entretien de l'armée. Les ministres de la Hazienda
en Espagne s'imaginaient toujours que les gouverneurs des Pays-Bas
réclamaient plus qu'il n'était nécessaire.
Le prince de Parme décida de suivre ce conseil et de faire
connaître à Madrid non seulement les dépenses faites pour l'armée,
mais aussi celles exigées par l'entretien de sa maison. Pierre
d'Aragon, le fils du duc de Terranova, qui rentrait en Espagne,
emporta ces documents. Le prince y démontrait que, tous les mois,
il fallait payer 31.847 ducats à l'infanterie espagnole, composée de
trois ierçios ; 14.390 aux 21 cornettes de la cavalerie légère; 13.409
aux douze compagnies d'infanterie wallonne et aux six compagnies
d'infanterie allemande réunies; 63.752 à l'ensemble de la cavalerie
allemande. Ceci fut signalé à titre d'exemple. De plus, le prince fit
connaître que sa maison consistait en 249 personnes, avec 212 che-
vaux, mais qu'il fallait y comprendre 50 gentilshommes que le Roi
entretenait aux Pays-Bas et qui mangeaient à la table du gouver-
neur. L'entretien mensuel de ces personnes et des chevaux exigeait
une somme de 5.960 ducats. Pour y faire face, Farnèse ne recevait
de son père que 2.315 ducats, et 2.437 du Roi, de sorte que la dépense
dépassait toujours la recette.
Ce qui était surtout de nature à mettre en relief la gravité de la
situation, c'était un état montrant que les sommes que l'on devait aux
vieux régiments atteignaient, pour les Espagnols, plus d'un million,
et pour les Bourguignons et les Allemands, plus de trois millions (19).
O'étaient toujours les Allemands qui inspiraient de la crainte
au prince de Parme. « Je ne puis assez dire à Votre Très Illustre
Seigneurie, écrivait-il au cardinal de Granvelle (20), combien me

(i8) STRADA, 0, C., t, III, p. 204.


(i9) STRADA, o. c., t. III, pp. 207-208.
(20) Correspondance du Cardinal de ûranoeite, t. VII, p. 473,

253
préoccupent, me tourmentent les intentions, les agissements des vété-
rans allemands qui ne se lassent pas de demander leur libération et
ne veulent plus du tout servir Sa Majesté ni les 'États. Quelle résolu-
tion prendre à leur égard et comment, sans argent, faire face à une
aussi forte dépense ~ »
Au milieu de septembre, il avait réussi à se débarrasser des
reîtres du duc de Lauenbourg, qu'il avait renvoyés chez eux, en
faisant cadeau à chacun des rittmeisiers d'une chaîne en or et d'une
médaille avec le portrait du Roi dEspagne (21). De plus, pendant
que l'armée, qui ne pouvait plus trouver de quoi se nourrir en
Gueldre, passait. la Meuse pour se rapprocher de Bois-le-Duc afin de
donner du courage aux habitants de cette ville, et que les Espagnols,
les Bourguignons, les Wallons et la cavalerie légère s'installaient
dans les régions environnantes, de Clèves à Liége, Farnèse licencia
aussi les Allemands du colonel Annibal Altemps, qui n'étaient plus
d'aucun secours (22). Il leur paya 110.000 écus, mais, de ce fait, se
trouva sans un réal pour payer les Espagnols (23). On était alors au
début de novembre (24).
Le Roi, peut-être sous l'empire des représentations qui avaient
été faites par l'intermédiaire de Pierre d'Aragon, finit par envoyer
600.000 ducats, en laissant espérer qu'il enverrait davantage. Far-
nèse aurait pu en profiter pour payer les Espagnols, mais il préféra
licencier ceux-ci les derniers, parce qu'il pouvait compter sur leur
loyalisme pour dompter la révolte éventuelle des autres nations (25).
TI fit bien; une mutinerie éclata en ce moment à Maastricht.
Av,ant qu'elle ne se produisît, le prince de Parme avait fait
évacuer par les Espagnols les villes que ces soldats occupaient, et
spécialement la citadelle de Namur. « J'ai ordonné, écrivit-il au
cardinal de Granvelle, aux soldats d'évacuer Beaumont, Chimay,
Philippeville, où ils ne sont guère bien vus, et surtout aux Espagnols
de sortir du château de Namur. Il m'a paru que, pour plus de sêcu-

(21) Lettre écrite de Cologne, 17 sept-embre 1579 (Foreign Caietuiar, Elisa.beth, 1579-
1580, n° 59). - Lettres obllgatoires du prince de Parme touchant le paiement des reîtres
allemands, Maestricht, 7 septembre 1579 (A. F. N., Carte famesume, Fumdr«, rascto 1629).
(22) tun» de las cosas de Flandes, fo 200.
{23) Gonzaga au Roi, Maesteicht, 11 octobre 1579 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 13.
fO 104). .
(24) Libl'O de los cosas de Flandes, fo 200'0 ; Lettr-e de Farnèse, Maestricht, ,10 décem-
bre 1579 (B. N. P., ms.vespagnol 182, fo 292'0); Annibal d'A1temps à Parnèse, 29 novem-
bre 1579 (A. F. P., Carteggio (arnesiano, Paesi Bassi, 157B-1580) .
.(25) STRADA, o. c., t. III, pp, 209-210.

254
rité, il fallait leur enlever le moyen de se révolter si l'envie leur en
prenait. A la vérité, ces troupes ne veulent pas s'en aller sans être
payées, mais du moment qu'elles ne disposeront plus d'aucune place
forte, elles se laisseront persuader plus facilement. » (26) Le reste
des troupes espagnoles de l'armée de campagne se trouvait toujours
répartie entre la région de Gueldre et du Brabant septentrional,
d'une part, et Malines, d'autre part. Fin décembre, Farnèse se pré-
para à rappeler ces troupes pour les passer en revue, avant de leur
faire traverser la Meuse et les envoyer vers le Luxembourg, où des
logements avaient été préparés. Il semblait bien que ces soldats étaient
prêts à se contenter de quatre de leurs paies arriérées, à condition
qu'on leur versât le reste de leur dû à leur arrivée en Italie (27).
C'est au moment où les Espagnols montraient ces bonnes dispo-
sitions, que se déchaîna la mutinerie des Allemands.
Entendant que l'on s'acquittait envers les Espagnols, certains
régiments campés autour de Maestricht résolurent de se rendre
maîtres de la ville, avec l'intention des 'emparer de la personne de
Farnèse et de la garder comme otage jusqu'à ce qu'on les eût payés.
Le prince de Parme, averti de ce qui se préparait, fit venir pour
protéger sa personne six compagnies d'infanterie espagnole et dix
de cavalerie légère, puis, il alla trouver les colonels des régiments
mutinés. Il les avertit que, s'ils entreprenaient quelque chose de con-
traire au service du Roi, il les punirait sévèrement et qu'ils per-
draient tout droit à être payés (28). On ne parvint cependant point
à s 'entendre. Les mutins, qui avaient déjà commencé à piller le pays
de Limbourg, s'éparpillèrent dans la région, et même jusque dans le
Luxembourg, menaçant de tout détruire (29).
Or, le pays où I'armêe avait été logée était déjà fort mal en
point. « Je fais passer la revue de tous les Espagnols, écrit en ce
moment Farnèse au Roi, afin de leur faire passer la Meuse (30), car
(26) Correspondance de Granvelle, t. VII, p. 473; Farnèse au Roi, Maestricht, 13 octo-
nre 1579 .(A. G. R, Copies de Simancas, vol. 13, fo 107); Gonzagaau Roi, 21 novembre
1579 (ibidem. r- 153).
(27) Farnèse au Roi, Maestricht, 24 décembre 1579 (A. G. R, Copies de Simancas,
vol. 13, fo 172). - Correspondance de Farnèse avec Pledro de Toledo, novernbre-décem-
hre 1579, dans CollecciOn de âocumentos inéditos, t. LXXV, pp. 269-278.
(28) Farnèse au Roi, 24 décembre 1579 (A. G. R, Copies de Simancas, vol. 13-, fo 172);
Gonzaga .au Roi, 21 décembre 1579 (ibidem, fo 168); Lettre de Faenèse, du 23 décembre
1579 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 293); Récit complet de l'incident dans SrrRADA, (J. C.loi
t. III, pp. 210-213; Libra de /,as cosas de Flandes, f· 205.
(29) STRADA, o. c., pp. 213-214'; Farnèse au Roi, Maestrlcht, 28 décembre 1579 (A. G. R.,
Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 184, f· l'83). .
(30) Libro de las cosas de Flandes, f· 205.

255
Iii région oùnous sommes est si désolée et si vidée que non seulement
il n'y a plus de quoi y vivre, mais que tout le pays est en friche pour
'plusieurs années. La mortalité en hommes et en bétail, la ruine des
maisons, la destruction générale et universelle sont si grandes qu'il
n 'y a apparence de ressources pour longtemps. Ce désastre s 'étend
presque jusqu'aux portes de Malines, de Bruxelles, de Nivelles, de
Mons, de Philippeville, de Mariembourg et environs, et aussi dans
toute la région de Limbourg et de F'auquemont. Pour éviter la
famine, il sera nécessaire d'acheter de grandes quantités de grain en
France et en Lorraine et de l'amener ici par la Meuse, afin de nourrir
la population et les soldats. » (31)
Cette situation inquiétait Farnèse au plus haut point. Il s'en
ouvrit à son fils Ranuccio, en exprimant la crainte que si un malheur
arrivait, le Roi ne lui en imputât la responsabilité, alors qn 'il avait
pris toutes les mesures nécessaires et essayé de préserver aon hon-
neur contre toute ·atteinte. « Je ne puis cependant faire des miracles,
ajoutait-il, et il faut préparer l'opinion pour lui montrer que ce n'est
pas de ma faute, si un désastre se produit. » (32).
Cependant, au début de février 1580, les troupes espagnoles
passèrent la Meuse et marchèrent dans la direction du Luxembourg,
où des logements lenr avaient été préparés; une partie en fut dirigée
par la principauté de Liége (33). Ce départ se fit sans aucun désordre:
ces soldats attendaient dans la plus grande quiétude l'ordre de
partir, sans mettre en avant des prétentions d'aucune sorte; le règle-
ment de comptes se fit avec eux sans difficulté. Le prince de Parme
réussit aussi à conclure un accord avec les troupes allemandes du
colonel Polweiler. Depuis une quinzaine de jours, l'argent promis
commençait à arriver d'Espagne, et Farnèse put ainsi contenter ces
soldats en leur offrant six paies; le reste leur serait donné à la foire
de Francfort, chaque année, pendant un ternie de trois ans (34). Tous,
cependant, ne se soumirent pas à ces conditions : une partie des
troupes allemandes montrèrent peu de désir d'accommodement, et
menacèrent de se jeter sur le Luxembourg, pour le piller de fond en

(31) Farnèse au Roi, Maestricht, 28 décembre 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Au-
aience, reg. 184, r- 183); Farnèse à son père, 7 janvier 1580 (A. F. N., Carte (arnesiane,
Fiandra, fascia 1636); Farnèse à son tl'ls Ranuccia, même date {ibidem).
(32) Lettre du 7 janvier 1580 (A. F. N" Carte farnesiane, Fiandra, fascia 1636).
(33) Farnèse à son père, 3 février 1580 (A. F.N., Carte (arnesiane, Fiandra, fascia 1626).
(34) Gonzaga au Roi, Maëstricht, 7 révner 1580 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, r- 9).

256
comble. D'autre part, les Wallons étaient peu satisfaits et des
difficultés étai-ent aussi à prévoir de leur côté (35).
Au début de février arriva à Maëstricht le comte de Lalaing,
envoyé à Farnèse par les provinces réconciliées. Il avait pour mis-
sion de demander que l'on pressât le départ des soldats étrangers et
que le prince se transportât à Mons 'pour y prendre en mains ~e gou-
vernement. Les provinces sollicitaient aussi un subside de 100.000
écus. Enes suggéraient au prince de Parme .de prendre cette somme
surl 'argent qui devait servirà licencier les soldats étrangers, et elles
consentiraient, si on le faisait,à tolérer encore pendant quelque
temps la présence de ceux-ci. Farnèse remit à Lalaing une somme
de 25.000 écus, tout ce dont il pouvait disposer, mais il estima que le
moment n'était pas encore venu de s'établir à Mons (36). TI venait de
trouver le moyen de conclure un accord avec une partie des troupes
allemandes du colonel Fronsberg, et était occupé à traiter avec celles
de Fugger et de Berlaymont pour les amener à quitter le pays sans
trop de difficultés (37).
La situation commençait ainsi à s'éclaircir. Aussi, vers le
20 mars, le prince de Parme quitta Maestricht, où Havait résidé
depuis la prise de la ville. Après y avoir nommé comme gouverneur
Adrien de Gomicourt, et avoir pris des dispositions pour qu'on y
établît un collège de jésuites, qui viendraient de Liége (38), le prince
de Parme s-edirigea vers Namur, afin d 'y présider lui-même au départ
de la garnison espagnole qui occupait la citadelle. Entretemps,
,soJdats allemands, espagnols, italiens, lorrains et bourguignons
.s'acheminaient vers les confins du Luxembourg, pour y être passés
.en revue avant de quitter définitivement les Pays-Bas (39).
On était alors au début d'avril. De Namur, le prince se rendit
à Arlon, où il devait faire ses adieux aux soldats qui allaient partir.
En fait d'Espagnols, qui étaient surtout visés par le traité d'Arras,

(35) Farnèse à son père, 3 février 1580 (Loc. cit.); Cobham à Walsingham, Paris,
20 février 1580 (Foreign Calenâor, Elisabeth, 1579-1580, n= 168); Correspondance du
baron Nicolas de Polweiler, avec Farnèse, 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, fasclo 1631
Pt fascio 1643).
(36) Parnèse au Roi, 7 février 1580 (A. G. R., Copies (le Simancas, vol. 14, r- 7);
Farnèse à son père, Maestricht, 27 février 1580 .(A. F. N., Carte tornesume, Fiandra,
fascio 1661); Liber retatumum, foo 73-73 "0; Gobham à Walsingham, Paris, 20 février 1579
(Loc. cit.).
(37) Farnèse à son père, lettre citée.
(38) STRADA, o.c.,t. III, pp. 214-215.
(39) Liber relaiumum, r- 73 <0 ; STRADA, O. c., loc. cil.

25;
Ii 'enallèrent dix compagnies de lanciers, six compagnies d'arquebu-
siers à cheval (40), et les trois ierçios el 'infanterie. de Don Pedro de
Tolède, de Don Lopez de Figueroa et de Don Francisco de Val-
dès (41). En même temps partirent vingt-quatre gentilshommes de
cette nation que le Roi entretenait en Flandre et qui mangeaient à la
table de Farnèse (42).
Au moment où tout était prêt pour le départ, les troupes alle-
mandes qui devaient quitter Le pays se révoltèrent, ne voulant pas
accepter les accords que leurs colonels avaient conclus avec le prince
de Parme et réclamant le paiement complet des arriérés de solde.
Aussitôt le prince donna l'ordre à Ottavio Gonzaga, qui avait été
désigné pour conduire les troupes en Italie, de prendre une partie
des soldats qui devaient partir, d'encercler les mutins et de les affa-
mer. Cet ordre fut mal exécuté et les Allemands restèrent enfermés
dans leurs quartiers, bien· décidés à ne pas quitter le Luxembourg
avant d'être entièrement payés. Ils allaient pendant longtemps encore
tenir cette région comme otage et y commettre les pires dépréda-
tions (43).
Cependant, on ne pouvait remettre plus longtemps le départ des
autres troupes, surtout des Espagnols. Le mardi de la semaine sainte,
Alexandre Farnèse les fit ranger en ordre de bataille dans une
grande prairie près d'Arlon. Il s'avança ensuite au milieu d'eux,
entouré des maîtres de camp Figueroa, Pedro de 'I'olède et Valdès,
du commissaire général de la cavalerie, Olivera, et de tous les capi-
taines. Il fit aux 'Soldats un discours d'adieu, en langue espagnole,

C 40) Relaçion de las compaifias de lanças y arcaouzeros a cavallo que salen de estos
estados de Ptanaes CA.G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fo 20"0). Voici le détail: Com-
pagnies de lanciers d'ottavio Gonzaga,de Don Juan de Ayala, de Don Rodrigo Zapata,
de Don Pedro d-e Tassis, de Don Juan de Robles, de Don Alonso de Sotomayor, de Don
Carlos de Luna, de Don Augustin Mexia, de Don Pedro de Toledo, de Don Hernando
de Toledo. - Compagnies d'arquebusiers à cheval: Don Pedro de Mendoza, de Juan
de Faleoneta, de Francisco de Zambrara, de Garcia Ollvera, de Nicola Isla, de Don
Martin de Ayala.
(41) Relaçion de los capttanes de los tres tel'çios de ynfantel'ia espaiiola que si1'ven
a Su lIfagestaden este eœercuo y soien agora de los Estados de Flandes (A. G. R., Copies
de Simancas, vol. 13, fO 21).
(42) Relaçion de los entretenidos espaiioles quesh'ven a Su ilfagestad en este exér-
cito de Platuies y van a; Italia CA.G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fo 23).
{43) LiOro de las casas [de Fùuuies, fos 206ro-206'o; Gonzaga au Roi, 1er
avril 1580
·(A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fO 24); Farnèse au Roi, Namur, 10 avril 1580
(ibidem fo 26). Farnèse écrit, le 15 avril 1580, de Namur, à ce propos: « Que me tiene
con mucha pena porque demas de acabar dearruynar aquel pobre pals de Luxemburg
que esta tan consumado que aquellos pobres paysan os no pueden mas y 'Se desesperan ».
(B. N. P., ms. espagnol 182, [0 294ro).

258
parlant pendant environ une demi-heure. Il loua leur discipline, leur
obéissance, leur fidélité et leurcourage. il exprima ses regrets de
devoir se séparer d'eux. Il leur expliqua que, de nombreuses fois, il
avait écrit au Roi pour lui faire comprendre combien il était néces-
saire que tous ou au moins une partie d'entre eux, restassent aux
Pays-Bas, mais que le souverain n'avait jamaisvoulu l'accorder. Il
leur affirma qu'il avait alors supplié Sa Majesté de le laisser retour-
ner avec eux en Italie, mais qu'il n'avait pu 'Obtenir cette faveur. Il
finit par leur faire des adieux touchants (44). Ottavio Gonzaga se mit
ensuite en marche avec ses hommes. Le 18 avril, l'avant-garde arriva
à Metz (45). Les Espagn'Üls et les Italiens passèrent par la Lorraine.
Les Espagnols s'arrêtèrent cependant quelque temps dans la Franche-
Comté, attendant ,que le duc de Savoie leur donnât l'autorisation de
passer par ses États. EUe leur fut accordée, à condition de traverser
ce pays en troupes de 500 hommes chacune (46). Au mois de juin, ils
arrivèrent à Milan. Quant aux troupes allemandes qui s'étaient con-
tentées des accords conclus avec Farnèse, elles prirent le chemin de
Maestricht, et, par Cologne, retournèrent en Allemagne sous la
conduite de leurs colonels (47).
C'est ainsi qu'une des 'principales clauses du traité d'Arras fut
exécutée.

Une autre tâche qui s'imposait à Alexandre Farnèse, c'était la


mise sur pied d'une armée nationale, destinée à défendre les pro-
vinces réconciliées et à continuer la guerre contre les troupes du
'I'aciturne.
Pour pouvoir réaliser ce projet, ~e prince de Parme devait pou-
voir compter sur le concours et la 'Sympathie des chefs des provinces
wallonnes. Il avait fait tous ses efforts pour que le Roi les réeom-
pensât du rôle qu'ils avaient joué dans la réconciliation et, sans faire
(44) Liber relatumum, fos 294 ).
(45) Gonzaga au Roi, Nomsey, 24 avril 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
r- 36).
(46) « Se contentare que ya procuro que la gente toda camine repartlda en once
tropas, y se quisiere que las trop as no sean mas de â 'qutnientas bocas. » Gonzaga au
Roi, lettre citée. - Les Espagnols sortis des Pays-Bas représentaient donc 5500 hommes
en tout. Q,fr 8TRADA, o. C., t. III, p. 219.
(47) STRADA, o. C., loc. cit.; Mémoires de Francisco Verdugo, dans GACHARJl, La Biblio-
thèque Nationale à Pm'ts, t. l, p. 227. Verdugo était en ce moment maître de camp
général intérimaire des Es'pagnols. II les conduisit [usque Thionville, dont il ét.alt gou-
verneur en ce moment-là.

259
d'objections, il avait fait connaître au souverain quelles étaient les
faveurs qu 'ils.désiraientvPhilippe Ils 'était montré généreux, Mon-
tigny futrêcompensé d'une rente annuelle de 4.000 florins. Capres,
qui désirait le titre de cOnite,fut· invité à spécifier la terre dont il
voulait obtenir le titre. Au vicomte deGand, devenu marquis de Rou-
baix et de- Richebourg, -on donnaven même temps que 'le gouverne-
ment de l 'Artois, celui de Hesdin. Au seigneur de Helfault, on promit
le gouvernement de Maastricht. M. de Floyon reçut celui de Namur,
M. de Hautepenne, le gouvernement de Charlemont (48). Farnèse
avait d'ailleurs insisté pour que satisfaction fût donnée à ces person-
nages, dont il signalait au Roi toute l'âpreté à soigner leurs intérêts
particuliers (49).
Cependant, quoiqu'ils fussent comblés de faveurs, même au
détriment de ceux qui navaient jamais abandonné le' parti du Roi,
les chefs wallons ne 'se donnaient pas encore entièrement. Ils crai-
gnaient quelque piège; ils ne pouvaient s'imaginer que le Roi avait
oublié le passé; ils avaient une défiance invincible à Pégard des
Espagnols. Farnèse se plaignit continuellement de cette situation :
il sentait que chez la plupart de ces nobles, le loyalisme n'était pas
encore très sûr et il se rendait compte qu'il lui faudrait à la fois
beaucoup de patience et 'beaucoup d 'habileté pour triompher de leur
orgueil et de leur méfiance (50).
Au mois d'octobre, le prince avait déjà songé à la formation de
l'armée nationale que prévoyait le traité. Mais, dès le début, de
grosses difficultés surgirent. Les troupes wallonnes de Montigny
étaient mécontentes de ne pas avoir été payées 'Conformément aux
accords de Mont-Saint~Éloi: La Motte ne leur avait pas remis
l'argent qu'il avait touché. Les cinq régiments wallons, qui faisaient.
partie de l'armée de Farnèse, attendaient aussi leur solde et, comme
il n 'y avait pas moyen de les satisfaire, faute de ressources, ils
étaient d'une insolence inquiétante. Irs ne gardaient aucune mesure

(48) Le Roi à Farnèse, San Lorenzo, 13 septembre 1579 (A. G. R., Copies de Siman-
cas, vol. 13, r- 82).
(49) Farnèse au Roi, Maestricht, 24 décembre 1579 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 13, r- 172).
(50) Lün» de las oosas de Flandes, loc, clt., fo 198 ; Lettre de Farnèse, Ma'estrlcht,
28 août 1579: « que todavta ven los 'animes de algunas cabeoas, de Ios quie goviernan
aquellas provincias, inquietas» (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 290 «Tambien me paresce,
TO).

que la nooleza reconciliadano esta tan asentada como el pueblo que es el que lés ha
lnductdo Ii haeer esta reconofhaçton » (A. G. R., Copies de Simancas, Vol. 13, -fO 107).-

260
et n'observaient aucune discipline. Avec ces seules troupes, le prince
ne voyait pas le moyen de former un corps assez nombreux pour
assurer la défense des provinces réconciliées (51). « Je me trouve
avec des troupes, écrivit-il le 12 octobre au cardinal de Granvelle, en
lesquelles j'ai peu de confiance pour faire la guerre. Il y a à cela plu-
sieurs raisons, notamment celle-ei: un peuple, quel qu'il soit, n'a pas
les mêmes qualités militaires dans son pays qu'au dehors. Ensuite,
les troupes indigènes ne possèdent jamais de cadres complets, paœe
que les 'soldats sont trop près de leurs foyers, où ils sont toujours
tentés de retourner. » (52)
Le nombre de troupes wallonnes était d'ailleurs si limité qu'eUes
.ne suffisaient même pas pour mettre des garnisons dans la moitié
.des places qu'il .aurait fa Hu défendre contre l'ennemi (53).
Pour commencer la formation de la nouvelle armée, Farnèse
.avait besoin de Pierre-Ernest de Mansf'elt, que le Roi avait recom-
mandé pour la charge de m.aître de camp général (54). Mais le vieux
comte boudait en ce moment, retiré dans son gouvernement du
Luxembourg, sous prétexte que le prince de Parme l'avait calomnié
à propos des négociations de Mons (55). Il revint cependant et Far-
nèse l'envoya immédiatement à Mons 'pour s'entendre avec les
.députés des provinces. Il ne put que lui donner 12.000 écus pour corn-
\mencer l'entreprise, somme qui était beaucoup trop petite pour les
nécessités. Il était cependant difficile d'y faire contribuer les États
.des provinces réconciliées avant que l'armée ne fût formée : ces
.provinoes avaient d'ailleurs subi tant de pe-rtes et connu tant de
ruines qu'on ne pouvait en attendre de plantureux subsides.
! Aussi, le prince de Parme ne cessait-il de demander au Roi
J'envoi d'une bonne somme d'argent pour éviter des calamités. 1'1
;n'en fallait pas seulement pour constituer l'armée nouvelle, mais
aussi pour satisfaire les soldats de Montigny et ceux du comte
,d'Egmont. Ce dernier, « pour avoir pris quelques villettes en
Flandre », prétendait toucher quatre mois d 'arriéré de solde pour les
.enseignes qu'il commandait; il ne lui plaisait pas d'être moins bien

(51) Farnèse à Granvelle, Maestricht, 12 octobre 1579 icorresiomumce de Granvelle,


t. VII, p. 473).
(52) Correspotuumce de Granvelle, t. VII, p. 474.
(53) Lettre de Farnèse, Namur, 15 avril 1580 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 294ro).
(54) Le Roi à Farnèse, San Lorenzo, 17 décembre 1579 (A. G. R., Papiers d'Etat et
d'Audience, registre 176, fO 84).
(55) Farnèse au Roi, 14 octobre 1579 (A. G, R., Copies ae Simancas, vol. 13, fo 123).

261
traité que Montigny! (56). A toutes ces prétentions, il fallait faire
jface, si l'on voulait éviter des mutineries, qui auraient immédiate-
,ment dégoûté le peuple des provinces réconciliées et lui auraient fait
regretter son retour à l'obédience.
Philippe II avait conseillé à, son gouverneur général de se mon-
trer économe dans l'emploi de l'argent envoyé d'Espagne et avait
Insisté pour que la nouvelle armée nationale fût aussi petite que
possible. Mais le prince de Parme se vit obligé de mettre sous les
yeux du souverain combien il était nécessaire que ces forces fuss-ent
au contraire nombreuses.
Les troupes wallonnes avaient réussi à s'emparer de Landrecies
et de Valenciennes, et avaient ainsi rendu plus faciles les communi-
cations entre l' Artois et le Hainaut (57). Mais Bouchain, Cambrai et
Tournai restaient toujours aux mains des partisans du prince
,d'Orange, et organisaient sur le territoire des provinces réconciliées
des expéditions de pillage continuelles. On venait de perdre Menin,
et depuis lors la région de Lille se trouvait sous une égale menace,
tandis que l'entrée de la Flandre et [a défense contre les calvinistes
gantois en étaient rendues plus difficiles.
D'autre part, Alost, Grammont, Lessines et Ninove, aux mains
des partisans du Roi, ne pouvaient être abandonnées à leur sort.
Malines, environnée de villes rebelles, et menacée par les troupes de
La Noue, n'avait presque plus de vivres et réclamait protection. Dans
Ie Nord, Bois-le-Duc, qui avait offert de se réconcilier aux termes
présentés au Congrès de 0010 gne , refusait de recevoir une garnison,
mais exigeait la présence de soldats de Farnèse dans les châteaux et
les forts des environs. De plus, l'armée du prince d'Orange, tout en
n'étant pas considérable, comptait cependant des Français, des
Anglais) des Ecossais, des Hollandais et des WaUons aguerris et elle
avait comme un de ses chefs La Noue. Si l'armée royale voulait faire
face à cette situation, elle devait être nombreuse, bien équipée et bien
payê« (58).
Pendant que Mansfelt se trouvait à Mons pour grouper les nou-
velles troupes, il fut requis de se rendre jusque Valenciennes afin de
se trouver plus près des ennemis qui se renforçaient du côté de Lille,
(56) Farnèse au Roi, 22 novembre 1579 (A. G. R, Papiers d'Etat et d'AuUience, regis-
tre f 84,r- 150).
(57) Le Roi à Farnèse, 8 novembre 1579 (A. G. R, Papiers d'Etat et d'Audience, reg.
176, fo HO).
(58) Farnèse au Roi, 22 novembre 1579 (Loo. oit.).

262
après avoir été repoussés par les Malcontents près de l'abbaye de
Marquette.
Comme les troupes orangistes s'approchaient du fort de Autryve
que les gens de Montigny avaient élevé entre Tournai et Audenarde,
.sur .I'Esoaut, .Mansfelt se rendit à Lille pour y joindre les forces
qu'il pourrait y trouver (59). C'est dans cette conjoncture que les
Wallons prièrent F'arnèse de leur envoyer d'urgence 300 chevau-légers
.albanais et italiens, pour les opposer iL la cavalerie ennemie (60). Le
princs fit droit à cette demande. Au moment du licenciement des
soldats étrangers, il avait retenu la cavalerie légère albanaise et
italienne, sous prétexte d'en former sa garde personnelle, s'imagi-
nant bien que les provinces réconciliées en auraient besoin et supplie-
.raient elles-mêmes pour qu'elle restât dans le pays (61). De fait, le
comte de Lalaing et les députés des provinces réunis à Mons lui
avaient assez vite demandé l 'envoi de douze ioompagnies de cette
cavalerie, mais le prince, d'accord en ceci avec le Roi, .avait refusé
de donner suite à cette demande, aussi longtemps qu'il n'en aurait
.pas été requis par les 'États des provinces réconciliées (62). Il ne
voulait pas, sur ce point, se mettre en contradiction avec les stipula-
rions du traité d'Anas,
Telle était la situation à la fin de l'année 1579. Farnèse la résuma
en ces termes, dans une lettre au Roi: « En somme, Sire, je ne puis
.dire touchant ces provinces réconciliées autre chose que ceei : si
Votre Majesté ne fournit pas ce qui est nécessaire pour exécuter les
promesses du traité, envoyant suffisamment d'argent pour former
,et entretenir les gens de guerre nécessaires pour la défense du pays,
.je ne vois qu'une confusion universelle et, prochainement, une révolte
.de ces provinces encore plus dangereuse qu'auparavant, » (63)
Cependant, Farnèse s'efforça de constituer un premier noyau
d'armée nouvelle, en réunissant les troupes des Malcontents et de
La Motte avec les régiments wallons qu'il avait gardés 'lui-même,
.et avec la cavalerie légère italienne et albanaise. De cette nouvelle
armée, Pierre-Ernest de, Mansfelt était maître de camp général; à la
tête de l'artillerie fut nommé le fils de celui-ci, Charles de Mansfelt;
(59) Farnèse au Bol, Maestricht, 28 décembre 1579 (A, G, R., Papiers d'Etat et d'Au-
dience, reg. 184,r- 183).
(60) Ibidem.
(61) Lettre à Granvelle, du 12 octobre 1579, citée plus haut.
(62) Farnèse au Roi, Maestricht, 28 décembre 1579 (Loc. cit.).
(63) Maestrlcht, 28 décembre 1579 (Loc. cit.). Le prince avait déjà parlé dans le
même sens le 22 novembre (A. G. R., Copies de Stmancas, vol. f3, fo 156).

263
à la place d 'Ottavio Gonzaga, retourné en Italie, le marquis de Riche-
bourg (64) commandait la cavalerie, tant la cavalerie pesamment
armée des bandes d'ordonnances, que. l'oh appelait hombres de
armas, Ies hommes d'armes, que la cavalerie légère. Après le départ
.de Gabrio de Serbelloni, qui avait accompagné les troupes espag-
noles lors de leur sortie des Pays-Bas, il restait au prince de Parme,
comme ingénieurs militaires, Piatti et Barocci. A la place de G. B .
.del Monte) Giorgio Basta fut nommé commissaire général de la cava-
lerie (65),
L'ensemble des forces dont disposait Farnèse s'élevait à 93 com-
pagnies d'infanterie et à 27 cornettes ou compagnies de cava-
lerie, en y comprenant à la fois les soldats qui étaient en garnison
dans les villes et l'armée de campagne. Elles se répartissaient
comme suit : six compagnies d'hommes d'armes en campagne, deux
compagnies de la même arme en garnison en Artois; quatre com-
.pagnies de chevau-légers albanais, deux compagnies de chevau-légers
italiens, trois compagnies de cette arme en garnison en Bourgogne.
Il fallait y ajouter cinquante lanciers à cheval du capitaine Fratta,
.plus quatre compagnies d'arquebusiers ·à cheval. Deux compagnies
.des mêmes soldats tenaient garnison en Artois et à Lille.
Quant à l'infanterie, elle comptait 36 compagnies en campagne
.et 57 en garnison (66).
Cette proportion indique à elle seule à quelles difficultés devait
se heurter Farnèse et combien il lui était impossible d'entreprendre
.avecces forces quelque action importante (67). La plus grande partie
de ses troupes était immobilisée pour défendre les places fortes et
les villes des provinces réconciliées ou des régions conquises contre
les entreprises de ses adversaires. Mais il n'y avait pas à remédier
à cette situation (68).
* * *
(64) C'est sous ce nom que nous désignerons désormais le vicomte de Gand.
(65) FEA, o. C., p. 129; Le Roi à Farnèse, Madrid, 3 mars 1580 (A. G. R., Papiers d'Etat
et d'Audience, reg. ,192, Co 172); Farnèse au Roi, Mons, 31 avril 1580 (Ibidem, fo 241).
. (66) Lista de la gente de auerra, assi caballeria como infante ria, que sil've à Su Magestad
en estas provincias reconciliadas y de comb estâ repartuia (A. G. R., Copies de Simancas,
vol, 14, fo 32). Rappelons que, dans l'armée de cette époque, le régiment n'est pas
une unité tactique, mals adrnmistrative. Le nombre d'ens-eignes ou de compagnies qui le
composaient était très variable, et dans les compagnies, il y avait quelquefois moins de
100 hommes, quelquefiois plus de 400. Les compagnies les moins fournies étaient, d'or-
dinaire, les compagnies wallonnes (FEA, o. C., p. 468, note 1). Les compagnies dont il
est question ici ne comptaient sans doute pas plus de 100 hommes.
(67) Bentlvogllo, Della querra di Fiandra, éd. cit., t. II, pp. 33-34.
(68) FEA, o. c., p. 129.

264
Il restait, enfin, à organiser rapidement le nouveau Conseil
.d"État, à la formation duquel les provinces réconciliées .tenaient
.beaucoup. Elles y voyaient un contrôle nécessaire pour le pouvoir
du gouverneur général. Aprèss 'être transporté, en avril 1580, à
Namur, pour y assister à l'assemblée des 'États du Brabant qu'il y
avait convoqués (69), le prince de Parme se prêta aux sollicitations
des Wallons qui le pressaient de venir établir le siège de son gouver-
nement à Mons et se rendit dans cette ville. Il y fut reçu le 24 avril
et le peuple lui fit des démonstrations de sympathie et d'allégresse.
La noblesse se montra moins empressée. Les députés des provinces
wallonnes firent même, un instant, des difficultés pour l'admettre au
gouvernement, sous prétexte qu'ils n'étaient pas autorisés à le
reconnaître et qu'il faudrait auparavant une nouvelle assemblée des
États de ces provinces. Cette manœuvre avait été inspirée, semble-t-il,
var le marquis de Richebourg, dont le prince de Parme disait, dans
ses lettres 'au Roi, qu'il voulait « mettre des bâtons dans les
roues » (70).
Le gouverneur général tint alors aux députés un discours pour
leur montrer que le Roi avait exécuté toutes ses promesses, pour
leur reprocher leur attitude peu sincère et peu logique, leur disant
que celui qui avait conclu le traité pouvait aussi l'exécuter, sans
avoir ,besoin de nouvelles facultés. Il finit par les menacer de se
retirer à Namur, en guise de protestation, en leur laissant la respon-
sabilitê de ce qui pourr.ait arriver.
Devant cette attitude énergique, les députés s'inclinèrent et
finirent par admettre le prince au gouvernement (71). Le 29 avril, la
cérémonie coutumière du serment eut lieu dans l'église Sainte-
,Waudru (72).

(69) Libro de las cosas de Flandes, ro 206; Farnèse nu Roi, Namur, 10 avril 1580
(A. G. R., Copies de Simancas, vol. g, fo 26); Le Roi à Farnèse, Merida, i or mai 1580
(A. G. R, Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo 203). Il ne pouvait s'agir que des
membres des Etals qui étaient l'estés fidèles. Le Thol craignit un instant qu'Us n'eussent
voulu comparaître en dehors du Brabant, mais aucune difflqulM ne surgit.
(70) Farnèse au Roi, Mons, 9 mai 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, 1'0 39).
(71) Farnèsé au Roi, Mons, 9 mai 1580 (Loc. cit.).
(72) Liber relationum, fo 76; Lettre de Farnèse du 3 mai 1580 (B. N. P., IDS. espa-
gnol 182, fo 295). - « Le lendemain 26 d'avril, Jour de mardy, le dict seigneur prince
de Parma faict son ventrée audict Mons... assisté de quelques compagnres de che-
vaulx pour s'a garde... Lesdictz de Mons avoient longtemps falot difficulbé de le
recevoir aveoq gendarmerie, ayant ésté persuadé d'en estre exempt par la dicté paix
particulière [traité d'Arras) ». (lIfémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas, t. V,
11. 214).

2G5
Aussitôt après, de nouvelles difficultés surgirent à propos de la
nomination des membres du Conseil d"État. Il était question d'y
installer le marquis de Richebourg, le comte de Lalaing, M. de
Rassenghien, le duc dAerschot - qui s'était réconcilié après le
Congrès de Cologne -, le comte de Hennin (Capres), le marquis de
Havré et Schetz. Mais les députés wallons se réservèrent de ne pas
accepter de suite les nominations qui avaient été faites par le Roi,
voulant remettre ce point jusqu'à la réunion des députés de toutes
les provinces wallonnes, qui devait se tenir bientôt. Deplus, après
le Congrès de Cologne, le duc de Terranova avait promis aux abbés
de Sainte-Gertrude et de Maroilles qu'ils seraient nommés au Conseil
d "Etat, en récompense des efforts qu'ils avaient déployés pour la
réconciliation. Mais les provinces wallonnes, se souvenant du rôle
équivoque de ces abbés et n'oubliant pas qu'ils avaient suivi le parti
des rebelles, refusèrent de les admettre. Malgré tous ses efforts,
Farnèse ne parvint pas à faire changer les Wallons d'attitude (73).
Ainsi se manifestait, au point de vue politique, une atmosphère
trouble et qui ne présageait rien de bon. Aussi, le prince de Parme
s'en plaignit vivement au Roi. « Cette noblesse, écrivit-il, n'est pas
sûre et hésite quant à la collaboration à donner pour le service tlB
Votre Majesté. Le peuple, au contraire, est bon et très incliné au
parti royal, C'est lui qui tient les nobles dans la voie du devoir. » (74).
Le 'prin:ce de Parme s'efforçait cependant de contenter t'Out le
monde, et essayait surtout de s 'attaeher le marquis de Richebourg,
dont il appréciait les qualités, mais qui avait de lui-même et de sa
valeur une idée exagérée (75). De son côté, le Roi était prêt à toutes
les générosités et signalait à s'On gouverneur général, avec un soin
extrême, tous IB,s désirs, parfois exorbitants, des seigneurs récon-
ciliés.
TI ordonna de donner quelque mercède au comte de Rœulx pour
les pertes qu'il avait subies du fait de son loyalisme; il prescrivit de
contenter dans la mesure du possible le comte de Lalaing, qui récla-
mait 18.000 florins de rente, Il fit remettre une pension de 600 livres

(73) STRADA, III, p. 220-221; Farnèse au Roi, 1er juillet 1580 (A. G. R., Papiers
O. C., t.
d'Etat et d'Audience,reg. 192, r- 67); Le Roi à Farnèse, Badajoz, 15 août 1580 (ibidem,
fo 104); Farnèse au Roi, Mons, 26 octobre 1580 {ibidem, fo 122); Farnèse au Roi, Mons,
9 mai 1580 (Loc. cit.); E. VALVEIKENS, De Zuid-NlJderlandsche Nm'bertijner abdijen en de
opstand tegen Spanje, pp. 199-201.
(74) Farnèse au Roi, M'Ons, 9 mai 1580 (Loc. cit.); Lettre de Farnèse du 3· mai 1580
(B. N. P., ms. espagnol 182, r- 295).
(75) Lettre du 9 mai 1580, citée.

266
au prévôt de Valenciennes et au sire d'Aubercourt, gouverneur de
Landrecies, pour les récompenser des services rendus à la cause du
Roi, et il prescrivit de s'enquérir des moyens d'honorer M. de
Gougnies. Il proposa de donner le gouvernement de Maestricht ou du
quartier de West-Flandre - dont La Motte avait recommandé la,
création - au sire de Helfault. Le beau-fils de Billy pourrait recevoir
le gouvernement de Limbourg et pour le prévôt de Liége, fils du
sire de Berlaymont, onchercher.ait unév-êché. Il était plus difficile
de contenter Egmont, M. de Rassenghien et le sire d'Auchy, qui se
disputaient le baillage d'Alost (76).
Bref, tout le monde pouvait compter sur la reconnaissance du
souverain et le prince de Parme devait combiner toute sa prudence
et son savoir-faire pour exécuter les ordres de son maître et calmer
les appétits qui se manifestaient de toutes parts.

(76) Le Roi à Farnèse, Madrid, 3 mars 1580 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'A1Idience,
reg. 176, [o. 150, 154).

267
CHAPITRE IX.

ALEXANDRE FARNÈSE ET LE BAN CONTRE


LE PRINCE D'ORANGE

On a quelquefois mis en rapport étroit la proscription du prince


d'Orange et l'échec du Congrès de Cologne. Constatant que le 'I'aci-
turne avait provoqué, par son attitude- intransigeante - c'était, du
moins, l'opinion du Roi et du duc de 'I'erranova - la ruine des
espoirs que l'on avait placés dans ce congrès de pacification, Phi-
lippe II aurait décidé de se débarrasser de lui par l'assassinat (1).
Cette présentation des faits est, à notre avis, inexacte. Nous
avons montré, dans un des chapitres précédents, que le Roi avait
fini par se rendre compte que c'était surtout par la voie des négocia-
tions avec les provinces wallonnes qu'on arriverait à un accord et
qu'il avait perdu, avant la fin des tractations de Cologne, tout espoir
sérieux de les voir aboutir. Bien plus, il avait exprimé à Farnèse
le désir de voir la paix se faire sans l'intermédiaire de l'Empereur,
dans la crainte que celui-ci n'exerçât trop d'influence dans les affaires
des Pays-Bas (2).
. Ce qui paraît plus probable, c'est que l'attitude du 'I'aciturne
pendant ces 'Conférences (3) et aussi les efforts qu'il avait faits
pour empêcher la rêconciliation des provinces wallonnes, lui sem-
blaient offrir une occasion cherchée depuis long.temps pour mettre

(1) Voir, p. ex., GOSS'ART, La domination espagnole clans les Pays-Bas à la fin du règne
de Philippe lI, p. 122.
(2) Cfr M. PHILIPPSON, Ein Ministerium unies: Philipp II, pp. 149-150.
{3) Le 4 janvier 1580, le duc de Terranova écrivit, de Cologne, au Roi: « Orange, que
es el que ha guiado esta danza hasta ha haber reducldo à. 10 que desseaba » (A. G. R.,
copiee de Simancas, vol. 14, ro 1).

268
PL. XU

LE PHmCE U'OHAi':GE

(Portrait par Mlercveld à l'Hûtel do ville de Delft.)


à prix la tête de son ennemi. Ce n'est pas sous l'indignation produite
par l'échec de la conférence, mais sous couleur de s'en indigner, que
le Roi fit le pas décisif.
En effet, ce n'est pas en novembre 1579 que nous entendons
parler pour la première fois du projet d'assassiner le prince
d'Orange. Déjà, à plusieurs reprises, des suggestions avaient été
faites et des complots ourdis. En 1573, Albornoz, le secrétaire du
duc d'Albe, avait conçu le plan de faire assassiner à la fois Guillaume
le Taciturne 'et son frère Louis. Le Roi avait approuvé ce projet,
affirmant qu'en cas de succès, il en aurait une joie et un contente-
ment tout particuliers, et « qu'il se réjouirait, si l'on purgeait la
terre des deux frères ».
Requesens, à son tour, fut invité à chercher les moyens de se
débarrasser du Taciturne, mais il lui était recommandé de ne pas
laisser savoir « que la chose se faisait par l'ordre du Roi, ni même
qu'il en avait connaissance ». Plus tard,c'est le secrétaire de Don
Juan, Escovedo, qui est chargé d'exécuter la besogne et le Roi annote
la lettre qu 'Antonio Pérez écrivit à cette occasion.
En 1579, d'autres personnages encore méditèrent de faire dis-
paraître le prince d'Orange, sans que l'on puisse affirme'!', cette fois,
qu'il y eût une intervention du Roi. Mais celui-ci fut, sans nul doute,
tenu au 'courant de ces plans. Ainsi, un gentilhomme savoyard offrit
à Benardino de Mendoza, ambassadeur d'Espagne à Londres, de
faire périr le prince par l'emploi de poison.
De son côté, Don Juan de Borgia, ambassadeur de Philippe II
à la cour impériale, fut en rapports avec un Écossais qui proposait
de tuer le Taciturne par le même' moyen. Le duc de Terranova, avant
et pendant les négociations de Cologne, encouragea plusieurs fois
ce conspirateur. Enfin, pendant ce mêmlecongrès, un personnage
marquant des Pays-Bas, Jean van der Linden, abbé de Sainte-Ger-
trude à Louvain, offrit à Terranova, au cas où l'on ne réussirait pas
à faire partir le prince d'Orange du pays, de le faire assassiner.
L'abbé reçut de l 'argent pour. faire exécuter le, projet et 'I'erranova
promit une gratification de 10.000 écus en cas de succès {4).
(4) GACH.~RD, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, l'p. XXII svv.:
GOSSART, 0, c., pp. 132-135. POUl' ces projets voir, respectivement: Lo que se otrece,
conforme al estaao de las cosas, que se âevria Iuizer con el Principe de Orange, el
wio de 1578, dans GACHARD, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 79; GA-
CH.~RD, Correspondance de Guillaume le Tacitwrne, t. VI, p. CXXXVII; ibidem, t. VI, !p. 10;
ibidem, t. VI, pp. 13 svv.: Spanish Caienaar, n,o 625, et les sources citées par GOSSART
o. C., loc, olt.

269
L'édit de proscription de novembre 1579 n'est donc pas une
chose nouvelle et depuis longtemps, le Roi s'était habitué à l'idée de
l '.assassinat. Mais ] 'échec de la conférence de Cologne offrit une
occasion excellente pour justifier une proscription.
Ce qu'il importe de mettre en relief, c'est que ce fut le cardinal
de Granvelle qui, le premier, fit la suggestion.
Il venait, depuis peu de temps, d'être appelé à la cour de Phi-
lippe II en qualité de conseiller chargé des affaires des Pays-Bas et
avait pris tout de suite beaucoup d'influence sur l'esprit du Roi (5).
il conseilla au souverain de se débarrasser du prince d'Orange
en mettant sa tête à prix. TI était convaincu que, aussi longtemps que
le 'I'aeiturne se trouverait' aux Pays-Bas, il serait vain pour Phi-
Iippe II d'essayer de rétablir son autorité. Il l'avait écrit au Roi
déjà l'année précédente, le 11 juin 1578. Le 13 novembre 1579, il
l'engagea à mettre à prix la tête du prince, en donnant 30.000 ou
40.000 écus à celui qui le tuerait ou le livrerait vivant. C'est ainsi
qu'agissaient, écrivait-il, tous les potentats d'Italie, et il ajoutait:
« Comme il est poltron, il ne serait pas surprenant qu'il mourût de
peur, ou que quelque désespéré, pour gagner la somme offerte, fît
le coup »,
Le Roi fut tout de suite d'accord. Il apostilla dans ce sens la
lettre du cardinal, mais se préoccupa en même temps des formes et
des motifs juridiques, qui devr.aient expliquer la proscription. « Il
faut voir s'il y a sentence contre lui, annotait-il, et s'il est nécessaire
qu 'il y en ait une; 'si elle existe, elle doit avoir été prononcée du temps
du duc d'Albe; depuis lors, il n'yen a pas eu. » (6)
Avec une rapidité peu coutumière chez lui, Philippe II prit les
mesures d'exécution. A peine une quinzaine de jours après la sug-
gestion de Granvelle, une lettre fut rédigée pour ordonner à
Alexandre Farnès·e de faire publier le ban contre le prince d'Orange:
cette lettre fut minutée tout entière de la main du cardinal (7).)
Dans cette lettre à Alexandre Farnèse, le Roi mettait en relief
les raisons qui l'avaient amené à proscrire le Taciturne. C'est lui
qui, par des artifices, a empêché l'accord entre Ile souverain et ses

(5) PHILIPPSON, Ein lIfinisterium unter Philippe u., pp. 57 svv.


(6) GACHARD, Correspondance de Guillaume te Taciturne, t. VI, p. 19, note 1; Corres-
ponaance du Cal'dinal de Granvelle, t, VII, pp. !!96-497.
(7) GACHARD, o. cs; p. 19, n° 1; Cor'l'espondance du CardInal de Granvelle, t. VII,
pp. 503-506 .. Ofr PHILIPPSON, p. c., pp. 150-151 et GROEN VAN PitINSTERER, Archives ou
Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau, t. VII, pp. 165-166, u· GMXL.

270
sujets etrendu impossible le repos 'et la tranquillité du pays. Il siest
appuyé sur la faveur du petit peuple pour hnposeraux villes des
magistrats à lui, pour y introduire des . garnisons étrangères, Aussi
longtemps qu'il sera aux Pays-Bas, ceux-ci ne connaîtront ni quié-
tude,ni repos. Pour le faire partir, on lui a offert des conditions
raisonnables et avantageuses. Ila refusé de les accepter. Il convient
dès lors de lui faire la, guerre-par tous les moyens. .
,O'est pourquoi, sesouvenant de ce que, déjà au temps du duc
d'Albe; sentence- fut prononcée- COntre lui (8), comme coupable de
lèse-majesté, et que sesbiens furent confisqués et mis sousséquestre,
le Roi, s'inspirant de l'exemple du ban impérial, a estimé « qu'il
n'y aurait point de mal » à lancer un pareil ban contre le Taciturne,
fondé sur les maux et dommages qu'il a caus-és depuis l'époque du
duc d' Albe, et de s'inspiret, pour la forme de cet édit de proscrip-
tion,de celle du ban lancé par Charles-Quint contre le duc de Saxe
et le landgrave de Hesse. On mettrait donc la tête du prince à prix,
à l'exemple de ce que plusieurs autres princes faisaient pour des
cas moins importants que celui-ci, et l'on promettrait une récom-
pense de 30.000 écus, ou telleautre qui paraîtrait raisonnable, à celui
qui leIivrerait mort ou vif, afin de délivrer le pays d'un homme si
pernicieux ou, du moins, de lui enlever le moyen de continuer à
exécuter librement sesdeeseins.
Le prince de Parme était invité à. en délibérer avec les membres
de son Conseil, afin d'exécuter le plus vite possible l 'ordre royal.
Cet ordre pouvait s'exécuter d'autant plus librement que « 1'011 sçait
lesmesnées et praticques qu'il Ii tenu pour faire tuer le ducq dAlve,
feu nostre frère don Juan d'Autriche, dont Dieu ait l'âme" et
aultres » (9).
En recevant cet ordre, le prince de Parme fut, sans nul doute,
désagréablement surpris. Il n'approuvait pas. l'idée de Philippe II (10)
et la lenteur qu'il mit à exécuter les instructions de son maître
montre suffisamment les vues différentes qu 'il avait à ce sujet. Oe

(8) Voir au sujet des ctconstances et de la signification de ce ban l'article de H.


VAN. ALFEN, De Prins van Oranje in 's Konings ban, dans l'IHstorlscl! T!jdschrift (Tilburg),
1933, t. XII. pp. 1-80. .
(9) GACHARD, Correspond4nce de GtÙllaume le Taciturne, t. VI, pp. 19-23.
(10) Le 4 avril 1581,' il écrivit au Roi: « A mi nunca me pareci6 bien el placarte y
bande que contra e-l [le prince d'Orange] se hizo ». GACHARD,Correspondance de Guil-
taume le' Taciturne, t. VI,p. 45; « Leduc de Parme ..._ne trouvait ni bon ni convenable
à l'honneur du Roy nostre Prince, de proscrire Guillaume de Nassau, 1> PIERRE COLINS,
Histoire aee choses les plus mémorables ..., p. 603-604.

271
n 'est qu'à lann de janvier 1580 qu'il informe le Roi des opnuons
qui se sont fait jour au Conseil d"Ét~t au sujet du ban (11).
Les membres de ce Conseil n'étaient pas tous du même avis.
Les uns (12) estimaient que la iprcscription était inopportune et que,
loin de rendre le Taciturne odieux à tout le monde, ce serait un
motif pour plusieurs de s'apitoyer sur lui. Le fait que le prince
serait ainsi averti du sort qui l'attendait lui permettrait de prendre
toutes ses mesures pour éviter les attentats contre sa personne,
d'autant plus que seuls des étrangers, et non des gens des Pays-Bas,
auraient le courage et la décision de préparer un tel attentat.
Il semblait aussi que l'emploi de la proscription était indigne
d'un prince comme le Roi d'Es'pagne. Si, après avoir fait la guerre
'au Taciturne, en y employant toutes les ressources dont il pouvait
disposer, Philippe II abandonnait maintenant ce moyen pour avoir
recours à l'assassinat, n'en conclurait-on pas que le premier moyen
n'avait donné aucun résultat?
Enfin, si un ban impérial n'attirait d'ordinaire à celui qui le
lançait ni haine ni malveillance, parce qu'il était fondé sur les ordon-
nances et les constitutions de l'Empire, il y avait lieu de craindre
qu'un ban émanant de la seule autorité du Roi ne produisît un effet
peu favorable.
Une autre partie des conseillers de Farnèse approuvaient, au
contraire, la mesure, et se ralliaient aux raisons développées dans la
lettre que Granvelle avait minutée.
Farnèse se garda bien de prendre position dans le débat. Il se
contenta de mettre les deux avis différents sous les yeux du Roi,
lui laissant le soin de décider ce qui serait le mieux « pour l'honneur
de Dieu, son royal service, tranquillité et repos de ses subjeets »',
Il ne faudrait cependant pas se méprendre sur les motifs qui
déterminèrent le prince de Parme à ne pas approuver personnelle-
ment le 'Projet du Roi. L'idée même de la proscription, de l'appel
à l'assassinat, ne lui faisait pas horreur. Il était de son temps, et ce
temps admettait le reeoursà ce moyen 'Pour se débarrasser de ses
ennemis ou de ses adversaires politiques. Le prince n'avait qu ',à
puiser dans ses souvenirs et 'à regarder autour de lui. Charles-Quint
n'avait-il, pas trempé d'une certaine façon dans l'assassinat du

(11) Voir sa leltredans GACHARD, o. C., t. VI, p. 24.


(12) KERVYN DE LETTENHOVE (Les Huguenots et les Gueux, t. VI, p. 87) suppose, avec
beaucoup de vraisemblance, que ceux des conseillers opposés au ban étaient natifs des
Pays-Bas.

272
grand-père d'Alexandre, Pie!' Luigi Farnèse? Et si le duc Ottavio
et Marguerite de Parme prétendaient rentrer tout de suite en
possession de la citadelle de Plaisance, rr'êtait-ce pas sous le pré-
texte que le due de Parme,ento,uré d'ennemis, craignait d'être
assassiné un jour par des émissaires du duc de Ferrare?
L'assassinat politique était d'ailleurs une arme souvent employée
'par les princes italiens et Granvel'l~ l'avait rappelé ~ propos dans
la lettrequ 'il avaitminutês pour le Roi. D 'autre p.art - et il con-
vient de ne pas l'oublier - ce que Farnèse ne pouvait ignorer non
'plu,s et ce ~ quoi il était. certainement aceoutumê, c'est que le Roi
d'Espagne, conteairement œu droit public des Pays-Bas, était le
maître absolu de ses sujets, et qu'il pouvait les mettre à mort sans
contrôle. C'est ce principe du droit .du souverain en matière crimi-
nelle qui devait faire paraître naturelle, ou du moins conforme au
droit, aux Espagnois et à ceux qui avaient vécu en Espagne, l'atti-
tude de Philippe II dans la question du ban (13).
Ce que Farnèse contestait, c'éta~t I'opportunité de la mesure,
considérée du point de vue politique. Ce, qui le montre bien, c'est
ta lettre qu'il adressa au Roi en lui envoyant un exemplaire de
l'Apologie que le Taciturne publia en réponse au ban. « Je ne
trouverai jamais bien, écrivit-il au Roi,quant à moi, le placard et le
ban qui a été fait contre lui, parce q~l,'illui a donné occasion d'ajouter
,cette méchanceté à toutes les outces. » De 'l'avis de Farnèse, Phi-
'.

lippe II avait imprudemment fourni au prince d'Orange l'occasion


,de sefaira valoir aux yeux du peuple et de rendre 'Plus odieuse
encore la personne du Roi (14).
Il serait donc parfaitement oiseux de discuter ici les sentiments
du prince de Parme et d'essayer, eomme rl'aueuns l'ont fait (11:»,
d'excuser une conduite que lui-même devait trouver parfaitement
na,tur,eHe(16).
Le prince ,se permit d'émettre une opinion personnelle en ceci :
il se demandait, au cas où le Roi publierait quand même le ban, s'il
ne serait pas opportun d'en délibérer avec les députés des provinces
wallonnes. Ils. s 'étaient déclarés contre le Taciturne et ses adhérents

(13) Corresponâtmce de Granvelle, 1. VII, p. XLIX,


(14) GACIlARD, Correspondance de Guülaume le Taciturne, t. VI, p. 45.
.(i5) P. ex. VAN DER VYNCKT,His.toire des troubïes des Pays-Bas, t. Ill, 'P. 34; P. FE A,
o. c.. pp, 163-165,
(16) Sur l'opinion des juristes conternporatns, voir KERVYN DE LETTE~HOVE, Les Huque-
nots et les Gueuœ, 1. VI, pp, &1-85,

273
lors de la réconciliation de 1579;::èt; s 'ilsprenaierrt aussi leur part
de responsabilité dans le' ban, Ionpourrait peut-être les 'amener à por-
ter plus allègrement la charge de la guerre qu'on menait contre celui
quils avaient ainsicol1damné.Mais, d'autre part, le prince deParme
ne cachait pas que' cette procédure lie' serait perit-être pas sans
danger,puisqu'il faudrait assembler les États des provinces wal-
lonnes, où une dangereusedivergence de vues pourrait se manifester.
Il s'enremlt, dès lOTs, auRoipour décider-ce qu'il faudrait. faire
,à ce sujet-là aussi (17).
Après avoir communiquéau :Roilesavis différents des membres
de son Conseil.Tllui fit parvenir un projet' d'édit, conçu dans le sens
des instructions qui lui avaient été envoyées. Il semble bien cependant
qu'il avait 'tardé outre mesure àenvoyer ce projet, car Philippe II
s'impatienta et lui écrivit pour demander ce qu'il 'avait fait pour
exécuter ses ordres (18).
Après avoir reçu le projet d 'édit de proscription, dressé par
Farnèse, le Roiinarqua son accord, avec certaines 'réserves {i9). Il
persistait à publier le ban, malgré les objections de certains conseil-
lers du prince. Il approuvait l'exposé des motifs du document pré-
paré par le prince de Parme, mais il désapprouvait le passage par
lequel on accordait 'au Taciturne un certain temps « pour se recon-
naître ».
A quoi bon, puisque l'obstination du prince était connue et qu'il
n'y avait aucun espoir de le voir venir à résipiseenoe l Le souverain
estimait qu'il serait, an contraire, opportun d 'accorder un terme d 'un
mois on de six semaines aux adhérents du prince d'Orange, pour leur
laisser l 'occasion de se séparer de celui-ci, et de ne pas s'exposer ~
surtou t ceux d 'Anvers, de Hollande et de Zélande "- à la saisie de
leurs biens dans un pays qui vivait principalement du commerce.
Pour le reste, le Roi était d'avis de ne pas soumettre la question du
ban aux 'États des provinces wallonnes; ceux-ci « n'avaient que trop
déjà empiété sur S011 autorité ».
En terminant cette lettre ---- où se retrouve, encore une fois, le
style du cardinal de Granvelle (20) ~ Philippe Ir
adressait à son

(17) GACHARD,O. c. 1. VI, p. 27.


(18)« Je désire entendre 00 que vous aurez résolu de ce que J~ vous avais escrtpt
de faire déolaratton contre ledvprtnee Doranges let ses adllérens.,,» Madrid, 3 mars 1580
(A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 176, fo 144). .
(19) Lettre du lor mai 1580 (GACHARD, o. C., t. VI, p. 30).
CHARD, Q. e., t. V.I,p, XXXVI.
(20) G..••

274
gouverneur général un reproche non dissimulé: « On pourra ainsi
dresser par-delà le dit han et le faire publier en toute diligence, et
le plus tôt sera le mieux. Même, il aurait ,été hien que vous l'eussiez
fait déjà! »
Devant le désir formel du Roi, Farnèse s'exécuta. TI fit dresser
le texte de l'édit, à la date du 15 juin 1580, ce qui révèle, encore une
fois une lenteur caâoulée. Ce même jour, il fit rédiger 'aussi une circu-
laire, adressée aux gouverneurs 'et aux conseils provinciaux des
Pays-Bas, leur communiquant le texte de l'édit et leur enjoignant de
le publier dans leur ressort.
Ce n'est cependant qu'au mois de .juillet que l'édit lui-même fut
envoyé, en français ouen flamand, selon les régions. En signalant au
.Roi qu'il avait commandé ,d'imprimer les exemplaires du han, le
prince de Parme Ile put s'empêcher de marquer, une fois de plus,
.qu'il n'approuvait pas la mesure prise par Philippe II : la lettre
se termine, en effet,comme suit: « puisque Votre Majesté juge
devoir ainsi convenir à son royal service » (21).
Ce qu'il est important de constater, ce n'est donc pas le fait que
.Farnèse approuve l'appel au meurtre - en ceci, il fut d'accord avec
le Roi -, mais le fait qu'il osa montrer Clairement, pal' sa lenteur
à obéir et à exécuter les ordres reçus, sa désapprobation formelle
quant à l'opportunité politique de cette mesure. Cette marque d 'indé-
pendance, nous la retrouverons encore plus d'une fois au cours de
cette histoire.

{2i) GAGItARO, o. C., t. VI; pp. 33~35. - L'édit lie parvint aux conseils de justice
des « provinces obéissantes '» qu'au mois d'aoùt. A signaler aussi que, dans sa Iettre
aux gouverneurs et aux Conseils, Farnèse écrit - tntentlonnellement, semble-t-il ~
cette partie de phrase: « Gomme le Roy mon seigneur, par deux réuërëee lettres
s'lennes, nous ayt mandé bien ·c.vp1'essement". » (GAcHARD, o. c., t. VI, p. 33)..

275
CHAPITRE X.

LA SITUATION POLITIQUE ET MILITAIRE


JUSQU'AU SIÊGE DE TOURNAI

Après le départ des soldats espagnols et l'échec de la. confé-


rence de Cologne, la guerre allait continuel'. Mais les forces en pré-
sence étaient trop petites pour pouvoir tenter quelque entreprise
d'envergure. Farnèse n'avait à sa disposition qu'une armée peu
nombreuse, 'composée en grande partie de troupes wallonnes non
aguerries, et dont une proportion considérable devait être employée
à tenir les villes des «. provinces obéissantes » (1). L'armée de cam-
pagne ne devait pas compter alors plus de 4.000 à 5.000 fantassins
'et plus de 2.700 à 3.000 cavaliers (2). Tout ce que l'on pouvait faire
en ce moment, c'était de garder les villes qui étaient rentrées dans
l 'obédience du Roi et de rassurer celles dont la réconciliation sem-
-blait devoir se faire dans un bref délai (3).
L'armée des 'États n'était pas non plus très nombreuse: c 'étaiént
de faibles forces auxquelles commandaient La Noue et le colonel
angiais Norris (4). Nous en trouvons la preuve dans la remontrance
énergique que le prince d'Orange adressa le 9 janvier 1580 aux
députés des États Généraux réunis à Anvers, Il se plaignit de ce qu'ils

1) FEA, O. c., p. 130_


(2) D'après la statistique dont nous avons parlé au chapitre VIII.
(3) En novembre 1579, le Roi avait éorlt à Farnèse: « Je m'essheure que le modé-
rerez conforme à ce que vraysemnlanlement pourront faire 'les adversaires, tenant
regard à la sayson, pour éviter fraiz non forcez... Il faut défendre ceux qui sont réduttz
et donner plus de facherie ausd. adversaires et leur ostel' ce que Ion pourra de corn-
merce ... » (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fO 123).
(4) BENTIVOGLlO, Della guerra di Fiandra, Parte II, libro l, éd. clt., t. II, pp. 33-34.

276
fussent obligés de faire la guerre « non pas où il nous semble conve-
nir et que le service du pays le requiert, mais bien souvent où il plaist
à nostre ennemy... et toujours demeurons en ceste nécessité de
défendre, sans oser rien assaillir » (5). Il exigea la création d'une
armée: d'au moins 4.000 cavaliers, 12.000fantassins, et 1.200 pionniers,
avec l'artillerie et les équipages nécessaires (6), Il semble bien qu'à
cette date.La Noue ne disposait que d'une armée de 3.000 fantassins
français, anglais et écosaais.et de 1.000 cavaliers environ (7).
'Cette faiblesse respective des forces des deux adversaires obli-
geait ceux-ci à avoir souvent recours à la ruse, à entretenir des
intelligences dans les places occupées pal' l'ennemi, à essayer de se
rendre maître par surprise de l'une ou de l'autre ville importante.
Du point de vue du prince de Parme, la tâche était extrêmement ardue.
Le front .sur lequel les hostilités s'étendaÎient allait, pour lui, du Pasl-
de-Calais aux bouches de l'Ems (8). Il avait à défendre ses positions
en Frise, dans le Brabant septentrional, en Campine, dans la région
de Malines, IRU centre du Brabant et dans toute l'étendue des pro-
vinces réconciliées, mais principalement dans la Flandre française et
la région de Cambrai (9). TI fallait, pour ainsi dire, faire front de
tous les côtés, etcela, avec des forces manifestement inférieures à la
tâche (10).
Le 28 février, les troupes de Montigny, qui SB sentait humilié
d'avoir perdu Menin, et qui avait été renforcé pal' la cavalerie légère
italienne et albanaise envoyée par le prince de Parme, s'emparèrent
de Courtrai par surprise et y passèrent les défenseurs au fil de
l'épée (11). Ce succès des Malcontents fut suivi de deux échecs très
graves. Le 30 mars, La Noue, grâce à des intelligences qu'il avait
.dans la place, réussit, au moyen d'échelles, à introduire ses hommes
dans Ninove et à faire prisonnier le comte d'Egmont, surpris au lit.
La femme, le frère et les sœurs du comte tombèrent également dans

(5) Remontrance pub'iiée dans RENON DE FRANCE, llistoire des troubles des Pet ys-Bas,
t. II, pp. 4.97 svv.
(6) Ibidem, p. 504.
(7) Voir les documents publiés pal' J(ERVYN DE VOLKAERS BEKE, Correspondance de
Prançois de La Noue, pp. 137-14.4..
(8) FEA, o. C., p. 130.
(9) Ibidem.
(10) La tâche de La Noue n'était pas moins difficile. Celui-ci décida que son armée
« ne se présenteroit jaimais à la teste de l'ennemi plus forte et plus grande, mais les
harasseroit oontinuellement }) (HAUSER, Françms de La NOue, p. 107).
(11) Liber relationum, tOI 75~76; Libro de las cosas de Eùmâes, f· 205 ; STRADA,
o. c., t. III, p. 219,

277
les mains du vainqueur, mais celui-ci, s'il était huguenot farouche,
,était aussi galant cavalier, et mit les captives en liberté, Sous' bonne
garde, Egmont fut transféré au ·fort de Rammekens en -Zélande (12):.
.De son côté, le colonel Norris surprit la ville de Malines où, grâce
à quelques traîtres, sept compagnies ennemies parvinrent à .a'iutro-
duire, avant que le gouverneur espagnol eût pu se douter de ce qui
,.se passait. Les Anglais mirent la cité complètement à sac,avec une
telle cruauté et une telle rapacité, que les contemporains y virent un
autre « sac de Maastricht ~ (13).
Alexandre Farnèse fut fort affecté de la perte de cette place
importante, mais il dégagea, auprès du Roi, toute Ha. responsabilité.
Les habitants avaient refusé de laisser entrer la garnison que le
prince avait voulu leur envoyer et avaient négligé d'expulser les
suspects de leur cité. A la suite de ce désastre, Farnèse fut obligé de
transférer le Grand Conseil on Parlement de Malines à Namur (14).
TI fut, en ce moment, d'autant plus difficile d'obvier aux con-
séquences fâcheuses de ces échecs que partout des tentatives de
mutinerie et des actes d'indiscipline affaiblissaient les troupes de
Farnèse. Les garnisons réclamaient leut solde, menaçaient de sien
aller et de rejoindre les Allemands mutinés qui terrorisaient toujours
le Luxembourg. Les garnisons de Louvain et du château de Sichem
s'étaient déjà mises en marche pour exécuter ce dessein, mais le
prince de Parme se porta au-devant de ces soldats et les obligea à
rebrousser chemin, Il fit pendre l'instant les chefs des mutins.
à

N éanmoins, à Louvain, les Allemands et les Wallons de la garnison


s'ét.aient mis à piller la vi:lle, tandis que Maestricht fut abandonnée
par les troupes de la. garnison qui couraient çà et là dans la eam-
pagne à la recherche de vivres (15). « Si les Allemands se débandent,
écrivait Farnèse le 15 avril, il me restera si peu de troupes wallonnes
qu'elles seront à peine suffisantes pour tenir la moitié des places que
je suis obligé de garder. » (16)

(12) Libm' relationum, fO 79; Libro de las cosas de F/4ndes, fO 206"; Farnèse au
Roi, Namur, 10 avrll 1580 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, r- 26).
(13) Farnèse au Roi, lettre citée: LibfO de las cosas de Flandes, [0 206"; STRADA, o. C.,
t. III, p. 220; Itetatume che danno l'alfier della compagnia di Mons' de Autep&nne che
si ritrovavano in Malines quanâo si perse CA. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, rascïo 1(63).
(14) Libro de las cosas de Flandes,ro 206'0; Lettre (Je Farnèse du 10 avril, cillée;
Lettre de Farnèse au Roi, Mons, 12 juin 1580 (A. G. R., Papiers d'Etat et ci'Audience, teg,
192, s- 184); Lettre du même, Namur, 15 avril 1580 CB. N. p" ms.es-pagnol 182, r- 29410),
('15) Farnèse au Rtoi,Namur, 10 avril 1580 (Lettre citée); Le même au même, Namur,
15 avril 1580 (Lettre citée).
(16) Lettre cit-ée.

278
Comme nous 1'avons dit dans un chapitre précédent, le 24 avril,
Farnèse alla s'établir à Mons pour y négocier avec les 'États des
provinces réconciliées au sujet des voies' et moyens pourp.à:yer son
armée. Il constata avec angoisse que la petite armée de campagne,
qui devait être le noyau de l'armée nationale prévue par le traité
el'Arras, allait tous les jours s'affaiblissant: le seul espoir qui res-
tait, c'était la cavalerie italienne et albanaise qui était très dévouée
et qui inspirait à l'ennemi une terreur salutaire.
Les Wallons mutinés de Maestricht n'avaient-ils pas, sans la
moindre vergogne, averti le gouverneur qu'ils lui donnaient encore
quelques jours pour les payer, faute de quoi ils livreraient la place
au prince d 'Orange! Le prince de Parme avait dû prendre une
somme de 2.000 écus, qu'un banquier de Cologne lui avait fait par-
venir de la part du duc Ottavio Farnèse, pour calmer la fureur des
mutins et ne pas s'exposer à perdre Maëstricht (17). Un peu partout,
cependant, l'infanterie commençait à se débander et les hommes
el' armes s'en retournaient pair groupes chez eux (18). La situation
était d'autant plus dangereuse que les troupes de La Noue s'appro-
chaient des provinces réconciliées et qu'il fallait trouver le moyen
de leur tenir tête (19).
C'est le marquis de Richebourg qui sauva la situation. Celui-ci
avait sous ses ordres et la cavalerie légère et les hommes d'armes,
'Cumul que le Roi avait itrouvé exorbitant, mais que-Farnèse avait
approuvé pour ne pas s'aliéner ce seigneur influent (20).
Après la prise de, Ninove, La Noue avait ordonné à son lieute-
nant Marquette d 'assiéger le château d'Ingelmunster et était parti
lui-même avec le gros de ses troupes dans la direction de Lille pour
tâcher de surprendre cette place (21).
Farnèse envoya immédiatement le marquis de Richebourg pour
s'opposer aux desseins de l'adversaire. Richebourg s'approchant
avec six compagnies de cavaliersalbanais et italiens, une compagnie
de lanciers, quatre compagnies d'arquebusiers flamands et quelques

(17) Farnèse au Roi, 'Mons, 9 mai 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, [0 39).
(18) Libro cie las cosas de Ptasuiee, f 207"°.
o

(19) Libro de las cosas de Fuuuies, r- 207ro,


(20) Farnèse au Roi, Mons, 13 mai 1580 (A. G. R., Papiers [l'Etat et d'Audience, reg.
192, to 167).
{21) Le prince d'Orange avait cependant écrit à deux reprises à La Noue pour ren-
gager à ne pas livrer bataille avant d'avoir reçu dies renforts. (Lettres du 26 avril 1580~
dans A. F. N., Carte (arnesiane, Fiandra, fascia 1644).

279
compagnies wallonnesc1'élite (22) l La Noue revint précipitamment
vers Ingelmunster et chargea son lieutenant de disputer le passage
,
de la Mandel"
àIseghem. Les troupes de Richebourg ,parvinrent à
traversé!' la rivière et attaquèrent furieusement le camp de La Noue.
La cavalerie écossaise de celui-ci fut rapidement, enfoncée par les
la-nciers italiens et albanais. et bientôt le chef. huguenot] abandonné
par la plupart des siens, fut fait prisonnier. JI laissa entre les mains
de l'ennemi 17 drapeaux, 4 cornettes de cavalerie et trois canons,
avec les munitions de guerre (23).
La victoire de Richebourg-et la capture. de La Noue vinrent heu-
reusement apporter quelque changement à la situation angoissante
où se trouvait Farnèse. « ,Cette victoire, écrivit-il au Roi, est venue
à propos pour soutenir les affaires,qui étaient, certes, en mauvais
termes », et il exprimait l'espoir qU8-,grâce à l'impression qu'avait
produite ce fait d'armes, il serait peut-être possible de tenir jusqu'à
l'arrivée des 150.000 écus, dont le Roi venait d'annoncer l'envoi
imminent (24).

Comme le dit M. Hauser, « la défaite d'Ingelmunster était peu


de chose, mais la perte de La N oue êtait irréparable, et valait pour
L'Espagne autant 'qu'une brillante victoire » (25). Le marquis de
Richebourg emmena son prisonnier à Courtrai et lui réserva un bon
traitement. Il le conduisit ensuite à Mons, en la présence d 'Alexandre
Farnèse.
Le prince de Parme a été accusé d'avoir proposé à Philippe II,
pour se faire bien voir de celui-ci, d'exécuter La Noue en secret.
Kervyn de Volkaersbeke a consacré à cette « machination » des
pages remplies d 'indignation (2~). Cependant, l 'historien de La Noue,
M. F. Hauser, s'est 'empressé de Iaver Farnèse de ce reproche ('27).

(22) 1500 hommes 'en tout, comme infanterie,


(23) Lettres de Farnèse au Roi, Mons, 13 mai 1580 (A, G. R, Copies de Simœncas,
r- 'a3; A. G. R, Papiers d/Etat et d'Auàtence', reg. 192, [0 167.; B. N. p" ms. espagnol 182,
r- 295); Mémoires sur le marquis de Varembon, PP. 10--24.,
(24) Ibidem; H. HAUSER, François de La Noue, pp. 118-119,
(25) François de La Noue, p. 119. '- Voir, 'ia lettre par laquelle La Noue annonce qu'il
vient d'être fa'it prisonnier, dans KERVYN DE VOLKAERSBEKE,Correspoïuumce de François
de La NO'Ue,pp. 192-193.
(26) Correspondance de François de La Noue, pp. 25-28.
(27) François de La Noue, p. 120.

280
Qui a raison? La question mérite d'être examinée de 'près; car, selon
Ia réponse qu'on y donne, la réputation du prince de Parme sort
grandie ou fort diminuée de l'aventure.
Le point de départ de la controverse, c'est une lettre dont 'Skada
a donné le texte (28), et que Farnèse aurait adressée au Roi à la date
du 26 juin 1580. Il importe de la mettre sous les yeux du lecteur :

« Comme La Noue a violé le serment par lequel il s'était obligé


» avec. les' autres à ne porter jamais les .armes . contre . le Roi
» d'Espagne - car 'après la prise de Mons par le duc d'Albe, il ne
» fut mis en liberté qu 'à cette condition -; comme.ienfin, ila toujours
» été le conducteur de l 'hérésie et du parti des hérétiques et qu'il a
» été particulièrement le trompette et le défenseur des Flamands
» rebelles) aussitôt qu'il fut tombé entre mes mains, je considérai
» en moi-même qu'avec les qualités qui le rendent si considérable, il
» possédait en lui seul tous les moyens par lesquels on pouvait
» entretenir une longue guerre contre Dieu et contre Votre Majesté.
» C'est pourquoi j'av.ais résolu de le faire punir selon qu'il l'a
» mérité, et d'en faire un exemple pour les étrangers, afin qu'ils ne
/) soient plus si prompts à vendre leur peine, pour semer des troubles
» dans le pays des autres princes. Et même) j'avoais eu 'envie de le
» faire punir promptement et avant qu'il fût en la disposition de
» Votre Majesté de ne rien résoudre touchant cette affaire, afin que
» tout Ie monde reconnût que la décision en avait été prise aux Pays-
» Bas et qu'on ne L'avait pas envoyée dEspegne. Gal' pour moi, je
» suis de. ce sentiment qu'il est du devoir Bit de la charge d'un
» ministre fidèle, dattirer sur soi toute la haine que L'on peut
» appréhender ou des châtiments ou des refus, deservir comme rem-
» part pour mettre le prince à couvert de la haine ,et des reproches,
»et enfin de lui réserver toutes les occasions de faire des bienfaits
» ou des grâces. Mais parce que je prévoyais que sa punition pou-
» vait nuire au comte d'Egmont, au baron de .88'l1es, qui avaient été
» pris depuis peu de jour,s,et à tant de grands hommes de votre
» parti, que le prince d'Orange retient depuis longtemps et auxquels
» il ne pouvait arriver rien de plus funes'te; qu'il n 'y eût à craindre
» de grands troubles du côté de tant de nobles qui sont leurs parents
» et alliés, j'ai estimé plus à propos de ne point prendre d'autre
:/> conseil que celui qu 'il plaira à Votre Majesté de me donner à ce

(28) O. G., t. III. pp. 225-226.

281
» sujet. Cependant, comme je dois bientôt aller à Namur,j 'y mènerai
» La Noue avec moi: pour, de' là, le faire conduire au château de
» Limbourg et le donner en garde-à. Gaspar de Robles, seigneur de
» Billy,à la fidélité duquel on peutlibrement confier tout ceque Votre
»Majesté en ordonnera de particulier. »
C'est de cette 'lettre que Kervynde Volkaersbeke a déduit que le
prince de Parme « conseillait un infâme assassinat »(29). ~L Hauser
ne voit dans la missive de Farnèse rien d'autre qu 'un artifice. il
aurait flat,té les secrés penchants du Roi, qui aima'it à rejeter sur
ses ministres la responsabilité de se,s cruautés. Il laissait entendre
qu'il s'était ravisé, dans la crainte que les 'États 11'infligeraient an
comte d 'Egmont et aux seigneurs prisonniers des Gantois le, même
traitement que les Espagnols feraient rsubir à La Noue. « Lier le
, sort du captif de Mons à celui du comte d'Egmont, c'était - du
moins Farnêse pouvait l'espérer - ouvrir les voies à une négocia-
tion d'échange ». Tel est l'avis de M. Hauser.
Celui-ci ne s'est pas posé la que-stion : la lettre produite pal'
Stradaest-elle bien authentique' .
La question peut, en effet, se poser. II est certainement étonnant
que Farnèse, quiçen toutesoccasions, mettait au-dessus de tout sa
propre réputation,ait cru devoir, en cette circonstance, prendre sur
lui tout l'odieux de l'exécution de son prisonnier. Cette machination
est contraire à tout ce que nous savons du caractère chevaleresque
du prince de Parme. Sans dout-e, le f.ait devient moins étrange, si
l'on suppose avec M. Hauser que Farnèse a ici recours à un artifice
pour suggérer l'idée d'échanger La Noue contre le comte d'E,gmont.
Mais il y .a autre chose. La. première lettre où le prince de Parme
parle au Roi de la captivité de La. Noue 'est datée du 12 juin (30);
elle est donc antérieure de 14 jours à celle dont Strada nous donne
le texte. nans cette lettre du 12 juin, Farnèse parle comme suit :
« Depuis mes dernières lettres, La Noue m'a été remis par le- marquis
de Richebourg. J-e le' fais diligemment garder au château de cett-e
ville (Mons), attendant ce que Votre M.aj'esté me commandera d'en
taire. Cependant, le duc d'Anjou a écrit au dit marquis -et au comte
de Lalaing, qui m'ont communiqué sa lettre, afin qu'ils voulussent
procurer sa libération en échange du comte- d'Egmont et afin qu 'on
lui réservât un bon trait-ement. Pour ce qui est du traitement, je le

(29) O. C., p. 27.


(30) El!.e se trouve dans A. G. R., PllpilIrs dfEtat et d'Audience, reg. 192, COI 184-194

282
lui fais hien bon et àmes dépens. Quant à l'échange, il n'y a .pas à y
songer, car lecas de l'un et de l'autre sont différents ».
Est-il possible d'admettre qu'après avoir écrit dans ce sens le
12 juin, le prince de Parme eût envoyé quinze jours après la lettre
dontStrada nous donne le texte?
Ce qui est certain, <l'est que Farnèse commença par bien traiter
La Noue (31)1 comme il I'affirme, Nous avonsdu prisonnier Iui-même
une: lettre quine permet aucun doute à cet égard (32).
: Certes, ceci ne prouve rien contre l 'existence des plans secrets
de vengeance que Farnèse aurait nourris. Mais est .•ce-bien lui qui
conçut .le projet de· faire 'exécuter La N ouet
Av,ant que n'ait pu parvenir à Madrid la lettre du prince du
12,juin que nous avons citée, le Roi écrivit lui-même de Badajoz,le
17 juin,en réponse aux premières nouvelles de la victoire.d 'Ingel-
munster (33). Et qnadit-il (34) î

«Apprenant que La Noue est prisonnier et m'étant demandé


» cequ 'il convient en faire ; étant donné qu'il est parjure de tout
» ce qu'il a juré à Mons lorsque naguère il y fut pris et que le duc
» d'Albe le remit enlibertê ; considéré aussi qu'il a été le chef de me-s
» rebelieset perturbateur de la paix publique, il m'a paru bon de
» vous ordonner-comme je f.ais par la. présente - de bien veiller
» àce que sa personne ne vous échappe pas et de donner des imetruo-
» tions de le faire tuer tout de suue (oooborte iueqo) (35). Je vous
» laisse choisir Ie moment de l'exécution et déciders 'il faut 1a
» faire publiquement ou en secret et avec dissimulation, selon qu'il
» vous paraîtra le mieux convenir. La première maniêre.aervirait
» d'ex-emple; la seconde, ne mettrait pas ,en danger la. libération du

(31) Paolo Rinaldi afïirme tdans s'OU Libel' vetaüonum, avec quelque exagération évi-
dente : « 10 messero in rocha- daùdoglt un huomo a un pagglo dèl suoi, che le servisse,
e Parma liberalmente 8JH fece fare le spese del suo con splendtdezza, che della libc>r'lil.
Impol era trattato come se fosse stato prlnoipe ». {f°79).
(32) « Quant à moy, jay receu beaucoup de faveur de Mons' Je prince de Parme
eL courtoisie de la nation italienne » La Noue' aux Etats de Flandre, Mons, 3 juin 1580
(KERVYN DE VOLKAERSBEKE, O. C" p. 215), Un mois après, le 3 aoüt, La Noue écrit aux
mêmes: « Vous puis assurer que le prince de Parma use toujours en mon droict de toute
eourtesie » (Ibidem, p. 219).
(33) Philippe Il ne pouvait avoir reçu le 17, à Badajoz, une lettre écrite à Mons le
12 du même mois. Il fallait plus de 5 jours pour qu'une lettre des Pays-Bas parvint
er; Espagne. .
(34) Le texte de cette lettre, en espagnol, se trouve à A, G, R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo 65. '
(35) C'est nous qui soulignons les mots importants.

283
» comte d'Egmont et le bon traitement que je désire que lui donnent
» ceux qui tiennent celui-ci prisonnier. Si, avant que cette lettre ne
» vous parvienne, vous aviez fait (ce qui pourrait arriver) ce que
» j'ordonne ici, vous auriez employé le moyen le plus sûr pour éviter
» des négociations, des intercessions, des interventions qui auraient
» pu s'organiser à l'occasion du cas de La Noue. »
Et de sa main, Philippe II ajoute ce post-scriptum : « Je crois
» que l'exécution eu secret serait.le meilleur moyen, et ceci, tenez-le
» pour vousseul. Ayant de l'exécuter, il serait bien d'extraire de lui
»toùtcequ'iLsait, car-il doit savoir bien des choses ».
Cette fois, on en conviendra, le doute n'est plus permis. C'est
bien Philippe II qui, le premier, a conçu le projet de faire tuer La
Noue,de préférenceen secret. Cette attitude ne concorde-t-elle pas
admirablement avec ce que nous savons de la strangulation de
Montigny dans la prison de Simaneas î

Que devient alors la lettre du 26 juin publiée par Strada 1 Ne


serait-elle pas un faux? Pas tout à fait. Car, nous en avons retrouvé
le texte espagnol original (36), mais ay,ec une autre date que celle
donnée par l'auteur du De Bello belqico, En réalité, la lettre est datée
du 26 juillet. De plus, le texte diffère considérablement de celui que
Strada a donné dans son livre. C'est surtout le. commencement de la
lettre qui importe, car il montre que Farnèse répond à la missive de
Philippe II datée du 17 juin.
« .Ce que Votre Majesté a daigné m'écrire à propos du cas de
La Noue, je l'ai lu », dit le prince (37). Si donc, Farnèse ,a feint

{36) A. G. R, Coptes de. Simancas, vol. 14, fO'86-88·


0
).

(37) VOici, afin de pouvoir comparer le texte avec celui donné par Slrada, te texte
original espagnol, « Lo que V. M. ha sido servtdo mandarme escrtnïr en el partlcular de
Lanua fre visto, y slendo perjuro, herege y fautor de rebeldes enemigos de Dios y de
V. M., y teniendo partes y calldadea .para poder y saber hacer mas mal de 10 que J'o
sabria decir, desde luegn que se' prendlé consideré que comblnlera mandalle procesar y
castigar eomo mereee y que tuera de rnanera que hublese de servir d~ ejempio y escar-
msento il, losestrangeros y otros que se entromelen en favorescer reveldes, y desëo en
estremo pcdeldo hacer antes que V. M. hubiese lugar de mandarme declarar su voluntad,
porque el mundo entendlese que la resolucron se ha tornade aca, pareciendome que
Jas dernostratlones rlgurosas deben. los ministros ipr.QCurarque caygan sobre ellos, dejando
à los reyes y grandes principes coma V M. hacer gracias y mercedes. Pero, represen-
tandoseme delante 10 que sucedléra en la persona dei conde de Agamont y de los oblspos
y otros buenos catoltcos fleles y aficionados al servicio de V.M., y la alteraclon que
deste reclbirian la nobleza y vlllas destas provincias y de 100 demas que V. M. posee,
pudiendoles parecer que se holgase homlbre de vello peligra, hablendo ro oido platicar
algodesto, acordé de tenello suspense hasta tener su real mandato y orden ... 'il Le résul-
tat de la comparaison de ce texte avec celui de Strada doit nous invitër à employer avec
grande clrconspection les pièces omcienes citées par cetauteur .dans .son De Bello belqico,

2$4
dàvoir déjà. songé à faire exécuter La Noue pour attirer sur ses
épaules la haine que Cette action barbare devait faire naître.ic 'est
qu 'ile, réellement, comme le supposait M. Hauserveu recours 'à un
artifice. Car il avait eommencêparbientraiter La Nous et il n'avait
dabord pas songé à Ie fairo tuer! la lettre du 12 juin en est la preuve
formelle. En recevant les ordres du Roi, il a feint non seulement
d'être d'accord, mais d'avoir déjà songé lui-même A agir de la sorte.
En réalité, il parlait ainsipour pouvoir=traîner l'affaire en longueur,
introduire peu à peu dès objections et'essayer de sauverJe prison-
nier. ,. ..

En effet, il prétendit qu'il n'avait pas encore pu faire exécuter


La Noue dans la ville de Mons, parce qu'il aurait dû mettre trop de
gens dans le, secret 'et que. le marquis de RIchebourg, qui avait si
bien traité son prisonnier, ne le lui aurait jamais' pardonné. Il
annonça au Roi qu'il apercevait la possibilité de faire transférer
La Noue à la' citadelle de Namur et, puis après, de l'envoyer à Lim-
bourg, où M. de Billy 'en aurait la garde et serait prêt à faire de lui
ce que le Roi ordonnerait (38). " " '
Le prince de Parme. gagnait ainsi du temps. Il employa même un
stratagème pour intéresser le Roi à la personne de La Noue.n avait
eu avec celui-ci, fit-il savoir au souverain, un entretien au sujet de la
manière dont on pourrait arriver à établir aux Pays-Bas une bonne
paix: La Noue était, ,eu effe~, populaire parmi les rebelleset avait
beaucoup.de crédit auprès d'eux. Le prisonnier, sans entrer dans des
, , '

particularités, avait promis à Farnèse « de faire de grandes choses»,


aussi bien en vue darriver à une réconciliation générale que pour
réduire Cambrai et Bouchain et chasser tous les Français des Pays-
Bas. La Noue aurait fait cette promesse, « parce qu'il savait que
c'était pour lui le seul moyeu de sortir de prison »(39).
Lé prisonnier avait-il fait réellement cette promesse et était-il
prêt à aider ainsi le parti du Roi ~ A première vue, toute la vie de
La Noue proteste contre une telle supposition. Mais, cependant, il
existe de lui une lettre qui nous permet d'affirmer que l'attitude, que
lui prête Farnèse dans sa missive auRai, n'est peut-être pas si
invraisemblable. N'écrivait-il pas, de sa prison de Mons, au seigneur
, '

(3S) Lettrecitée du 26 j1.ÙHet .


(39) Même lettre.

285
de Champagney (40), le 3 juin 1580 (41) ; « Je plains beaucoup plus
la misère de tant de pauvres peuples, que la gu-erre consume et ruine,
que la mi-enne, et je voudrais d-e boncœnr la voir finir par une bonne
paix, que vous avez toujours aimée,.et, à ce que j'entends, tous tes
moyens pour y arriver vous paraissent accessihles, A la fin des dis-
sensions civiles, onen vient de part et d'autre, après être devenus
plus sages par l'expérience, à .se relâcher, adoucissant les véhémentes
rigueurs et les'
animosités co~mlU1es..:~ ~. .' . '.'
. Ql.l0i qu'il en soit, il nous semble 'que Farnèse découvre le fond
d(;sap~nsk en (:iisallt allRoi que, si ~~e~prom~sses de La Noue
sont de nature à intéresser celui-ci et si elleaontquelque fondement,
on pourrait peut-être suspendre les mesures ordonnées contre lui (42).
Le prince de Parme firiit cependant pal' envoy-er Là Noue au
château de Limbourg. Le prisonnier y fut enfermé dans une espèce
de basse-fosse ; il Y tomba malade (43).
Avant de l'envoyer là-bas - en octobre 1580 (44) - Farnèse
avait encore exposé au Roi 'combien il était perplexe et hésitant pour
exécuter ce que le souverain avait commandé. La Noue avait tant
d'amis qui intervenaient continuellement en sa faveur et le danger
de· voir des reprêsaillese 'exercer contre les prisonniers de Gand
devait être sérieusement considéré. « Néanmoins, je le ferai partir
de Charlemont pour Limbourg, où il-sera plus facile de faire ce que
Votre Majesté commandera» (45).
Cette dernière phrase donne un exemple typique de la manière
habile de Farnèse. Il feignait tout le temps de s'en remettre au Roi
et d'être prêt à obéir à l'ordre d'exécution, mais en même temps il
répétait les objections et les avertissements.
Cett-e politique dilatoire obtint finalement l'eft1et désiré. I.J·e
28 novembre, le Roi fit savoir au prince de Parme que, pour éviter
des représailles, il consentait à ce qu 'on laissât vivre La Noue, mais
qu'on devait le garder étroitement (46). Le guerrier huguenot subit

(40) Champagne)' était prisonnier des Gantois et La Noue s'adressa à lui pour 'lui
conseiller de supporter son sort R\'I"C la même philosophie que lui-même en montrait
dans sa captivité. .
(41) KERVYN DE VOLKAERSBEKE, O. C., p. 215.
{42) Lettre citée du 26 juillet.
(43) H. HAUSER, O. C., p. 121.
(/14) C'est-à-dire quatre mois après l'ordre de Philippe II de tuer La N-oue.
(4f» Lettre du 26 octobre if>80 (A. G. R .. Copies de Simancas, vol. 14', fo 122).
(46) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, ·fO 1.46.

286
encore, 'certes, une dure et longue captivité de cinq ans (47), mais
Farnèse avait du moins réussi à le sauver.

*' * 41<

La victoire d'Ingelmunster .avait relevé le prestige de l'a.rmée


de Farnèse et privé les rebelles du meilleur homme de guerre qu'ils
avaienteudepuis la mort du .comte de Boussu, mais elle n'eut, pour
le reste, qu'un effet passager. Bientôt, de nouveaux échecs mirent en
;relief la faiblesse réelle du parti du Roi. Au début de juin, un Esp,a-
gnol qui était gagné 'au prince dOnange, escalada, accompagné de
soldats français, les murs de Diest et .ouvrit les portes à la cavalerie
des 'États. La garnison allemande fut passée au fil de l'épée. D'autre
part, le commandant du château de Sichem rendit celui-ci sans corn-
battre, Farnèse fut 'Outré de ces événements. Il sentait qu'il ne pou-
vait pas se fier aux nobleset même à une partie de la population des
villes qu'il avait en son pouvoir .et il écrivit au Roi « qu 'il ~tait très
difficile de distinguer les bons des mauvais ». TI se rendait compte
que pour empêcher L'adversaire de pratiquer ainsi la surprise de tous
les côtés, il aurait dû pouvoir disposer de troupes mobiles - « camp
volant » - qui auraient pu se porter rapidement aux endroits
menacés. Mais comment faire? TI avait besoin de toutes ses forces
pour garder Lille, Valeneiennes, Courtrai et Alost, où il 'savait que
Ie prince d 'Orange avait des partisans prêts à tout. De plus, il devait
employer les deux tiers de ses forees à tenir les diverses places fortes,
où l'onêtait fidèle 'à la cause du Roi, et qui étaient situées loin l'une
ide l'autre. Dans le Brabant et la région de la Meuse, c'étaient Lou-
vain, Tirlemont, J odeigne, Aarschot, Léau, Maastricht, Ruremonde
et Straelen. Plus au Sud, c'étaient Namur, Gembloux et Bouvignes.
.En Flandre, c'étaient Courtrai, Alost, Gravelines, Cassel, la châtel-
lenie de Lille, Douai, Orchies, le 'I'ournaisis. Il fallait aussi défendre
les frontières de Groningue et du Luxembourg. Dans la plupart de
ces places, d'ailleurs, les garnisons n'avaient depuis longtemps plus
touché de solde et étaient prêtes à se révolter et à s'en aller (48).

(47) Il ne fut rendu à la liberté qu'en 1585. Gfr KERVYNDE VOLKAERSBEKE,o. c., pp. 233-
236, et H. HAUSER, o. c., pp. 122-138. - L'épisode la captivbté de La Noue a été bien
traité par KERVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 507-509, mais
celui-ci n'a pas compris le rôle du prince de Parme.
(48) Libro de las cosas de Flandes, f' 207-208; Farnèse au Roi, Mons, 14. juin 1580
{A. -G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo 194
VO
); le même au même, Mons,
13 juin et 7 julllet 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fos 57 et 79); LettrJe de
Farnèse, Mons, 7 juin 1580 (B. N. P., ms, espagnol 182, f' 295v,).

287
Le prince de Parme avait bien essayé de se procurer des res,
sources en demandant de l'argent aux provinces wallonnes. Il avait
sollicité un prêt de 150.000 livres, mais on ne pouvait que lui pro,
mettre une somme de 100.000 au maximum. Il se vit ainsi obligé de
(prendre 200.000 écussur une provision d'argent que le Roi lui avait
fournie pour payer et licencier les Allemands qui terrorisaient le
Luxembourg. C'était tomber de Charybde en Scylla (49).
Cependant, de son côté, le prince avait essayé de surprendre
Bouchain, Vilvorde et Bruxelles, où il avait réussi à nouer des
intelligences (50). Malheureusement, ces entreprises se terminèrent
par un échec complet. Dans l'affaire de Bouchain, le baron de Selles
fut fait prisonnier '(51). Une entreprise plus considérable lut le
projet de s'emparer de la ville de Gand : le prince de Parme avait
espéré pouvoir entrer par surprise dans cette citadelle du calvinisme.
Le marquis de La Motte et Richebourg furent chargés d'exécuter le
plan. Le 7 juillet, ils parvinrent à s'approcher de nuit de la ville
etàattaquer ses défenses extérieures, mais l'infanterie wallonne,
épuisée par la longue route qu'elle avait dû faire et trempée par la
pluie, ne montra aucun entrain et refusa de monter à l'assaut des
ravelins, « Si j'avais eu là des soldats espagnols, écrivit Farnèse au
Roi, nous y serions entrés! » (5'2)
Le prince de Parme put, quelque peu, se consoler de cet échec,
en apprenant qu'une tentative de troupes ennemies sorties de
Bruxelles pour escalader les murs de Hal et d'Enghien n'av.ait pas
réussi non plus {53).
Ce n'était pas la situation militaire seule qui créait des soucis
continuels au gouverneur général. Un instant, il put se demander si
les défections qu'il avait attendues de la part des chefs wallons récon-
ciliés, et dont il 'avait si souvent parlé au Roi, n'allaient pas devenir
une terrible réalité.
Il y eut tout d'abord la tentative du seigneur d'Auchy, frère du
comte de Boussu, qui, étant gouverneur d'Alost, ourdit un complot
(49) Farnèse au Roi, Mons, 7 juillet 1580 (Loc. cit.).
{50) Avvisi des Pays,Basenvoyés à la Cour d'Angleterre, 15 avril 1580 (Foreign
Catenâar, Elisabeth, 1579,1580, n° 268).
(51) Mons, 1er juillet et 7 juillet 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fD' 67 et
79); C. CAMPANA, Della guerra di Fiandra, II, fOS 18,o-18vo; PIERRE COLINS, Histoire des
choses les plus mémorables, pp. 605-606.
(52) Farnèse au Roi, Mons, 26 juillet et lor aoùt 1580 (A. G. R., Copies de Simancas,
vol. 14, fo' 84 et 90); V. FRIS, Histoire de Ganà, p. 232; Mémoires sur le marquis de
Varembon, p. 5.
(53) Farnèse au Roi, 1er aout 1580 (Loc. cit.).

288
pour livrer cette place au prince d'Orange. Repoussé par le magistrat
et la garnison de la ville, le traître se rendit au château de Liedekerke,
dont il chassa la garnison royale et qu'il remit entre les mains des
soldats des États. Il fut privé de ce fait du commandement de sa
compagnie d'hommes d'armes, de son gouvernement d'Alost et de
son office de wout-maître ou intendant des forêts {54).
L'autre trahison, beaucoup plus grave, fut celle de Guillaume de
Hornes, seigneur de Hèze (55), qui était, avec Montigny, de Masnuy
et d' Alennes, un des quatre colonels d'infanterie wallonne, et dont
la vie fut un triste exemple d'inconstance et de versatilité. Tantôt
révolutionnaire et chef d'émeutes, tantôt réactionnaire adhérent aux
Malcontents, il avait été de tous les partis. Il avait participé à l'em-
prisonnement des seigneurs du Conseil d'État; il avait comploté
contre Don Juan. Il finit par préparer un acte de trahison qualifiée
et par imaginer un 'attentat contre la personne du prince de Parme.
Le point de départ du complot fut la colère du seigneur de Hèze
lors de la prise de Courtrai, sous prétexte qu'il n'av.ait pas reçu la
part de butin qui lui revenait. S'en étant ouvert à son maître d'hôtel,
Hèze reçut de celui-ci la suggestion de se mettre en rapport avec le
duc d'Alençon et de lui livrer son régiment et celui qu'il commandait
à la place du comte d'Egmont prisonnier. En même temps, le seigneur
de Crecques obligerait la ville d'Aire .et la région environnante à se
déclarer pour le prince français, tandis que, de son côté, le seigneur
d'Inchy, qui tenait Cambrai au nom des États, ouvrirait la porte de
cette cité aux Français. En outre, Hèze avait résolu de faire passer
en revue les troupes qui devaient partir pour camper près de Cam-
hr,ai,et de prier le prince de Parme d 'honorer 'cette revue de sa
présence. Pendant que l'on tirerait des salves pour faire honneur au
gouverneur général, quelques soldats, soudoyés au préalable, et
cachés parmi les autres, devaient viser Farnèse et l'abattre (56).
Le complot fut dénoncé par deux capitaines français au sire
de Montigny, qui en avertit immédiatement Farnèse. Celui-ci, se
doutant de quelque chose, av.ait depuis quelque temps déjà fait sur-

(54) STRADA, 0, C., t. III, pp. 241-242.


(55) Voir sur la trahison de Hèze KEaVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux,
L. VI, pp. 30-34.
(56) Liber retatumum, fos 80-80"0; Farnèse au Roi, Mons, 13 juin 1580 (A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 14, fo 57); Le même au même, Mons, 14 juin 1580 (A, G, R.,
Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo 194"°); STRADA, o. C., t. III, P'P. 242-243; PIERRE
COLINS, O. c.,pp. 596-597; KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. VI,
Il. 3'0.

289
veiller discrètement le conspirateur. Lorsque Montigny lui eut fait
connaître les projets de Hèze, le prince ne fit pas arrêter celui-ci tout
de suite. Il ne voulait donner aux seigneurs réconciliés aucun sujet
de froissement, et se soumettait strictement en ceci aux ordres du Roi,
qui lui avait prescrit d'employer la douceur insinuante, à l'exclu-
sion de toute rigueur (57). Lorsqu'il ne fut plus possible de douter
de la réalité du complot, le marquis de Richebourg prit sur lui d'atti-
rer Hèze dans un piège. Le marquis invita le conspirateur à se
rendre au château d'Obies, où se trouvaient la princesse d'Epinoy, sa
mère, et d';auhres dames. Aussitôt que Hèze se présenta, on lui
demanda son épée : il était prisonnier (58). Richebourg le fit conduire
immédiatement à la ville forte du Quesnoy, tout proche, et avertit le
gouverneur général de l'arrestation du coupable.
Le prince de Parme qui, jusqu'ici, n'était point intervenu dans
l 'affaireçenvoya au Quesnoy cinq conseillers pour examiner le pri-
sonnier : celui-ci confessa tout dès le premier interrogatoire (59). On
constitua alors le dossier de son procès. Par souci d'équité, pour ne
donner prise à aucun soupçon et pour ne pas indisposer la noblesse
wallonne, dont Hèze était un membre influent, le prince résolut de
former un tribunal, choisi parmi les membres des Conseils des pro-
vinces réconciliées, de celui de Flandre et du Grand Conseil, établi
en ce moment à Namur, et de se ranger complètement à l'avis qu'ils
émettraient (60), Il ne fut donc pas question d'un tribunal d'excep-
tion, ni de justice militaire expéditive : le gouverneur général enten-
dait pousser le respect de la légalité aussi loin que possible (61).
Ce qui mérite d'être mis en relief, c'est que, au procès, il ne fut
point question du complot ourdi contre la personne du prince de
Parme et que, dans sa correspondance avec le Roi, Farnèse ne dit
pas un mot de ce qui avait été tramé 'contre lui. Aussi, lorsque le
tribunal trouva leprisonnier coupable, il ne fut accusé que du crime

(57) « Blandurs, -y no rlgor » (Famèse au Roi, lettre du 13 juin, citée),


{58) Voir le récit très circonstanclé et exact de STRADA, o. c., t, III, pp. 245-246;
Farnèse aux ministres espagnols d'Italie, Mons, 16 juin 1580 (A. F. N., Carte farnesiane,
Fiandra, rasclo 1(44). Farnèse à l'abbé Brisengo, Mons, 16 juin 1580 (A. F. N., carte fa1'-
nesiane, Fiandra, rascïo 1624).
{'59) Farnèse au Roi, Mons, 1er juillet 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
jo 67).
(60) Farnèse au R!oi, Mons, 1er août 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fO 90).
Parnèse à son père Ottavio, Mons, 16 juin 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, Puinâra;
déchiffré, rasclo 1661).
{61) « Messo in mana della giusmia ordlnaria » remarque Paolo IHnal'<ij dans son
Liber reiotumum, fo 80

290
de lèse-majesté (62).0'était pour lui la condamnation à mort. Le Roi
ne fit point usage de son droit de grâce et donna l'ordre d'exécuter
la sentence.
Cependant Alexandre Farnèse différa encore quelque temps cette
exécution, par pitié pour la sœur du criminel., la comtesse d'Egmont ,
qui pleurait en même temps le sort malheureux de son frère et de son
mari, prisonnier des États. Cependant, le maître d'hôtel de Hèze et
le seigneur de Crecques, qui avaient été arrêtés comme complices,
s'étant échappés de prison, le prince de Parme crut prudent de ne
plus attendre pour faire mettre à mort le condamné (63).
L'exécution eut lieu le 8 novembre. Pierre Colins, informé par
des témoins oculaires (64), nous a laissé, dans son Histoire des choses
les plttS mémorables, un récit saisissant des derniers moments du
baron de Hèze (65).
Farnèse manda à Mons le seigneur de Gougnies, gouverneur du
Quesnoy, et le chargea de préparer le condamné à son sort. Lorsque
Gougnies entra dans la prison, il trouva Hèze jouant aux cartes
.avec son page. A la vue de Gougnies, le conspirateur lui demanda :
« Quelles bonnes nouvelles apportez-vous de Mons ~ » - « Je ne sais
rien de bon en ce qui vous concerne » répliqua le gouverneur. Comme
Hèze ne montra aucune appréhension,s'imaginant que les démarches
qu'on avait faites en sa faveur le sauveraient, Gougnies continua:
« Le prévôt du camp, Aubin, vient d'arriver avec un secrétaire du
Conseil privé et d'autres gens. TI y a .apparence que tout n'ira pas
bien pour vous. Mais quoi ~ Vous avez passé par tant de hasards de
guerre! Si la sentence est contraire à votre attente, imaginez que
c'est une balle qui vous frappe au cours d'une escarmouche. Aussi
bien nous faut-il tous mourir ». Entretemps le secrétaire du Oonseil
privé était entré dans la prison et demanda L'autorisation de lire la
sentence du Conseil du Roi. « Parle », répondit Hèze. Lorsque réson-
nèrent dans la chambre les mots: qu'il avait condomvné Gi~iUau'i1te
de Hornes, seigneur ide Hese, d'avoir la teste tranchée, le condamné
fut tellement saisi que ses cheveux changèrent de couleur. Une agita-
tion terrible s'empara de lui: toute la nuit il se démena, suçant de

(62) Correspondance du cardinal de Granvelle, t. VIII, p. XXIII; STRADA,o. c., t. III,


D 244. 1
(63) Famèse au Roi, Mons, 26 octobre 1580 (A. G. R.,Copies de Simancas, vol. 14,
fo 122).
(64) Le conseillee Philippe de Namur, et le prévôt du camp Aubin.
(65) O. c., pp. 597-599.

291
temps en temps ses doigts trempés dans du vin, se jetant d'un banc
sur le lit, du lit sur un siège) maudissant son maître d 'hôtel, cause
de son malheur. Il avait une peur atroce de la mort; l'archevêque de
Cambrai, Louis de Berlaymont, qui se trouvait en ce moment au
Quesnoy, ne parvint pas à le consoler, ni à le calmer.
En allant au supplice, Hèze embrassa en pleurant et en se lamen-
tant ses gens de maison placés sur son passage. Au moment où il
allait recevoir le coup fatal, il se dressa en sursaut,hurlant vers
l'archevêque: « Ah, Monsieur, vous m'avez dit que vous ne m'aban-
donneriez point! » On le remit à genoux et, aussitôt le bourreau fit
rouler sa tête sur le pavé (66).
Après la mort du baron de Hèze, le prince de Parme refusa,
comme il en aurait eu le droit, de confisquel' les biens du condamné.
Il obtint du Roi l'autorisation de les remettre à la comtesse
d'Egmont (67). Quant aux possessions du sire de Crecques, qui avait
été condamné par contumace, Farnèse les fit donne'!' au comte de
Rœulx, qui appartenait, comme Crecques, à la maison de Croy (68).
La façon dont Alexandre Farnèse se comporta dans l'affaire du
seigneur de Hèze nous paraît moins une preuve de sa grandeur d'âme
que de sa grande prudence politique. Ils 'en expliqua à cœur ouvert
dans une lettre qu'il adressa à son père : « Je me suis conduit dans
cette affaire, écrit-il, de telle manière que personne ne puisse juger
que, du côté du Roi, il reste le souvenir des choses passées, i1iÏ, chez
moi, une inclination à suivre la voie de la rigueur. On verra que je
suis au contraire celle de la bienveillance ... Ce point est d'ailleurs
délicat, ,et je crains beaucoup les remords de conscience. » (69) Eh
constituant le tribunal qui devait juger le baron de Hèze, le prince

(66) Voir aussi la lettre de Farnèse au Roi, Mons, 16 novembre 1580 (A. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo 276): « Ayant esté a:dministré 'jusques au coup de
l'espée par l'Archevesque de Cambray qui l'a fait voluntairement... Et est mort fort
cathollcquement, cognoissanz ses fauItes, et après a esté enterré fort honnestement
en l'église dud, Quesnoy, en la chapelle de ceulx de Sempy, ses prédécesseurs maternels».
(67) Il est instructif de reproduire ici ce que Farnèse écrivit à ce sujet au Roi:
« La comtesse d'Egmont, sa sœur, laquelle a eu de fort grandz ennuyz de la mort de
sond, frère', m'a falct remonstrer que sond. frère l'avait instituée héritière universelle de
tous ses biens, I8n cas qu'il décéda sans entans ... Je luy ai faict responce que j'en adver-
tiray V. M., luy suppliant (comme je fais par ceste) le luy vouloir accorder, nonobstant
que tel testament, pour les MOSles survenues, soit de nul effect ... Que ce que V. M. Iuy
donnera ne sera grande chose, et si donnera grant contentement non seulement à lad.
comtesse, mais aussi à Bon mari. ne plus tout le monde entendra que V. M. ne cherche
le bien, mais que la justice, que s"en est faicte, a 'esté pour les énormes faultes dud.
de Heze. » {A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg. 192, fo. 276vo-277ro).
(68) STRADA, o. c., t. III, p. 245.
(69) Lettre de Mons, 16 'juin 1580 (Loc. cit.).

292
avait poussé le scrupule jusqu'à ne vouloir choisir que des conseillers
de justice (70) qui avaient suivi, avant le traité d'Arras, le parti des'
États ,et non le parti du Roi,et qui étaient connus en même temps
pour leur intégrité et leur droiture (71).

En co moment, à la menace de trahison de la part de seigneurs


wallons, à celle qui venait du côté des troupes des Éta'ts, s'ajouta la
menace d'une nouvelle intervention d'Al,ençon.
Le prince d'Orange av:ait repris contact avec le duc au moment
où, en juillet 1579, il put prévoir l'échec des négociations de
Cologne (72). Anjou lui servirait, dans la lutte qui allait nécessaire-
ment reprendre, d'allié contre les Espagnols. Il ne fallait plus
craindre maintenant la jalousie ombrageuse de l 'Angleterre, puisque
la Reine Élisabeth avait promis sa main au prince français et ne
redoutait plus 19'sconséquences de ses intrigues aux Pays-Bas. Pour
Anjou, Orange était désormais le seul sur lequel il pouvait compter
pour réaliser ses plans concernant la Flandre. La réconciliation des
provinces wallonnes avait coupé toutes relations avec le parti alen-
çonniste du Hainaut et avec s'Onchef, le comte de Lalaing (73). Certes,
Orange dut mettre en œuvre tonte son énergie et toute sa ténacité
pour aboutir. Les ministres calvinistes voyaient de très mauvais œil
l'intervention d'un prince catholique; dans le milieu des États Géné-
raux, les souvenirs que l'on conservait des Français étaient loin
d'être sympathiques et certains Allemands, comme Lazare Schwendi,
s'indignaient à l'idée que le Taciturne pût traiter avec l'9S « lubriques
et frauduleux Français ». Avec l'appui de Marnix et Villiers, le
prince d'Orange parvint à vaincre toutes les résistances et à faire
disparaître tous les soupçons. Le 27 juin, l 'Assemblée des États
Généraux consentit ,à adopter le texte d'un projet de conv-ention,

(70) Dès juillet i578, le gouvernement royal s'était reconstitué dans les provinces
« obéissantes ». Don Juan avait installé le consëll de Brabant à Louvain 'et destitué
les conseillers qui continuaient à siéger à Bruxelles. Après la prise de Maestricht, Far-
n! se lavait établi dans cette ville une seconde chambre du même Conseil de Brabant.
:;, avait installé à Namur la Chambre de Comptes de Brabant, puis le Grand Conseil de
Malines. Douai fut indiqué comme résidence du Conseil de Flandre (H. PIRENNE, llistoire
de Belgique, t. IV, p. i61).
(71) Même lettre qu'à la note 69.
(72) DE PATER, De Raad van State nevens Matthias, pp. 131-132.
(73) H. PIRENNE, llistoi1'e de Belgique, t. IV, p. 172.

293
reconnaissant Anjou et ses descendants masculins comme « prmees
des Pays-Bas. » (74)
Déjà, dès le milieu du mois de mai, le prince de Parme avait reçu
de nombreux avis de France, l'avertissant que le duc d'Anjou se pré-
parait à délivrer Cambrai. Le 17 mai, il avait envoyé des ordres aux
divers chefs militaires et gouverneurs de concentrer leurs forces et
de lui rendre compte du temps dont ils auraient besoin pour être
prêts (75).
TI fut rempli d'inquiétude en apprenant la prise de La Fère par
Anjou 'et les mouvements de troupes qui se faisaient alors - début
de juillet - près des frontières des Pays-Bas {76). Le. 9 juillet,
il écrit, de Mons: « Ces préparatifs que l'on fait en France, me
semblent destinés pour ici; je soupçonne Alençon de vouloir me
prendre dans le dos. Ge serait un grand danger, car je ne dispose que
de soldats mal disciplinés, mal payés, et en qui je ne peux avoir
qu'une piètre <confiance, J'ai averti le Roi, afin qu'il songe à fournir
immédiatement le remède, si ce que je crains doit se produire. » (77)
Comme en ce moment, à la suite des appels répétés du prince, et
grâce. aux instances conjuguées de Marguerite de Parme et du cardi-
nal de Granvelle auprès de l'Hazienda espagnole, le Roi venait
d'envoyer une somme de 300.000 écus, Farnèse essaya de renforcer
ses troupes, en les payant, et prit des mesures pour protéger la
région de Cambrai et de Bouchain, que les mouvements des Français
semblaient surtout menacer (78).
Au mois de février,en effet, Anjou s'était fait ouvrir les portes
de Cambrai, grâce à la trahison du seigneur d'Inchy, qui avait tenu
jusque-là la vine au nom des États, et qui avait été en rapport avec
le baron de la Ferté, agent du prince français. Celui-ci s'était ainsi
assuré, sur le flanc des provinces wallonnes, une place d'armes de
premier choix (79).

(74) Sur les négociations du prince d'Orange, voir l'exposé de KERVYN DE LETTENH{)VE,
Les Huguenots et les Gueux, t. V,pp, 5i9svv,; cfr H. PIRENNE, 0, C., t, IV, pop. 172-173,
(75) MULLER et DIEGERICK, Documents concertuuü les relations"., 1. IV, p. 32, note 1.
I e 5 juin 1581, Don Bernardino de Mendoza, ambassadeur espagnol à Londres, avait averti
Philippe Il des plans que tramait Ie duc d'Anjou, qui se trouvait en ce moment près
d'Elisabebh, et notamment de son projet de secourir Cambrai (Documentos inéditos para
la historia de Espana, t. 92, P p. 4.1 svv.) ,
(76) LtlYro de las 'cosae de Flandes, fO 208vo,
(77) B. N, p" ms. espagnol 182, r- 296ro,
(78)' LilYro de las cosas de Flandes, r- 208vo.
(79) L, MULLER et A, DIEGERICK, Docum'ents concernant les relations entre le duc
d'Anjou et les pays-Bas, t, III, pp, 241, 255, 258, 272, 276.

294
L'inquiétude de Farnèse avait tout de suite été partagée par les
États des provinces wallonnes; dans leur assemblée du mois de mai,
ils avaient exigé! en échange d'un prêt de 50.000 livres, qu'on prît
des mesures pour les protéger contre les menaces de leurs enne-
mis (80). Les États d'Artois avaient suggéré que Farnèse s'emparât
de Bouchain; ceux du Hainaut avaient demandé la prise de Nivelles ;
ceux de Lille voulaient qu'on les débarrassât des incursions et des
pillages de la garnison de Menin (81).
Etant donné que Bouchain semblait, de ces trois villes, celle qui
était le plus menacée d'être enlevée par les Français (82) - le gou-
verneur, le sire de Villiers, avait signé le traité qui livrait Cambrai
au duc d'Anjou - le prince de Parme résolut de tourner ses armes
dabord de ce-côté. Il ordonna à Montigny et au comte P. E. de Mans-
feU de s 'y rendre avec une partie de l'armée, cependant que La Motte
emmènerait quelques pièces d'artillerie et que le marquis de Riche-
bourg suivrait avec la cavalerie, Il y avait là 40 enseignes de soldats
wallons, 15 compagnies de ehevau-légcrs et 6 compagnies d'hommes
d'armes, accompagnés de 20 canons de plein et de demi calibre,
Grâce à l'ardeur des troupes, Bouchain fut rapidement emportée (83).
On accorda à la garnison une capitulation honorable. Les soldats
purent garder leur épée, mais ils durent s'engager à ne plus prendre
les armes contre le Roi pour une durée de six mois. Les soldats de
nationalité française furent mis en liberté. Le gouverneur, sa femme
et ses enfants purent sortir librement avec leurs bagages. Villiers
et les deux capitaines Présigny et Senolet furent autorisés à gagner
Cambrai (84).
Toutefois, avant de partir, la garnison de Bouchain avait miné
les principaux 'endroits de la ville et préparé des mêches pour faire
tout sauter au moment où l'ennemi y pénétrerait.
Il y eut une explosion terrible, qui détruisit environ cent maisons,

(80) GH. HIRSCHAUER, Les États d'Artois, t. I, p. 300.


(81) Farnèse au Roi, Mons, ,12 juin 1580 (A. G. R., Papiers d'Etat et d'Audience, reg.
192, fo 189VO); Gir CH. HIRSCHAUER, O. cj> t. I, 'p. 300, note 5.
(82) En ce moment, le prince d'Orange insista auprès des quatre membres de Flandre
et auprès de l'Union d'Utrecht pour secourir Bouchain, la prise de cette place mettant
en péril Cambrai et Tournai. (GACHARD, Correspondance de üuutaume le Taciturne,
t. IV, pp. 228 'et 242). ,
(83) Lettre de Farnèse, Mons, 22 septembre 1580 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 301 );
Liber relationum, r- 79.
(84) Copie authentique de la capitulation de Bouchain, 4 septembre 1580 (KERVYN DE
\'OLKAERSBEKE et DrEGERICK, Documents historiques inédits concernant les troubles des
Pays-Bas, t. II, p. 118, n- CCCIV).

295
mais les troupes de Farnèse, qui n 'avaient avancé que lentement, n'en
souffrirent pas grand dommage (85).
Lorsque le prince de Parme apprit quelles conditions favorables
le comte de Mansfe1t avait accordées au sire de Villiers, qui, l'année
précédente, avait traîtreusement attiré le baron de Selles pour le
livrer aux JiXats, il entra dans une violente colère (86).
Mansfe1t s'excusa en rejetant la faute sur la discorde qui com-
mençait à se manifester dans l'armée. Il lui avait été difficile de tenir
tête au marquis de Richebourg, qui prenait de plus en plus d'autorité,
soutenu qu'il était par Montigny et La Motte. Aussi, Farnèse s 'em-
pressa de se rendre à Bouchain, sans laisser paraître qu'il était
aucourant de ces disputes, Il avait son plan. Mais avant d'exécuter
celui-ci, il nomma à Bouchain un gouverneur et, dans cette circon-
stance, il fit de nouveau preuve de son habileté et de sa politique de
conciliation très large à l'endroit des seigneurs rêeonciliês. L'homme
qu'il plaça à la tête de la ville reconquise, ce fut Georges de Montigny,
seigneur de Noyelles, dont le père avait été décapité naguère sur
l'ordre du duc d 'Albe, et qui, lui-même, avait été un des premiers
signataires du Compromis des nobles (87).
Ayant ainsi manifesté sa confiance à l'endroit de cet ancien
rebelle, Farnèse fit assembler le Conseil de guerre et posa la ques-
tion : « Où faut-il maintenant porter nos armes ~ » Il se doutait bien
que ses lieutenants ne seraient pas d'accord sur ce point, et qu'ils
conseilleraient des entreprises dans des directions différentes. De la
sorte, il pourrait les séparer momentanément en les chargeant res-
pectivement de I'exécution du plan qu'ils auraient proposé: moyen
dont il se promettait l'apaisement des querelles (88).
Il arriva ce que le prince de Parme avait prévu. Richebourg
estima qu'on devait bloquer Cambrai, avant que les Français ne
pussent y amener des troupes de secours (89). Mansfelt soutint, au

(85) STRADA, O. C., 1. III, pp. 251-253; PIERRE COLINS, Histoire des choses les plus
mémorables ..., p. 607; DIEGERICK, Correspondance de ValMitin de Pardieu, pp. 47-48.
(86) PIERRE COLINS, Histoire des choses les plus mémorables ..., p. 604.
87) L'auteur du Libro de las cosasde Flœn&es (fo 211) prétend que l'on accorda
ces conditions favorables pour ne pas retenir plus longtemps devant Bouchain les troupes
royales, qui étaient peu nombreuses.
{88) STRADA, o. c., t. III, pp. 253-254.
(89) En apprenant la prise de Bouchain, le duc d':Anjou avait écrit à M' de Chamoy:
« J'ai appris la prise de Bouchain. On me presse de fournir du secours, Je n'ai pas
l'argent pour le faire. Attendons une occasion plus importante, si le traité négocié avec
les Etats des Pays-Bas se parachève, ce dont j'ai grand espoir ». (A. F. N., Carte farne-
siane, Fiandra, fascio 1644).

296
contraire, qu'une telle entreprise était au-dessus des forces dont on
disposait. Pour entourer une ville aussi étendue, 40.000 hommes· ne
suffiraient qu'à peine. Il proposa de marcher sur Nivelles, dont la
prise serait agréable aux habitants du Hainaut et à ceux de
Namur (90).
Dans son for intérieur, le prince de Parme donna raison à Mans-
feIt, mais il n'en laissa rien paraître. Il approuva l'avis de Riche-
bourg et lui ordonna de partir pour Cambrai av-ec le régiment du
comte d'Egmont, 4 compagnies de chevau-lêgers, une compagnie
d'arquebusiers à cheval et deux d'hommes d'armes. Le marquis devait
se loger à Marcoing et fortifier cette place, Il pourrait, de ce poste,
empêcher qu'il ne vînt du secours de Bouchain ou du Vermandois
pour les gens de Cambrai, quitte à commencer le blocus de cette ville
dès que l'on aurait les forces nécessaires. Farnèse commanda d'autre
part à Mansf'elt de préparer le siège de Nivelles. La Motte fut renvoyé
à son gouvernement de Gravelines. Quant à Montigny, Farnèse l'em-
mena avec lui à Valenciennes,en se faisant accompagner de quelques
enseignes d'infanterie ·et de compagnies de cavalerie. Ainsi, Riche-
bourg et Mansfelt se trouvaient séparés, et Montigny ne pouvait plus
se joindre au premier pour l'exciter contre le second (91).
L 'émulation s'étant maint-enant emparée des chefs, M.ansfelt
poussa le siège de Nivelles avec vigueur et obligea la ville à se rendre
après trois jours de siège (92). De son côté, le marquis de Riche-
bourg avait envoyé en avant G. B. del Monte et l'ingénieur militaire
Piatti pour fortifier Marcoing. Lorsque l'ouvrage qu'on devait y
élever fut achevé, Richebourg s 'y installa avec son infanterie et sa
cavalerie. Dès ce jour, il tenait Cambrai sous sa menace, envoyait
ses cavaliers battre Ta oampagneet piller le territoire de l'ennemi,
tenant ainsi ce dernier continuellement en haleine. Il était aux aguets
pour empêcher toute troupe venant de France de porter secours à
·Cambrai (93).

(90) SrrRADA. O. C., t. III, p. 256.


(91) STRADA, o. C., Lib'l'O de las casas de Flandes, fo 21ivo; Avvüjlj
t. III, pp. 255-256;
de Farnèse envoyés en Italie, 23 septembre 1580 (A. F. N., Catte tarneeïane, Fiandra,
fascio 1644). Le 6 octobre, Farnèse écrit au Roi: « Bisburg, Lalaing y Montiûl procuran
quando pueden estorballo y sea porque no conûan aun 'del todo. ô que por testa via les
r.aresce que V. M. l'os hahra menester 'Y hara mas ouenta' dellos, estos son los que â mi
parecer impeden que no se sigue 'Y tome el bu en pie que combemia, y particularmente
Ilisburg ... » {A. G. R., Copies de Simancas, vol. H, fo' U8).
(92) tsoro de las casas de FlandeS', fO 2Hvo; Liber relatianum, fO 79<°; &rRADA, a. C.,
t. 1II, p. 256.
(93) STRADA, o. c., t. III, p. 256.

297
Entretemps, Marguerite de Parme était arrivée aux Pays-Bas et
s'était installée à Namur. Le prince, son fils, lui rendit une courte
visite et l'informa de la situation où se trouvaient les affaires. Au
bout d'un mois; après avoir étudié par elle-même l'ensemble des évé-
nements, la duchesse écrivit au Roi qu'elle ne voyait qu'un seul
moyen à employer : les armes et la force. Mais elle ajoutait que vou-
loir faire la guerre avec la petite quantité d 'hommes et d '.argent dont
Farnèse disposait, c'était emprunter une allure de tortue, consumer
le pays et finir par tout perdre (94).
Un moment, Philippe II avait songé à réunir les États Généraux
dans les provinces qui lui étaient fidèles. Marguerite de Parme, Far-
nèse, le président du Grand Conseil de Malines, ,Schetz, consultés sur
ce point, non seulement le déconseillèrent, mais s 'y opposèrent (le
toutes leurs forces (95).

Cependant, le prince de Parme, qui av.ait répondu aux désirs des


provinces réconciliées en prenant Bouchain et Nivelles et en faisant
des préparatifs pour tenter de reprendre Cambrai, ne voulut pas
laisser Montigny inactif. Il l'envoya assiéger Condé, que les troupes
du prince d'Epinoy, sorties de Tournai, avaient pris en novembre.
La prés-ence de l'ennemi était une menace perpétuelle pour Valen-
ciennes, dont on savait que le prince d'Epinoy désirait se rendre
maître (96). La garnison de Condé comptait 800 fantassins, Français,
Anglais et Écossais et quatre cornettes de cavalerie. Montigny alla
l'attaquer avec 1.000 fantassins et 300 cavaliers. A l'approche de
l'adversaire, et apprenant que le prince de Parme s'apprêtait à par-
ticiper en personne à l'entreprise, les soldats de Condé s'empres-
sèrent d'abandonner la place et se retirèrent à Tournai. Dans un
combat livré à l'orée des bois de Bon Secours, Camillo del Monte leur
tua près de 400 hommes (97). L'occupation de Condé ne fut pas
seulement apprise avec joie par les bourgeois de Valenciennes, mais
par Tensemble des provinces wallonnes.
Le prince de Parme essaya de profiter de ces bonnes dispositions

{94) Marguertte au Roi, Namur, 29 aoüt 1580 (A. G.. R., Copies de Simancas, vol. 1(l,
fo 110).
(95) La même au même, 30 septembre 1580 (Ibidem, fO 1i6).
(96) Li1lro de las cosœsâe Flandes, fO 212'°.
(97) STRADA, o. c., pp. 256-257; Liber relationum, fO 82-83'; Lib1'o de las casas de
Ptandes, r- 212'°.

298
pour risquer un plaidoyer en faveur du retour des troupes êtran-
gères. Avec la clairvoyance et la ténacité qui le caractérisaient, il
n'avait pas un seul instant perdu de vue cette question primor-
diale (98). Il ava1t patienté, 's'e:ffiorçant, au moindre échec subi,
de démontrer aux chefs wallons que la faute en était à Pinsuffisanoe
et à la mauvaise qualité des troupes dont il était obligé de se servir,
de façon à créer ainai une atmosphère favorable, pour présenter
ses revendications. Mais il s'était buté à l'opposition des principaux
seigneurs et surtout à celle du marquis de Richebourg qui, depuis sa
victoire sur La Noue, se montrait de plus en plus infatué de lui-
même.
Le 6 octobre, le prince avait cru devoir en avertir le Roi:
« Dans le but de se grandir, écrivait-il, Richebourg s'oppose au
retour des troupes étrangères. S'il Il 'y avait pas lui, ainsi que
Lalaing et Montigny, les choses iraient beaucoup mieux, car beau-
coup regrettent déjà le départ des Espagnols et comprennent que,
sans eux, nous sommes perdus et qu'il sera impossible de continuer
la guerre » (99),
En effet, l'armée nationale se disloquait de plus en plus. Les
hommes d'armes et les fantassins regagnaient, les uns après les
autres, leur foyer. La cavalerie légère italienne et albanaise - que
le prince qualifiait de « clef de voûte » de ses forces - se voyait
obligée de vendre ses chevaux pour ne pas crever de misère; partout
les garnisons réclamaient leur solde (100).
Au mois de novembre, Farnèse- intercepta une lettre du duc
d'Alençon, qui lui apprit que le prince français se préparait à mar-
cher avec des forces considérables au secours de Cambrai (101).
Le prince de Parme fut très impressionné par cette nouvelle,
d'autant plus qu'il avait toujours soupçonné que le duc d'Anjou était
soutenu en secret par le Roi de France et qu'il voyait, non sans

(98) FEA, O. C., p. 137.


(99) Parnèse au Roi, Mons, 6 octobre 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
fo 118).
(100) Le même au même, Mons, 26 octobre 1580 (Ibidem, fO 122). - Relaçion dei
dine1'o que es neçessorio (Mons, 15 janvier 1581), dans A. F. N., Cw'te farnesiane, Fian-
âra, fasclo 1706. Le total se monte à 588,900 écus.
(101) Farnèse au Roi, Douai, 24 novembre 1580 {A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14';
fo 130); Liber relationum, fo 85; Libro de las cosas de Fuuutes, fO 211vo• - Sur les
projets d'intervention d'Alençon, voir la lettre du sire de Longueval publiée dans les
Bulletins de la Commission rouale d'histoire, 5· sér., t. II, pp. 469-4175. « Que me ha
puesto en no pequefio sobresalto ... ». Lettre de Farnèse, Valenciennes, 28 novembre 1580
(B. N. P., ms, espagnol 182, r- 301N).

299
grande appréhension, approcher le moment où des forces françaises
considérables viendraient augmenter le nombre des ennemis (102),
Oe qui le tracassait surtout, c'était l'idée de devoir se retirer
devant la supériorité numérique des troupes d'Alençon. Il estimait
que laisser à l'ennemi la maîtrise de la campagne, serait une flétris-
sure pour la réputation du Roi et une occasion pour les hommes et
les collectivités dont le loyalisme n'était pas très sûr, de se révolter
ou de comploter quelque chose d'extrêmement grave (103).
Aussi, il résolut de ne plus attendre pour poser catégoriquement
le problème du retour des soldats étrangers {104). Au mois de jan-
vier 1581, le Roi lui avait fait parvenir, par la voie de Milan, un
secours de 300.000 écus, mais cette somme était à peine suffisante
pour donner deux payes à l'armée (105). Il fallait des moyens de
plus grande envergure pour sortir de la situation.
Comme l'a très bien montré M. Fea (106), un article du traité
d'Arras permettait au prince de Parme de soulever la question du
retour des soldats étrangers. L'article V de ce traité disait, en effet:
« Item, accordons, statuons et ordonnons que tous etchacuns nos gens
de guerre espaignolz, italiens, albanais, bourgongons et tous aultres
estrangiers non aggréablesaux Estatz, sortent hors de nos Pays-
Bas ... sans qu'ilz puissent retourner en nozd. Pays-Bas, ou yen estre
envoyez d'aultres, n'ayant nous guerre estrangière, et gene!f'a~ement
n'en y ayant besoing et nécessité, par les Estats bien cogneue et
approuvée ..., » (107).
Le prince de Parme pouvait, en s'appuyant sur cet 'article,
essayer de montrer qu'en ce moment la nécessité des troupes étran-
gères se faisait sentir et amener les États des provinces wallonnes
à reconnaître cette situation (108). 0 'est ce qu'il fit en février 1581,

(102) Lettre de Valenciennes, 28 novembre, citée.


(103) « El mal que mas me preme es que me veo sin aparejo y sin-gente, y estos
no la quieren de estrangeros ... » (Ibidem). - Liber retaiumum, f085vo; Libro de las
casas de rtanaes, fO 212.
(104) FEA, O. c., 100. oit.
(105) Lettre de Farnèse, Mons, 17 janvier 1581 (B. N, P., ms espagnol 182, fo 302TO);
Libro de las casas de Flandes, fO 213.
(106) O. c., p. 138.
(107) A. a. R., Papiers d'État et d'Audience, reg. :192, fo 99vo.
(108) Il est fort intéressant de noter que Paolo Rinaldi, qui était en ce moment avec
Farnèse, note dans son Liber relatiollum (fO 85) : « Benchè contro a i Francesi haveria
Parma, senza macular gl' accordi con gli stati riconcillati, potuto valersi d'agni sorte
di natione. »

300
à la réunion des États Généraux des provinces réconciliées, qui se
tint à Mons (109).
Les États avaient déjà accepté antérieurement l'idée de lever
trois régiments allemands - considérés comme non-étrangers -, un
régiment d'infanterie bourguignonne et une certaine quantité d'Ita-
liens. Cependant, l'attitude hostile du marquis de Richebourg laissait
peu d'espoir de pouvoir convertir cette idée en réalité (110).
A l'assemblée de Mons, le prince de Parme tint alors un discours,
que nous connaissons par plusieurs sources (11l). Il commença par
exprimer son regret de ne pouvoir parler suffisamment la langue
française et s'excusa de faire usage de l'italien. TI établit d'abord le
bilan de ce qui s'était fait jusque-là: on avait récupéré une partie de
la Frise, vaincu La Noue, pris Bouchain et Nivelles, obligé les Fran-
çais à se retirer, récupéré Oondé, conquis Bréda, résultats qui n'ét.aient
pas à dédaigner, si l'on tenait compte du petit nombre de soldats
dont on disposait et du manque de ressources :financières. 0 'est que
l'obligation de licencier les soldats étrangers avait coûté au Roi des
sommes très considérables. Mais) si Sa Majesté n'avait pu pourvoir
à l'entretien de l'armée de Flandre, à cause de la conquête du Por-
tugal, si son attention avait été accaparée par la mort de la Reine,
son épouse, si Elle avait été malade moralement et physiquement, Elle
ne laisserait cependant pas de pourvoir à l'avenir aux besoins de la
guerre. On pouvait être certain que jamais le souverain u 'abandon-
nerait l'entreprise de Flandre,ces territoires offrant pour lui une
si grande importance.
Farnèse affirma ensuite qu'il ne faisait pas la guerre pour la
gloire, mais pour conserver la religion catholique et les États du Roi.
Que fallait-il donc pour 'arriver à la pacification générale! Au congrès
de Cologne, le souverain avait développé en ce sens tous ses efforts;
il avait fait revenir Marguerite de Parme et mis tout en œuvre pour

(109) Avant de convoquer les États, Farnèse avait fait examiner en Conseil le pour et
le contre (A. G. R., Papiers d'État et d'Audience, reg. 192, r- 298).
(110) Farnèse 'au Roi, Douai, 24 novembre 1580 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
r- 130).
(1U) Une esquisse originale en est conservée dans A. F. N., Carte tamesume, Fiandra,
fo 1686. ne plus, le texte en est, en grande partie, reproduit dans le Liber retauonum
de Paolo Rinaldi (f 86-87), qui dit que « l'ori,ginalest
OS
resté entre les mains des gens
du pays ». Cfr CIL HIRSCHAUER, Les États d'Artoiis, t, 1, p. 302, n. L, qui renvoie aux
Archives départementales du Pas-de-Calais, C. 975, fos 56-60 o. - i\1. Fea en a donné
Y

un résumé d'après l'esquisse conservée à Naples et Ch. Plot en donne l'analyse au


tome IX de la Correspondance de Granvelle, pp. XVI-XX. Nous suivons la reproduc-
tion donnée par Paolo Rlnaldi dans son Libeï: relationtlm.

301
avoir la paix. Mais nulle part on ne lui avait répondu par autre chose
que par des démonstrations guerrières. Il était clair qu'il ne pouvait
y avoir espoir de paix, puisque le prince d'Orange n'en voulait pas.
Pour combattre l'astuce du Taciturne, il fallait l'emploi de la
force, c'est-à-dire une armée nombreuse, composée de nations diverses,
bien disciplinées, et il le fallait le plus vite possible, pour faire face
aux Français et pour pouvoir aviser le Roi de la quantité de provi-
sion monétaire qui était nécessaire.
Cette armée, les provinces réconciliées ne pouvaient la fournir.
On avait convenu au début qu'il fallait 35.000 soldats wallons. Or,
on était parvenu àen réunir à peine 15.000 et de ces 15.000, 5.000
seulement étaient disponibles pour la guerre en campagne, le reste
étant immobilisé par la besogne de garnison.
« Regardez, s'écria le prince. de Parme, regardez notre infante-
rie wallonne ; elle n'a pas de piques et elle est désarmée, malgré tout
son courage, De plus, cette infanterie, servant dans son propre pays,
se livre à des désordres et inflige partout des dommages considé-
rables. Lorsqu'il s'agit de toucher la solde, on voit arriver des soldats
en quantité innombrable; lorsqu'il s'agit de se battre, on n'en
retrouve pas le quart. C'est d 'ailleura là une habitude chez les sol-
dats de toutes les nations, lorsqu'ils servent dans leur patrie. même.
Voyez Orange! Il a enrôlé des soldats parmi toutes sortes de
nations et il a même pris des Français, vos ennemis héréditaires. »
Il était cependant nécessaire d'enlever à l'adversaire Cambrai,
Tournai et Menin, si on voulait assurer la sécurité des provinces
obéissantes (112). Même si on n'avait pas besoin d'une bonne armée
pour combattre Alençon et ses Français, encore en faudrait-il pour
maintenir l'ennemi enrespect, pour s 'emparer de ces villes déjà nom-
mées, pour pénétrer dans le fin fond de la Flandre et du Brabant.
« Faites donc, suppliait Farnèse, la déclaration que j'attends de
vous! Pendant ce temps-là, j'essayerai de faire partir dans la direc-
tion de Cambrai les Allemands mutinés, qui se trouvent en ce moment
dans le Luxembourg. »
Il ajouta encore qu'il avait d'abord eu l'intention de se retirer,
après l'expiration des six mois prévus par le Traité d'Anas, et
d'aller présenter ses hommages au Roi d'Espagne, se débarrassant

(112) G"est ce que Farnèse avait écrit au Roi par lettre du 12 janvier (A. G. R., Papiers
d'Etat et d'Audience, reg. i\}2, fo 296).

302
ainsi de tous ces soucis. Mais il Il 'avait pu réaliser ce dessein, parce
que la duchesse de Parme n'avait pas voulu accepter le gouv-ernement
de ces provinces (113).
TI finit par remercier l'assemblée des bonnes dispositions qu'il y
remarquait. Il leur portait beaucoup d'affection: n'avait-il pas été,
pour ainsi dire, élevé aux Pays-Bas ~ Etant encore enfant, il y avait
été l'objet de beaucoup de courtoisie et d'honneurs, et c'était là un
souvenir qu'il ne pouvait oublier. D'ailleurs, il était le fils de la
duchesse de Parme} qui était née en Flandre, et cette circonstance
créait entre lui et ce pays un lien indestructible .
Ce très habile discours fut écouté par l'assemblée avec déférence.
Les députés des provinces en reçurent tous un exemplaire pour le
remettre à leurs mandants et engager ceux-ci à consentir au retour
des troupes étrangères (114). L'effet cherché et espéré par Farnèse
ne fut cependant pas obtenu : la plupart des nobles se montrèrent
intraitables, n'ayant point confiance et craignant tout du retour des
Espagnols (115). Ceux qui semblèrent les plus irréductibles furent
le comte de Lalaing, l'e,marquis de Richebourg, le seigneur de Vaulx,
le comte de Hennin, M. de Rassenghien (116).
Comme les provinces obéissantes ne voulurent même pas consen-
tir à laisser engager les Allemands mutinés du Luxembourg, le prince
de Parme se vit obligé de débarrasser le pays de ces pillards et
d'employer l'm'gent que le Roi venait de lui faire parvenir pour les
licencier. Ces soldats réclamaient le paiement des sommes qu'ils pré-
tendaient leur être dues depuis le gouvernement du duc d'Albe, soit
un million et demi d'écus d'or! (117) Farnèse fit dabordentreprendre
(il3) Voir le Chapitre suivant.
(114) Dans une lettre à son père, olt il parle de cette assemblée des États, Farnèse
fait observer qu'il n'a pas parlé expressément du retour dels Espagnols, « car, dit-il,
si le peuple l'admettrait, les chefs ne veulent rien entendre » Mons, 18 fém'ier 1581
(A. F. N., Carie tamesuuie, Fiandra, rascto 1(26); Lettres de Frédéric, abbé de Maroil-
les, au prince de Parme, 24 février et 26 mars 1()81 (A. F. N., Carte tœmesume, Fuuutro;
fascio 1(42).
(115) Liber retatumum, fo 87'"°: « ma come non piaceva a molti principali, conos-
cendosi colpevoli, si difi.davano ... et certi altri Iavoraron sotto mano, che non si risolve
mai niente. »
(116) Liber relationum, fo 87vo; cfr FEA, o. c., p. 140; Rossel à 'Walsingham, Bruges,
5 février 1581 (Foreign Catetuiar, E~isabeth, 1581-1582, n° !t3); Prernyn à Walsingham,
Anvers, 11 février 1581 (ibidem, nO 50); Stokes à Walsingham, Bruges, 12 février 1581
(ibidem, n- 53); Hoddesdon à Burghley, Anvers, 25 février 1581 {ibidem, n° (7). Ces
lettres des agents anglais insistent sur le fait qu'à l'assemblée le prince a demandé le
retour de-s Espagnols et que le refus des chefs wallons l'a irrité.
(i17) Liber i'elationum, fo 85vo; Mémoire de ce que le comte de Mansfelt a l'eprésenté
par plusieU1's fois à l'Altesse de Mr le Prince (A. F. N., Carte tornesume, Fiandm, tascto
1(38).

303
les officiers de ces troupes révoltées, puis il expédia vers le Luxem-
bourg le baron de Billy. Celui-ci avait ordre d'examiner sévèrement
les réclamations des soldats. Finalement, on parvint à se mettre
daccord. Les Allemands partirent, au nombre de plus de sept mille.
On dut leur payer 209.000 écus pour les faire déguerpir. Ils avaient
réclamé 705-000écus : le reste de cette somme leur serait pa.yée dans
un terme de six mois. Ils quittèrent ainsi le pays de Luxembourg,
qu'ilsavaient effroyablement ravagé, et disparurent dans la direction
de Cologne (118).

En mettant ,en relief les difficultés auxquelles le prince de Parme


se heurta dans l'organisation de l'armée nationale 'et au cours de la
lutte contre ses adversaires en Fandre et dans les environs immédiats
des provinces réconciliées, nous n'avons pas voulu compliquer notre
récit par celui des événements qui se passèrent en dautres points
de la longue ligne de bataille, c'est-à-dire en Campine et dans le Nord
des Pays-Bas.
Dans le Nord, la cause royale avait, à un certain moment, fait un
gain considérable par le retour à l'obédience de Charles de Lalaing,
comte de Renneberg.
Frère cadet d'Antoine de Lalaing, comte de Hoogstraeten, Ben-
neberg avait reçu des États le gouvernement de la Frise et de la
Drenthe, et était en possession de la ville principale de ces régions,
Groningue. Au fur et à mesure que les ,troupes de Farnèse, après le
siège de Maestricht,avaient fait des préparatifs pour marcher vers
le Nord, le comte, s'était senti de plus en plus ébranlê et il ne savait
quel parti prendre. Le duc de 'I'erranova, après en avoir communiqué
avec Farnèse pendant le congrès de Cologne, se mit en rapport avec
Georges de Lalaing,et lui fit des propositions de réconciliation. Des
conditions extrêmement avantageuses furent offertes, notamment la
confirmation du comte dans les gouvernements qu'il tenait en ce

(H8) Liber relationum, fo, 87vo-88. - Le 7 octobre, le prince avait écrit à Phllippe II :
« A la vérité, Sire, c'est une chose lamentable de veoir ce povre peuple de Luxembourg
ostre si longuement travaillé et comme oppressé de la mangerie de dix huict ou vingt
enseignes de haultz Allemans y vivant a discrétion de six à sept mois, et n'y a moyen
de les délivrer si ce n'est leur furnissant le paiement qu'ils prétendent» (A. G. R., Papiers
d'État et d'Audie7i~e, reg. 192, fO 281vO); Robles 'de Billy à Farnèse, Luxembourg, 27
juillet 1581 (A. F. N., Carte [arnesuine, Pumâra, fascia 1642); Lettres de Marguertte
de Parme à P. E. de Mansfelt et à Robles de Billy, 6 aoüt et 13 juillet 1581 (A. F. N.,
carte tœmesiane, Pumdra, fascio 1633); Philippe II aux nobles du duché de Luxem-
bourg, 27 septembre 1581 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandm, fascio 1638).

ll04
moment, la promesse d'une pension de 20.000 florins, I'êroction en
marquisat de sa terre d-eVille et, à la première, occasion, sa nomina-
tion comme chevalier de la Toison d'Or. Travaillé par Bueho Aytta,
prévôt de Saint-Bavon de Gand, et par Cornélie de Lalaing, sa sœur,
Benneberg ne résista pas ,et l'Bruit les provinces qu'il' gouvernait
sous l'obédience du Roi (119).
Cependant, il se vit ibientôt assiégé dans Groningue par des
troupes que le 'I'aciturns avait rapidement dirigées de ce côté, sous!
le commandement du comte Philippe de Hohenlohe. Aussitôt, le
prince de Parme y envoya une troupe de 3.000 fantassins et de 600
cavaliers albanais, qu'il confia au condottiere Martin Schenek. Après
un vif combat livré à Hardenberg, Schenck parvint à faire lever le
siège de Groningue. Renneberg, ayant r-ecouvré la liberté de ses
mouvements, combattit avec succès contre les forces ennemies qui
parcouraient les terres de son gouv-ernement (120). Il se rendit maître
de Delfzijl, d'Oldenzeél,et recouvra Coevoorden, mais ne réussit pas
à se rendre maître de Steenwijk (121).
En Gueldre, d'autre part, le colonel Verdugo avait réussi à rem-
porter, au mois d'août 1580, une victoire considérable sur les troupes
des États {122). Le manque d'argent 'empêcha cependant Farnèse
d'exploite.r ces avantages.
En Campine, enfin, M. de Hautepenne luttait contre les troupes
françaises de Lagarde, qui s'étaient rendues maîtres sans difficultés
de Hoogstraeten 'et de Turnhout ((23). Le prince de Parme reçut alors
d'un officier de la garnison de Brêda - qui y fut poussé peut-être
par Charles de Gavre, seigneur de Fresin, que les États retenaient
prisonnier en cette ville - des propositions pour surprendre la place.

(H9) Lettre de Georges de Lalaing, 11 octobre 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, Pian-
âra, fascia 1(42) ; MOTTLEY, La 1'évOlution des Pays-Bas au XVI' siècle, t. VI, pp. 68 svv.;
TROSÊE, Ret uerraaà van Georges de Lalaing, graaf van Rennenberg, 's Bosch, 1894;
BROl\1 et HENSEN, Bronnen. ..., nO 631. Cfr aussi Memoria sucincta de 10 suceâiâo en Frisia
mientras yo, et coronet Francisco Ve1'dugo, estava en el/a, dans GACHARD, La Bibliothèque
Nationale à Paris, t. r, pp. 228 SVV.
(120) Lioro de las cosas de Flandles, fo 208; Farnèse à son père, Mons, 9 juin 1580
(A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascia 1707); STRADA, o. C., t. III, pp. 245-249;
G. CAMPANA, Della guerra di Ftandra, II. fo' 22.'°_23'°.
(121) STRADA, o. c., t. III, pp. 249-250; G. CA,r.IPAKA, O. C., II, fo' 23,o_23vo; LUno de
las cosas de Plande s, fo 213.
(122) Relaçume de la vittoria che le gent'i di Sua MI" hanno havuto nel paese di
Gheldres am 30 d'Agosto 1580 sotto il canco del coumeuo Francesco Verdugo (B. N. P.,
ms. espagnol 182, fO 297'°).
(123) Farnèse au Roi, Mons, 13 mars 1581 (A. G, R., Papiers d'Etat et d'Audience,
reg. 192, fo 316).

305
Farnèse adressa {Jet homme à M. de Hautepenno, qui se trouvait en
ce moment avec ses soldats non loin de Bois-le-Duc, Immédiatement
Hautepenne se dirigea sur Brédaet envoya en avant un cornette de
cavalerie.commandé par le Florentin Pompeo Hardi. Grâce aux indi
cations du traître, quelques cavaliers, ayant mis pied à terre, par-
vinrent à escalader les murs du château et à il 'en emparer. Comme,
dans la ville même, les habitants s'apprêtaient à se défendre sérieuse-
ment, Hautepenne fit ouvrir les portes à sa cavalerie, qui parvint en
peu de temps à se rendre maître de la place. A la demande de Far-
nèse, Guillaume Lindanus, évêque de Ruremonde, se rendit dans
Bréda conquise, accompagné dE:quelques jésuites, et y rétablit promp-
tement le culte catholique (124).

Cependant, l'attention du prince de Parme était surtout attirée


par la menace que constituaient les préparatifs du duc d'Anjou pour
secourir Cambrai (125). Dès le mois de f.évrier, il avait confié à son
père Pinquiétude qui le tenai:llait à ce sujet: « C'est à contre-cœur,
lui écrivit-il, que je combattrai les Français, mais je suis bien lforcé
de le faire pour éviter la ruine des provinces réconciliées. Je n'ai
pas peur de l'entreprise, ni de ces nouveaux ennemis, mais je crains
d'en venir à une rupture ouverte avec la France et d'en porter les
responsabilités. Je me trouve ici sans argent, sans munitions et
avec des for-ces armées totalement insuffisantes. Je ne puis même pas
garder les territoires que nous possédons, qu-oique je fasse tout ce
qui est humainement possible.; De tous côtés' on entend que les
Français, sous le couvert du duc d'Anjou, amassent le plus de forces
possible, aussi bien infanterie que cavalerie/et qu'ils marcheront au
secours de Cambrai, tout en opérant une diversion en Bourgogne et
vers le Luxembourg. Il y a beaucoup d'indices qui semblent montrer
que tout cela se fait avec le consentement du Roi de Fran-ce et que
c'est la Reine-mère qui fomente gaillardement cette conspira-
tion. » (126)
{124) Lettre d'Alexandre Farnèse, Mons, 17 juillet 1581 {B. N. P., ms, espagnol 182,
r- 308'°); Libro de las cosae de Flandes, fOB 215,0-2.15vo; STRADA,o. c., t. III, p'p. 266-269.
(125) Lettre du duc d'Anjoua'u prince d'Orange, Camp d'Ablis, 15 juillet 1581 (KER-
VYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICKo. C., t. II, p. 279, n° CCCCVIII); Lettee du même
aux États Généraux, même date (Ibidem, p. 282).
(126) Farnèse à son père, Mons, 18 février 1581 {A.. F. N., Carte îarnesum», Fiandm,
fascÎo 1626). Sur la politique de la France. vis-à-vis des Pays-Bas, voir cf,r PHILIPPSON,
Ein' Afinisterium unter Philippe Il, pp. 241 svv. Granvelle était convaincu que Cathe-
rlne de Médicis et Remi III soutenaient le duc d'Anjou.

306
Au même moment, dans une autre lettre, le prince avouait que ce
qu'il redoutait surtout, c'était de perdre) en ces conjonctures, sa répu-
tation, « chose qu'il devait estimer le plus sur cette terre » (127Y.
C'est un fait qu'à cette époque l'attitude de la France ne pouvait
que faire naître des soupçons. Le nouvel ambassadeur espagnol à
Paris, -Tean-Baptiste de Tassis - le même qui avait occupé la charge
de conseiller de guerre auprès de Farnèse -- devait essayer de péné-
trer les desseins de Catherine de Médicis et d 'Henri III et se tenir en
communication constante avec le gouverneur des Pays-Bas.
En 1580, la conquête du Portugal avait fait de Philippe II le
maître incontesté de la péninsule hispanique et augmenté ses posses-
sionscoloniales des domaines portugais des Indes. C'est pour corn-
battre cette puissance menaçante que les Français soutenaient encore
toujours Don Antonio, le prétendant au trône portugais. On pouvait
supposer qu'ils ne laisseraient pas non plus d'affaiblir la situation de
Philippe II aux Pays-Bas (128). Lorsqu'il fut évident que le duc
d'Anjou allait intervenir, pour la seconde fois, dans les affaires des
Pays-Bas; surtout lorsque le traité de Plessis-lez-Tours en fit le sou-
yer,ain de ce pays, reconnu à ce titre par Orange et les États Géné-
raux, Tassis avait eu avec Catherine de Médicis et son.fils des conver-
sations répétées et avait essayé de percer le mystère dont ils s'enve-
loppaient. Oe fut en vain: la reine-mère se borna à affirmer que le
duc d'Anjou agissait à l'encontre de sa volonté à elle; elle tenait
beaucoup à l'amitié de l'Espagne, elle ferait tout pour empêcher son
fils de se lancer dans l'aventure de Flandre (129).
Cependant, les lieutenants d'Anjou, en attendant l'arrivée de la
grande armée qu'annonçait leur maître, avaient essayé à plusieurs
reprises de jeter du secours dans Cambrai, Le capitaine expérimenté
qu'était Guillaume de Fervacques, aVHCune troupe de 4.000 hommes,
(127) Mons, 16 février 1581 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 304ro).
(128) Catherine de Médicis avait très bien compris la ps-ychologie de Philippe II et
le craignait. Cfr BASCHET,Les princes de l'Europe au XVIe siècle, pp. 576 svv. Sur les
plans de la Reine voir GOSSART,o. c., p. 123.
(129) Sur l'attitude première d'Henri III, l'intervention de Catherine de Médicis et la
décision finale de laisser faire le duc d'Anjou sans s'opposer à ses desseins, voir KERVYN
DE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. VI, pp. 131-142. Voir aussi la lettre de
'rassis au prince de Parme, du 28 mai 1581 (MULLER et DIEGERICK,Documents eonceJ'-
nant les relations entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas, t. IV, p. 66, note 1). Cfrpour 1~
reste J. RÜBSAM,Johann Bœptista von Taxis, pp. 53-54; CH. MER.KJ, La reine II/argot et
la fin des Valois, pp. 254 svv. Le 10 juillet Pierre-Ernest de Mansrelt transmet à Mar-
guerite de Parme, de Luxembourg, la copie d'une lettre écrite par le roi dé Erance
aux colonels des reîtres allemands tenus en war'tgelt pour leur dire qu'il désapprouve
l'aventure du duc d'Anjou (A. F. N., Carte tamestane, Fiandra, fascio 1638).

307
après avoir passé la Somme) s'était arrêté au Câtelet, à l'entrée du
Hainaut. Lorsque l'occasion lui parut propice, il envoya vers Cam-
brai Jean de Montluc, seigneur de Balagny, avec quelque 1.000
hommes, pour essayer de pénétrer dans Cambrai.
Les troupes du marquis de Richebourg, qui étaient sur leurs
gardes au fort de Marcoing, culbutèrent les soldats de Balagny et les
obligèrent à se retirer, non sans avoir subi des pertes sérieuses (130).
Une autre expédition ne réussit pas mieux. Pour 'empêcher ces ten-
tatives ennemies, le prince de Parme se rendit à Naves, près de Cam-
brai et essaya, mais en vain, de déloger les Français de Bapaume,
sur la frontière. Pour obtenir des résultats sérieux, le prince de
Parme aurait dû pouvoir suivre l'ennemi en territoire français, mais
il n'osait le faire, par crainte de provoquer la guerre entre la France
et l'Espagne (131).
Désirant savoir quelle politique il devait adopter à cet
égard (132), il consulta le Roi. Il savait par l'ambassadeur Jean-
Baptiste de 'I'assis que Catherine de Médecis avait expressément
déclaré à ce dernier qu'elle ne pouvait s'opposer à ce que les troupes
françaises fussent attaquées sur le territoire des Pays-Bas, mais
qu ~ene ne pourrait souffrir en aucune manière qu'on les suivît et
qu 'on les assaillît sur territoire français.
Philippe répondit au prince de Parme qu'il ne devait point
's'abstienir de suivre l'ennemi en territoire français. Il navait qu'à
faire déclarer par Tassis que, puisque les frontières entre la France
et les Pays-Bas étaient si près de la ville de Cambrai, il ne pouvait
être question de laisser s'avancer jusque-là les troupes françaises;
que d'ailleurs si on les autorisait à s'approcher, on agirait contraire-
ment aux désirs de la reine-mèreet du Roi) qui avaient déclaré plus
d'une fois qu 'ilsempêcheraient l'incursion du duc d 'Anjou. « Barrez
leur le chemin là où vous pourrez, ajoutait le Roi, 'On ne pourra
s'en offusquer, puisque je vis en paix et amitié avec les souverains
français. Vous pourrez donc attaquer ces troupes en dehors ou au
(130) Sl'RADA,o. o., t. III, p'p. 269-270; FEA, o. 1:., pp. 131-132.
(131) Libro de las cosae de Flandes, to 214ro; Lettre de Farnèse, Naves, 28 avril 1581
(B. N. P., ms, espagnol 182, r- 306). - « The Prin Cieof Parma sent lately to ttte king
~at if the prepared French rorees approached Cambrai, he had méans to find a way
to enoounter them within the realm of France. The king ls moved by this message, and
has answered the Prince that if ne passed six paces within his ftr.-ontier,he would rnake
him reooll. » Cobham, écrivant de BlOis en Angleterre, Vendredi-Saint 1581 (Foreign
Calendar, 1581-1'58!, n° 97).
(132) FaTnèse à Don Juan de ldiaquez, Val!enciennes, 17 avril 1581 (A. F. N., Carte
tarneeume, Fiandra, rascto 1647).

308
dedans des frontières de France, comme il sera possible et le mieux.
Toutefois, si vous les attaquez, que ce soit avec toute la sécurité
possible » (133).
Tranquillisé ainsi au sujet de la ligne de conduite à suivre, le
prince de Parme partit de Valenciennes le 21 avril pour examiner
comment la situation se présentait près de Cambrai (134). Un nouvel
essai de ravitailler la ville avait été fait: les Français avaient envoyé
80 cavaliers portant des sacs remplis de sel et des provisions de
bouche et espéraient bien introduire ce secours dans la place. Le
capitaine Nicolo Basta, à la tête de sa cavalerie albanaise, les sur-
prit le 21 juillet, en tua quelques-uns et captura les aucres, à l.'ezoep-
tion d'une douzaine qui réussirent à gagner Cambrai (135).
Le maréchal de Fervacques, désespérant de pouvoir faire péné-
trer dans cette cité les secours demandés, partit de son poste d 'attente
du Oâtelet et marcha dans la direction de la Somme, Il voulut la
traverser à Bray. En apprenant que le prince de Parme s'appro-
chait avec des forces supérieures, il donna le signal de la retraite.
Ramenant 's'es soldats à la hâte et en désordre, il nes 'arrêta qu'à
Amiens (136).

A l'appel de ses lieutenants, le duc d'Anjou s'était décidé à se


porter avec son armée dans la direction de Cambrai. Le 15 août, il
passa ses forces en revue au Câtelet : elles comptaient 8.000 fan-
tassinset 3.000 cavaliers, parmi lesquels se trouvaient un nombre
considérable de gentilshommes français (137).
Oependant,en fait el'artillerie, il n'y avait que quatre petits
canons. De plus, 25 compagnies d'hommes d'armes, avec une infan-
terie nombreuse, avaient été envoyées par le Roi de France sous

(133) Le Roi à Farnèse, 3 avril 1581 (A. G. R., Copies cie Sutumcas, vol. 14, fo 176). -
« By letters of the King of Spain, inlercepted at Bayonne, ta the Prince of Parma,
il appeared that the King understood thelr majesty's intentions against hlm and had
in those Ietters directed the Prince how ta carry himsclf thereupon. » Cobham aux secré-
tau-es ci'Él'1sabeth, BloIs, 6 janvier 1581 (F01'eign Caleruiar, 1581-1582, nv 7).
(134) Farnèse au Roi, IlIons, 22 mai 1581 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, fOI 199).
(135) Lettre de Farnèse, Mons, 17 juillet. 1581 (B. N. P., ms.espagnol 182, fo 308'°);
Lettre de Hary à Broucqsaulx, Loo, 22 juin 1581 (MULLERet DIEGERlCK,o. C., t. IV, p. 92).,
LilJTO de las cosas cie Fland,es, fo 218.
(136) STRADA,o. C., t. III, p. 271; FEA, o. C., p. 132; LibTO âe las cosas de Flandes,
fD 218vo•
(137) Lib1'O de las cosas de Flandes, fo 219'°; STRADA,o. C., t. III, p. 271. Sur la corn-
positlon de l"armée d'Alençon, voir KERVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et les Gueux,
1. VI, pp. 142-144, 148-150, et MULLER et DIEGERIGK.o. C .• t. IV. pp. 101-10'1.

309
prétexte de ga-rder la frontière pendant les hostilités qui allaient
s'ouvrir (138) , mais on se demandait avec anxiété, dans le camp de
Farnèse, si, à un moment donné, ces forces nallaient pas se joindre,
à celles du duc d 'Anjou (139). Après avoir tenu conseil avec ses
lieutenants F'ervacques, Bellegarde, Laval, le vicomte de Turen:ne,
le duc résolut de faire avancer son armêe jusqu'à l'abbaye de Vau-
celles, à deux heures de marche de Cambrai (140).
A l'invasion de forces aussi considérables, le prince de Parme
ne pouvait opposer que 5.000 fantassins et 1.800 cavaliers (141). Il
attendait l'arrivée des deux compagnies d'hommes d'armes de Mans-
feIt et de Berlaymont, 2 compagnies d'arquebusiers à cheval, 4 de
chevau-lêgers et 1.000 reîtres qu'il avait fait revenir en hâte de
Frise {142). Mais Pennemi était là avant que ce' secours ne pût arri-
ver. Le prince de Parme, malgré la situation angoissante où il se
trouvait, était prêt à faire face aux événements (143). Il comptait
sur le dévouement de ses soldats wallons en cette heure de danger
grave et il avait confiance dans sa cavalerie légère italienne et alba-
naise pour frapper là où la chance lui permettrait de découvrir une
faiblesse chez l'adversaire (144).

Au moment où, à Mons, il mit le pied dans l'étrier pour se diri-


ger sur Valenciennes, afin d'observer de là les mouvements des Fran-
çais, l'ambassadeur 'Bellièvre vint le trouver de la part du Roi
Henri III. Bellièvre, nous le savons, n'était pas un inconnu pour
Farnèse: ce dernier avait eu l'occasion de l'observer au camp de
Don Juan, 'en août 1578, au moment des tentatives de médiation du
monarque français.
(138) Catherine de Médicis, inquiète pour son fils, avait ordonné « de costoyer avec
huiot cents chevaux et quatre mille hommes de pied l'armée de Monsieur» avec mission
« si ces deux armées s'affrontaient, de paroistre et de faire le holà en nostre faveur ».
La reine-mère estimatt que « la perle de Monsieur, accompagné de trois mille gentils-
hommes français, par un lieutenant du roy d'Espagne, importait trop au roy et à son
Estat» (KEIWYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots et tes Gueux, t. VI, p. 179).
(139) Libro de las cosas de Flandes, fo 219'°.
(140) STRADA,o. C., t. III, pp. 271-272.
(141) Farnèse au Roi, Bouchain, 18 août 1581 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
fo 244); Libro de las cosas de Flandes, fo 219 .
(142) Ibidem.
(143) « Haziendo, como dizen, de tripas coraçon y sacando ïuerças de floqueza » Lettre
de Farnèse, Mons, 19 août 1581. (B. N. P., ms. espagnol 182, r- 310'°). Farnèse était
bien renseigné sur la force et les mouvements de l'armée d'Anjou par les rapports de
nombreux espions entretenus en France. Voir ces rapports dans MULLER 'et DIEGElUCK,
o. C., t. IV, p. 112, note 2, et pp. 150-154, en note,
(144) Libro de las cosas de rtanaes, fo 219

310
Bellièvre était chargé de déclarer au prince de Parme, de la part
de Catherine de Médicis et de Henri TIl, qu'ils n'étaient pas d'accord
avec le duc d'Anjou (145), qu'ils napprouvaient point son aventure
de F'landre, et qu'ils 1'avaient même prié d 'y mettre fin, en concluant
un armistice avec le Roi d'Espagne ou son représentant, sous condi-
tion que Cambrai et sa citadelle restassent dans le stai« quo poli-
tique 'Où ils s'étaient trouvés depuis toujours. L'ambassadeur laissa
sous-entendre que son maître pourrait bien, en ceci, servir de, média-
teur et même amorcer les négociations pour une paix générale. C'était
le projet de 1578 qui réapparaissait,
Alexandre Farnèse, impatient de rejoindre ses troupes, promit à
Bellièvre de lui donner une réponse à bref délai. Il le fit conduire à
Valenciennes et attacha à sa personne le commis aux Finances Ohar-
reton, qui avait pour mission de l'entretenir et d'essayer de percer
les desseins de l'ambassadeur (146). En outre, de Valenciennes, le
prince envoya le secrétaire Le Vasseur à Mons pour y consulter les
membres du 'Conseil d'État, Lui-même en parla avec le comte de
Buquoy, Lalaing et le marquis de Richebourg.
Lorsqu'il eut recueilli les opinions de toutes ces personnes, il fit
venir Bellièvre à Naves et lui parla .sans ambages. Il appela son
attention sur le danger que constituait l'intervention du duc d 'Anjou.
Bellièvro ayant repris sa suggestion de maintenir à Cambrai le
statu quo, le prince Ise,déclara prêt à conclure un aamietice avec
ile duc, à condition que les F'rançais renonçassent à occuper Cambrai,
L'ambassadeur fit observer que son maître ne s'y prêterait jamais.
La conversation se termina là, laissant à Farnèse l'impression
très nette que cette mission navait ieu d'autre but que d'excuser
l'assistance que la reine-mère et Henri III avaient donnée au
duc (147).
Comme Bellièvre essayait de continuer les tractations, le prince,
montant à cheval, s'excusa de la nécessité où il se trouvait de ne plus
perdre son temps en paroles, et s'empressa de rejoindre ses sol-

(145) « The queen-mother in audience told me that the Klng' had this moming sent
Mons' de Bellièvre to the prince of Parma to assure hlm .or this Majesty's good intention
and to promise that eve-n if Monsieur should succour Cambray, he would not fail to
interfere of the status quo ante. » Lorenzo Priuli au doge de Venise, Paris, fi aoüt 1581
(Fonign Calenâar, Venice, 1581-1591, n- 42).
(1416) Voir le rapport de Charreton au prince de- Parme dans MULLER et DIEGERICK,
o. C., t. IV, p. 157, note 2.
(147) Farnèse au Roi, Camp de Bouchain, 18 août 1581 (A. G. R., Copies âe Simancas,
vol. 14. fo 238); Libe1' 1'ela.tionum, fo sa-.

3U
dats (148). Il trouva ceux-ci tellement pris de panique et il constata
qu'ils représentaient une force si peu considérable, qu'il résolut de
ne pas barrer le chemin à l'ennemi et de faire abandonner le fort de
Marcoing, que les gens du marquis de Richebourg avaient tenu pen-
dant neuf mois environ (149). Il fit mettre le feu aux baraquements
et laissa à la garde d'une tour une quarantaine de fantas-sins et une
compagnie des bandes d'ordonnance. Puis, s'étant retiré dans un
village situé à une demi-lieue du fort abandonnê, il fit rassembler
ses hommes. D'après les listes des capitaines de compagnie, il aurait
dû trouver 8.500 à 9.000 fantassins: en réalité, il ne put en compter
que 2.864. De plus, les lanciers des bandes d'ordonnance, qu'on disait
être au nombre de 2.200, n'étaient que 1.200! Ceux qui manquaient à
l'appel, avaient déserté, semblait-il, pal' peur des Français (150). En
calculant le total de ses soldats - sans oublier les 600 ehevau-légers
italiens et albanais - le prince comprit qu'il ne pouvait être question
d'assaillir les forces d'Alençon. Il décida de se replier sur Bouchain
et d'y attendre les événements (151). Il fit partir dans la direction
de cette ville les munitions, les bagages, les bêtes de somme, ainsi que
les hommes, les femmes et les jeunes garçons qui encombraient
l'armée (152).

,Se rendant compte que l'armée de Farnèse ne songeait pas à lui


disputer le passage, le duc d'Alençon envoya le vicomte de Turenne
et quelques gentilshommes dans la direction de Cambrai pour y
annoncer qu'il entrerait bientôt dans la ville. Turenne était accom-
pagné d'une cinquantaine de cavaliers. Lorsque cette troupe arriva
près de Cambrai, elle se trouva soudain devant la tour où Fa.rnèse
avait laissé une partie de ses hommes et fut accueillie par des coups
d'arquebuse. Aussitôt, la compagnie d'hommes d'armes que le prince
de Parme avait placée près de cette tour se lança en avant aux cris

(148) STRADA, O. t. III, p. 2.73. Sur la mission de Belllèvre,


C., voit' KERVYN DE
LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. VI, pp. 166-167.
(149) Libel' reuitumum, fo as=.
(150) Liber l'elationum, fo 88vo• Ces l'enseignements sont confirmés par une lettre que
Morillon adresse à Granvelle, de Mons, le 3 octobre 1581 tcorresponaance de oronoei;«,
t. VIII, p. 417).
(151) Ibidem.
(152) Ibidem.

312
de « Espagne! Espagne! tue, tue! », bouscula les cavaliers français,
et fit prisonniers Turenne et plusieurs des gentilshommes qui l'accom-
pagnaient. Cette escarmouche eut lieu dans la nuit du 16 au 17
août (l'53).
En ce moment, Farnèse avait précisément réuni son conseil pour
examiner ce qu'il convenait de faire (1!54). La plupart des con-
seillers d'État et de guerre ainsi que plusieurs seigneurs wallons
avaient émis 1'avis qu'il valait mieux abandonner Cambrai, pour ne
pas s'exposer à perdre ce que l'on possédait. L'interrogatoire des
prisonniers français et notamment de Turenne, qui approuva Farnèse
de n'avoir pas combattu, vint confirmer cette opinion. Toutefois, le
marquis de Richebourg ,et Jean-Baptiste deI Monte, se fondant sur
le petit succès qu'on venait de remporter, insistèrent pour que l'on
essayât d'empêcher l'avance du duc d'Anjou.
Le prince de Parme refusa, disant qu'il voulait faire une retraite
honorable plutôt qu'une retraite forcée. Puis, emporté par la colère,
il se tourna vers Richebourg et lui dit: « 0 marquis! maudites
soient l'incapacité, l'impéritie, et l'obstination des hommes - pour
ne pas dire la méchanceté! Si vous autres, vous m'aviez au moins
laissé amener ici les soldats allemands du Luxembourg (155) et fait
cette concession pour la présente entreprise, vos soldats n'auraient
pas lâchement abandonné leurs enseignes comme ils l'ont fait. Car,
avec eux et les Allemands et la cavalerie légère, nous aurions pu
marcher en toute sécurité contre le duc d' Aujou! » (156)
Le prince de Parme s'efforta de démontrer que l'ennemi était
trop fort pour qu'on pût l'attaquer: Montigny, le comte de Rœulx,
Robles de Billy et le sire de Vaulx appuyèrent cette manière de voir.
Finalement Jean-Baptiste del Monte se rallia. à cet avis, mais le mar-
quis de Richebourg resta obstinément attaché à l'idée de l'offen-
sive (157).

(153) Libro de las cosas de Flandes, r- 129yO; Liber relationum, fO 88'·; STRADA, o. G.,

t. III, pp. 274-276; C. OAMPANA, O. c., II, r- sr-.


(154) Cfr la lettre de l'agent anglais Somers, dans Poreurn. Calen'(lar, Elisabeth, 1581,
n° 305.
(155) Le 7 juillet 1581, J. B. de Tassis signalait au Roi que ces soldats allemands
étaient prêts à partir vers Cambrai, pleins du désir d'arrêter l'invasion des Français
(Foreign Caleiuiar, Elisabeth, 1581, n· 254).
(156) Liber relationum, fo 88vo• - « El conde de Busquoi, el de la Leing y el Rubes
con las de mas poquitas cabesas que hay non son tales ni tan soldados como sarian menes-
ter» Farnèse au Roi, Bouchain, 1.8aoüt 1581 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14, f 244). O

(157) Libel' relationum, r- 89vo.

313
Il s'exalta au point de jeter' ses armes pal' terre, mais Farnèse
le reprit, en lui disant qu'il valait mieux perdre Cambrai que tout
le pays (158).
C'est ainsi que, le 18 août, au matin, Farnèse l'envoya vers Bou-
chain toute son infanterie. De là, OIl pourrait couvrir les provinces
réconciliées, appuyé sur les villes de Douai et de Valenciennes. Le
prince garda avec lui toute la cavalerie et resta en vue de Cambrai
et de l'armée française jusqu'à deux heures de l'après-midi. Cepen-
dant, les troupes d 'Alençon 'essayèrent de franchir la Sensée à Arleux.
où un combat s 'engagea. Si l'ennemi passait, Bouchain était menacé
d'être tourné (159). Constatant qu'il ne pouvait pas avoir confiance
en ses soldats, le prince de Parme consulta Billy et Mondragon, qui
estimèrent qu'une retraite définitive s'imposait. Celle-ci fut exécutée,
Farnèse la couvrant Iui-même à la tête de la cavalerie d'arrière-
garde. Grâce à sa présence et au sang-froid qu'il conserva dans ces
instants tragiques, il ne perdit ni un homme ni un cheval, exception
faite des 13 tués et des 40 blessés qui tombèrent dans le combat
d'Arleux. Finalement, toute l'armée .atteignit sans encombre la ville
de Valenciennes (160).
Ce n'est pas sans frémissement de colère que le prince avait
assisté de loin à l'entrée d'Anjou dans la ville de Cambrai {161). La
prince français y était entré le 18 août, reçu par le baron d'Inchy et
la noblesse de la ville. Après avoir juré d'observer les lois, coutumes
et privilèges, Anjou fit enlever partout les armes de l'Empire et y
mettre les siennes propres. Le sire d'Inchy, ,à la trahison duquel le
prince devait la possession de la cité, fut remplacé comme gouver-
neur par le français Balagny, la garnison wallonne fut expulsée (162).
Après l'échec de Cambrai, les chefs wallons durent se rendre à

(158) PIERRE COLINS, o. C., p. 608; Lettre de Farnèse, l'dons, 19 août 1581 (B. N. P.,
ms, espagnol 182, r- 310r.); C. CAMPANA,O. G., II, r- 28.
(159) Lettre du duo d'Anjou et du gouverneur de Cambrai au priuce d'Orange
(GACHARD,Correspoïuumce de Guillaume de Tacitume, t. V, p. 299).
(160) Lettre de Farnèse, Camp de Valenciennes, 25 août 1581 (B. N. P., ms. espagnol
182, fo 3UVO); LiQro ae las cosae ae nanaes, fO 219v., 220; Libe1' 7'elationum, r- 89vo)'.
Voir les lettres du duc d'Anjou aux Etals Généraux ët au prince d'Orange dans !lIULLER
et DIEGERICK,o. c., t. IV, pp. 163~166, alnsi que la circulaire de Farnèse aux provinces
wallonnes (ibiàem, t. IV, p. 192).
(161) « Con tutto ciô non era Alessandro satisratto 'de se medesimo » (Libe1' veta-
tionum, fo 90).
(162) STRADA, o. C., t. III, pop. 276-277. - Sur l'épisode du remplacement du sire
d'Inchy par Balagny, voir KERVYNDE LE'M'ENHOVE,Les Huçuenots et les Gueux, t. VI,
pp. f82-i88. . .

314
l'évidence: il n'était pas possible de faire face à l'armée d'Anjou
et aux troupes des États sans l'appoint des soldats étrangers (163).
Après en avoir discuté :entreeux, Montigny et Roubaix vinrent
trouver le prince de Parme. et offrirent d'en saisir les États des pro-
vinces wallonnes. Ceux-ci, mis au courant de la situation, consen-
tirent àI'enrôlement d'un certain nombre de soldats allemands, c'est-
à-dire d'un régiment d'infanterie et de 1.000 reîtres.
Immédiatement, Farnèse envoya un officier recruteur à Cologne,
qui parvint ,à réunir assez rapidement les hommes que l'on désirait.
C'étaient, pour la plupart, des vétérans, qui appartenaient aux
troupes que. le prince de Parme avait licenciées peu de temps aupa-
ravant dans le Luxembourg (164).
Pour petite qu'elle fût, c'était là une première victoire remportée
par le prince. de Parme sur 1'obstination des chefs wallons: il pou-
vait espérer .maintenant que l'avenir lui donnerait l'occasion d'exploi-
ter ce premier avantage et d'amener peu à peu les provinces réconci-
liées à consentir au retour des soldats italiens et espagnols.

Le duc d'Alençon, vu la retraite. des troupes du prince de


Parme (165), résolut de profiter de la faiblesse de son adversaire pour
étendre son occupation autour de Cambrai. Après avoir pris l'Ecluse
et Arleux, il alla mettre le siège devant Cateau-Cambrésis (166). Le
prince de P.arme estima qu'il ne pouvait s'abstenir de porter secours
aux assiégés, tant pour encourager ceux-ci à ne pas se rendre, que
pour ne pas indisposer, par une inaction qu'elles ne comprendraient.
pas, les provinces réconciliées. Il comptait d'ailleurs sur l'arrivée
rapide des Allemands qu'il venait de faire enrôler et qui s'appro-
chaient déjà à marches forcées. Farnèse se. porta rapidement au
Quesnoy et envoya en avant 600 fantassins et ·500 cavaliers que Mon-
tigny devait essayer de faire pénétrer dans la ville assiégée. Mais

(163) Le 24 août, Farnèse écrit au Roi, de Valenci-ennes: « Estos Valones que guarden
las plazas, de mas de no tener mucho valor, son ya acostumhrados a hacer vellaquerias
y desordenes, y como se veen solos, son muy desvergondados. » (A. G. R., Copies de
8imancas, vol. 14, fO 252).
(164) Ces détails précieux sont fournis par le Liber j'elationum, fo 90'°).
(165) Voir sa lettre au prince d'Orange au sujet de son entrée à Cambrai, dans
Poreum Ctüendar, Elisabeth, 1581, n° 309.
(166)- STRADA, o. C., t. III, p. 277. - Sur les opérations d'Anjou après la prise de
Cambrai, voir le mémoire de La Châtre et les avis de Douai au prince de Parme, dans
MULLER et DIEGE RICK, o. C., t. IV, pp. 200-208.

315
Montigny se rendit compte que les assiégeants étaient sur leurs gardes
et qu'il ne serait pas possible dintroduire du secours dans la place.
Aussi, après deux jours de bombardement, Cateau-Cambrésis se
rendit {167).
Ace moment, le duc d'Alençon reçut du prince d'Orange des
lettres pressantes, l'engageant ,à franchir les frontières des Pays-
Bas, à pénétrer en Flandre, ,et à se joindre aux troupes de Lagarde
et de Stuart, qui devaient le rencontrer entre Le Quesnoy et
Lille (168). De Valenciennes, le prince de Parme se porta à la ren-
contre de ces troupes, comptant quelque 5.000 hommes, dans l'inten-
tion d'empêcher leur jonction avec les Français. A la nouvelle de.
l'arrivée de, Farnèse, les forces orangistes firent demi-tour et une
partie d'entre elles alla s 'établirentre Gand et Tournai. Une autre
partie pénétra e11 Brabant, surprit Eindhoven, et essaya, mais en
vain, de prendre Bois-le-Duc (169).
Une-partie-de ces troupes des États, cene qui était cantonnée
entre Gand et Tournai, se joignant tà des forces sorties de cette der-
nière ville, réussit cependant à surprendre Saint-Ghislain, le 8 sep-
tembre- {170). La prise de cette ville, située à deux lieues de Mons,
inquiéta fortement [es provinces réconciliées (171). Le prince de Parme
se rendit compte de toute l'importance de-ce coup de main : L'ennemi
maître de Saint-Ghislain, c'était une menace continuelle pour Mons,
Valenciennes, Bouchain et Le Quesnoy. Il ne fanait pas lui laisser
le temps de se fortifier solidement (172).
Revenant à marches forcées vers Valenciennes, Farnèse décida
de reprendre immédiatement ,saint-Ghislain. Il y était d'ailleurs
poussé par les réclamations des Montois, qui se mirent en colère
contre le comte de Lalaing ets'emblaient maintenant bien près

(167) Le prince d'Epinoy au prince d'Orange, Tournai, 3 septembre 1581, dans Foreign
Catenâar, Elisabeth, 1581, 329; Liaeï: l'elationum, fo 90.0; Libl'o de las cosas de Flandes,
nO

fo 220 -221 rD; Lettre de Farnèse, camp de Valenciennes, i 7 septembre 1581 (B. N. P"
VO

ms, espagnol 182, fo 312 VO).

(168) STRADA, o. C., t. III, p. 278. - Le 19 août, Anjou avait écrit au prince d'Orange
« Je désire maintenant avant tout que les troupes des États se joignent aux miennes et
me fournissent de l'argent et des provisions ». (Foreign Caleïuiar, Elisabeth, 1581, no 310).
(169) Libe1' l'elationum, r- so-.
(170) Liber 1'elationum, fo 91; Libl'o de las cosas de Flandes, fo 221; Lettre de Far-
nèse, Camp de Valenciennes, 17 septembre 1ft81 (loc. cît.).
(171) Stokes à Walsingham, Bruges, 10 septembre i581, dans Foreign Calendar, Bli-
sabeth, 1581, nv 335.
(172) Liber 1'elationum, fo 91; Libro de las cosas ae Flandes, fo 2,21; Farnèse au
Roi, camp de Saint-Ghislain, 11 septembre 1ft81 (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
r- 266).
316
d'admettre le retour des troupes espagnoles. Le prince de Parme mar-
qua le point, mais crut prudent de ne pas trop mettre en relief
l'avantage de cette situation. La prudence était encore de mise, car
le duc dAerschot répandait le bruit selon lequel Farnèse aurait aban-
donné Cambrai pour pouvoir démontrer aux Wallons que la présence
de soldats étranger.s était absolument nécessaire (173).
'Le prince de. Parme, qui avait rapidement couvert avec ses
troupes les quinze lieues qui le séparaient de Saint-Ghislain, avait
envoyé en avant le marquis de Richebourg avec la cavalerie. Lui-
même suivait avec l'infanterie wallonne et avec le nouveau régiment
d'Allemands, qui venait de le rejoindre (174). Il fit venir de Mons et
de Valenciennes onze pièces d'artillerie de siège, qu'il fit dresser
en batterie dev.ant la porte de la ville} appelée « porte de Mons » (175).
En peu de temps, les défenses extérieures de cette porte furent
démolies et,en s'aidant de mines et de sapes, on put rapidement
atteindre le pied des remparts. Voyant que l'assaut n'allait p.as tar-
der, les habitants obligèrent la garnison à capituler et se rendirent à
merci, Farnèse accorda aux vaincus de bonnes conditions : la garni-
son abandonnerait aes armes, ses chevaux et ses bagages, et sortirait
revêtue de son plus mauvais équipement. Mais tous eurent la vie
sauve, quoiqu'ils eussent commis en ville des sacrilèges et des dépré-
dations dans les églises. On leur donna une escorte qui les conduisit
dans la direction de Tournai (176).
Pendant que le prince de Parme campait encore devant la ville
reconquise, il arriva un trompette envoyé par le Roi de France, qui
demanda un sauf-conduit pour M. de Montmorin, grand écuyer de la
Reine. Celui-ci attendait à Péronne que le prince de Parme voulût
bien le recevoir. Ce·dernier se déclara immédiatement prêt à écouter
l'ambassadeur. Montmorin exposa que son maître [ 'avait envoyé
pour quii l'excusât ainsi que la Reine-mère auprès du prince de
Parme de ce que le duc d'Anjou avait pénétré aux Pays-Bas plus loin
qu'ils ne l'auraient souhaité. Ils exprimaient l'espoir que Farnèse
voudrait bien faire part au Roi de ces sentiments et amener le sou-

(i 73) STRADA,o. C., t. III, pp. 279-280.


(174) « Les Malcontents ont reçu de Luxembourg 1500 fantassins, tous piquiers,
et en ordre parfait. }) Stokes à Walslngharn, Bruges.. 1er octobre 1581, dans Fm'eign
Calenâar, Elisab'eth, 1581, n- 349.
(175) Liber'l'elationum, fo 91; Lib'l'o de tas cosos de Flanc/es, fo 221. - Le nouveau
régiment allemand comprenait 4000 hommes .
. (176) Liber relationum, fo, 90ro-91vo; Lib'l'o de las cosas de Fland.es, fo 221vo; STRADA,
o. C" t. III, p. 280.

317
verain espagnol à bien accueillir Bellièvre, qui était envoyé à Madrid
avec des excuses identiques (177).
Le prince de Parme se demanda quel ponvaitbien être le but de
cette démarche. Après réflexion, il écrivit à Philippe II qu'il était
convaincu que Montmorin n'était pas venu pour présenter ces excuses
absolument insolites, mais pour se rendre compte si l'entrée d 'Anjou
à Cambrai et dans les places environnantes n'était pas considérée aux
Pays-Bas comme un casus belli pour le Roi d'Espagne. Farnèse
ajouta que l'envoi de Bellièvre à Madrid devait avoir pour but de
découvrir ce que l'onen pensait à la cour et il mit Philippe II en
garde, l 'ambassadeur français étant un diplomate très habile et dan-
gereux (178).

:x: * ~y':

La menace que la grande armée du duc d'Anjou avait fait peser


jusque-là sur les provinces réconciliées s'évanouit bientôt avec la
même rapidité avec laquelle la première armée du prince français
s'était débandée en 1579.
Ces troupes, dont faisait partie une grande fraction de la noblesse
française, se disloquèrent assez vite. Les gentilshommes français,
auxquels on avait fait accroire qu'il ne s'agissait que de débloquer
et de secourir Cambrai, regagnèrent presque tous leur patrie dès que
ce but fut atteint. Ils n'avaient aucune envie de prendre part aux
opérations ultérieures que le duc d'Anjou méditait. D'autre part,
l'argent venant à faire défaut pour payer les troupes, surtout l'infan-
terie, celles-ci se débandèrent et abandonnèrent leurs chefs (179). Le
prince français, voyant fondre ainsi ses régiments, laissa où Cambrai
une garnison suffisante pour la défendre, sous les ordres du sire de
Ba1igny, puis il 'se retira avec les 1.500 cavaliers et les 5.000 fantas-
sins qui lui restaient et s'installa à Le Câtelet, sur la frontière, pour
y attendre les événements (180).

(177) Farnèse au Roi, Camp de Saint-Ghislain (A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
r- 272) ; 'STRADA, o. c., t. III, pp. 282-283.
(178) Ibidem. - Sur la mission de Montmorin, voir KERVYN DE LETI'ENHOVE, Les
Huguenots et les Gueue, t. VI, p. 169.
(179) Sur la dislocation des troupes, voir les documents suggestifs publiés par
MULLER et DIEGERICK, o. C., t. IV, pp. 224-225.
(180) STRADA, o. c., t. III, p. 278; CH. MERlU, La reine Margot et la fin des Valois,
pp. 258-259; Morillon au cardinal de Granvelle, Mons, 3 octobre (Correspondance de
Granvelle, t. VIII, p. 417); KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. VI, pp. 191-193.

3i8
Débarrassé momentanément de ce souci, le prince de Parme
résolut alors de se tourner contre l'armée des États (181), à la tête
de laquelle le prince d'Orange et l'archiduc Mathias avaient placé le
prince d'Epinoy (182), gouverneur de Tournai. Il avait plusieurs
raisons pour en vouloir à celui-ci. Pierre de Melun, prince d'Epinoy,
était le seul des grands seigneurs wallons qui fût resté obstinément
fidèle à la cause de « la généralité ». Malgré tous les efforts mis
en œuvre, on n'avait pu l'induire à se réconcilier en 1579. Il était
resté farouchement isolé dans son gouvernement de Tournai, repous-
sant avec dédain les avances faites par Farnèse et opposant aux avis
de son frère, Robert de Melun - le marquis de Richebourg - un
silence réprobateur, Il était resté en correspondance 'suivie avec le
prince d'Orange et les États Généraux (183) et il avait profité de la
faiblesse de ses adversaires pour frapper des' coups là où on les
attendait le moins. Il venait encore de le montrer à propos de l'affaire
de Saint-Ghislain.
Farnèse avait essayé par tous les moyens de l'amener à se récon-
cilier avec le Roi. Il avait eu recours au marquis de Richebourg, il
avait employé toute sa séduction auprès de la mère du prince
d'Epinoy. En décembre 1580, il avait obtenu de cette dernière qu'elle
préparât une entrevue, où un émissaire du prince de Parme ferait un
dernier effort. Le 22 décembre de cette même année, la mère d'Epinoy
avait invité son fils à venir la voir à La Ohartreuse, près de Tour-
nai, où elle venait de s'installer avec sa suite. Pierre de Melun s'y
rendit et se trouva en présence du conseiller Richardot, très habile
homme, que Farnèse avait choisi pour cette négociation délicate. Pour
lui prouver qu'il ne restait pas dans le parti des États par pure
obstination, le prince d'Epinoy consentit à écouter Bichardot. Celui-ci
essaya de l'entraîner dans le parti du Roi et lui fit savoir que, de la
part du prince de Parme, on pouvait lui offrir une commanderie de
Saint-Jacques de Calatrava ou dAlcantara, 10.000 écus de rente
annuelle, le gouvernement du comté de Flandre et le commandement
des « hommes d'armes» de tous les Pays-Bas, à vie, 'en temps de paix

(181) Sur l'armée des Etats en 1580-1581, voir KERVYNDE LETTENHOVE,Les Huguenots
et les Gueux, t. VI, pp. 144-147, et surtout MULLER et DIEGERICK,Documents concernant
les relations entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas, t. IV, pp. 41-45.
(182) Voir la lettre d'Epinoy dans MULLER et DIEGERICK,o. C., t. IV, p. 213.
(183) KERVYN DE VOLKAERSBEKEet DIEGERICK.Documents historiques inédits, t. II,
passim. Presque à chaque page de ce volume, il y a des lettres du prince d'Epinoy aux
Etats de Flandre, aux Etats Généraux, eto. Voir aussi Fore.ign Calendal', Elisabeth, 1579-
1580, no 147.

319
et en temps de guerre. Epinoy devait, pour s'assurer ces brillants
avantages, remettre entre les mains de Farnèse Tournai, Ypres,
Menin, Audenarde et Dunkerque. L'offre faite à Pierre de Melun, et
qui rappelle celle qui provoqua la trahison de Benneberg, ne fit
aucune impression sur le premier. Ce n'est pas sans quelque fierté
que le prince d'Epinoy révéla tout aux Quatre Membres de Flandre, en
leur annonçant quilavait fait comprendre à Richardot que « plus que
jamais, il désirait vivre et mourir daocord avec \~la généralité» (184).
Farnèse conçut un vif ressentiment de cet échec et ne désirait
rien tant que de prendre sa revanche du coup de main de Saint-
Ghislain (185).
Cette occasion allait lui être offerte et, en même temps, il aurait
le plaisir de déjouer les desseins du duc d'Anjou. Celui-ci, après la
débandade d'une grande partie de son armée, s'était retiré à Saint-
Valéry. Il y reçut la visite de quelques députés des États envoyés
par le prince d'Orange pour le supplier de retourner aux Pays-Bas.
On lui demandait de suivre le rivag-e de la mer et de rejoindre
l'armée des États, commandée par le prince. d'Epinoy, qui avait reçu
l'ordre de se diriger vers Dunkerque, Bourbourg et Gravelines (186).
Sur les prières instantes de Marnix de Saint-Aldegonde, qui fai-
sait partie de la délégation des États, Anjou réunit autour d-e lui
5.000 hommes et 800 chevaux, auxquels vinrent se joindre 15 enseignes
du prince Dauphin. Ces forces avancèrent jusque Boulogne, mais là,
elles apprirent que le prince de Parme, arrivé de Valenciennes, avait
'bloqué tous les passages entre Saint-Omer et Gravelines et entre
Gravelines et la mer. L'avant-garde des troupes d'Anjou avait été
repoussée par La Motte (187).
Aussitôt le duc, abandonnant l'entreprise, s'embarqua à Bou-
logneet partit en Angleterre faire sa cour à la reine Élisabeth.
Alors Farnèse, quittant Gravelines, se dirigea sur Dunkerque,
où il espérait rencontrer les troupes du prince d'Epinoy (188),

(184) Tournai, 30 décembre 1580 (KERVYNDE VOLKAERSBEKE et DIEGERICJ{,o. C., 1. II,


p. 210 et Foreign Calenâa», Elisabeth, 1579-1580, n° 530); Libel' relationum, fo 92.
(185) « Par istogar 10 sdegno che haveva seco per più conti. l'uno per la presa di
S. Ghi1en, I'altro per il negotio che haveva ratto seco pel' accordarlo ... »(Liber relaiumum,
fo 92ro). - Marguerlte dé Parme avait aussi écrit à Epinoy, mais sans succès (A. F. N.,
Carte îornesume, Fiandra, fascio 1631).
(186) Voir les documents publiés par MULLERet DIEGERlCK,o. C., t. IV, pp. 23,2-249.
(187) KERVYNDE LETrENHOVE, Les -Huguenots et les Gueux, t. VI, P'P. 194-1~.
(188) Libel' retauonum, fo 92; Libre de las cosas de Fuuuies, fo 222; Marguerite de
Parme au Cardinal de Granvelle, Namur, 15 octobre 1581 (Correspondance de Granvelle,
LVIII, p. 426).

320
Celui-ci se retira sous la protection de cette ville et s 'y adossa, avec
32 enseignes d'infanterie, 14 cornettes de cavalerie et quelques canons,
Farnèse le rejoignit le 19 septembre et essaya de l'induire à livrer
bataille, Mais Epinoy s'était solidement retranché derrière des fossés
et des digues et se garda bien d'abandonner cette position avanta-
geuse (189).
Farnèse, constatant qu'il perdait son temps, se retira. Son armée
montrait d'ailleurs des signes d'indiscipline inquiétants. Chaque jour
parvenaient au prince des doléances au sujet des rapines et des vio-
lences de ses soldats. Les troupes allemandes nouvellement arrivées
avaient immédiatement adopté la même attitude ,et il n'était pas
possible de tolérer plus longtemps cette situation (190).
Farnèse décida d 'y mettre fin. Ayant fait assembler son armée,
il apostropha violemment ces troupes. Il leur reprocha de se conduire
comme des voleurs de grand chemin et des assassins, non comme des
soldats. Il ordonna à ses officiers de faire observer la plus stricte
discipline. Il finit par déclarer qu'il était prêt à bien traiter ses
hommes et à souffrir avec eux, de jour et de nuit, toutes les fatigues
et les dangers de la campagne. Il leur promit aussi, dès qu'ils se
seraient amendés, de leur faire distribuer les récompenses qui leur
seraient dues.
Ce mélange de fermeté et de bienveillance eut l'effet désiré.
Fascinés par leur chef, les soldats furent, dès ce moment, fidèles au
devoir et à la discipline (191).
Les voyant bien disposés, le prince de Parme songea à entre-
prendre le siège de Tournai,
(189) Liber relatumum, fo 92vo; Libro de las cosas de Flandes, ro 222'°; Morillon
à Granvelle, Mons, 3 octobre 1581 (Co1'respondance de Granvelle, t. VIII, p. 419); Stokes
il. Walsingham, 1·' octobre 1581; « Le prince de Parme s'est porté vers Saint-Omer et a
amené toutes ses forces dans cette région. Il les a établies à 2 milles à peine du camp
des États. Les troupes, de ceux-ci, à l'approche de l'ennemi, se sont retirées sous Dun-
kerque, où elles se trouvent non sans crainte. » (Foreign Calenâar, EHsabe,th, 15S1, n- 349) ;
Stokes à Walslngham, Bruges, 8 octobre 1581 ; « Le princed'Elpinoy est toujours avec
le camp de Flandre sous les murs de Dunkerque, se contentant d'y rester sans rien faire ».
(Foreign Caletuiar, Elisabeth, 1581, n- 359).
(190) Liber relationum, fD' 92 -93'". - « La feste couste à nostre Roy bien dadvan-
taige, sans avoir ralct aulcun exploiot, et tout par faulte de gens et le larcin des
capttalnes, qui n'ont ny honneur, ny conscience, desroibans les paies dont encoires ilz se
pourvantent.. Nous nos chargeons de beaucop d'Allemans, que sont chiers varletz et
difficiles à conduire, et il y a entre eulx beaucop de mutins et de telz qui ont servi
l'Orangier [le prince d'Orange) ... Il Y at grand malcontement que nostre camp vad
ainsi trottant, foulant et mangeant le pays » (Morillon à Granvelle, Mons, 3 octobre 1581,
loc, Git.). Voir aussi les plaintes des Etats de Lille, Douai et Orchies à Farnèse, en date
du 19 mars 1582, dans Correspondance de Granvelle, t. IX, pp. 651-652.
(191) Liber relationum, r- 93'".
321
CHAPITRE \XI.

LE DIFFÉREND ENTRE FARNÈSg ET SA MÈRE


AU SUJET DU GOUVERNEMENT DES PAYS-BAS

Pendant que le prince de Parme s'était efforcé d'exécuter le


traité d'Arras et qu'il essayait en même temps de faire face aux
menaces de l'armée des États et à l'invasion des troupes du duc
d 'Anjou, il avait eu à subir des ennuis considérables, provoqués par
l'arrivée de sa mère Marguerite de Parme aux Pays-Bas. Entre elle
et lui, il s'éleva un conflit aigu et douloureux à propos du gouverne-
ment de ce pays, qu'il nous faut exposer maintenant dans les
détails (1).
Dans le premier volume de cette histoire, nous avons eu I'oeca-
sion de rappeler que Philippe II, constatant que les efforts de pacifi-
cation de Don Juan n'avaient donné aucun résultat et que ce gouver-
neur pensait plus à la guerre qu'à la paix, avait décidé de lui
substituer Marguerite de Parme. Nous savons aussi que l'arrivée
subite de l'archiduc Mathias aux Pays-Bas avait obligé le Roi à
renoncer provisoirement à l'envoi de sa sœur en Flandre.
Il reprit son projet en 1579, lorsque, par une stipulation du traité
de réconciliation avec les provinces wallonnes, il fut obligé de pro-
mettre à celles-ci de donner aux Pays-Bas un gouverneur de sang

(i) Cette question a déjà été examinée par Gachard dans Marguerite d'Autriche,
duchesse de Parme, régente et gouvernante des Pays-Bas, pp. XXXVII-LXIV; par F'EA
dans son Alessandro rcmese, pp. 113-125, et par le même auteur dans La cotuesa tra
Alessandro Farnese e sua madre per il governo delle Flandre nel. carteggio dei Cardi-
nale Grœnvella (Archivio 5t07"ÎCO per le provincie parmensi, nouv. sér. t. XXII bis, 1922,
pp. 237-277). Nous la reprenons ici, en nous appuyant sur des pièces recueillies dans
divers dépôts d'archives et que n'ont pas examinées nos prédécesseurs.

322
PL. XIII

l\IAHGUEHITE DE PAR:\IE
(Portrait par Antonio Moro au « Kaiser Friedrich l\Iuseum », à Berlin.)
royal. Comme il ne pouvait être question de laisser en fonction
l'archiduc Mathias, Philippe II revint à l'idée d'attribuer le gouver-
nement des Pays-Bas à Marguerite de Parme.
Granvelle, qui résidait maintenant à la cour de Madrid, avait
abondé dans le même s'ens. Tout en reconnaissant les talents
d'Alexandre Farnèse, il redoutait que celui-ci, poussé par sa jeu-
nesseet par la soif de gloire, ne continuât la politique de Don Juan
et n'accordât à la pacification une attention trop distraite. Le cardi-
nal avait nettement désapprouvé le siège de Maestrioht, comme étant
une entreprise trop dangereuse, et il avait dû constater que, malgré
tout, le prince avait persévéré dans cette entreprise et l'avait menée
à bonne fin .(2).
Lorsque, par les stipulations du traité d'Arras, il parut néces-
saire de donner aux Wallons réconciliés un autre gouverneur, le Roi
et le cardinal avaientété immédiatement d 'accord pour songer à Mar-
guerite de Parme. Mais tous deux se rendirent compte aussi que la
politique de conciliation que Marguerite avait à suivre supposait en
même temps la présence et l'utilisation de forces armées capables
d'inspirer le respect et la crainte de l'adversaire. De là naquit l'idée
de laisser en Flandre le prince de Parme, pour s'occuper uniquement
des affaires militaires (3). C'est ce dualisme dans le gouvernement,
dont Alexandre Farnèse ne voulut d'aucune. manière entendre parler,
qui provoqua le conflit entre la mère et le fils et déclencha, en même
,temps, un conflit 'entre Alexandre et le Roi.
Marguerite accepta, nous le savons, la proposition de son frère,
comme elle l'avait déjà acceptée en 1577. Les circonstances n'étaient
cependant pas des plus favorables et la santé de la duchesse laissait
beaucoup à désirer. Qu'est-ce qui la poussa à reprendre une nouvelle
fois la route de Flandre, pour aller s 'y exposer à tous les dangers
d'un poste où elle devait escompter plus d'ennuis que de satisfactions ~
La question de la restitution de la citadelle de Plaisance : il ne
peut y avoir de doute à ce sujet.
Déjà en 1577, lorsque le Roi fit une première fois appel à SDn
dévouement, elle avait laissé entendre à Pambassadeur espagnol Don
Juan de Zufiiga que, dans le fond de son cœur, elle espérait voir
Philippe II récompenser son acceptation du gouvernement par la res-
titution de la citadelle. EUe mourrait désespérée, avait-elle affirmé, si,

(2) FEA, La contesa ..., loc. clt., p, 2/12.


(3) P. F'EA, La contesa ..., p. 242. Gfr .STRADA, o. c., t. III, p. 227.

323
pendant sa vie, cet acte si longtemps désiré et sollicité par la maison
Farnèse ne s'accomplissait pas (4). Lorsqu'elle fit connaître à son
frère qu'elle était prête à se rendre en Flandre, elle le supplia de
songer à la restitution du château : « Outre que ce sera, écrivit-elle,
une œuvre chrétienneet digne de sa grandeur, Votre Majesté mani-
festera par là au monde qu'elle me tient pour sa vraie servante,
comme je le suis » (5).
Lorsque, en janvier 1578, le Roi lui fit connaître que l'arrivée de
l'archiduc Mathias avait complètement changé l'aspect de la situation
et que la duchesse était priée de surseoir à son départ, il ne lui dit
rien de la question de Plaisance. Mais il y revint au mois d'août de
cette même année : « En ce qui concerne le château de Plaisance,
soyez assurée que, si je ne change rien, quant à présent, à ce qui
existe, ce n'est point faute de bonne volonté, car je ne puis en avoir
d'autre, vu les gages de dévouement que votre famille m'a donnés et
les obligations qui 'en résultent pour moi; c'est que cela convient
absolument, pour beaucoup de raisons de grand poids. » (6)
Quelles étaient ces raisons ~ Granvelle ne pouvait donner à ce
sujet aucune explication sérieuse {7). Ce n'était guère encourageant,
Cependant, lorsque le Roi fit appel au dévouement de la duchesse en
octobre 1579, celle-ci, après quelques hésitations, accepta une nou-
velle fois d'aller gouverner la Flandre.
Elle le fit dans l'espoir de voir le Roi la récompenser par la resti-
tution de la citadelle de Plaisance. Vers la fin de l'année 1579, le
prince de Parme lui-même s'était adressé à Philippe II pour lui
parler de la question (8), Il avait pris Maestricht, il avait obtenu la
réconciliation des provinces wallonnes : il avait de bonnes raisons à
faire valoir pour exiger quelque reconnaissance de la part du Roi.
D ne reçut cependant aucune réponse du souverain, chose que Gran-
velle' avait fait prévoir en estimant que la demande êtaât inoppor-
tune (9),

(4) GACHARD, Marguerite d'Autriche ..., pp. XXXI-XXXII.


(5) Ibidem, p. XXXIII; P. FEA, La oertensa per la restituzione del casteuo di Piacenza,
lac. clt., p. 151.
(6) GACHARD, Ma1'guerlte d'Autriche, pp. XXX-XXXVI; P, FEA, La oertenza ..., lac.
ctt., p. 152.
(7) P. FEA, La vertenza:.. p. 153.
(8) Il ne semble pas l'avoir fait à la demande de sa mère ou de ses parents, mais
de sa propre initiative. Cfr P. FEA, La vertenza..., pp. 155-156.
(9) P. FEA, La vertenza..., lac. clt., pp. 156-157.

324
Mais nous savons quelle ténacité caractérisait les Farnèse lors-
qu'ils 'agissait de leurs intérêts dynastiques. Marguerite de Parme
dut se dire que, une fois aux Pays-Bas aux côtés de son fils, à eux
deux ifs trouveraient suffisamment d'occasions de rendre service au
Roi et de s'en prévaloir afin d'obtenir, malgré tout, la restitution de
la forteresse.
Aussi, lorsqu'elle eut reçu du Roi les éclairoissements concernant
sa mission qu'elle avait réclamés à Madrid par son envoyé Pietro
Aldobrandini, elle n'hésita plus à 'se mettre en route (10).
En partant pour les Pays-Bas, Marguerite reçut du Roi, en
date, du 8 mars 1580, les instructions nécessaires. Philippe II lui com-
mandait d'aller se fixer à Namur et de se mettre tout de suite en
communication avec le prince, 'Son fils. Quant aux personnes dont elle
devait se servir, elle en demanderait l'indication à Alexandre, qui les
connaissait, et qui pourrait lui fournir à ce sujet des renseignements
sûrs. La duchesse avait à informer immédiatement le souverain de la
façon dont se conduisaient les seigneurs restés fidèles au parti du
Roi, c'est-à~dirG M. de Vaulx, dAssonville, le seigneur de Rossignol,
d 'autres encore, Dans les questions religieuses, la duchesse devait
maintenir inviolablement la religion catholique romaine et établir
toute choses « comme elles étaient au temps de Charles-Quint » .
Alexandre Farnèse lui remettrait le texte de l'Édit perpétuel de Don
Ju.an et du traité d'Arras. Le prince fournirait aussi à sa mère tous
les renseignements nécessaires au sujet de ce qui avait été négocié
avec le prince d'Orange et spécialement le texte des conditions qui
avaient été offertes à celui-ci pour l'induire à quitter les Pays-Bas.
Dans les affaires qui réclamaient une solution immédiate, la duchesse
devait s'inspirer des avis du prince de Parme et des Conseils colla-
téraux.
Vis-à-vis des seigneurs réconciliés) Marguerite devait adopter la
même attitude que vis-à-vis de ceux qui avaient toujours été fidèles:
elle devait se conduire avec prudence, de façon à n'offusquer per-
sonne. Le cas échéant, si elle entrait en contact avec l'archiduc
Mathias, elle devait le traiter comme,un archiduc d'Autriche, mais lui
(10) GACHARD, Marguetite a'Autrictie, pp. XXXIX-XL. - A signaler qu'aux Arehives
farnésiennes de Naples existent les patentes royales nommant Marguerite avec les
memes pouvoirs qu'en 155g (Diplomi farnesiani, Perçamene, nOS 169-170). Ils sont 'à l'état
d'original et n'ont donc pas été expédiés. C'est que le Roi, changeant d'avis, s'était
décidé à lui laisser partager le pouvoir avec son fils Alexandre. Les mêmes archives con-
tiennent les exemplaires originaux de la notification aux divers Conseils. Ils n'ont pas été
expédiés pour le même motif, (Diplomi farnesiani, pergamene, nOS27 à 41).

325
faire comprendre que c'était son intérêt d'abandonner les rebelles
et de se soumettre à Philippe II. La comtesse d'Egmont étant morte,
il fallait montrer envers ses fils la plus grande bienveillance et l'oubli
complet du passé.
,Si, par hasard, la guerre avait repris contre les rebelles à l'arri-
vée de Marguerite aux Pays-Has,elle irait résider à Huy et y
attendre les instructions du Roi (11).

Oomment le prince de Parme accueillit-il la nouvelle de l'arrivée


de sa mère ~ Nous savons que, avant que les négociations pour la mise
.au point du traité avec les Wallons ne fussent terminées à Mons, il
avait sollicité son congé. O'êtait le souci de sa réputation qui l'avait
poussé à faire cette demande : la situation lui paraissait telle qu'un
retour des calamités qui avaient brisé Don Juan était à craindre et il
ne voulait pas subir le sort de son oncle (12).
Philippe II, nous l'avons vu, refusa de faire droit à sa demande
et l'obligea à l'ester jusqu'à Pexpiration des six mois prévus par le
traité avec les Wallons.
A la fin du mois de janvier 1580, le prince apprit par le cardinal
de Granvelle que sa mère était sur le point de partir d'Italie (13). Au
début, le Roi n'avait pas laissé entendre que Marguerite et son fils
devaient se partager le pouvoir (14). Aussi, le prince ne manifesta,
d'abord, aucune mauvaise humeur. Il croyait que Marguerite venait
uniquement aux Pays-Bas pour lui succéder. Les seuls sentiments qui
le guidèrent lorsqu'il apprit la venue prochaine de sa mère) ce furent
des sentiments de commisération. Il regretta que la duchesse se fût
embarquée dans cette aventure : elle ne savait pas combien dange-
reuse était l'entreprise et quelles peines elle devrait s'imposer, à
l'âge qu'elle avait maintenant atteint, dans une condition de santé
si précaire, et la situation des Pays-Bas étant ce qu'eUe était (15).
Dès le moment où Marguerite s'était mise en route, elle avait
envoyé un courrier à son fils pour se mettre en rapport avec lui et,
(11) A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, tascio 1644 (Aranjuez, 8 mars 1(80).
(12) Voir le chapitre VIn du présent livre. Cfr aussi P. FEA, La contesa.... loc. oit.,
pp. 242-243.
(13') P. FEA, La contesa, loc. cit., p. 244.
(14) Voir à ce sujet P. FRA, La contesa..., 10c, cit., p. 246.
(15) Lettre de Farnèse, Maestrlcht, 23 décembre 1579 (B. N. P., ms. espagnol 182,
fo 293ro); Lettre à Giovanni Sarnanlego, 7 février 1580 (P. FRA, La contesa..., 10c. clt.,
p. 244) ; Lettre de Farnèse, Namur, 15 avril 1580 (B. N. P., ms. espagnol 182, fo 294ro).

326
de son côté, Alexandre lui expédia régulièrement des nouvelles pen-
dant toute la durée du voyage, par des courriers exprès ou des mili-
taires espagnols qui se rendaient en Italie (16). La mère et le fils
avaient d'ailleurs une raison spéciale, semble-t-il, de maintenir le
contact,car la duchesse amenait avec elle aux Pays-Bas la petite fille
du prince de Parme, Marguerite Farnèse.
Arrivée à Salins, en Bourgogne, la duchesse apprit que la situa-
tion aux Pays-Bas était loin d'être bonne (17). Or, n'oublions pas
que ses instructions lui prescrivaient, en ce cas, de ne pas entrer en
FLandre, mais de se fixer provisoirement à Huy. Aussi, elle posa
aussitôt la question à son fils: devait-elle s''arrêter en Bourgogne et y
attendre de meilleures conditions, ou continuer son voyage? Elle
avait appris qu'Alexandre se trouvait sans argent et ellecomprit tout
de suite, par l'expérience, du passé, que cette pauvreté devait créer
une situation intenable. Aussi, 'elle commença à douter si elle pourrait
exécuter les ordres de Philippe II et prendre en mains le gouverne-
ment. Elle demanda à son fils de lui donner àce sujet un avis formel,
auquel elle se ralliait d'avance (18).
Alexandre Farnèse venait de faire son entrée à Mons comme
gouverneur général des provinces réconciliées et y 'avait rencontré,
de La part des chefs wallons, cette absence de bonne volonté dont
nous avons parlé plus haut. Il pouvait difficilement prévoir quel
s'el'ait l'accueil que ces nobles feraient à Marguerite de Parme; le
Roi ne les avait pas avertis de cette venue,et, s 'ils s'étaient
montrés contents à la nouvelle que le prince leur en donna, ils
n'avaient cependant « fait aucun pas de plus » (19). Le prince se
résolut cependant à conseiller à sa mère de ne pas s'arrêter à Huy,
où elle aurait besoin d'être bien gardée contre les bandes d'« Oran-
gistes » qui parcouraient la région. Luxembourg était plus sûr et
c'est cette ville que Farnèse suggéra comme première étape aux
Pays-Bas (20). Il ne cacha pas les dangers qu'il prévoyait et qu'il
voyait surgir autour de lui, surtout à cause des difficultés qu'il ren-
contrait pour mettre sur pied une armée capable de se défendre
sérieusement, mais Marguerite ne se laissa pas trop impressionner
(1G) Il suffit de voir avec quelle régularité se succèdent les lettres, et aussi avec
quelle fréquence, dans le fascio 1667 des Carte farnesiane aux Archives de l'État à Naples.
(17) Marguerite à son fils, Salins, 23 avril 1580 (A. F. N., Carte farnesiane. Fiandra,
fascio 1667).
(18) Salins, 26 avril 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1667).
(19) P. FEA, La contesa , 10c. clt., p. 246.
(20) P. FEA. La contesa , p. 246.

327
par ces vues pessimistes. Elle lui répondit que, si des désordres
graves devaient se produire, il valait mieux « qu'ils tombassent sur
sa tête à elle que sur celle de son fils » (21).
Jusque-là, aucun mécontentement ne peut se découvrir dans la
correspondance d'Alexandre et, à la fin d'avril 1580, la question du
partage du pouvoir n'avait pas encore été débattue entre la mère et
le fils. Elle ne Heposait d'ailleurs pas encore; le Roi et le cardinal
de Granvelle croyaient que Marguerite et Alexandre allaient s'en-
tendre sur la façon dont ils comprenaient la question du gouverne-
ment (22).
Cependant, au début de mai, le prince avertit nettement sa mère
qu'il désirait être déchargé du gouvernement avant l'expiration des
six mois prévus par le traité d'Arras et il la pria d'intervenir en
ce sens auprès de Philippe II. Il est évident que cette décision subite
lui était venue à la pensée qu'il devrait probablement partager le
pouvoir avec la duchesse.
La création de l'armée nationale progressait si lentement qu'il
pouvait, dès maintenant, entrevoir la nécessité de rester plus long-
temps que les six mois prévus par l'accord avec les Wallons. Dans
ce cas, Marguerite serait en Flandre en même temps que lui.
Or, s'il était prêt à abandonner le pouvoir) il était absolument
décidé à ne le partager avec personne. S'il devait rester, il devait
être seul maître. Lorsque le siège de Maestrieht et les négociations
avec les Wallons duraient encore, Ottavio Farnèse lui avait fait con-
naître le bruit d'après lequel le Roi avait Pintontion d'envoyer aux
Pays-Bas comme gouverneur l'archiduc Ferdinand d'Autriehe : le
prince de Parme devait rester près de celui-ci avec le titre de lieute-
nant général. Farnèse avait immédiatement répondu à son père qu'il
naccepterait jamais une telle situation, par respect pour sa dignité
et cene de sa maison. «J·e travaille, avait-il dit, pour croître,et non
pour diminuer! » (23)
Qu'un différend commençait ,à naître vers CE moment, la lettre de
Marguerite de Parme du 13 mai 1580 le prouve à l'évidence: « Je

(21) Marguerite à son fils, 'Salins, 8 mai 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, FianÙJta,
rasolo 1667).
(22) Gela ressort très olairement de la lettre que le oardlnal écrivit à Marguerite en
date du 8 août (Correspondance de Granvelle, t. VIII, p. 121). Gfr P. FEA, La contesa...•
pp. 246-247.
(23) Alexandre à son père, Maestrlcht, 23 juin 1579 (A. F. N., Carte tornesiane,
Fuuuira, fasclo 1640).

328
me rangerai à tous vos avis, écrivit-elle, de Salins, mais je ne veux
pas intervenir auprès de Sa Majesté pour qu'il vous décharge du
gouvernement. Gela ne convient pas, je le sais, ni pour le service du
Roi ni pour vous. On voit clairement que Sa Majesté veut que vous
restiez en Flandre pendant les six mois prévus, et peut-être plus
longtemps, Je veux bien croire que vous désirez partir, mais il faut
le faire en temps opportun et conformément au désir de Sa Majesté.
On n'a pas à faire le moindre cas du fait que je viens ou que je
m'établis aux Pays-Bas en vertu d'une patente royale, puisque je ne
dois pas montrer celle-ci ni en faire usage aussi longtemps que Sa
Majesté ne me l'aura pas commandé expressément et que vous
n'aurez quitté ce poste de gouverneur, deux choses qui, pour le
moment, ne sont pas près de se réaliser. Puisque nous devons nous
voir et nous entretenir, remettons toute délibération jusqu'à ce
moment et ne prenons une décision qu'après cette entrevue » (24).
Arrivée à Besançon, le 26 mai, Marguerite revint sur la question.
Elle venait d'apprendre, par son fils, la victoire d'Ingelmunster et
la capture' de La Noue. Elle en conclut que c'était maintenant, pour
Alexandre, moins que jamais le moment de partir. La porte n'était-
elle pas ouverte pour des progrès et des victoires ultérieurs ~ La
duchesse, comprenant que l'amélioration de la situation était condi-
tionnée avant tout par des faits d'ordre militaire, se prit à douter de
l 'opportunité de sa mission. « Je me prends à penser, écrivit-elle à
son fils, étant donné l'état des affaires, qu'il est peut-être utile de
faireèomprendre à Sa Majesté qu'il serait contraire à son intérêt
d'entrer en ce moment en Flandre. Si, dès le début, je n'obtiens pas
les résultats désirés, on se moquerait de moi. Dites-moi franchement
votre avis, avant que je fasse cette démarche auprès du maître. » (25)
Alexandre Farnèse, malgré la discrétion de sa mère, resta con-
vaincu qu'il faudrait en arriver nécessairement à un partage des
pouvoirs. TIne pouvait s 'habituer à cette idée : il s'en découvrit à son
père, Ottavio, oS'il pouvait commander à une armée forte et disciplinée,
il ne lui répugnerait peut-être pas de s'occuper des seules affaires
militaires. « Puisque je fais profession de soldat, disait-il, et que je
désire travailler en étant plutôt occupé dans la conduite de la guerre
que dans celle du gouvernement, je me la'isserais assez facilement
persuader. Car, vraiment, je n'ambitionne pas et je ne recherche pas

(24) A. F. N., Garte [arnesume, Fiandra, fascia i667.


(25) A. F. N., Carte tamesiane, Fiandra, fascia 1.667.

329
les affaires de gouvernement; elles sont plutôt contraires à ma tour-
nure d'esprit » (26). Toutefois, les conditions que Farnèse posait
étaient loin de se réaliseren ce moment où le prince parvenait à peine
à grouper quelques troupes wallonnes peu sûres et indisciplinées.
Néanmoins, il se crut obligé de conseiller à sa mère de pour-
suivre son voyage vers Luxembourg (27). Conformément à cet avis,
Marguerite, toujours arrêtée à Besançon, se 'remit en route au début
de juin et pria son fils d'envoyer à sa rencontre une escorte de cava-
lerie, pour lui éviter en chemin le danger de surprises désagréables.
Le prince fit droit à ce désir et envoyaau devant de sa mère, aux
confins de la Lorraine, une compagnie de cavalerie, sous les ordres
du comte de Lalaing (28).
Le 22 juin, la duchesse arriva à Luxembourg, accompagnée de la
jeune Marguerite Farnèse (29).
'Cette dernière circonstance était de nature à engager Farnèse à
rendre immédiatement visite à sa mère, d'autant plus que l'enfant
venait de relever de maladie, une roséole qui s'était déclarée pendant
le passage en Lorraine. A l'étonnement de beaucoup, le prince n'alla
pas à Luxembourg. Il se contenta de faire savoir à sa mère qu'ils se
rencontreraient à Namur. Marguerite en fut déçue: « J'aurais été si
contente, dît-elle, de connaître déjà ici votre avis catégorique sur la
situation, mais j'attendrai jusqu'à notre entrevue de Namur. Vous
m'avez fait connaître le pour et le contre au sujet de la question de
poursuivre mon voyage. Je dois vous dire que le comte de Lalaing et
le comte de Mansfeltestiment que je ne dois pas bouger d'ici sans
être en possession d'une bonne somme d'argent pour le gouvernement
'et que, à Namur, je ne serai pas en sécurité; je le suis beaucoup plus
ici, à Luxembourg.
Je me rends compte que pour le moment, il est plus que nêees-
saire d'employer les armes, qui doivent rester entre vos mains. Réflé-
chissez-y, puisque vos six mois de séjour ne se terminent qu'en
novembre et qu'il est clair que Sa Majesté désire vous voir conti-
nuer votre mission. » (30)

(26) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 115.


(27) Marguerite à son fils, 3 juin 1580 (A. F. N., Carte tarnesume, Fiandra, rascto 1667).
(28) Marguerite à son fils, Epinal, 17 juin 1580 (A. F. N.. Carte farnesiane, Fiandra,
rasclo 1667). -
(29) Marguerite à son fUs, Luxemoourg, 25 juin 1580 (A. F. N., Carte farnesiane,
Fiandra, rasoto 1667).
(30) Luxembourg, 3 juillet 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascio 1667).

330
Oette fois, la question du partage du pouvoir, Alexandre s'occu-
pant des affaires militaires, Marguerite prenant en main le gouver-
nement civil, était nettement posée. Aussi, le prince de Parme n'atten-
dit-il plus pour parler franchement au Roi. Il lui demanda son congé.
Et non sans une amère ironie, il ajouta qu'il espérait que les
grandes capacités de la duchesse de Parme viendraient réparer ses
erreurs (31).
Il ne prit cependant pas ce ton pour écrire à sa mère. Le 6 juillet,
en termes respectueux et affectueux, il lui fit connaître qu'il avait
renouvelé l'offre de démission auprès du Roi et qu'il était prêt à
céder immédiatement la place. « D'abord, disait-il, je désire mon
congé,et, ensuite, il me paraît tout à fait opportun Hue, là où se
trouve Votre Altesse, elle ait le pouvoir absolu et que tous, et moi
principalement, nous ayons à lui obéir. » Il suppliait sa mère de
comprendre les raisons qui le poussaient à s'en aller. Combien
n'était-il pas exposé au risque de perdre sa réputation, achetée au
prix de tant d'efforts~ Comment, après avoir exercé le commande-
ment absolu, et après avoir été à la tête d'une armée composée de
soldats de plusieurs nations et particulièrement de soldats espagnols,
resterait-il pour commander à une petite troupe indisciplinée et
qui inspirait si peu de confiance?
Il terminait sa lettre en exprimant l'espoir que, lors de leur
entrevue à Namur, ils pourraient s'entendre et que la duchesse serait
contente. Il ne déciderait rien qui fût contraire à l'opinion de sa
mère, « d'après laquelle il devait toujours se régler» (32).
Le 26 juillet, Marguerite arriva à Namur. EUe put immédiate-
ment se rendre compte des difficultés de la situation. Quelques com-
pagnies de vétérans allemands, n'ayant pas reçu leur solde, avaient
manifesté insolemment sur la Grand'Place de la ville.
Le prince de Parme apaisa les mutins, après leur avoir reproché
avec aigreur l'irrévérence criminelle qu'ils venaient de commettre
à l'endroit de la fille de Charles-Quint et de la sœur du Roi Phi-
lippe (33). Ces incidents convainquirent la duchesse - s'il en était
encore besoin - qu'il fallait aux Pays-Bas quelqu'un qui pût en
imposer à l'armée.
Elle était donc décidée à ne pas exercer seule le gouvernement

(3i) P. FEA, Alessandro ramese, p. 1i6; GACHARD, Mal'guel'itc d'Autriche ..., p. XL.
(32) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 117.
(;J3) STRADA, o. C., t. III, pp. 228-229.

33i
et à réclamer l'aide dAlexandra pour la conduite des affaires mili-
taires, au moins pendant le temps que le prince résiderait encore aux
Pays-Bas et, si possible, plus longtemps.
C'était, en réalité, le cardinal de Granvelle qui avait imaginé dès
le début ce partage de pouvoirs et il avait insisté sur ce point dans
toutes les lettres qu'il avait envoyées à la duchesse pendant le
voyage (34).
Aussi, au cours de I'entrevue que Marguerite eut avec son fils
à Namur, elle proposa etexigea cette solution. Alexandre refusa et
déclara qu'il était fermement décidé à s'en aller le 31 octobre, jour
où ses pouvoirs venaient à expiration (35).
On était, dès lors, dans une impasse.
Aussitôt que Marguerite de Parme, qui aimait beaucoup son fils
et ne pouvait 'rien lui refuser, eut connaissance de la volonté du prince"
elle prit la décision d'envoyer son familier Pietro Aldobrandino une
nouvelle fois à Madrid pour exposer au Roi qu'elle renonçait à
prendre en mains le gouvernement des Pays-Bas. Puisqu'il lui était
apparu maintenant clairement, disait-elle, que les seuls moyens à
mettre en œuvre en ce moment, c'étaient les armes et la force, elle
trouvait qu'elle ne pouvait rendre aucun service. Elle était décidée
à ne pas quitter Namur, en attendant la réponse quAldobrandino
rapporterait de Madrid (36).
Dès que la nouvelle du différend fut connue (37), le marquis de.
Richebourg estima qu'il fallait induire le prince de Parme à rester
en qualité de gouverneur général. Etant donuê l'inimitié qui se mani-
festait entre Pierre-Ernest de Mansfelt et le marquis, ce dernier affir-
mait que le seul remède à cette situation, c'était la nomination défini-

(34) Voir, par exemple. sa lettre du 8 août 1580: « Nous actëndons avec grand désir
nouvelles de son arrivée à Montz, et qu'elle ayt mis la main aux affaires, [olnotement
avec Monseigneur le Prince s'On ûlz, que je désire singulièrement qu'elle retienne le
plus longuement qu'elle pourra avec soy, s'accomoaans ·en ce du gouvernement, comme
entre eulx verront bien convenir. » (Correspondance de Grasuieue, t. VTII, p. 12-1).
(35) P. FEA, Aiessasias» Earnese, p. 117; Lettre d'Alexandre à son père, Mons, 9 juil-
let 1580, chiffrée (A. F. N., Carte tornesiane, Fiandra, fascia 1661).
(36) Marguerite au Roi, Namur, 29 aoüt 1580 (A, G. R., Copies de Simancas, vol. 14,
fo 110); La même à son fils, Namur, 27 aoüt 1580 (A. F. N., Carte farnesiane, Puuuira,
ïascio 1667). .-
(37) Kervyn 'de Lettenhove a supposé, avec beaucoup de perspicactté, dans Les
Huguenots et les Gueux, t, VI, p. 76, que c'est au moment même où on apprend le différend
qui existe entre Farnèse et sa mère que fut remis au ministre anglais Burleigh le mémotré
très curieux, où l'on examine les raisons qui doivent pousser le prince de Parme à se,
déclarer lui-même seigneur des Pays-Bas. Ce mémoire a été publié par GILLIODTS-VAN
SEVERENdans Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre ..., t. XI, pp. 4'40-442.

332
tive de Farnèse avec pleins pouvoirs, parce qu'ainsi le prince
pourrait obliger tout le monde à lui obéir. L'exemple de l'opposition
entre Granvelleet les seigneurs, qui avait provoqué la ruine des
Pays-Bas, n'était-il pas suffisant 1 (38).
Entretemps, Alexandre Farnèse avait écrit en Espagne pour
expliquer la situation. Le 10 août, auprès d 'Alonso de Laloo, le 13,
auprès de Don Juan de Idiaquez il avait insisté sur tous les inconvé-
nients qui en résulteraient pour le service du Roi : le souverain
devait comprendre que, pour une fois, le prince n'entendait pas se
soumettre à ses ordres souverains (39), C'est surtout à Granvelle que
Farnèse développa avec une gr aride franchise les raisons qui le pous-
saient à solliciter son congé. Il s 'êtonnait que le Roi n,'eût pas encore
fait droit à cette demande, alors que les importants services rendus
et le dévouement absolu dont il avait toujours fait preuve étaient
cependant de nature à lui mériter cette grâce. Diviser le pouvoir avec
sa mère) il ne le pouvait et ne le voulait
Comment voulait-on l'obliger à se diminuer, en servant aux
Pays-Bas avec des troupes si peu nombreuses et en lesquelles on
pouvait avoir sl peu de confiance, sans être entouré de ministres et
de personnes de vraie expérience S'il ne pourrait témoigner jamais
î

assez de respect et de soumission à Marguerite de Parme, en sa


qualité de mère et de duchesse de Parme, il n'en était plus de même
du moment qu'il devait accepter une charge officielle à ses côtés. En
effet,sa réputation était en jeu. ,si jusqu'ici,. il avait réussi par un
concours exceptionnel de circonstances, à garder cette réputation
intacte, Dieu ne pouvait cependant pas continuer à f.aire des miracles
en sa faveur. Les États des provinces réconciliées avaient d'ailleurs
le remède à portée de la main: ils n'.avaient qu'à demander l'envoi
de soldats espagnols, puisque par eux-mêmes ils n'étaient pas assez
forts pour se défendre; ils n'avaient qu'à se comporter avec le
loyalisme qu'on pouvait attendre de sujets fidèles, et montrer con-
fiance au Roi, au lieu de lui dicter la loi, S'ils n'agissaient pas ainsi,
ni Farnèse ni les autres ne pourraient servir à rien, et on perdrait
les Pays-Bas au lieu de les conserver! (40).
Cependant, le cardinal de Granvelle continuait à ne pas prendre
au tragique le. différend entre Marguerite et son fils et s'efforçait de

(38) François de Halewyn à Marguerite de Parme, Douai, 14 août 1580 (A. F. N.,
Carte farnesiane, Fiandra, rasolo 1646).
(39) A. F. N., Carte farnestane, Fiandra, fascia 1647.
(40) P. FEA, La contesa..., pp, 247-249.

333
montrer que les armes seules ne suffiraient point, qu'il faudrait aussi
l'emploi de la diplomatie. Il en concluait que la mère et le fils devaient
s'entendre et rester tous deux (41).
Entretemps, Philippe II gardait le silence et ne semblait pas se
rendre compte combien il aggravait par là l'incident qui venait
d'éclater. Il avait d'ailleurs agi de même en une autre circonstance,
toute semblable. Lorsquaen 1572, il avait envoyé aux Pays-Bas le duc
de Medina-Celi, un conflit d'attributions avait immédiatement surgi
entre celui-ci et le duc d 'Albe. En présence de ces dissensions) que fit
le Roi ~ Rien. Il n'intervint pas; il laissa libre champ aux deux partis
qui se disputaient le pouvoir. Finalement, lorsque beaucoup de mal
avait été commis, il rappela Medina-Cali, en 1573 (42).
Le souverain, à cette époque de sa vie) était d'ailleurs devenu
de plus en plus lent, au point qu'un ministre espagnol avait répété
le mot du vice-roi de Naples, Don Pedro de Tolède, qui avait dit ;un
jour: « Je souhaite que la rnort vienne d'Espagne, parce qu'ainsi
je suis sûr de vivre longtemps» (43).
Alexandre Farnèse, au moment où s'approchait Pheure de son
départ, avait envoyé à son père un de ses familiers, Benedetto Gian-
demaria, pour traiter de l'ensemble des intérêts de la maison famé-
sienne. Il avait fait savoir à Ottavio que, pour accélérer le mariage
de Ranuccio Farnèse, son fils aîné, dont on discutait alors et dans
lequel le Roi avait son mot à dire, il comptait abandonner le gouver-
nement des Pays-Bas et se rendre à Madrid pour y plaider en per-
sonne la cause de son fils (44).
Le duc Ottavio s'empressa de répondre que) comme il n'était pas
suffisamment informé de l'ensemble de la situation, il ne se risquait
pas à donner des conseils, mais quil ne convenait cependant pas que
le prince, se rendît en Espagne sans avoir obtenu son congé du Roi.
« Quant à la détermination que vous m'annoncez, poursuivait le duc,
de ne pas vouloir rester en Flandre, ni avec armée ni sans armée,
ni avec des pouvoirs de gouverneur ni autrement, même si Madame
(de Parme) s'en allait, au cas où il ne vous serait pas donné satisfac-
tion dans la question du mariage de Ranuccio, cela ne me paraît pas

(41) P. FEA, O. C., pp. 249-250.


(42) Voir Correspondance de Granvelle, t. IV, p. xxv.
(43) GACHARD,Relations des ambassadeurs vénitiens, p. 204.
(44) Instruçione a voi lfIr Benedetto Giandemal'ia d'j queüo che tiaverete da tare per
mio ordine et servicio in questo viaggio di Parma, che vi ho incaricato [24 septembre i580] ,
dans A. F. P., Carteggio [œmesuin», Paesi Bassi, carteggio i579~i580.

334
une façon de procéder vis-à-vis du maître et je vous exhorte donc à
bien y réfléchir et à examiner sérieusement ce point, avant de mettre
votre projet à exécution» (45).
Malgré le fait que les députés des États d'Artois, qui étaient
allés il. Namur présenter leurs hommages à Marguerite de Parme et
lui exprimer leur joie de sa venue, avaient insisté pour que le prince
restât aux Pays-Bas, où sa présence était nécessaire (46), Alexandre
ne changea point d'avis. Une dizaine de jours avant la fin de son
mandat, le 20 octobre, il pria sa mère de prendre en mains le gouver-
nement, et l'assura qu'il resterait lui-même aux Pays-Bas jusqu'à
ce que le Roi lui eût manifesté sa volonté. Il devait cependant être
bien entendu que, s'il était prêt à servir dans cet intervalle auprès
de sa mère, ce serait sans exercer aucun commandement (47).
La duchesse refusa d'obtempérer à cette invitation de son fils:
« Je le ferais, lui écrivit-elle, si e 'était possible, mais rappelez-v-ous
les discussions que nous avons eues ensemble et la conclusion à
laquelle nous étions arrivés: il n'est pas bon pour le service du Roi
. que je prenne le pouvoir, J'ai envoyé Aldobrandino à Sa Majesté
pour communiquer cette décision et je ne bougerai pas de Namur
avant d'avoir la réponse de Sa Majesté. Celle-ci peut tarder. Je me
rends compte que le gouvernement de ce pays ne convient pas en ce
moment à une femme et je vous demande, même si vous êtes prêt à
partir, de rester encore quelque temps, pour me faire plaisir » (48).
De son côté, le Conseil d'État intervint et pria la duchesse
d'insister auprès de son fils pour qu'il consentît à prolonger son
séjour après le 31 octobre. C'était le duc d'AerS'chot qui s'était chargé
de cette démarche (49).
Alexandre s'inclina : il consentit à attendre la réponse qu' Aldo-
brandino rapporterait de Madrid. Cette attitude d'attente ne com-

(45) A, F. P., Ca1'teggio tœmesumo, Paesi Bassi. carteggio 1579-1580.


(4&) A. F. N., Carte farnesiane, Fiandm, îascio 1&&7 (Lettre de Marguerite, N:amUl"
1& octobre 1580). - Le 2& octobre 1580, François de Halewyn écrivit de Lille à Margue-
rite de Parme qu'elle devait insister pour que son fils restât jusqu'à la réponse du Roi,
étant donné que sa présence était absolument nécessaire (A. F. N., Carte fal'nesiane,
Fumâra, fascio 1646).
(47) GA CHARD, Mal'guerite d'Autriche, p. XLI.
(48) A. F. N., Carte tornesume, Fiandra, fascio 1&67.
(49) Manguerite à son fils, Namur, 26 et 29 octobre 1580 (A. F. N., Carte tarnesume,
Fian.dra, fascia 1667); GACHARD, Marguerite d'Autl'iche, p. XLI. C'était Farnèse lui-même
qui avait porté le différend devant les seigneurs du Conseil d'Eilat. « Je reral 08 qu'ils
décideront, écrivit-il à sa mère, tout en leur demandant qu'ils fassent attention, en amis,
à mon honneur et à ma réputation» (Mons, 23 octobre 1580, «tans A, F, N. Carte torne-
siane, Fiandra, rascto 1624).

335
promettait d'ailleurs en rien le résultat final de ses démarches: il
était fermement décidé à s'en aller définitivement si le Roi ne lui
laissait pas tout à la fois le gouvernement civil et l'autorité militaire
suprêmes (50).
Si le souci de sa dignité et de sa réputation ne l'avait pas -
comme toujours - guidé en ces conjonctures, il existait un ensemble
de faits qui l'auraient déterminé à prendre, dans l'intérêt même du
service du Roi, cette attitude intransigeante. Déjà les grands incon-
vénients de la présence de deux chefs commençaient à se manifester.
L'arrivée de Marguerite de Parme avait suffi pour faire ressortir
davantage la division qui existait dans la noblesse. La jalousie qui
dressait Pierre-Ernest de Mansfelt contre le marquis de Richebourg
avait éM Tendue plus apparente par le fait que le premier, très
apprécié par la duchesse de Parme à cause de ses services passés,
cherchait à se servir d'elle pour atteindre ses fins, tandis que Riche-
bourg cherchait l'appui d'Alexandre Farnèse. Dès son arrivée à
Luxembourg, Marguerite avait vu accourir Mansfelt et avait dû
écouter les plaintes très vives du vieux comte là l'endroit du prince
de Parme, qui, disait Pierre-Ernest, ne tenait guère compte de ses
services et le laissait dans une situation inférieure. La duchesse avait
transmis à son fils toutes ces doléances. Alexandre, qui - nous le
savons - naimait pas Mansfelt et qui n'était jamais parvenu à s'en
faire aimer, répliqua en dressant un véritable acte d'accusation contre
le vieux comte.
Peu de temps après, un conseil de guerre avait condamné à mort
Arnold Strépigny, fe commandant de Diest, qui, par sa négligence,
avait laissé tomber cette place aux mains de l'ennemi. Mansfelt
s'était empressé de demander à Marguer'ite de Parme la grâce du
condamné et la duchesse avait réclamé cette satisfaction. Farnèse,
pour faire plaisir à sa mère, y avait consenti, tout en maugréant. Une
autre fois, à l'instigation de Mansfelt, la duchesse avait dénoncé le
marquis de Richebourg comme étant un personnage dont il fallait
se méfier: le prince de Parme répondit en donnant au marquis le
commandement des troupes chaque fois qu'il ne le prenait pas lui-
même.
Bref, la cour de Marguerite à Namur était rapidement devenue
un centre d'intrigues, où les « vieux fidèles », ceux qui n'avaient
jamais abandonné le parti du Roi, conspiraient contre les « réconei-

(50) P. FEA, Alessandro Farnese, p. 118.

336
liés », dont ils jalousaient, non sans raison, la rapide fortune et l;aug-
mentation d'influence {51).
Le 14 novembre, le prince adre-ssa à sa mère une lettre où il lui
ouvrit son cœur. Après avoir mis e-n évidence les grands dangers
d'un partage du pouvoir et affirmé qu'il conse-ntait à attendre la
réponse du Roi à sa demande de congé, Alexandre suppliait sa mère
de prendre une décision et de ne pas le Iaisserainsi « entre I'enelume
et le marteau ». « J'e prévois, écrivait-il, que si je ne prends mes pré-
cautions à temps. .Il m'larrÎverla le même inconvénient qu'aux gou-
verneurs mes prédécesseurs, dont lee services ont fini par être trans-
formés en péché mortel. En effet, ceux qui n 'y ont pas laissé la vie,
en sont sortis avec un grand mécontentement et 'avec peu de safisfae-
tio de la part de Sa Majesté. Votre Altesse doit savoir que c'était un
proverbe bien connu parmi les soldats espagnols et les gens de bon
entendement de ces provinces. Je ne voudrais pas, après tant d'efforts
et après tant de services rendus, subir le même, sort ... Les grands
princes n'ont d'attention que pour leurs intérêts particuliers, ils ne
B 'occupent guère des mérites de leurs serviteurs. 0 'est ce qui nous
arrivera à tous deux, à Vous et à moi, si le Roi veut que nous restions
ici tous les deux. Et voilà pourquoi, après y avoir longuement et fré-
quemment réfléchi, je me sens confirmé de plus en plus dans mon
opinion. » (52)
Comme à Madrid, le cardinal de Granvelle semblait ne pas
comprendre la situationet gardait ses illusions, la duchesse lui fit
connaître franchement son lavis. Influencée et convaincue par les rai-
sons d'Alexandre, elle estimait que ce partage du gouvernement était
chose nuisible 'et irrêalisable {53).
Après un long silence (~4), le Roi se décida enfin à donner
réponse à Pietro Aldobrandini et le renvoya aux Pays-Bas, porteur
d'instructions formelles,
Par une lettre datée du 26 novembre, il ordonna à sa sœur de
prendre en mains le gouvernement du pays 'et de laisser à Alexandre
la direction des affaires militaires. Il estimait que par là « tous deux
auraient plus de repos et d'autorité et qu'ils seraient mieux respectés

(51) P. FEA, Alessandro Farnese, pp. H8-H9.


(52) P. FEA, Alessandro Parnese, pp. 119-120.
(53) P. FEA, La contesa ..., pp. 251-252,
(54) Le 30 octobre, jour où les pouvoirs du prince devaient expirer, Marguerite fit
part à son fils de l'inquiétude qui 'la travaillait devant le silence obstiné du Roi (A. F. N.,
Carte [ornesume, Fiand7'a, fascio 1667).

337
et obéis ». En même temps, il adressait une, lettre au prince d~
Parme, le priant de garder le commandement de Parmée et d'insister
auprès de sa mère afin que, sans tarder, elle entrât en charge (55).
Marguerite refusa, pour les motifs qu'elle lavait déjà donnés.
Comme Alexandre persistait de son côté dans sa résolution, la ques-
tion n"RViaitpas avancé d'un pas (56). Le Roi se trouvait maintenant
devant le refus concordant et également obstiné de ses deux servi-
teurs.
La situation était donc, en ce début de l'année 1581, des plus
étrange: Marguerite, que Philippe II avait envoyée aux Pays-Bas
pour succéder à s'Onfils dans le gouvernement, restait à Namur sans
aucune autorité officielle et refusait de s 'exécuter , le prince, dont les
pouvoirs étaient expirés depuis le L" novem.bre 1580, continuait à
exercer la charge de gouverneur général. De son côté, le Conseil
d 'État et les États des provinces wallonnes, qui avaient exigé le
départ de Farnèse six mois après la sortie des soldats espagnols,
J'avaient maintenant supplié de rester pour éviter un désastre mili-
taire, tout en priant sa mère de prendre en mains le gouvernement
civil.
De nouveau, après un long silence, le Roi finrit par envoyer à sa
sœur l'ordre exprès de s 'exécuter. Toutes les objections que cene-ci
avait faites, il les regardait comme non avenues. Il terminait
ainsi: « Comme il n'y a rien que je ne me promette de votre zèle
et de celui du prince votre fils pour mon service et de l'amour que
tous deux vous me portez, je vous prie 'et vous charge, avec ~a plus
grande instance que je puis, de vous disposer, à la réception de la
présente, à me donner cette satisfaction. » (57)
Philippe écrivit dans le même sens à Alexandre Farnèse. Il lui
refusait son congé. « Même si je vous L'avais accordé, disait-il, vous
ne l'auriez pas pris, puisque' votre présence est indispensable en
Flandre» (58).
En même temps que la lettre du Roi, Marguerite avait reçu des
Jettres du cardinal de Granvelle, qui essayait de la persuader aus.si
et de réduire à néant ses objections. Le cardinal y faisait sonner une
(55) GACHARD, Marguerite d'Autriche, pp. XLI-XLII.
(56) P. FEA, Alessandro Parnese, p. 120; LE X.ItME, La contesa ...s p. 252; GACHA~,
Marguerite d'Autriche, p. XLII-XLIII. Gaehard se trompe en affirmant qu'en ce moment
Alexandre céda.
. (57) GACHARD, Marguerite d'Autriche, pp. XLIII-XLIV. L'original de cette lettre se
trouve à A. F. N., Carte tomesume, Fiandra, fascia 1706.
(58) A. G. R., Copies de Simancas, vol. 14. fo 170.

338
note qui était de nature il, impressionner la duchesse : si elle et son
fils n'exécutaient pas les ordres reçus, Sa M,ajesté ne pourrait que le
prendre de très mauvaise part (59).
'M.arguerite, dont nous savons qu'eUe espérait la restitution du
château de Plais-ance, se sentit cette fois ébranlée. EUe se décida à
obéir.
Elle fit part de cette résolution à Alexandre, qui se trouvait
maintenant près de Cambrai pour attendre l'invasion des troupes
el'Alençon. EHe pria Alexandre de réfléchir aux conséquences de son
départ ·et elle lui promit qu'il ne surgirait entre eux deux. aucun
différend, puisqu'elle était déterminée d'av.ance -à lui être en toutes
choses agréable (,60).
Au reçu de cette lettre, le prince de Parme fut piqué au vif. Il sai-
sit immédiatement la plume et adressa .à la duchesse une lettre rédigée
en termes violents. Il lui fit connaître que la missive de sa mère lui
avait infiniment déplu et annonça son intention de venir s'expliquer
oralement à Namur, dès que les événements le lui permettraient. Il
manifesta sa décision inébranlable dé quitter la Flandre, laissant le
commandement des 'tr-oupes au marquis de Richebourg. «Pour le
reste, ajouta-t-il, je suis tellement ancré dans mon opinion, que. ni
Pantorité du Roi, ni n'importe quoi auront la force de me faire dévier
de la voie du devoir, et encore moins les raisons que Votre Altesse
me donne avec si peu de fondement. » (61)
En recevant ootte lettre de son fils, Marguerite fut bouleversée.
Devant le fait que le princeannonçait maintenant publiquement son
intention de partir, les gens de guerre commencèrent à murmurer
et parlèrent de s'en retourner chez eux. Dans ce cas, qu'allait-il
arriver' La duchess-e informa de son différend le Conseil d'Éta.t et
envoya à Mousson familier Mutio Davanzati pour mettre les
membres de ce Conseil aucourant de tout ce qui s'était passé. Le
Conseil, comprenant toute la gravité de la situati-on, ne put que
.supplier Marguerite d'insister auprès de son fils pour l'amener à de
meilleurs sentiments. Dès que les États de Hainaut, et ceux des ohâ-
tellenies de Lille, Douai et Orchies, eurent appris ce qui se passait,
ilss 'adressèrent à la duchesse pour joindre leurs instances à celles
du Conseil d'État (62).
(59) P. FEA, La contesa ..., pp. 2~8-259.
(60) P. FEA, Alessandro Earnese, p. 121.
(61) P. FEA, O. C., p. 121.
(62) GACHARD, Marguerite d'Autl'iche, pp. XLV-XLVI.

339
Dès que l'état des opérations militaires autour de Cambrai le
lui permit, le prince de Parme se rendit à Namur pour avoir avec
sa mère l'entrevue annoncée, Elle eut lieu au début de mai et fut
orageuse. Farnèse affirma que sa mère lui semblait, dans toute cette
affaire, manquer -de franchise. D "abord,elle ne Pavait pas consulté,
avant d'accepter la mission. Elle n'avait pas tenu compte des rap-
ports nombreux qu'il lui avait envoyés et qui auraient dû lui montrer
que sa venue en ce moment était inopportune. Enfin, elle pliait la tête
avec trop de facilité devant les injonctions du Roi, tout en sachant
qu'Alexandre ne voulait en aucune façon de la solution proposée.
Tout cela semblait au prince de Parme constituer la preuve qu'elle
désirait ardemment le pouvoir, malgré ses protestations écrites et
verbales. Puisqu'il en était ainsi, elle n'avait qu'à prendre en mains
Je gouvernement. Quant à lui, il ne voulait absolument pas d'un pou-
voir partagé : il était fermement décidé à s'en alleret c'est pourquoi
il avait déjà passé le commandement des troupes au marquis de
Richebourg. Il aurait déjà été loin, à cette heure, si les opérations
militaires qu'on aveit commencées ne réclamaient encore sa présence
pour quelques jours (63).
On avait maintenant atteint le paroxysme de la crise. Marguerite
de Parme fut extrêmement bouleversée par l 'attitude violente de son
fils : elle ne s'était jamais imaginée qu'Alexandre aurait refusé de
L'admettre comme collaboratrice. Ge coup fut très dur pour elle (64).
Elle en rendit compte ,au Roi et finit par solliciter son congé (65).
De son côté, le prince Alexandre, qui avait minutieusement et
longuement informé son père de ce qui s'était passé à l'entrevue de
Namur, écrivit au Roi une dépêche très circonstanciée, à laquelle il
convient de s'arrêter un moment (66).
Il rappela au Roi qu'à la suite de la conclusion du traité de
réconciliation, il avait envoyé à Madrid Claudio Landi pour solliciter
son congé; que, depuis, sur l'ordre du souverain, il s'était chargé du
,gouvernement pendant les six mois prévus par I'accord avec les
,Wallôns. Ilrappela aussi les diverses invitations, qu'il avait adressées
à sa mère, de prendre en mains le gouvernement, et les refus successifs
(63) P. FEA, Alessandro Farnese, pp. 121-122; GACHARD, Marguerite d'Autric'he,
p. XLVI; P. FEA, La contesa..., pp. 260-262.
(64) Voir sa lettre à Granvelle dans P. FEA, La contesa..., pp. 260 svv,
(65) Marguerite au Roi, Namur, 16 mai 1580 (A. G. H., Copies de Simancas, vol. 14,
fo 185)'. Gachard résume cette lettre dans Marguerite d'Autriche, ,pp. XLVI-XLVII.
(66) E1leest publiée en grande partie dans GACHARD, Marguerite dlAutriché,
pp. XLVII-LI!.

340
qu'il 'avait essuyés. « Enfin, Sire, continuait-il, comme Madame me
commandait d'une manière si absolue de ne pas exécuter ma résolu-
tionet que le pays était en grande agitation, le Oonseil d'État, les
provinces réconciliées '9t les villes déclarant que je devais attendre
dusqu'à ce que Votre Majesté eût été avisée de ce qui se passait i-ci,
.je me suis trouvé l 'homme le plus confus et le plus affligé du monde.
~effet, après avoir servi pendant 24 ans avec une volonté et une
affection que personne n'a surpassées, je me vois assez malheureux
.pour que, sans qu'il y ait de ma faute, Votre Majesté puisse demeu-
.rer satisfaite des services si loyaux, f,aits 'en des temps si difficiles,
et comme Votre Majesté le salit mieux que personne, sans assistance,
sans argent, sans personne de confiance ni d'expérience pour m'aider .
.J 'étais, au contr.aire,entouré de gens animés de mauvaises intentions
,et dont je devais me défier; les Français ont été plus d'une fois sur
le point d'envahir le p.ays; tout était dans une situation telle que ç'a
,été une œuvre de Dieu si des troubles graves n'ont pas éclaté. La
cause en était que les moyens et l'argent manquaient; que les villes,
.ruinées, ne pouvaient plus se soutenir; que les bons étaient exaspérés
de se voir sans protection et les mauvais pleins d'arrogance, ne lais-
sant échapper aucune occasion pour machiner contre votre cause,
s 'appuyant à la fois sur la France, 1'Allemagne et l'Angleterre. -Tout
Ie monde jetait de hauts cris et il n'y avait pas jusqu'aux pierres
qui nosemblassent se lever contre Votre Majesté. Or, chaque fois que
les circonstances l'ont requis, j 'ai iexpoaé ma poitrine à tous les
dangers, à tous Iles .risques ; au péril de ma vie, et aussi de mon hon-
neur, j'ai gardé la réputation du Roi et de ses États. Malgré le
caractère qui est le mien, je n'ai pas hésité à me mettre au pouvoir
de 2.000 ou 3.000 Wallons, dont, avec raison, je pouvais me défier
plus que de l'ennemi. J'e, suis allé jusqu'à faire ce qu'un simple
colonel trouve difficile à exécuter. »
j S'excusant de rappeler ainsi ses mérites, non pour s 'en glorifier,
le prince se déclarait surtout malheureux d'être obligé, par son
devoir d'obéissance, là exécuter une chose qui lui ferait perdre la vie
cet l 'honneur et qui causerait la ruine des Pays-Bas. Les dissensions
et les discordes qui agitent les gens de ce pays étaient telles que, s'ils
ee partageaient le pouvoir, le prince et sa mère seraient le jouet
Ides factions.« Que Votre Majesté veuille m'en croire, ajoutait Far-
jIlèse : ce que je dis, et pire encore, arriverait, car, pour mes péchés,
j'ai dû acquérir une si grande expérience des humeurs de ces gens,
que je saâs très bien où nous aboutirons. »
341
Il .yépétaitensuite que, malgré ses sollicitations pressantes, il
n 'avait jamais pu obtenir son congé. « Aujourd'hui, j'en suis arrivé
Ià qu'il me faut de nouveau- supplier Votre Majesté, eu égard à mes
services, de ne pas me commander ni m'obliger à faire ce que je ne
.pourrais accomplir sans notable dommage pour Votre Majesté et sans
préjudice pour ma .réputation. Quant au surplus, je n'-ai rien à offrir,
puisque ma personne a été et sera toujours prête à n'importe quel
sacrifice, -et je- s-ervirai même, si Votre Majesté me l'ordonne, en
qualité de simple piquier. »
<Cette le-ttre :8i radicale dut faire sur le Roi une impression
fâcheuse. Le cardinal de Granvelle ne le cacha point à Marguerite de
Parme, estimant que le prince avait tort de revenir toujours sur
« cette maudite réputation »,et cela S'ans raison aucune (67).
Le prince s'en rendit bientôt compte : il craignit davoir été trop
loin et s'empressa d'envoyer à Madrid Adrien de Gomiconrt, gouver-
neur de Maestrieht, dont il avait l'habitude 'C1ese servir dans les
négociations délicates (68), pour faire comprendre à Philippe II et
à ses ministres les raisons de son attitude (69).
'Le Roi écouta Gomieourt, non sans mauvaise humeur, et se hâta
de découvrir au prince l'impression que lui laissaient tous ces inci-
dents. Il lui déclara, par lettre du 22 juillet (70), qu'il ne parvenait
pas à comprendre pourquoi Alexandre faisait des difficultés à s 'occu-
pel' de la guerre pendant que sa mère s'o-ccuperait du gouvernement.
Il ne comprenait pas davantage pourquoi, n 'en ayant dans le prin-
cipe œien fait paraître, le prince devait maintenant manifester l'in-
tention de s'éloigner des Pays-Bas, précisément au moment le plus
inopportun.
Le Roi rencontrait ensuite toutes les objections formulées par
Alexandre et s'efforçait de Ies détruire. il s'étonnait surtout de voir
le prince revenir à chaque instant avec la crainte de perdre sa répu-
tation. Comment le souverain, à qui l'honneur et le crédit de son gou-
verneur importaient tant, aurait-il pu lui commander quelque chose
qui serait de nature à les mettre en péril ~ « Quand je vous l'ai
ordonné, disait-il, j 'y avais beaucoup réfléchi et il m'av-ait paru que,
comme il s'agissait de votre mère et de vous, il n'y avait pas à se
,préoccuper de questions de point d'honneur et de conflit. »
(67) P. FEA, La contesa, pp_ 263-264.
(68) Voir plus haut, pp. 141-143.
(69) GACHARD. Marguerite d'Aut·riche, pp. LII-LIU.
{70) Publiée par extraits dans GACHARD, o. C., pp. LUI-LV. Le texte complet à A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 14, f' 232.

342
Entretemps, Aldobrandino se préparait à quitter Lisbonne, où
Je Roi résidait, et à regagner la Flandre avec la réponse du souve-
rain. Cette réponse était celle qu'on devait attendre: le Roi main-
tenait son point de vue. Mais il avait chargé Aldobrandino, en même
temps que d 'ordresécrits, d'une communication verbale qui semblait
annoncer de sa part un début de concessionysi léger fût-il. S'il con-
statait que les raisons qu'il devait exposer de la part du souverain
ne contentaient pas Marguerite et son fils, Aldobrandino devait prier
ceux-ci de 'communiquer leur opinion dans le plus grand secret. Phi-
lippe II voulait ainsi éviter les commentaires des gens malveillants
et demeurer plus libre. dans les décisions qu'il aurait à prendre. En
attendant, la duchesse ne pouvait quitter Namur, et le prince ne
pouvait abandonner la direction des affaires Dans l'espoir d'impres-
sionner Alexandre Farnèse, le Roi lui faisait connaître en même
temps qu'il venait de le nommer chevalier de la Toison d'Or (71).
Aldobrandino arriva aux Pays-Bas vers le milieu du mois
d'août et s'acquitta aussitôt de sa mission. Ni les raisons du Roi, ni
l'appât de récompense ne firent changer d'avis le prince de Parme:
il déclara que sa résolution était inébranlable (72).
II ne restait dès lors plus à Marguerite de Parme que de renou-
veler sa demande de congé (73). Elle renvoya Aldobrandino à Lis-
bonne, et le prince de Parme profita de 'Cette occasion pour faire
remettre au souverain une lettre, où, une dernière fois, il suppliait le
Roi d' « avoir pitié de lui» et de ne pas persister à exiger une chose
à laquelle il lui était impossible de consentir (7,4).
Un long silence du Roi suivit de nouveau. Mais vers le milieu
d'octobre, la duchesse de Parme apprit par Granvelle quelle décision
finale on pouvait attendre. Le cardinal laissait espérer que le prince
pourrait conserver le gouvernement entier et tout seul! La capitula-
tion de Philippe II était ainsi annoncée ou, du moins, on la laissait
prévoir. Le cardinal ajoutait cependant, d'une manière mystérieuse:
;« Je doute cependant que Votre Altesse (Marguerite) pourra s'éloi-
gner de beaucoup, toutefois sans devoir s 'occuper des affaires. Tout
ceci, cependant, je ne le dis que par voie de conjecture, et d'arprès ce

(71) GACHARD, o. C., p. LVI.


(72) GACHARD, o. C., loc. ott,
(73) Voir sa lettre dans GACHAR;D, o. C., p. LVII, et sa lettre au cardinal de Granvelûe
dans P. FEA, La contesa, p. 27L
(74) GACHARD, o. C., p. LVIII.

343
que, je mois pouvoir saisir des intentions et du but que poursuit Ba
.Majesté. » (75).
Un mois après, cette première nouvelle se précisait. Granvelle
communiquait à la duchesse que, d'après 'ce qu'il pouvait comprendre,
Alexandre Farnèse garderait tout le gouvernement, sans diminution
aucune, mais que, en même temps, le Roi naimerait pas de voir
Marguerite s 'en retourner pour le moment en Italie (76).
Que pouvait signifier ce projet ~ Etait-ce encore une de ces
demi-mesures que l'on aimait tant à Madrid et qui avaient provoqué
déjà tant de désastres au cours des années antérieures ~
Enfin, le 31. décembre, le Roi rompit le silence : c'était, de sa
part, la capitulation complète.
Il s'était bien rendu compte que, sans la présence d'Alexandre
aux Pays-Bas, tout serait irrémédiablement compromis. Il ne lui
restait donc, quoi qu'il dût lui en coûter, qu'à s'incliner devant les
exigences de son neveu et à mettre un terme à une situation ridicule,
en le nommant à titre définitif gouverneur et capitaine général des
Pays-Bas.
En lui expédiant les patentes nécessaires, le Roi y ajouta des
paroles destinées à f.aire oublier les reproches sévères qu'il s'était
vu obligé d'exprimer antérieurement. Il ee plut à y ajouter ce
passage: « D'une seule chose, j'ai à vous avertir : c'est que celui
qui, dans un temps tel que, le nôtre, est chargé d'une si haute respon-
sabilité, fait beaucoup plus et montre plus de valeur en se conduisant
en bon capitaine et gouverneur général qu'en déployant la bravoure
d'un simple soldat., Je vous charge de ménager votre personne plus
que vous ne L'avez fait dans le passé ... » (77).
Et Marguerite de Parme ~ La sacrifiait-on ~ Elle reçut du Roi une
lettre datée du même jour que celle adressée à Alexandre. il ne
fallait pas, opinait le Roi, que Marguerite retournât de suite en Italie:
'ce serait montrer publiquement le secret de tout ce qui s'était passé,
car le départ immédiat de la duchesse convaincrait tout le monde de
l'existence de disputes et de désaccord. La satisfaction personnelle
de la duchesse devait céder aux intérêts du bien commun.
C'était avouer, sous le couvert de considérations élevées, que le
Roi désirait cacher la défaite quil venait de subir. Pour la cacher
(75) P. Fu, La contesa, p. 272.
(76) Ibidem.
(77) GACHARD, o. C., pp. LVIII-LIX (extraits). Le texte complet de la lettre à A. G. R.,
Copies de Simancas, vol. 14, fo 315.

344
d 'autant mieux, il ess-aya de convaincre sa sœur qu'elle devait rester
malgré tout aux Pays-Bas pour que personne ne pût douter de la
sincérité de sa politique de douceur et de conciliation à l'endroit du
pays. Ce passage de la lettre est trop typique pour que nous ne le
citions pas ici textuellement:
« Pour l'emploi de la force, je ne saurais désirer personne qui
ne soit plus à propos que le prince mon neveu; pour celui de la
miséricorde, vous l'êtes tant que, si même vous étiez loin des Pays-
Bas, je serais forcé de vous demander de vous y transporter. » (78)
On admirera sans doute la transformation extraordinaire que le
Roi faisait subir ici à son premier projet de partage du pouvoir.
Cette fois, la mère et le fils devaient encore collaborer : le fils manie-
rait l'épée, la mère présenterait le rameau d'olivier. Mais avec cette
énorme différence que, cette fois, le fils possédait l'entièreté des pou-
voirs et que Marguerite n'en avait plus aucun!
On ne s'étonnera point d'apprendre que la duchesse de Parme
ne put se résigner à jouer le rôle ridicule et dangereux que le Roi
voulait lui assigner. Elle se rendait fort bien compte que, si elle
restait en Flandre, même sans pouvoir aucun, Alexandre Farnèse
aurait pu considérer d'un œil jaloux l'influence qu'y exerçait encore
sa mère. Dans ces conjonctures, de nombr-eux conflits étaient en
perspective,
Marguerite de Parme estima plus sage de s'en aller. Elle se
remit à solliciter son congé, invoquant cette fois, et non sans raison,
son <état de santé précaire, qui réclamait absolument le climat de
l'Italie (79). EUe dut encore attendre dix-huit mois à Namur avant
que son frère ne mît fin à la situation qu'elleav,ait qualifiée ellie-
même d'abject-e. Enfin, le 25 juillet 1583, Philippe II consentit à
son départ, « avec la bénédiction de Dieu ». (80)
Mais non avec la promess-e de restituer aux Farnèse le château
de Plaisance! C'est dans cet espoir qu'à l'âge de 58 ans, 'au moment
où la goutte chronique et héréditaire la faisait beaucoup souffrir,
Marguerite était venue une seconde fois en Flandre pour s'y
mettre à la disposition du Roi. Elle n 'y avait recueilli que peines et
humiliations et les scènes pénibles qui s 'étaient déroulées entre elle
'et « son cher Alexandre » l'avaient profondément bless-ée. Elle avait

(78) GACHARD, o. C., p. LX. Tex-te complet de sa lettre clans A. G. R., Copies de Siman-
cas, coi. 14, f' 319. .
(79) GACHARD, o. c., p. LXII.
(80) Lettre dans GACHARD, o. C., pp. LXII-LXIV.
essayé de se consoler eu constatant « que ce n'était probablement pas
le premier fils, qui devenu homme et déjà â:gé de trente ans, ne vou-
lait plus écouter les conseils de sa mère ou de son père» (81).
Pendant son séjour (82), elle avait essayé par tous les moyens,
par l'intermédiaire de Granvelle, par ses agents ou ses émissaires à
la cour d'Espagne, par son fils Alexandre, d'obtenir de Philippe II
la restitution de la citadelle de Plaisance (83),
Le 12 septembre 1583, l'avant-veille de son départ définitif des
Pays Bas, elle exprimait à Granvelle l'espoir que, avant son arrivée
en Italie, elle apprendrait l 'heureuse nouvelle, « la plus grande con-
solation qu'elle pût recevoir ici-bas » (84).
Cette fois encore, elle fut déçue. Le 14 septembre, elle quitta la
Flandre, après avoir pris congé de son fils, qui vint lui remettre de
la part du Roi 20,000écus pour les frais de son voyage. Oe fut encore
Pierre-Ernest de Mansf.elt, son « fidèle Mansfelt », qui commanda
l'escorte destinée à la protéger en route (85).

Oette longue lutte pour la possession intégrale du gouvernement


en Flandre s'était donc terminée par la victoire complète,d 'Alexandre
Farnèse. Oomme l'a bien mis en évidence Pietro Fea {86), le prince
de Parme avait eu raison de maintenir inébranlablement son point
de vue. En admettant le dualisme de pouvoir que Philippe II et le
cardinal de Granvelle avaient imaginé, il aurait donné une nourriture
facile aux intrigues qui ne divisaient que trop déjà les membres de
la noblesse réconciliée et celle qui était restée fidèle.
Dans un ensemble d'événements où - la réconciliation des pro-
vinces wallonnes l "avait démontré - les opérations militaires et les
manœuvres politiques devaient souvent être menées de front et
s'appuyer les unes les autres, l'absence el'unité de direction aurait
été désastreuse. L'expérience du premier gouvernement de Margue-
Tite de Parme, pendant laquelle celle-ci avait été rapidement acca-
(81) P. FEA, Alessandro Pœmeee, p. 123, n. 1.
(82) Le fascie 1650 des Archives farnésiennes de Naples conserve les comptes du
séjour de Marguerite à Namur en 1580. Nous 'Y apprenons qu'elle touchait par an,
pour sa provision, son traitement ordinaire et ses frais 'extraordinaires, une somme de
99,750 florins. Son traitement de gouvernante était de 35.000 florins.
(83) P. FEA, ia oertensa per la 1'estituzione, loc. oit., pp. 158 svv.
(84) Ibidem, p. 168.
(85) GACHARD, o. c., p. LXIV.
(86) Alessandro Farnese, pp. 124-125 et La contesa..., pp. 276-277

346
parée par les seigneurs et avait été ballottée, à cause d'eux, en sens
opposé, ne devait pas se renouveler. Tiraillée entre Mansfelt et
Richebourg, lu gouvernante aurait favorisé le premier pour com-
battre le second. Or, celui-ci était le membre le plus influent de la
noblesse wallonne et le lieutenant indispensable du prince de Parme
dans les opérations militaires.
En exigeant l'unité de commandement, Farnèse rendit au Roi
un service signalé et sauva la cause royale aux Pays-Bas. En ne
s'obstinant pas dans son projet, malgré le cardinal de Granvelle,
Philippe II montra une sagesse et une clairvoyance que l'on n'est
pas habitué à rencontrer chez lui.
Quant à Alexandre Farnèse, il montra en cette occasion un souci
peut-être exagéré de sa réputation. Mais ses intérêts personnels se
confondaient heureusement avec ceux de son maître. O'est pourquoi,
sans doute, il fit montre; de cette extraordinaire indépendance vis-
à-vis d'un prince qui tenait entre ses mains la fortune de sa maison.
Le fait de se sentir indispensable, surtout au point de vue militaire,
lui permit de pousser jusqu'au bout la logique de son attitude et de
triompher dans une aventure qui, à plusieurs moments, parut être
sans issue. Oomme il est piquant, d'autre part, de constater que c'est
précisément chez ceux qui, par une clause du traité d'Arras, avaient
voulu l'exclure, après six mois, du gouvernement des Pays-Bas, qu'il
trouva l'appui le plus ferme on faveur de sa nomination définitive!
L'année 1582 fut manifestement un tournant important dans sa
carrière.

347
LISTE DES PRINOIPAUX TRAVAUX OONSULTÉS
POUR LA OOMPOSITION DU TOME II

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355
TABLE DES PLANCHES

Pages

J., - Alexandre Farnèse Frontispice


Gravure de P. de Jode, d'après le portrait peint par otto Venius. (Ms.
16314-19 de la Bibliothëque Royale de Blelgique, fO 145).

II. - Détails d'armures du XVIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8


En haut: corselet et cabasset italilens, travail milanais, gravé à l'eau forte.
En bas: ![l0 1, hourgutgnotte ouveete, travail allemand; n° 2, morton italien
de la seconde moitié du XVIe siècle; nv 3, cabasset italien, de 1580 environ.
(Musée de la Porte de Hal, à Bruxelles).

Ill. - Bourguignotte de parade (XVIe siècle) 16


(Musée de la Porte de Hal, à Bruxelles).

IV. - Demi-armure d'officier de reîtres allemands . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 18


seconde moitié du XVIe siècle. (Musée de la Porte de Hal, à Bruxelles).

V. -- Alexandre Farnèse à cheval à côté de Don Juan. . . . . . . . . . . . .. 26


(Dessin à la plume tiré du recueil die Pierre Le Poivre, ms. 19611 de la
Bibliothèque Royale de Be~giqUle,fo 23).

VI. - Disposition des troupes de Farnèse pendant le siége de Maestricht 154


(Dessln d'un soldat ailemand qui assista au siège, extrait de l'ouvrage de
THOllfASSEN, Krijgsbedrijven van Alexander Farnese in Limburg).

VII. - Aspect général du siège de Maestricht par Alexandre Farnèse 156


Plan dressé par Pi'erre Le Poivre. (Biblio.thèque Royale de Belgique,
ms. 19611, r- 30).

VIII. - Plan du 'siège de Maëstricht 172


Dressé par l'architecte Pierre Le Poivre. (Ms. de la Bibliothèque particu-
liére du Roi d'Espagne Alphonse XIII).

IX. - Plan de Maestricht montrant comment les Espagnols entrèrent


dans Ia ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 184
(Recueil de Pierre Le Poivre, ms. 19611 (le la Bibliothèque Royale de
Belgique, r- 32).

357
X. - Farnèse porté triomphalement par ses soldats vers Maestricht
conquise 194
(Gravure (lie R. de Hooghe, d'après le capitaine-ingénieur Ledesma.)

XI. - Le Prince d'Orange, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 226


(Gravure extraite de l'Historie der Neâertatuisctier enae tuierâer Naburer;
Oorlogen d'E. van Meteren, édition de 1614..) .

XII. - Le Prince d'Orange , 268


(Portrait par Mierev'eld à l'HôtJel de Villé de Del ït.)

XIII. - Marguerite de Parme , '. . . . . . . .. 322


(Portrait par Antonio Moro au « Kaiser Fdedrich Museum » à Berlin.)
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Avant-propos 5

CHAPITRE LIMINAIRE

L'ARMÉE ESPAGNOLE DES PAYS-BAS

L'armée de Philippe II en Flandre. - Composition de l'infanterie espagnole, 7. -


Organisation du terçio. - Recrutement des compagnies, 8. - Effectifs de l'infanterie espa-
gnole. - Armement des fantassins espagnols, 9. - Organisation de la compagnie, -
L'infanterie italienne. - Composition du terçio Italien, 10. - L'infanterie wallonne. -
Recrutement et composition des régiments. - La compagnie wallonne, 11. - L'infanterie
allemande. - Les régiments de Bas-Allemands. - Composition de Ia compagnie. - Les
coronélles de Haut-Allemands, 12. - La compagnle de Haut-Allemands. - Valeur respective
de ces différentes sortes d'inranterie, 13-16. - La cavalerie. - Les bandes. d'ordonnance.
- Composition. - Armement. - La cavalerie légère, 16. - Chevau-légers espagnols,
albanais et italiens. - La cavalerie allemande. - Les rettres. - Les noirs harnais, 17: -
Appréciation sur ces cavaliers. - L'artillerie. - Les types de pièces, 18. - Organisation
et personnel de 'l'artillerie, 19-21. - Le maître de camp ,général. - Le quartier-maître. -
Le « commandeur » du guet, 21. - Le grand prévôt. - Le guidon. - Les officiers supé-
rieurs d'administration, - Le commissaire général de la cavalerie légère, 22. - Les
retormoaos et les entretenidas. - Division de l'armée en marche. - L'avant-garde, 23.
- La« bataille ». - L'arrière-garde. - L'escadron volant, 24.

CHAPITRE 1er

LES DEBU'rS DU GOUVERNEMENT D'ALEXANDRE F'AHNÈSE


(1'578)

Portrait de Farnèse, 25. - Sa maîtrise en équttatlon. - Son courage. - Bon stoïcisme, 26.
- Son « esprit offensif ». - Farnèse et ses soldats, son influence sur eux, 27. - Il exige
la discipline et l'obéissance, 28. - Luxe vestlmentaire du prince, 29-30. - Sa. prodigalité.
- Sa charité, 30. - Sa sollicitude 'pour les blessés et les malades. - Sa loyauté en
affaires. - Son crédit auprès des marchands, 31. - Sa. générosité pour le service du Roi.
- Bon attitude au sujet du butin, 32. - Sa cour. - Son train de vie, 33-34. - Farnèse
chef d'armée. - Sa. formation militaire. - Don de réflexion, 34, - Don du secret pour les
opérations. - Son habitude du silence. - Sa connaissance de la langue espagnole, 35. -
Il reste, malgré tout, prince italien. - Difficulté à parler le français. - Prestation de
serment de l'armée au nouveau capitaine général, 36. - Bonne impression que produit sa
nomination. - Souci de Farnèse de ne pas compromettre sa réputation, 37. - La situation

359
en Flandre n'aulorise guère cie grands espoirs, 38. - Sltuation délioale de Farnèse et cie
sa famille vis-à-vis du Roi. - Il accepte le poste de gouverneur parce qu'il lui est
impossible de refuser, 39. - Lettre qu'il écrit à ce sujet à -son père, 40. - La situation de
l'armée espagnole au fort 'de Bouges, 41. - Forces militaires dont dispose Farnèse. -
Supériorité numérique de l'armée des États, 42. - Difficultés financières. - L'Intervention
cie I'Éleoleur Palatin Casimir, 43. - L'Intervention du duc d'Anjou, 4.4. - Siège et prise
de Nivelles par Anjou. - Menace des soldats de Casimir et des Huguenots contre la Bour-
gogne. - Débuts de mouvement séparatiste dans les provinces wallonnes. - Importance
que Farnèse y attache, 45. - Farnèse décidé il ne pas imiter les erreurs de Don Juan. -
Ses qualités comme homme politique, 46. - Idée qu'il se fait de la mentalité des Elamands,
- Il ne fait la guerre que pour appuyer ses manœuvres politiques, 47. - Il n'attend rien
des efforts de pacification du Roi, 48. - Il réclame d'Espagne des ordres précis. -
Dilemme qu'il pose devant le Roi, 49. - Idées du prince au sujet. de l'intervention de
l'EJmpereur. - Il essaie de convaincre Philippe II qu'Il faudra employe!' la voie des
armes, 50. - La clef de la situation est dans les provinces wallonnes. - Farnèse répond
au portrait du gouverneur idéal tracé par Granvelle, 51.

CHAPITRE II

LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES ET MILITAIRES


JUSQU'A LA FIN DE L'ANNÉE 1578

Philippe II avait approuvé la relraile SUl' Bouges, - Signes de débandade dans


l'armée Ides Étals, 52. - Farnèse a trop peu de soldats pour passer en ce moment à
l'·offensive. - Renforts attendus, 53. - Débandade de j'armée d'Anjou. - Projets du
PalatinCasimlr, M. - Le Palatin abandonne son armée. - Philippe II confirme la nomina-
tion faite par Don Juan, 55. - Les commissions de gouverneur et capitaine général des
Pays-Bas. - Examen de leur contenu, 56-58. - Place que Farnèse accorde aux seigneurs
du pays dans le Conseil d'État.. - Le conseiller Christophe d'Assonville, 59. - Idées
politiques de d'AssonviHe, 60. - Le conseil de guerre et sa composition. - Relations de
Farnèse avec Mansïelt et Ottavio Gonzaga, 61. - Farnèse se met en rapports avec Henri III
et Elisabeth d'Angleterre, 62. - Premier appel de Farnèse aux provinces wallonnes, 63. -
Importance de cet acte. - Craintes du prince d'Orange, 64. - Débandade de l'armée des
États, 65. - Sa retraite. - L'ambassadeur impérial Schwarzemberg demande à Farnèse
une suspension d'armes, 66. - Farnèse est décidé à ne pas l'accorder. - Ses raisons, 67.
- L'armée de Farnèse est maintenant supérieure à celle de ses adversaires, 69. - Envoi
de secours par Philippe II, 70. - Conseil de guerre. - On décide de porter secours à Deventer
assiégée, 71-72. - L'opinion du conseil de guerre au sujet de la demande d'armistice, 72-73.
- Le secours pour Deventer arrive trop tard, 74. - Décision de s'emparer de Karpen et
Erkelens, pour isoler Maestricht, dernier objectif du prince, 75. - Tractations de Schwar-
zemberg avec Farnèse pour obtenir l'armistice, 7(;' - Le prince se débarrasse habilement
de cette question, 78. - Farnèse avertit le RQi et Don Juan de Borgia du danger de la
concession d'un armistice, 79. - L'armée des États perd son chef, le comte de Boussu, 80.

CHAPITRE III

L'OFFENSIVE DE .FARNÈSE ET LES PRÉPARATIFS


DU SlÈ-GE DE MAffiS·TRIOHT

Plan de Farnèse: isoler Maestricht, - Prise de Karpen par Mondragon, .82. - Prise
d'Erkelens. - Maëstricht isoâée de l'Allemagne et de. la Gueldre. - Préparatifs .du siège, 83.
- Farnèse fait harceler l'ennemi en Campine. - Situation de son armée. --:- Passage-de la

360
Ruhr et de la Meuse, 84. - Prise de \Veert et de Eindhoven. - Combat contre la cavalerie
ennemie, 85. - Farnèse installe son quartier général à Weert. - Son inquiétude au sujet
du mauvais esprit dans les troupes espagnoles, 86. - Farnèse à Eindhoven. - Il décide
d'aller attaquer la cavalerie ennemie signalée près de Turnhout. -c- Les reitres de Casi-
mir, 87. - Le prince parvient à se débarrasser de ces reîtres, 88. - Il décide d'attaquer
l'infanterie des Êtats campée sous les murs d'Anvers, 89. - Marche SUl' Anvers. - Per-
plexité du prince d'Orange et de Mathias, 90. - Force des troupes en présence. - Prépa-
ratifs de l'attaque de Borgerhout, 91. - Combat de Borgerhout, 92. - Sac de Borgerhout,
93. - Farnèse se relire et marche directement sur Maestricht, 94.

CHAPITRE IV

FARNÈSE ET LES NÉGOCIATIONS


AVEO LES PROVINCES WALLONNES
(octobre 1-578-avril 1(79)

But de ce chapitre, 95. - Origines du mouvement séparatiste dans les provinces


"vallonnes, 96. - Origine du mouvement des Malcontents, 97. - Guerre civile entre les
.Malcontents et les calvinistes gantois, 98. - Farnèse exploite la défection de La Motte et
se met en rapports avec les chefs des Ma/contents. - Mlssion du seigneur di'Havroult, 99. -
Parnèse emploie les services de Jean Sarrazin, 100. - Les troubles d'Arras et la réaction
catholique, 101. - Le Hainaut propose une ligue des provinces catholiques. - Assemblée
des États du Hainaut, 102. - Farnèse décide d'envoyer une mission en Artois. - Ses
Envoyés. - Leurs instructions, 103. - Conditions offertes par Farnèse, 104. - Sarrazin
obtient la réconciliation du seigneur de Capres, 106. - Farnèse se met en rapports avec
lui et lui promet le gouvernement d'Artois et de Hesdin, 106-109. - Dispositions des chefs
wallons, 109. - Farnèse adresse des lettres aux Êtats d'Artois, 110. - Arrivée des commis-
saires de Farnèse à Humbercourt. - La situation telle qu'ils la voient, 112. - Les com-
missaires de Farnèse entendus par les États d'Artois, 113. - On leur assigne une résidence
à Arras en attendant les décisions des Êtats, 114. - Manœuvres des commissaires de
Farnèse. - Attitude du vicomte de Gand, 115. - Les États d'Artois font savoir aux
Êtats Généraux qu'ils désirent la paix, - Le prince d'Orange manœuvre pour s'y opposer.
- Réponse des commlssaâres de Farnèse, 116. - Unanimité des 'Vallons à réclamer le
maintien intégral de la Pacification de Gand. - Lettres de Farnèse aux Êtats du Hainaut,
de Lille, Douai et Orchies, de Tournai et du Tournalsis et au vicomte de Gand, 117. -
Ses rapports avec La Motte. - Celui-ci essaie de débaucher les troupes de Montigny, 118.
- Farnèse et les nobles restés fidèles, 119. - Instructions de Farnèse à ses commissalres
pour déjouer la manœuvre du Taciturne, 120. - Farnèse et la Pacification de Gand, 121.
- Sentiments du vicomte de Gand et efforts de Capres, 122. - Nouvelle assemblée des
Êta!s d'Artois. - Importance de la question de la Pacification de Gand, 123: - Sous
l'influence des bourgeois d'Arras, les Êt.a!s des provinces wallonnes somment les États
Généraux de déclarer leurs intentions. - Naissance 'de l' « Union d'Arras », 124. - Néces-
sité de maintenir- la Pacification de Gand, 125. - Tractations de Farnèse avec Lalaing et
Montigny, 126. - Le sieur de Selles rejoint les deux autres commissaires de Farnèse, 127.
- Pourquoi?, 128. - Lutte entre les partisans de la réconciliation et les Orangistes, 129.
- La question de la ratlûcatlon de la Pacification de Gand prend de plus en plus d'im-
portance, 130. - Iustructèons de Philippe II au sujet des négociations avec les Wallons,
1.30-131.- Farnèse écrit à plusieurs reprises au Roi pour connaître ses intentions au sujet
du maintien de la Pacification, 132. - Réponse laconique et imprécise du Roi. - Fin de
I'Interventlon du due d'Anjou, 133. - Conséquences de ce fait. - Les Wallons réclament
le départ des soldats espagnols comme condition de la réconciliation, 134. - Les États
Généraux envoient des émissaires aux États des provinces wallonnes, 135. - Echec de
leur tentative. - Les commissaires de Farnèse promettent le maintien de la Pacification

361
de Gaud, 136. - Avant de faire le pas dé oisif, les États des provinces wallonnes écrivent
aux États Généraux, .137. - Farnèse est invité Par eux à écrire aux États Généraux pour
connaître les mtentions de ceux-ci. - Signification de cette démarche, 138. - Conseil. de
guerre, 139. - Farnèse écrit aux États Généraux et à l'assemblée d'Arras; 140. - Mission
du sire de Gomioourt, envoyé pal' Farnèse à l'Empereur, 141. - Les États Généraux
répondent à. Farnèse, 143. - Ils écrivent aussi à l'assemblée d'Arras, 144. - Evénemenls
qui précipitent la réconoiliation des Wallons, 145. - Le rôle de Sarrazin à l'assemblée des
Etats du Hainaut, 146. - Décision finale de se réconcilier, 147. - La convention de Mont-
Saint-Éloi conclue avec les troupes de Montigny, 148. - Triomphe de Farnèse, 149.

CHAPITRE V

LE SIÈGE DE MAESTRIOH'l'
(mars-juin 1579)

Situation de Maestricht en 1579. - Préparatifs pour soutenir le siège, 150. - Somma-


tion de Farnèse. - Maestricht avertit du danger les États Généraux. ~ Comment le prince
de Parme isola complètement la ville, 151. - La garnison de la ville. - Le gouverneur, -
Essai de Farnèse de rabattre vers Maestricht la population rurale, 152.. - Tapin emploie
les ruraux aux travaux de défense. - Il en résulte pour l'armée espagnole un manque
de pionniers, 153. - Dispositions prises par Farnèse en vue du siège, 1M. - Construction
de ponts et de forts, 155. - Artillerie dont dispose le prince. - La tranchée est ouverte
du côté de la porte de Bruxelles, 156. - Attaques des assiégés. - Conseil de guerre. -
Berlaymont conseille de commencer l'attaque par la porte de Tongres, 157. - Bombarde-
ment de cette position. - Résultat peu encourageant, 158. - Farnèse décide l'attaque
du côté de la porte de Bois-le-Duc, tout en n'abandonnant pas celle de la porte de Tongres.
- Mines et contre-mines, 159. - Prise d'un bastion à la porte de Tougres. - Oruauté de
Tapin à l'égard des prisonniers, 160. - Préparatifs de l'attaque de la porte de Bols-le-
Duc. - En apprenant qu'on va discuter à Cologne de l'armistice, le prince de Parme
ordonne un assaut général, 161. - Dispositions d'attaque, 162.. - Mesures prises par la
défense. - Le 8 avril, l'attaque est déclenchée, 163. - E'chec sanglant à la porte de Bois-
le-Duc, 164. - Echec à la porte de Tongres, 165. - Farnèse, sous l'empire dé la honte
pl de la colère, veut se précipiter en personne à l'assaut. - Il en est retenu par ses
officiers. - Pertes graves subies par les Espagnols, 167. - Les raisons de l'échec, 169. -
Farnèse se ressaisit, 171. - Conseil de guerre: décision de continuer le siège, -' On
emploiera désormais la mme et la sape. - On commence la construction de formidables
olroonvallations, 172.. - Description du système de circonvallation, 173. - Efforts· du
prince d'Orange pour secourir Maestricht, 174. -, Les troupes de secours constatent l'im-
possibilité de pénétrer dans la ville. - Farnèse fait construire un cavalier devantIa porte
de Bruxelles, 175. - Descrlptlon de ce cavalier, 1'76. - Prise des défenses de la porte de
Bruxelles et occupation de celle-ci, 177. - On se trouve devant un nouvel ouvrage con-
struit par les assiégés. - La situation à Maestricht d'après un transfuge, 178. - Les espions
des États Généraux à l'œuvre, 179.- Berlaymont tué devant la porte de Bruxelles, 180. -
Attaque de la demi-lune derrière la porte de Bruxelles. - Tapin blessé, 181. ~ Farnèse
suspend l'assaut. - Il tombe malade, 182. - Accalmie de part et d'autre, 182.· - Les
Espagnols pénètrent en ville par surprise, 183. - Ils se livrent à un ter-rible massacre, 184.
- Dispute entre Mansreltet Gonzaga. - Plan de Tapin. - Nouvel effort pour secourir la
ville, 185. - Prise de Wijck par les Bourguignons. - Mort de Tapin, 186. - Ptllageide
Maestricht. - Pertes subies des deux côtés, 187. - Grave maladie de Farnèse, 188.·-, Le
prince est sauvé par une opération. - Joie en Espagne à la nouvelle de la prise de
Maestricht. - Troubles à Anvers, 190. - Farnèse doit apaiser les disputes qui éclatent
dans l'armée, 191. - Mutinerie des Allemands, 192. - Le Taciturne en profite pour pro-
téger la Gueldre - Entrée triomphale de Farnèse à Maestricht, 193.

362
CHAPITRE VI

LA RÉCONOILIArrWN DES PROVINCES WALLONNES


(j nin-octobre i570)

Discussion qui surgit à Arras au sujet de J'interprétation des conditions offertes par
Farnèse, 196. - Nouvelles exigences des "Wallons, 197. - Les intrigues des États Géné-
raux compromettent un instant les négociations, 198. - Le prince de Parme
désapprouve la hâte de ses commissaires, 199. - Il prend enfin connaissance des. idées
du Roi au sujet des conditions de la réconciliation, 200. - Il s'informe de la pensée de
Philippe II au sujet du départ des troupes étrangères, 201. - Vues pesslmtstes du prince
de Parme, 202. ~ Montigny, rompant avec les États Généraux, se rallie enfin à la thèse
de la réconciliation, 204 - Concesslons raites par les commissaires du prince de Parme,
205.- Intervention de Jean Sarrazin, 205. - Accord final, 206. - Comment Farnèse juge
l'action de see délégués, 206. - Arrivée des délégués wallons au camp de Maestricht,208.
- Les articles du Traité d'Arras, 208. - Opinion de Farnèse à ce sujet, 213. - Il essaie
de redresser les articles préjudiciables, 214. - Tractation avec les délégués wallons con-
cernant l'interprétation du traité, 215. - Attitude intransigeante des délégués wallons, 217.
- Farnèse obtient encore des concessions, 219. - Mérites de Farnèse. - Il essaie de
justifier sa conduite auprès du Roi, 220. - Conséquences de la réconciliation des Wallons,
223. - Réconciliation de Malines, 224. - Réconciliation de Philippe d'Egmont, 224. -. Les
Brugeols et les catholiques de Bois-le-Duc chassent les calvinistes, 225.

CHAPITRJ<JVII

LES' NÉGOCIATIONS POUR LA PAIX A COLOGNE


ET LA RATIFICATION DU TRAIrrÉ D'ARRAS PAR PH1LIPPE II

Farnèse ne doit pas s'occuper des négociations pour la paix à Cologne, 228. - Les rai-
sons pour lesquelles il les considère comme dangereuses, 229. - Avertissements qu'il
adresse au duc de Terranova, 230. - Efforts de Schwarzemberg et des États Généraux
pour faire imposer l"armistice à Farnèse, 231. - Philippe II finit par comprendre que
seule la négociation avec les Wallons, peut donner un résultat positif, 232. - Nouvel effort
des États Généraux pour obtenir l'armistice, 223. - Les négociations de Cologne aboutis-
sent à un échec, 234. - Farnèse avait eu raison de n'y attacher aucune importance, 235. -
Di:fficultés pour la mise au point du traité d'Arras, 235. - Instructions des commissaires
de Farnèse, 236. - But de Farnèse: éviter le départ des soldats étrangers, 241. - Confé-
rence de Mons entre les délégués des provinces wallonnes et les commissaires de Farnèse,
242. - Manœuvres dilatoires du prince de Parme, 243. - Les commissaires de Farnèse
entraînés à signer le traité, 244. - Concessions faites de part et d'autre, 244. - Farnèse
est, une seconde fois, placé devant le fait accompli, 246. - Philippe II approuve le traité
d'Arras, 247. - Farnèse lui demande d'approuver l'acte dans la forme qui lui a été
donnée à Mons, 247. - Mérites de Farnèse dans la conduite de ces négociations, 248.

CHAPITRE VIII

ALEXANDRE FARNÈSE ET L'EXÉCUTION DU TRAITÉ D'ARRAS

Stipulations du traité au sujet de la mission de Farnèse. - Celui-ci ne désire pas


rester aux Pays-Bas dans les nouvelles conditions créées par le traité, 249. - La vraie
raison de son attitude à cet égard, 250. - Le Roi décide d'envoyer Marguerite de Parme

363
pour succéder à son fils, après l'expiration du mandat de celui-ci, 251. - Marguerite
accepte, sans consulter le prince, 252. - Philippe II annonce l'arrivée prochaine de Mar-
guerite de Parme, 253. - Farnèse organise le départ des soldats étrangers. - Composi-
tion de l'armée en ce moment, 253. - Danger de l'absence de ressources financières. -
Farnèse demande de l'argent pour licencier les soldats, 21». - Farnèse essaie de se
débarrasser des soldats allemands et de payer les autres, 255. - Mutinerie des Allemands
à Maestricht, 256. - Conditions lamentables du pays occupé par l'armée, 256. - Prépara-
tifs du départ des Espagnols, 257. - Meilleures dispositions des Wallons, 258. - Nouvelle
révolte des troupes allemandes, 259. - Départ des Espa-gnols et des Italiens, 260. - For-
mation d'Une armée nationale, 260. - Attitude de la noblesse réconciliée, 261. - Difficultés
pour constituer une armée nationale, 261. - Difficultés financières, 262. - I)i1i\cultés
militaires, 263. - La situation à la fin de 1579, 264. - Organisation de la nouvelle armée. ~
Sa faiblesse, 265. - Organisation du nouveau Conseil d'État, 266. - Farnèse va se ûxer à
Mons, 26&. - Difficultés au sujet de la nomination de certains au Conseil d'État, 267. -
Générosité du Roi envers les seigneurs réconciliés, 267.

CHAPITRE IX

ALEXANDRE FARNÈSE ET LE BAN OONTRE LE PRINCE D'ORANGE

Le ban contre Orange n'est pas la conséquence de l'échec du Congrès dé Cologné. 269.
- Les tentatives antérieures pour se débarrasser du Taciturne, 270. - L'initiative de Gran-
velle dans la question du ban, 271. - Le Roi ordonne à Farnèse de publier le ban, 271. -
Surprise désagréable qu'éprouve le prince de Parme, 272. - Opinions divergentes au
Conseil d'État, 273. - Farnèse ne se prononce pas, 273. - L'idée du prince de Parme a11
sujet du ban, 273. - Il désapprouve le 'ban comme inopportun du point de vue politique,
274. - Il propose d'en salsir les États des provinces wallonnes, 27!!. - Il tarde à envoyer
au Roi un projet du ban. - Le Roi refuse de communiquer la question aux provinces
wallonnes, 275, - Philippe II reproche à Farnèse sa lenteur à s'exécuter. - Dernière
protestation du prince de Parme, 276.

CHAPITRE X

LA SITUATION POLITIQUE ET MILITAIRE


JUSQU'AU SIÈGE DE TOURNAI

Les forces en présence, 277. - Les adversaires en sont réduits à essayer des coups de
main, 278. - Prise de Courtrai par Montigny. - Surprise de Ninove par La Noue, 278. -
Le comte d'Egmont prisonnier des États, 279. - Norris surprend Malines, 279. - Indiscipline
des soldats de Farnèse, 279. - Victoire du marquis de Richebourg à Ingelmunster et
capture de La Noue, 280. - Le prince de Parme a-t-il voulu exécuter La Noue en
secret? 281. - Hest certain que cette idée vient de Philippe II, 284. - Farnèse a
manœuvré adroitement pour sauver La Noue, 285. - Il réussit à le sauver, 287. - Nou-
veaux échecs du parti royal. 288. - Détections 'dans la noblesse wallonne, 289. - La trahi-
son du sire d'Auchy, 289. - La trahison du baron de Hèze, 290. - Emprisonnement du
haron de Hèze, 291. - Le rôle de Farnèse, 291. - L'exécution du baron de Hèze, 292. ~
Appréciation de la conduite de Farnèse, 293. - Négociations du prince d'Orange avec le
duc d'Anjou, 294. - Le duc reconnu comme souverain des Pays-Bas, 295. - Inquiétude
de, Farnèse, 295. - Anjou se rend maître de Cambrai, 295. - Inquiétude des provinces
réconciliées, 2%. - Prise de Bouchain par Farnèse, 296. - Disputes entre les chefs de
l'armée wallonne, 297. - Stratagème du prince de Parme pour y mettre fin, 297. -

364
· . - . . .

Manstelt prend Nivelles. - Richebourg vi bloquer Cambrai, 298. ;.... Arrivée de Marguerite
de Parme à Namur. - Prise de Condé par Mcntlgny, 299. - Farnèse tente en vain d'obtenir-
des 'Vallons le retour des troupes étrangères, 300. - Le duc d'Anjou au secours de
Cambrai, 300. - Farnèse pose la question du retour des troupes étrangères, 301. - Les
nobles wallons s'y opposent, 3C14. - Farnèse licencie les Allemands mutinés du Luxem-
bourg, 304. - Trahison de Charles de Lalaing, comte de Renneberg, 305. - Victoire de
Verdugo en Gueldre, 306. -: Surprise <le Bréda par Hautepénne, 307. - Crainte de Farnèse
au sujet de !"intervention d'Anjou, ou7. - La politique de Henri III et de Catherine de
Médicis, 308. - EJfforts des Iieutenants d'Anjou pour secourir Cambrai, 308. - Philippe II,
consulté, autorise Farnèse à poursuivre éventuellement les .Français sur territoire français,
309. - Nouveaux ·efforts pour secounr Xïambrat. - Arrivée· d'Anjou avec une armée
considérable, 310. - Faiblesse des forces de Farnèse. - La mission de Belllèvre auprès du
prince de Parme, 311. - Constatant l'insuffisance de son armée, Farnèse ne s'oppose pas
au passage d'Anjou, 313. - Conseil de guerre. - Les avis sont divisés, 314. - Farnèse se
replie sur Bouchain. - Menacé d'être pris à revers, Farnèse se replie sur Valenciennes. -
Entrée d'Anjou à Cambrai, 315. - Les chefs wallons consentent à l'enrôlement de soldats
allemands. - Siège de Cateau-Gambrésis par Anjou, 316. - Farnèse ne réussit pas à
secourir la ville. - Farnèse empêche la jonction des troupes d'Anjou et de celles des
États. - Prise de Saint-Ghislain par le prince d'Epinoy, 317. - Farnèse reprend la place,
318. - Mission du sieur de Montmorin auprès du prince de Parme, 318. - Débâcle de
l'armée du duc d'Anjou, 318. - Farnèse va attaquer l'armée des États. - Pourquol il én
veut surtout au prince d'Epinoy. 319. - Efforts d'Anjou de joindre Epinoy frustrés par
Farnèse, 320. - Farnèse essaie en vain d'attirer les troupes d'Epinoy hors dé leurs retran-
chements de Dunkerque, 321. - Le prince de Parme prend dés mesures pour mettre fin
à l'indiscipline de ses troupes. - Il décide d'entreprendre le siège de Tournai, 321.

CHAPITRE XI

LE DIFFÉREND ENTHE FARNÈSE ET SA MÈRE


AU S.UJET DU GOUVERNEMENT DES PAYS-BAS

Origine du projet de Philippe II de faire retourner Marguerite de Parme en Flandre,


322. - La duchesse l'avait accepté en 1577 dans l'espoir de récupérer la citadelle de
Plaisance, 323. - Granvelle appuie le projet du Roi. 324. - Margueclte accepte en 1579
pour les mêmes raisons, 324. - Instructions de Philippe II pour la duchesse de Parme,
325. - Comment Farnèse accepte d'abord la nouvelle de l'ar-rivée de sa mère, 326. -
Correspondance entre le prince et sa mère pendant le voyage dè celle-ci, 327. - Change-
ment d'attitude du prince en mal 1580. - Pourquoi? - Le différend commence à se
manifester en ce moment, 329. - Hésitations de Marguerite. - Farnèse avoue à son père
qu'il ne veut pas de partage du pouvoir, 329. - Arrivée de la duchesse à Luxembourg. -
Elle pose la question du partage des pouvoirs, 330. - Alexandre sollicite son congé du
Roi, 331. - Entrevue entre le prince et sa mère à Namur. - Mise au courant dé l'opposi-
tion de son fils, la duchesse fait connattre au Roi qu'elle l'enonce au gnuvernément, 332.
- Le marquis de Blchebourg veut que Farnèse reste en Flandré, 332. - Farnèse explique
il. Granvelle les raisons de sa décision de quitter l'Cs Pays-Bas, 333. - Incompréhension de
Granvelle, 333. - Silence gardé par le Roi. - Echange de vues entre Farnèse et son père,
334. - Au moment où son mandat expire, le prince invite sa mère à prendre en mains
le gouvernement. - Refus de Marguerite. - Le prince, à la suite de ses prières et de
celtes du Conseil d'Ét.at, consent à attendre la réponse de Madrid, 335. - Inconvénients
du dualisme de pouvoirs, 336. - Lettre d'Alexandre à sa mère. 337. - Réponse dé Phi-
llppe II: il maintient son opinion, 337. - La duchesse et Alexandre refusent d'obéir. -
Le Roi renouvelle ses ordres, 338. - Lé cardinal {le Granvelle laisse entrevoir à Marguerite
les conséquences probables du refus d'obéir. - Marguerite cède. - Lettre violente du

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prince à sa mère. - Celle-ci en Informe le Conseil d'ÉI.at, 339. - Entrevue pénible du
prince avec sa mère à Namur. -l\.fal'guerlte finit par demander son congé. - Lettre
d'Alexandre au Roi, lui communiquant sa décision de ne pas obéir, 340. - Mission de
Gomlcourt à Madrid. - Le Roi s'obstiné, 342. - Retour d'Aldobrandlno et échec des ten-
tatives du Roi de convaincre Farnèse. - Granvelle fait prévoir la capitulation de Phi-
lippe II, 343. - Le Roi finit par laisser tout le pouvoir à Alexandre Farnèse. - Il demande
à Marguerite de rester en Flandre, sans pouvoirs, 344. - Marguerite sollicite son congé. -
Elle l'obtient enfin en juillet 1583. - Elle compte en vain sur la restltution du château de
Plaisance, 345. - Son départ. - Appréciation sur la conduitë du prince de Parme, 346.

Liste des principaux ouvrages et articles consultés pour le torne II 34.9

Table des planches ""'''''''''''''' 357

Table analytique des matières 359

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