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Langages

Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours ?


Pour une redéfinition du domaine de recherche sur l'acquisition des
langues étrangères
Celia Roberts, Bernadette Grandcolas, MME Jo Arditty

Abstract
This paper recasts the process of learning to use a second language as language socialisation (SLS). But also identifies some
limitations of SLS. The social aspects of language learning and use include not only a study of second language interaction but
also the wider social outcomes of intercultural encounters. Detailed analyses of encounters between minority workers and
gatekeepers from the majority group are used to illuminate the socio-cultural knowledge necessary for SLS. They also shed light
on the ways in which minority workers are ideologically positioned in interaction and so on the potentially hostile environment for
language learning. The link between SLS and wider social processes is illustrated through Gumperz's work on intercultural
communication.

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Roberts Celia, Grandcolas Bernadette, Arditty Jo. Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours ? Pour une
redéfinition du domaine de recherche sur l'acquisition des langues étrangères. In: Langages, 33ᵉ année, n°134, 1999.
Intéraction et langue étrangère. pp. 101-115;

doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1999.2195

https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195

Fichier pdf généré le 02/05/2018


Celia Roberts
Thames Valley University

ACQUISITION DES LANGUES OU SOCIALISATION


DANS ET PAR LE DISCOURS ?
Pour une redéfinition du domaine de la recherche
sur l'acquisition des langues étrangères x

1. Introduction

L'emploi des termes « interaction » et « discours » renvoie toujours, d'une


manière ou d'une autre, à quelque chose de social. Mais si l'on réfère au social et au
contexte socio-culturel dans les processus du développement langagier, ce n'est
souvent que pour lui accorder un rôle marginal. De même, rares sont les chercheurs
qui s'intéressent à l'importance sociale de l'acquisition d'une langue seconde. Par
« importance sociale » j'entends l'effet produit par la multitude d'interactions qui
se jouent quotidiennement sur les identités sociales, les appartenances à des groupes
sociaux et les relations entre ces groupes, mais aussi les conséquences de ces
rencontres interculturelles pour les individus, membres de ces groupes. Le présent
article tente d'évaluer dans quelle mesure les individus réussissent ou non à
construire ensemble et localement du sens, comment ils relient ce sens à des ensembles
plus larges d'expériences et de connaissances, et les conséquences sociales qui en
découlent. Il s'intéresse également à la manière dont ces interactions participent à la
constitution de processus sociaux plus vastes et qui influencent en retour le
déroulement de ces rencontres, fournissant ainsi des conditions favorables ou non à la
production et à l'interprétation des discours. La notion de contextualisation,
empruntée à Gumperz, nous aidera à analyser la socialisation des travailleurs migrants
dans une langue seconde.
Dans un grand nombre de villes de l'Europe de l'Ouest et du Nord,
l'environnement multilingue a remplacé la situation monolingue. Les travailleurs migrants
adultes qui essaient d'y construire une nouvelle vie représentent un groupe
particulièrement significatif pour les chercheurs qui s'appliquent à cerner le domaine des
études sur l'acquisition. Pour beaucoup d'entre eux, le contact avec le groupe
majoritaire s'effectue dans des lieux institutionnels — au travail ou dans des
rencontres avec l'administration — où leur compétence dans la nouvelle langue est mise
à l'épreuve. L'analyse des interactions et des progrès relatifs de ces locuteurs dans
un monde indifférent et souvent hostile amène le chercheur à ne pas considérer les
individus seulement comme des apprenants en langue, mais aussi comme des êtres
sociaux qui s'efforcent de réaliser des objectifs souvent contradictoires. Comme le

1. Je tiens à remercier Mike Baynham et Ben Ramp ton, ainsi que les éditeurs intellectuels de ce
numéro, Jo Arditty et Marie-Thérèse Vasseur, pour leurs commentaires sur des versions de cet article.

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dit Bourdieu, « ce qui parle, ce n'est pas l'énoncé ou la langue, mais la personne
sociale tout entière ». Prendre en compte la « personne sociale tout entière »
suppose que l'on adopte une approche plus globale dans l'étude du développement
d'une langue seconde, qu'il s'agisse de théorie ou de méthodologie.

2. La perspective sociale dans l'acquisition d'une langue seconde (ALS) et


ses limites

2.1. Interaction et pragmatique en ALJS

L'interaction en ALS a évidemment fait l'objet de nombreux travaux, qui


étudient comment certains moyens conversationnels provoquent l'apparition de
certains éléments linguistiques. Dans une veine plus dialogique, des approches
récentes mettent l'accent sur la négociation de « l'input compréhensible » dans
l'interaction sociale. Mais cette focalisation sur le dialogue collaboratif ne modifie
guère la conception traditionnelle du langage comme produit à acquérir plutôt que
comme discours, comme processus social, dans lequel les membres d'une
communauté se socialisent. Si l'on définit maintenant les apprenants comme « constitués
socialement », comme « des êtres responsables qui montrent des dispositions,
enracinées dans leur histoire discursive, pour penser et agir d'une certaine façon »
(Lantolf et Pavlenko, 1995 : 116), l'objectif de l'apprentissage du dialogue reste
défini par l'aptitude à utiliser les unités linguistiques. D'un point de vue
méthodologique, les analyses se concentrent sur un trait particulier du langage, non sur
l'examen en profondeur des interprétations et des réactions locales. Il n'est donc pas
étonnant qu'il n'existe pratiquement pas d'indices ethnographiques confirmant les
conclusions auxquelles arrivent ces chercheurs. La pragmatique de l'interlangue
semblerait apporter un éclairage nouveau sur la personne sociale globale. Mais en
dépit de ses préoccupations pour les facteurs contextuels, les questions essentielles
pour ce type de recherche restent liées au concept étroit de l'apprenant et de ses
capacités à réaliser des actes de parole spécifiques. Cette recherche reste
essentiellement cognitive, comme l'indique la reconnaissance par les auteurs de l'importance
potentielle des phénomènes socio-culturels :
« Ce serait une erreur de considérer les problèmes du développement de la PIL
(Pragmatique Interlangagière) dans des termes purement cognitifs, tant les
stratégies de l'action langagière sont étroitement liées à l'identité personnelle et
sociale » (Kasper et Schmidt, 1996 : 159).

Malgré cette prise de position, les problèmes d'identité sociale n'ont pas à ce jour
été sérieusement pris en compte par les pragmaticiens de l'interlangue, pas plus
d'ailleurs que d'autres problèmes qui dépassent le contexte immédiat de l'énoncé.
Enfin, les recherches qui abordent l'acquisition des langues secondes d'un point de
vue interactionnel et/ou pragmatique perpétuent la tendance plus générale dans ce
domaine à réifier la langue, ce qui fait que le français, l'anglais et les autres langues
sont traitées, sans la moindre remise en question, comme des « langues sources »
homogénéisées .

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2.2. Perspectives sociolinguistiques en ALS

D'un point de vue sociolinguistique, les travaux actuels sur l'acquisition d'une
langue seconde demeurent « asociaux » : apprendre à interagir dans la langue est un
phénomène dont la portée sociale reste ignorée. Le point de vue sociolinguistique se
préoccupe moins du système linguistique et de tels ou tels éléments spécifiques du
développement pragmatique ou discursif que de la langue vue comme un ensemble de
normes, de la diversité linguistique et des idéologies. Cette approche plus globale
s'intéresse plus spécifiquement à l'interaction en tant que pratique communicative,
à la manière dont cette pratique nous aide à comprendre des phénomènes sociaux
plus vastes et à l'impact que ces derniers ont en retour sur les interactions . Cette mise
en relation des éléments globaux (le macro) et locaux (le micro) dans la théorie
sociolinguistique restitue aux interactions leur valeur de lieux où les travailleurs
migrants ne sont pas seulement exposés à de l'input compréhensible qu'ils sont
capables de négocier, mais où ils sont aussi des acteurs sociaux qui mettent en œuvre
leur compétence émergente en langue seconde pour tenter de réaliser des objectifs.
En redonnant aux apprenants leur statut d'acteurs sociaux, on met en lumière
les problèmes d'identité sociale. Le lien entre langue et identité sociale et ses
implications pour Г ALS donnent Heu à des recherches de plus en plus nombreuses où
linguistique appliquée et sociolinguistique se rejoignent. Dans ces travaux, on
considère l'apprenant comme un individu ayant des identités multiples et souvent
contradictoires. Pierce (1995), par exemple, analyse l'investissement personnel et
social de femmes migrantes dans leur apprentissage de l'anglais, et montre comment
il se manifeste dans leurs interactions, où différentes facettes de leurs identités
sociales sont mises tantôt en avant tantôt à Г arrière-plan. L'identité se modifie à
travers le temps et l'espace : l'activité langagière, l'identité sociale et l'appartenance
ethnique sont liées de manière inextricable et examinées dans le cadre de
phénomènes sociaux plus globaux. A partir du moment où l'on fait appel à ces notions
d'identité sociale, la tradition dominante qui traite l' ALS comme un phénomène non
social est remise en question.

3. Socialisation langagière

L'une des alternatives possibles à cette absence de prise en compte du social est la
perspective connue sous le nom de socialisation langagière. Ce concept, d'abord
développé en anthropologie pour décrire le processus par lequel un enfant s'intègre
peu à peu à la communauté dans lequel il grandit, a été récemment élargi à la
socialisation dans une seconde langue (SSL - Duff, 1996). Il inclut à la fois la
socialisation requise dans l'utilisation de la langue lors de séquences interactionnel-
les spécifiques et le processus de socialisation par la langue — moyen indirect de
développer des connaissances socio-culturelles. Alors que le paradigme dominant en
ASL a été la création et l'expérimentation de modèles censés décrire comment tel ou
tel phénomène linguistique est perçu, mis en mémoire et récupéré, les travaux sur la
socialisation langagière s'appuient sur l'observation participante. Des études sur les
travailleurs migrants, fondées sur l'utilisation de la langue en situation, fournissent
des données plus proches des études portant sur la socialisation de l'enfant. Les
données de ce type nous offrent un éclairage sur les processus de SSL, à condition de

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les compléter par des données ethnographiques sur les événements langagiers, ainsi
que sur les parcours et identités individuels des participants. Dans l'exemple
suivant, Marcello, travailleur italien en Allemagne, est interviewé par T, conseiller à
l'Agence pour l'Emploi.

Exemple 1 2
1. M : wir muss vergessen <rires>
il faut oublier
2. T : ja + gut + dann hátten wir die saache fur heute
ok bon ça suffit pour aujourd'hui
3 und wenn sie also in zukunft noch fragen haben kommen sie bei mir vorbei ja
et si vous avez un jour d'autres questions passez me voir d'accord
4. M: ja
oui
5. T : <rufen sie an> ok <se cale dans son fauteuil, parle doucement,
passez-moi un coup de fil ok regarde la porte, se lève>
6. M : so und jetzt mues ich gehen
bon faut que j'y aille
7. T :

8. M : < > <Ils rient tous les deux>


9. T : wiedersehen
au revoir
10. M : wiedersehen danke
au revoir merci
(Bremer et al., 1996 : 60-61)

Le temps pris en 5 par les actions non verbales de T et le fait qu'elles déclenchent
chez Marcello non plus le simple phatème ja, mais une topicalisation explicite de
l'acte de départ permettrait, à première vue, d'interpréter ce qui précède comme un
exemple d'échec pragmatique. 4 ne suffit en effet pas à considérer que Marcello a
identifié les signaux linguistiques de préclôture de T, tels ja, gut, ou l'opposition
entre fur heute et le in zukunft qui situe les actions évoquées dans l'avenir, alors que
sa réaction aux indices non-verbaux est claire : T est bel et bien en train de prendre
congé.
Mais l'enjeu dépasse largement celui du repérage de quelques signaux de
préclôture (regrettons au passage que les signaux non verbaux, éléments décisifs de
l'environnement interactif, soient rarement pris en considération par la
pragmatique linguistique). On peut voir dans cette séquence un moment de socialisation
langagière, d'apprentissage d'un type de discours institutionnel : pour comprendre
quand, comment et pourquoi le conseiller met fin à l'entretien, Marcello doit
apprendre à gérer les rencontres avec l'administration selon les normes, les rapports
sociaux et les objectifs en usage dans ce type d'entretien.

2. Conventions de transcription :
+ Courte pause < > Commentaire sur la manière de parler, etc.
[ ] Chevauchement (xxxx) Mot inaudible ou omis

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Les données ethnographiques en provenance d'expériences vécues par des
travailleurs migrants lors d'entretiens avec des administrations (Bremer et al. , 1996 ;
Gumperz, 1982a et b ; Roberts et al., 1992) semblent indiquer que les
interprétations des droits, des responsabilités et des attentes qui concernent des objectifs
spécifiques, ainsi que les limites de ce qui constitue le domaine personnel, peuvent
être très différentes chez le migrant et chez le fonctionnaire qui le reçoit. Dans
l'exemple ci-dessus, une des difficultés que rencontre Marcello tient à ce que
l'entretien s'achève d'une manière peu satisfaisante. Alors que pour les conseillers pour
l'emploi, ces entretiens sont l'occasion de discuter les préférences professionnelles
de l'interviewé, les travailleurs migrants s'attendent plutôt à obtenir des
informations précises sur des emplois précis. C'est lorsqu'ils les ont obtenues qu'ils
s'attendent à ce que l'entretien soit terminé. Or ici le conseiller met fin à la rencontre alors
que, après avoir obtenu quelques renseignements sur Marcello, il s'est contenté de
lui prodiguer quelques vagues conseils.
La socialisation langagière implique à la fois l'interprétation de signaux
pragmatiques, qui peuvent être, comme dans cet exemple, multiples et redondants, et la mise
en relation de cette interprétation avec celle des enjeux et des fonctions des situations
où apparaissent ces signaux.
Les exemples de divergences sont également fréquents lorsqu'il s'agit de
catégoriser l'expérience professionnelle, technique, et de l'exercice des responsabilités
— souvent, en conséquence, du statut social. Dans l'exemple suivant, Ilhami,
travailleur turc en Allemagne, lors d'un entretien en vue d'un stage dans un garage,
doit répondre à une question sur la profession de son père.

Exemple 2
1. T : e was arbeiť dein vater was macht er von beruf ?
que fait ton père quel est son métier ?
2. I : metalberuf [und]
dans le métal
3. T : [ja] und
oh et
4.1: <wxxxx> schnellpreese <donne le nom de la ville>
emboutissage à wxxxx
5. T : in der schnellpresse in w.
dans l'emboutissage à wxxxx
6. I : [ja] mhm
oui
7. T : [ja] und dort tut er metali ?
et là il travaille le métal ?
8.1: metali [und]
le métal et
9. T : [aha]
10. I : die machen auch das macht au s papier
ils font aussi ça fait aussi du papier
11 T : mhm ah so ist das
mhm ah с 'est comme ça
(Bremer et al. , 1996 : 63)

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Les multiples relances de T dans cette séquence manifestent le caractère
insatisfaisant pour lui des réponses d'Ilhami. Mais il n'explicite jamais ce qu'il cherche à
savoir. Or, ce que montrent de nombreux entretiens d'embauché, c'est que le
recruteur potentiel ne se contente pas de renseignements sur les compétences
techniques mais cherche à connaître le ou les postes occupés, c'est-à-dire le statut social
du demandeur et, éventuellement, comme ici, de membres de sa famille -
interprétation qu'Ilhami n'envisage pas ou refuse d'envisager. Thomas (1983) parlerait ici
encore d'échec socio-pragmatique. Mais ce terme tend à mettre l'accent sur les
difficultés pragmatiques, plutôt que d'éclairer le processus de socialisation
langagière.

4. Quelques problèmes liés au modèle SLS

4.1. Le modèle SLS et l'apprentissage

On peut voir le modèle SLS comme un modèle d'apprentissage : avec le temps,


l'apprenant prend part à la vie interactionnelle de sa nouvelle communauté et,
progressivement, est initié à ce que l'on tient pour les discours spécifiques de cette
communauté. La conception de l'apprentissage sous-jacente à un tel modèle est que
l'on apprend en agissant. Ainsi, par exemple, les interactions du travailleur migrant
avec son contremaître lui apprennent à évaluer son rôle lorsqu'il doit répondre à des
critiques sur la qualité d'un produit (Clyne 1994). Cet apprentissage correspond en
partie à ce que Rogoff appelle « l'orchestration sociale de la pensée à travers les
institutions culturelles et les techniques normatives de résolution de problèmes »
(Rogoff, 1984 : 5). Mais la socialisation va bien au-delà d'un apprentissage cognitif
dans des contextes sociaux. Elle présuppose un processus d'appartenance à la
nouvelle communauté. Et c'est ici que la notion de SLS devient problématique, dans
la mesure où elle suppose que « les groupes sont des touts socioculturels homogènes
et que leurs membres potentiels finissent par atteindre le terme d'une expertise qui
ferait d'eux des membres à part entière » (Rampton, 1995b : 487).
Le modèle d'apprentissage de la SLS n'explique donc pas tout. Il ne prend que
très partiellement en compte les relations entre les discours auxquels sont soumis les
apprenants et les apprenants eux-mêmes. En d'autres termes, ce modèle est par trop
fonctionaliste. Il minimise le problème global d'identification des rôles et d'identité
personnelle que posent l'apprentissage et l'utilisation d'un nouveau discours, ainsi
que la nature construite des contacts interculturels dans des sociétés plurielles et
fragmentées .
On ne peut se contenter de présenter la socialisation par le langage comme le
moyen d'acquérir la compétence socioculturelle, comme si cette connaissance
correspondait à un ensemble stable de connaissances. L'idée d'une initiation
progressive aux discours préexistants d'une communauté renvoie à un modèle fonctionnel,
simpliste, qui ne correspond pas aux données que nous avons recueillies. De tels
entretiens ne servent pas seulement à transmettre, même indirectement, les
connaissances socioculturelles nécessaires, ce sont des lieux de construction des identités
sociales, des lieux où les interactants se voient attribuer des places et où ils se
positionnent eux-mêmes. C'est dans le cadre de formations discursives particulières

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que les gens s'expriment. Dans le cas des travailleurs migrants, cela inclut les
discours liés à l'appartenance ethnique et sociale (et plus généralement au racisme),
à leur compétence de communication, à leur compétence telle qu'elle est perçue ainsi
qu'au positionnement local qui apparaît lors de chaque interaction.

4.2. Se positionner dans et par le discours

Un examen détaillé de la façon dont les interactants se positionnent et sont


positionnés éclaire certains des problèmes que rencontre une vision orthodoxe de la
socialisation langagière. Les différents travailleurs migrants s'investissent dans les
interactions et dans le processus de socialisation langagière de manière différente et
sont eux-mêmes définis de manière relativement différente par la société d'accueil.
Le programme de recherche Acquisition d'une langue seconde par les travailleurs
migrants (Perdue, 1993 ; Bremer et al., 1996) offre de nombreux exemples de ces
divers positionnements. C'est ce qu'illustre par exemple le contraste entre deux
informateurs italiens en Grande-Bretagne qui se renseignent en vue d'un achat dans
une agence immobilière (Roberts et Simonot, 1987) : l'une des stratégies de Santo,
qui contribue à l'impliquer dans la conversation, est de faire des commentaires
généraux d'ordre évaluatif .

Exemple 3
1. N : then you might get one for about fifty or sixty +
alors vous pourriez en trouver un pour cinquante ou soixante
or say forty-eight sixty something like that
ou disons quarante huit soixante quelque chose comme ça
2. S : very expensive area anyway
quartier très cher de toutes façons
3. N : well this / this is expensive this is less expensive
ben là I là с 'est cher là с 'est moins cher

alors que les stratégies d'Andréa sont d'ordre réactif ; il tend à ne développer que les
thèmes que l'agent immobilier a implicitement approuvés :
l.N : blackstock road, er that's a one bedroom flat
Ыаск stock road, euh y a qu'une chambre
2. A : yeah
ouais
3. N : it's not two bedrooms
y a pas deux chambres
4. A : mhm

Les efforts de socialisation que Santo déploie pour maintenir le Hen


conversationnel lorsqu'il a affaire à des prestataires de services a pour conséquence qu'il
obtient d'eux des commentaires plus utiles et plus détaillés. Les interactions
auxquelles participe Andrea sont moins réussies et n'offrent pas d'occasions
d'apprendre à maîtriser ce type d'implication conversationnelle et, comme le montre
l'observation ethnographique, le marginalisent progressivement sur le plan social comme
sur le plan du discoure (Roberts & Simonot, 1987).

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Chez d'autres informateurs du programme, l'apprentissage des connaissances
socioculturelles est teinté par leur expérience de vie dans une société raciste.
Abdelmalek, travailleur marocain qui vit en France, interrogé sur ses stratégies de
politesse, explique par exemple comment il a appris à se concilier les plus racistes de
ses interlocuteurs en se montrant particulièrement poli à leur égard (Bremer et al. ,
1996).
Des données recueillies dans des usines britanniques multilingues illustrent
également les positionnements stratégiques adoptés par certains travailleurs
migrants pour essayer de co-construire un argument en leur faveur. Dans l'exemple qui
suit, IA essaie d'obtenir un travail pour son fils dans l'usine où il travaille. Le
problème est que son fils n'a que 16 ans et n'a pas le droit de faire les 55 heures
hebdomadaires réglementaires :
Exemple 5
1. Madame B. : Can't help him
J'peux rien faire pour lui :
2. IA : What for?
Pourquoi ?
3. Me В . : All the men in this mill are on 55 hours
Tous les hommes ici font 55 heures
4. IA : 55 hours ?
55 heures ?
5 Me В.: All the men
Tous les hommes
6. IA: Old men?
Les hommes âgés ? <malentendu entre old et all>
7. MeB. : All men
Tous les hommes
8. IA : Young men and just 8 hours every day
Les jeunes juste 8 heures chaque jour
9. Me S . : But Mrs В says not the OLD men. All the men -
Mais Madame B. ne dit pas les hommes âgés, mais tous les hommes,
everybody - must work 55 hours.
tout le monde doit travailler 55 heures
10. Me B. : Ladies work 40 hours
Les dames font quarante heures
11. IA : This is young boy, the same like lady (rire)
Lui, jeune garçon, la même chose qu'une dame
12 . They are too young.
Ils sont trop jeunes
If not wanted then too long time. . . just 40 hours per week
Si pas voulus alors (= parce que) temps trop long
(sous-entendu : qu 'on les prenne) juste 40 heures par semaine
(Roberts et al. , 1992 : 39)
En dépit du malentendu qui surgit en 6, IA, en 8 et 11-12, commence à négocier
un contournement des règles de l'entreprise. Il le fait en s'appuyant sur l'affirmation
de Madame B. , qu'il prolonge par sa propre caractérisation des jeunes gens et, pour
que celle-ci ne soit pas vue comme une stratégie de distanciation mais bien de

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solidarité, il indique par son rire que leur assimilation à des femmes doit être prise
comme une plaisanterie. Il se trouve dans de bonnes conditions pour améliorer sa
compétence socio-culturelle : ses affirmations reçoivent un écho favorable chez
Madame B. et à la fin de l'entretien elle accepte de parler du fils de IA au
contremaître.
La nature contingente d'un tel positionnement interactif souligne la variabilité
des normes de production et d'interprétation d'une situation d'interaction à l'autre.
Mais ces normes dépendent aussi de conditions socio-politiques qui dépassent ces
situations — comme par exemple les inégalités qui existent dans une société
multilingue stratifiée. C'est pourquoi un modèle SLS doit également rendre compte des
idéologies qui nourrissent les interactions en même temps qu'elles y sont construites.

4.3. Pratique langagière et idéologie

En envisageant le langage comme une pratique sociale, nous percevons mieux


l'élément idéologique dans les interactions. Le terme « pratique » a été l'objet de
nombreuses discussions dans les études appelées « New Literacy Studies » 3 en
Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. S 'agissant en l'occurrence de littéracie, on
entend par « pratique » à la fois l'acte et les connaissances et représentations qui s'y
attachent. Ainsi, ce qui peut compter comme compétence de lecteur-scripteur dans
un sous-groupe social est déterminé par ceux qui occupent une position dominante
dans la société. Les pratiques de lecteur-scripteur sont donc profondément liées à
l'identité et à la position sociale.
Cette notion de « pratique », englobant à la fois l'action et les idéologies qui
l'entourent, a également été utilisée et débattue par la linguistique critique et
anthropologique. Fairclough (1992) insiste sur le fait que les pratiques langagières ne
se construisent pas seulement à partir des connaissances socio-culturelles, mais aussi
à partir des discours produits avant, pendant et après l'interaction. Ceci pose entre
autres la question de ce qu'est le locuteur d'une langue donnée, de ce qu'est un
locuteur non natif, de ce que certains appellent la langue-cible, etc. Même si cette
problématisation a influencé la linguistique appliquée, elle n'a eu que peu d'impact
dans les courants dominants en ASL. Or les idéologies en vigueur sur le langage
catégorisent par exemple le travailleur migrant comme « non natif » , « locuteur de
langue seconde », « piètre communicateur », etc. Et ces catégorisations, qui
nourrissent les interactions et en sont nourries, se retrouvent dans les discours plus
généraux sur la langue et l'ethnicité.
Dans la tradition britannique, deux ensembles de discours sur l'ethnicité sont en
conflit. La première tendance est patente dans la politique gouvernementale comme
dans le discours populaire. C'est une vision essentialiste des groupes ethniques, qui
tend à assimiler pays, langue et ethnicité et à rejeter les groupes ethniques
minoritaires sur la base de leur incompétence en anglais (voir Gilroy, 1987, pour une

3 . NDT : Sur le modèle des Suisses et des Canadiens , noue traduirons par « littéracie » le terme anglais
qui renvoie au domaine de l'accèe et de la relation à la langue écrite et/ou savante lorsque le contexte ne
permettra pas une paraphrase plus éclairante (ex. : « compétence / pratique de lecteur-scripteur »
ci-dessous).

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discussion). Aux Pays-Bas, van Dijk et ses associés ont mis à jour des processus
similaires dans les discours de l'élite, qui montrent :
« . . .comment les croyances ethniques s'expriment, s'acquièrent et se répandent
à travers le groupe dominant de manière stratégique, c'est-à-dire comme élément
de la gestion des problèmes ethniques, de la reproduction du pouvoir de l'élite et
de la domination des blancs » (Van Dijk et al., 1997 : 165).

Les données recueillies dans des entreprises britanniques à la fin des années 1970
(Roberts et al., 1992) fournissent un exemple extrême de ce premier ensemble de
discours. Dans le cadre d'une procédure normale de recrutement, l'un des
responsables posait en anglais la série habituelle de questions aux candidats. L'un d'eux,
originaire du Sud-Est asiatique, venait de répondre à plusieurs questions d'ordre
personnel et sur son expérience professionnelle antérieure, quand on lui demanda
Parlez-vous anglais ?, question à laquelle il répondit En quelle langue croyez-vous
que je vous parle en ce moment ? Conformément au discours ambiant à l'époque,
selon lequel il était peu probable que quelqu'un arrivant d'Asie du Sud-Est parlât
anglais, ce responsable était convaincu d'avoir à nouveau affaire à quelqu'un
d'incompétent en anglais et la preuve vivante du contraire ne semblait pas suffire à
ébranler cette certitude. Il n'est pas difficile d'imaginer les résultats d'une rencontre
de ce type ni les tensions qu'elle est susceptible d'engendrer chez un travailleur
migrant qui a besoin de devenir un membre actif de la nouvelle communauté, ainsi
catégorisé de manière insultante par un membre de cette communauté comme ne
parlant pas la langue.
Le second ensemble de discours trouve sa source dans les Etudes Culturelles
menées en Grande-Bretagne et en particulier dans la notion, développée par Hall,
des « nouvelles ethnicités » (Hall, 1988) et ce que Hewitt a appelé les « vernaculaires
locaux multiraciaux » (Hewitt, 1986). Des recherches récentes ont montré la
déstabilisation des ethnicités héritées et l'émergence de nouvelles identités ethnolinguis-
tiques, qui mettent en cause les idées essentialistes et orthodoxes de langue et de race
(Hewitt, 1986 ; Gilroy, 1987 ; Rampton, 1995a).
Selon ce second ensemble de discours, le processus de socialisation dans une
langue seconde ne consiste pas simplement à devenir un communicateur compétent
dans un groupe social donné. Il s'agit plutôt d'un processus hybride qui consiste à
apprendre à devenir membre d'une communauté tout en restant différent — à avoir
plusieurs identités et affiliations sociales à plusieurs langues (Pierce, 1995), cette
multi-appartenance influençant à son tour les formations sociales qui déterminent ce
que signifie la socialisation .

5. Contextualisation et processus sociaux plus vastes

Le lien entre la SSL et ces processus sociaux plus globaux est bien illustré par les
études de Gumperz et leur reformulation récente dans Eermans et al. (1997). Le
reste de l'article examinera plus en détail ce rapprochement. Comme l'affirme
Levinson dans le même volume :
« ... ce sont les effets sociologiques à grande échelle d'une multitude de petites
interactions qui continuent à nourrir son intérêt (celui de Gumperz) pour les

110
conversations, surtout quand il se préoccupe du sort de l'individu pris dans ces
forces plus vastes. » (Levinson, 1997 : 24)
Nombre des éléments centraux pour une redéfinition de l'acquisition d'une langue
seconde comme phénomène social sont correctement rendus dans cette formulation.
L'accent mis sur le micro — l'analyse détaillée des conversations — est lié à sa
pertinence au niveau du macro — celui des processus sociaux à grande échelle où les
réseaux, les identités et les liens sociaux se structurent et sont restructurés. Dans
cette optique, une redéfinition de l'ASL doit prendre en compte le fait que, comme
l'affirme Gumperz, les individus sont pris dans ces mouvements sociaux. Chaque
rencontre où différentes langues sont en présence est donc à la fois une occasion de
socialisation, mais aussi un lieu où les discours dominants sur le langage et l'ethnicité
restent le cadre dans lequel identités et relations se manifestent, même lorsque les
liens interpersonnels s'appuient sur des conventions de respect. C'est peut-être
pourquoi Levinson parle du « sort » des individus, dans la mesure où les
interactions socioculturelles qui se déroulent couramment dans des lieux institutionnels
sont des rencontres inégales.
La préoccupation de Gumperz pour la dimension linguistique de l'action sociale
permet de voir comment l'association d'indices linguistiques et de la connaissance de
Г arrière-plan culturel et social contribue (ou non) à l'implication des individus dans
la communication et aux résultats qui en découlent au niveau individuel comme au
niveau collectif. Ce qui l'intéresse ce sont donc les pratiques communicatives (au
sens où « pratique » a été défini ci-dessus). Pour analyser ces pratiques, Gumperz
utilise une panoplie éclectique et, comme le suggère Levinson, son approche n'a rien
de la netteté théorique de l'Analyse Conversationnelle (Levinson, op. cit. : 24).
Gumperz utilise des notions pragmatiques dans ses procédures interprétatives, mais
au sein d'une perspective sociologique plus vaste. Il a également été très influencé
par l'Analyse Conversationnelle. Comme dans l'AC, son analyse est centrée sur les
procédures des participants, sur la manière dont ils utilisent leurs ressources
interactionnellee pour maintenir l'interaction et créer un niveau commun
d'interprétation. Mais, pour Gumperz, l'AC est limitée, dans la mesure où les
interprétations des participants sont vues comme dépendant de l'ordre séquentiel plutôt que
d'une implication active. Et pour Gumperz cette implication repose sur deux termes
clés : « inference conversationnelle » et « contextualisation ».
La capacité de comprendre les interactions et d'intégrer socialement des
communautés nouvelles de pratiques nécessite un certain partage des processus d'infé-
rence. Les interlocuteurs ne partagent pas forcément conclusions et interprétations
sur le sens des choses, mais leur traitement des situations est suffisamment proche
pour qu'ils puissent interagir et accomplir au besoin certains types de «
réparations » . Il ne s 'agit en aucun cas de partage absolu, aucune conclusion sur le sens des
choses ne va de soi, chacune doit être co-construite. Et, comme je l'ai suggéré plus
haut, être compétent ne signifie pas seulement apprendre à gérer le discours
institutionnel, puisque ce sont justement les discours institutionnels qui peuvent mettre
l'alloglotte dans une position de résistance ou au moins d'ambiguïté par rapport à la
communauté majoritaire.
Cependant le processus de socialisation, malgré son ambiguïté, doit s'appuyer
sur la négociation du sens local à travers l'inférence conversationnelle. Le problème
est le suivant : quels sont les liens entre les signes linguistiques que les participants

111
doivent traiter et l'inférence conversationnelle ? Gumperz a proposé la notion
d'« indices de contextualisation » pour rendre compte de la manière dont ces signes
sont reconnus par les participants. La contextualisation comprend :
« toutes les activités des participants qui justifient, maintiennent, modifient,
révisent, annulent tous les aspects du contexte, qui à leur tour sont responsables
de l'interprétation d'un énoncé dans son lieu d'occurrence » (Auer, 1992 : 4).
Les indices de contextualisation sont définis comme :
« des constellations de traits de surface dans la forme du message... Les moyens
par lesquels les locuteurs indiquent la nature de l'activité et les auditeurs
l'interprètent, comment le contenu sémantique doit être compris et comment
chaque phrase est liée à ce qui précède et ce qui suit » (Gumperz, 1982a : 131).

Ces indices servent à mettre en avant ou à faire ressortir un trait linguistique


particulier par rapport à d'autres, et ainsi à évoquer des interprétations en
situation. Par exemple, le conseiller pour l'emploi dans l'exemple 1 prépare la clôture de
la séquence avec les mots ok et bon, prononcés tous les deux avec une intonation
descendante. Ces indices de contextualisation sont les marques habituelles dans une
interaction de la clôture d'un sujet ou d'une « activité » (Gumperz, 1982a).
Les indices de contextualisation mettent en jeu des connaissances d'arrière-plan
liées aux connaissances traditionnelles en linguistique et pragmatique, et aussi au
domaine des relations sociales, aux droits et aux obligations, aux idéologies
linguistiques, etc. (cf. le commentaire de l'exemple 2 ainsi que Tyler, 1995, à propos de la
négociation interactive du statut des participants).
Les indices de contextualisation ne sont pas seulement chargés d'un poids social
et culturel important, la manière dont ils renseignent sur le contexte les rend
problématiques pour le locuteur minoritaire. Dans sa proposition d'un cadre
d'analyse pour les indices de contextualisation, Levinson insiste à juste titre sur le fait que
message et contexte ne sont pas en opposition — le message peut être porteur du
contexte ou le manifester (Levinson, 1997 : 28). Ce qui fait que parvenir à un certain
niveau de compréhension mutuelle et pouvoir tirer des leçons de cette expérience
sont des processus extrêmement complexes. Selon Levinson, les indices de
contextualisation renseignent sur le contexte de manière particulière. L'indice est :
«... un rappel conventionnel, comme un noeud à son mouchoir, où le contenu du
rappel est déterminé par inference. Aussi on ne peut pas dire que l'« indice »
encode ou évoque immédiatement l'arrière-plan interprétatif, il ne sert que de
coup de pouce au processus d'inférence... Le processus interprétatif peut être
guidé par des principes pragmatiques généraux de type gricéen, et donc
présenter des traits relativement universel, alors que les « indices » n'ont rien
d'universel et tendent même à se différentier selon les sous-groupes culturels »
(Levinson, 1997 : 29).

Plusieurs problèmes se posent ici pour les locuteurs des minorités linguistiques.
Il leur faut d'abord repérer l'existence d'un indice (exemple : un trait prosodique
particulier peut avoir une signification conventionnelle dans une langue ou une
variété de langue et pas dans une autre). Ensuite, comme le suggère Levinson, ce
n'est pas un indice spécifique qui révélera directement l'arrière-plan socio-culturel.

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Il ne fera que déclencher le processus d'inférence. Sauf si les interactants partagent
les mêmes procédures interprétatives, on ne peut savoir quels aspects des
connaissances d'arrière-plan peuvent être mobilisées. En troisième lieu, il faut tenir compte
du caractère réflexif des indices de contextualisation : la langue fabrique le contexte
tout autant que le contexte fabrique la langue. Aussi les interlocuteurs appartenant
aux groupes majoritaire et minoritaire peuvent-ils avoir des jugements différents,
linguistiquement et contextuellement, à chaque instant du déroulement de
l'interaction : un indice prosodique mal décodé peut par exemple induire une série de
presuppositions à propos de la perspective du locuteur, ce qui crée un nouveau
contexte interprétatif et place l'interaction à un niveau différent.
Ces problèmes sont fondamentaux pour la compréhension de ce que signifie
« être socialisé dans une langue seconde » . La signification des indices de
contextualisation ne peut être apprise que grâce à une longue exposition aux pratiques
communicatives du groupe ou réseau d'où vient le locuteur de la langue majoritaire :
« C'est dans une exposition de longue durée à (...) l'expérience communicative
dans des réseaux institutionnalisés de relations, et non dans l'appartenance à la
communauté linguistique en tant que telle, que peuvent s'enraciner une culture
et des pratiques inférentielles partagées » (Gumperz, 1997 : 15).

La nécessité de cette longue exposition ou immersion vient de ce que, comme je


l'ai dit, le lien entre l'indice et le contexte est indirect. Les indices fonctionnent de
manière relationnelle, c'est-à-dire par contraste avec ce qui n'a pas été dit ou vient
d'être dit, etc. (Gumperz 1992). De plus, nombre des propriétés formelles de la
contextualisation, entre autres certains aspects de la prosodie, sont difficiles à
analyser. Enfin, elles se rapportent plus au contexte qu'au message, alors que c'est
vers le traitement du message que l'apprenant a tendance à porter son attention.
Tout cela explique le caractère fuyant des indices de contextualisation.
Tout aussi important est le fait que les indices contextuels sont des marqueurs
d'appartenance à un groupe particulier. Savoir utiliser et interpréter un indice
donné montre, au moins au moment de l'interaction, que l'on fait partie du groupe.
Au contraire, si un indice n'est pas repéré, un malentendu se crée, avec pour
conséquence immédiate l'isolement et la disqualification de l'alloglotte du statut de
membre émergent de la communauté communicative. C'est pourquoi des différences
interactives minimes peuvent avoir d'importantes conséquences sociales à la fois
pour l'individu, qui peut, par exemple, se voir refuser un logement ou un travail, et
pour l'ordre social, dans la mesure où elles contribuent à la structuration des
relations ethniques dans une société multilingue.
En conséquence, la contextualisation fonctionne à la fois au niveau micro,
guidant (ou non) pas à pas les processus d'interprétation, et au niveau macro, en
indexant « ces valeurs implicites d'identité relationnelle et de pouvoir (...) connues
sous le nom de culture » (Silverstein, 1992 :57). Les significations locales et les
phénomènes idéologiques globaux sont profondément intriqués. Il ne suffit pas de
parler d'échec pragmatique ou même de socialisation dans un corps stable de
connaissances socio-culturelles. Il s'agit davantage d'une bataille pour le sens, et ce
à différents niveaux. Tout élément en provenance d'un côté ou de l'autre peut
manquer de stabilité et créer en situation des contextes nouveaux et déroutants. Mais
la bataille autour du sens se déroule aussi à un niveau plus large, socio-politique. Il

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s'agit de savoir ici ce qui est considéré comme sens. Prenons l'exemple de
l'interaction d'un migrant au sein d'un organisme social ou à une administration. Qu'est-ce
que le représentant de cette administration a le droit de savoir ? Qu'est-ce qui est
considéré comme un témoignage adéquat et pertinent ? Sur quelle base le candidat
sera-t-il jugé ? L'incertitude qui règne dans ces interactions fait vite place au
caractère péremptoire, a posteriori, des jugements et des positions, puisque c'est le
fonctionnaire, en tant que représentant d'une institution sociale importante, qui
contrôle la manière dont la réalité est représentée et contribue au discours dominant
sur les identités des minorités. Même si le fonctionnaire se montre respectueux, les
travailleurs migrants, comme je l'ai indiqué plus haut dans le cas d'Abdelmalek,
sont conscients du racisme qui existe dans le groupe dominant et il est peu
vraisemblable dans ces conditions que la rencontre aboutisse à un processus orthodoxe de
socialisation. Il est possible que le migrant développe sa compétence à interpréter des
indices de changement de topique, voire à comprendre les objectifs de ce type
d'entretien. Mais la nouvelle compétence née de ces connaissances socio-culturelles
peut avoir pour contrepartie ambiguïtés, anomalies ou résistance. La socialisation
implique un sens d'« appartenance » à une nouvelle communauté, or les institutions
où la socialisation langagière peut se faire représentent le différent, l'« autre », et
même l'hostile et le discriminatoire.
L'instabilité du sens et le conflit à propos du sens créent un ensemble complexe de
conditions sociales, dans lequel on peut ou non trouver un potentiel de succès
communicatif et matériel, qui contient ou non un potentiel de socialisation dans la
langue et d'appétence pour ce processus. Etant donné les discours en vigueur sur les
minorités ethniques, chaque interaction interculturelle peut tout à la fois générer des
conditions défavorables à l'apprentissage de la langue et venir renforcer ces discours
chaque fois qu'un malentendu ne peut se résoudre.

6. Quelques implications méthodologiques

Le lien entre le micro et le macro dans la redéfinition de l'ALS comporte des


implications méthodologiques comme des implications théoriques. Comme plusieurs
exemples l'ont montré dans cet article, l'analyse du texte, utilisant l'analyse
conversationnelle et une optique sociolinguistique et inter actionnelle, est essentielle à la
compréhension de l'ordre séquentiel de l'interaction, mais elle a besoin d'être
complétée par les méthodes ethnographiques. L'AC se préoccupe des procédures
générales utilisées par les participants dans la réalisation d'une interaction ; les
chercheurs ont aussi besoin d'une méthode qui leur permette de rendre compte des
processus d'inférence en situation. Dans la communication interculturelle, la
compréhension des manières conventionnelles d'interpréter le sens dans un groupe
particulier passe pour l'analyste par la participation aux routines quotidiennes de ce
groupe.
Les méthodes ethnographiques sont également nécessaires pour comprendre la
subjectivité des interactants (Bremer et al., 1996 ; Gumperz, 1982b ; Pierce, 1995).
Les entretiens ethnographiques et la participation régulière à la vie de sous-groupes
particuliers aident l'analyste à comprendre comment les travailleurs migrants se
positionnent dans les entretiens asymétriques et à analyser l'effet à long terme de ces

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interactions sur la motivation individuelle, l'investissement personnel et social et la
construction des identités sociales à l'intérieur des relations de domination qui
caractérisent une société multilingue.

7. Conclusion

L'examen de l'environnement à l'intérieur duquel un groupe particulier — les


travailleurs migrants dans une société multilingue stratifiée — doit développer sa
compétence communicative nous a amenée à poser plusieurs questions sur Г ASL et
sa perspective relativement asociale. La « socialisation dans la langue » offre une
meilleure description du processus qui amène à devenir un acteur social dans une
nouvelle langue, mais, dans sa forme orthodoxe, elle ne rend pas vraiment compte
des liens entre les micro-processus interactionnels et les macro-problèmes sociaux.
Les discours du racisme, de l'indifférence et de la stratification nourrissent les
différences interactives locales, les malentendus et l'opposition latente ou déclarée,
en même temps qu'ils s'en nourrissent. Les environnements créés par ces forces
sociales, aux niveaux micro et macro, produisent des conditions de compréhension et
de production complexes et souvent défavorables à la compréhension et à la
production de discours dans une langue seconde.
En examinant ces conditions, il est possible de commencer à redéfinir le
processus d'acquisition d'une langue seconde, mais ce faisant, la possibilité même d'une
socialisation orthodoxe en langue seconde se trouve remise en question. Apprendre
à appartenir à une communauté nouvelle peut aussi signifier apprendre à résister, ou
du moins adopter une attitude ambiguë envers les connaissances et les discours
socio-culturels qui la constituent. Comme dans beaucoup d'autres domaines
théoriques et pratiques, la transformation de l'Europe de l'Ouest en société multilingue
éclaire le processus d'acquisition d'une langue seconde et place la dimension sociale
au centre de la redéfinition du champ .

traduit par Bernadette GRANDCOLAS et Jo ARDITTY

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