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Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en histoire
pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)
2007
RÉSUMÉ
La justice criminelle de l'époque était caractérisée par l'application d'une justice sommaire
visant surtout les prostituées de rue mais aussi les maisons de débauche. Sous plusieurs
aspects liés à la fréquence, à l'intensité et à la fermeté de la répression, la prostitution de rue
et les maisons de débauche étaient traitées différemment par la justice. Toutefois, la
perception d'un système judiciaire uniquement répressif à l'endroit des femmes marginales
est relativisée par le phénomène d'instrumentalisation de la justice de l'État par certaines
prostituées et tenancières.
li
REMERCIEMENTS
L'écriture de ces lignes signifie l'aboutissement d'un premier projet de recherche qui a été
très formateur. Il s'agit également de l'atteinte d'un objectif personnel et la réalisation d'un
but fixé depuis plusieurs années. Tout ceci n'aurait jamais été accompli sans l'aide
inestimable de certaines personnes envers qui je suis sincèrement reconnaissant. D'une
part, je remercie tout le personnel de la Bibliothèque et des Archives nationales du Québec
à Québec ainsi que celui des Archives de la Ville de Québec pour le support apporté à ma
recherche. Je tiens à remercier particulièrement mon directeur Donald Fyson pour son
soutien, sa disponibilité, ses commentaires toujours très formateurs et pour l'aide précieuse
dans l'utilisation des bases de données informatiques. D'autre part, les encouragements
provenant de mon entourage ont compté énormément dans l'achèvement de ce projet. Je
tiens donc à remercier spécialement mes parents ainsi que ma sœur Annick pour leur
support inconditionnel. Finalement, merci à ma copine Véronique.
111
RÉSUMÉ i
REMERCIEMENTS ii
INTRODUCTION 1
Introduction 18
1.1. Législation criminelle et réglementation de la prostitution 19
1.1.1. Le système de répression: 1869-1905 20
1.1.2. La réglementation municipale 25
1.2. Les tribunaux inférieurs de justice criminelle à Québec 27
1.2.1. Les Cours des juges de paix 28
1.2.2. La Cour du Recorder 30
1.3. La justice sommaire 31
1.3.1. Les procédures d'arrestation 32
1.3.2. Les procès sommaires 34
Conclusion 38
Introduction 39
2.1. Les fréquences de la répression 41
2.1.1. Les prostituées de rue 41
2.1.2. Motifs de la répression des prostituées de rue et classification judiciaire 44
2.1.3. Les « récidivistes » et renfermement asilaire 47
2.1.4. Les bordels: une répression sporadique 49
2.2. Les motifs des plaintes et des actions répressives contre les tenancières et les
pensionnaires des bordels 52
2.2.1. Tranquillité publique, justice populaire et contrôle familial 53
2.2.2. L'application de la réglementation municipale 55
2.2.3. Les vols dans les bordels 57
2.2.4. Les filles mineures dans les bordels 60
2.3. L'intensité et la fermeté de la répression : les sentences des tribunaux et
l'emprisonnement 64
iv
Introduction 76
3.1. Cadre contextuel de Québec depuis la seconde moitié du XIXe siècle 76
3.1.2. Les impacts sur les populations 78
3.2. Les groupes ciblés par la répression 80
3.2.1. Caractéristiques démographiques et archives judiciaires 80
3.2.2. Prostituées et tenancières intégrées à la population 82
3.2.3. Jeunesse et vieillesse dans les rues et les bordels de Québec 86
3.3. Les comportements criminels des prostituées et des tenancières 91
3.3.1. Criminalité et emprisonnement 92
3.3.2. Les bordels et la vente illicite d'alcool 95
3.4. L'instrumentalisation du système par les prostituées 98
3.4.1. Le phénomène des refuges en prison à Québec entre 1880 et 1905 98
3.4.2. L'utilisation du système judiciaire 101
Conclusion 106
CONCLUSION 108
BIBLIOGRAPHIE 113
ANNEXES 124
Annexe A: Elzéar A. Déry, Recorder de Québec de 1877 à 1920 124
Annexe B: Cour du Recorder (Hôtel de ville de Québec) 124
Annexe C: Articles de journaux concernant les descentes dans les bordels 125
Annexe D: Dépositions concernant des crimes dans les bordels 129
V
Graphique 3: Motifs des séjours en prison des prostituées arrêtées dans la rue, prison de
Québec, 1880-1905 45
Graphique 4: Motifs des accusations contre les prostituées arrêtées dans la rue, Cour du
Recorder, Québec, 1880-1905 45
Graphique 9: Durée des sentences d'emprisonnement et temps réel en prison des tenancières
pour avoir tenu une maison de prostitution, prison de Québec, 1880-1905 71
Graphique 10: Durée des sentences d'emprisonnement et temps réel en prison des
prostituées de bordel, prison de Québec, 1880-1905 72
Graphique 14: Age des vagabondes/prostituées « récidivistes » emprisonnées pour tous les
types de délits, 1880-1905 88
Graphique 15: Âges des tenancières et des prostituées de bordel emprisonnées à Québec,
1880-1905 90
vi
Graphique 16: Vente illicite d'alcool dans les maisons de débauche à Québec, Sessions de
la Paix, district judiciaire de Québec, 1880-1905 96
Graphique 17: Accusations devant le Recorder et séjours en prison par mois des prostituées
de rue 99
VII
Tableau 3: Séjours en prison selon les délits commis par les tenancières et les prostituées,
prison de Québec, 1880-1905 93
I- PROBLÉMATIQUE
Au mois de juin 1902, une déposition contre Geneviève Collin, alias Blanche Lacroix,
était remplie par le détective Thomas Walsh afin de la dénoncer comme étant tenancière
d'une maison malfamée. Un acte d'accusation était alors rédigé contre Collin pour avoir
« illégalement tenu une maison de prostitution, étant alors une personne vagabonde,
libertine et débauchée ». Six actes d'accusation étaient également déposés contre les
prostituées occupant le bordel, Rose Smith, Rosanna Simard, Yvonne Piché, Zélia Dionne,
Rose Bourassa et Jane Johnson, sous le motif « d'avoir habité dans une maison de
prostitution ». Elles étaient par la suite jugées par le Juge des Sessions de la Paix
Alexandre Chauveau . L'acte de condamnation de la tenancière spécifiait qu'elle devait
payer une amende de 50$ et les frais (5$) ou effectuer 6 mois de prison. Les prostituées du
bordel, jugées en groupe, étaient toutes condamnées à 10$ d'amende ou 2 mois de prison.
Ces deux expériences sont révélatrices des processus principaux de prise en charge de
la prostitution par la justice étatique à cette époque. La présente étude se concentre sur le
fonctionnement de cette justice de l'État vis-à-vis la prostitution. L'analyse des
' Archives de la Ville de Québec (AVQ), Cour du Recorder, Livre des prisonniers, 2FF, no 46, 23 avril 1900.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec (BAnQ-Q), prison de Québec, registres d'écrou,
E17, 1960-01-036/1578, 23 avril 1900.
3
Sessions de la Paix, 24 juin 1902, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 106, contenant 178, documents 187638,
187639 et 187641.
2
expériences des individus, en grande majorité des femmes , ayant traversé le système
judiciaire, pour des délits reliés à la prostitution, vise à étudier la logique opératoire du
système de justice dans le cadre de la ville de Québec de la fin du XIXe au tout début du
XXe siècle.
Au XIXe siècle, la prostitution devenait une préoccupation croissante chez les groupes
réformateurs et les élites urbaines des pays occidentaux. Le maintien de l'ordre, la santé et
la moralité constituaient alors des enjeux majeurs reliés au contrôle de l'espace public. En
Europe et en Amérique du Nord, les inquiétudes s'amplifiaient pour atteindre des sommets
au cours des premières décennies du XXe siècle. Les activités de la prostitution étaient
considérées comme un véritable « mal social » qui devait être combattu. Face aux discours
des groupes dirigeants, révélant leurs appréhensions vis-à-vis les transformations sociales et
économiques de l'époque, les policiers et les magistrats constituaient les premiers
intervenants impliqués, directement et quotidiennement, dans la répression de la
prostitution.
L'arrestation par les policiers, les activités des tribunaux inférieurs de justice
criminelle et l'emprisonnement constituent les trois phases de la justice étatique au centre
de cette étude. Au cours du XIXe siècle, ces institutions, associées aux pouvoirs judiciaire
et exécutif, connurent plusieurs transformations liées aux phénomènes de
profcssionnalisation et de bureaucratisation dans l'administration de la justice au Québec.
Dans le cadre de cette étude centrée sur l'enjeu de la prostitution, il importe donc de se
questionner sur le mode de régulation et les actions quotidiennes du système de justice
criminelle de cette époque.
Questionnement
Le questionnement principal de cette recherche est le suivant: comment fonctionnait,
au cours des dernières décennies du XIXe et au tout début du XXe siècle, le système de
justice étatique dans la répression de la prostitution à Québec? Trois axes d'analyse sont au
4
L'étude porte davantage sur la prostitution féminine en raison de l'absence presque généralisée des hommes
dans les archives judiciaires pour ce type de délit. Quelques cas repérés concernent uniquement des
tenanciers et des clients.
3
Cette recherche s'intègre dans l'histoire de la justice criminelle au Québec en lien avec
le contexte occidental. Les objectifs consistent également à approfondir nos connaissances
de l'histoire urbaine de Québec. Le cadre de l'étude est relié aux recherches portant sur les
« régulations sociales ». Ce concept, qui réfère à de nombreux champs de recherche,
rassemble les problématiques complémentaires centrées sur l'analyse des interactions
sociales entre les acteurs individuels, collectifs et institutionnels dans une société et à une
époque donnée 5 . La présente étude se concentre sur les institutions judiciaires de l'État
ainsi que sur les comportements des individus dans leurs interactions avec le système de
justice criminelle à Québec. Le système judiciaire est analysé en fonction du concept de
« régulation » plutôt que celui de « contrôle social », qui apparaît réducteur face à la
pluralité des rôles joués par la justice de l'État. Le concept de « régulation sociale » permet
Sur le concept de « régulation sociale » et les recherches récentes dans ce domaine, voir Jean-Marie Fecteau
et Janice llarvey (dir.), La régulation sociale entre l'acteur et l'institution: pour une problématique historique
de l'interaction, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2005, p. 3-15. Jacques-Guy Petit mentionne
l'importance de préférer «les» régulations sociales afin de mettre en évidence la pluralité des «règles
sociales » et la complexité d'une société, qui ne forme pas « un » système global, voir son article « Les
régulations sociales et l'histoire », dans ihid., p. 30-47.
4
ainsi de rendre compte des relations complexes qui s'établissent entre les institutions et les
acteurs sociaux 6 . Le phénomène « d'instrumentalisation » des institutions judiciaires par
certaines prostituées et tenancières, qui sera examiné au chapitre trois, vise d'ailleurs à
relativiser l'objectif uniquement coercitif de la justice, ce que ne permettrait pas un cadre
théorique orienté par le « contrôle social ».
Le cadre chronologique de l'analyse se situe entre 1880 et 1905, soit une période
suffisamment longue pour repérer les éléments de continuité et de changement dans
l'administration de la justice. L'année 1880 a été retenue comme point de départ de l'étude
afin d'analyser une période relativement peu traitée par l'historiographie de la justice
criminelle dans le cadre de la ville de Québec. Dans le contexte législatif, le cadre temporel
couvre les 12 années avant l'adoption du premier Code criminel canadien de 1892 de même
que les 13 années subséquentes. En tenant compte des autres réformes antérieures du
système de justice instaurées depuis le début du XIXe siècle, le cadre temporel a aussi
comme objectif de parvenir à une meilleure compréhension de certains aspects du contexte
juridique actuel de répression de la prostitution. La consultation des archives judiciaires se
termine en 1905, notamment en raison des limites d'accès aux sources nominatives dans les
registres d'écrou, qui découlent des dispositions de la loi sur l'accès aux documents des
organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
II-HISTORIOGRAPHIE
Cette étude aborde des axes d'analyse spécifiques qu'il importe de replacer dans
l'historiographie contemporaine. Plus précisément, une première approche se situe au
niveau de l'analyse du pouvoir institutionnel de l'État justicier envers les groupes
marginaux. Par la suite, la présente étude doit être replacée dans l'historiographie récente
des recherches portant sur la prostitution dans le cadre des pays occidentaux.
6
Voir Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre: crime et pauvreté au XIXe siècle québécois, Montréal, VLB,
2004, p. 21-46.
5
Parmi les études récentes sur les régulations sociales au Québec, il importe de
souligner les travaux dirigés par Jean-Marie Fecteau, spécialiste de l'histoire de la prise en
charge du crime et de la pauvreté par l'État au Québec au XIXe siècle. En continuité avec
son livre: Un nouvel ordre des choses: la pauvreté, le crime, l'Etat au Québec, de la fin du
XVIIIe siècle à 1840, il publiait en 2004 un nouvel ouvrage intitulé: La liberté du pauvre,
crime et pauvreté au XIXe siècle québécois. Dans ce livre, il poursuit l'analyse de la
régulation libérale au Québec et de son évolution jusqu'aux premières décennies du XXe
siècle9. Ses recherches retracent le cadre structurel de la mise en place et des
transformations du mode de régulation de type libéral de la société québécoise et
constituent le cadre contextuel de cette étude.
7
Voir notamment Donald Fyson, «L'administration de la justice 1800-1867», Cap-aux-Diamants, 1999,
p. 35-39. Voir aussi son livre Magistrales, l'olice, and /'copie: Everyday Criminal Justice in Québec and
Lower Canada, 1764-1837, Toronto, Osgoode Society / University of Toronto Press, 2006, 467 p.; Martin
Dufresne, La justice pénale et la définition du crime à Québec, 1830-1860, thèse de doctorat, Université
Laval, 1997, 290 p.; Jean-Paul Brodeur, La délinquance de l'ordre: recherches sur les commissions
d'enquête, LaSalle, Ilurtubisc, 1984, 368 p.. Sur la police à Québec, voir aussi le livre de Gérald Gagnon,
Histoire du service de police de lu ville de Québec, Québec, Les publications du Québec, 1998, 188 p.
8
Voir les études issues du groupe dirigé par Jean-Marie Fecteau et Jean Trépanier sur l'emprisonnement à
Montréal: Jean-Marie Fecteau, Sylvie Ménard, Marie-Josée Tremblay, Jean Trépanier et Véronique Strimelle,
« Émergence et évolution de l'enfermement à Montréal, 1836-1913 », RHAF, 46, 2, 1992, p. 263-271; Jean-
Marie Fecteau, Marie-Josée Tremblay et Jean Trépanier, « La prison de Montréal de 1860 à 1913: évolution
en longue période d'une population pénale », Les Cahiers de Droit, 34, 1, 1993, p. 27-58.
Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre, op. cit., 455 p.; Un nouvel ordre des choses: la pauvreté, le crime,
l'État au Québec, de la fin du XVIIIe siècle à 1840, Montréal, VLB, 1989, 287 p.
6
10
Donald Fyson, « The Judicial Prosecution of Crime in the Longue Durée: Québec, 1712-1965 », dans Jean-
Marie Fecteau et Janice Ilarvey, (dir.), op. cit., p. 85-119. L'article analyse notamment les caractéristiques de
la criminalité au Québec selon les (acteurs géographiques et les distinctions de genre opérées par le système
judiciaire. Voir aussi son livre Magistrales, Police, and People, op. cit.; parmi ses recherches portant sur la
justice pénale à Québec, voir son article « Criminal Justice in a Provincial Town: Québec City, 1856-1965 »,
dans Fernando Lôpez Mora (dir.), Modernidad, Ciudadania, Desviaciones y Desigualdades, Cordoue, Presses
de l'Université de Cordoue, 2007 (à paraître).
" Martin Dufresne, « Ville et prison: discours d'hygiénistes réformateurs à Montréal au cours de la deuxième
moitié du XIXe siècle », Criminologie, 28, 2, 1995, p. 109-130; La justice pénale et la définition du crime à
Québec, 1830-1860, thèse de doctorat, 1997; « La police, le droit pénal et "le crime" dans la première moitié
du XIXe siècle: l'exemple de la ville de Québec », Revue Juridique Thémis, 34, 2, 2000, p. 409-434.
7
ont été menées en particulier par le groupe de recherche dirigé par Jean-Marie Fecteau et le
criminologue Jean Trépanier. Les travaux sur le sujet ont permis de cerner plusieurs
aspects relatifs à l'évolution historique du système pénal tant au point de vue des théories
carcérales, des applications effectives de même qu'au niveau des discours et des
représentations . Pour la présente étude, l'analyse de l'institution carcérale se situe au
niveau de l'utilisation de la prison comme moyen de répression de la prostitution. La
démarche s'inscrit dans la lignée des travaux effectués par Pierre Tremblay et André
Normandeau: «L'économie pénale de la société montréalaise, 1845-1913 » . Dans cet
article, les chercheurs se sont intéressés, dans une perspective quantitative, à la fréquence, à
l'intensité et à la fermeté des punitions infligées par la justice 14 . En s'appuyant sur ces
recherches, ce mémoire vise l'étude des caractéristiques du système carcéral et de ses
interactions avec les individus reliés à la prostitution.
Parmi les travaux importants sur l'emprisonnement au Québec, voir l'ouvrage à caractère davantage
criminologique de Jacques Laplante, Prison et ordre social au Québec, Ottawa, Presses de l'Université
d'Ottawa, 1989, 2 1 1 p . Voir aussi André Cellard, Punir, enfermer et réformer au Canada de la Nouvelle-
France à nos jours, Ottawa, Société historique du Canada, 2000, 29 p.. Dans le cadre des recherches sur la
ville de Québec, voir la thèse de maîtrise effectuée par Martin Mimeault, l'unir, contenir et amender: les
théories carcérales et leurs applications à la prison des Plaines de Québec, 1863-1877, Université Laval,
1999, 198 p.
Pierre Tremblay et André Normandeau, « L'économie pénale de la société montréalaise, 1845-1913 »,
Histoire sociale/Social llistory, 19, 37, 1986, p. 177-199; Pierre Tremblay, « L'évolution de l'emprisonnement
pénitentiaire, de son intensité, de sa fermeté et de sa portée: le cas de Montréal de 1845 à 1913 », Canadian
Journal ofCriminology/ Journal canadien de criminologie, 28, 1, 1986, p. 47-67.
Selon Pierre Tremblay et André Normandeau, la « fréquence » de la punition est équivalente au nombre
d'individus condamnés annuellement par les tribunaux criminels (per capita). linsuite, « l'intensité » fait
référence à la durée moyenne des sentences d'emprisonnement infligées annuellement. Finalement, la
« fermeté » du système est liée à la durée réelle des emprisonnements, voir leur article : « L'économie pénale
de la société montréalaise, 1845-1913 », loc. cit., p. 178-179.
Voir Mary-Anne Poutanen, "7b Indulge Their Carnal Appetites": Early Nineteenth-Century Prostitution in
Montréal, 1810-1842, thèse de doctorat, Université de Montréal, 1997, p. 26-27, note 93. Voir également
Timolhy J. Gilfoyle, « Prostitutes in llistory: From Parables of Pornography to Metaphors of Modernity »,
The American llistorical Review, 104, 1, 1999, p. 117-141; Luise White, «Prostitutes, Reformers, and
Historiens », Criminal Justice History, 6, 1985, p. 201-227; Philippa Levine, « Women and Prostitution:
Metaphor, Reality, llistory», Canadian Journal of History/Annales canadiennes d'histoire, 28, 3, 1993, p.
479-494.
X
notamment celui des institutions de régulation étatique. Au Québec, comme pour les
recherches sur la justice criminelle, les travaux sur la prostitution se sont concentrés
davantage sur l'espace montréalais. Dans l'historiographie contemporaine, deux volets
principaux forment les fondations de ce mémoire; d'une part, les recherches portant sur les
réformes institutionnelles et législatives en matière de prostitution, qui rejoignent le champs
de l'histoire juridique, et d'autre part, la répression institutionnelle par la justice de l'Etat.
Les premiers travaux reliés à la régulation étatique et la prostitution au Québec ont été
menés par Andrée Lévcsquc. Elle s'est intéressée aux agents de contrôle de la prostitution,
à la répression étatique ainsi qu'au milieu de vie des prostituées à Montréal de la fin du
XIXe jusqu'à la première moitié du XXe siècle17. Dans ses recherches sur la criminalité
féminine à Montréal, Tamara Myers a, quant à elle, retracé les modes de contrôle envers les
femmes et les jeunes délinquantes aux comportements sociaux et sexuels inadéquats, celles
16
Constance Backhouse, « Nineteenth-Century Canadian Prostitution Law: Refleclion of a Discriminatory
Society », Histoire sociale-Social History, XVIII, 36, 1985, p. 387-423; Petticoats and Préjudice: Women and
Law in Nineteenlh-Century Canada, Toronto, Osgoode Society, 1991, p. 228-259. Concernant l'histoire
juridique de la prostitution, voir aussi John McLaren, « White Slavers: The Refont) of Canada's Prostitution
Laws and Pattems of Bnforcement, 1900-1920 », Criminal Justice History, VIII, 1987, p. 53-57. Aux États-
Unis, voir notamment Thomas C. Mackey, Red Lights Ont: A Légal History of Prostitution, Disorderly
Houses, and Vice Districts, 1870-1917, New York-London, Garland, 1987,438 p.
17
Andrée Lévesque, «Éteindre le Red Light: les réformateurs et la prostitution à Montréal entre 1865 et
1925», Revue d'histoire urbaine, XVII, 3, 1989, p. 191-201; « L e bordel milieu de travail contrôlé»,
Labour/Le Travail, 20, 1987, p. 13-31.
9
appelées « les mauvaises filles » . Les recherches de Caroline Strange, portant sur la
prostitution et les comportements contre les bonnes mœurs à Toronto, ont aussi analysé la
construction de ce phénomène nommé le « problème féminin » au début du XXe siècle19.
Dans le contexte d'accélération des phénomènes d'urbanisation et d'industrialisation à
partir des dernières décennies du XIXe siècle, les travaux de Lévesque, Myers et Strange
ont ainsi développé leurs analyses de la répression de la prostitution en relation avec
l'accroissement de l'appareil judiciaire et pénal de l'État.
Finalement, pour combler le vide historiographique engendré par le peu d'études liées
aux caractéristiques et aux modes de vies des prostituées, Mary-Anne Poutanen a examiné
les relations, le milieu et l'intégration des prostituées à l'intérieur de l'environnement social
et géographique montréalais entre 1810 et 184220. Le travail de recherche effectué par
Poutanen demeure une référence essentielle en raison de la réflexion approfondie qu'elle
apporte sur son objet de recherche, aux sources analysées, à la démarche élaborée et aux
questions méthodologiques soulevées.
Présentation du corpus
Le questionnement fondamental de cette recherche, relié davantage à l'administration
concrète des institutions judiciaires plutôt qu'aux discours et représentations, a déterminé le
Tamara Myers, Caught: Montreal's Modem Girls undthe Law, 1869-1945, Toronto, University of Toronto
Press, 2006, 345 p.
19
Caroline Strange, Toronto's Girl Problem: The Périls and Pleasure of the City, 1880-1930, Toronto,
University of Toronto Press, 1995, 299 p. Voir aussi Mary li. Odem, Délinquant Daughter: Protecting and
Policing Adolescent Female Sexuality in the United States, 1885-1920, Chaptel Hill, University of North
Carolina Press, 1995, 265 p.; Ruth M. Alexander, The "Girl Problem": Female Sexual Delinquency in New
York, 1900-1930, Ithaca, Cornell University Press, 1995, 200 p.
2(1
Mary-Anne Poutanen, thèse de doctorat, op. cit. Voir également ses articles: « Bonds of Friendship,
Kinship, and Community: Gender, Homelessness, and Mutual Aid in liarly-Nineteenth-Century Montréal »,
dans Bettina Bradbury et Tamara Myers, Negotiating Identifies in 19th and 20th-Century Montréal,
Vancouver, University of British Columbia Press, 2005, p. 25-4H; « Images du danger dans les archives
judiciaires : comprendre la violence et le vagabondage dans un centre urbain du début du XXe siècle,
Montréal (1810-1842)», RHAF, 55, 3, 2002, p. 381-405; « Regulating public Space in Early Nineteenth-
Century Montréal: Vagrancy Laws and Gender in a Colonial Context », Histoire sociale/Social History, 35,
69, 2002, p. 35-58; «The Geography of Prostitution in an Early Nincteenth-Century Urban Centre, Montréal,
1810-1842 », dans Tamara Myers et ai, Power, Place and Identiiy, Historical Studies of Social and Légal
Régulation in Québec, Montréal, Montréal History Group, 1998, p. 101-128.
10
choix du corpus de sources. Les principaux documents consultés ont d'abord été les
registres et autres documents des tribunaux inférieurs de juridiction criminelle concernant
les délits reliés à la prostitution. Par la suite, les registres de la prison de Québec (registres
d'écrou) ont permis de couvrir les aspects reliés à la répression carcérale. Bien que d'autres
sources complémentaires ont été consultées (textes de lois, journaux, statistiques
criminelles officielles), les registres et les documents des tribunaux constituent la base
documentaire la plus importante pour l'analyse des opérations directes et quotidiennes du
système de justice liées aux activités de la prostitution.
Sur le plan des tribunaux inférieurs de justice criminelle, une première série
documentaire est constituée des registres de la Cour du Recorder (Cour municipale) de
91
Québec, qui sont conservés aux Archives de la ville de Québec . Regroupés sous les titres:
« Livre des prisonniers » ou « Pénal Book », ces registres contiennent les informations
compilées quotidiennement par le greffier. Ils fournissent le nom et le prénom des
personnes accusées, les chefs d'accusation et les sentences sommaires. De plus, les noms
des policiers impliqués et d'autres renseignements relatifs au contexte des arrestations sont
fréquemment mentionnés. Ces données, concernant surtout la surveillance et la répression
des prostituées et des vagabondes dans l'espace public, ont permis d'analyser les cas des
femmes inscrites dans ces registres pour les années 1880, 1885, 1890, 1895, 1900 et 1905.
La méthode d'échantillonnage à tous les cinq ans a été retenue afin d'obtenir un portrait
99
complet des années sélectionnées plutôt que d'étudier partiellement chacune d'entre elles .
Les dossiers des Sessions de la Paix du district de Québec forment une deuxième série
91
documentaire analysée pour la période 1880-1905 . Les dossiers examinés sont composés
des plaintes et des dépositions concernant des délits reliés à la prostitution, des actes
21
AVQ, Cour du Recorder, Pénal Book, 2FF, no 20 à 23, 1880, 1885, 1890 el 1895; Livre des prisonniers,
2FF, no 46-47, 1900 et 1905.
~~ Au total, 537 accusations concernant tous les types de délits commis par des femmes ont été répertoriées
dans les registres de la Cour du Recorder pour les années 1880/1885/1890/1895/1900/1905: 163 cas en 1880;
101 en 1885; 102 en 1890; 64 en 1895; 53 en 1900 et 54 en 1905.
23
Un premier dépouillement des dossiers judiciaires a été fait à partir des CD-ROM Thémis 2, qui regroupe
les dossiers relevant des Sessions de la Paix en matière civile et criminelle pour le district de Québec. Par la
suite, parmi 3 16 documents reliés à la prostitution, aux maisons de débauche et à la vente illicite d'alcool par
des maîtresses de bordels pour la période 1880-1905, 108 ont été consultés directement aux Archives
nationales du Québec à Québec, AnQ-Q, IL 31, S1, SS1.
Il
délits reliés à la prostitution . Tenus de façon constante, les registres de la prison indiquent
d'abord la description des personnes incarcérées, c'est-à-dire le nom, le prénom, l'âge, la
nationalité, la religion, l'état civil, le niveau d'instruction, les habitudes morales, le lieu de
résidence et l'occupation . Les informations suivantes concernent les dossiers judiciaires
relatifs à l'offense commise, la sentence, la date d'entrée et de sortie de la prison ainsi que
l'autorité ayant ordonné l'emprisonnement et la libération de l'individu.
L'historiographie de la prostitution est d'ailleurs caractérisée par cette carence des sources provenant des
prostituées elles-mêmes. Mary-Anne Poutanen a cependant comblé cette lacune par son analyse des
documents judiciaires afin de retracer les informations plus approfondies concernant les prostituées, leurs
relations et leur milieu de vie, voir notamment son article « Reflections of Montréal Prostitution in the
Records of the Lower Courts, 1810-1842 », dans Donald Fyson, Colin M. Coates et Kathryn llarvey, Class,
Cl entier and the Law in Eighleenth and Nineteenlh Century Québec: Sources and Perspectives, Montréal,
1993, p. 99-126.
25
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036, 1577/1578/1579.
6
Les registres de la prison de Québec contiennent 1889 entrées de femmes au cours de la période 1880-1905.
Le nombre de personnes emprisonnées est moindre car un individu pouvait être incarcéré plusieurs fois.
Vingt hommes sont inscrits dans les registres de la prison pour avoir « tenu » ou « fréquenté » un bordel
entre 1880 et 1905.
L'occupation des personnes emprisonnées commença à être inscrite dans les registres de la prison de
Québec à partir de 1848. Il s'agit pour la présente étude d'une donnée importante puisque certaines femmes
furent alors identifiées comme « prostituées ».
12
En plus des archives judiciaires, l'examen des textes de lois et des règlements
municipaux a permis d'établir le cadre législatif et réglementaire à la base des procédures
d'arrestation, de jugement et des sanctions pénales visant la prostitution de rue et les
maisons de débauche. En particulier, la législation criminelle de la prostitution, qui était de
compétence fédérale, a été repérée dans les Statuts refondus du Canada, incorporés par la
suite au Code criminel à partir de 189229. Par la suite, les textes de lois concernant
l'organisation des tribunaux et du service de police dans la province de Québec proviennent
des Statuts refondus du Québec de 188830. La réglementation spécifique concernant le
service de police ainsi que les maisons de débauche à Québec a été repérée dans les
Règlements du conseil de ville de la Cité de Québec (1901) ainsi que dans Y Acte
1 1
55-56 Vict. (1892), c. 29, Acte concernant la loi criminelle {Code criminel, 1892).
"° Statuts refondus du Québec (SRQ), 1888, titre VI, du pouvoir judiciaire et titre VII, de la police et du bon
ordre.
31
Règlements du Conseil de ville de la Cité de Québec, compilés par Mathias Chouinard, 1901, règlement no
234 du 23 septembre 1870, concernant les maisons de prostitution, p. 68-70; règlement no 285 du 21 juin
1899, tel que modifié par la sec. 31 du règlement no 327, concernant le comité de police et le corps de la
police de la cité de Québec, p. 78-87; Mathias Chouinard (compilés par), Acte d'incorporation de la Cité de
Québec: compilation des divers statuts concernant cet acte et la Cour de recorder de la Cité de Québec.
Québec, C. Darveau, 1896.
32
Dans le Québec Mercury, 1880-1905.
" Dans le Québec Chronicle. Le titre du journal varia au cours de la période, {Chronicle and Commercial
and Shipping Gazette (1850-1888); Québec Morning Chronicle (1888 à 1898); Québec Chronicle (1898-
1924)). Pour consultation, voir le site Internet de la Bibliothèque et des Archives nationales du Québec:
http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/qc/.
13
des tenancières étaient enregistrés dans les documents des Sessions de la Paix, de la Cour
du Recorder ou dans les registres d'écrou, les journaux étaient dépouillés quelques jours
avant et après la date inscrite dans les dossiers judiciaires. Les renseignements recueillis
dans les journaux ont ainsi permis de fournir de nombreuses informations supplémentaires
concernant les descentes dans les bordels ainsi que les personnes impliquées.
Une seconde limite à souligner concerne les données judiciaires manquantes. D'une
part, l'établissement d'échantillons de recherche a été nécessaire afin d'analyser les
14
Judith Walkowitz, Prostitution and Victoria» Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 13-
31.
Le problème de représentativité des sources judiciaires pour l'étude de la prostitution peut être relié aux
critiques générales concernant le «chiffre noir» du crime ou la «criminalité inconnue», voir notamment
Véronique Pillon, Normes et déviances, Rosny, Bréal, 2003, p. 73-84. Voir également les réflexions connexes
relatives aux recherches sur le viol et la violence domestique, Mary E. Odem, « Cultural Représentation and
Social Contexts of Râpe in the Karly Twentieth Century», dans Michael A. Bellesiles, Lethul Imagination:
Violence and Brutality in American llistory, New York, NYUP, 1999, p. 357-358; Anna Clark, « Humanity or
Justice? Wifebeating and the Law in the Eighteenth and Nineteenth Centuries », dans Carol Smart (dir),
Regulating Womanhood, New-York, Routldge, 1992, p. 187-206.
14
documents judiciaires. Bien que posant certaines limites à l'exhaustivité des résultats,
l'échantillonnage retenu a cependant permis d'observer une année complète à tous les cinq
ans dans les registres de la Cour du Recorder. D'autre part, la recherche n'a pas été en
mesure de retracer certains documents dans les archives judiciaires. Ainsi, les registres de
la Cour de Police sont manquants aux Archives de la ville de Québec. De plus, les rapports
annuels du chef de police n'ont pas été repérés et semblent ne pas avoir été produits au
cours de la période couverte par l'étude. Conséquemment, l'analyse ne peut couvrir la
totalité des procédures sommaires et des activités de répression policière envers la
prostitution. Ce problème a cependant été pallié à partir des informations relevées dans les
registres de la Cour du Recorder. En effet, ces documents fournissent plusieurs données sur
les arrestations effectuées par les policiers et leurs activités de surveillance dans les rues de
Québec. Ces renseignements ont ainsi permis de couvrir certains aspects reliés au contrôle
de l'espace public.
' Cette catégorie se retrouve en anglais sous l'appellation « Loose, Idle and Disordcrly ». Elle est parfois
traduite dans les statistiques criminelles du Canada par l'expression « conduite déréglée », voir statistiques
criminelles, Documents de la Session, 45, Victoria, (1882), à 5-6, Edouard VII, (1906).
" Contrairement à la présente méthode, certaines études sur le sujet ont analysé l'ensemble des femmes
identifiées dans la catégorie large de délit « Loose, Idle, and Disorderly », voir Mary-Anne Poutanen, thèse de
doctorat, op. cit., p. 25-42. Voir également Constance Backhouse, loc. cit., p. 396-397.
15
prostituées' . Contrairement à la prostitution dans la rue, l'étude des groupes reliés aux
activités dans les bordels (tenancières, tenanciers, prostituées et clients) s'est révélée moins
problématique puisque les documents judiciaires identifiaient de façon plus précise le statut
de ces individus.
Concernant la prostitution dans la rue, les femmes faisant partie de ce groupe ont été
identifiées à partir des registres des sentences sommaires de la Cour du Recorder en
complémentarité avec les registres de la prison de Québec. À partir des registres de la
prison, le groupe étudié se compose d'abord des femmes incluses dans la catégorie des
personnes « débauchées, désœuvrées et désordonnées » et identifiées comme prostituées
in
dans la section traitant de leur occupation . Par la suite, une comparaison du nom et de
l'âge de ces femmes dans les registres de la prison et ceux du Recorder a permis de retracer
leurs parcours judiciaires et compléter l'échantillon d'analyse40. En raison sans doute de la
distinction de genre importante effectuée par la justice criminelle de l'époque, les hommes
ne sont jamais identifiés comme prostitués dans les documents judiciaires recueillis dans
8
Lorsque les femmes identifiées au moins une fois comme prostituées étaient arrêtées pour d'autres types
d'offenses liées au vagabondage, elles sont désignées par l'expression « vagabondes/prostituées ».
,()
Les renseignements s'appuient sur les inscriptions faites par le geôlier de la prison mais sont tout de même
retenus car ils apportent des éléments d'information plus précis permettant de ne pas s'appuyer uniquement
sur la catégorie large des personnes « débauchées, désœuvrées et désordonnées ».
Plusieurs femmes différentes pouvaient avoir le même nom et prénom. Dans ces cas, la différenciation a
été faite en comparant l'âge des femmes. En raison du manque de précision relatif à l'âge déclaré par les
prisonnières, le critère de différenciation entre deux femmes ayant le même nom a été établi lorsque l'écart
était de dix années ou plus.
16
Entre 1880 et 1905, les archives judiciaires consultées ont permis de repérer au total
422 personnes différentes ayant traversé le système de justice criminelle pour des délits
concernant la prostitution dans la rue ou pour avoir tenu, fréquenté ou habité une maison de
débauche à Québec 41 . Dans l'ensemble, 169 prostituées ont été interpellées au moins une
fois dans la rue tandis que 253 individus ont été arrêtés pour des délits reliés aux bordels.
IV-STRUCTURE
L'étude se divise en trois chapitres. Chacune des parties traite, de façon thématique,
d'un aspect particulier du système de justice criminelle en matière de prostitution. Le
premier chapitre examine le cadre normatif, juridique et institutionnel de la justice à
Québec. Cette approche, concernant davantage la structure interne du système, analyse en
premier lieu le contexte normatif dans le cadre des débats et des transformations législatives
vis-à-vis la prostitution. L'examen porte alors de manière plus approfondie sur le cadre
41
II s'agit des personnes jugées par le Recorder ainsi que celles ayant porté ou fait l'objet d'une plainte et/ou
d'une accusation dans les documents des Sessions de la Paix. Les données sont complétées par les personnes
inscrites dans les registres de la prison pour des offenses reliées à la prostitution entre 1880 et 1905. Un
portrait plus précis de la population totale retracée dans les archives judiciaires se retrouve aux chapitres deux
et trois.
17
Le deuxième chapitre traite des rouages du système de justice criminelle au niveau des
tribunaux inférieurs et de l'utilisation de la prison. En plus des intentions déclarées
officiellement par les législateurs et les élites urbaines, l'analyse des activités répétitives et
quotidiennes des tribunaux permet de faire ressortir la mécanique véritable du système.
Cette partie analyse en premier lieu la logique opératoire de la justice criminelle en
définissant le mode de répression véritablement vécu par les prostituées de rue ainsi que par
les individus arrêtés dans les bordels. L'évaluation du système judiciaire porte ensuite sur
les procédures et les motifs des accusations. Finalement, la dernière section concerne
l'objectif punitif de la justice en examinant les sentences imposées par les tribunaux.
Le dernier chapitre porte plus spécifiquement sur les individus impliqués dans les
activités de la prostitution. Cette partie vise ainsi à répondre à diverses questions
concernant les personnes reliées à la prostitution et ayant traversé le système judiciaire. En
tenant compte du contexte particulier de Québec à la fin du XIXe siècle, il s'agit de mettre
en lumière les caractéristiques des groupes réprimés par la justice. Le chapitre aborde
finalement certains aspects reliés aux comportements des individus ainsi que les tentatives
d'instrumentalisation du système par certaines prostituées et tenancières.
18
Introduction
Une autre approche orientée vers la « réhabilitation » des prostituées entraîna la création d'établissements
spécialisés d'enfermement. Ainsi, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, le Bon-Pasteur de Québec
recueillait certaines prostituées repenties en plus d'être une institution de détention juvénile. Sur les
différentes approches des législateurs et des réformateurs sociaux de l'époque voir Andrée Lévesque, « Les
réformateurs et la prostitution à Montréal entre 1865 et 1925 », loc. cit., p. 191-201. Voir aussi Constance
Backhouse, loc. cit., p. 387-396; Mariana Valverde, The Age of Light, Soap, and Water: Moral Reform in
English Canada, 1885-1925, Toronto, McClelland & Stewart, 1991, 205 p. Aux États-Unis, voir Ruth Rosen,
The l.ost Sisterhood Prostitution in America, 1900-1918, Baltimore, Johns llopkins Univcrsity Press, 1981,
245 p.; Mark Thomas Connelly, The Respon.se to Prostitution in the Progressive Era, Chapel Hill, Univcrsity
of North Carolina Press, 1980, 261p. En Grande-Bretagne, voir Judith Walkowitz, Prostitution and Viciorian
Society, op. cit.; City of Dreadful Delight: Narratives ofSexual Danger in Late-Victorian London, Chicago,
Univcrsity of Chicago Press, 1992, 353 p.; Paula Bartley, Prostitution: Prévention and Reform in England,
1860-1914, London/NY, Routlcdgc, 2000; Philippa Levine, Prostitution, Race and Politics, NY, Routledge,
2003, 480 p.; « A Multitude of Unchaste Women: Prostitution in the British F.mpire », Journal of Women's
Hislory, 15, 4, 2004, p. 158-163.
4
Sur la théorie réglementariste et son application en France, voir l'ouvrage d'Alain Corbin, Les filles de
noce, misère sexuelle et prostitution (19e et 20'' siècles), Paris, Aubier Montaigne, 1978. Voir aussi Jacques
Sole, L'âge d'or de la prostitution, Paris, Pion, 1993; Laure Adler, La vie quotidienne dans les maisons
closes, 1830-1930, Paris, Hachette, 1990, 259 p.; Brigitte Rochelandet, Les maisons closes autrefois, Lyon,
Horvath, 1995, 143 p.. Sur le système réglementariste qui n'était pas exclusif à la [Tance, consulter Alberto
Cairoli, Giovanni Chiaberto et Sabina Fngel, Le déclin des maisons closes: la prostitution à Genève à la fin
du XIXe siècle, Genève, Editions Zoé, 1987, 199 p.
44
Les mouvements féministes, dont la Ladies National Association en Angleterre, dirigée par Joséphine
Butler, dénonçaient également la discrimination exercée contre les femmes victimes d'un double standard
sexuel, voir notamment Judith Walkowitz, Prostitution and Victorian Society, op. cit., p. 113-147. Sur les
19
Face aux débats normatifs, l'approche adoptée par le droit criminel canadien était celle
de l'abolition. La répression de la prostitution était alors incorporée à la loi sur le
vagabondage de 1869, qui servait d'ailleurs à sanctionner plusieurs types de comportements
déviants associés aux groupes marginaux de la société de l'époque. Au cours des trois
dernières décennies du XIXe siècle, la législation fédérale tendit à accroître la répression du
phénomène, en particulier envers les tenanciers et les tenancières des bordels. Par ailleurs,
comme plusieurs autres municipalités à la même époque, Québec établissait sa propre
réglementation sur la prostitution afin de préserver le bon ordre dans les limites de la ville.
thèses féministes aetuelles affirmant encore aujourd'hui la même argumentation, voir Kathlccn Barry, The
Prostitution o/Sexuality: The Global Exploitation of Women, New York, NYU Press, 1995 (1979). Voir aussi
le résumé historiographique de Barbara Sullivan, « Trafficking in Women », International Feminisi Journal of
Politics,5, 1,2003, p. 67-91.
?.()
prostituées étaient visées spécifiquement par cette loi. Elles faisaient alors partie des
personnes désignées comme « débauchées, désœuvrées et déréglées » dans les textes de
lois.
Selon YActe relatif aux Vagabonds de 1869, les personnes réputées vagabondes,
licencieuses, désœuvrées et débauchée étaient:
(...) les prostituées ou personnes errant la nuit dans les champs, les rues publiques ou
les grands chemins, les ruelles ou les lieux d'assemblées publiques ou de
rassemblements, et qui ne rendent pas d'elles un compte satisfaisant;
les personnes tenant des maisons de prostitution et maisons malfamées, ou des
maisons fréquentées par des prostituées, et les personnes dans l'habitude de fréquenter
ces maisons qui ne rendent pas d'elles un compte satisfaisant;
les personnes qui n'exerçant pas de profession ou de métier honnête propre à les
soutenir, cherchent surtout des moyens d'existence dans les jeux de hasard, le crime
ou les fruits de la prostitution .
La législation criminalisait les prostituées et les exploitants des bordels pour leur refus
d'exercer un travail honnête en cherchant des moyens d'existence dans les fruits de la
prostitution. Par ailleurs, la criminalisation des prostituées ne résultait pas uniquement d'un
comportement déviant mais également de leur statut personnel. En ce sens, les autorités
judiciaires possédaient le pouvoir d'intenter des poursuites criminelles contre les femmes
arrêtées dans les espaces publics pour le seul fait d'être réputées prostituées et ne pouvoir
rendre un compte satisfaisant d'elles-mêmes.
32-33, Vict. (1869), c. 28, art. 1. La loi sur le vagabondage de 1869 découlait de Y Ordonnance pour établir
un Système de Police effectif dans les villes de Québec et Montréal mise en vigueur par le Conseil Spécial du
Bas-Canada. Selon cette législation, qui était la première à mentionner spécifiquement les prostituées, les
policiers pouvaient appréhender toute prostituée ou personne errant la nuit dans les champs, les rues et les
chemins publics ainsi que les personnes fréquentant les maisons de débauche qui ne rendaient pas d'elles un
compte suffisant, Ordonnances faites et passées par le Gouverneur Général et le Conseil Spécial (Bas-
Canada), 2 Vict. (1838), c. 2, section IX; consulter aussi Les actes et ordonnances révisés du Bas-Canada,
1845, classe D, p. 168. Voir Mary-Anne Poutanen, thèse de doctorat, op. cit., p. 173-174. En 1858, les textes
de lois concernant les maisons de désordre se précisaient davantage et ciblaient alors toutes les personnes
accusées de « tenir, habiter ou fréquenter habituellement une maison de désordre, malfamée ou lieu de
débauche », 22 Vict. (1858), c. 27, art. 1 (4) et Statuts refondus du Canada (SRC), 1859, c. 105, art. 1 (7).
22
Ainsi, elles pouvaient être emprisonnées pour un terme de pas plus de deux mois, avec ou
sans travaux forcés, et/ou une amende n 'excédant pas cinquante piastres, à la discrétion
des magistrats ou juges de paix. En 1874, un premier amendement à Y Acte concernant les
Vagabonds portait la sentence maximale d'incarcération de deux à six mois 49 .
Entre 1880 et 1905, les prostituées arrêtées dans les espaces publics et dans les
bordels, de même que les tenancières, étaient passibles, selon la loi sur le vagabondage,
d'une amende n'excédant pas cinquante piastres et/ou d'une peine d'emprisonnement ne
dépassant pas six mois, avec ou sans travaux forcés . La législation visait également les
clients, qui pouvaient être accusés de fréquenter habituellement des maisons de débauche.
Ils étaient alors passibles des mêmes sentences que les prostituées '.
En plus des poursuites concernant la loi sur le vagabondage, les tenanciers et les
tenancières de maisons de débauche pouvaient être poursuivis pour nuisance publique sous
le droit commun anglais et ensuite sous les sections 195 et 198 du Code criminel de 1892' .
Tenir une maison de débauche était considéré comme une nuisance qui, « en plus de mettre
en danger la paix publique, en rassemblant des personnes déréglées et débauchées, tendait à
corrompre la moralité des deux sexes » . Selon le Code criminel, les individus accusés
selon cette législation pouvaient être « quiconque se montre, agit ou se conduit comme le
37 Vict. (1874), c. 43, art. 1. En 1881, un second amendement visait à enlever les doutes sur les pouvoirs
d'imposer les travaux forcés aux personnes emprisonnées en vertu des actes concernant les vagabonds, 44
Vict. (1881), c. 31, art. 1.
La loi sur le vagabondage et ses amendements furent inclus dans Y Acte concernant les crimes contre les
mœurs et la tranquillité publique des Statuts refondus du Canada de 1886, c. 157, art. 8 (i, j , k). La section
concernant le vagabondage fut par la suite intégrée au Code criminel, 1892, partie XV, du vagabondage, art.
207 (i,j, k, 1).
51
Selon la formulation du Code criminel canadien, la législation du vagabondage ciblait notamment
quiconque qui « a l'habitude de fréquenter ces maisons, et ne rend pas de lui-même ou d'elle-même un
compte satisfaisant », Code criminel, 1892, art. 207 (k).
W. C. Keele, The Provincial Justice: or, Magistrate's Manual, being a Complète Digest ofthe Criminal
Law of Canada and a Compendious and General View ofthe Provincial Law of Upper Canada with Practical
Forms, for the Use of ail Magistracy, 5e éd., Toronto, H. & W. Rowsell, 1864, p. 92-93; Code criminel, 1892,
partie XIV, des nuisances, art. 195 et 198.
51
« Keeping a bawdy-house is a common nuisance, and it not only endangers the public peace, by drawing
togefher dissolutc and debauched persons, but also tends to corrupt the morals of both sexes, by such open
profession of lewdness », W.C. Keele, op. cit., p. 92. Selon la formulation du Code criminel, la nuisance
publique était « un acte illégal ou l'omission de remplir un devoir légal, qui a pour effet de mettre en danger la
vie des gens, la sûreté, la salubrité, la propriété ou la commodité du public, ou qui a pour effet de gêner ou
entraver le public dans l'exercice ou la jouissance d'un droit commun à tous les sujets de sa Majesté », Code
criminel, 1892, art. 191.
23
maître ou la maîtresse (...) d'une maison déréglée malgré qu'il ne soit pas le propriétaire ou
ne la tienne pas réellement »5 . La peine prévue contre les tenanciers et tenancières était
alors d'un an d'emprisonnement55. Contrairement aux individus poursuivis par voie
sommaire pour vagabondage, les poursuites contre les exploitants des maisons de débauche
pour nuisance publique s'effectuaient par acte d'accusation (indictment)56. À partir de
1858, les magistrats possédaient cependant l'autorité absolue déjuger par procès sommaire
les individus accusés de tenir, habiter ou fréquenter une maison de débauche dans les
limites de la ville de Québec57.
Au cours des dernières décennies du XIXe siècle, dans le contexte d'anxiété des pays
occidentaux concernant l'existence d'un trafic international de prostituées (désigné par
l'expression de « traite des blanches »58), la lutte contre l'exploitation de femmes dans les
maisons de débauche devenait une préoccupation importante des législateurs canadiens .
Entre 1886 et 1892, en réaction aux pressions exercées notamment par des associations
féministes et des groupes réformistes religieux, des sanctions très répressives concernant les
crimes contre les mœurs étaient adoptées au Canada et ciblaient particulièrement les
tenanciers et les tenancières. La législation visait alors principalement la protection des
54
/6W., art. 198, s. 2.
lbid., art. 198. Le chapitre portant sur les crimes contre les mœurs condamnait à une amende de dix à cent
piastres ou six mois d'emprisonnement un tenancier ou une tenancière d'une maison, tente ou wigwam
servant à la prostitution de femmes amérindiennes, voir ibid., art. 190 (a).
56
W.C. Kcclc, op. cit., p. 93.
57
22 Vict. (1858), c. 27, art. 2. Sur la justice sommaire, voir la section 1.3.2.
' L'expression « esclave blanc » a d'abord été utilisée dans les années 1830 par le mouvement ouvrier afin de
qualifier les conditions de travail intolérables des ouvriers. L'expression prit un tournant sémantique
représentant l'exploitation sexuelle durant les années 1870-1880 dans le contexte des luttes réformatrices
contre la prostitution de filles anglaises dans les bordels sur le continent européen, voir Mara L. Keire, « The
Vice Trust: A Reinterpretation of Ihe White Slavery Scarc in the United States, 1907-1917», Journal of
Social History, 3 5 , 1 , 2001, p. 7-9.
Au Canada et aux États-Unis, les campagnes de répression reliées à la panique de la « traite des blanches »
culminèrent au cours des années 1910. Sur le phénomène, voir notamment John McLaren, « White Slavers:
The Reform of Canada's Prostitution Laws and Pattems of Enforcement, 1900-1920», Criminal Justice
History, VIII, 1987, p. 53-119; Lawrence M. Friedman, Crime and Punishment in American History, 1993, p.
324-325; Ruth Rosen, op. cit., p. 113-135; Mark T. Connelly, op. cit., p. 115-135. Contrairement à Rosen,
Connelly affirme que la « traite des blanches » était davantage le produit d'une hystérie collective; sur ce
débat entre mythe et réalité du phénomène, voir Philippa Levine, « 'Ihe White Slave Trade and the British
Empire », dans Louis A. Knafla (éd.), Crime, Gender, and Sexuality in Criminal Prosecutions, Wesport,
London, 2002, p. 144. Voir aussi Jacques Sole, « Traite des Blanches: la mondialisation du trafic », Histoire,
no 264, avril 2002, p. 54-59.
24
Voir notamment les recherches d'André Cellard et Gérald Pelletier portant sur les pressions des groupes
sociaux dans le processus d'élaboration et les transformations du Code criminel canadien, « Le Code criminel
canadien 1892-1927: étude des acteurs sociaux », The Canadian Historical Review, 79, 2, 1998, p. 276-289.
Voir aussi Carolyn Strange, op. cit., p. 96-102.
SRC, 1886, c. 157, Acte concernant les délits contre les mœurs et la tranquillité publiques, art. 7 et Code
criminel, 1892, partie XIII, des crimes contre les mœurs, art. 185. À partir de 1892, le Code criminel ajoutait
une série d'articles visant à enrayer le trafic de femmes vers l'intérieur et l'extérieur des frontières
canadiennes pour le motif de la prostitution. Les Statuts refondus de 1886 ainsi que les dispositions du Code
criminel découlaient en majeure partie de la législation adoptée l'année précédente en Grande-Bretagne,
Criminal Law Amendmenl Acl, 48-49 Vict. (Angleterre, 1885), c. 69. La législation anglaise de 1885
augmentait notamment l'âge de consentement sexuel à seize ans et interdisait aux propriétaires de permettre la
pratique de la prostitution dans leur établissement, John McLaren, loc. cit., p. 61; Constance Backhouse, loc.
cil., p. 395.
63
SRC, 1886, c. 157, art. 5. La sentence était de dix ans d'emprisonnement si la fille avait moins de douze
ans. À partir de 1892, l'âge minimum était portée de douze à quatorze ans, voir Code criminel, 1892, art. 187.
63
Ibid., art. 186.
25
Les pouvoirs accordés à la ville de Québec lui permettait également d'établir sa propre
réglementation afin de: « supprimer et réglementer les maisons de prostitution, malfamées,
déréglées ou réputées telles »66. En 1866, en réaction aux plaintes des citoyens, le conseil
municipal décidait d'adopter un premier règlement relatif aux maisons de prostitution1 .
Quelques années plus tard, la réglementation municipale sur les maisons de prostitution
était renforcée par le règlement no 234 du 23 septembre 1870, qui était alors plus répressif
M
29Vict. (1865), c. 57, s. 29(1).
'' Mathias Chouinard (compilés par), Acte d'incorporation de la Cité de Québec, op. cit., s. 624-625, p. 184-
185; 29 Vict. (1865), c. 57, s. 31 (13).
66
Mathias Chouinard (compilés par), Acte d'incorporation de la Cité de Québec, op. cit., s. 380, p. 111;
29 Vict. (1865), c. 57, s. 29 (61); 30 Vict. (1866), c. 57, s. 23.
67
Réjean Lemoinc, « Maisons malfamées et prostitution », Cap-aux-Diamants, 1, 1, 1985, p. 14.
26
envers les maîtresses et les propriétaires des bordels. La municipalité choisissait toutefois
de réglementer plutôt que de supprimer totalement les bordels.
Selon la réglementation de 1870, qui était toujours en vigueur au début du XXe siècle,
les maisons de débauche étaient soumises à une série de restrictions visant à repousser et
dissimuler les activités de ces établissements' . Ainsi, aucune maison de prostitution ou
réputée telle n'était tolérée dans une rue et dans un rayon de deux arpents où se trouvait une
église, un lieu destiné au culte divin, un couvent, une communauté religieuse ou une école.
Les fenêtres des établissements devaient également demeurées closes afin que l'on ne
puisse voir de l'extérieur vers l'intérieur. De plus, le maître ou la maîtresse d'un bordel
devait fournir au surintendant de police son nom et prénom ainsi que ceux des filles ou
femmes habitant dans leur maison. La réglementation spécifiait également que les
tenanciers et tenancières étaient responsables de tous les troubles contre l'ordre et la
tranquillité commis à l'intérieur ou à l'extérieur de leur établissement. Afin d'empêcher le
racolage, les pensionnaires devaient demeurer à l'intérieur des établissements et ne
pouvaient pas s'exposer devant les portes ou sur le seuil des maisons ou même tenter
d'appeler les passants par des gestes ou des paroles .
Des sanctions pénales assez sévères étaient prévues contre les tenanciers et tenancières
qui ne respectaient pas les dispositions du règlement. Ces derniers étaient passibles, sur
conviction devant la Cour du Recorder, d'une amende n'excédant pas cent piastres ou, à
défaut de paiement et des frais, à un emprisonnement et au travail forcé pour un temps
n 'excédant pas six mois. La période d'emprisonnement prenait fin aussitôt que l'amende et
les frais étaient payés ..
' D'autres exemples au Canada indiquent que les règlements des conseils municipaux variaient d'une ville à
l'autre. Par exemple, le règlement no 468 du conseil de ville de Toronto promulgué en 1868 était, quant à lui,
complètement abolitionniste, voir Lori Rotenburg, « The Wayward Worker: Toronto's Prostitute al the Turn
ofthe Century », dans Women at Work: Ontario, 1H50-1930, Toronto, Canadian Womcn's Hducational Press,
1974, p. 55. Consulter aussi l'article de Joy Cooper portant sur la régulation des maisons de débauche à
Winnipeg dans le contexte spécifique de son expansion démographique depuis la fin du XIXe siècle et des
mouvements réformateurs de l'époque, « Red Lights of Winnipeg », Hislorical and Science Society of
Manitoba, XXVI1, 1971, p. 61 -74.
69
Règlement no 234 du 23 septembre 1870, Concernant les maisons de prostitution, p. 68-70, s. 1 à 6, dans
Règlements du Conseil de ville de la Cité de Québec, compilés par Mathias Chouinard, Québec, 1901.
27
En conclusion, à partir des années 1860, le cadre juridique relatif aux maisons de
débauche à Québec était caractérisé par des contradictions entre le système normatif de la
législation criminelle canadienne et celui de la réglementation municipale. D'une part, les
ordonnances du droit commun anglais et par la suite celles du Code criminel de 1892
étaient totalement prohibitionnistes. En contre-partie, les dispositions des règlements
municipaux relatives notamment au cloisonnement des maisons malfamées et à
l'enregistrement des prostituées auprès des autorités locales s'apparentaient sous plusieurs
aspects au système réglemcntariste appliqué en France à la même époque . Les tenanciers
et tenancières qui parvenaient à maintenir l'ordre et à ne pas déranger la tranquillité du
voisinage pouvaient espérer continuer à exercer leurs activités. La réglementation
municipale constituait tout de même une véritable épée de Damoclès placée au-dessus des
exploitants de bordels situés dans les limites de la ville. Le cadre de régulation demeurait
cependant la « tolérance réglementée » plutôt que la répression totale. En somme, les
magistrats des tribunaux inférieurs ayant compétence en matière de prostitution semblaient
donc posséder un large pouvoir décisionnel dans l'approche normative appliquée à
Québec.
celle des Statuts refondus du Bas-Canada de 1861 . La législation ainsi que les procédures
en matière criminelle demeuraient de compétence fédérale, tandis que les législatures
provinciales détenaient les pouvoirs dans l'administration de la justice incluant « la
Lorsqu'ils siégeaient en groupe, les juges de paix formaient là Cour des Sessions
générales (ou de quartier) de la Paix. À Québec et Montréal, les magistrats présidant ce
73
30-3 1 Viol. ( 1867), c. 3, Acte de I ■Amérique Britannique du Nord, s. 91 (27) et s. 92 (14).
74
En dernier recours, le Comité judiciaire du Conseil privé (Londres) pouvait réviser les décisions de la Cour
du Banc de la reine ou du roi. Les recours au Conseil privé étaient cependant très rares dans les dossiers
criminels et furent abolis par le Code criminel de 1892, art. 751, voir Nancy Kay Parker, Reaching a Verdict:
The Changing Structure ofDecision-Making in the Canadian Criminal Courts, 1867-1905, thèse de doctorat,
Université York, 1999, p. 47.
75
Pierre E. Audct, op. cit., p. 87.
76
À partir des années 1810, des magistrats de justice permanents et salariés étaient en fonction dans les villes
de Québec et Montréal, voir Donald Fyson, Magistrales, Police, and People, op. cit., p. 39-51.
77
Sur l'institution, les fonctions et les Cours des juges de paix entre 1764 et 1837, voir ibid., p. 23-52. Sur le
système de justice criminel dans le contexte canadien entre 1867 et 1905, voir notamment Nancy Kay Parker,
op. cit., p. 26-67.
29
tribunal pouvaient juger plusieurs types d'infractions criminelles à l'exception des crimes
plus graves énumérés notamment dans le Code criminel de 189278. Selon les Statuts
refondus du Québec de 1888, la Cour des Sessions générales de la Paix devait être présidée
par deux juges de paix ou plus. Par ailleurs, la législation spécifiait également que le Juge
des Sessions de la Paix à Québec et à Montréal pouvait présider et tenir seul le tribunal,
sans la coopération des juges de paix 79 . À Québec, au cours des dernières décennies du
XIXe siècle, la Cour formelle avec jury des Sessions générales de la Paix était cependant
très peu active. L'application de la justice criminelle de juridiction inférieure relevait alors
davantage du Juge des Sessions, de la Cour de Police et celle du Recorder.
Depuis les années 1880, la Cour de Police et les Sessions de la Paix du district
judiciaire de Québec étaient dirigées notamment par le Juge de Sessions Alexandre
Chauveau. Le parcours de cet avocat de formation illustre bien la fonction de magistrat
professionnel cumulant plusieurs charges comme juge et membre du Bureau de police de
Selon la législation, les juges de la Cour des Sessions générales de la Paix ne pouvaient juger les dossiers
judiciaires relatifs notamment aux trahisons, à la corruption, à l'évasion et à la délivrance de prisonniers, aux
meurtres ou tentatives de meurtre et aux viols ou tentatives de viol, Code criminel, 1892, art. 539 et 540.
79
SRQ, 1888, titre VI, c. III, art. 2472. Voir également l'article 541 du Code criminel, 1892.
1
25 Vict. (1862), c. 13, Acte pour changer le litre officiel des Inspecteurs et Surintendants de Police pour les
cités de Montréal et Québec.
22 Vict. (1858), c. 27, Acte pour amender et étendre l'Acte de 1857, pour diminuer les frais et abréger, en
certains cas, les délais dans l'Administration de la Justice en matière Criminelle, s. 1 (4), 2, 10.
30
Québec. Impliqué activement dans la politique durant les années 1870, il quittait par la
suite son poste de député du Parti conservateur afin d'être nommé, le 16 janvier 1880, Juge
des Sessions de la Paix. Il était également nommé commissaire de police par le
gouvernement conservateur, ayant sous son contrôle les agents de la Police provinciale de
Québec jusqu'aux années 1896-1897 . A partir de ces années, l'autorité était transférée
vers le département du Procureur général. Peu après, en 1899, le gouvernement libéral
abolissait le poste de commissaire de la Police provinciale . Au cours des deux dernières
décennies du XIXe siècle, une part importante des fonctions du magistrat Alexandre
Chauveau consista donc à présider les Sessions de la Paix et la Cour de Police de Québec8 .
La Police provinciale avait été créée en vertu de la loi 33 Vict. (1869), c. 24, Acte pour établir un service de
police en cette province, entrée en vigueur le 1er février 1870. En 1877, les agents de la Police provinciale
étaient retirés du territoire de la ville de Québec en raison du refus de la municipalité d'augmenter sa
participation au financement. Le service continua à fonctionner avec un effectif réduit jusqu'à son abolition
par le gouvernement libéral en 1878. La Police provinciale était finalement remise sur pied en 1883 et allait
devenir, en juin 1968, la Sûreté du Québec, voir Jean-François Leclerc, « La Sûreté du Québec des origines à
nos jours: quelques repères historiques », Criminologie, XXII, 2, 1989, p. 115-116; Gérald Gagnon, Histoire
du service de police de la ville de Québec, Québec, Les publications du Québec, 1998, p. 61.
83
Jean-François Leclerc, toc. cit., p. 116.
84
Jean Cournoyer, « Alexandre Chauveau », dans La mémoire du Québec de 1534 à nos jours: répertoire des
noms propres, Montréal, Stanké, 2001, p. 297; Gaston Deschênes, Dictionnaire des parlementaires du
Québec, 1792-1992, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1993, p. 159.
19-20 Vict. (1856), c. 106, Acte pour établir une Cour de Recorder dans la Cité de Québec. Ln matière
civile, la Cour du Recorder était notamment chargée de juger les poursuites intentées par la municipalité
concernant les taxes et les droits de licences.
K(>
Simon-Napoléon Parent, premier ministre du Québec entre 1900 et 1905, fut maire de la ville de Québec de
1894 à 1906, voir Michèle Brassard et Jean Hamelin, « Simon-Napoléon Parent », Dictionnaire biographique
du Canada en ligne, Université de Toronto/Université Laval, 2000.
S7
24 Vict. (1861), c. 26, Acte pour amender et refondre les lois relatives à la Cour du Recorder de la Cité de
Québec, s. 6. En cas de maladie ou d'absence du Recorder, celui-ci pouvait être remplacé par le Recorder-
adjoint possédant les mêmes pouvoirs. Le Recorder pouvait également être remplacé par le maire
accompagné d'un conseiller ou par deux conseillers en l'absence du maire.
31
Créée dans le contexte des refontes du système criminel au cours des années 1850, la
Cour du Recorder visait principalement à prendre en charge « de manière sommaire et non
dispendieuse » l'administration de la justice locale 88 . En matière criminelle, le Recorder,
qui pouvait siéger à tous les jours, était chargé des délits mineurs reliés surtout au bon ordre
et à la paix publique. La Cour du Recorder constituait alors l'institution judiciaire servant à
entendre et juger les individus arrêtés par les agents du service de police. Il avait d'ailleurs
le pouvoir déjuger toutes offenses stipulées dans YActe pour autoriser la corporation de la
cité de Québec à établir un corps de police .
Dès les premières décennies du XIXe siècle, la justice criminelle au Bas-Canada était
marquée par un accroissement des procédures sommaires afin de réguler certains
comportements déviants en milieu urbain _. Dans ses recherches sur le droit criminel
canadien entre 1867 et 1905, Nancy Kay Parker a analysé cette augmentation importante
des procédures sommaires au détriment des procès devant jury. Elle souligne toutefois que
u
19-20 Vicl. (1856), c. 106, Préambule.
w
24 Vict. (1861), c. 26, s. 4 et 20 Vict. (1857), c. 123, Acte pour autoriser la corporation de la cité de
Québec à établir un corps de police pour la dite cité.
<5S
Ibid., s. Il; SRQ, 1888, titre VII, c. I, art. 2783 (5-6).
'" 24 Vict. (1861), c. 26, s. 28 et s. 30 (1-2). Voir aussi Mathias Chouinard (compilés par). Acte
d'incorporation de la cité de Québec (1896), op. cit., art. 624, p. 184-185.
92
Donald I'yson, Magistrales, Police, andPeople, op. cit., p. 340-345.
n
cette transformation du droit criminel canadien n'était pas homogène à travers le pays, la
justice étant administrée différemment selon les provinces et les administrations locales 93 .
En contre-partie, lorsqu'un juge de paix ou autre magistrat était informé par une
dénonciation, sous serment, qu'une personne « débauchée, désœuvrée ou déréglée » se
cachait dans une maison de débauche, il pouvait procéder par conviction sommaire et
émettre un mandat d'arrestation. Les constables étaient alors autorisés à entrer dans
l'établissement, appréhender et conduire la personne soupçonnée devant un magistrat ayant
juridiction dans le même district judiciaire .
" SRQ, 1888, titre VII, c. I, art. 2784; Code criminel, 1892, art. 576.
'" Ibid., art. 574. Ces procédures d'arrestation étaient directement reliées à l'article 185, partie XIII, du Code
criminel de 1892 concernant l'exploitation de femmes ou de filles mineures dans les bordels à l'intérieur ou
l'extérieur des frontières du Canada.
1,8
32 Vict. (1869), c. 31, Acte concernant les devoirs des juges de paix, hors des sessions, relativement aux
ordres et convictions sommaires; Code criminel, 1892, partie XLIV, assignation des accusés devant les juges
de paix, art. 558-559.
34
À partir des premières décennies du XIXe siècle, les recours aux procédures
sommaires contribuaient à accélérer l'administration de la justice criminelle 102 . Au fil du
siècle, cette forme de justice plus expéditive permettait de prendre en charge plusieurs types
de délits, incluant la prostitution. À propos de la répression des maisons de débauche, la loi
' Déposition du sergent détective Joseph Patry, Sessions de la Paix, 22 juin 1903, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1
UR 115, cont. 204, document 234944.
1
Mary-Anne Poutanen, thèse de doctorat, op. cit., p. 173-174.
101
Ibid. p. 208-209; 276-285.
102
Donald Fyson, Magistrales, Police, andPeople, op. cit., p. 340-345.
35
Peu après la Confédération, parmi les séries de lois adoptées en 1869, la loi sur
l'administration prompte et sommaire de la justice criminelle continua à être appliquée
pour être finalement incorporée au Code criminel de 1892 . Selon la législation, l'autorité
absolue de juger sommairement les crimes reliés aux maisons de prostitution était accordée
à tout « magistrat compétent » dans la province de Québec, à savoir « tout recorder, juge
d'une cour de comté étant juge de paix, tout commissaire de police, juge des sessions de la
paix, magistrat de police, magistrat de district, ou autre fonctionnaire ou tribunal revêtu,
"M 22 Vict. (1858), c. 27, art. 1(4), 2, 10; SRC, 1859, c. 105, s. 1 (7) et s. 14. L'Acte des procès sommaires de
1858 amendait la loi promulguée l'année précédente en y ajoutant alors l'offense de «tenir, habiter ou
fréquenter habituellement » une maison de débauche, voir 21 Vict. (1857), c. 27, Acte pour diminuer les frais
et abréger, en certains cas, les délais dans l'administration de la justice en matière criminelle. En 1841, une
première série de lois visant à consolider et accélérer l'administration de la justice criminelle pour certains
types d'infraction, notamment les assauts communs, était adoptée par le Parlement du Canada-Uni, 4-5 Vict.
(1841), c. 24, 25, 26, 27. D'abord retardée par les luttes politiques, la législation adoptée en 1841 découlait
des lois promulguées en Angleterre par le premier ministre Robert Peel en 1827 et 1828 (lois de Peel), voir
Martin Dufresne, « La réforme de la justice pénale Bas-canadienne, le cas des assauts communs à Québec »,
RHAF, 53, 2, 1999, p. 247; « La police, le droit pénal et «le crime» dans la première moitié du XIXe siècle:
l'exemple de la ville de Québec », Revue Juridique Thémis, 34, 2, 2000, p. 427-428.
104
En plus des maisons de désordre, la juridiction absolue du magistrat était aussi effective à l'égard des
matelots séjournant à Québec et accusés dans les limites de la ville, 32-33 Vict. (1869), c. 32, art. 16. À partir
du Code criminel de 1892, les pouvoirs absolus des magistrats n'étaient plus limités aux villes et
s'appliquaient partout au Canada.
105 32_33 y j c t (1869), c. 32, s. 2 (6) et s. 15. En 1886, Y Acte des procès sommaires figurait toujours dans les
Statuts refondus du Canada et fut ensuite incorporé au chapitre des procédures du Code criminel de 1892, voir
SRC, 1886, c. 176, art. 3 (f) et art. 4; Code criminel, 1892, art. 783 ( 0 et art. 784.
36
lors de la passation du présent acte, des pouvoirs conférés à un recorder (...)» '. Ainsi, les
magistrats des Sessions de la Paix, de la Cour de Police et de la Cour du Recorder de
Québec, munis des pouvoirs conférés à deux juges de paix ou plus, possédaient l'autorité de
juger sommairement les individus accusés pour des crimes reliés aux maisons de
prostitution.
Selon les procédures prévues par Y Acte des procès sommaires, un acte d'accusation
devait être rédigé contre un individu accusé de tenir, habiter ou fréquenter une maison de
débauche. Par la suite, le magistrat devait en faire la lecture et demander s'il était coupable
ou non-coupable de l'infraction dont il était accusé. Lorsqu'une personne plaidait non-
coupable, le magistrat devait interroger les témoins à charge et entendre la défense de
l'accusé s'il y avait lieu. Dans tous les cas, les tenancières et les prostituées accusées
1 07
""' 32-33 Vict. (1869), c. 32, art. 1; SRC, 1886, c. 176, art. 2 (a. I); Code criminel, 1892, art. 782.
107
Ibid., art. 786.
La loi prévoyait également que tout magistrat ayant rendu un verdict en vertu de Y Acte des procès
sommaire devait transmettre « la condamnation, ou un double du certificat de renvoi de l'accusation, avec
l'accusation écrite, les dépositions des témoins à charge et à décharge, et la déclaration de l'accusé, à la
prochaine cour des sessions générales ou trimestrielles de la paix (...) », Code criminel, 1892, art. 788 et art.
801. les documents judiciaires relatifs aux procès sommaires des maisons de débauche sont d'ailleurs
conservés parmi les dossiers judiciaires des Sessions de la Paix aux Archives nationales du Québec à Québec,
AnQ-Q, TL31,S1,SS1.
u
" Voir le tableau 1, page suivante.
37
Lois Sentences/juridiction11
32-33, Vict. (1869), c. 28, Acte relatif aux vagabonds. 2 mois de prison, avec
ou sans travaux forcés,
et/ou 50$ d'amende.
- 37 Vict. (1874), c. 43, Acte pour amender l'Acte 6 mois de prison, avec
concernant les vagabonds. ou sans travaux forcés,
Vagabondage et/ou 50$ d'amende.
- 44 Vict. (1881), c. 3\,Acte à l'effet de lever tous doutes
sur les pouvoirs d'emprisonner aux travaux forcés en vertu
des actes concernant les vagabonds.
- Code criminel du Canada, 55-56 Vict. ( 1892), c. 29, partie 6 mois de prison, avec
XV, du vagabondage, art. 207 (i, j , k, 1). ou sans travaux forcés,
et/ou 50$ d'amende.
- Bawdy-House, dans W. C. Keele, The Provincial Justice: Amende et
or, Magistrate's Manual, being a Complète Digest ofthe emprisonnement.
Criminal Law of Canada (...), 5e éd., Toronto, H. & W.
Nuisance Rowsell, 1864, p. 92-93.
publique
Maisons - Code criminel, 1892, partie XIV, des nuisances, art. 195 an d'emprisonnement.
de et 198.
désordre
- Statuts refondus du Canada, 1886, c. 157, Acte concernant Entre 2 et 10 ans
Crimes les délits contre les mœurs et la tranquillité publique, art. 5 d'emprisonnement.
contre et 7.
les
- Code criminel, 1892, partie XIII, des crimes contre les Entre 2 et 14 ans
mœurs
mœurs, art. 185 à 187. d'emprisonnement.
- 22 Vict. (1858), c. 27, Acte pour amender et étendre Juridiction sommaire
l'Acte de 1857, pour diminuer les frais et abréger, en absolue du magistrat,
certains cas, les délais dans l'Administration de la Justice dans les villes.
en matière Criminelle.
- Statuts refondus du Canada, 1859, c. 105, Acte concernant
l'administration prompte et sommaire de la justice
Procédures
criminelle, en certains cas.
sommaires
- 32-33 Vict. (1869), c. 32, Acte concernant
l'administration prompte et sommaire de la justice
criminelle, en certains cas, s. 2 (6) et s. 15.
- Code criminel, 1892, partie LV, instruction sommaire des Juridiction sommaire
actes criminels, art. 783 (1) et art. 784. absolue du magistrat,
partout au Canada.
Les sentences indiquées sous les rubriques « vagabondage » et « maisons de désordre » pouvaient
s'appliquer contre tous les individus, hommes ou femmes, en fonction des accusations qui étaient portées
contre ceux-ci.
38
Conclusion
Sur le plan des procédures judiciaires, les prostituées de rue étaient arrêtées « à vue »
par les policiers et étaient jugées par procès sommaire. Par ailleurs, concernant les maisons
de débauche, les plaintes déposées devant un magistrat initiaient les poursuites judiciaires
contre les prostituées et les exploitants des bordels. La transformation majeure du système
de justice à Québec, à partir de 1858, consista cependant à conférer aux magistrats le
pouvoir absolu de juger également par procès sommaire les individus accusés de tenir,
habiter ou fréquenter une maison de prostitution.
En définitive, entre 1880 et 1905, les magistrats de justice possédaient tous les
pouvoirs législatifs, judiciaires et exécutifs permettant de réprimer de manière accélérée
tous les individus impliqués dans la prostitution. Face à ces pouvoirs théoriques, il importe
désormais, dans le chapitre suivant, d'analyser le fonctionnement concret des institutions
judiciaires et pénales de l'État envers la prostitution dans la rue et les maisons de débauche.
39
Introduction
La régulation par l'État des comportements déviants ainsi que la protection du corps
social sont analysées dans ce chapitre en tant que motivations principales du
fonctionnement du système judiciaire envers la prostitution. D'une part, plusieurs études
concernant la prostitution se sont concentrées sur le « contrôle » ou la « régulation »
comportementale par l'État. Les recherches s'appuyant sur cette interprétation ont montré
les initiatives de régulation des comportements déviants et des individus marginaux par le
système judiciaire dans le contexte d'accroissement des pouvoirs étatiques. Dans cette
optique, plusieurs recherches dans l'historiographie, comme celles de Tamara Myers et
Carolyn Strangc, ont analysé la répression étatique des prostituées en fonction des
distinctions d'âge et de genre" 1 . En ce sens, les comportements déviants de certaines
prostituées, qui allaient à l'encontre des codes moraux féminins de l'époque, étaient à
l'origine des actions répressives de la justice étatique.
111
Tamara Myers, op. cil.; Carolyn Strange, op. cil., p. 89-143. Parmi les reeherches récentes, voir également
le recueil d'articles édité par Bettina Bradbury et Tamara Myers portant sur les mécanismes complexes de
construction identitaire en fonction des distinctions reliées tant au genre, à l'âge, la classe, l'ethnie et la
religion, Negotiating Identifies in l'Jih and 20th-Century Montréal, op. cit., p. 1-21. Concernant la
construction identitaire des prostituées et vagabondes en fonction des distinctions de genre dans l'espace
public, voir l'article de Mary-Anne Poutanen, « Bonds of Friendship, Kinship, and Community: Ciender,
Ilomelessness, and Mutual Aid in lîarly-Nineteenth-C'entury Montréal », loc. cit., p. 25-48. Voir aussi sa
thèse de doctorat, op. cil., p. 107-164; consulter également Timothy .1. Cîilfoyle, City ofEros, New York City,
Prostitution, and the Commercializution ofSex, 1790-1920, New York/London, W.W. Norton & Company,
1992, 462 p.; Jill Harsin, Policing Prostitution in Nineteenth-Century Paris, Princeton, Princeton University
Press, 1985,417 p.
40
D'autre part, selon les textes législatifs officiels, la criminalisation des prostituées était
légitimée principalement dans le but d'assurer la sécurité et l'ordre public face aux
« dangers », physiques et moraux, suscités par ces groupes marginaux ou « vagabonds ». A
Québec, la régulation comportementale et le souci de protection de la société, en fonction
des anxiétés des élites bourgeoises de l'époque, passaient par l'enfermement des prostituées
à la prison des Plaines d'Abraham. Par ailleurs, depuis les années 1840-1850, des
institutions spécialisées d'enfermement s'étaient implantées afin de « réhabiliter » les
prostituées notamment en fonction de critères sélectifs d'âge et de sexe des
pensionnaires . En particulier, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l'institution
confessionnelle du Bon-Pasteur de Québec était destinée à recueillir les prostituées
repenties ainsi que les enfants mineurs de moins de 16 ans . De plus, l'état mental des
individus était également pris en compte et pouvait entraîner le transfert de prostituées
emprisonnées vers l'asile de Beauport 114 . Les institutions de détention, publiques ou
privées, étaient alors intégrées au fonctionnement du système judiciaire.
112
Jean-Marie Fecteau, La liberté du pauvre, op. cit. p. 148-153.
Voir Josette Poulin, Une utopie religieuse, le Bon-Pasteur de Québec, de 1850 à 1921, thèse de doctorat,
Université Laval, 2004, 504 p. Sur l'approche et les institutions pénitentiaires de réhabilitation des prostituées
en Grande-Bretagne, voir Susan Mumm, « Not Worse than Other Girls: The Convent-Based Rehabilitation of
Fallen Women in Victorian Britain », Journal of Social Hislory, 29, 3, 1996, p. 527-547; Linda Mahood, The
Magdalenes: Prostitution in the Nineteenth Century, London, New York, Routledge, 1990, 205 p.
114
I.'asile de Québec était d'abord temporaire de 1845 à 1850. Il est devenu le Québec Lunatic Asylum de
1850 à 1865 et par la suite Y Asile des aliénés de Québec pour devenir l'asile Saint-Michel Archange à partir
de 1894, voir Jacques Laplante, Prison et ordre social au Québec, op. cit., p. 91-99. Voir aussi Peter Keating,
La science du mal, l'institution de la psychiatrie au Québec, 1800-1914, Montréal, Boréal, 1993, 208 p.
■ 11
' Les cas d'emprisonnement des prostituées de me concernent les femmes identifiées comme prostituées
dans les registres de la prison de Québec et emprisonnées pour les catégories de délits: «conduite déréglée»,
«fainéantise et obstruction» et «ivresse publique». Les cas d'emprisonnement des tenancières et des
prostituées de bordels concernent celles incarcérées uniquement pour l'offense d'avoir «tenu, fréquenté ou
habité un bordel».
Le terme «récidiviste» correspond aux personnes emprisonnées plus d'une fois tandis que les
« non-récidivistes » sont celles emprisonnées une seule fois à la prison de Québec. Il ne s'agit donc pas de la
réalité du récidivisme effectué par les individus puisqu'une personne emprisonnée une seule fois pouvait avoir
commis plusieurs autres infractions sans être répertoriée dans les documents judiciaires.
42
(110
i Nombre do séjours
en prison
704
t.i Nombre de
personnes
emprisonnées
60
52 46 39
Total
■■ ■■■
Prostituées de rue Prostituées dans les Tenancières
bordels
□ Prostituées de rue
récidivistes
n Prostituées de rue
emprisonnées une
seule fois
43
femme qui n'étaient pas soumises à la répression à répétition . L'analyse des taux
d'emprisonnement ne permet cependant pas d'identifier la proportion exacte de la
prostitution occasionnelle puisque plusieurs de ces femmes parvenaient sans doute à passer
à travers les mailles du système. Elles ne figuraient donc pas dans les documents
judiciaires. Dans son étude sur la criminalité féminine, Tamara Myers interprète d'ailleurs
cette capacité de certaines femmes à se dissimuler en milieu urbain et d'éviter la répression
étatique comme un mode de résistance" 8 . Dans le cadre de la présente étude, il est à tout le
moins possible d'affirmer que sur le plan du fonctionnement du système, la répression de la
prostitution à Québec ciblait un groupe particulier de prostituées de rue soumis à une
répression carcérale presque systématique lorsqu'elles étaient associées au vagabondage.
Dans la plupart des cas, les prostituées « récidivistes » arrêtées dans la rue étaient
jugées par la Cour du Recorder et emprisonnées pour des délits concernant la moralité et le
trouble de l'ordre public" . La présence dérangeante dans les rues et les espaces publics de
ces « vagabondes/prostituées » entraînait alors leur emprisonnement expéditif par le
système. Au contraire, les prostituées « non récidivistes », qui n'étaient pas associées au
vagabondage chronique en plus de la prostitution, étaient moins soumises à une répression
répétitive par le système de justice étatique.
1 90
Voir notamment Mary-Anne Poutanen, thèse de doctorat, op. cit., p. X6-104; Judith R. Walkowitz, « Maie
Vice and Feminist Virtue », llislory Workshop, 13, 1982, p. 77-93; Ruth Rosen, op. cit. p. 147-161.
118
Tamara Myers, op. cit., p. 66-175; 236-242.
" 9 Le motif principal d'emprisonnement était la catégorie de délit « Loose, Idle and Disorderly ». Plusieurs
vagabondes/prostituées étaient emprisonnées également pour « ivrognerie » ou pour « Itânerie et
obstruction », AVQ, Cour du Recorder, Pénal Book, 2FF, no 20 à 23, 1880, 1885, 1890 et 1895 et Livre des
prisonniers, 2FF, no 46-47, 1900 et 1905.
120
Le cas de Rosalie Daigle est mentionné en introduction, p. 1.
44
Au cours des dernières décennies du XIXe siècle, le système carcéral était caractérisé
par une diminution importante des admissions de prostituées dans la prison de Québec. En
effet, de 95 séjours en prison en 1880, le nombre diminua considérablement à 32
emprisonnements en 1885, pour finalement chuter à 12 cas de prostituées arrêtées dans la
rue et emprisonnées en 1905. Cette décroissance de l'ampleur de la répression carcérale
s'accompagnait également d'une baisse des accusations devant la Cour du Recorder. Les
~ La moyenne d'âge élevée des femmes emprisonnées à répétition semble d'ailleurs indiquer qu'elles étaient,
au cours des dernières années de leur vie, davantage vagabondes que réellement prostituées, voir le chapitre 3.
' Voir notamment Marcela Aranguiz et Jean-Marie Fecteau, loc. cit., p. 83-98.
« Loose, ldle, and Disorderly ».
45
Graphique 3: Motifs des séjours en prison des prostituées arrêtées dans la rue, prison de Québec,
1880-1905 125 .
100
90
l Ivresse publique
80 l Fainéantise et obstruction
/() l Conduite déréglée
(il)
!>()
40
30
20
10
Graphique 4: Motifs des accusations contre les prostituées arrêtées dans la rue. Cour du Recorder,
Québec, 1880-1905 126 .
100
■ Ivresse publique
90
80 H Fainéantise et obstruction
70 B Conduite déréglée
60
50
40
30
20
10
0
1880 1885 1890 1895 1900 1905
" À ce sujet, pour l'ensemble du système de justice criminelle à Québec et Montréal, voir notamment Donald
Fyson, « The Judicial Prosecution of Crime in the Longue Durée: Québec, 1712-1965 », loc. cit., p. 85-119.
125
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036.
126
AVQ, Cour du Recorder, Pénal Book, 2FF, no 20 à 23 / Livre des prisonniers, 2FF, no 46-47.
46
Une première interprétation du cas de Mary Mulligan permet de percevoir le rôle actif
joué par la justice de l'État afin d'assurer la protection individuelle de certaines personnes
vulnérables. L'enfermement systématique de Mary entre 1880 et 1887 peut alors
s'expliquer par l'objectif de protection de la personne inapte à fonctionner en société. De
plus, le système judiciaire remplissait son devoir de protection de l'ensemble du corps
social face à l'anxiété suscitée par la présence de ces vagabondes/prostituées dans la
société. En contrepartie, une seconde interprétation laisse entrevoir que la répression
répétitive pouvait être à l'origine de la vulnérabilité psychologique de la prisonnière,
entraînant finalement son transfert à l'asile 134 . Cependant, chacune des interprétations doit
reconnaître le rôle actif de la justice étatique dans ce processus de mise en isolement de
certaines femmes ciblées par les autorités judiciaires. À Québec, la présence depuis 1845
de l'asile de Beauport et son utilisation dans le processus de mise à l'écart de ces femmes,
111
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036/ 1578, 1881 à 1887.
" Les asiles d'aliénés dans la province étaient sous le contrôle et la surveillance du gouvernement. Selon la
législation, les individus pouvaient être admis à l'asile, aux frais du gouvernement et des municipalités,
lorsqu'ils étaient jugés notamment « dangereux ou cause de scandale ». De plus, lorsqu'un shérif d'un district
croyait qu'un individu détenu en prison était aliéné, il devait le faire examiner par un médecin et, lorsque
l'aliénation du détenu était établie, ce dernier devait être transféré, sans délai, à l'asile, SRQ, 1888, titre VIII,
c. 5, art. 3182, 3195, 3209.
133
Sur les discours théoriques de la prise en charge carcérale de la criminalité au Québec, voir notamment
Jean-Marie Fecteau, Lu liberté du pauvre, op. cit., chapitre IV, en particulier p. 153-164.
' Les raisons détaillées des transferts des prisonnières vers l'asile ne sont pas mentionnées dans les registres
de la prison de Québec et les autres documents judiciaires consultés.
48
L'exemple de Mary Mulligan ne constitue pas une exception au sein du groupe des
vagabondes/prostituées. En effet, entre 1880 et 1905, les registres indiquent 69 transferts
vers l'asile de Beauport136. De ce nombre, 11 transferts concernaient le groupe des 60
femmes identifiées comme vagabondes/prostituées et qui étaient soumises à une répression
généralisée (tableau 2). Ainsi, plus d'une vagabonde/prostituée sur six a donc été internée
dans un asile. En majeure partie, la protection de la société constituait l'objectif principal
7
des recours à l'institution asilaire par le système de justice .
En définitive, les prostituées de rue étaient soumises à une répression carcérale accrue
comparativement aux tenancières et aux pensionnaires des bordels. Par ailleurs,
l'emprisonnement à répétition ne concernait pas la totalité des prostituées arrêtées clans la
rue. Ce mode de régulation s'appliquait principalement au groupe spécifique des
vagabondes/prostituées. La présence dérangeante de ces femmes dans les rues entraînait
alors le système à effectuer une répression expéditive et à procéder à leur enfermement.
Dans sa finalité, la logique principale de la mécanique judiciaire envers la prostitution dans
la rue rejoignait l'objectif de régulation comportementale et morale ainsi que le devoir de
protection du corps social passant par la solution de l'isolement prophylactique. À cet effet,
généralement en dernier recours, l'institution asilaire était employée en conjonction avec la
prison commune pour mettre à l'écart certaines vagabondes/prostituées jugées dangereuses.
Peter Keating indique que l'objectif de guérison médicale dans les asiles québécois au XIXe siècle entrait
d'ailleurs en conllit avec la prise en charge des aliénés incurables et des criminels dans l'institution
subventionnée par l'Etat, voir son livre La science du mal, op. cit., p. 55-109.
Au total, on dénombre 1889 admissions de prisonnières à la prison de Québec entre 1880 et 1905. Le
dépouillement des registres de la prison de Québec concernant les femmes emprisonnées a été effectué
notamment dans le cadre des recherches menées par Josette Poulin, thèse de doctorat, op. cil..
137
En accord avec les recherches de Pierre Tremblay et André Normandeau, l'enfermement dans des
institutions spécialisées contribuait à renforcer la distance sociale entre les détenus et la société civile. De
plus, les caractéristiques individuelles des personnes condamnées déterminaient désormais l'institution
d'enfermement dans laquelle les individus devaient subir leur peine, Pierre Tremblay et André Normandeau,
« L'économie pénale de la société montréalaise, 1845-1913 », Histoire sociale/ Social Ilistory, 19, 37, 1986,
p. 188-189.
49
Emma Bilodeau Loose, idle, 1890-11-07 3 jours 1890-11-08 Prostitute Sent to Beauport
disorderly Asylum
Marie Leduc Loose, idle, 1894-10-27 2 mois 1894-11-02 Prostitute Sent to Québec
disorderly Asylum
Rosalie Daigle(wife of Jean Loose, idle, 1900-04-23 2 mois 1900-05-02 Prostitute Sent to Asylum
Dostie) disorderly
Obéline Duchesnc Loose, idle, 1902-03-19 15 jours 1902-03-24 Prostitute Sent to Asylum
disorderly
Adèle Côté (wife of Against bylaws 1902-08-25 Three x one 1902-09-23 Prostitute Sent to Asylum
Achille Gosselin) month (4)
Aneline Duchaine (wife of Loose, idle, 1903-10-29 15 jours 1903-11-11 Prostitute Sent to Asylum
Joseph Bouchard) disorderly
U!i
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, 1-17, 1960-01-036, 1880-1905.
Voir les articles d'Andrée Lévesque analysant le phénomène de répression sporadique des bordels à
Montréal, « Le bordel: milieu de travail contrôlé », loc. cil., p. 13-31; « Les réformateurs et la prostitution à
Montréal entre 1865 et 1925 », loc. cil., p. 191-201.
so
30
20 ——Descentes policières
15
10
, l \ / ^ \ .
o - r - c N j c o ^ r m c o r ^ c o c n o i - c s i c ^ T j - L o c D f ^ c o o c D x - C N i c o ^ r i o
c o o o c o o o c o o o c o c o o o c o c f t c n c n o i o î c n c n c n a > o > o o o o o o
COCOCOCOCO COCOOOCOOO OOOOOOOOCOCO C O C O C O C O O Ï O i O i O O l C f t
Une descente policière correspond à une date au cours de laquelle une ou plusieurs personnes étaient
accusées pour un délit relié aux maisons de prostitution. Plusieurs actes d'accusation pouvaient être rédigés
au cours d'une même opération. Au total, 25 descentes ont été dénombrées dans les documents des Sessions
de la Paix entre 1880 et 1905 et 23 dans ceux de la Cour du Recorder. Les registres de la Cour du Recorder
concernant des personnes accusées de « tenir, habiter ou fréquenter » une maison malfamée ont été examinés
pour les années 1880, 1882, 1883, 1885, 1887, 1888, 1890, 1892, 1893, 1895, 1897, 1898, 1900, 1902, 1903
et 1905. On peut donc estimer à environ 36 accusations contre les maisons de débauche devant le Recorder
entre 1880 et 1905 ((23/16) x 25 - 35,9).
.si
contre toutes les personnes interpellées lors des descentes dans les bordels. D'ailleurs, le
nombre peu élevé de clients accusés et emprisonnés laisse présumer que ceux-ci pouvaient
être relâchés par les policiers immédiatement après leur arrestation, échappant ainsi aux
poursuites criminelles.
Graphique 6: Condamnations sommaires des personnes accusées de tenir, habiter cl fréquenter des
maisons de désordre, statistiques criminelles, district judiciaire de Québec. 1880-1905142.
40 j -
141
Statistiques criminelles, Documents de la Session, 45, Victoria, (1882) à 5-6, Edouard VII, (1906), voir le
graphique 6. Un écart est nettement perceptible entre le nombre des accusations devant les tribunaux
inférieurs comparativement aux condamnations sommaires inscrites dans les statistiques criminelles. Cela
peut résulter de documents manquants dans les archives judiciaires du district judiciaire de Québec. Malgré
cette limite à l'analyse de l'ampleur totale de la répression des bordels à Québec entre 1880 et 1905, le
phénomène de répression sporadique des maisons de débauche ressort tout de même des dossiers judiciaires
consultés.
142
Les condamnations sommaires concernant les maisons de désordre sont manquantes dans les Statistiques
criminelles concernant le district judiciaire de Québec pour les années 1880, 1881, 1882, 1883, 1884 et 1889.
52
L'analyse des statistiques criminelles relativise ainsi les résultats obtenus à partir des
documents judiciaires des tribunaux et montrent que la répression des maisons de débauche
n'était pas uniquement prédominante aux cours des années 1895 à 1905. En effet, la
période 1885-1887 a également été marquée par une répression accrue des maisons de
prostitution dans le district judiciaire de Québec. En plus de son caractère sporadique, la
répression des maisons de prostitution était caractérisée par un taux relativement faible des
descentes policières, des accusations et des condamnations sommaires contre les individus
dans les bordels. On constate d'ailleurs que tout au long de la période 1880-1905, les
accusations contre des personnes arrêtées dans les maisons de débauche par les autorités
municipales de la Cour du Recorder sont demeurées assez peu nombreuses 143 . Ainsi,
malgré la loi criminelle sur le vagabondage et la réglementation municipale, les tenanciers
et tenancières bénéficiaient d'une tolérance relative du système. Lorsqu'ils ne troublaient
pas l'ordre public et dissimulaient leurs activités à l'intérieur des établissements, ils
évitaient de subir une répression systématique.
2.2. Les motifs des plaintes et des actions répressives contre les tenancières et les
pensionnaires des bordels
143
Un maximum de cinq accusations par année concernant spécifiquement des maisons de débauche a été
repéré dans les registres de la Cour du Recorder en 1903 (graphique 5).
53
Des plaintes semblables étaient également portées devant la Cour du Recorder. Par
exemple, le 25 août 1897, plusieurs citoyens s'étaient regroupés pour demander aux
autorités municipales de vider trois maisons malfamées de la rue Ste-Cécile, dans le
quartier Saint-Jean. Le motif de la plainte concernait le trouble de l'ordre public et surtout
le fait que les enfants étaient témoins en plein jour des activités à l'intérieur des bordels145.
La raison principale des actions répressives rejoignait alors le règlement municipal qui
imposait des volets aux fenêtres des maisons de prostitution.
144
Sessions de la Paix, 5 décembre 1895, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 88, cont. 160, documents 158097,
158098 et 158099 a 158107.
145
L'Événement, 25 août 1897. Voir également la transcription des articles de journaux à l'annexe C: articles
de journaux concernant les descentes dans les bordels.
54
Parfois, lorsqu'une maison devenait trop bruyante, les citoyens pouvaient attaquer
directement un établissement de prostitution sans faire appel aux autorités judiciaires. Le 7
septembre 1880, un groupe de citoyens d'un même quartier décidait d'ailleurs de « vider »
une maison de débauche et de mettre fin eux-mêmes à une période de tolérance prolongée.
Les recours à cette forme de justice populaire étaient alors divulgués dans les journaux et
justifiés par le fait que les maisons ciblées dérangeaient le voisinage depuis trop longtemps:
UN COUP DE BALAI - Les citoyens de la rue Latourelle, ennuyés depuis longtemps
par le tapage et le désordre qui se produisaient dans une maison de débauche, ont pris
la partie de mettre eux-mêmes un terme à cet état des choses. À cette fin ils ont "vidé
la boutique", littéralement
Les dénonciations par des citoyens pouvaient aussi provenir d'un membre de la
famille. Le parent ou le conjoint déposait alors une plainte à la police afin de faire retirer
une personne de son entourage qui fréquentait une maison de prostitution. Ainsi, le 14 juin
1880, Catherine Mann était confiée aux autorités judiciaires par son époux et jugée par la
Cour du Recorder pour avoir fréquenté une maison de prostitution . En septembre 1884,
un autre mari, Joseph-Amazis Dion, formulait une déposition contre sa propre femme pour
vagabondage dans une maison de prostitution appartenant à Georgianna Morency:
Je demeure au numéro quarante-six, rue Charest, en la Cité et District de Québec.
Mardi, le vingt-sixième jour d'Août dernier, mon épouse Marie-Rosanna Ethier a quitté
mon domicile et est allée rester habiter une maison malfamée tenue par une femme du
nom de Georgianna Morency. Cette maison malfamée se trouve Rue Richemond dans
le quartier St-Jean de la dite Cité et District de Québec. Depuis que ma dite épouse a
quitté mon domicile tel que susdit, elle habite constamment la susdite maison malgré
qu'a plusieurs reprises je l'ai sollicitée de laisser la susdite maison malfamée et de
revenir habiter avec moi. Je suis allé ce matin le quatrième jour de septembre courant
chez la dite Georgianna Morency, ou j'y ai vu ma dite épouse que j'ai de nouveau
sollicité de laisser la susdite maison de prostitution et malfamée, elle a refusé d'en sortir
et elle y est encore
1
"Le Canadien, 7 septembre 1880.
147
AVQ, Cour du Recorder, Pénal Book, 2FF, no 20, 14 juin 1880.
148
Sessions de la Paix, 4 septembre 1884, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 15, cont. 87, documents 22406 à
22409.
55
Les plaintes pouvaient également concerner des enfants mineurs, garçons ou filles, qui
étaient dénoncés par un membre de leur famille. Par exemple, le 20 juillet 1898, le père
d'un garçon, issu d'une famille « des plus respectables » de la Haute-ville de Québec,
portait une plainte contre un bordel afin de retirer son fils de l'établissement. La
dénonciation par le père entraîna alors le retrait du garçon de l'établissement tandis que la
tenancière ainsi que huit pensionnaires de la maison étaient arrêtées et accusées de tenir ou
habiter une maison de prostitution (annexe C)151.
Bien que la majorité des dénonciations étaient formulées par des hommes, l'utilisation
du système judiciaire n'était cependant pas réservée exclusivement à l'autorité
masculine . Le 26 août 1897, une jeune fille de 17 ans était condamnée à 4 mois de
prison suite à la plainte formulée par sa sœur afin qu'elle cesse de fréquenter une maison
malfamée . Ainsi, dans certains cas, les plaintes individuelles pouvaient également
provenir de femmes, qui utilisaient elles aussi les tribunaux afin de contrôler un membre de
leur famille. Cependant, aucun cas de femmes ayant porté plainte contre un époux qui
fréquentait un bordel n'est répertorié dans les documents judiciaires consultés.
davantage la tolérance réglementée que l'abolition totale des bordels, constituait un autre
motif de cette répression sporadique des maisons de débauche. Par exemple, le 30 janvier
1883, une opération policière dans un bordel de la rue O'Connell entraînait l'arrestation de
trois occupantes de l'établissement. Les accusées étaient alors jugées par le Recorder pour
avoir occupé une maison malfamée située à moins de deux arpents d'une école située dans
le quartier Montcalm. Deux d'entre elles étaient condamnées le même jour à une amende
de 50$ ou 3 mois d'emprisonnement aux travaux forcés. La troisième prisonnière, âgée de
16 ans, était quant à elle disculpée complètement des accusations par le Recorder 154 .
Tout comme les prostituées de rue, les pensionnaires et les clients des maisons de
débauche étaient parfois arrêtés « à vue » par les policiers et emmenés devant le Recorder
pour être jugés selon la réglementation sur le vagabondage. Les prostituées de bordel
interpellées par les policiers étaient généralement accusées: « d'être une personne
débauchée, désœuvrée et déréglée et dans l'habitude de fréquenter les maisons de débauche
sans rendre un compte suffisant d'elle-même ». Elles étaient aussi fréquemment arrêtées à
d'autres occasions, seul ou en groupe, pour l'offense de « flânerie et obstruction sans rendre
un compte suffisant ».
Dans une minorité de cas, les clients étaient arrêtés et emprisonnés sommairement par
''" AVQ, Cour du Recorder, Pénal Book, 2FF, no 21, 30 janvier 1883.
155
Ibid., Livres des prisonniers, 2FF, no 46, 14 avril 1900.
156
Seulement deux accusations en vertu de la réglementation municipale particulière à Québec ont été
repérées dans les registres de la Cour du Recorder. Ainsi, bien que toujours en vigueur, la mise en application
du règlement semble avoir été assez peu fréquente entre 1880 et 1905.
sy
les policiers lorsqu'ils tentaient d'entrer dans les maisons de débauche. Ils étaient alors
accusés devant la Cour du Recorder pour « avoir illégalement frappé à la porte d'une
maison malfamée ». Dans tous les cas repérés, des accusations pour ivresse publique
étaient également portées contre eux. La répression policière concernait alors le contrôle de
l'ordre public et ciblait également les maisons de prostitution, qui étaient connues et
surveillées par les autorités.
heures du matin du dit jour - Vers les trois heures de l'après-midi je me rendis dans une
maison de prostitution que j'ai depuis appris être tenue par une personne du nom de
Catherine Carr, dans la Cité et district de Québec. Je suis entré dans cette maison à
l'heure plus haut indiquée ayant sur ma personne entre autres effets la somme de
soixante et cinq piastres, argent courant du Canada. J'étais alors sobre, malgré que
j'eusse pris quelques coups. Après être resté quelque temps j'en suis sorti, et j'y suis
revenu de nouveau vers les cinq heures de l'après-midi du dit jour. Quand je suis
revenu la seconde fois, je suis positif que j'avais la dite somme de soixante et cinq
piastres sur ma personne. Cette somme était composée de deux vingt piastres que
j'avais dans la poche de ma veste, et le reste en billets de banque dans la poche droite
de mon pantalon. Il y avait dans cette maison, à part de la maîtresse, cinq ou six filles
qui y demeurent mais je ne connais pas leur nom. J'ai couché dans cette maison samedi
soir toute la nuit, et une des dites filles a couché avec moi dans le même lit toute cette
nuit-là. Nous avons pris quelques coups ensemble le soir avant de nous coucher, et je
suis devenu pas mal chaud. Quand je me suis réveillé hier matin je me suis aperçu que
. tout mon argent me manquait (...) Je voulus ravoir mon argent disant à la fille que
c'était elle qui l'avait pris, mais elle refusa disant que ce n'était pas elle qui l'avait pris.
Avant mon départ de la maison la maîtresse Catherine Carr me donna la somme d'une
piastre et trois quart. La maison ou j'ai couché est une maison de prostitution et une
maison malfamée
Suite à cette descente policière survenue le 13 octobre 1896, relatée notamment dans
le Québec Mercury, le problème croissant des vols dans les bordels était dénoncé par le
157
Déposition d'Octave Fournier, Sessions de la Paix, 14 novembre 1881, BAnQ-Q, T O I , SI, SS1 UR 27,
cont. 99, document 45992.
158
Sessions de la Paix, 13 octobre 1896, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 88, cont. 160, documents 157827 à
157833.
159
Ihid., documents 157823, 157824 et 157825. L'expression « croyablemment informé» était une
francisation de la formulation anglaise « credibly informed », qui était fréquemment utilisée dans les
documents judiciaires rédigés en anglais.
59
juge Chauveau, qui demandait aux agents de la Police provinciale d'effectuer une
surveillance accrue des maisons malfamées à Québec 160 . De plus, le magistrat affirmait
vouloir faire un exemple de la sévérité de la justice contre les tenancières et les
pensionnaires de bordels inculpées pour vol. Le client, quant à lui, était relâché:
Complaints having been made against a disreputable house in Latourelle street by a
country man, who was robbed of a sum of money therc, Judge Chauveau ordered the
police to visit the place. Accordingly the city détectives, accompanied by several
policemen, made an unexpected descent on the house about one o'clock this morning
and captured eight girls and a St Roch young man, son of a tanner. The whole crowd
was put on board the "Black Maria" and taken to No. 1 Police Station. They appeared
before .ludgc Chauveau this morning. Ile told the prisonners that in the view of
fréquent robberies which hâve been reported of late in houses of ill-fame he tought it
high time to make an example of the offenders. Mis honor called upon the Provincial
Police to hâve a vigilant eye in future after thèse houses and condemned the keeper of
the house to a fine of $50 or threc months jail, and each of the girls were fined $10 or
two months jail. The young man was let off
Dans la soirée du 1c> septembre 1880, une autre descente policière était effectuée dans
un bordel suite à un cas de vol. Les renseignements entourant le cas judiciaire étaient alors
exposés le lendemain dans le journal:
ARRESTATION - Les détectives accompagnés de plusieurs constables ont fait hier-
soir une descente dans une maison malfamée de la rue Ste Madeleine. Ils ont arrêté
l'hôtesse Mlle Louise Gamache et cinq pensionnaires qui ont toutes été conduites au
violon. L'arrestation a été opérée sur la déposition d'un individu qui s'est plaint qu'on
lui a volé dans la maison en question la somme de 30$. Le procès aura lieu cette après-
• j•162
midi
Ce dernier exemple est révélateur de la justice sommaire appliquée envers les bordels
à Québec entre 1880 et 1905. On constate d'ailleurs que toutes les prostituées présentes
lors de la descente policière étaient arrêtées et emprisonnées pour la nuit au poste de police
afin de subir leur procès dès le lendemain. Dans presque tous les cas, les plaintes des
clients volés entraînaient des accusations contre les tenancières et les pensionnaires pour
avoir tenu ou fréquenté une maison de débauche ''.
160
Celte exigence du magistrat survenait d'ailleurs à la même époque où le contrôle de la Police provinciale
lui échappait et était transféré au département du Procureur général, voir Jean-François Lcclerc, loc. cit., p.
115-116.
161
Québec Mercury, 13 octobre 1896.
162
A 'Evénement, 2 septembre 1880.
161
Concernant les vols de clients étrangers dans les bordels, voir la déposition de Elzear Turcotte (16 avril
1881) ut celle de Philomcne Perreault (29 août 1896), reproduites à l'annexe D.
60
164
Sessions de la Paix, 5 mars 1898, BAnQ-Q, TL31 ,S1, SS1 UR 97, cont. 169, document 174603.
165
Ibid.
166
Code criminel, 1892, art. 187(b).
61
Le 10 janvier 1898, le détective Sylvain, informé qu'une fille mineure fréquentait une
maison de prostitution, procédait à l'arrestation de la tenancière Louise Nadaud. Avant
d'entrer dans le bordel, le policier alertait cependant le père de la jeune fille, Joseph
Plamondon. La déposition de ce dernier ainsi que celle de sa fille sont alors révélatrices des
circonstances et des procédures particulières concernant la recherche de filles mineures
dans les bordels:
- Déposition de Joseph Plamondon
Vendredi dernier le septième jour de janvier courant un peu avant deux heures de
l'après-midi le détective Sylvain de la police provinciale est venu à ma boutique 88 rue
Artillerie de cette cité et m'a appris qu'une de mes enfants Blanche Plamondon
maintenant âgée de quinze ans fréquentait une maison de prostitution étant le No 41 de
la Côte d'Abraham tenue par une femme qu'on m'a dit se nommer Nadaud - Je me suis
rendu immédiatement en compagnie du détective Sylvain chez la femme Nadaud et là
en effet nous y trouvâmes ma petite fille Blanche qui s'y trouvait cachée.
Pendant que le détective cherchait mon enfant dans une chambre de la maison, une
autre petite fille paraissait avoir l'âge de la mienne entra dans la maison, mais la
maîtresse, la femme Nadaud lui fit signe de s'en aller et la petite fille se sauva
immédiatement. J'emmenai de suite ma petite fille à la Cour de Police puis je la
conduisis à l'école de réforme du Bon Pasteur ou elle est maintenant. J'ai été étonné
lorsque le détective Sylvain m'a appris que mon enfant fréquentait une telle maison
complètement hors de ma connaissance167.
"" Sessions de la Paix, 10 janvier 1898, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 97, cont. 169, documents 173661,
174597, 174598 et 174602.
62
entre autres Cécilia Kirouac et Lumina Harvey - Le détective Sylvain et mon père
m'ont conduit au Bon-Pasteur vendredi dernier et c'est la qu'on est venu me chercher
aujourd'hui pour rendre mon témoignage au Bureau de la Paix - Chaque fois que je
couchais avec un homme chez la Nadaud il me donnait deux piastres et j'en remettais la
moitié à la femme Nadaud.
Et j'ai signé
Blanche Plamondon168.
En plus de renseigner sur les activités à l'intérieur même du bordel, les déclarations de
Joseph et de Blanche Plamondon indiquent l'implication active du père dans le processus
judiciaire lorsqu'il s'agissait de prostitution juvénile. D'une part, les témoignages visaient
à démontrer l'implication de la maîtresse dans la prostitution d'une fille mineure afin d'en
retirer un profit. D'autre part, on constate que la jeune fille était utilisée comme délatrice
lors de son interrogatoire. Dans ce cas de répression contre un bordel fréquenté par une
fille mineure, qui n'était pas réputée auparavant comme prostituée, la réaction policière
s'est effectuée rapidement. Les sanctions pénales répressives envers la tenancière indiquent
également une intolérance du système judiciaire représentatif d'une volonté accrue de l'État
de protéger la sexualité juvénile.
Comme pour les autres poursuites judiciaires concernant des filles mineures, le cas de
Blanche Plamondon était entendu par le même magistrat chargé déjuger les prostituées et
les tenancières 170 . Elle était par la suite envoyée à l'école de réforme du Bon-Pasteur de
Québec . L'institution de réforme dirigée par les religieuses constituait tout de même un
établissement de détention visant des catégories particulières de pensionnaires. Ainsi,
depuis les années 1870, les écoles pour « la prévention ou le soin de la délinquance » des
mineurs s'inscrivaient dans le contexte de spécialisation des institutions d'enfermement 17 .
De façon semblable aux femmes « aliénées » transférées à l'asile de Beauport, le magistrat
pouvait alors contribuer à diminuer le nombre de détenus à la prison commune en les
envoyant dans des établissements destinés au « redressement moral » des mineurs et des
prostituées repenties 17 .
Les actions répressives contre les bordels à Québec pouvaient donc découler de motifs
variés. Dans plusieurs cas, le maintien de la tranquillité publique entraînait des citoyens à
formuler des plaintes contre un bordel situé dans leur quartier. Lorsque ces plaintes
restaient sans réponse, les recours à la justice populaire pouvaient survenir afin de « vider »
un établissement indésirable. De plus, le contrôle comportemental d'un individu
fréquentant une maison de débauche constituait un autre motif de plaintes formulées par un
membre de la famille.
Les tenancières qui parvenaient à maintenir l'ordre à l'extérieur de leur maison et qui
respectaient la réglementation municipale pouvaient éviter la répression judiciaire. Par
contre, la tolérance prenait fin lorsque des crimes commis dans les bordels étaient
dénoncés. Certains visiteurs s'étant fait dérober une somme d'argent dans une maison de
débauche n'hésitaient d'ailleurs pas à porter plainte contre la maîtresse et les occupantes de
Les Cours des jeunes délinquants étaient prévues par la loi canadienne à partir de 1908.
171
Sur l'institution religieuse du Bon-Pasteur depuis sa fondation à Québec en 1850, voir la thèse de doctorat
de Josette Poulin, op. cit.. Les écoles de réformes étaient réservées aux mineurs de moins de 16 ans,
condamnés à une peine de deux à cinq ans d'internement, voir notamment, Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et
Éric Pierre, Enfance et justice au XIXe siècle, Paris, PUF, 2001, p. 260-263.
172
Jacques Laplante, Prison et ordre social au Québec, op. cit., p. 85. Voir également Jean-Marie l'ccteau, La
liberté du pauvre, op. cit., p. 151-153; p. 179-193.
171
L'institution religieuse de l'Asile du Bon-Pasteur accueillait également des prostituées repenties depuis sa
fondation en 1850. Les recherches de Josette Poulin montre qu'il s'agirait d'un facteur pouvant expliquer, en
partie, la diminution du nombre de prisonnières à la prison commune de Québec à partir des années 1870, voir
sa thèse de doctorat, op. cit., p. 338-339.
64
l'établissement. En plus de l'accusation de vol, elles étaient alors poursuivies aussi pour
l'offense de « tenir ou habiter une maison de débauche ». Finalement, dans une minorité de
cas, les dépositions concernaient la recherche de filles mineures dans une maison de
débauche. Les tenancières accusées étaient alors passibles de sanctions pénales sévères
découlant du contexte plus répressif des années 1880-1890. Les jeunes délinquantes, quant
à elles, étaient la plupart du temps expédiées à l'école de réforme.
Au cours des années 1880 à 1905, l'analyse des registres de la prison de Québec a
d'abord permis de constater que la durée des sentences de prison imposées aux prostituées
de rue était toujours inférieure à la peine maximale de 6 mois de prison prévue par la loi
fédérale sur le vagabondage, incorporée au Code Criminel en 1892176. Dans les faits, la
majorité des peines d'emprisonnement était d'une durée inférieure à 3 mois. Ainsi, plus du
tiers des prostituées arrêtées dans la rue recevaient une sentence variant entre 2 et 3 mois de
prison (graphique 7). Dans plus de 60% des cas, les sentences variaient entre 1 et 3 mois
d'emprisonnement tandis que la durée maximale d'incarcération ne surpassait jamais 4 à 5
mois.
Code Criminel, 1892, art. 208,punition du vagabondage; SRC, 1886, Vol. II, c. 157, art. 8, s. 2.
66
Une distinction apparaît cependant entre la durée des séjours en prison des prostituées
« récidivistes » et celles « non-récidivistes ». En effet, la punition envers les femmes
emprisonnées à répétition était caractérisée par des sanctions carcérales d'une durée
généralement plus longue. Ainsi, les sentences d'une durée de 4 mois de prison étaient
deux fois supérieures parmi les « récidivistes » comparativement à celles « non-
récidivistes » (graphique 8). Les prostituées arrêtées à plus d'une reprise étaient soumises à
une intensité répressive un peu plus accrue de la part des magistrats, qui étaient d'ailleurs
autorisés à proportionner la punition en fonction de la répétition des offenses. Les
sentences n'atteignaient toutefois jamais la peine maximale de 6 mois de prison et la
majorité des séjours était inférieure à 3 mois.
47,2%
a Prostituées de rue
emprisonnées plus d'une fois
■ Prostituées de rue
empréonnées une seule fois
20,5%
3,3%
Mathias Chouinard (compilés par), Acte d'incorporation de la cité de Québec (1896), op. cit., art. 624-626,
p. 184-185.
67
Certaines prostituées pouvaient éviter totalement la prison suite à une décision du juge
ou en parvenant à payer le montant de leur amende sur-le-champ. Ainsi, parmi 537 femmes
accusées devant la Cour du Recorder pour tous les types de délit, 72 d'entre elles ont été
remises en liberté suite à une réprimande verbale du juge 180 . Environ 13% des femmes
accusées devant le Recorder étaient donc réprimandées et libérées immédiatement. Parmi
Parmi les 704 cas d'emprisonnement de prostituées entre 1880 et 1905, 61 admissions à la prison ont été
effectuées le jour même de leur sortie. Dans ces cas, la peine d'emprisonnement pouvait découler d'une
infraction commise dans l'institution carcérale.
Les raisons de la sortie de prison avant le terme de la sentence ne sont pas mentionnées pour environ le
tiers (32%) des cas. Concernant les décès en prison, plusieurs prisonnières mourantes étaient transférées vers
un hôpital, soit à l'Hôtel-Dieu de Québee ou au Jeffrey's Haie Hospital, pour ensuite y décéder.
180
II s'agit de 537 accusations de femmes devant la Cour du Recorder au cours des années 1880, 1885, 1890,
1895, 1900 et 1905.
68
les femmes identifiées comme prostituées de rue, 14 cas similaires ont été repérés dans les
registres du Recorder' 81 . Le paiement immédiat de l'amende, quant à lui, n'était pas
fréquent. Par exemple, en 1880, parmi 90 accusations devant la Cour du Recorder, 13
prostituées condamnées ont payé immédiatement les amendes, qui variaient entre 1 et 5$
chacune.
En somme, les magistrats des tribunaux inférieurs possédaient une assez grande
latitude relativement à l'intensité des sanctions pénales imposées aux prostituées de rue.
Les sentences, qui pouvaient aller de la réprimande verbale à l'amende ou
l'emprisonnement, n'atteignaient cependant jamais la peine maximale de 6 mois de prison
établie par la législation sur le vagabondage, qui s'appliquait davantage, tel qu'analysé dans
la section suivante, à la répression des maisons de débauche.
1
AVQ, Cour du Recorder, 1880, 1885, 1890, 1895, 1900 et 1905.
" Voir l'article du journal l'Événement, 23 juin 1903, annexe C.
69
de police No 1 en charge de la matrone pour la nuit. Ce matin elles ont comparu devant
le magistrat de police. Les prisonnières ont donné leurs noms comme suit:
Madame Michaud, âgée de 35 ans, native de Montréal, de même que les autres
prisonnières. Amanda Rivard, âgée de 26 ans. Dolly Kirk, âgée de 25 ans. Éva
Renaud, âgée de 25 ans. Blanche Lebel, âgée de 25 ans. La femme Michaud aura à
répondre à une accusation de vol. Ce matin en Cour de Police, la femme Michaud a été
condamnée à 50$ d'amende ou 2 mois et les filles à 5$ d'amende chacune ou 1 mois.
Toutes ont été envoyées en prison à défaut de payer l'amende. Demain, la femme
Michaud comparaîtra de nouveau en Cour de Police pour répondre à l'accusation de vol
portée contre elle '.
sentences des tribunaux indique cependant qu'un écart existait entre les sanctions imposées
par les magistrats et le temps réellement passé en prison par celles-ci. Entre 1880 et 1905,
parmi les 46 séjours en prison effectués par des tenancières, seulement 22 cas concernaient
l'offense précise d'avoir « tenu une maison de prostitution » '. Comparativement au taux
élevé d'emprisonnement des femmes arrêtées dans la rue, les patronnes des bordels étaient,
quant à elles, en mesure d'échapper à cette forme de punition lorsqu'elles étaient accusées
de tenir une maison de prostitution. Au total, 21 tenancières parmi les 107 identifiées dans
les documents judiciaires n'ont jamais été inscrites dans les registres d'écrou187. Ainsi,
environ une tenancière sur cinq parvenait à éviter complètement l'emprisonnement.
On constate cependant que sur le plan des sentences théoriques, les tribunaux étaient
beaucoup plus sévères envers les tenancières. Lorsqu'elles étaient condamnées devant la
Cour du Recorder ou la Cour de Police, la sentence la plus fréquente était de 6 mois de
prison ou 50$ d'amende. Près de 60% des sentences de prison aux tenancières étaient
d'une durée de 6 mois (graphique 9). Dans seulement trois cas, les peines étaient
supérieures à 6 mois de prison188. Les sanctions maximales prévues par la loi sur le
vagabondage étaient donc celles imposées le plus fréquemment aux tenancières. Dans la
majorité des condamnations, les sentences plus sévères d'une année de prison prévues par
le chapitre des nuisances du Code criminel n'étaient pas celles qui étaient appliquées à
Québec. Ainsi, en accord avec les recherches de John McLaren concernant la répression de
la prostitution au Canada, la codification de 1892 n'entraîna pas de modification importante
immédiate dans le mode de répression des exploitants des bordels '.
Malgré des sentences théoriques plus sévères, les tenancières parvenaient à quitter la
prison commune de Québec avant l'expiration de leur sentence. Une explication majeure
de cet écart entre les sentences théoriques d'enfermement et le temps réellement effectué en
IKft
Si l'on considère tous les crimes commis par les tenancières, 46 cas d'emprisonnement concernent des
femmes identifiées comme étant des maîtresses d'une maison de prostitution dans les registres de la prison de
Québec entre 1880-1905, voir le graphique I.
Ix
' Au total, 107 femmes ont été identifiées comme tenancières d'un bordel dans tous les documents
judiciaires et les registres de la prison de Québec.
188
Ces cas concernent des poursuites contre des tenancières accusées d'avoir permis la prostitution d'une fille
de moins de 16 ans dans leur maison. Il s'agissait alors de la catégorie des crimes contre les mœurs réprimée
sévèrement, notamment à partir du Code criminel de 1892.
m
John McLaren, lac. cil., p. 54-57.
71
prison découlait des lois et règlements de la prostitution, qui permettaient aux individus
incarcérés de retrouver leur liberté dès qu'ils payaient le montant de leur amende. Ainsi,
seulement environ 36% des tenancières ayant reçu une sentence théorique de 6 mois de
prison sont demeurées incarcérées jusqu'au terme de leur sentence (graphique 9). En tout,
plus de 22%) des tenancières parvenaient à sortir de prison à l'intérieur du premier mois de
leur incarcération en raison du paiement de l'amende et des frais afférents. Par ailleurs, le
fait que les tenancières quittaient plus rapidement la prison n'était pas considéré comme
une défaillance du système. Au contraire, les tenancières qui payaient l'amende
respectaient tout à fait les sentences imposées par les tribunaux.
Graphique 9: Durée des sentences d'emprisonnement et temps réel en prison des tenancières pour
avoir tenu une maison de prostitution, prison de Québec, 1880-1905.
22,7%
18,2%
13,6% 13,6%
9,1%
Quant aux pensionnaires des maisons débauche, les sentences de prison imposées
étaient moins sévères que celles des tenancières et variaient surtout entre 1 et 4 mois. Elles
pouvaient même parfois être exemptées de sanction carcérale. Elles devaient cependant
payer une amende et promettre de ne plus fréquenter un établissement de prostitution (voir
l'annexe C) . Le quart des prostituées dans les bordels était condamné à 6 mois de prison
mais aucune sentence ne dépassa cette durée d'emprisonnement pour le délit d'avoir
« fréquenté ou habité un bordel ». Comparativement à leur patronne, plusieurs
pensionnaires demeuraient toutefois en prison jusqu'au terme de leur sentence, ce qui
indique notamment un niveau de richesse moins élevé. On remarque tout de même que
certaines d'entre elles étaient en mesure de quitter la prison avant le terme de leur peine.
Ainsi, plus de 16% ont retrouvé la liberté au cours du premier mois de leur détention
malgré le fait qu'aucune sentence de moins d'un mois n'était prononcée contre elles. Dans
certains cas, il est probable que la tenancière prêtait l'argent aux pensionnaires pour
qu'elles retournent travailler dans les bordels .
Graphique 10: Durée des sentences d'emprisonnement et temps réel en prison des
prostituées de bordel, prison de Québec, 1880-1905.
191
Le système de dettes conlraetées par les pensionnaires envers leur patronne a été constaté dans plusieurs
recherches portant sur le milieu de vie des prostituées, voir notamment Andrée Lévesque, « Le bordel: milieu
de travail contrôlé », loc. cit., p. 27-28; I.ori Rotcnburg, loc. cit., p. 53-55; Ruth Rosen, op. cit., p. 137-165.
73
Deslaurier, ont payé leur amende s'élevant à 126,45$ et à 109,30$ 192 . Les punitions
imposées aux hommes étaient donc semblables à celles des tenancières et les amendes
étaient parfois même un peu plus sévères.
Conclusion
192
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036/ 1578, 14 octobre 1897 et 4 février 1902.
I9i
Sessions de la Paix, 16 novembre 1899, BAnQ-Q, TL31 SI, SS1 UR 97, cont. 169, documents 173934 à
173939.
1)4
Donald Fyson, « The Judicial Prosecution of'Crime in the Longue Durée: Québec, 1712-1965 », loc. cit., p.
85-119.
7-1
caractérisé par des modes de prise en charge différents vis-à-vis les prostituées de rue
comparativement aux bordels. Malgré la diminution du recours à la prison depuis les
années 1870, les prostituées de rue, en particulier les « vagabondes/prostituées », étaient
soumises à une répression carcérale plus fréquente que les autres groupes. Il y avait donc
une plus grande tolérance pour les bordels comparativement à une surveillance resserrée de
certaines femmes marginales emprisonnées à répétition et identifiées comme vagabondes et
prostituées par les autorités. La répression à répétition envers ces vagabondes/prostituées
s'intégrait alors dans le contrôle global des espaces publics. Les motifs des actions
répressives consistaient à isoler les éléments « dangereux » de la société ainsi qu'à réguler
les comportements inadéquats.
Tout comme les prostituées de rue, les femmes accusées de tenir, habiter ou fréquenter
des maisons de débauche étaient jugées de façon sommaire devant le Recorder ou le Juge
des Sessions de la Paix. Sur le plan des sentences, les individus arrêtés dans les bordels
étaient jugés plus sévèrement par les tribunaux. Par contre, les tenancières et les
pensionnaires étaient davantage en mesure d'éviter complètement l'emprisonnement ou de
quitter la prison avant le terme de leur peine. Finalement, très peu d'hommes étaient ciblés
75
par la répression de la prostitution. Les jugements contre les tenanciers étaient semblables
à ceux imposés aux tenancières tandis que les clients étaient soumis à des sentences peu
rigoureuses.
76
Introduction
Québec commençait à être caractérisée par un déclin de ses activités traditionnelles centrées
principalement sur les activités portuaires, les chantiers maritimes et le commerce du
bois . Cette situation s'expliquait en partie par la forte concurrence de Montréal,
notamment en raison de la construction du chenal permettant aux navires de se rendre
directement dans la métropole. La montée de l'industrie métallurgique entraînait la baisse
du commerce du bois ainsi que le déclin de la construction de navires. De surcroît, les
difficultés économiques de Québec découlaient de l'éloignement des marchés commerciaux
du continent en raison de son écartement des grands tracés ferroviaires canadiens. Ce n'est
qu'en 1879 que le rattachement à Montréal et au reste du pays se concrétisa par le réseau
ferroviaire du Nord tandis que la jonction avec Lévis et l'ensemble du grand Tronc ne se
réalisa qu'au début du XXe siècle196.
En définitive, la seconde moitié du XIXe siècle a été marquée à Québec par une
transition structurelle difficile vers une nouvelle économie industrielle modernisée. C'est
au cours de cette période que la fonction commerciale de la ville se transforma d'un port
international incontournable à un point d'acheminement régional relié davantage aux
territoires plus rapprochés tels que la Beauce, le Saguenay, le Lac Saint-Jean et le Bas du
Fleuve197.
1
" John Hare et al, Histoire de la ville de Québec, 1608-1871, Montréal, Boréal, 1987, p. 258-259.
6
Paul-André Linteau et al., Histoire du Québec contemporain, tome I: de la Confédération à la crise (1867-
1929), Montréal, Boréal, 1989, p. 175-176. Voir aussi G.-Henri Dagneau (dir.), La ville de Québec, histoire
municipale, tome IV: de la Confédération à la charte de 1929, Cahiers d'Histoire, no 35, Soeiété historique de
Québee, 1983, p. 36.
' Paul-André Linteau et al., op. cit., p. 174-177. Voir également le résumé de la situation économique et
sociale à Québec au XIXe siècle effectué par Valérie Laflamme, Familles et mode de résidence en milieu
urbain québécois en période d'industrialisation: le cas de la ville de Québec, 1901, Université Laval, 2000, p.
16-35.
198
D'autres industries développées à Québec contribuaient également à la diversification économique de la
ville, notamment l'industrie métallurgique, l'imprimerie, la fabrication mécanisée de meubles et d'autres
produits, John Hare, op. cit., p. 269-271.
199
John Hare, op. cit., p. 269; Valérie Laflamme, op. cit., p. 27.
78
Les travaux de modernisation du port de Québec ont toutefois été profitables pour la continuité des
activités maritimes à partir de la fin du XIXe et les premières décennies du XXe siècle, Linteau, op. cit., p.
483.
201
Après plusieurs déplacements, la capitale du Canada fut fixée à Ottawa en 1865 par une décision de la
reine d'Angleterre, John J lare, op. cit., p. 265-266. La capitale provinciale était toutefois établie à Québec à
partir de juillet 1 867.
* G.-Henri, Dagneau (dir.), op. cit., p. 35; Linteau, op. cit., p. 175-176.
203
Mary-Anne Poutanen, « Bonds of Friendship, Kinship, and Community: Gender, Homelessness, and
Mutual Aid in liarly-Nineteenth-Century Montréal », loc. cit., p. 41-42.
79
urbaine de la province en 1871, n'en comptait plus que 10,5% en 1901 . En comparaison,
la population de Montréal doublait au cours de la même période: de 107 225 individus en
1871, elle en comptait 267 730 en 1901205.
décennies du XIXe siècle, les citoyens de la ville étaient majoritairement nés au Canada et
francophones. De plus, les départs d'une partie de l'élite anglophone ont été comblés de
plus en plus par des dirigeants urbains locaux et francophones tandis que les citoyens
provenaient davantage des régions avoisinantes que de l'immigration internationale.
En lien avec le contexte particulier de Québec entre 1880 et 1905, la partie suivante
s'interroge principalement sur les caractéristiques des groupes impliqués dans la
prostitution et ciblés par la répression judiciaire. En ce sens, dans ses recherches portant
sur la prostitution aux XIXe et XXe siècles, Constance Backhouse a analysé les aspects
discriminatoires et racistes du cadre juridique au Canada et son application par le système
de justice, notamment à l'égard des prostituées . Dans cette étude, la prise en compte des
origines nationales des prostituées et des exploitants de maisons de débauche vise à faire
ressortir certains aspects dominants du fonctionnement du système judiciaire à Québec.
Dans un premier temps, l'analyse des groupes ciblés par la répression se concentre sur
les origines nationales et les caractéristiques linguistiques des individus emprisonnés pour
des délits reliés à la prostitution. Par la suite, le facteur relatif à l'âge des prostituées et des
tenancières a permis de circonscrire davantage les logiques d'utilisation des institutions
d'enfermement envers les personnes, jeunes et moins jeunes, arrêtées dans la rue et les
bordels.
Constance Backhouse, toc. cit., p. 401. Voir aussi ses livres: Petticoats and Préjudice: Women and Law in
Nineteenth-Cenliiry Canada, op. cit., p. 228-259; Colour-Coded: A Légal History ofRacism in Canada, 1900-
1950, Toronto, Toronto University Press, 1999, 485 p.
Kl
individus incarcérés. L'analyse des données reliées à l'âge et au lieu d'origine des
prostituées et tenancières vise donc essentiellement à mettre en lumière certains traits
particuliers des personnes réprimées le plus sévèrement par la justice.
De prime abord, l'analyse des données concernant l'âge et l'origine des personnes
emprisonnées sont soumises à des limites découlant des sources consultées210. D'une part,
les inscriptions relatives à l'âge sont apparues parfois approximatives. Cette imprécision
pouvait résulter notamment d'un mensonge de la part des personnes qui étaient arrêtées.
D'ailleurs, certaines prostituées ayant recours à des noms d'emprunt pouvaient également
fournir d'autres informations erronées aux autorités judiciaires. Par conséquent, l'analyse
des prisonnières impliquées dans la prostitution s'effectue à partir de catégories plutôt
qu'en fonction de l'âge précis des individus.
"' Les renseignements relatifs à l'âge étaient dans presque tous les cas inscrits dans les registres de la prison
de Québec entre 1880 et 1905. Josette Poulin, dans son analyse des caractéristiques des prisonnières à la
prison de Québec, mentionne que les registres d'écrou omettent les âges de 49 prisonnières pour l'ensemble
de la période 1850-1899, voir sa thèse de doctorat, op. cit., p. 329-330.
" Afin d'analyser les groupes d'âge et les lieux d'origine des prostituées, les renseignements de chacune des
personnes inscrites dans les registres de prison ont été comparés afin de clarifier les cas où deux individus
avaient le même nom et prénom.
s?.
une personne ayant un nom de famille anglophone pouvait être complètement intégrée dans
un milieu social et familial francophone, notamment au sein des populations irlandaises à
Québec212. Malgré cela, la différenciation des individus selon leurs noms, francophones ou
anglophones, demeure un élément d'analyse révélateur de l'origine familiale des prostituées
et des tenancières ciblées par la répression.
Récidivistes Non-récidivistes
Canada (noms
Canada (noms
francophones)
francophones)
(73%)
(55%)
Dans la majorité des cas, les prostituées arrêtées dans les rues de Québec étaient donc
d'origine canadienne-française. Cela s'explique notamment par le ralentissement important
de l'immigration internationale et le contexte de francisation de la population de Québec au
cours des dernières décennies du XIXe siècle. La proportion plus élevée de prostituées
nées au Canada et emprisonnées entre 1880 et 1905 apparaît alors s'intégrer dans les
transformations démographiques de l'époque. À partir des dernières décennies du XIXe et
le début du XXe siècle, la répression carcérale de la prostitution ciblait davantage un
groupe d'origine locale que les immigrantes. Cette caractéristique s'inscrit d'ailleurs dans
une tendance générale de la répression judiciaire à Québec au cours de la même période .
213
Donald Fyson, « Criminal Justice in a Provincial Town: Québec City, 1856-1965 », loc. cit., (à paraître).
2]4
Ibid.,p. 11.
15
Voir François Drouin, loc. cit., p. 110.
2lr>
Recensement du Canada, dans Documents de la session, 1883, Ministère de l'agriculture, tableau III,
84
Elles constituaient alors le second groupe le plus touché par la répression des espaces
publics tandis que seulement quelques prostituées de rue emprisonnées provenaient
d'Angleterre, des États-Unis ou de la France217
Irlande
(3%
États-Unis —
(5%)
Canada (noms
francophones)
(85%)
population par nationalités, p. 251. Voir aussi Paul-André Linteau et al., op. cit., p. 176-177.
7
Seulement quatre prostituées de rue emprisonnées provenaient d'Angleterre tandis que deux étaient
originaires des États-Unis. Une parisienne, Maria Pessey, identifiée comme prostituée, était emprisonnée le
29 janvier 1891 et effectuait deux mois de prison pour ne plus reparaître ensuite dans les registres. Une autre
femme emprisonnée une seule fois le 14 mars 1901 provenait d'un autre pays non-spécifié dans le registre de
la prison de Québec, BAnQ-Q, El 7, 1960-01-036/1578.
218
Adèle Senneville.
HS
quitté Montréal pour venir par la suite diriger une maison de débauche à Québec. Par
ailleurs, la provenance majoritaire des tenancières et des pensionnaires nées au Canada
demeure tout de même représentative des transformations démographiques et de la
francisation de Québec depuis la seconde moitié du XIXe siècle .
Un élément intéressant concernant la provenance des clients des bordels est lié au fait
que presque toutes les plaintes pour vol étaient formulées par des hommes qui demeuraient
à l'extérieur de la ville. D'une part, ceux-ci pouvaient constituer des cibles plus attirantes
pour les prostituées et les tenancières qui espéraient qu'ils repartent dans leur région sans
porter plainte à la police. Il est également loisible de croire que ces « étrangers »
percevaient moins d'inconvénients à engager des procédures judiciaires contre des bordels
situés hors de leur ville de résidence, notamment en raison des pressions sociales moindres.
En effet, contrairement aux résidents permanents de Québec, ces clients provenant de
l'extérieur pouvaient plus facilement retourner dans leur foyer sans être par la suite
désignés par leur famille et leur entourage comme fréquentant des lieux de débauche. De
plus, dans tous les cas repérés, les clients de bordels provenant de l'extérieur de la ville
n'étaient pas poursuivis par la justice.
219
Les recherches de Mary-Anne Poutanen démontrent que les tenancières et les pensionnaires des bordels
interceptées par la justice étaient en majorité anglophones à partir de la fin des années 1830 alors que la
population anglophone de Montréal devenait majoritaire à partir de 1832, voir sa thèse de doctorat, op. cit., p.
48-52
86
Un élément d'explication concernant le nombre élevé de prostituées plus âgées est lié
à la présence de deux groupes distincts impliqués dans la prostitution de rue, c'cst-à-dirc
ceux des « récidivistes » et des « non-récidivistes » qui ont été identifiés au chapitre
précédent. Des différences notables ont été repérées entre l'âge des femmes de chacun de
ces groupes. Ainsi, la moyenne d'âge des prostituées « non-récidivistes » était de beaucoup
inférieure à celle des « récidivistes ». Dans les faits, plus de la moitié des « non-
récidivistes » étaient âgées entre 18 et 29 ans tandis que moins de 5% d'entre elles avaient
plus de 60 ans. Parmi les femmes âgées de 60 ans et plus, l'identification de celles-ci en
tant que prostituées pouvait d'ailleurs découler des préjugés des autorités judiciaires de
l'époque plutôt que d'un comportement véritablement relié à la prostitution. En effet, au
cours du XIXe siècle, une caractéristique des poursuites judiciaires contre les femmes
consistait à amalgamer les délits concernant l'ordre public et la moralité sexuelle 221 . Ainsi,
les femmes plus âgées ciblées par la répression en raison de leur présence dérangeante dans
l'espace public pouvaient tout de même être catégorisées en tant que prostituées par la
bureaucratie judiciaire.
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Groupes d'âge
221
Voir Donald Fyson, « The Judicial Prosecution of Crime in the Longue Durée: Québec, 1712-1965 », loc.
cit., p. 110-114.
2
II s'agit des femmes arrêtées dans la rue, emprisonnées pour des offenses reliées à la prostitution et
identifiées comme prostituées dans la catégorie « occupation » dans les registre de la prison de Québec.
XX
plusieurs années. Ces femmes demeuraient donc constamment dans les rouages du système
judiciaire, l'isolement carcéral ne favorisant aucunement leur réinsertion sociale.
Graphique 14: Âge des vagabondes/prostituées « récidivistes » emprisonnées pour tous les types de
délits. 1880-1905.
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Groupes d'âge
Contrairement aux vagabondes/prostituées plus âgées, les filles mineures arrêtées dans
les espaces publics étaient pour la plupart envoyées à l'école de réforme du Bon-Pasteur de
~' La moyenne d'âge élevée des femmes emprisonnées pour le délit de « loose, idle, and disorderly » indique
que les femmes identifiées dans cette catégorie n'étaient sans doute pas rattachées uniquement à la
prostitution. D'ailleurs, la moyenne d' âge de toutes les femmes incarcérées à la prison de Québec entre 1880
et 1905 et inscrites dans la catégorie de délit « loose, idle, and disorderly » est de 49 ans. Le groupe des 60
ans et plus compte pour 32,2% de tous les cas d'emprisonnement de femmes pour « loose, idle, and
disorderly » entre 1880 et 1905.
89
Québec . De plus, à partir des années 1870, en accord avec les recherches menées par
Josette Poulin, les prisonnières repenties accueillies à Y Asile du Bon-Pasteur étaient de plus
en plus jeunes tandis que la prison devenait le refuge de femmes plus endurcies '. Entre
1880 et 1905, le fonctionnement du système de répression de la prostitution à Québec était
donc influencé par l'âge des prostituées. D'une part, les jeunes femmes ou les filles
mineures condamnées une seule fois pour des délits reliés à la prostitution pouvaient par la
suite être prises en charge par l'institution de « réhabilitation morale » ou l'école de
réforme du Bon-Pasteur. D'autre part, lorsqu'elles devenaient plus âgées, les
vagabondes/prostituées « récidivistes » étaient davantage écartées du système de
réhabilitation.
En ce qui concerne la moyenne d'âge peu élevée des maîtresses des maisons de
débauche, il importe de souligner que les données concernent uniquement les registres de la
prison de Québec. Ainsi, il est possible que certaines tenancières plus âgées possédaient les
ressources financières nécessaires afin d'éviter l'emprisonnement. Elles étaient par
conséquent moins représentées dans les registres d'écrou. De plus, un second facteur
224
Josette Poulin, op. cit., p. 329-330; p. 500.
225
En moyenne, l'âge des prisonnières repentantes admises au Bon-Pasteur de Québec se situait entre 23 et 25
ans, ibid., p. 339.
90
concerne les procédures judiciaires, c'est-à-dire que les femmes arrêtées pour avoir tenu
une maison de prostitution n'étaient pas forcément les véritables propriétaires de
l'établissement. D'ailleurs, selon la définition du Code Criminel, la maîtresse d'une maison
de désordre pouvait être: « quiconque se montre, agit ou se conduit comme le maître ou la
maîtresse (...) d'une maison déréglée (...) bien qu'en réalité il ou elle ne soit pas le
propriétaire ou ne la tienne pas réellement » . Certaines prostituées qui habitaient une
maison de débauche de façon permanente et qui étaient responsables de la maintenance
quotidienne des lieux pouvaient donc être tout de même classifiées comme tenancières dans
les documents judiciaires analysés.
Graphique 15: Âges des tenancières et des prostituées de bordel emprisonnées à Québec. 1880-
1905227.
A)
□ Age des
tenancières
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Moins de 18-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60 ans et
18 ans plus
Groupes d'âge
incarcérées à la prison de Québec . Les filles mineures âgées de 16 ans et moins, quant à
elles, étaient envoyées par décision d'un magistrat à l'école de réforme, généralement
990
jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de 18 ans .
Cette partie de l'analyse a permis de faire ressortir les caractéristiques des prostituées
et des tenancières en lien avec le contexte démographique de Québec entre 1880 et 1905.
La répression carcérale ciblait davantage les groupes intégrés à la population de la ville
plutôt que les femmes immigrantes ou les étrangers de passage à Québec. L'âge des
prostituées et des tenancières constituait également un facteur discriminatoire ayant un rôle
à jouer dans le fonctionnement du système de régulation de la prostitution. À cet effet,
contrairement aux prostituées « non-récidivistes » et plusieurs pensionnaires et maîtresses
de maisons de débauche, l'emprisonnement ciblait surtout des femmes « récidivistes » plus
vieilles, moins intégrées au système de réhabilitation. Ces dernières demeuraient jusqu'à
des âges plus avancés dans les rouages du système carcéral pour des délits contre l'ordre
public. En continuité avec l'analyse des individus réprimés par la justice, la partie suivante
se penche désormais sur les comportements criminels des groupes impliqués dans la
prostitution de rue et dans les bordels.
Dans un premier temps, l'analyse des comportements criminels des prostituées et des
tenancières emprisonnées permet de tracer un portrait plus précis des parcours judiciaires de
ces femmes. Par la suite, un type de délit spécifique aux tenancières est abordé de façon
plus détaillée dans la deuxième section: la vente illicite d'alcool dans les maisons de
débauche.
22S
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, H17, 1960-01-036, 1882-03-09 (2 admissions); 1887-03-17;
1892-05-07; 1892-06-04; 1893-12-18; 1896-12-08; 1897-08-25; 1902-3-12; 1904-9-13.
22<)
Sessions de la Paix, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 97, cont. 169, documents 173661, 174360, 174361,
174362, 174363, 174364, 174366, 174367, 174372, 174597, 174598, 174602, 174603.
92
Dans un premier temps, tel que repéré au chapitre précédent, tant les prostituées
« récidivistes » que « non-récidivistes » étaient emprisonnées pour des comportements
déviants inclus dans la catégorie de « conduite déréglée ». Par ailleurs, celles qui étaient
accusées par le Recorder et emprisonnées à répétition pour les délits « d'obstruction » et
pour « ivresse » faisaient davantage partie des vagabondes. Les tenancières et leurs
pensionnaires, quant à elles, étaient emprisonnées pour plusieurs types de délits. Les motifs
de leur incarcération concernaient alors tant des offenses commises dans les rues que des
descentes policières dans les bordels. Au total, les pensionnaires des bordels ont effectué
106 séjours en prison pour différents délits, dont 60 cas concernant l'accusation d'avoir
fréquenté ou habité une maison de prostitution. À 46 occasions, elles étaient emprisonnées
pour d'autres délits concernant majoritairement le trouble de l'ordre public ou le délit de
« conduite déréglée » (tableau 3). D'ailleurs, parmi les 116 femmes accusées au moins une
fois d'avoir habité ou fréquenté un bordel, 27 d'entre elles ont également été emprisonnées
pour des délits reliés à la prostitution dans la rue .
On constate ainsi que les pensionnaires des maisons de débauche ne formaient pas un
groupe totalement sépare de celui des prostituées arrêtées dans la rue. Plusieurs prostituées
appréhendées lors de descentes policières dans les bordels n'étaient donc pas rattachées de
' Lintre 1850 et 1899, on dénombre 15 332 admissions de prisonnières à la prison de Québec, Josette Poulin,
op. cil., p. 328-329.
116 femmes arrêtées au moins une fois dans les bordels ont été repérées dans les registres d'écrou et les
archives judiciaires de la Cour du Recorder et des Sessions de la Paix entre 1880 et 1905.
93
façon permanente à une maison malfamée " . Au contraire, elles avaient parfois recours à
la prostitution dans la rue ou commettaient d'autres délits dans les lieux publics reliés au
vagabondage tels que «l'ivresse» et «l'obstruction» . A certaines occasions, elles
étaient également emprisonnées pour vol, assaut ou vente illicite d'alcool. Cette dernière
offense concernait cependant principalement les tenancières qui vendaient des liqueurs
enivrantes sans licence dans leurs établissements.
Tableau 3: Séjours en prison selon les délits commis par les tenancières et les prostituées, prison de
Québec. 1880-1905234 .
Tout comme leurs pensionnaires, les tenancières étaient poursuivies pour plusieurs
types de délits. On constate que celles-ci étaient accusées le plus fréquemment de «tenir
Sur les modes de vie des prostituées vivant en groupe et pouvant alterner entre la rue et les bordels, voir
notamment Mary-Anne Poutanen, «Bonds of Friendship, Kinship, and Community: Cîcndcr, Homelessness,
and Mutual Aid in Early-Nineteenth-Century Montréal », loc. cit., p. 27-35.
Kathleen lord, dans ses recherches sur le contrôle de l'espace public à Saint-Henri entre 1875 et 1905,
interprète cette répression des prostituées et vagabondes dans l'espace public comme découlant directement
des distinctions entre classes sociales et de genre par les autorités municipales, « Perméable Boundaries:
Negotiation, Résistance, and Transgression of Street Space in Saint-Henri, Québec, 1875-1905», Urban
Hislory Review, Toronto, 33, 2, 2005, p. 17-29.
2M
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036, 1880-1905. Le tableau, centré sur la
répression carcérale, n'est donc pas représentatif de l'ampleur de tous les actes criminels commis par les
prostituées et les tenancières. De plus, lorsque les peines d'emprisonnement étaient d'une durée de plus de
deux années, les prisonnières étaient envoyées au pénitencier. Ces cas ne sont pas inclus dans le tableau.
94
En plus des 46 cas d'emprisonnement concernant les délits reliés à la prostitution, les
femmes identifiées comme tenancières dans les registres d'écrou ont effectué 35 séjours en
prison pour des infractions perpétrées tant dans les rues que dans les maisons malfamées.
Les vols, en particulier contre des clients « étrangers », et la vente illicite d'alcool
constituaient des gestes criminels commis fréquemment en conjonction avec leurs activités
dans les bordels. Dans une moindre mesure, elles étaient arrêtées dans les rues et
emprisonnées pour conduite déréglée ou trouble de la paix publique. Dans ces cas, elles
étaient rarement emprisonnées en raison de leur capacité à payer les amendes, qui étaient
peu élevées comparativement à celles de 50 ou 100$ pour avoir tenu une maison de
prostitution.
Cette caractéristique de la criminalité féminine de nature mineure comparativement aux hommes a été
constatée également à Montréal par Tamara Myers, Criminal Women and Bad Giris: Régulation and
Punishmenl in Montréal 1890-1930, thèse de doctorat, Université McGill, 1995, p. 34.
Mary-Anne Poutanen, « Images du danger dans les archives judiciaires: comprendre la violence et le
vagabondage dans un centre urbain du début du XIXe siècle, Montréal (1810-1842) », RHAF, 55, 3, 2002, p.
398-405. Concernant le milieu de vie des prostituées, David Bright a également mis en lumière les relations
parfois conflictuelles avec les policiers ainsi qu'un exemple de corruption policière à Calgary, voir son article
« The Cop, The Chief, The Hooker and Her Life », Alberto History, 45, 4, 1997, p. 16-26. Voir aussi Ruth
Rosen, op. cit., p. 86-111.
95
Entre 1880 et 1905, la vente illicite d'alcool est apparue comme une motivation
importante de la répression contre les maisons de débauche à Québec. Au cours de
certaines années, les poursuites concernant ce type d'activités criminelles connexes aux
bordels pouvaient même être supérieures à celles liées exclusivement à la prostitution.
L'exemple le plus marquant apparaît en 1905 alors que 43 des 48 accusations enregistrées
dans les archives des Sessions de la Paix visaient le contrôle de la vente de liqueurs
enivrantes 240 (graphique 16). Près de 90% des poursuites devant ce tribunal contre les
bordels concernaient alors l'alcool. Au total, de 1896 à 1905, au moins 119 accusations
étaient portées contre des exploitants de bordels. Par ailleurs, les individus dans les
maisons de débauche n'étaient pas les seuls ciblés par cette répression. D'autres dirigeants
d'établissements hôteliers, non associés à la prostitution, étaient également accusés pour
Graphique 16: Vente illicite d'alcool dans les maisons de débauche à Québec, Sessions de la Paix,
district judiciaire de Québec, 1880-1905 242
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"4I Les maisons de prostitution étaient soumises à la même législation en vigueur pour tous les types
d'établissements tels que les auberges, restaurants ou buffets de chemin de 1er, magasins de liqueurs et
tavernes, SRQ, 1888, titre IV, c. V, s. XII, art. 889-891.
242
BAnQ-Q, Sessions de la Paix, 1880-1905. Aucune accusation pour vente illicite d'alcool dans les maisons
de débauche n'a été repérée dans les registres de la Cour du Recorder de Québec pour les années 1880, 1885,
1890, 1895, 1900 et 1905.
Société de Tempérance de la ville de Québec, Règlement des membres de la Société de Tempérance de la
ville de Québec, Québec, 1905, p. 6.
244
Ce premier référendum sur tout le territoire canadien concernant la prohibition des boissons alcoolisées,
tenu le 29 septembre 1898, fut en majorité (81,2%) rejeté dans la province de Québec, Jean Cournoyer,
op. cit., p. 1282.
97
Entre 1880 et 1905, les dénonciations contre les maisons de débauche concernant la
vente illicite d'alcool étaient effectuées par Joseph-Elzéar Portier, écuyer et percepteur de la
province pour le district du revenu de Québec. À titre d'exemple, le 30 janvier 1905, celui-
ci déposa des plaintes contre 20 tenancières pour « vente de liqueurs enivrantes sans
licence, dans une maison malfamée ou de rendez-vous ». Chacune était condamnée le
même jour à une sentence de 100 $ d'amende plus les frais de 7,60$ ou 3 mois de prison.
La majorité ont payé l'amende et les frais des procédures afin d'éviter l'emprisonnement.
Au total, entre 1880 et 1905, seulement 12 tenancières ou pensionnaires de bordels ont
effectué des séjours en prison pour vente illicite d'alcool. Dans ces cas, 8 d'entre elles ont
effectué la totalité de la durée d'emprisonnement tandis que les autres ont défrayé l'amende
quelque temps après l'application de leur peine
245
SRQ, 1888, titre IV, c. V, s. XII, art. 880.
246
Jean-François Leclerc, loc. cil., p. 116.
247
Le 30 janvier 1905, 20 tenancières étaient jugées par le Juge des Sessions de la Paix pour vente illicite
d'alcool ainsi que 18 tenancières le 7 août de la même année.
248
La Loi des licence spécifiait d'ailleurs que les demandes de licence devaient être refusées s'il était prouvé
que le requérant était une personne de mauvaises mœurs, ayant déjà permis ou souffert de l'ivrognerie, SRQ,
1888, titre IV, c. V, s. XII, art. 842.
249
BAnQ-Q, prison de Québec, registres d'écrou, E17, 1960-01-036, 1881-06-21; 1885-04-08; 1888-07-23;
1888-12-11; 1890-08-18; 1890-11-26; 1891-04-10; 1892-09-13; 1895-12-13; 1893-05-17; 1901-4-18; 1893-
05-17.
98
250
Mary-Anne Poutanen, « Images du danger dans les archives judiciaires », loc. cit., p. 298-405, voir aussi sa
thèse de doctorat, op. cit., p. 261-275.
99
peu plus nombreux au cours des mois d'été. Dans son analyse des registres d'écrou, Josette
Poulin a d'ailleurs fait ressortir cette même tendance pour l'ensemble des prisonnières à
Québec au cours de la période 1850-1899 . Les activités accrues dans le port pendant
l'été et l'arrivée de voyageurs constituent des éléments explicatifs de la plus grande
agitation dans les rues et des occasions plus fréquentes d'inconduites de la part des
prostituées et vagabondes. L'analyse des accusations devant la Cour du Recorder démontre
d'ailleurs que les arrestations de femmes par les policiers étaient plus fréquentes au cours
des mois d'été et d'automne que pendant l'hiver. Les prostituées de rue étaient ainsi
arrêtées lorsqu'elles étaient plus visibles dans les lieux publics " .
Graphique 17: Accusations devant le Recorder et séiours en prison par mois des prostituées de
60 * — Registre
d'écrou
50
40
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30 Recorder
20
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■*& x/',- J? ^ N* ^ s^" & ■<? JP - &
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Une seconde analyse plus approfondie des accusations devant le Recorder montre que
certaines prostituées avaient tout de même parfois recours à la prison comme lieu de refuge.
En ce sens, les plus faibles taux de poursuite devant le Recorder étaient atteints en
décembre et février, alors que moins de 30 femmes étaient conduites devant le magistrat.
251
Josette Poulin, op. cit., p. 343-344.
52
Cette tendance a également été constatée par Mary-Anne Poutancn, thèse de doctorat, op. cit., p. 227-228.
25
' AVQ, Cour du Recorder, 1880, 1885, 1890, 1895, 1900, 1905; BAnQ-Q, prison de Québec, registres
d'écrou, El7, 1960-01-036, 1880, 1885, 1890, 1895, 1900, 1905. Une première courbe concerne les
accusations de toutes les femmes devant la Cour du Recorder. La seconde courbe indique les prisonnières
identifiées au moins une fois comme prostituées dans les registres de la prison de Québec.
100
Cette diminution des arrestations au cours de l'hiver pouvait signifier qu'elles étaient moins
actives dans les rues au cours de ces mois. Certaines prostituées et vagabondes étaient déjà
en prison pour des infractions commises au cours des mois précédents. Elles pouvaient
d'ailleurs avoir commis des délits avant la saison froide afin d'être admises à la prison
pendant l'hiver. Mary-Anne Poutanen a d'ailleurs observé que plusieurs prisonnières
remises en liberté au mois de janvier retournaient immédiatement en prison et préféraient
ainsi demeurer incarcérées jusqu'au printemps254.
""' Sur la prise en charge de la pauvreté extrême et les refuges à la fin du XIXe siècle, voir notamment l'article
de Marcela Aranguiz et Jean-Marie Fecteau, loc. cit., p. 83-98.
256
G.-Henri Dagneau dir., La ville de Québec, histoire municipale, Tome IV, de la Confédération à lu charte
de 1929, Cahiers d'Histoire, No 35, La Société historique Québec, 1983, p. 123; Alain Grenier, Incendies et
pompiers à Québec, 1640-2001, Québec, GID, 2005, p. 274-279; 288-293.
57
Cette diminution du nombre des emprisonnements a été constatée également à Montréal et dans d'autres
pays occidentaux, notamment aux Ftats-Unis, en France et en Angleterre, voir Jean-Marie Fecteau, Marie-
Josée Tremblay et Jean Trépanier, « La prison de Montréal de 1860 à 1913: évolution en longue période d'une
population pénale», loc. cit., p. 40-41; Donald Fyson, «The Judicial Prosccution of Crime in the Longue
Durée: Québec, 1712-1965 », loc. cit., p. 85-119.
101
cependant être attribuable, en partie, à un « artefact des sources », c'est-à-dire que certains
cas de détention par les policiers pour « protection » pouvaient ne pas être inscrits dans les
documents judiciaires 258 . Par conséquent, une portion des individus ayant demandé refuge
en prison ne figurait pas dans les registres de prison de Québec. En plus des
transformations possibles de la bureaucratie judiciaire, une conjonction d'autres facteurs
reliés au contexte particulier et à la prise en charge institutionnelle de la pauvreté et de la
prostitution à Québec permet d'éclaircir les motifs de la proportion peu élevée des refuges
en prison au cours de la période 1880-1905.
Les motifs les plus fréquents des recours en justice par les tenancières concernaient
des actes ou des menaces de violence physique ' . Les plaintes pour effraction et
258
Ibid., p. 91-92.
259
Voir le tableau 4. Le corpus de sources concerne principalement les tenancières et ne permet donc pas
d'analyser la fréquence totale des recours en justice par les prostituées de bordel et de rue.
260
Mary-Anne Poutanen, thèse de doctorat, op. cit., p. 264-275.
261
Sur les recours à la protection de la justice par les femmes au Bas-Canada et au Québec, voir notamment
Donald Fyson, Magistrales, Police, and People, op. cil., p. 279-284; Anna Clark, « Humanity or Justice?
102
Entre 1880 et 1905, des 32 plaintes formulées par les tenancières identifiées dans le
corpus de sources, 20 étaient contre des hommes. De ce nombre, 16 dépositions
concernaient des cas d'assaut, de voies de fait ou des menaces de violence physique ou de
mort. Comme le tableau 4 l'indique, la majorité des plaintes formulées par les tenancières
ciblaient à plus d'une reprise les mêmes hommes qui, dans certains cas, étaient leurs maris.
Les recours fréquents en justice par quelques tenancières sont des indices du phénomène de
violence conjugale dans les milieux de la prostitution, dont l'ampleur réelle demeure
toutefois inconnue ' . La violence à répétition des hommes contre les mêmes tenancières
indique également que le recours au système de justice étatique par les tenancières n'était
pas nécessairement garant de leur protection et n'avait pas toujours l'effet dissuasif
escompté.
Entre 1883 et 1893, la tenancière Rose Descoteaux formulait cinq plaintes devant le
magistrat Alexandre Chauveau pour assaut, voies de fait ou menace de violence physique.
Celle qui utilisa le plus fréquemment le système judiciaire demeure cependant Adèle
Senneville. De 1897 à 1905, cette dernière déposait huit plaintes contre des hommes dont
six concernant des actes de violence ou des menaces de mort. Au total, ces deux
tenancières rassemblaient donc près de la moitié des plaintes concernant les demandes de
protection par le système judiciaire. L'instrumentalisation de la justice était alors
caractérisée par une répartition inégale des personnes ayant recours aux tribunaux. Ainsi,
Wilcbcating and the Law in ihe Highteenth and Nineteenth Centuries », dans Carol Smart, (dir.), Regulatir/g
Womanhood, op. cit., p. 187-206.
262
Mary-Anne Poutanen, « Images du danger dans les archives judiciaires », lac. cil., p. 403; Marilynn Wood
Hill, Their Sisters ' Kcepers, Prostitution in New York City, 1830-1870, Berkeley, Los Angeles, University of
California Press, 1993, p. 159-167.
263
Plusieurs cas de violence conjugale pouvaient ne pas être dénoncés ou, tel qu'analysé au Québec par
Donald Fyson, les demandes de protection à la justice par les femmes étaient effectuées généralement en
dernier recours, Police, Magistrale, and People, op. cit., p. 300.
103
l'ampleur du phénomène doit être relativisée car, bien que quelques-unes n'hésitaient pas à
recourir à la justice pour se défendre, plusieurs tenancières et prostituées demeuraient
complètement à l'écart de la protection du système judiciaire.
Tout comme les hommes, les femmes étaient également ciblées par des plaintes
formulées par d'autres prostituées. La plupart des plaintes était déposée par des tenancières
et concernaient aussi des assauts et des voies de fait. L'utilisation du système afin de se
protéger contre la violence physique n'était donc pas exclusive aux rapports
hommes/femmes mais concernait aussi fréquemment les conflits et la violence opposant des
femmes. Au quotidien, les relations antagoniques avec leur entourage étaient alors
semblables aux conflits vécus par les femmes des classes populaires et ouvrières ,4.
Les pensionnaires des maisons de prostitution pouvaient elles aussi utiliser parfois le
système judiciaire. À quelques reprises, elles formulaient des accusations afin de dénoncer
les activités illégales des tenancières. Les délations survenaient notamment lorsqu'elles
étaient interrogées par des policiers au sujet d'actes illégaux commis par leur patronne. À
titre d'exemple, le 10 septembre 1895, deux pensionnaires d'un bordel portaient une plainte
contre leur maîtresse Arthemise Guillmette, pour avoir « tenu une maison de prostitution et
illégalement fait disparaître le cadavre d'un enfant mort né en le jetant dans un poêle »265.
À partir des témoignages effectués par les pensionnaires, on constate que l'objectif de
vengeance personnelle contre la tenancière constituait un élément sous-jacent des
dépositions (voir l'annexe D2W').
7M
Mary-Anne Poutancn, « Bonds of Friendship, Kinship, and Community: Gender, Homclessness, and
Mutual Aid in Early-Nineleenth-Century Montréal », loc. cit., p. 38; « images du danger dans les archives
judiciaires », loc. cit., p. 392.
265
Sessions de la Paix, 10 septembre 1895, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 81, cont. 153, documents 144556 et
144557.
266
Dépositions de I.éopoldinc Lefebvre et de Marie Dubé (10 septembre 1895), annexe D.
104
Tableau 4: Plaintes formulées par des tenancières de bordels. Sessions de la Paix, 1880-1905
D a t e s des
plaintes Personnes plaignantes Personnes accusées M o t i f s des plaintes
1897 11 02 Adèle Scnncvillc, épouse de Emile Miehaud John O'Malley voies de l'ait
1898 09 15 Adèle Scnncvillc, épouse de Emile Miehaud Emile Miehaud voies de l'ait
1899 04 21 Adèle Scnncvillc, épouse de Emile Miehaud Joseph Dumais voies de fait
1901 10 09 Adèle Scnncvillc, épouse de Emile Miehaud Aima Boivin illégalement tiré du pistolet
1902 05 02 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Joseph Dumais dommages à la propriété
1902 07 28 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Maria Lalleur, veuve de William Dohcrty assaut
assaut et voies de fait, et pour
1902 09 04 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Joseph Dumais menaces de mort
1903 12 12 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Joseph Dumais voies de l'ail
1905 07 07 Adèle Scnncvillc, épouse de Emile Miehaud Emile Miehaud dommages à la propriété
1898 II 17 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Rosie Smith assaut et voies de l'ait
Jean-Baptiste Beaulae, Emile Trudel et
1901 (IX 19 Adèle Senneville, épouse de Emile Miehaud Emile Minguy assaut et voies de fait
1893 II 14 Alherta Laurier Rose Deseoteaux assaut et voies de fait
Aldonor-Adelphine-Belzémire McKibbin, assaut et voies de l'ait, et pour
1898 03 29 veuve de Hilairc Turgeon Samuel Vézina, ehaloupier menaces de mort
1902 07 28 Maria I .a fleur, veuve de William Dohcrty Adèle Senneville assaut et voies de l'ait
effraction et dommages à la
1903 05 09 Marie Métayer, veuve de Eugène Robinson Napoléon Rohitaille dit Laliberté propriété
1894 02 19 Nora Fitzgerald Rose Deseoteaux, wilc of Henry Reinhardt assailli and battery
' Le tableau indique 32 plaintes formulées par ou contre des tenancières et qui ont été enregistrées dans les
documents judiciaires des Sessions de la Paix. Les cas ont été repérés dans les CD-ROM Thémis 2 et
concernent les femmes identifiées au moins une fois comme maîtresse d'une maison de prostitution entre
1880 et 1905.
105
Sur le plan de la défense devant les tribunaux, certaines tenancières ciblées par des
poursuites criminelles utilisaient une stratégie particulière consistant à formuler une contre-
accusation contre les personnes qui avaient en premier lieu porté plainte contre elles.
Témoignant d'une connaissance du fonctionnement des Cours de justice, les tenancières
utilisant cette stratégie espéraient ainsi parvenir à l'annulation de l'accusation. Dans les
faits, certaines d'entrés elles arrivaient véritablement à échapper à une condamnation. Par
exemple, le 7 octobre 1901, la tenancière Aima Boivin portait une plainte contre Adèle
Sennevillc pour dommage à la propriété. Deux jours plus tard, la réaction de la
défenderesse consistait à porter elle aussi une plainte contre son accusatrice pour le motif
d'avoir « illégalement tiré du pistolet »2f,s. La Cour de justice devenait ainsi un lieu de
résolution de conflits entre les tenancières et de vengeance personnelle de la part d'Adèle
Sennevillc. Cette dernière tentait alors d'obtenir le-retrait de la première plainte et mettre
fin aux procédures judiciaires. En réplique à d'autres accusations d'assaut et de voies de
fait, elle répéta d'ailleurs cette stratégie le 17 novembre 1898 et le 28 juillet 1902 afin
d'obtenir un jugement de non-lieu. Dans tous les cas, la tenancière utilisait le système de
plaintes judiciaires à ses propres fins et parvenait à l'annulation des poursuites.
m
Sessions de la Paix, 7 octobre 1901, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 92, cont. 164, documents 164421,
164422, 164419 et 164419A.
106
Conclusion
L'analyse des comportements réprimés par le système indique que les prostituées et
Sur le phénomène d'instrumentalisation de la justice et les relations entre les individus et le système
judiciaire, voir Donald Fyson, Magistrales, Police, and Peuple, op. cit., p. 272-289.
107
les tenancières étaient toutes soumises, à des degrés variables, à une répression concernant
des actes criminels perpétrés dans la rue et dans les bordels. Le contrôle judiciaire de la
vente illicite d'alcool visait cependant en particulier les exploitants des maisons de
débauche qui, tel que mis en lumière dans les recherches de Poutanen, tentaient d'attirer
leur clientèle de cette façon. Les tenanciers et tenancières enfreignant la Loi des licences
étaient alors dénoncés par l'officier du revenu pour le district de Québec. Dans tous les cas,
les personnes accusées étaient condamnées. La répression de la prostitution tentait
véritablement de réguler tous les types de comportements déviants de ces individus
marginaux perçus par les groupes dominants comme une menace à l'ordre public et la
moralité.
L'objectif de contrôle social des prostituées par une classe dominante masculine n'est
cependant pas représentatif de la totalité du fonctionnement du système de justice
criminelle. En effet, les initiatives de certaines prostituées et tenancières, qui utilisaient le
système carcéral comme forme de protection ou qui déposaient des plaintes contre d'autres
individus, relativisent le rôle uniquement passif des prostituées réprimées par le système
judiciaire. En ce sens, entre 1880 et 1905, on constate que la prison de Québec était encore
utilisée comme lieu de refuge par un groupe cependant restreint de prostituées. De plus, les
plaintes déposées par les tenancières visaient fréquemment à obtenir une forme de
protection par l'État lorsqu'elles étaient victimes de menaces ou d'actes violents. Par
ailleurs, le désir de vengeance personnelle n'était pas absent du comportement de certaines
tenancières qui se poursuivaient mutuellement et tentaient d'obtenir l'annulation des
poursuites.
108
CONCLUSION
Les recours aux institutions spécialisées d'enfermement par les autorités judiciaires
s'établissaient alors en fonction des normes de l'époque et non pas afin de favoriser la
réinsertion sociale des groupes marginaux.
Les écarts entre les fréquences répressives de chacun des groupes, dans la rue ou dans
les bordels, découlaient notamment des procédures d'arrestation. Ainsi, contrairement aux
prostituées arrêtées « à vue » dans les rues, la majorité des descentes dans les maisons de
débauche provenaient de plaintes contre les établissements malfamés qui devenaient trop
dérangeants ou dont les activités internes illicites étaient dénoncées. Formulées par des
parties civiles ou par les policiers, les plaintes devant le magistrat entraînaient l'émission
d'un mandat d'arrestation autorisant les constablcs à intercepter tous les individus se
trouvant dans les lieux au moment de la descente. Tout de même, depuis environ le milieu
du XIXe siècle, les poursuites judiciaires tant contre les prostituées de rue que les individus
dans les bordels suivaient la procédure sommaire, car les pensionnaires et les maîtresses des
110
maisons de débauche ne pouvaient plus être jugées devant jury. Dans la majorité des cas,
les poursuites se concrétisaient par un verdict de culpabilité contre les femmes accusées de
tenir, habiter ou fréquenter une maison de prostitution.
caractérisé par l'emprisonnement expéditif des prostituées de rue qui, selon les groupes
dirigeants, menaçaient l'ordre et la moralité dans l'espace urbain. D'autre part, les
procédures sommaires appliquées à l'égard des tenancières et des pensionnaires
permettaient aux autorités locales de réprimer de façon accélérée certains établissements
indésirables lorsqu'ils étaient dénoncés. Ainsi, la répression sporadique des maisons de
débauche constitue un élément bien ancré dans le fonctionnement judiciaire à Québec et qui
suscite un intérêt également épisodique dans la population par le biais des rubriques
judiciaires des journaux de la région.
113
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22 Vict. (1858), c. 27. Acte pour amender et étendre l'Acte de 1857, pour diminuer les frais
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ANNEXES
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' L'annexe C regroupe une sélection d'articles de journaux traitant exclusivement des descentes dans les
bordels de Québec entre 1880 et 1905. Les extraits choisis ont été sélectionnés parmi les journaux : Le
Canadien, Y Evénement, le Québec Chronicle et le Québec Mercury.
126
Joséphine Pouliot, 26 ans; Alexina Daoust, 24 ans; Yvonne Vildemer, 19 ans; Hilda Martel, 19 ans;
Yvonne Landry, 23 ans; Flora Lacoste, 46 ans et Henriette Michaud, 35 ans. Ces deux dernières
étaient les cuisinières du harem. Malheureusement pour les curieux présents, ces donzelles avaient
été condamnées chacune à 10$ d'amende, hier après-midi, et remises en libertés sous condition
d'abandonner immédiatement le bouge de la rue Ste-Hélène.
Restait cependant pour ce matin le procès de la maîtresse Laura Chabot.
Mais, après avoir eu le temps de songer, en arrière des barreaux, hier, elle a plaidé coupable à
l'accusation de tenir une maison malfamée.
Elle a reçu sa sentence vers 11,45 heures alors que les curieux fatigués d'attendre avaient pris le
parti de se retirer.
Après une sentence des mieux méritées, elle a été condamnée à 6 mois de prison, plus 100$
d'amende ou six autres mois à défaut du paiement.
Je suis arrivé en cette ville mardi dernier le douze d'avril courant, et le lendemain qui était le treize
de ce mois-ci, j'engageai un charretier en la basse-ville de cette cité qui me conduisit à une maison
de prostitution tenue par une personne que j'ai depuis appris se nommer Rose Decoteaux. (...) Il y
avait dans la maison la maîtresse, du moins celle qui m'a paru être la maîtresse, et trois ou quatre
jeunes filles. Après être resté quelque temps je choisis une des filles qui étaient là, et je suis monté
dans une chambre à coucher avec elle ou j'y ai passé une partie de la nuit avec elle. Vers le milieu
de la nuit nous nous sommes levés et avons eu à souper, après notre repas je suis de nouveau
retourné au même lit, mais non avec la même fille, cette fois c'était avec la maîtresse, au meilleur de
ma connaissance, et c'est avec elle que j'ai passé le restant de la nuit.
J'étais parfaitement sobre, mais presqu'aussitôt après avoir pris quelques "prisées" de tabac que
cette femme m'offrit je m'endormis d'un sommeil profond.
M'étant éveillé pour les sept heures du matin je me levai et m'étant habillé je me préparai à partir.
Avant mon départ de la dite maison je constatai qu'il me manquait la somme de quarante piastres
qui avait été soustraite de mon portefeuille pendant la nuit.
La maison tenue par la dite Rose Decoteaux est une maison de prostitution et une maison malfamée,
et les personnes qui fréquentent la dite maison et qui y habitent sont des prostituées.
Cette maison est située dans le faubourg St-Jean, dans la cité et le district de Québec. j e ne connais
pas la rue ou est située la dite maison, mais je puis l'indiquer à vue.
Je demeure comme pensionnaire dans une maison de prostitution, au numéro 96 rue Ste Cécile de la
Cité de Québec, dans le district de Québec, tenue par une femme du nom de Hélène Racine -
D'autres filles habitent aussi la même maison entre autres Clara St-Jean et une nommée Joséphine
dont je ne connais pas le nom de famille -
Mardi dernier le vingt-cinq août courant sur les neuf heures du soir le charretier Onésime Thibault a
amené à la maison un étranger qu'on m'a dit se nommer Auguste Truchon, de St-Félicien, Lac St-
Jean. Cet individu arrivait m'a t'on dit des États-Unis - Une fois dans la maison, il a demandé une
traite pour tout le monde, huit personnes et cette traite lui a été servie; c'était huit verres de bière -
L'étranger a alors présenté en paiement à Hélène Racine un billet de vingt piastres argent américain
- Celle-ci dit qu'elle n'avait pas de change offrant en même temps d'envoyer le charretier Thibault le
changer au dehors ce que l'étranger a accepte. Thibault est alors sorti en compagnie de la fille
Joséphine et ils sont revenus peu après en rapportant le change du billet de vingt piastres qui fut
remis à l'étranger moins cinquante cents pour la traite et vingt cents que Thibault dit avoir donné
pour changer le billet d'argent américain.
L'étranger a alors commandé une autre traite qui lui a été servie et pour laquelle il a cette fois
présenté en paiement un billet de dix piastres à Hélène Racine. Celle-ci est alors sortie de
l'appartement ou nous étions et elle est allée dans le salon accompagnée de Thibault, je les ai suivi
sans faire semblant de rien et Thibault a alors proposé à Hélène Racine en ma présence de séparer
avec elle le billet de dix piastres ajoutant que l'étranger qui était en fête ne se rappellerait de rien.
4
Sessions de la Paix, 16 avril 1881, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 27, cont. 99, documents 45404 à 45406.
5
Ibid., 29 août 1896, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 88, cont. 160, documents 158300 à 158302.
130
Hélène Racine a consenti et elle a remis cinq piastres à Thibault. À partir de ce moment là c'est-à-
dire depuis après neuf heures du soir jusqu'après minuit l'étranger en question a ainsi payé huit ou
dix traites donnant chaque ibis à Hélène Racine soit un billet de cinq piastres ou un billet de dix
piastres que celle-ci divisait toujours avec Thibault. Clara St-Jean s'est tenue pendant un certain
temps sur les genoux de l'étranger et elle nous a montré cinq ou six piastres en argent dur disant que
l'étranger lui avait fait cadeau de cet argent -
Un peu après minuit l'étranger se plaignant qu'il lui manquait beaucoup d'argent, Hélène Racine lui
dit qu'il avait dépensé son argent et comme elle commençait à être inquiète de la tournure que
prenait les choses elle dit à Thibault de l'emmener qu'il était temps qu'il s'en aille - Thibault l'a alors
fait sortir un peu contre son gré et rendu au coin de la rue il l'a mis entre les mains d'un autre
charretier nommé Verrault pour le mener au Palais.
Thibault est revenu quelques instants après et Hélène Racine lui ayant demandé ce qu'il avait fait de
l'étranger il a répondu: « Je l'ai shippé » -
Le lendemain matin sur les sept heures l'étranger en question est revenu à la maison et il s'est plaint
à Hélène Racine de s'être fait volé chez elle, celle-ci lui a dit qu'il avait dépensé son argent et de s'en
aller lui disant toutes espèces d'injures - L'étranger l'a menacé de la faire prendre et lui a dit que si
elle voulait seulement lui remettre une quinzaine de piastres de son argent qu'il la tiendrait quitte
pour le reste ajoutant qu'il lui manquait au moins cent piastres - Hélène a refusé de prendre
arrangement avec lui, tout cela en présence de Thibault qui disait lui aussi à l'étranger qu'il avait
tout dépensé son argent et qu'il n'avait pas été volé. Thibault est alors sorti emmener l'étranger avec
lui et je ne l'ai pas revu depuis.
Je demeure à l'heure actuelle chez madame Emilie Pelletier rue Ste-Cécile en la dite Cité de
Québec. Jusqu'à environ il y a trois semaines je demeurais depuis six mois chez Madame veuve
Roy de son nom de fille Arthemisse Guillemette qui tient une maison de prostitution rue Ste-Cécile
en la dite Cité. Je suis âgée de vingt-sept ans. Vers la fin de décembre dernier, vers le vingt cinq
décembre je crois je me suis aperçu que mes règles que j'attendais à cette date avaient cessé. J'en
avertis la maîtresse de la maison Madame Roy qui me dit de prendre de la moutarde, de la bière
mêlés ensemble, que cela ferait partir mes règles. Je lui ai demandé comment il fallait prendre cela;
elle me dit de mettre la moitié de bière dans un verre et d'y mêler deux cuillerées de moutarde - ce
que je fis devant elle; cela c'était vers le commencement d'avril. Je ne pus pas prendre ce breuvage
car à peine j'avais le goût que je jetai le contenu du verre dans l'évier. Quelques temps après je crois
que c'est vers la fin d'avril dernier la maîtresse de la maison madame Roy m'enseigna et me
conseilla de prendre une infusion d'herbe à chat en disant que cela aurait l'effet de faire partir mes
règles. Elle-même acheta sur le marché une certaine quantité d'herbe à chat et rendu à la maison
elle m'enseigna comment en faire une infusion. Je mis la moitié du paquet d'herbe dans une
chopine d'eau bouillante et j'en pris un bol chaud le matin et un autre bol dans la soirée.
Le surlendemain du jour ou je pris ces potions, je commençai à me sentir malade. J'ai pris ces deux
potions le jeudi ou le vendredi de la dernière semaine d'avril je crois, et c'est dans la nuit du samedi
au dimanche suivant que j'ai été délivré, je veux dire que j'ai eu une fausse couche.
Je jure positivement que Madame Roy savait alors qu'elle m'a fait prendre ces potions que j'étais
enceinte. Le dimanche au matin à quatre heures j'ai eu une fausse couche et j'ai été délivré d'un
enfant (fœtus) qui pouvait avoir environ quatre pouces; j'ai touché à cet enfant (fœtus) et je me suis
aperçu qu'il remuait. J'ai alors appelé une personne de la maison qui s'appelle Laura Nougcl; cette
'' Sessions de la Paix, 10 septembre 1895, BAnQ-Q, TL31, SI, SS1 UR 81, cont. 153, documents 144556 et
144557.
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fille est venue et a pris l'enfant (fœtus) dans ses mains pour l'examiner puis elle a appelé Madame
Roy, la Maîtresse de la maison. Cette dernière est montée à ma chambre avec Mélanie et Marie
Dubé - deux filles de la maison. Laura Nougel a alors donné l'enfant (fœtus) à madame Roy et elles
sont toutes descendues en bas.
Je me suis alors aperçue par cette fausse couche que je devais être enceinte depuis environ quatre
mois.
Le paquet d'herbe à chat que madame m'a apporté pouvait être d'une live environ. J'en ai mis la
moitié soit environ une demie-live dans l'eau bouillante pour infusion et j'en ai pris deux bolées
comme susdit.
Quand Madame Roy m'a dit de rependre ces potions elle me dit que c'était pour faire partir mes
règles.
Et le témoin déclare ne pas savoir signer.
Et ce même jour la déposante sus-nommée étant rappelée déclare sous serment prêté qu'il est
possible que les deux potions d'herbe à chat qu'elle a prise comme susdit aient été prises par elle
environ trois semaines ou un mois avant le jour qu'elle a accouché.
Je demeure à l'heure qu'il est chez madame Emilie Pelletier qui tient une maison de prostitution sur
Ste-Cécile en la Cité de Québec. (... ) Je demeurais chez Madame Roy dans le mois d'avril dernier
et j'ai eu connaissance que la fille Léopoldine Lefebvre a eu vers la fin du dit mois d'avril une fausse
couche.
(... ) Madame Roy prit cet enfant (fœtus) pour le descendre en bas; je lui dis: "Mettez-le dans une
boîte d'allumettes et enterrez-le". Elle me répondit: "Non, personne ne le saura. Je vais le jeter
dans le poêle". Elle descendit alors et moi par derrière elle, et je la vis jeter l'enfant (fœtus) dans le
poêle qui était alors éteint. Je n'ai pas revu l'enfant (fœtus) depuis ce temps.
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lbid.