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JOURNAL D'ÉPIDÉMIE

Jérôme Salomon a un
caillou dans sa censure
Par Christian Lehmann, médecin et
écrivain(https://www.liberation.fr/auteur/6578-christian-lehmann) — 14
décembre 2020 à 13:59

Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, lors d'un point de situation sur
l'épidémie de Covid, le 7 décembre à Paris. Photo Christophe Archambault. AFP

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour


«Libération», il tient la chronique d'une société
suspendue à l'évolution du coronavirus. Aujourd'hui,
le Sénat met au jour les arrangements du directeur
général de la Santé, qui aurait fait pression sur Santé
publique France pour décharger sa responsabilité.

La commission d’enquête du Sénat «pour l’évaluation des politiques


publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la
Covid-19 et de sa gestion» a rendu son rapport mardi dernier. Les
rapporteurs y font le triple constat d’un défaut de
préparation(https://www.liberation.fr/france/2020/12/10/le-senat-fustige-
l-etat-manifeste-d-impreparation-du-pays-face-a-l-epidemie_1808255),
d’un défaut de constance dans la stratégie, et d’un défaut de communication
adaptée, appelant à un nouveau départ, une «année zéro» de la santé
publique. Sont pointés le retard à la prise de décision alors même que
l’alerte a été donnée assez tôt, le fiasco lié à la pénurie d’équipements de
protection et à l’énergie employée pour nier cette pénurie, l’absence de prise
en compte du secteur de ville (soignants comme acteurs du médico-social).
Sont mises en avant l’extraordinaire capacité d’adaptation des personnels
hospitaliers «libérés de carcans administratifs et de la contrainte
budgétaire», auxquels le Sénat n’est pas totalement étranger… et les
initiatives de coopération entre les soignants de ville et leurs confrères
hospitaliers, venues du terrain plutôt que des ARS atones.

La commission fait quelques propositions de bon sens : sécuriser la gestion


des stocks stratégiques, garantir la continuité des soins en période de crise
(pour éviter les déprogrammations et le renoncement aux soins pour les
autres pathologies), sécuriser la prise en charge des personnes vulnérables
(en particulier dans les Ehpad), renforcer la coordination en matière de
recherche scientifique, renforcer la cohérence de l’expertise scientifique et
l’ouvrir sur la société en mobilisant associations de patients, représentants
des agences sanitaires et sociétés savantes, en en garantissant
l’indépendance et la transparence.

Mensonges successifs
Au sujet de la cohérence de l’expertise scientifique, on se souviendra que la
commission avait entendu le professeur Didier
Raoult(https://www.liberation.fr/france/2020/06/25/didier-raoult-face-
aux-deputes-je-suis-desole-que-vous-n-aimiez-pas-mon-essai-moi-je-l-
aime-beaucoup_1792349), l’homme qui, sous serment devant les
représentants de l’Assemblée nationale, avait expliqué au sujet de
l’hydroxychloroquine : «Je n’ai jamais recommandé ce traitement parce
que je n’ai pas le droit de recommander un traitement qui est hors
AMM.» Le Sénat n’eut pas droit à ce type de vérité alternative, mais
confronté par le sénateur socialiste et médecin Bernard Jomier à la liste des
pays qui peu à peu abandonnaient ce traitement au vu des résultats négatifs
des essais, Raoult, qui avait refusé d’être auditionné en présence de
l’épidémiologiste Dominique Costagliola par crainte d’être contredit, avait
clos le débat par ces
mots(https://www.liberation.fr/checknews/2020/05/18/didier-raoult-a-t-
il-ete-entendu-par-des-senateurs-le-7-mai_1788700) : «Vous émettez une
opinion scientifique. Je ne suis pas d’accord. Que chacun fasse son métier
et les vaches seront bien gardées.» Abusant de l’argument d’autorité face à
un «simple» généraliste, refusant le débat contradictoire face à une
éminente spécialiste, le professeur marseillais avait une fois de plus
démontré que si la science est un sport de combat, certains préfèrent
s’introniser vainqueur sans jamais affronter d’adversaire.

A LIRE AUSSI
Covid-19 : la commission d’enquête de l’Assemblé dénonce le «pilotage défaillant» du
gouvernement(https://www.liberation.fr/france/2020/12/02/covid-19-la-commission-d-
enquete-deplore-la-gestion-de-crise-du-gouvernement_1807406)

On retient surtout de ce rapport de la commission d’enquête la mise en


évidence de ce que l’on avait déjà compris, jour après jour, en voyant
s’empêtrer le gouvernement et ses porte-parole dès le mois de février dans
des mensonges successifs sur les masques. «Si on savait le porter, le
masque pour tout le monde aurait pu être une stratégie», expliquait en
mars Jérôme Salomon, directeur général de la Santé.

Je notais dans ces colonnes début


avril(https://www.liberation.fr/france/2020/04/09/non-vraiment-tout-va-
bien_1784687) : «Rappelons ici ce que nombre de gens ignorent peut-être
encore. Le professeur Jérôme Salomon, qui fut conseiller pour la sécurité
sanitaire dans le cabinet de Marisol Touraine lorsque celle-ci prit la
décision de ne pas maintenir le stock de protections nécessaire en cas de
pandémie, était déjà directeur général de la Santé depuis plus d’un an
quand, en mai 2019, Santé publique France (dont il est membre du conseil
d’administration depuis 2016) rendit un "avis d’experts relatif à la
stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales face à une
pandémie grippale" particulièrement alarmant. Ces experts, qui avaient
planché trois ans sur le sujet, plaidaient pour la reconstitution d’un stock,
quand bien même celui de la grippe H1N1 était arrivé à péremption sans
être utilisé. "Le risque doit être considéré comme important, mais sa
survenue ne peut être datée. En conséquence un stock peut arriver à
péremption sans qu’il n’y ait eu besoin de l’utiliser. Cela ne remet pas en
cause la nécessité d’une préparation au risque. La constitution d’un stock
devrait être considérée comme le paiement d’une assurance, que l’on
souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d’utiliser. Sa
constitution ne saurait ainsi être assimilée à une dépense indue… En cas de
pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à
raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30% de la population."»

Le travail de la commission a mis au jour la responsabilité majeure de


Jérôme Salomon, qui avait décidé en 2018 de ne pas renouveler le stock de
masques. Stock de Schrödinger qui contenait 1 milliard de masques
chirurgicaux et 720 millions de masques FFP2 en 2009, et se retrouvait
réduit en 2019 à 100 millions de masques chirurgicaux et quasiment plus de
masques FFP2. Entre-temps, en octobre 2018, Jérôme Salomon avait
commandé 50 millions de masques seulement, et en septembre 2019, alors
qu’il avait reçu le rapport d’expertise, avait décidé de ne pas renforcer le
stock stratégique.

Bombe
Ce que l’on ne savait pas, par contre, c’est que Jérôme Salomon avait fait
pression à l’époque sur Santé publique France pour faire modifier la
conclusion de ce rapport qui, a posteriori, se révèle accablant. Qu’en
conscience, à l’époque, il a donc pris la décision de laisser disparaître le
stock d’équipements de protection, et a tenté de faire en sorte que cette
décision ne puisse lui être reprochée. Cerise sur le gâteau, c’est à la suite
d’une erreur dans les envois de documents de la direction générale de la
Santé à la commission d’enquête que les sénateurs ont eu en main les mails
dans lesquels Jérôme Salomon somme le directeur de Santé publique
France de modifier les recommandations du rapport des experts… Ce que
celui-ci fait en le prévenant quand même que la manipulation est risquée :
«Voici donc en retour l’avis dans lequel j’ai retiré toute allusion à un stock
chiffré, notamment pour les masques… Regarde quand même si ça vaut le
coup. Je n’en suis pas sûr personnellement.»

A LIRE AUSSI
Le précédent journal d’épidémie : «Hold-up», courage fuyons !
(https://www.liberation.fr/france/2020/12/07/hold-up-courage-fuyons_1807886)

On se souviendra que de nombreux éditorialistes avaient protesté en


apprenant que de simples citoyens portaient plainte contre les gouvernants
au sujet de la gestion de la
pandémie(https://www.liberation.fr/france/2020/03/29/le-
gouvernement-face-a-une-epidemie-de-plaintes-au-penal_1783476). Et
effectivement, on peut concevoir qu’il soit délicat, alors qu’on est confronté
à une crise de cette ampleur, de vivre avec l’épée de Damoclès d’un recours
judiciaire. Editorialiste chez BFMTV, Christophe Barbier déclarait : «Il y
aura une transparence complète à faire sur les choix qui ont été faits. Que
ça se fasse le plus placidement possible, avec des commissions d’enquête
parlementaires, c’est impitoyable mais ce n’est pas pénal, plutôt que d’aller
devant la justice où, là, on risque des psychodrames inutiles.» Nous y
sommes.

Dans un premier temps, les sénateurs ont hésité à rendre public le contenu
de ces mails (qui disparaissent par enchantement dans un deuxième envoi
de la DGS censé annuler le précédent…) mais ont finalement considéré
qu’ils ne pouvaient passer sous silence cette information, quand bien même
ils craignaient, non sans raison, que cette bombe fasse passer sous silence le
reste d’un rapport très dense. Les sénateurs n’ont toutefois pas alerté le
procureur, estimant que «la justice peut s’autosaisir».
Une fois de plus, les vœux pieux ne sont pas adossés aux actes… Au-delà de
la justice, et alors que les sénateurs ont dans leur rapport pointé l’absolue
nécessité de renforcer la cohérence de l’expertise scientifique en en
garantissant l’indépendance et la transparence, que penser du maintien à
son poste d’un directeur général de la
Santé(https://www.liberation.fr/france/2020/06/18/jerome-salomon-
paratonnerre-fragilise_1791710) qui a fait modifier un rapport d’expert pour
couvrir ses décisions ?

Christian Lehmann médecin et écrivain(https://www.liberation.fr/auteur/6578-christian-

lehmann)

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