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A propos de Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss mourut il y a un peu plus d'un an, âgé de 100 ans, il laisse
derrière lui un héritage curieux et contesté. Pour le Français,il représentait un
genre de monarchie intellectuelle. L'édition complètes de ses œuvres, parues
dans la collection de la Pléiade correspondait à une canonisation rare pour un
écrivain de son vivant. Lors de sa dernière apparition à la télévision, c'était
moins l'invité qu'un objet de vénération. Quelque temps avant la fin, le
Président Nicolas Sarkosy lui fit sa cour en lui souhaita un bon anniversaire
chez lui.
"Tout les anthropologistes français sont les enfants de Lévi-Strauss" clamait le
Monde dans son hommage mortuaire. Il est vrai qu'on trouve rarement une discipline des sciences
humaines à laquelle il ne serait pas intéressé. Sa conception du mythe bouleversa la vision
comparative des hautes cultures européennes et des cultures dites primitives. elle draina une partie
des publics marxistes orthodoxes et existentialiste sartrien. Il n'aimait guère aborder sa paternité
intellectuelle mais les carrières de Jacques Lacan, Roland Barthes, Louis Althusser et Michel
Foucault s'imaginent mal sans lui. Pour beaucoup de ses lecteurs étrangers y compris les critiques
anglo-saxons, la nature de ses réalisations est plus difficile à appréhender. Il est, sans nul doute, le
pourvoyeur d'un sens puissant, mais sa rigueur rend suspicieux et son impressionnisme
profondément idiosyncratique est en délicatesse avec la théorie générale.

On l'accuse de réduire le sens de l'existence humaine à un amoncellement de saveurs contrastées,


cru et cuit, frais ou pourri, humide ou sec. D'autres prirent son programme structuraliste comme l'
alibi d'une entreprise foncièrement artistique. C'était l'homme, qui ,après tout avait une fois écrit,
quelque part au milieu de l'Amazone, une tragédie sur Auguste et dont l'opus majeur, les quatre
volumes de Mythologies (1964-71) composés en séries de mouvements musicaux dédiant un note à
chaque mythologie. Avec ce type d'appréciation, l'ambition de Lévi-Strauss est très à l'avant-garde
de la pensée française. Le nouvelle biographie de Patrick Wilcken, Claude Lévi-Strauss, Le Poète
dans un Laboratoire, navigue ambitieusement entre ces deux perspectives. Historien et
anthropologue australien du Brésil, il est bien placé pour délivrer un compte rendu détaché de la vie
et de la carrière de Lévi-Strauss. Il l'a interrogé deux fois pour ce livre et alors que le sujet semble
comiquement bien loin de leurs échanges. " Mes états émotionnels ne représentaient pas grand
chose pour moi," lui a-t-il avoué un jour. Wilcken est suffisamment réactif pour rassembler ses
ironies contradictoires et le lire contre le grain avec profit. Si Lévi-Strauss a pu faire des
découvertes scientifiques, ce n'était pas contre ses prédilections artistiques mais grâce à elle,
argumente-t-il avec conviction. D'innombrables anthropologistes ont ratissé les restes des dernières
sociétés aborigènes au cours du vingtième siècle, beaucoup avec plus d'expérience de terrain que
Lévi-Strauss. Mais il leur manquait la culture de la sensibilité, le regard précis sur les schémas
culturels, la sensation de conte qui façonne l'histoire, la patience pour synthétiser des données
abstruses en un ensemble produisant du sens.

Lévi-Strauss était fait pour être artiste, élevé dans un foyer juif agnostiques dans le seizième,
entouré du gout de son père pour les bibelots exotiques, les projets à moitié achevés. Raymond était
un portraitiste avec une faiblesse pour le pastel. son gagne-pain fut lis en danger par la photographie
et quand les commandes s'asséchèrent, dans les années vingt, son fils l'aida a rassembler ses dessins
et à en faire de l'art décoratif pour payer les factures, exemple de ce que l'anthropologiste appellera
plus tard le "bricolage-maison". En dépit de ses limites, Raymond donna à son fils une bonne
éducation artistique. Il le mena vers les grands maîtres du Louvre, l'immergea dans les opéras de
Wagner et l'encouragea dans ses dessins de décors de théâtre. Mais, le jeune se laissa tenté aussi par
un monde loin de celui de son père, il admirait Céline et Breton et fit le tour de galeries de l'avant-
garde.. Dans un article ancien publié dans les documents journal de Bataille, il appelle Picasso, le
plus grand peintre de son temps mais il critique le cubisme pour sa rupture avec l'impressionnisme
comme une autre manifestation d'un art sur mesure taillé sur mesure pour les initiés de bourgeoise.
A l'age de 21 ans, Lévi-Strauss joue déjà les détectives, déchiffrant les indices que lui fournit la
culture. ses premières expériences académiques furent moins enthousiasmantes que ses escapades
extra universitaires. Dans ses mémoires Tristes Tropiques(1955), il se souviens amèrement
"l'atmosphère claustrophobe, la sensation de bain turc générés par le système universitaire français
et ses prétentions stochastiques. Il choisit la philosophie moins par réelle vocation mais par dégoût
des autres sujets. Il se prépara à "l'épreuve inhumaine" de l'agrégation, concours, qui en France, seul
permet, d'accéder à l'enseignement supérieure. "Je me disais, qu'en 10 minutes, j'aurais vite fait de
rassembler une heure de lecture en un solide cadre dialectique, sur la supériorité respective des bus
et des trams," se souvient-il. Dans sa relecture, Wilcken offre les impressions des autres silhouettes
qui vont devenir les vedettes de la pensée française d'après-guerre voyons Lévi-Strauss en
compagnie de Simone Weil, Maurice Merleau-Ponty et Simone de Beauvoir("très fraiche, de belle
complexion, comme une fille de la campagne", se souvient-il. Comme beaucoup de sa génération,
Lévi-Strauss s'impliqua profondément dans la politique, il servit de secrétaire général à l'union des
étudiants socialistes, travailla avec un député socialiste et se fit le défenseur d'une mobilisation
internationale des étudiants. Il savait allier gauchisme et diplomatie et son regard restait
remarquablement conventionnel. Dans le portrait du livre, il émerge comme un colonialiste
paternaliste doux, celui là même qu'il détestera plus tard. Champion, aussi d'un changement graduel
et vague qu'il appelait "Révolution Constructive". S'il était bien radical dans quelque chose, c'était
dans le cours de ses études, puisqu'il abandonna la poursuite de son doctorat en philosophie, rite de
passage traditionnel pour l'élite intellectuelle française, pour un chemin de traverse. Les eaux non
cartographiées de l'anthropologie en faisait un refuge séduisant pour un adepte intellectuel sans
direction. Plus tard, il prétendra qu'il était fait pour çà. Je me suis souvent demandé pourquoi
l'anthropologie ne m'attirait pas, sans réaliser, qu'à cause des affinité intellectuelles entre
civilisations qu'étudie ces études et ma façon particulière de penser. Je n'ai aucune aptitude à
prudemment cultiver mon champ et récolter année après année. J'ai un type d'intelligence
néolithique. Comme le feu dans la savane parfois il en éclaire les parties sombres, il peut la
fertiliser,en tirer quelques pâtures, puis, il s'en va, laissant en éveil la terre écorchée. Pur Lévi-
Strauss, l'anthropologie était une vocation comme la musique ou les mathématiques, vous deviez
découvrir votre vocation par vous-même. L'absence d'éducation formelle fut même un avantage. Il
était trop jeune pour s'engager dans la première grande expédition ethnographique à travers
l'Afrique, entreprise par Marcel Griaule et Michel Leiris et il négligea d'assister aux séminaires de
Marcel Mauss, pionnier des travaux sur la réciprocité et l'échange de cadeaux. au Collège de
France. Il s'imbiba, à la place, d'un brouet mélangé des derniers rapports de terrain et des compte-
rendus surréalistes des écrivains français qui avaient rencontré des indigènes. Inspiré par les récits
de voyage de Paul Nizan et du missionnaire explorateur Jean de Léry au seizième siècle. Il rêvait de
trouver le bon sauvage plutôt que de philosopher avec Rousseau. En 1934, une opportunité s'offrait
à lui à l'Université de São Paulo, il sauta dessus. On s'étonne de constater à quel point la réputation
de Lévi-Strauss est encore tributaire d'un voyage de neuf mois dans le Mato-Grosso de l'ouest du
Brésil, qui fut, par beaucoup d'aspects, un échec.
Son objectif était de longer une ligne de télégraphe abandonnée et mener une étude rigoureuse sur la
tribu Nambikwara, peu connue. Mais une série de mésaventures le mena a ne passer que quelques
jours parmi eux. Son compte-rendu de sa seule expérience de terrain continue, qui fait le cœur de
Tristes Tropiques présente un défi tout biographe qui voudrait suivre ses traces d'un regard aussi vif.
Mais c'est au Brésil que Wilcken mène le mieux son enquête, reconstruisant la narration manquante
de Lévi-Strauss y compris les notes prises à l'instant et remplissant les rôles à peine évoqués dans le
livre. Nous regardons Lévi-Strauss désargenté et réduisant ses rations, observant l'espion du
gouvernement qui s'est joint au convoi, se débrouillant avec un enregistreur cassé et une mauvaise
mule Quand, sa jeune épouse Dina, contracta une maladie qui menaçait sa vue, il ne perdit pas de
temps pour la ramener à São Paulo. Penseur qui sera un anthropologiste en chambre pour le reste de
sa vie, "J'ai réalisé que j'étais un homme de cabinet," avoua-t-il un jour à un journaliste. Il manifesta
une remarquable dureté dans la jungle. Ici, Wilcken nous sert une digression à propos de la destinée
d'un autre membre de l'expédition, un jeune diplômé colombien nommé Buell Quain, qui se
suicidera plus tard, suite, semble-t-il aux pressions subies sur le terrain. Quand Lévi-Strauss
rejoignit finalement les Nambikwara, après 1.300 kilomètres de piste, la rencontre ruina ses
expectatives romantiques." J'avais cherché une société réduite à sa plus simple expression," écrit-il
et les Nambikwara sont vraiment si simples, que tout ce que je pu trouver, ce fut des êtres humains
individuels." Les hommes de la tribu le saluaient en riant, les femmes essayèrent de lui voler son
savon à la rivière. Mal nourri, au bord de la crise de nerf, il se mis, malgré tout, à rassembler le
matériel qu'il utilisera pour mettre à mal un consensus anthropologique vieux d'une génération. Les
anthropologistes fonctionnalistes, disciples de Bronislaw Malinowski croyaient que la vie sociale
des populations indigènes était déterminée par les besoins de base comme le sexe et la nourriture,
Lévi-Strauss trouva près du contraire chez les communautés visitées:même dans les conditions les
plus ingrates, il les trouva avant tout inspirés par le besoin intellectuel de comprendre le monde
autour d'eux. Quand les Amérindiens choisissaient des animaux comme totems, ce n'est pas parce
qu'ils étaient bons à manger mais parce qu'ils étaient bons à penser. Les Nambikwara avaient l'esprit
aussi scientifique que celui qui les observait.(Leur inventaire mental pour le miel, par exemple,
comprenait treize variétés différentes. La seule différence notable était " l'ambition totalitaire de
l'esprit sauvage," basée sur l'assomption que si vous ne pouvez tout expliquer alors vous n'avez rien
expliqué. Lévi-Strauss fut le témoin de cette rage de l'ordre pour tout de la peinture des faces à
l'organisation du camp et plus spécialement dans leurs mythes, qu'ils cousaient avec les restes
empruntés de mythes plus anciens. Il les quitta avec une manne d'impressions à propos de leur
culture, mais il n'avait pas découvert leurs secrets.
La percée théorique provint d'une source inattendue pendant son exil de guerre à New-York, ou,
rescapé de son propre pays, il enseigna dans un collège dépendant de l'Université de New-York.
C'est là que son collègue Alexandre Koyré le présenta à Roman Jakobson, linguiste russe voyageur
spécialisé dans l'analyse structurale du langage développée par Ferdinand de Saussure. Jakobson
croyait avoir trouver un compagnon de beuverie, il fut très désappointé, Lévi-Strauss se levait tôt et
ne buvait que du thé, mais leur amitié fleurit en un riche échange intellectuel. Il apprit de lui
comment on peut réduire un mot à ses composantes phonétiques, le r de rat et le m de mat
fonctionnent comme des déclencheurs de sens et indiquent des significations différentes et
classiquement ce ne sont point les mots qui font sens mais leur agencement. L'étude de mots
simples, qu'ils soient dans un mot ou dans une phrase, une famille ou une culture induit une
approche différentielle de l'ensemble du signifiant, c'est l'essence même du structuralisme. Lévi-
Strauss applique cette logique au travail sur les mythes, qu'il identifiait à une autre forme de
langage. La mythologie, pour lui, les la tentative élaborée afin d'obtenir une interprétation cognitive
des impressions multiples d'un monde chaotique. Nous répondons aux sollicitations du milieu en le
réduisant à des dualismes utilisables, ce qui permet de nous orienter dans le notre existence dans le
monde. En "cuisinant" le matériau "brut" de la nature, nous la traduisons culturellement. Il en vint à
considérer les mythes indigènes comme une forme de création esthétique, supérieure au précaire
investissement occidental en expressions douteuses d'artistes individuels. Tel que l'exhibition
individuelle ne peut-être qu'une aporie si on la compare à la puissance des mythes collectifs
façonnés par le génie des peuples et des générations. Il n'y a peut-être pas de Tolstoï chez les
Nambikwara, mais, la culture et la langue qu'il ont inventé et partagé est bien plus féconde que
Guerre et Paix. La méthode structurale de Jakobson devint un outil de prix et mena l'anthropologie
près de devenir une science dure. Lévi-Strauss pouvait, maintenant mettre en œuvre l'énorme
quantité de données des rapports de terrain de ses collègues en les rangeant en tables, cartes et
schémas. Il rédigea Les Structures Élémentaires de la Parenté(1949) à la Libraire Publique de New-
York ou il partageait une table avec un chef indien qui prenait des notes en veste de peau de
bouquetin coiffé d'une coiffure emplumée complète. Les Structures Élémentaires reste l'ouvrage le
plus ésotérique de ses travaux majeurs, mais, il révolutionna la perception des anthropologues à
propos des systèmes de parenté et de castes. L'analyse horizontale se substitue à l'analyse verticale,
on s'intéresse moins aux questions de lignage et de descendance qu'à l'échange de sœurs, de filles et
de cadeaux entre hommes pour éviter le tabou de l'inceste que Lévi-Strauss explique comme la
tentative la plus élémentaire pour contrôler les hasards de la nature. Quand il ne révélait pas les
mystères de la parenté, Il Menait une existence joyeuse de bohémien à New York, passait ses fins de
semaine à hanter les boutiques d'antiquaires, surpris de trouver des artéfacts indiens et des poteries
presque pour rien. Les anthropologues et les surréalistes partageaient une passion pour les
fragments culturels et les juxtapositions provocantes. Avec ses amis, Max Ernst et André Breton, il
fouilla les poches enchantées du riche écosystème culturel new-yorkais, curieux des communautés
ayant conservé des traditions oubliées depuis longtemps en Europe. Dans son petit mémoire, "New-
York en 1941" Il se souvient avec ravissement des opéras chinois sous le pont de Brooklyn, de son
enquête ethnographique bidon sur les insulaires de l'endroit, des lectures de traductions des discours
du Président Roosevelt à la radio libre française (la clarté de sa diction le rendait apte à l'emploi.)
Il aurait pu faire carrière facilement dans son pays d'adoption. Mais, après la guerre, il
rejoignit,muni de plus d'importance,sa vieille tribu à l'École Pratique des Hautes Études. Rentré à
Paris au début des années cinquante, il écrivit Tristes Tropiques, un mémoire sur son voyage au
Brésil déguisé en guide d'anti voyage, dans un moment de désespoir, sentant sa carrière académique
bloquée il pouvait risquer une audience plus large. Sa stance d'ouverture: ("Je hais les voyages et les
explorateurs"), ses déclarations désenchantées ("les tropiques sont moins exotiques que datés"), Le
livre faisait preuve d'un pessimisme culturel qui allait devenir sa marque de fabrique. Quand il se
moque du mythe occidental de l'individu transcendant, il autorise sa subjectivité à secouer Triste
Tropiques dont la prose porte la marque d'un surréalisme lourd: deux montagnes en dehors de Rio
de Janeiro ressembles à "deux chicots plantés dans une bouche édentée". Les précipices de New-
York entre deux gratte-ciels deviennent " de sombres vallées ou les autos multicolores ressemblent à
des fleurs." Avec Proust, Lévi-Strauss partage la capacité d"emprunter les style des grands écrivains
français. Il pastiche les couleurs du coucher de soleil de Chateaubriand ou aiguise quelque argument
raffiné de la pensée pascalienne. Wilcken, familier de ces transitions remarque alertement les
passages ou Lévi-Strauss feint la nonchalance ou vire à la préciosité. La question demeure:
comment se fait-il qu'un anthropologiste relativement obscure et taciturne, ayant écrit une thèse non
supervisée sur un sujet déjà exploré et qui n'avait garder que les liens assez lâches avec
l'établissement universitaire français est-il parvenu, dans l'espace d'une décade, à détrôner le
penseur phare de l'époque? Sartre ne voyait pas en lui une menace et lui envoya une copie annotée
de sa Critique de la Raison Dialectique(1960) en " témoignage d'une amitié fidèle" en citant et en
approuvant les Structures Élémentaires dans son argumentation. Mais Lévi- Strauss ne se sentait pas
d'humeur à retourner des compliments. Installé au prestigieux Collège de France, il consacra un
séminaire d'un an à une étude détaillée de la critique sartrienne et quand son Esprit Sauvage parut
en 1962, le livre se terminait par un assaut de 20 pages sur les implications fondamentales de la
pensée de Sartre. "
Le pouvoir passait d'un fumeur à la chaîne, fantôme médicamenteux de la société des cafés de la
rive gauche à un esthète du seizième arrondissement. Dans quelles conditions les échanges prirent-
ils place, exactement? Très tôt héros des intellectuels français d'après-guerre en articulant une
philosophie de la responsabilité face à l'histoire, il restaura la confiance d'une élite intellectuelle
endommagée et l'aida à préparer la confrontation de son passé colonial. L'ambition impossible de la
critique voulait réconcilier l'éthique de l'existentialisme sartrien avec la thèse marxiste de la
nécessité historique. Avec la problématique sartrienne, l'histoire se présente à nous munie d'un
nombre limité de possibilités dans lesquelles nous agissons et qui, à son tour, déclenche une
nouvelle série de possibilités. Pour Lévi-Strauss, l'amalgame du déterminisme historique et de
l'agencement personnel génère une double problématique. D'abord elle met l'individu au centre du
processus historique, et comme il pensait l'avoir démontrer, les structures sociales sous-jacentes
laissent peu de place à la fantaisie subjective.
"Le soi n'est non seulement haineux," écrit-il dans Tristes Tropiques, suivant Pascal," il n'y a pas de
place pour moi entre nous et rien." Ensuite, Sartre propageait encore la vieille histoire de l'Europe
comme une histoire narrative progressive alors que Lévi-Strauss tenait les cultures indigènes
comme l'exemple d'autres, éventuellement plus séduisant afin d'organiser l'expérience humaine. Les
mythes de tribus telles les Nambikwara et les Bororo étaient conçues pour insulariser leur ordre
social apparemment immobile des irruptions de l'Histoire. En utilisant l'histoire comme facteur
positif d'identification, en privilégiant la vitesse de casse-cou de l'histoire occidentale sur le monde
lent et recyclable des peuples indigènes. Sartre avait commis "une sorte de cannibalisme intellectuel
bien plus révoltant, pour l'anthropologue que le cannibalisme réel." Pour les universitaires et les
intellectuels qui arrivait à maturité dans les années soixante, il était difficile d'éviter l'impression
que Lévi-Strauss, en schématisant avec peine les leçons des peuples indigènes à travers le monde,
travaillait à une échelle beaucoup plus vaste que Sartre. "Les arrêts de bus, les grèves, les combats
de boxe, exemples sur lesquelles Sartre construisait son 'anthropologie sociale' semblaient
provinciaux en comparaison de la recherche globale du structuralisme," écrit Wilcken. Sartre
travaillait sur le problème de l'émancipation individuelle dans les confins étroits de la tradition
philosophique occidentale et Lévi-Strauss en épluchant à rebours les expressions divergentes de la
nature humaine commune partout dans le monde, fut à même de révéler à quel point des pans
entiers de la culture occidentale fonctionnaient comme des aberrations malsaines. Le couplet
autocritique devint une forme obligée d'anticolonialisme plus convaincant que l'appel de Sartre, à
une troisième révolution mondiale, de sa table du café de Flore.
Notre civilisation, argumente Lévi-Strauss, est la seule qui tente de libérer l'humanité des liens de la
nature, induisant l'illusion grossière que nous aurions tout écris depuis la destruction de
l'environnement jusque l'holocauste. à "l'enfer, c'est les autres", l'anthropologue répond que l'enfer,
c'est nous-mêmes. L'autre raison de ce triomphe improbable est que le structuralisme servait
d'auberge espagnole aux marxistes désenchantés? Ceux qui avaient perdu la foi dans les lois d'airain
du matérialisme historique durant la guerre pariaient dorénavant sur le structuralisme en l'identifiant
à une forme plus crédible de critique sociale et ainsi résister aux avancées du libéralisme américain.
Le structuralisme a aussi exercer un empire sur leur esprit parce que son concept central des codes
sociaux représentait un système fermé invulnérable à l'expérimentation empirique. Son
"impérialisme du signifiant", comme René Girard l'indique, peut explique pratiquement n'importe
quoi et transforma le corpus Lévi-Strauss en un buffet intellectuel duquel la génération suivante
sélectionnera ses idées définissantes. Pour Lacan, le structuralisme révélait le système des formes
symboliques que l'esprit inconsciemment, cartographie dans la réalité. Pour Althusser, cela explique
comment le mode de production capitaliste conçût un système d'acceptation complexe ayant peu de
liens avec la réalité des travailleurs. Pour Foucault, profondément attiré par l'élément anti-
humaniste du structuralisme tout en clamant ne pas en être.
Lévi-Strauss montra comment des concepts tel la "folie" constituaient une construction arbitraire
dont le poids dépend uniquement d'un réseau serré de valeurs sociales changeantes. Tandis que
Barthes utilisait ses techniques les plus formelles afin de révéler les implications réalistes de la
nouvelle moderne et champion des "nouvelles sans sujet" de Nathalie Sarraute et d'Alain Robbe-
Grillet. Lévi-Strauss avait peu de temps pour tout ceci,"je ne sais pas et je m'en fous" quand
Wilcken quand il lui parlait de sa postérité intellectuelle. Jamais, il ne lut une "nouvelle"
structuraliste et confessa trouver les séminaires de Lacan incompréhensible("pour ses fervents
admirateurs, 'comprendre' signifiait autre chose que pour moi")
Il pensait qu'Althusser comme un pervers politique, Foucault comme un historien illuminé mais
douteux et Barthes légèrement absurde. (Lévi-Strauss exécuta une analyse structurale d'une histoire
de Balzac et l'envoya à Barthes, qui répondit avec enthousiasme en pressant Lévi-Strauss de la
publier, jusqu'il fut prévenu que c'était une plaisanterie). Ce ne fut qu'en mai 68 que l'étoile du
structuralisme commença à pâlir, libérant Lévi-Strauss de sa place sur le centre de la scène. il était
communément admis parmi les protestataires étudiants que sa pensée ne contenait aucun potentiel
révolutionnaire."les structures ne se promènent pas dans la rue" comme disait le slogan en se
demandant même si elles pouvaient influer sue le progrès social. quelques uns des critiques les plus
acérés proclamaient que le structuralisme incarnait l'expression théorique de la technocratie statique
autoritaire du gouvernement de Gaulle. " Le structuralisme est la dernière barrière érigée par la
bourgeoisie contre le marxisme" écrivait un Sartre réhabilité momentanément de retour sous les
feux de la rampe Il se fera prosélyte de Mao, sa version du bon sauvage. Mais la politique de Lévi-
Strauss resta fort incomprise. Il possédait un réel projet politique que Wilcken ne sais pas apprécier
en insistant sur le souci esthétique. Si ses espoirs de devenir un fonctionnaire socialiste
s'évanouirent rapidement, Lévi-Strauss admirait "l'esprit sauvage" principalement parce qu'il y
croyait comme remède spécifique des maladies occidentales. Par exemple, en considérant le
cannibalisme, il arguait que la pratique indigène de manger des morceaux du parent décédé de
quelqu'un, afin qu'il puisse vivre symboliquement dans sa descendance, indique plus de respect pour
les humains que le travail du bistouri sur une table de dissection. Il écrit aussi que les Amérindiens
seraient, aujourd'hui, mystifiés par les pratiques carcérales modernes, qui séparent ceux qui sont en
délicatesse avec la loi en essayant de les réformer en détruisant leurs liens sociaux. Les indiens des
plaines, dit-il, possèdent une manière bien plus efficace pour réhabiliter les criminels. Par la
confiscation provisoire leurs possessions et de leur tente, ils les obligent à des liens réciproques
étroits avec la société. Le criminel effectuera donc une forme de service collectif qui créera une
dette de la société à son égard et le restaurera à sa place primitive.
Lévi-Strauss ne songea jamais sérieusement à revenir vers quelque type d'age d'or; mais, sans doute,
analysait-il les sociétés primitives à la recherche d'éléments qui pourraient contribuer à la critique
ethnographique de la culture occidentale qui se déroulait alors. Pour cette raison, Lévi-Strauss eut à
subir les attaques des critiques qui le taxaient de relativiste culturel de la pire espèce. La charge
prononcée pour la première fois par Roger Caillois le traitait d'ethnocentriste inverti. Lévi-Strauss,
disait-il, met en avant l'hypocrisie occidentale en mettant les cultures primitives sur un piédestal,
alors que l'existence même de l'anthropologie est la preuve de la supériorité culturelle occidentale.
Cette pastilla deviendra l'arme de guerre culturel des conservateurs contre l'anthropologie
jusqu'aujourd'hui. L'année dernière, Pascal Bruckner, publia un livre qui estampillait Lévi-Strauss
comme un des plus grands " camelots de la culpabilité" européen, son argument prononçait que
l'auto flagellation de l'ouest rendait impossible toute critique des sociétés non européennes. Cette
proclamation est en contradiction avec la position de Lévi-Strauss qui anticipa cette objection, il y a
longtemps. Dans Tristes Tropiques il y répond avec succès: D'autres sociétés ne sont peut-être pas
meilleurs que les nôtres, même si nous inclinons à le penser, nous n'avons aucun moyen de le
prouver. Quoi qu'il en soit, en apprenant à les connaitre, nous pouvons nous distancier de notre
propre société. Ce n'est pas qu'elle soit particulièrement ou absolument mauvaise. Mais c'est la seule
qui nous mette dans l'obligation de nous en libérer, nous sommes, par définition, libres à notre
relation à l'autre. comme pour le constat que, seul l'ouest s'intéresse "aux autres", Lévi-Strauss
souligne, qu'entre autre, Les indiens Tète-plates des Rocheuses furent si intrigués par la nouvelle de
l'existence de colons blancs, qu'il dépêchèrent plusieurs expéditions pour entrer en contact avec les
missionnaires chrétiens de Saint Louis dans le Missouri. Dans les pages finales de Tristes
Tropiques, il argue que toutes les cultures ne sont pas également humaines, Les Aztèques, les
européens et les musulmans modernes occupent les échelons les plus bas. Il met en équation
luthéranisme intransigeant de l'Islam et celui de la France révolutionnaire,comparaison qui restera
célèbre. "Tout comme l'Islam
a gardé les yeux fixés sur une société qui était réelle il y a sept siècles, et les problèmes pour
lesquels les solutions de l'époque étaient adéquates, nous les Français somme incapables de penser
hors du cadre d'une époque qui connut sa fin il y a 150 ans." A l'inverse, certaines sociétés indigènes
donnent des leçons plus significatives que d'autres quand il s'agit d'intégrer l'espèce humaine dans
une relation plus intime au monde et la plupart d'entre elle ont su se préserver des influences
extérieures. Encore, les fusillades que Lévi-Strauss dirigeait vers ses critiques ne l'ont pas empêché
d'adhérer à son propre style de conservatisme jusque la fin de ses jours. Comme Wilcken le
remarque, sa révérence paternelle pour les formes établies se réaffirma avec une force renouvelée
dans le fils, une fois le gout de sa jeunesse pour l'avant-garde se trouva épuisée. En 1980, il vota
contre la nomination de Marguerite Youcenar pour le siège de l'Académie Française parce que cela
allait à l'encontre de "siècles de tradition". Un retour au traditionalisme n'est pas inusuel chez les
vieux hommes. Mais, moins attendu, ce sera de voir son travail scientifique coopté à des fins
politiques explicitement conservatives: dans les années 80, les députés français citèrent les
Structures Élémentaires de la Parenté dans leurs arguments en faveur du mariage traditionnel
comme pierre d'angle de la cinquième république. Wilcken conclut sa biographie sur une note
destitutive. "Lévi-Strauss est l'école d'un seul homme, distribuant un type d'analyse devenu si
idiosyncratique, qu'il est impossible d'y construire." Mais sa frustration sur l'ensemble de son projet
est compréhensible. Sa vocation scientifique s'attendait à voir son héritage évoluer, mais, en
pratique, il refusa obstinément de mettre sa pensée à jour et ne répondit pas aux révisions proposées
par des penseurs comme Noam Chomsky et Clifford Geertz. Dans l'optique de Wilcken, Lévi-
Strauss finit par ressembler à un scolastique médiéval, ruminant les structures de sa propre imagerie
en faisant se mouvoir les "mobiles mythes" qui pendent au plafond de son bureau. "Dans un monde
aux régions cognitives de plus en plus spécialisées, on ne trouvera sans doute plus, un travail d'une
telle ambition et une quête si exaltante." Mais Lévi-Strauss est plus que le monument d'un intellect
vieillissant devant lequel les pygmées du XXI° siècle que nous somme puissent se pâmer. On se
souviendra de lui comme d'un moraliste appartenant à une tradition qui va de Diderot à Montaigne.
Les moralistes français ont rempli une fonction corrective unique en occident, il ne sont pas les
gardiens de l'ordre moral, ils le remeublent, vigilants à cerner les fausses positions morales. quand
Lévi-Strauss étudient les cultures indigènes, il espérait augmenté la vigilance du répertoire des
arrangements sociaux au delà de la culture au monolithisme croissant de l'occident. De ces pratiques
de plus en plus stigmatisées par le racisme, les rites matrimoniaux, les cérémonies initiatiques, les
mythes créationnistes, Lévi-Strauss extrait des préceptes utiles à la compréhension, sinon à la
sympathie avec la logique interne de la plupart des cultures étrangères. La profonde rigueur
scientifique de ses analyses, et le respect du sujet que cela supposait, fut finalement plus utile pour
combattre le préjudice racial que le dit de grands philosophes comme Sartre. Lévi-Strauss pensait
plus juste beaucoup de penseurs politiques d'aujourd'hui, en épelant les paradoxes de ses efforts anti
discriminatoires. La lutte contre le racisme, qui enjoint l'humanité à adopter les normes de la
civilisation globale se trouve aussi responsable de la destruction des différences culturelles, qu'elle
était sensé protéger. au fur et à mesure que les sociétés sont plus attentives à l'importance de
préserver les particularismes, leurs différences deviennent difficiles à justifier. "Quand la
communication intégrale avec l'autre est complètement réalisée," écrit-il dans"Le Regard
Éloigné"(1983) à propos des Afars,"tôt ou tard jette un sort à la fois sur sa créativité et sur la
mienne." Lévi Strauss ne cessa jamais de pleurer les sources originelles du sens esthétique et moral
en qui ne pouvait se trouver que dans les sociétés restées sourdes au reste du monde. Du moins, il
en vint à voir son travail et celui de l'anthropologie en général à nous rendre plus méfiants et plus
attentifs quand nous devrons, inévitablement, les rencontrer. Les charmes de la civilisation sont
peut-être du essentiellement aux réminiscences variées qu'ils emportent," Mais pour Lévi-Strauss
cela ne nous absout pas du devoir de les réformer. Pour ce sens réaliste des responsabilités et son
refus de nous fournir de fausses certitudes dans une époque truffée de prophètes totalitarismes, on
peut encore le lire avec beaucoup de profit.

Thomas Meaney

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