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Répertoire du contentieux administratif

Conseil d'État 

Pierre DELVOLVÉ
Membre de l'Institut
Professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas Paris II

juin 2012

Table des matières

Généralités 1 - 68

Tit. 1 - Statut du Conseil d'État 69 - 180

Chap. 1 - Statut de l'institution 70 - 138


Sect. 1 - Les organes du Conseil d'État 71 - 90
Art. 1 - Le vice-président du Conseil d'État 72 - 79
Art. 2 - Les organes collégiaux 80 - 83
Art. 3 - Le secrétariat général 84 - 90
Sect. 2 - Les formations du Conseil d'État 91 - 138
Art. 1 - Les formations administratives 92 - 117
§ 1 - Les sections administratives 93 - 101
§ 2 - Les formations administratives communes 102 - 112
§ 3 - La participation de tiers 113 - 117
Art. 2 - Les formations contentieuses 118 - 138
§ 1 - La présidence de la Section du contentieux 120 - 125
§ 2 - Les sous-sections 126 - 130
§ 3 - La Section du contentieux 131 - 134

1
§ 4 - L'Assemblée du contentieux 135 - 138
Chap. 2 - Statut des membres du Conseil d'État 139 - 180
Sect. 1 - La situation générale 140 - 154
Art. 1 - Le statut « spécial » du corps du Conseil d'État 141 - 144
Art. 2 - La composition du Conseil d'État 145 - 150
Art. 3 - Droits et obligations des membres du Conseil d'État 151 -
154
Sect. 2 - La situation individuelle 155 - 180
Art. 1 - Le recrutement 156 - 166
Art. 2 - La carrière 167 - 171
Art. 3 - Les positions 172 - 180

Tit. 2 - Fonctions du Conseil d'État 181 - 380

Chap. 1 - Les fonctions non juridictionnelles 184 - 246


Sect. 1 - Les fonctions normatives 190 - 225
Art. 1 - Les fonctions normatives dans l'ordre législatif 191 - 201
Art. 2 - Les fonctions normatives dans l'ordre administratif 202 - 225
§ 1 - Les normes administratives réglementaires 206 - 215
§ 2 - Normes administratives non réglementaires 216 - 225
Sect. 2 - Les fonctions consultatives 226 - 246
Art. 1 - Les réponses à des demandes d'avis 228 - 241
Art. 2 - Les études 242 - 246
Chap. 2 - Les fonctions juridictionnelles 247 - 380
Sect. 1 - Le Conseil d'État, juge de premier et dernier ressort 248 -
302
Art. 1 - La compétence directe du Conseil d'État en raison de l'objet
du litige 256 - 289
§ 1 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours
contre des actes d'autorités gouvernementales 257 - 275

2
§ 2 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours
contre des actes d'autres autorités nationales 276 - 282
§ 3 - L'extension de la compétence directe du Conseil d'État aux
recours en interprétation et aux recours en appréciation de la
légalité 283 - 287
§ 4 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours en
matière électorale 288
§ 5 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours
propres à certaines collectivités d'outre-mer 289
Art. 2 - La compétence directe du Conseil d'État dans l'intérêt d'une
bonne administration 290 - 302
§ 1 - La bonne administration de la justice 291 - 299
§ 2 - La bonne administration des collectivités territoriales 300 -
302
Sect. 2 - Le Conseil d'État, juge d'appel 303 - 325
Art. 1 - La compétence d'appel du Conseil d'État à l'égard des
tribunaux administratifs 305 - 322
§ 1 - La compétence d'appel du Conseil d'État pour certains
contentieux particuliers 306 - 313
§ 2 - La compétence d'appel du Conseil d'État pour des contentieux
en urgence 314 - 319
§ 3 - L'extension de la compétence d'appel du Conseil d'État pour
connexité 320 - 322
Art. 2 - La compétence d'appel du Conseil d'État à l'égard des autres
juridictions administratives 323 - 325
Sect. 3 - Le Conseil d'État, juge suprême 326 - 380
Art. 1 - Le Conseil d'État, juge de cassation 329 - 344
§ 1 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard des
arrêts des cours administratives d'appel 334

3
§ 2 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de
décisions de tribunaux administratifs 335 - 342
§ 3 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de
décisions d'autres juridictions administratives 343 - 344
Art. 2 - Le Conseil d'État, juge régulateur 345 - 380
§ 1 - La régulation du fonctionnement de la justice administrative
346 - 356
§ 2 - La régulation du fond du droit applicable 357 - 380

Bibliographie

OUVRAGES GÉNÉRAUX
Ouvrages de droit administratif
e
BRAIBANT et STIRN, Le droit administratif français, 7  éd., 2005, p. 541 s.,
Presses de Science Po et Dalloz. – CHAPUS, Droit administratif général, t. 1,
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15  éd., 2001, p. 450 s., 775 s., Montchrestien. – FRIER et J. PETIT, Précis
e
de droit administratif, 6  éd., 2010, p. 127 s., 395 s., Montchrestien. –
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Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, t. 1, 16  éd., 2001, p. 352 s.,
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LGDJ. – SEILLER, Droit administratif, 3  éd., 2008, p. 124 s., Flammarion. –
STIRN, J.-Cl. Adm., fasc. 1020, Conseil d'État, Organisation-Fonctionnement.
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Grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA), 18  éd., 2011,
Dalloz.
Ouvrages de contentieux administratif
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J.-M. AUBY et DRAGO, Traité de contentieux administratif, 3  éd., 1984, t. 1,
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p. 232 s., LGDJ. – CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13  éd.,
2008, Montchrestien, p. 69 s., 289 s. – DAËL, Contentieux administratif,
2010, PUF, p. 19 s., 49 s. – DEBBASCH et RICCI, Contentieux administratif,
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6  éd., 2009, n  102 s., Litec. – LAFERRIERE, Traité de la juridiction
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4
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Traité de contentieux administratif, 2008, PUF, p. 47 s.
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Grands arrêts du contentieux administratif (GACA), 3  éd., 2011, Dalloz.
OUVRAGES PROPRES AU CONSEIL D'ÉTAT
Ouvrages généraux
COSTA, Le Conseil d'État dans la société contemporaine, 1993, Economica. –
KESSLER, Le Conseil d'État, 1969, A. Colin. – D. LATOURNERIE, Le Conseil
d'État, 2005, Dalloz, Connaissance du droit. – LETOURNEUR, BAUCHET et
MERIC, Le Conseil d'État et les tribunaux administratifs, 1975, A. Colin. –
MASSOT et MARIMBERT, Le Conseil d'État, 1988, Notes et études
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documentaires n  4869, La documentation française. – MASSOT et
GIRARDOT, Le Conseil d'État, 1999, La documentation française. –
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ROBINEAU et TRUCHET, Le Conseil d'État, 2  éd., 2002, Que sais-je ?, PUF. –
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STIRN, Le Conseil d'État, son rôle, sa jurisprudence, 2  éd., 1994, Les
fondamentaux, Hachette.
Le Conseil d'État, Livre jubilaire, 1952, Sirey.
Deuxième centenaire du Conseil d'État, 2 vol., 2001, Rev. adm., PUF.
Ouvrages sur l'histoire du Conseil d'État
AUCOC, Le Conseil d'État avant et après 1789, ses transformations, ses
travaux et son personnel, 1876, Imprimerie Nationale. – BIGOT et BOUVET
(dir.), Regards sur l'histoire de la justice administrative, 2006, Litec. –
PACTEAU, Le Conseil d'État et la formation de la justice administrative au
e
xix siècle, 2003, PUF.
Le Conseil d'État, son histoire à travers les documents d'époque 1799 –
1974, 1974, CNRS.
Ouvrages sur certains aspects du Conseil d'État et de son rôle
BATAILLER, Le Conseil d'État, juge constitutionnel, 1966, LGDJ. – BUI-XUAN,
Les femmes au Conseil d'État, 2001, L'Harmattan. – GONOD, La présidence
du Conseil d'État républicain, 2005, Dalloz. – LATOUR, La fabrique du droit.
Une ethnographie du Conseil d'État, 2004, La Découverte. – LEROYER,
e
L'apport du Conseil d'État au droit constitutionnel de la V  République, 2011,
Bibliothèque des thèses, Dalloz. – MESTRE, Le Conseil d'État, protecteur des
prérogatives de l'administration, 1974, LGDJ. – NEGRIN, Le Conseil d'État et
la vie publique en France depuis 1958, PUF, 1958.
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Le Conseil d'État et l'évolution de l'outre-mer français du XVIII  siècle à
1962, 2007, Dalloz.

5
Articles
AUBIN, Section des travaux publics – Section du contentieux. Regards
croisés, Mélanges Labetoulle, 2007, Dalloz, p. 21. – BELHARI-BERNARD, Les
avis contentieux du Conseil d'État, remarque sur vingt années de pratique,
AJDA 2010. 365  . – BELHRALI-BERNARA, Les avis conformes du Conseil
d'État, AJDA 2008. 1181  . – BOT, L'aggiornamento du Conseil d'État :
entre modernité et tradition, RD publ. 2010. 1273. – BRAIBANT, Le rôle du
Conseil d'État dans la création du droit, Mélanges Chapus, 1992,
Montchrestien, p. 167. – CHEROT, Nouvelles observations sur la régulation
par le Conseil d'État de la concurrence entre personnes publiques et
personnes privées, Mélanges Moderne, 2004, Dalloz, p. 67. – D. COSTA, Les
deux figures du Conseil d'État, Mélanges Morand-Deviller, 2007,
Montchrestien, p. 255. – P. DELVOLVÉ, Le Conseil d'État, régulateur de
l'ordre juridictionnel administratif, Mélanges Labetoulle, 2007, Dalloz,
p. 259 ; Le Conseil d'État, Cour suprême de l'ordre juridictionnel
o
administratif, Pouvoirs, 2007, n  123 ; Conseil d'État et Conseil de la
concurrence, Mélanges Genevois, 2009, Dalloz, p. 325. – DRAGO, Incidences
contentieuses des attributions consultatives du Conseil d'État, Mélanges
Waline, 1974, LGDJ, t. 1, p. 13. – DUBOUIS, Bref retour sur la longue
marche du Conseil d'État en terres internationales et européennes, Mélanges
Genevois, 2009, Dalloz, p. 391. – DUPEYROUX, L'indépendance du Conseil
d'État statuant au contentieux, RD publ. 1983. 565. – Y. GAUDEMET, La
Constitution et la fonction législative du Conseil d'État, Mélanges Jean Foyer,
1997, PUF, p. 61. – GENEVOIS, Sur la hiérarchie des décisions du Conseil
d'État statuant du contentieux, Mélanges Chapus, 1992, Montchrestien,
p. 245. – GENTOT, Le Conseil d'État, régulateur du contentieux administratif,
o
Rev. adm. 1999, n  spécial, p. 4. – GONOD, Le Conseil d'État, conseil du
Parlement – à propos de l'article 39, alinéa 3 nouveau de la Constitution,
RFDA 2008. 871   ; L'examen des propositions de loi par le Conseil d'État :
procédure novatrice ou simple gadget ?, RFDA 2009. 890   ; Brèves
remarques sur une présentation du Conseil d'État, conseiller du Parlement,
JCP Adm. 2011. 2179. – GOURDOU, L'avis du Conseil d'État sur une question
de droit, Mélanges Moderne, 2004, Dalloz, p. 189. – GUIHAL, La répartition
entre décret en Conseil d'État et droit simple, AJDA 2010. 1308  . – HENRY,
Le Vice-Président du Conseil d'État, RD publ. 1995. 715. – HOEPPFNER, Les
avis du Conseil d'État, RFDA 2009. 895  . – LABETOULLE, Remarques sur
l'élaboration des décisions du Conseil d'État statuant au contentieux,
Mélanges Chapus, 1992, Montchrestien, p. 333 ; La place du décret en
Conseil d'État dans l'exercice du pouvoir réglementaire gouvernemental,
Mélanges Costa, 2011, Dalloz, p. 353 ; Décret simple ou décret en Conseil
d'État ?, RJEP juill. 2010. 1. – R. LATOURNERIE, Essai sur les méthodes
juridictionnelles du Conseil d'État, Livre jubilaire du Conseil d'État, 1952,
Sirey, p. 177. – LONG, Le Conseil d'État, rouage de l'administration et juge

6
administratif suprême, Rev. adm. 1995. 5. – MASSOT, Le rôle du Conseil
d'État dans l'élaboration du droit. Avis consultatifs et propositions, Rev. adm.
o
1999, n  spécial 5, p. 151. – MATHIEU, Le Conseil d'État, juge de la
constitutionnalité des lois. Entre description et prospection, Mélanges
Genevois, 2009, Dalloz, p. 753. – MONNIER, Justice administrative, in
Dictionnaire de la culture juridique (dir. ALLAND et RIALS), 2003, Lamy
PUF ; L'innovation au Conseil d'État, Mélanges Gaudemet, 1999, PUF, p. 540.
– ODENT, La jurisprudence du Conseil d'État dans l'élaboration du droit vue
o
par un avocat aux Conseils, Rev. adm. 1999, n  spécial 5, p. 89. – PACTEAU,
La désimbrication de la juridiction et de la consultation au Conseil d'État.
Jusqu'où ?, Mélanges Genevois, 2009, Dalloz, p. 827. – POUYAUD, Les avis
contentieux du Conseil d'État et de la Cour de cassation, La pratique,
Mélanges Moderne, 2004, Dalloz, p. 327. – SABOURIN, Un Persan au Conseil
d'État, AJDA 1993. 515  . – SCHRAMECK, Le Conseil d'État et le régime
disciplinaire des magistrats, Mélanges Genevois, 2009, Dalloz, p. 957. –
STAHL, Dire et faire, brèves remarques sur les deux fonctions du Conseil
d'État, Mélanges Labetoulle, 2007, Dalloz, p. 783. – STIRN, Le Conseil d'État,
l'école et la laïcité, Mélanges Moderne, 2004, Dalloz, p. 407 ; Le Conseil
d'État et la Constitution, Mélanges Lachaume, 2007, Dalloz, p. 1001.
o
POUVOIRS, n  123, 2007 : de BÉCHILLON et TERNEYRE, Le Conseil d'État et
la Cour de justice des Communautés européennes. – BELLOUBET, Conseiller
d'État. – BUI-XUAN, Le Conseil d'État : quelle composition réelle ? –
CHEVALLIER, Le Conseil d'État au cœur de l'État. – DELVOLVÉ, Le Conseil
d'État, Cour suprême de l'ordre juridictionnel administratif. – GONOD, Le
Vice-Président du Conseil d'État, ministre de la Juridiction administrative ? –
LOCHAK, Le Conseil d'État en politique. – MARCOU, Une cour administrative
suprême : particularité française ou modèle en expansion ? – RIBADEAU-
DUMAS, Les carrières hors le Conseil d'État. – TERNEYRE et de BÉCHILLON,
Le Conseil d'État, enfin juge !
ACTUALISATION
o
Décret n  2016-1480 du 2 novembre 2016 modifiant les
dispositions réglementaires relatives au Conseil d'État, aux
cours administratives d'appel et aux tribunaux administratifs.
er o
Entré en vigueur le 1  janvier 2017, le décret n  2016-1480 du
2 novembre 2016 comprend des modifications procédurales
substantielles.

7
Plein contentieux. Le décret supprime l'exigence d'une décision
expresse pour faire courir le délai de recours (2 mois) en matière de
plein contentieux (CJA, art. R. 421-3  ).
Ministère d'avocat devant le tribunal administratif (CJA,
art. R. 431-2  et R. 431-3  ) La dispense d'avocat est supprimée
pour les litiges de travaux publics et d'occupation contractuelle du
domaine public et pour les appels en matière de fonction publique.
En revanche, désormais, sont dispensés d'avocat tous les contentieux
sociaux.
Dans le cadre du contentieux contractuel, le ministère d'avocat n'est
obligatoire que lorsque la requête a pour objet un litige né de
l'exécution d'un contrat (auparavant cela s'étendait à tout litige né d'un
contrat).
Rejet par ordonnance (CJA, art. R. 222-1  et R. 822-5  ) Afin
d'accélérer le traitement des requêtes, le texte élargit les possibilités de
rejet par ordonnance dans les tribunaux administratifs et les cours
administratives d'appel.
Des ordonnances dites « de séries » pourront être prises par les
tribunaux sur la base d'un arrêt devenu irrévocable de la cour
o
administrative d'appel dont ils relèvent (CJA, art. R. 222-1  , 6 ).

Pour les présidents des cours administratives d'appel, il est également


possible de rejeter par ordonnance, lorsqu'un mémoire complémentaire
a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes d'appel
manifestement dépourvues de fondement.
Après attribution du dossier d'une série à une juridiction par le
président de la section du contentieux, il sera possible de transmettre
directement tous les dossiers relevant de cette série à la juridiction
concernée.

8
Par ailleurs, les présidents de formations de jugement du Conseil d'État
pourront ne pas admettre, par ordonnance, les pourvois manifestement
dépourvus de fondement dirigés contre une décision d'appel.
Les conseillers d'État désignés comme assesseurs pourront prendre des
ordonnances sur le fondement de l'article R. 822-5 du code de justice
administrative.
Cristallisation du litige (CJA, art. R. 611-7-1  ) Le président de la
formation de jugement, ou, au Conseil d'État, le président de la
chambre chargée de l'instruction, peuvent fixer d'office, et dans tous les
litiges, une date à partir de laquelle de nouveaux moyens ne peuvent
plus être invoqués.
Désistement d'office (CJA, art. R. 611-8-1  et R. 612-5-1  ) Le
président de la formation de jugement ou, au Conseil d'État, le
président de la chambre chargée de l'instruction peuvent également
prononcer un désistement d'office si l'obligation de production d'un
mémoire récapitulatif dans un délai donné n'est pas respectée, et,
lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la
requête conserve pour son auteur, de l'inviter à en confirmer le
maintien, sous peine de désistement d'office en l'absence de réponse
dans un délai fixé. La demande qui lui est adressée mentionne que, à
défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui
ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de
l'ensemble de ses conclusions.
Réouverture de l'instruction (CJA, art. R. 613-1-1  )
Postérieurement à la clôture de l'instruction, le président de la
formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments
ou pièces en vue de compléter l'instruction. Cette demande, de même
que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et

9
pièces produits, n'a pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui
concerne ces éléments ou pièces.
Médiation à l'initiative de l'expert (CJA, art. R. 621-1  ) L'expert
peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également
prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation.
Communication des mémoires pendant l'instruction (CJA,
art. R. 613-3  ) Les mémoires produits après la clôture de l'instruction
ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction.
Recours abusifs (CJA, art. R. 741-12  ) Le montant maximal des
amendes pour recours abusif qui était de 3 000 euros a été augmenté.
Il est désormais de 10 000 euros. L'article 24 du décret du 2 novembre
2016 modifie l'article R. 741-12 du code de justice administrative, en
augmentant le montant maximal des amendes pour recours abusif.
Fonctionnement de la juridiction administrative. Le décret
consacre le rôle des greffiers des juridictions administratives dans la
conduite de l'instruction (CJA, art. R. 611-10  ).
Requêtes collectives. Il sera également possible de limiter le nombre
de notifications de la décision de justice lorsqu'une requête, un
mémoire en défense ou un mémoire en intervention a été présenté par
plusieurs personnes ou a été présenté par un avocat pour le compte de
plusieurs personnes (CJA, art. R. 411-6  , R. 611-2  et R. 751-3  ).
o
Décret n  2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif à l'utilisation
des téléprocédures devant le Conseil d'État, les cours
administratives d'appel et les tribunaux administratifs.
er
Depuis le 1  janvier 2017, ce décret rend obligatoire l'utilisation de
l'application Télérecours, tant en demande qu'en défense ou en
intervention, pour les avocats, les personnes publiques, à l'exception
des communes de moins de 3 500 habitants, et les personnes morales
de droit privé chargées d'une mission permanente de service public. Il

10
ouvre une faculté d'utilisation aux associations d'assistance aux
étrangers dans les centres de rétention.
Modes alternatifs de règlement des différends : de la conciliation
à la médiation.
o
La loi n  2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la

justice du XXIe siècle a introduit une procédure de médiation ouverte à


tout litige relevant de la compétence du juge administratif.
o
Auparavant l'ordonnance n  2011-1540 du 16 novembre 2011 avait
transposé dans le code de justice administrative, aux articles L. 771-3 à
L. 771-3-2, la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains
aspects de la médiation en matière civile et commerciale. La possibilité
de recourir à la médiation était limitée aux différends transfrontaliers et
aux matières non régaliennes.
La procédure prévue par la loi du 18 novembre 2016 aux articles
L. 213-1 et suivants du code de justice administrative reprend celle qui
existe en matière civile et commerciale. Cette procédure est applicable
aux juridictions relevant du Conseil d'État qui ne sont pas régies par le
code de justice administrative.
La médiation est définie à l'article L. 213-1 du code comme « tout
processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux
ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la
résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le
médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la
juridiction ». Elle distingue la médiation à l'initiative du juge et la
médiation à l'initiative des parties.
 
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 (JO 20 avr.) relatif à la
médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge
administratif fixe les règles procédurales (CJA, art. R. 213 s.).

11
 
Attribution du Conseil d'État (CJA, art. L. 114-1  ) Lorsque le
Conseil d'État est saisi d'un litige en premier et dernier ressort, il peut,
après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour
tenter de parvenir à un accord entre celles-ci.
 
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 précise cette attribution. Les
pouvoirs dévolus au président de la juridiction sont exercés par le
président de la section du contentieux (CJA, art. R. 114-1  ).
 
Le médiateur (CJA, art. L. 213-2  à L. 213-4  ) Le médiateur
accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence.
La médiation à l'initiative des parties (CJA, art. L. 213-5  et
L. 213-6  ) Les parties peuvent, en dehors de toute procédure
juridictionnelle, organiser une mission de médiation et désigner la ou
les personnes qui en sont chargées.
Elles peuvent également, en dehors de toute procédure juridictionnelle,
demander au président du tribunal administratif ou de la cour
administrative d'appel territorialement compétent d'organiser une
mission de médiation et de désigner la ou les personnes qui en sont
chargées, ou lui demander de désigner la ou les personnes qui sont
chargées d'une mission de médiation qu'elles ont elles-mêmes
organisée.
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 prévoit que, lorsque le délai de
recours contentieux a été interrompu par l'organisation d'une
médiation, l'exercice d'un recours gracieux ou hiérarchique ne
l'interrompt pas de nouveau, sauf s'il constitue un préalable obligatoire
à l'exercice d'un recours contentieux (CJA, art. R. 213-4  ).
 

12
La médiation à l'initiative du juge (CJA, art. L. 213-7  à L. 213-
10  ) Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative
d'appel est saisi d'un litige, le président de la formation de jugement
peut, après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation
pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci.
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 indique que le juge peut
prendre à tout moment les mesures d'instruction qui lui paraissent
nécessaires (CJA, art. R. 213-8  ).
 
La conciliation disparaît au profit de la médiation. L'article 5-VI de
la loi du 18 novembre 2016 prévoit qu'à compter de la publication de la
présente loi, les missions de conciliation confiées à un tiers en
application de l'article L. 211-4 du code de justice administrative, dans
sa rédaction antérieure à la présente loi, se poursuivent, avec l'accord
des parties, selon le régime de la médiation administrative défini au
er
chapitre III du titre I du livre II du même code, dans sa rédaction
résultant de la présente loi.
Expérimentation. L'article 5-IV de la loi du 18 novembre 2016 prévoit
qu'à titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la
promulgation de la loi, les recours contentieux formés par certains
o
agents soumis aux dispositions de la loi n  83-634 du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires à l'encontre d'actes
relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux
prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de
l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés
d'emploi peuvent faire l'objet d'une médiation préalable obligatoire,
dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
 

13
o
Médiation : recours des militaires. Le décret n  2017-566 du
18 avril 2017 précise les modalités d'articulation de la médiation à
l'initiative des parties avec la procédure de recours administratif
préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires,
dont le régime est fixé par les articles R. 4125-1 à R. 4125-10 du code
de la défense.
Déontologie des membres des juridictions administratives

o
La loi n  2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux
droits et obligations des fonctionnaires a été publiée au Journal officiel
de la République française le 21 avril 2016. Le texte consacre les
valeurs fondamentales communes aux agents publics telles que la
dignité, l'impartialité, la probité, la neutralité et la laïcité.

La déontologie des membres des juridictions administratives et


financières fait l'objet de dispositions spécifiques, codifiées
respectivement dans le code de justice administrative et celui des
juridictions financières. Il s'agit de conforter des procédures existantes,
comme les collèges de déontologie des deux ordres de juridiction.

Le texte impose aussi des obligations renforcées à leurs membres, en


particulier celle de s'abstenir de « tout acte ou comportement à
caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs
fonctions ».

Autres dispositions importantes relatives aux juridictions


administratives et financières

La loi ouvre la possibilité de nommer des conseillers d'État en service


extraordinaire pour exercer des fonctions juridictionnelles.

14
La Cour des comptes pourra, elle, se doter de conseillers référendaires
en service extraordinaire.

L'appellation de « magistrats des tribunaux administratifs et des cours


administratives d'appel » est généralisée dans le code de justice
administrative.

Les sous-sections du Conseil d'État deviennent des chambres.

Enfin, la loi comporte des dispositions procédurales :

- la possibilité d'attribuer des litiges en premier et dernier ressort aux


cours administratives d'appel est généralisée ;

- il est créé une formation de référé à trois juges.

La loi habilite le gouvernement à prendre, par ordonnance,


d'importantes mesures statutaires concernant les membres des
juridictions administratives et financières et à moderniser le code des
juridictions financières.

Modifications de règles de fonctionnement du Conseil d'État

o er
Un décret n  2016-899 du 1  juillet 2016 (JO 2 juill.) modifie plusieurs
règles applicables au Conseil d'État.

Dénomination des formations contentieuses. En application de la


o
loi n  2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits
er
et obligations des fonctionnaires, le décret du 1  juillet 2016 change la
dénomination des formations contentieuses du Conseil d'État qui
prennent le nom de « chambres » en lieu et place de celui de « sous-
sections ». Les « secrétaires de sous-section » deviennent quant à eux
des « greffiers en chef de chambre ».

15
Limitation dans le temps de certaines fonctions

Les présidents de chambres et les conseillers d'État chargés de


fonctions d'assesseurs sont désignés pour une durée de quatre ans. Ils
peuvent, à leur demande, être renouvelés dans leurs fonctions pour une
durée de trois ans par arrêté du vice-président du Conseil d'État (CJA,
art. R. 122-6  , R. 122-7  , R. 773-9  ).

Les rapporteurs publics ne pourront exercer leurs fonctions pendant une


durée totale supérieure à sept années (contre dix ans auparavant). En
cas de nécessité de service, leurs fonctions pourront être prolongées
dans la limite de six mois (CJA, art. R. 122-5  , R. 122-6  , R. 122-7 
).

Ces dispositions ne s'appliquent qu'aux personnes nommées,


renouvelées ou prolongées dans leurs fonctions après l'entrée en
vigueur du texte, soit le 3 juillet 2016.

Section administrative

Auditeurs et des maîtres des requêtes. Par ailleurs, le texte réduit à


trente mois (auparavant trois ans) le nombre minimum d'années de
service exigé des auditeurs et des maîtres des requêtes pour qu'ils
puissent être affectés à une section administrative en plus de leur
affectation à la section du contentieux (CJA, art. R. 121-3  ).

Réunion en formation restreinte. Il modifie les modalités d'examen


des projets de texte en section administrative en permettant un
examen en formation restreinte pour les affaires inscrites à l'ordre du
jour de la section dont le président estime qu'elles ne soulèvent pas de
difficulté particulière (CJA, art. R. 123-6-1  ). La composition de la

16
formation restreinte est fixée par le président et doit compter au moins
trois membres (CJA, art. R. 123-8  ).

Généralités

1. Le Conseil d'État est une énigme. La singularité de son statut et de son
rôle ne permet pas de l'identifier facilement et de le classer aisément dans
une catégorie préétablie. Institution spécifiquement française, il présente
paradoxalement pourtant l'ambivalence, voire l'ambiguïté de certaines
institutions britanniques. Sa situation actuelle ne peut s'expliquer que par
son histoire. Elle est celle d'un organe spécifique.

A - Historique

2. L'histoire du Conseil d'État remonte à l'Ancien Régime. Au sein du Conseil


du roi, une spécialisation s'est progressivement établie entre différentes
e
formations, plus ou moins mouvantes, comportant au XVIII  siècle, outre un
« Conseil d'En-haut » proprement politique, le Conseil des parties, statuant
principalement sur des litiges entre particuliers, le Conseil des dépêches et le
Conseil des finances, desquels relevait un contentieux qu'on appellerait
aujourd'hui administratif. Leur composition comportait des conseillers d'État
et des maîtres des requêtes. Leur caractère juridictionnel s'est renforcé avec
l'adoption de l'ordonnance d'Aguesseau du 28 juin 1738 concernant la
procédure du Conseil (procédure essentiellement écrite et inquisitoire) et la
constitution d'un corps d'avocats aux Conseils. Ce sont là les prémices d'une
organisation des deux juridictions suprêmes qui apparaîtront à la suite de la
Révolution (Cour de cassation, Conseil d'État), avec leur corps d'avocats
spécialisés, et d'une procédure administrative contentieuse dans laquelle le
caractère écrit et inquisitoire est encore dominant aujourd'hui (V. Le Conseil
d'État avant le Conseil d'État, Deuxième centenaire du Conseil d'État, La
revue administrative, PUF, 2001, vol. 1, p. 337-454).

3. C'est dans la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 déc. 1799) que le


Conseil d'État moderne trouve sa véritable création (dont le bicentenaire a
pu être célébré avec éclat en 1999). Son article 52 disposait : « Sous la
direction des consuls, le Conseil d'État est chargé de rédiger les projets de
lois et règlements d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui
s'élèvent en matière administrative ». Sous cette brève formule apparaissent
les deux fonctions qui constituent encore les fonctions principales du Conseil
d'État contemporain : la participation à l'élaboration des textes et la solution
des litiges administratifs. D'autres dispositions de la Constitution de l'an VIII
17
apportent quelques précisions : le Premier consul nomme les conseillers
d'État (art. 41) ; des membres du Conseil d'État portent la parole du
gouvernement devant le corps législatif (art. 53) ; la responsabilité des
membres du Conseil d'État, comme celle des membres d'autres corps
(Sénat, Corps législatif, Tribunat) et des consuls (ce qui montre l'insertion du
Conseil d'État à l'époque dans des institutions proprement politiques), ne
peut être engagée (art. 69), mais ils peuvent être poursuivis devant les
tribunaux ordinaires pour les délits personnels après une délibération de leur
corps autorisant la poursuite (art. 70) ; ce n'est qu'une précision de la
solution générale ne permettant la poursuite des agents du gouvernement
pour des faits relatifs à leurs fonctions qu'en vertu d'une décision du Conseil
d'État (art. 75) –- la fameuse « garantie des fonctionnaires » qui ne devait
être supprimée que par le décret du 19 septembre 1870. La loi du 28
pluviôse an VIII (17 février 1800), qui établit les bases de la « constitution
administrative de la France », crée notamment, au-dessous du Conseil d'État
les conseils de préfecture, chargés de certains contentieux administratifs
particuliers.

4. L'organisation et les attributions du Conseil d'État ont été précisées par le


décret du 11 juin 1806 : pour les affaires contentieuses, il crée la
commission du contentieux, qui est à l'origine de l'actuelle Section du
o
contentieux (infra, n  131). Le décret du 22 juillet 1806 établit le
« règlement sur les affaires contentieuses portées au Conseil d'État », dont
le dispositif reprend largement celui de l'ordonnance d'Aguesseau de 1738 et
se retrouve encore dans certains aspects de la procédure contentieuse
actuelle. L'activité du Conseil d'État napoléonien s'est particulièrement
illustrée dans l'ordre législatif avec la discussion du projet de code civil, à
laquelle Bonaparte lui-même participa, et certains avis comme celui du 4
nivôse an VIII (25 déc. 1799, S. 1800-1801. 2. 36 ; D. 1999. 705, note
Pacteau  ) sur l'abrogation par la constitution nouvelle des lois antérieures
qui lui sont contraires, et dans l'ordre contentieux par les premières solutions
qui, pour être entérinées par les décisions des consuls puis de l'Empereur,
exerçant la justice retenue, sont quant au fond de véritables arrêts.

5. Le lien entre le Conseil d'État et le régime napoléonien risqua de


compromettre la survie de l'un lorsque l'autre tomba. Malgré les propositions
de suppression et les vives attaques à la fois de milieux monarchistes et de
milieux libéraux, le Conseil d'État fut maintenu, mais réorganisé sous la
Première Restauration (ordonnances du 29 juin 1814), puis sous la Seconde
(Ord. du 23 août 1815). Le jugement des conflits d'attribution entre les
tribunaux et l'autorité administrative qu'il assurait depuis sa création fut
er
encadré par l'ordonnance du 1  juin 1828, dont le dispositif est encore
partiellement en vigueur. Une ordonnance du 10 septembre 1817 créa

18
l'Ordre des avocats aux Conseils du Roi et à la Cour de cassation ; elle est
toujours la base de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de
cassation selon l'appellation actuelle. La Monarchie de Juillet apporta ses
propres réformes (Ord. du 2 févr. 1831, du 12 mars 1831, du 20 août 1831,
du 18 sept. 1839 ; L. 21 juill. 1845) – ce qui n'empêchait pas les critiques
contestant le rôle et l'institution même du Conseil d'État.
e
6. L'avènement de la II  République fut de nouveau l'occasion de discussions
sur son statut, notamment lors de l'élaboration de la nouvelle Constitution.
Celle-ci (4 nov. 1848) lui consacre spécialement un chapitre VI (art. 71 à
75), ce qu'aucun texte constitutionnel, même celui de l'an VIII, n'avait fait
systématiquement auparavant. En même temps, elle établit un lien nouveau
entre le législatif et l'exécutif. Si le président du Conseil d'État est le vice-
président de la République, les membres du Conseil ne sont plus nommés,
comme précédemment et comme ce sera de nouveau le cas ultérieurement,
par l'exécutif, mais par l'Assemblée nationale elle-même. Est donné au
Conseil d'État un rôle consultatif non seulement « sur les projets de loi du
gouvernement qui, d'après la loi devront être soumis à son examen
préalable », mais aussi « sur les projets d'initiative parlementaire que
l'Assemblée lui aura renvoyés » – solution qui sera reprise par la loi du
24 mai 1872 puis par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. La
Constitution de 1848 charge le Conseil d'État non seulement de préparer les
règlements d'administration publique, mais encore de faire « seul ceux de
ces règlements à l'égard desquels l'Assemblée nationale lui a donné une
délégation spéciale », ce qui attribue au Conseil d'État un pouvoir
réglementaire parallèle à celui du gouvernement et confirme le lien que la
Constitution de 1848 établit entre le Conseil d'État et l'Assemblée nationale.
Le rôle contentieux du Conseil d'État n'est qu'indirectement évoqué par « les
pouvoirs de contrôle et de surveillance » qui doivent lui être confiés par la
loi. Ce fut l'objet de la loi du 3 mars 1849 : parmi les fonctions du Conseil
d'État, figurait expressément celle de statuer « en dernier ressort sur le
contentieux administratif », ce qui lui attribuait un pouvoir de justice
déléguée, et non plus retenue. Le même texte lui retire le jugement des
conflits pour le confier à un Tribunal des conflits composé à parts égales de
membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation. Si courte que fut la vie
e e
du Conseil d'État de la II  République, comme la II  République elle-même,
elle n'en a pas moins été une étape importante dans son évolution.

7. Le Second Empire fut un retour en arrière, non seulement par le retour à
la justice retenue, mais par une sorte de restauration du Conseil d'État à
l'image de ce qu'il avait été sous le Premier Empire. La Constitution du
14 janvier 1852 lui consacre un titre VI. Par l'article 50, en des termes qui
sont presque ceux de la Constitution de l'an VIII, « il est chargé, sous la

19
direction du président de la République » (ce sera l'Empereur avec le
Sénatus-Consulte du 7 nov. 1852) « de rédiger les projets de loi et les
règlements d'administration publique et résoudre les difficultés qui s'élèvent
en matière d'administration ». En vertu de l'article 51, « il soutient, au nom
du gouvernement, la discussion des projets de loi devant le Sénat et le Corps
législatif ». Il est réorganisé par le décret organique du 25 janvier 1852, qui
crée une assemblée du contentieux, supprime le Tribunal des conflits,
systématise le rôle du commissaire du gouvernement et rétablit le système
de la justice retenue (V. SAUVEL, La “justice retenue” de 1806 à 1872, RD
publ. 1970. 237).

8. Deux événements ont marqué l'histoire du Conseil d'État sous le Second


Empire, qui peuvent paraître contradictoires, l'un par son autoritarisme,
l'autre par son libéralisme. Le premier est à la fois juridique et politique : il
porte sur la confiscation des biens de la famille d'Orléans. Le commissaire du
gouvernement Reverchon fut révoqué pour avoir voulu conclure contre la
position du nouveau pouvoir, que celui-ci put faire prévaloir par des
pressions exercées sur les membres du Conseil. Le second événement est
d'ordre purement contentieux : le décret du 2 novembre 1864 relatif à la
procédure devant le Conseil d'État en matière contentieuse et aux règles à
suivre par les ministres dans les affaires contentieuses, instaurant la gratuité
pour « les recours portés devant le Conseil d'État […] contre les actes des
autorités administratives, pour incompétence ou excès de pouvoir » et les
dispensant du ministère d'avocat, a ouvert la voie à l'extraordinaire
développement du recours pour excès de pouvoir.

9. Les liens entre le Conseil d'État et le régime du Second Empire, l'anomalie


qu'il paraissait constituer pour les libéraux au regard de leur conception
d'une justice administrative ramenée à une justice de droit commun,
auraient pu emporter le Conseil d'État avec la chute du Second Empire.
e
Avant même que la III  République fût établie par les lois constitutionnelles
de 1875, la loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d'État
apparaît comme le texte fondamental du Conseil d'État contemporain, même
si depuis lors il a fait l'objet d'importantes modifications. C'est cette loi qui a
o
permis au Conseil constitutionnel, dans sa décision n  80-119 DC du
22 juillet 1980 (Rec. Cons. const., p. 119 ; FAVOREU et PHILIP, Les grandes
e
décisions du Conseil constitutionnel, 15  éd., 2009, Dalloz, p. 324 ; D. 1981.
65, note Franck ; RD publ. 1980. 1658, note Favoreu ; Rev. adm. 1981. 833,
note de Villiers), de ranger l'indépendance de la juridiction administrative
parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République,
ayant valeur constitutionnelle par le rappel qu'en font les préambules des
Constitutions de 1946 et 1958. Elle donne au Conseil d'État les
caractéristiques qu'on retrouve aujourd'hui.
20
10. Elle lui confie définitivement la justice déléguée, par une formule (art. 9)
appelée à une grande fortune : « Le Conseil d'État statue souverainement
sur les recours en matière contentieuse administrative, et sur les demandes
d'annulation pour excès de pouvoir formés contre les actes des diverses
autorités administratives ». Il est consulté par le gouvernement sur les
projets de loi qu'un décret spécial ordonne de lui soumettre, sur les projets
de décret et en particulier sur les règlements d'administration publique et les
décrets en forme de règlement d'administration publique, et sur toutes les
questions que peuvent lui soumettre le président de la République et les
ministres. Sa présidence est confiée au garde des Sceaux, ministre de la
Justice, et en son absence au vice-président du Conseil d'État – ce qui devait
donner à celui-ci un rôle prééminent qu'il a gardé jusqu'à nos jours. Le
Conseil perd le règlement des conflits, confié de nouveau et définitivement
au Tribunal des conflits.

11. La loi de 1872 comportait cependant des particularités effacées par la


suite. Elle confiait à l'Assemblée nationale la nomination des conseillers
d'État et lui permettait, comme en 1848, de demander l'avis du Conseil
d'État sur les projets d'initiative parlementaire ; en sens inverse, des
conseillers d'État pouvaient être chargés par le gouvernement de soutenir
des projets de loi devant l'Assemblée. Si ces modalités étaient le relief de
solutions qui avaient été appliquées antérieurement, elles ont disparu assez
vite. La loi constitutionnelle du 25 février 1875 donne au président de la
er
République le pouvoir de nommer les conseillers d'État. La loi du 1  août
1874 réorganise la Section du contentieux pour lui donner une certaine
autonomie au sein du Conseil. Celle du 13 juillet 1879 crée une Section de
législation et augmente le nombre de conseillers d'État. En même temps, elle
permet une épuration importante pour faire entrer au Conseil des membres
vraiment républicains. Les lois de 1900 (13 avr., 17 juill.) portant sur la
procédure contentieuse et certains aspects de l'organisation du Conseil
contribuèrent à un développement jurisprudentiel marqué par les grands
e e
arrêts de la fin du XIX  siècle et du début du XX , qui donnent à la
jurisprudence administrative et au droit administratif bien des solutions
nouvelles et modernes, qui sont toujours actuelles. Est notamment affirmé
que le Conseil d'État est juge du contentieux administratif à l'exclusion des
ministres (CE 13 déc. 1889, Cadot, Lebon 1148, concl. Jagerschmidt ; GAJA,
e o
18  éd., n  5, p. 36. – CHEVALLIER, Réflexions sur l'arrêt Cadot, Droits
1989. 78).

12. S'ouvrit alors une période de stabilisation du Conseil d'État à la fois


organiquement et fonctionnellement, permettant ainsi le développement de
sa jurisprudence. Il eut affaire à des questions sensibles, d'ordre financier
(notamment à propos de la garantie d'intérêts des compagnies ferroviaires),
21
religieux (avant et après la loi de séparation de 1905), et politique (par
exemple à propos de l'interdiction de certaines réunions et de la dissolution
des « ligues », ce qui suscita chaque fois des attaques mettant en cause son
indépendance). Son œuvre contentieuse se réalisait néanmoins dans une
progression renforçant le contrôle des autorités administratives (y compris le
président de la République reconnu comme tel en 1907), les exigences de la
légalité, les fondements de la responsabilité de l'administration, y compris
sans faute de celle-ci. Comme le constatait M. HAURIOU en 1920, « le
Conseil d'État a définitivement gagné la partie, non seulement en devenant
un juge public à justice déléguée, mais en organisant un droit général
d'action en matière administrative ».

13. Les bouleversements consécutifs à la guerre de 1914-1918 n'ont pas


affecté structurellement le Conseil d'État, mais ont entraîné des modifications
contentieuses. D'une part, la jurisprudence a dû s'adapter aux nouveaux
domaines d'intervention des collectivités publiques, comportant l'exploitation
d'activités industrielles et commerciales, et aux nouvelles formes d'action,
attribuant à des organismes à statut de droit privé des missions de service
public et des prérogatives de puissance publique traditionnellement exercées
par les personnes publiques. D'autre part, la progression des recours a
entraîné un encombrement ne permettant plus d'y faire face dans un délai
raisonnable, et a suscité des projets de réforme tendant à augmenter le
nombre des membres du Conseil d'État, à réorganiser ses formations
contentieuses et à donner aux conseils de préfecture une compétence de
er
droit commun. La loi du 1  mars 1923 n'alla pas jusque-là, se bornant à
certains aménagements internes du Conseil. Elle contribua à l'étiolement de
la fonction « législative » du Conseil d'État : le rôle qu'il avait eu dans
l'examen des projets de loi et qu'il aurait pu encore exercer selon les textes
en vigueur est devenu minime. Il gardait en revanche celui d'examiner
notamment les projets de règlement d'administration publique et de
répondre aux demandes d'avis du gouvernement.

14. La période 1940-1945 fut, pour le Conseil d'État comme pour la France
tout entière, cause d'un ébranlement qui aurait pu lui être fatal. On ne peut
qu'évoquer les difficultés matérielles d'une installation à Royat puis d'un
retour à Paris en 1942, l'éviction de membres du Conseil d'État en vertu de
la législation antisémite de 1940 et l'épuration de 1944. Le gouvernement de
Vichy voulut par la loi du 18 décembre 1940 restaurer le rôle législatif du
Conseil d'État, mais n'eut guère d'effet concret. Seule l'activité contentieuse
continua à s'exercer effectivement, marquée par de grands arrêts (Monpeurt,
1942 ; Bouguen, 1943). Avec le retour à la légalité républicaine, la
nomination à la tête du Conseil d'État de René CASSIN, qui avait été
président du Comité juridique institué par le Général de Gaulle auprès du

22
Comité français de libération nationale, contribua à son maintien et à sa
restauration. Celle-ci fut scellée par l'ordonnance du 31 juillet 1945 relative
au Conseil d'État, texte qui fut en vigueur jusqu'à l'intégration de son
dispositif dans le code de justice administrative adopté en 2000, qui en
reprend l'essentiel. Elle restitue au Conseil un rôle dans l'examen des projets
de loi, confirme son rôle administratif (règlements d'administration publique,
autres décrets) et contentieux. Ce dernier a été marqué à la fois par la
progression de la jurisprudence et par une déconcentration de la justice
administrative, résultant de la création en 1953 (décret-loi du 30 septembre
et règlement d'administration publique du 28 novembre) des tribunaux
administratifs, faisant de ceux-là les juges de droit commun, statuant en
premier ressort, du contentieux administratif. C'est le début d'une
transformation qui va aboutir à faire du Conseil d'État non plus le juge
o
ordinaire mais le juge suprême de l'ordre administratif (V. infra, n  326).
e
15. La V  République peut être considérée pour le Conseil d'État comme une
période sinusoïdale. Dans un premier temps, la Constitution de 1958, à
l'élaboration de laquelle il a largement contribué, soit par ses membres
individuellement soit en corps par son assemblée générale, sans régir le
Conseil d'État comme l'ont fait des Constitutions anciennes, comporte des
dispositions à son sujet : nomination des conseillers d'État (art. 13),
consultation du Conseil d'État (certains projets de règlement : art. 37, al. 2 ;
projets d'ordonnance : art. 38 ; projets de loi : art. 39). Sa portée en ce qui
concerne les pouvoirs de l'exécutif a été assez vite précisée par le Conseil
d'État dans l'arrêt de section du 26 juin 1959, Syndicat général des
o
ingénieurs conseils (Lebon 394 ; GAJA, n  75, p. 501). Le deuxième temps
est marqué par la tension entre l'exécutif et le Conseil d'État, résultant d'une
er
part de l'avis négatif que celui-ci a donné le 1  octobre 1962 au sujet du
projet de référendum sur l'élection du président de la République au suffrage
universel, d'autre part de l'arrêt d'assemblée du 19 octobre 1962, Canal,
o
Robin et Godot (Lebon 552 ; GAJA, n  80, p. 541) annulant l'ordonnance
créant une Cour militaire de justice destinée à réprimer les auteurs de crimes
et délits en relation avec les événements d'Algérie. Le gouvernement et le
président de la République y ont vu une prise de position politique débordant
le champ juridique et contentieux, et décidèrent l'engagement d'une réforme
du Conseil d'État. Réalisée par deux décrets du 30 juillet 1963, elle procède à
une réorganisation comportant notamment l'établissement d'une relation
plus forte entre les formations administratives et les formations
contentieuses. Ces deux décrets se retrouvent en grande partie dans l'actuel
code de justice administrative.

23
16. La troisième période s'est ouverte avec la loi du 31 décembre 1987
instituant des cours administratives d'appel entre les tribunaux administratifs
et le Conseil d'État, renforçant la situation de celui-ci comme juge suprême
de l'ordre administratif. Il a été atteint par des mesures, dont beaucoup à
son initiative, qui, si elles ont porté sur le juge administratif en général, ont
concerné particulièrement ses pouvoirs et son organisation. D'une part, il a
pleinement mis en œuvre les pouvoirs d'injonction reconnus aux juridictions
o
administratives (L. n  95-127 du 8 févr. 1995) et les procédures de référé en
o
matière administrative (L. n  2000-597 du 30 juin 2000). D'autre part, pour
tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme sur le commissaire du gouvernement (7 juin 2001, Kress c/France,
o
GAJA, n  106, p. 793 ; AJDA 2001. 675, note Rolin  , D. 2001. 2611, note
Andriantsimbazovina, et  AJDA 2001. 2619, note Drago   ; JCP
2001. II. 10578, note Sudre ; RD publ. 2001. 895, note Maubernard ; RFDA
2001. 991, note Genevois, et  RFDA 2001. 1000. note Autin et Sudre  . –
12 avr. 2006, Martinie c/ France, AJDA 2006. 986, note Rolin   ; JCP Adm.
2006. 1131, note Andriantsimbazovina ; RFDA 2006. 577, note Sermet  . –
12 avr. 2006 Martinie, AJDA 2006. 986, note Rolin   ; JCP Adm. 2006. 1131,
note Andriantsimbazovina ; RFDA 2006. 577, note Sermet  ), celui-ci a été
l'objet de deux réformes : il peut au Conseil d'État être empêché par une
o er
partie d'assister au délibéré (Décr. n  2006-964 du 1 août 2006) et son
o
titre a été changé en rapporteur public (Décr. n  2009-14 du 7 janv. 2009).
À la suite de l'arrêt de la même Cour européenne du 9 novembre 2006,
Sacilor Lormines c/ France (JCP Adm. 2007. 2002, note Szymczak ; RFDA
2007. 342, note Autin et Sudre  ), la séparation des fonctions
administratives et des fonctions contentieuses du Conseil d'État a été
os
strictement organisée (Décr. n  2008-225 du 6 mars 2008, 2010-164 du
22 févr. 2010 et 2011-950 du 23 déc. 2011). En outre la réforme
constitutionnelle du 23 juillet 2008 a réintroduit la possibilité d'une
consultation du Conseil d'État par les assemblées parlementaires (GONOD,
Le Conseil d'État à la croisée des chemins, AJDA 2008. 630  ).

17. L'adoption du code de justice administrative le 4 mai 2000 (Ord.


o o
n  2000-387 pour la partie législative ; Décr. n  2000-388 et 2000-389 pour
la partie réglementaire), si elle ne se limite pas au Conseil d'État, regroupe
pour lui comme pour les autres juridictions administratives de droit commun,
les dispositions les régissant, celles qui étaient précédemment éparses puis
celles qui ont été ultérieurement adoptées. Plusieurs modifications lui ont été
apportées depuis lors, notamment pour répondre aux exigences de l'article 6
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, ou pour tenir compte de réformes, en particulier la

24
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la question prioritaire de
constitutionnalité.

18. Sur le fond, la jurisprudence du Conseil d'État a continué à se déployer,


notamment en relation avec le droit constitutionnel, le droit de l'Union
européenne et celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales. De grands arrêts ont encore été
rendus.

19. Depuis ses origines, le Conseil d'État d'une part s'est maintenu, d'autre
part s'est transformé. Les menaces de suppression qui ont pesé sur lui lors
des changements de régime politique, les attaques dont il a été et même est
encore l'objet de manière récurrente au prétexte d'une trop grande proximité
avec l'exécutif, d'un éloignement des préoccupations des citoyens, d'une
soustraction à la justice ordinaire, ont toujours cédé devant la nécessité d'un
organe du conseil du gouvernement et de contrôle de l'administration, la
réalité d'une autonomie par rapport au pouvoir politique, le bénéfice d'une
jurisprudence assurant à la fois la protection de l'intérêt général et celle des
libertés publiques. En même temps, le Conseil d'État s'est, si l'on peut dire,
« juridicisé ». L'expression peut paraître curieuse, non seulement comme
n'appartenant pas au vocabulaire français, mais voulant souligner
l'accroissement de l'encadrement juridique d'un organe qui est
fondamentalement une institution juridique. Il l'est devenu pleinement mais
il ne l'a pas toujours été. La Constitution de l'an VIII l'a conçu comme un
organe de gouvernement. Ses fonctions juridictionnelles ne sont devenues
vraiment authentiques qu'à partir de 1872. Elles n'ont pas été complètement
séparées de ses fonctions administratives. Ce n'est qu'à une époque récente
que les unes et les autres ont acquis un statut juridique destiné à éviter leur
confusion tout en renforçant leur exercice. On est peut-être arrivé à une
systématisation empreinte d'un formalisme qui, pour être rigoureux, finirait
par être excessif. Au motif (au prétexte ?) des exigences d'un État de droit
correspondant à des formules incantatoires, on pourrait finir par perdre le
bénéfice d'un dispositif opératoire. L'évolution n'est sans doute (sûrement ?)
pas terminée. Mais la permanence et les changements du Conseil d'État
depuis maintenant plus de deux cents ans sont une assurance qu'il ne pourra
être supprimé.

B - Le Conseil d'État, organe spécifique

20. Pour être une spécificité française, le Conseil d'État n'est pas une
anomalie par rapport à des institutions étrangères. On retrouve dans
d'autres pays, soit avec une appellation semblable soit sous un nom

25
différent, des organes ayant un statut et un rôle comparables à ceux du
Conseil d'État français. Certains ont des fonctions à la fois administratives et
juridictionnelles : en Europe, Conseils d'État de Belgique (Const., art. 160),
de Grèce (Const., art. 94 et 95), d'Italie (Const., art. 100 ; L. des 27 avr.
1982 et 15 mai 1997), des Pays-Bas (L. 9 mars 1962), et hors d'Europe, par
exemple Conseil d'État de Colombie (Const., art. 273). Ce sont les plus
proches du Conseil d'État français. D'autres n'ont soit qu'une fonction
consultative auprès de l'exécutif soit qu'un rôle juridictionnel à l'égard de
l'administration. Du premier cas relèvent le Conseil d'État espagnol (« organe
consultatif suprême du gouvernement » selon les termes de l'article 107 de
la Constitution du 27 déc. 1978), le Conseil d'État luxembourgeois, depuis
qu'à la suite de l'arrêt Procola rendu le 28 septembre 1995 par la Cour
européenne des droits de l'homme (D. 1996. 301, note Benoît-Rohmer   ;
RFDA 1996. 777, note Autin et Sudre  ), les fonctions juridictionnelles qu'il
exerçait ont été transférées à une juridiction administrative distincte (Const.,
art. 83 bis et 95 bis nouveaux). Pour le second cas (fonctions exclusivement
contentieuses), on trouve des juridictions suprêmes d'un ordre administratif
distinct de l'ordre judiciaire, qui ressemblent à ce titre au Conseil d'État
français, soit avec la même appellation (par ex. Conseil d'État du Liban) soit
avec une autre : Tribunal administratif suprême (Portugal, Const., art. 212),
Cour administrative suprême (Finlande : Const., art. 98 ; Suède, Const.,
er
chap. 11, art. 1 ). La catégorie réunissant les fonctions administratives et
les fonctions contentieuses est la plus proche du Conseil d'État ; elle
comporte des variantes, selon l'étendue des attributions contentieuses ou
consultatives des Conseils d'État. Cela montre au moins que le Conseil d'État
français n'est pas une anomalie comme on le dit parfois (V. not. FROMONT,
Droit administratif des États européens, 2006, PUF, p. 111 s.), même si c'est
un organe spécifique.

21. La spécificité du Conseil d'État apparaît si l'on considère qu'il est, de


manière générale, un organe de l'État, mais aussi qu'il y est à la fois un
organe de l'administration et un organe de justice.

1° - Le Conseil d'État, organe de l'État

22. Il n'est sans doute pas très spécifique que le Conseil d'État soit un
organe de l'État : bien d'autres institutions ayant une certaine particularité
n'en restent pas moins des organes de l'État. Cela a toujours été le cas des
départements ministériels alors même qu'ils se singularisent dans l'État par
des attributions et une organisation propres à chacun. C'est le cas
aujourd'hui des autorités administratives indépendantes, dont l'autonomie
fonctionnelle et organique n'empêche pas l'appartenance à l'État, dont elles
sont des organes. Il en a toujours été de même pour le Conseil d'État,

26
organe de l'État parce qu'organe dans l'État. Mais, par rapport à d'autres
organes, sa particularité se manifeste d'une part par un niveau
constitutionnel qui contribue à son unité, et d'autre part, par un
dédoublement qui conduit à une dualité.

a. - Le Conseil d'État, organe dans l'État

23. Organe dans l'État, le Conseil d'État n'a pas de personnalité juridique qui
l'en distinguerait. Dans toutes les fonctions qu'il exerce, il agit au nom et
pour le compte de l'État. Si ses membres peuvent avoir des intérêts propres
à faire valoir soit individuellement soit collectivement en se regroupant, ils le
font en tant que personnes se différenciant de l'institution à laquelle ils
appartiennent, laquelle est exclusivement une institution étatique, ne se
différenciant pas juridiquement de l'État lui-même. Cette situation entraîne
des conséquences juridiques, particulièrement sur le plan contentieux.

24. Quand le Conseil d'État statue comme juge administratif, la formule qui


commence ses arrêts, selon laquelle il se prononce « au nom du peuple
français », n'a de sens juridiquement que comme désignant l'État, qui donne
au peuple français sa personnalité juridique. Le Conseil d'État considère, de
manière générale, « que la justice est rendue de façon indivisible au nom de
o
l'État » (CE, sect., 27 févr. 2004, req. n  217257  , Mme Popin, Lebon 86,
o o
concl. Schwartz   ; GAJA, n  111, p. 851 ; GACA, n  1, p. 3 ; AJDA
2004 653, chron. Donnat et Casas  , et AJDA 2004 672, concl. Schwartz   ;
D. 2004. 1922, note Legrand  ) : si ce principe a été formulé dans un
contentieux relevant d'une juridiction administrative spécialisée, sa
généralité vaut pour toute juridiction, d'ailleurs autant judiciaire
qu'administrative, et au premier chef pour la juridiction administrative
suprême qu'est le Conseil d'État. Il en résulte des conséquences sur le
terrain de la responsabilité, que dégage le même arrêt Mme Popin : il
n'appartient qu'à l'État de répondre, à l'égard des justiciables, des
dommages pouvant résulter pour eux de l'exercice de la fonction
juridictionnelle assurée par les juridictions administratives. C'est le cas,
parmi elles, au premier rang, du Conseil d'État.

25. On ne trouve pas d'exemple dans l'ordre interne, de condamnations de


l'État ayant porté sur l'activité juridictionnelle du Conseil d'État seul, pour
fonctionnement défectueux du service de la justice, soit pour le dépassement
d'un délai raisonnable de jugement, soit pour faute lourde, soit pour violation
manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits
aux particuliers ; les condamnations n'ont porté jusqu'à présent que sur
l'activité d'autres juridictions administratives (CE, ass., 28 juin 2002, req.
o
n  239575  , Garde des Sceaux, Min. de la Justice c/Magièra, Lebon 248,
27
concl. Lamy   ; RFDA 2002. 756, concl. Lamy   ; AJDA 2002. 596, chron.
Donnat et Casas  , et AJDA 2003. 85, note Andriantsimbazovina ; D. 2003.
23, note Hoderlbach-Martin   ; JCP 2003. II. 10151, note Menuret ; GACA,
o
n  5, p. 107). La seule affaire où était recherchée la responsabilité de l'État à
raison de décisions du Conseil d'État a donné lieu à un rejet (CE 18 juin
o
2008, Gestas, req. n  295831  , Lebon 230   ; RFDA 2008. 755, concl. de
Salins  , note Pouyaud   ; JCP Adm. 2008. 2187, note Moreau). Mais il suffit
que soit reconnue la possibilité de la responsabilité de l'État pour l'activité
juridictionnelle du Conseil d'État, pour que le statut du Conseil d'État, organe
de l'État, le soit en même temps.

26. On en a la confirmation dans l'ordre international. L'État français a été


condamné par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation du
droit à un procès équitable reconnu par l'article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l'homme, résultant de la procédure devant le
Conseil d'État : participation du commissaire du gouvernement au délibéré
(CEDH 7 juin 2001, Kress c/France, 12 avr. 2006, Martinie c/France, supra
o
n  16) ; participation à une formation de jugement du Conseil d'État d'un
membre pouvant paraître avoir des liens avec l'administration dont les
mesures étaient contestées (CEDH 9 nov. 2006, Sté Sacilor-Lormines
o
c/France, supra n  16) ; renvoi au ministre des Affaires étrangères de la
question de l'interprétation d'une convention internationale (CEDH 24 nov.
1994, Cts Beaumartin c/France, D. 1995. 273, note Prétot  ) et de celle de
son application (CEDH 13 févr. 2003, Chevrol c/France, AJDA 2003. 1984,
note Rambaud   ; D. 2003. 931, note Moutouh   ; JCP Adm. 2003. 623,
note Tabaka). Quoi que l'on puisse penser de ces arrêts quant au fond, ils
illustrent bien la proposition selon laquelle l'activité du Conseil d'État,
exercée au nom de l'État, engage l'État, duquel il n'est qu'un organe. On en
trouverait d'autres illustrations si la Cour de justice de l'Union européenne,
dans le cadre d'une action en manquement, condamnait la France pour une
décision rendue par le Conseil d'État, comme elle en a admis le principe à
propos d'autres juridiction suprêmes (CJCE 9 déc. 2003, Commission c/
o
Italie, aff. n  C-129/00  . – CJCE 12 nov. 2009, Commission c/Espagne, aff.
o
n  C-154/08).

27. Les mêmes principes s'appliqueraient au rôle non juridictionnel du


Conseil d'État. Le plus souvent, il ne comporte pas l'adoption de décisions,
ayant essentiellement pour objet la préparation des textes (V. infra,
os os
n  190 s.), des avis (V. infra, n  228 s.), des études ou propositions
os
(V. infra, n  242 s.). Mais, d'une part, il peut le cas échéant comporter
l'adoption de décisions, par exemple celles que prend le vice-président du
Conseil d'État : mesures d'ordre intérieur (CJA, art. R. 121-7  ), gestion et
28
administration des agents du Conseil d'État (CJA, art. R. 121-13  ),
ordonnancement du budget et la conclusion des « marchés et contrats
passés par le Conseil d'État » (CJA, art. R. 121-14  ) – les marchés étant
d'ailleurs des contrats, même si les contrats ne sont pas tous des marchés,
et tous ces contrats « passés par le Conseil d'État » étant en réalité des
contrats de l'État conclus par le truchement du Conseil d'État. Toutes ces
actes sont adoptés au nom et pour le compte de l'État. D'autre part, l'activité
non juridictionnelle du Conseil d'État, qu'elle comporte ou non l'adoption de
décisions, exercée, comme l'activité juridictionnelle, au nom de l'État,
engagerait la responsabilité de celui-ci si elle était à l'origine d'un préjudice.
Il ne s'agit sans doute que d'une hypothèse d'école, mais elle doit être
exprimée pour souligner l'essence de la nature étatique du Conseil d'État.

b. - Le Conseil d'État, organe constitutionnel

28. Le niveau constitutionnel du Conseil d'État est apparu dès sa création


o
par l'article 52 de la Constitution de l'an VIII (supra, n  3), comme organe
« chargé », « sous la direction des consuls », « de rédiger les projets de loi
et les règlements d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui
s'élèvent en matière administrative ». Si le Conseil d'État a été maintenu
sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les Chartes de 1814 et 1830
n'en font pas mention : c'est le reflet de l'incertitude dans laquelle se
trouvait le maintien de l'institution, et de son abaissement dans le nouvel
ordre politique. La Constitution de 1848 au contraire, avec un chapitre VI
consacré au Conseil d'État (art. 71 à 75), lui redonne une place et un niveau
constitutionnel. Celle de 1852, qui rétablit l'Empire fait a fortiori de même
e
(titre VI, art. 47 à 53). Avec l'avènement de la III  République, la place du
Conseil d'État dans l'édifice constitutionnel est affectée par une double
incertitude : celle des institutions politiques et celle du Conseil d'État lui-
même. Les lois constitutionnelles ne lui consacrent pas de dispositions
propres. Il n'en est fait mention que dans celle du 25 février 1875 au sujet
de la nomination des conseillers d'État par le président de la République
(art. 4). La Constitution de 1946 n'est pas plus prolixe puisqu'elle se borne,
elle aussi, à parler des conseillers d'État à propos de leur nomination par le
président de la République en Conseil des ministres (art. 30), sans traiter du
Conseil d'État en lui-même.

29. La Constitution de 1958 n'a pas non plus un dispositif régissant le


Conseil d'État comme organe spécifique. Elle n'en comporte pas moins
plusieurs articles qui impliquent son existence et son rôle. Il ne s'agit plus
seulement, comme précédemment avec l'article 13, de la nomination des
conseillers d'État par le président de la République. Plusieurs articles
imposent que soit recueilli l'avis du Conseil d'État pour certains actes :
29
l'article 39 pour les projets de loi, l'article 38 pour les ordonnances, l'article
37 pour les décrets modifiant des textes de forme législative intervenus dans
des matières auxquelles elle donne désormais un caractère réglementaire.
L'article 65, dans ses versions successives, a toujours prévu que le Conseil
supérieur de la magistrature comprend un conseiller d'État désigné par le
Conseil d'État. La réforme constitutionnelle de 2003, qui porte notamment
sur les collectivités d'outre-mer, permet à une loi organique de déterminer,
pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l'autonomie, les conditions
dans lesquelles le Conseil d'État exerce un contrôle juridictionnel spécifique
sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante au titre des
compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi. La réforme
constitutionnelle de 2008, dans un ensemble hétéroclite, comporte plusieurs
articles entraînant de nouvelles interventions du Conseil d'État : à l'article 39
est ajoutée la possibilité pour le président d'une assemblée de soumettre
pour avis au Conseil d'État, avant l'examen en commission, une proposition
de loi ; à l'article 61-1, celle de soulever devant une juridiction une question
prioritaire de constitutionnalité d'une loi, que le Conseil d'État (ou la Cour de
cassation) peut renvoyer au Conseil constitutionnel ; à l'article 74-1
(reprenant une solution déjà adoptée en 2003), la possibilité pour le
gouvernement de prendre pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-
Calédonie, après avis notamment du Conseil d'État, des ordonnances
étendant ou adaptant les dispositions de nature législative.

30. À ces touches explicites désignant le Conseil d'État, doivent être


ajoutées des formules qui implicitement l'établissent au niveau
constitutionnel, même s'il n'est pas mentionné en tant que tel. Certaines
figurent dans le corps de la Constitution, d'autres résultent de son
préambule. Elles ont des conséquences sur les compétences et l'existence du
Conseil d'État.

31. S'agissant des compétences, de manière générale, au titre « des


garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés
publiques », pour lesquelles, selon l'article 34, « la loi fixe les règles les
concernant », « c'est au législateur seul qu'il appartient de fixer les limites de
la compétence des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre
judiciaire » (CE, ass., 30 mars 1962, Assoc. nationale de la meunerie et
autres, Lebon 233 ; S. 1962. 631 ; S. 1962. 178, concl. Bernard ; AJDA
1962. 286, chron. Galabert et Gentot. – T. confl. 2 mars 1970, Sté Duvoir
c/SNCF, Lebon 885, concl. Braibant ; D. 1970. 695, note L. H.). Mais, même
dans l'exercice de sa compétence, le législateur ne peut indifféremment
limiter celle de l'ordre administratif. Au titre des « principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République », réaffirmés par le préambule de la
Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958,

30
« relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative
l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des
prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir
exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les
organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. const.
o o
23 janv. 1987, n  86224 DC  , Rec. Cons. const., p. 8 ; GAJA, n  89,
p. 628 ; AJDA 1987. 345, note Chevallier ; JCP 1987. II. 20854, note
Sestier ; RFDA 1987. 287, note Genevois, et RFDA 1987. 301, note
Favoreu). Il en résulte qu'une juridiction administrative est nécessaire au
moins pour le contentieux de l'annulation et de la réformation.

32. Au sens strict, on pourrait dire que cela n'impose pas l'existence du
Conseil d'État tel qu'il est organisé et fonctionne actuellement, mais cela
impose l'existence d'une juridiction administrative suprême de laquelle relève
sinon tout le contentieux de l'annulation ou de la réformation au moins le
contrôle des décisions rendues en dernier ressort dans ce contentieux,
qu'elle s'appelle Conseil d'État ou qu'on lui donne une autre appellation. Au
demeurant, le Conseil constitutionnel a expressément considéré le Conseil
d'État et la Cour de cassation comme les « juridictions placées au sommet de
chacun des deux ordres de juridiction reconnus par la Constitution »,
auxquelles celle-ci a confié la compétence pour juger de la transmission
d'une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const. 3 déc. 2009,
o
n  2009-595 DC  , Rec. Cons. const., p. 206 ; RFDA 2010. 1  , article
o
Genevois ; JCP 2009, n  52, p. 54, note Mathieu ; Y. GAUDEMET, Une
révision cachée : la Constitution reconnaît la dualité d'ordres de juridiction et
le Conseil d'État dans la dualité de ses fonctions, RJEP juill. 2012. 1).

33. En toute hypothèse, le Conseil d'État constitue un « ordre de


juridiction » au sens de l'article 34 de la Constitution, qui désigne non pas
des ordres de juridiction distincts ayant chacun à leur tête une juridiction
suprême (actuellement l'ordre administratif et l'ordre judiciaire), mais des
types originaux de juridiction. Si cette qualification n'a pas été expressément
reconnue par une décision de jurisprudence pour le Conseil d'État, elle ne fait
pas de doute compte tenu de sa spécificité. Elle l'a été pour la Cour de
o
cassation (Cons. const. n  77-99 L, 20 juill. 1977, Rec. Cons. const., p. 63 ;
D. 1978. 701, obs. Hamon ; RD publ. 1979. 1663, note Favoreu) ; elle doit
l'être pour le Conseil d'État. Il en résulte que seule une loi peut fixer et
modifier les « règles constitutives » de son organisation et de son
fonctionnement dans son rôle contentieux : ces règles sont, comme pour
tous les autres « ordres de juridiction », celles de sa composition (Cons.
o
const. n  2005-198 L, 3 mars 2005, Rec. Cons. const., p. 47), de la
o
désignation de ses membres (Cons. const. n  85-141 L, 9 oct. 1985, Rec.

31
Cons. const., p. 115), qui doivent assurer la garantie de leur indépendance
o
(Cons. const. n  64-31 L, 21 déc. 1964, Rec. Cons. const., p. 43. – CE
29 déc. 1993, Synd. de la juridiction administrative, Rec. Cons. const.,
p. 378 ; RFDA 1994. 1133, concl. Scanvic  ), et, comme pour la Cour de
cassation en particulier, celles qui ont pour but de permettre un rôle
unificateur de la jurisprudence et d'assurer une certaine stabilité à
l'interprétation de la loi (Cons. const. 20 juill. 1977, préc.). Ce n'est que dans
ce cadre que le pouvoir réglementaire peut exercer sa compétence (par ex.
o er
organisation interne des juridictions : Cons. const. n  71-68 L, 1  avr. 1971,
o
Rec. Cons. const., p. 35 ; n  2005-198 L, 3 mars 2005, Rec. Cons. const.,
p. 47). Le code de justice administrative a justement mis en œuvre la
répartition des compétences entre la loi et le règlement à propos des
juridictions administratives en général et du Conseil d'État en particulier
(art. L. 111-1 s. ; art. R. 121-1 s.).

34. Il reste que celui-ci exerce, à côté de ses fonctions juridictionnelles, des
fonctions administratives et qu'en tant qu'organe non juridictionnel, il ne
peut être considéré comme un « ordre de juridiction » au sens de l'article 34,
à l'égard duquel s'imposerait aussi la compétence du législateur. On a relevé
o
(supra, n  29) cependant les différents articles de la Constitution relatifs à la
délibération du Conseil d'État préalablement à l'adoption d'un certain nombre
de mesures, qui contribuent à la reconnaissance de son statut
constitutionnel. On pourrait penser que, parallèlement aux formules
applicables au Conseil d'État comme « ordre de juridiction », les « règles
constitutives » de son organisation et de son fonctionnement hors fonctions
juridictionnelles devraient être fixées par la loi. Il ne résulte pas
nécessairement des formules de la Constitution que, pour l'exercice des
fonctions non juridictionnelles du Conseil d'État, l'intervention du législateur
soit nécessaire. On ne peut citer de jurisprudence à ce sujet. La pratique est
d'ordre réglementaire. Le code de justice administrative ne comporte de
dispositions législatives relatives au « Conseil d'État dans l'exercice de ses
attributions administratives et législatives » qu'à propos de « l'avis sur une
proposition de loi », introduites par la loi du 15 juin 2009 mettant en œuvre
o
un aspect de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (supra, n  16 et
o
infra, n  196) (CJA, art. L. 123-1  à L. 123-3  ). Pour l'essentiel, les
attributions administratives et législatives ne donnent lieu dans le code qu'à
des dispositions réglementaires (CJA, art. R. 123-1   s.).

2° - Le Conseil d'État, organe dual

35. Déjà les analyses qui précèdent ont relevé, tant dans l'histoire du Conseil
d'État que dans les normes constitutionnelles qui le visent, la double fonction

32
qu'il a toujours remplie et qu'il remplit encore : l'une comme conseil de
l'exécutif, l'autre comme juge administratif. Historiquement, c'est la première
qui a entraîné la seconde : le Conseil d'État, dans son rôle de conseil, a
préparé non seulement les actes du gouvernement dans l'ordre législatif et
administratif, mais aussi ceux qu'il prenait pour répondre aux réclamations
des administrés. On a vu que progressivement, cette fonction s'est
spécialisée au sein du Conseil d'État par des formations contentieuses qui lui
sont propres, puis est devenue autonome par son exercice au titre d'une
justice, non plus « retenue » par le chef de l'État, mais « déléguée » par le
peuple français, dans une indépendance qui constitue un principe
fondamental reconnu par les lois de la République (L. 24 mai 1872 ; Cons.
o
const. 22 juill. 1980 : supra, n  9). Les fonctions non contentieuses, parfois
moins bien perçues à l'extérieur de l'administration que les fonctions
contentieuses, n'ont pas pour autant disparu : elles se sont même accrues
au cours de la période récente, comme en témoignent les comptes-rendus
qui en sont faits annuellement par le rapport du Conseil d'État, et la création
de nouvelles sections en son sein (Section du rapport et des études, Section
os
de l'administration : infra, n  94 et 98) pour répondre à de nouveaux
besoins. Le Conseil d'État comporte ainsi deux aspects : l'un, dans ses
fonctions, contentieuses et non contentieuses ; l'autre, dans ses organes,
contentieux et non contentieux. Il peut donc être qualifié exactement
d'institution « duale », selon la définition donnée de ce terme (Littré) : « qui
comporte deux éléments unis par une interaction, une correspondance
réciproque ». Il y a donc dualité au sein d'une unité. C'est bien le cas du
Conseil d'État.

a. - La dualité dans l'unité

36. Les deux aspects du Conseil d'État ne sont pas l'objet d'une coupure ou
d'une dissociation qui les isolerait totalement l'un de l'autre. Il reste une
institution unie, malgré les distinctions que comportent son organisation et
son action. Cette unité se marque par l'unicité du corps qui rassemble ses
os
membres (infra, n  140 s.) sous l'autorité d'un même chef (le vice-
os
président : infra, n  72 s.), par la participation de ses membres à la fois aux
fonctions et formations contentieuses et aux fonctions et formations non
contentieuses. C'est une des particularités du Conseil d'État français, mais
cette particularité n'est pas insolite puisqu'on trouve aussi à l'étranger des
Conseils d'État présentant cette même dualité (Belgique, Italie, Grèce, Pays-
o
Bas, Colombie par ex. : V. supra, n  20).

37. Elle permet une unité de vue dans l'étude et la solution des problèmes
administratifs. Dans l'exercice de ses fonctions non contentieuses, le Conseil

33
d'État tient compte des solutions qu'il a adoptées au contentieux. Les avis
peuvent être étayés sur la jurisprudence (pour un exemple, avis de
o
l'Assemblée générale sur le rapport de la Section des finances n  364 803 du
o
8 juin 2000, EDCE 2001, n  52, p. 230, à propos de la cession de contrats
administratifs : « le Conseil d'État statuant au contentieux a […] posé depuis
fort longtemps le principe selon lequel ces contrats sont conclus en raison de
considérations propres à chaque cocontractant […] ; il en a tiré la
conséquence que la cession d'un marché ou d'une concession ne pouvait
avoir lieu […] qu'avec l'assentiment préalable de la collectivité contractante.
Il a précisé les cas dans lesquels cette autorisation pouvait légalement être
refusée […] Lorsque l'autorisation de cession peut être légalement accordée,
le Conseil d'État statuant au contentieux a toujours jugé que le choix du
nouveau titulaire par le précédent cocontractant de l'administration n'était
soumis à aucune procédure publique de mise en concurrence »).
Inversement, au contentieux, le Conseil d'État a fait parfois référence, dans
ses décisions, au moins dans les visas (par ex., Ord. du 14 juin 2006, req.
o
n  294060  , Assoc. syndicale du canal de la Gervonde, Lebon T. 890-891 
o
) et dans ses avis contentieux (par ex. CE 13 oct. 2000, req. n  223297  ,
Procarione, Lebon 421  ), plus souvent dans les conclusions de ses
commissaires du gouvernement (devenus rapporteurs publics), aux avis de
ses formations administratives. Ces échanges ne se limitent pas aux renvois
des avis aux arrêts et des arrêts aux avis. Ils comportent aussi dans les faits
tout ce qui ne peut pas être exactement identifié par le droit. Ils assurent
l'unité d'action du Conseil d'État non seulement pour lui-même mais, ce qui
est encore plus important, à l'égard de l'administration française, qu'il la juge
os
ou qu'il la conseille. Les décrets n  766 et 767 du 30 juillet 1963 adoptés à
o
la suite de l'arrêt Canal (supra, n  15) ont voulu renforcer les relations entre
les formations administratives et les formations contentieuses, le reproche
ayant été adressé à ces dernières d'un isolement les conduisant à ignorer les
réalités administratives.

38. Le caractère dual du Conseil d'État a suscité des objections, d'abord de


la part d'observateurs ou de plaideurs qui ont vu dans l'influence exercée par
le Conseil d'État dans ses fonctions et formations non contentieuses sur ses
fonctions et formations contentieuses, si ce n'est de manière générale, du
moins dans certaines affaires, un infléchissement ne garantissant pas une
parfaite autonomie de jugement : les positions prises par les formations
administratives peuvent difficilement être écartées par les formations
contentieuses lorsqu'elles sont amenées à connaître de la même question, ce
qui entraînerait un pré-jugement sans les garanties d'un procès. La question
est devenue cruciale lorsque la Cour européenne des droits de l'homme, par
o
l'arrêt Procola du 28 septembre 1995 (supra, n  16), a condamné le
34
Luxembourg pour violation du droit à un procès équitable reconnu par
l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, dans une affaire où le Conseil d'État
du Luxembourg avait statué sur un recours dirigé contre des arrêtés
ministériels pris en application d'une loi à la préparation de laquelle il avait
participé dans sa fonction consultative (sur cinq membres de la formation
contentieuse statuant sur le recours, quatre avaient participé à la formation
administrative qui avait été consultée sur le texte). Ce fut un coup de
semonce qui de Luxembourg retentit à Paris : on put être inquiet de
l'application faite de l'article 6-1 dans des circonstances qui, pour être celles
du Conseil d'État du Luxembourg, ressemblaient à celles qu'on peut
rencontrer au Conseil d'État français. La menace pour celui-ci pouvait
paraître d'autant plus grande que, dans l'affaire, les conseillers d'État
luxembourgeois ayant statué sur le recours dirigé contre les arrêtés avaient
participé à la préparation, non pas de ces arrêtés mêmes, mais de la loi sur
le fondement de laquelle ils avaient été pris, et dont ils avaient souligné la
nécessité. Même si l'arrêt rendu par la Cour européenne à propos du Conseil
d'État des Pays-Bas, le 6 mai 2003, Kleyn c/ Pays-Bas (AJDA 2003. 1490,
note Rolin  ), révélait une position moins rigoureuse, admettant une
dissociation entre le rôle du Conseil d'État dans les préparations d'une loi et
dans le jugement de décisions ultérieures en faisant application, on pouvait
craindre une condamnation de la France dans de nombreux cas où
successivement le Conseil d'État intervenait comme organe de préparation
de textes, puis comme organe de jugement non seulement de ces textes
mais aussi des mesures d'application de ces textes.

39. Pour pallier le risque d'une condamnation semblable à celle dont fit


l'objet le Luxembourg, des dispositions ont été prises pour, selon l'expression
de l'actuel vice-président du Conseil d'État, établir une « muraille de Chine »
entre les fonctions consultatives et les fonctions contentieuses du Conseil
d'État. Elles l'ont été sous forme d'abord d'une note interne du vice-président
du 14 décembre 2006, puis du décret du 6 mars 2008 et enfin du décret du
23 décembre 2011, aménageant de façon rigoureuse la composition et le
fonctionnement des formations contentieuses de telle sorte qu'elles ne
puissent apparaître dans une affaire comme violant l'exigence d'impartialité.
Notamment, selon l'article R. 122-21-1 du code de justice administrative
(Décr. de 2008), reprenant un dispositif qui figurait dans la loi du 24 mai
1872, mais avait été suspendu en 1939 et n'avait pas été repris dans
l'ordonnance du 31 juillet 1945, « les membres du Conseil d'État ne peuvent
participer au jugement des recours dirigés contre les actes pris après avis du
Conseil d'État, s'ils ont pris part à la délibération de cet avis » ; selon l'article
R. 122-21-2 (Décr. de 2011), « les membres du Conseil d'État qui participent
au jugement des recours dirigés contre des actes pris après avis du Conseil

35
d'État ne peuvent pas prendre connaissance de ces avis, dès lors qu'ils n'ont
pas été rendus publics, ni des dossiers des formations consultatives relatifs à
ces avis ».

40. Certaines de ces précautions sont sans doute salutaires ; d'autres sont


excessives. En particulier l'interdiction à tout membre d'une section
administrative de siéger à l'Assemblée du contentieux dans une affaire
précédemment étudiée en section alors même qu'il n'y a pas participé et
l'interdiction aux membres du contentieux de prendre connaissance de l'avis
et du dossier d'une section administrative portant sur un texte qui est
ensuite contesté devant eux sont pour le moins discutables : la théorie de
l'apparence est poussée à l'extrême ; elle se transforme en un système de
suspicion ; elle établit une présomption irréfragable de partialité. Il ne faut
pas qu'à force de séparer formations administratives et formations
contentieuses, fonctions administratives et fonctions contentieuses, l'unité du
Conseil d'État soit compromise. L'enrichissement des unes par les autres a
contribué à la solidité et l'efficacité d'une institution encadrant la vie
administrative. La rupture des liens entre elles est une source
d'appauvrissement et d'affaiblissement.

41. Ces réformes sont destinées à mettre la France à l'abri de nouvelles


condamnations par la Cour européenne. L'arrêt qu'elle a rendu le 15 juillet
2009, Union fédérale Que choisir ? de la Côte-d'Or c/France (RFDA 2009.
885, note Pacteau  ) peut être considéré comme une sorte de satisfecit et
un apaisement à l'égard des craintes que l'on pouvait avoir : en l'espèce, « la
Cour tient pour avéré qu'aucun membre de la formation de jugement saisi de
la demande d'annulation du décret du 25 janvier 2002 n'avait précédemment
participé à la formation qui avait rendu l'avis sur ce texte » ; en
conséquence, elle n'a pas jugé « nécessaire de rechercher si l'avis de la
section des travaux publics du Conseil d'État par le décret du 25 janvier 2002
et le recours en annulation dirigé ensuite contre ce même décret devant la
Section du contentieux du Conseil d'État pouvaient “représenter la même
affaire” ou la “même décision”, les craintes […] quant à l'indépendance et à
l'impartialité de la formation qui a jugé […] ne sauraient passer pour
objectivement justifiées ». Déjà auparavant (CEDH 9 nov. 2006, Sacilor-
o
Lormines c/France, préc. supra, n  16), elle avait admis que « le cumul de la
compétence juridictionnelle du Conseil d'État avec ses attributions
er
administratives n'a pas emporté en l'espèce violation de l'article 6, § 1 , de
la Convention »). Voilà qui sauve de manière générale la dualité des
fonctions du Conseil d'État et qui, de manière particulière, lui permet
d'intervenir successivement sur un même texte, une première fois pour le
préparer, une seconde pour juger le recours dirigé contre lui : l'essentiel est
que les membres de la formation de jugement n'aient pas participé à la

36
formation qui a préparé le texte. Ainsi se confirme l'affirmation selon laquelle
er
les stipulations de l'article 6, § 1 , de la Convention européenne « ne font
pas obstacle à ce que le Conseil d'État […] procède, dans l'exercice de ses
fonctions consultatives, à l'examen d'un projet de décret et se prononce
ultérieurement, dans l'exercice de ses fonctions contentieuses, sur la légalité
o
de ce même décret » (CE 11 juill. 2007, req. n  302040  , Union syndicale
des magistrats administratifs [USMA], Lebon 638   ; AJDA 2008. 2218, note
Gründler  . – Également arrêt Assoc. Alcaly du 27 févr. 2006, req.
o o
n  257688  , Lebon 871-872, et du 16 avr. 2010, req. n  320667  ). Le
Conseil d'État peut rester une institution duale (alors qu'à la suite de l'arrêt
Procola, celui de Luxembourg a été réformé pour ne plus exercer que des
fonctions consultatives), tenant à la fois de l'administration et de la justice.

b. - Le Conseil d'État, organe administratif

42. Le caractère administratif du Conseil d'État constitue le premier aspect


de son statut dual. S'il paraît évident dès une première approche, il mérite
néanmoins d'être précisé. Il tient à des composantes concernant son
organisation et ses fonctions, qui le placent au sein de l'administration dans
une position insolite. On ne trouve pas de disposition précisant que le Conseil
d'État est un organe administratif comme on en trouve qui le proclament
« juridiction ». Néanmoins l'application des critères permettant de
reconnaître un organe administratif conduit à préciser pour lui cette
qualification. Ces critères sont à la fois négatifs et positifs.

43. Négativement, ils refusent de reconnaître la qualité de juridiction à un


organe qui ne prend pas de décision ou dont celles qu'il prend n'ont pas la
qualité de décision juridictionnelle. Ainsi, dans le premier cas, une
commission qui n'a pour fonction que de donner un avis, même si le
gouvernement est tenu de s'y conformer, a le caractère non de juridiction
mais d'autorité administrative (CE 13 févr. 1980, Nal, Lebon 83). Par
exemple, l'ancienne Commission de la concurrence, qui avait pour seul objet
d'éclairer par un avis le ministre de l'économie sur les décisions qu'il lui
incombait de prendre, présentait le caractère d'un organisme administratif
(CE, ass., 13 mars 1981, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris,
Lebon 135 ; D. 1981. 418, note Gavalda ; RD publ. 1981. 1428, note
Gaudemet) ; le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu'il est appelé à
connaître de l'éventualité d'une sanction disciplinaire à l'encontre d'un
magistrat du parquet, ne dispose d'aucun pouvoir de décision et se borne à
émettre un avis à l'autorité compétente, il ne constitue donc pas une
o
juridiction (CE 18 oct. 2000, req. n  208168  , Terrail, Lebon 430   ; AJDA
2001. 288, note Rouault   ; JCP 2002. II. 10011, note Lanoy). Dans le

37
second cas, même lorsqu'un organe prend une décision, si celle-ci ne
constitue pas un acte juridictionnel, tranchant une contestation entre parties
ou infligeant une sanction à une partie, conformément au droit et avec une
autorité de chose jugée, il n'est pas, dans cette mesure, une juridiction. Ainsi
le Conseil de la concurrence prenait des décisions « de caractère non
juridictionnel » (sanctions, injonctions) à l'égard des entreprises ayant violé
les règles de la concurrence ; c'était un « organisme administratif » (Cons.
o
const. 23 janv. 1987, préc. supra, n  31) (on peut en dire autant aujourd'hui
de l'Autorité de la concurrence) ; il en allait de même des décisions de la
Commission des opérations de bourse, « organisme administratif »,
o
« autorité administrative » (Cons. const. 28 juill. 1989, n  89-260 DC  , Rec.
Cons. const., p. 71 ; RFDA 1989. 691, note Genevois ; AJDA 1989. 619, note
Chevallier).

44. Corrélativement, le Conseil d'État, dans l'exercice de ses fonctions


consultatives, n'est évidemment pas un organe juridictionnel : les avis qu'il
donne au gouvernement sont ceux d'un organe administratif. On peut parler
à son sujet d'autorité administrative dans la mesure où ses avis peuvent être
contraignants (dans le double sens du terme, le premier indiquant
l'obligation de consulter le Conseil d'État, sans qu'il y ait d'obligation de
suivre son avis, le second indiquant l'obligation de se conformer à l'avis du
Conseil d'État). A fortiori, le Conseil d'État peut être qualifié d'autorité
administrative lorsqu'il lui revient d'adopter des décisions hors de ses
fonctions juridictionnelles, hypothèse qui, pour être rare, peut se rencontrer.

45. On passe alors des critères négatifs aux critères positifs : sont reconnus
administratifs des organes qui ont pour fonction non de trancher des litiges
mais de préparer des décisions, a fortiori de les prendre, ou encore d'exercer
une fonction de contrôle, ou de gérer certains services.

46. De la première hypothèse relève le rôle du Conseil d'État dans la


préparation des ordonnances et décrets dont les textes constitutionnels et
aussi d'autres textes imposent qu'ils soient délibérés en Conseil d'État avant
d'être transmis au Conseil des ministres. L'article L. 112-1 du code de justice
administrative dispose que le Conseil d'État « prépare et rédige les textes qui
lui sont demandés ». Il s'agit, comme le dit le code, d'« attributions en
matière administrative ». S'il en était besoin, on pourrait établir une analogie
avec les solutions adoptées par le Conseil d'État dans ses arrêts à propos
d'autres organismes jouant également un rôle dans l'examen de questions et
de textes au profit du gouvernement : ils s'insèrent dans les structures
administratives de l'État et engagent éventuellement la responsabilité de
celui-ci au titre de son action administrative (par ex. CE, sect., 31 mars
o
2003, req. n  188833  , Min. de l'Économie, des Finances et de l'Industrie

38
c/SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm, Lebon 159   ; RFDA 2003.
1185, concl. Chauvaux   ; AJDA 2003. 935, chron. Donnat et Casas   :
imputabilité à l'État de la responsabilité pouvant résulter des fautes
commises par un organisme chargé de donner des avis). Ainsi lorsque le
Conseil d'État participe à la préparation de textes tels que des décrets ou
ordonnances, ou répond à des demandes d'avis du gouvernement, il s'insère
dans un processus qui est d'ordre purement administratif.

47. La solution est-elle différente lorsqu'il étudie les projets de loi du


gouvernement, voire des propositions de loi (comme ce peut être le cas
depuis que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 en a ouvert la
o o
possibilité – supra, n  16 et infra, n  196) ? Le code de justice administrative
parle à ce sujet d'« attributions en matière législative » et dispose
expressément (art. L. 112-1) que « le Conseil d'État participe à la confection
des lois ». On ne peut pas dire que cela fait pour autant du Conseil d'État un
organe législatif. Car, quelle que soit l'importance du Conseil d'État dans
l'examen des projets, voire des propositions, de loi, il n'exerce pas à
proprement parler une fonction législative, ni n'apparaît à ce titre comme un
os
organe législatif, comme il a pu l'être à certaines époques (supra, n  3 et
7) : il reste un organe administratif auquel il est demandé d'examiner des
projets ou propositions de loi. Si cette demande correspond à une exigence
constitutionnelle dont le respect est vérifié et sanctionné le cas échéant par
o
le Conseil constitutionnel (Cons. const. 3 avril 2003, n  2003-468 DC  , Rec.
Cons. const., p. 325 ; AJDA 2003. 948, note G. Drago   ; LPA 13 mai 2003,
p. 5, note Schoettl ; RD publ. 2003. 948, note Andriantsimbazovina),
l'intervention du Conseil d'État n'a pour objet et pour effet que, pour l'auteur
du projet ou de la proposition, « d'être éclairé par l'avis du Conseil d'État » ;
il ne s'agit pas d'une participation à la procédure législative ni, encore moins,
au pouvoir législatif ; il s'agit seulement de la consultation d'un organe
administratif en vue de l'adoption d'un acte législatif.

48. Le Conseil d'État, d'organe administratif dans la préparation de certaines


mesures, devient une véritable autorité administrative lorsqu'il lui revient
d'adopter lui-même certaines décisions. Ici encore une analogie peut être
établie avec des institutions qui ont ou ont eu à la fois des fonctions
juridictionnelles et des fonctions administratives. Ainsi lorsqu'un tribunal
administratif (qui est avant tout une juridiction) accorde ou refuse à un
contribuable d'une collectivité territoriale l'autorisation de plaider au nom de
cette collectivité pour assurer à sa place la défense de ses intérêts, il statue
« comme autorité administrative » : sa décision est alors non un jugement
mais un acte administratif unilatéral, dont le contentieux appartient au
Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort (CE, ass., 26 juin 1992,

39
o
req. n  134980  , Pezet et San Marco, Lebon 248  , et 252, concl. Le
Chatelier).

49. Le code de justice administrative permet d'identifier des décisions


administratives prises, sinon par le Conseil d'État dans son ensemble, du
moins par certains de ses organes, au premier rang le vice-président, à la
o
fois comme chef de service et comme chef de corps (infra, n  75). De
manière générale, la gestion administrative et financière du Conseil d'État
(CJA, art. R. 121-7  et R. 121-11  ) et celle du corps des tribunaux
administratifs et cours administratives d'appel (CJA, art. R. 231-3  ) qui lui
sont confiées sont autant de fonctions à caractère administratif.

50. La « mission permanente d'inspection à l'égard des juridictions


administratives » qu'exerce le Conseil d'État aux termes de l'article L. 112-5
du code de justice administrative, si elle porte sur des juridictions, est
également une fonction administrative, non parce que ces juridictions sont
administratives, mais parce qu'une mission d'inspection des juridictions,
concernant l'organisation du service public de la justice, est par elle-même
administrative. Un litige portant sur l'activité de l'inspection des services
judiciaires est d'ordre administratif (par ex., CE, sect., 3 déc. 2004, req.
o
n  260786  , Quinio, Lebon 448   ; AJDA 2005. 185. Chron. Landais et
Lenica   ; JCP 2005. II. 10027, note Moniolle). La mission d'inspection des
juridictions administratives l'est évidemment tout autant.
o
51. À cela s'ajoute, comme on le verra (infra, n  141), que les membres du
Conseil d'État relèvent d'un statut qui, s'il est spécial, est lié à celui de la
fonction publique de l'État (CJA, art. L. 131-1  ) ; ils font partie de
l'administration alors même qu'ils ont des fonctions juridictionnelles et que
dans l'administration ils ont une place à part, comme le Conseil d'État lui-
même.

52. La particularité de la situation administrative du Conseil d'État tient à sa


place à côté de l'exécutif, et non au-dessous. L'histoire du Conseil d'État
os
(supra, n  2 s.) l'a fait apparaître initialement comme un organe de
gouvernement chargé d'assister l'exécutif dans l'exercice de ses fonctions et
de ses pouvoirs. Aujourd'hui encore le rôle qu'il joue dans ses formations
administratives peut être celui d'un auxiliaire du gouvernement : c'est celui-
ci qui lui adresse ses projets de loi, d'ordonnances, de décrets,
précédemment rédigés par les ministères, voire qui lui demande de rédiger
des textes ; c'est le gouvernement qui lui demande des avis et des études.
C'est au gouvernement que le Conseil d'État adresse les textes qu'il a
examinés.

40
53. Organiquement, le lien entre le Conseil d'État et l'exécutif a été
longtemps marqué par sa présidence, exercée soit par le chef de l'État, soit
par le chef du gouvernement, soit par le garde des Sceaux, ministre de la
Justice, parfois délégué des précédents. Tel était encore le cas avant
l'adoption du code de justice administrative. Mais, si cette présidence fut
effective à certaines époques (notamment sous le Consulat et les deux
e
Empires), elle devint purement formelle à partir de la III  République ; elle
se marquait seulement à l'occasion de visites protocolaires. Le code de
justice administrative, en confiant au vice-président du Conseil d'État la
présidence de celui-ci (art. L. 121-1), ne fait donc plus du Premier ministre le
président du Conseil d'État ; seule, selon l'alinéa 2 du même article,
« l'assemblée générale du Conseil d'État peut être présidée par le Premier
ministre et, en son absence, par le garde des Sceaux, ministre de la
Justice ». Naguère les ministres pouvaient théoriquement participer aux
séances des formations administratives du Conseil. Aujourd'hui encore, des
commissaires du gouvernement, qui sont de véritables représentants de
celui-ci, sont désignés pour chaque ministère afin d'assister, avec voix
consultative, aux séances des formations administratives du Conseil d'État
pour les affaires de leur ministère (art. R. 123-23). Cela souligne encore les
liens du Conseil d'État avec l'exécutif.

54. La Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt précité
o
(supra, n  16) du 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines c/France, n'a pas
manqué de relever que « la position originale du Conseil d'État dans les
institutions françaises le rapproche organiquement des pouvoirs publics ».
Elle n'en fait pas pour autant un organe subordonné à et de l'exécutif. La
Cour « est d'avis que cette situation ne suffit pas à établir un manque
d'indépendance du Conseil d'État ». La fin en 2000 de la présidence, qui était
devenue purement formelle, du Conseil d'État par le Premier ministre ou le
garde des Sceaux est l'aboutissement d'une évolution qui a assuré
l'autonomie du Conseil par rapport au gouvernement. Elle a été complétée
par le décret du 6 mars 2008, abrogeant l'article R. 123-15 du code de
justice administrative, qui donnait aux ministres « rang et séance à
l'assemblée générale du Conseil d'État », avec pour chacun « voix
délibérative pour les affaires qui dépendent de son département ».

55. La soustraction de la gestion administrative et financière du Conseil


d'État au garde des Sceaux, ministre de la justice, est une autre illustration
de son autonomie. On peut encore relever qu'à l'issue de tensions de
caractère politique qui ont opposé l'Exécutif au Conseil d'État, celui-ci a été
o
préservé (V. la crise de 1962 et les décrets du 30 juillet 1963, supra n  15),
et que ceux de ses membres dont le rôle politique hors du Conseil d'État

41
avait pu déplaire ont pu y être réintégrés conformément aux règles
statutaires.

56. À la singularité de la position du Conseil d'État par rapport à l'exécutif, il


faut ajouter aujourd'hui la possibilité pour le Parlement, dans certaines
conditions, de solliciter l'avis du Conseil d'État sur des propositions de loi :
dans ce cas, il n'est ni fonctionnellement ni organiquement un auxiliaire de
l'exécutif.

57. Compte tenu de cette situation particulière, on éprouve des difficultés à


donner au Conseil d'État une qualification du point de vue administratif. On
pourrait le qualifier d'organe consultatif puisque auprès du gouvernement et
même, on vient de le dire, du Parlement, il émet des avis pour les éclairer.
Mais cette qualification ne rend compte ni du degré de participation du
Conseil d'État à l'élaboration des textes, qui font de lui, sinon leur coauteur,
du moins un acteur déterminant de leur préparation, jouant un rôle bien
supérieur à celui d'organes consultatifs ordinaires, ni du rôle actif, avec de
véritables pouvoirs de décision, qu'il joue dans la gestion de la juridiction
administrative. Faut-il alors lui reconnaître la qualité d'autorité administrative
indépendante, à l'instar de nombreuses institutions créées à l'époque
contemporaine (Commission nationale de l'informatique et des libertés,
Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de la concurrence par exemple) ?
Ce serait excessif, tant le Conseil se différencie de ces autorités par son
organisation et ses fonctions. Qu'il ait une autorité au sens juridique comme
au sens psychologique, voire politique, est certain. Qu'il faille le ranger dans
la catégorie des autorités administratives indépendantes l'est beaucoup
moins. Certes cette catégorie est hétérogène et, selon les critères qu'on lui
attribue elle peut accueillir des institutions très dissemblables, que la
singularité du Conseil d'État n'empêcherait donc pas de l'y ranger. Mais les
autorités administratives indépendantes sont toutes des institutions
spéciales, dans leurs fonctions comme dans leur organisation. Or le Conseil
d'État est une institution générale à la fois dans ses fonctions et dans son
organisation, qui le rattachent à l'exécutif tout en l'en différenciant. Mieux
vaut s'arrêter à une qualification neutre, telle que celle d'organe
administratif, qui, si banale qu'elle soit, constitue le plus petit dénominateur
commun.

c. - Le Conseil d'État, organe juridictionnel

58. Si le Conseil d'État est pleinement un organe juridictionnel par les


composantes qui le constituent comme tel, il n'en a pas moins une
singularité qui doit être relevée. Il ne suffit pas que l'article L. 111-1 du code
de justice administrative dise : « le Conseil d'État est la juridiction

42
administrative suprême », pour se satisfaire de cette qualification et arrêter
l'analyse. D'abord, cette qualification n'a été donnée par le législateur qu'en
2000 avec l'adoption du code ; or le Conseil d'État était une juridiction
auparavant. Ensuite, quelle que soit l'autorité qui s'attache à la loi et aux
expressions qu'elle adopte, il y a toujours lieu d'en vérifier la justification, et
parfois de s'en écarter, au moins en partie, comme le Conseil d'État a eu lui-
même l'occasion de le faire pour d'autres organes, avec les conséquences
contentieuses qui en résultent (par ex. les chambres régionales des comptes,
si elles « jugent » les comptes, comme le dit expressément l'article L. 211-1
du code des juridictions financières, par des jugements susceptibles d'appel
devant la Cour des comptes, exercent aussi des fonctions non
juridictionnelles dans le cadre desquelles elles prennent des actes
administratifs unilatéraux, dont la contestation doit être portée devant la
juridiction administrative : CE 23 mars 1984, Organisme de gestion des
écoles catholiques, Lebon 126 ; D. 1985. 260, note Duprat ; RD publ. 1984.
1125, note J.-M. Auby).

59. Le Conseil d'État, s'il a autrefois exercé ses fonctions contentieuses au


titre de la justice « retenue », est devenu une véritable juridiction depuis que
la loi du 24 mai 1872 lui a définitivement attribué un pouvoir de justice
« déléguée ». Elle donne à travers lui à la juridiction administrative une
indépendance qui est devenue un principe fondamental reconnu par les lois
o
de la République (Cons. const. 22 juill. 1980, n  80-119 DC  , préc. supra,
o
n  9). Depuis cette date, « le Conseil d'État statue souverainement sur les
recours en matière contentieuse administrative ». Il tranche ces
contestations, après observation d'une procédure assurant aux requérants
les garanties d'un véritable procès, par des décisions investies de l'autorité
de la chose jugée. Dans la forme comme dans le fond, son rôle répond aux
critères de la fonction juridictionnelle.

60. Visant le Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme, dans


o
son arrêt Kress du 7 juin 2001 (supra, n  16), déclare : « la création et
l'existence même de la juridiction administrative peuvent être saluées
comme l'une des conquêtes les plus éminentes d'un État de droit » ; le
Conseil constitutionnel désigne comme juridiction le Conseil d'État autant que
o
la Cour de cassation, par exemple dans la décision n  2009-595 DC du
3 décembre 2009 concernant la loi organique sur la question prioritaire de
o
constitutionnalité (supra, n  32).

61. Au sein du Conseil d'État, ce sont ses formations contentieuses qui


exercent ses fonctions juridictionnelles. Elles sont articulées autour de la
Section du contentieux, avec ses subdivisions, et le cas échéant son

43
os
élargissement (infra, n  118 s.). Elles sont saisies, instruisent, statuent
selon une procédure, qui, pour ne pas être identique à celle de la procédure
devant les juridictions judiciaires, en particulier la procédure civile, est
exactement une procédure contentieuse. Dans l'arrêt Kress, la Cour
européenne « estime que la procédure suivie devant le Conseil d'État offre
suffisamment de garanties au justiciable et qu'aucun problème ne se pose
sous l'angle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du
contradictoire ». C'est reconnaître que le Conseil d'État constitue non
er
seulement un « tribunal » au sens de l'article 6, § 1 , de la Convention
européenne, dont la Cour a une interprétation extensive, mais une juridiction
au sens strict.

62. La singularité du statut juridictionnel du Conseil d'État est double : elle


est à la fois organique et fonctionnelle. La singularité organique tient
d'abord, comme cela l'a déjà été plusieurs fois, à ce que le Conseil d'État est
un organe juridictionnel en même temps qu'un organe administratif, alors
que la plupart des juridictions n'ont pas de rôle autre que juridictionnel (cas
en France des juridictions judiciaires). Mais cette singularité est elle-même
doublement relative.

63. D'une part, il existe d'autres organismes qui sont à la fois administratifs


et juridictionnels. Tel est le cas du Conseil supérieur de la magistrature qui,
s'il est une juridiction lorsqu'il statue en matière disciplinaire sur le cas des
magistrats du siège, est un organe administratif lorsqu'il émet un avis dans
la même matière à l'égard des magistrats du parquet, et quand il intervient
dans la préparation de la nomination des magistrats quels qu'ils soient
(siège, parquet). Comme le Conseil d'État, mais dans un domaine plus limité,
le Conseil supérieur de la magistrature est à la fois administratif et
juridictionnel. Un autre exemple était donné naguère par la Commission
bancaire qui, chargée du contrôle des banques (fonction administrative)
était, aux termes de la loi, une juridiction administrative lorsqu'elle infligeait
des sanctions. C'est encore le cas de conseils tels que le Conseil national de
l'enseignement supérieur et de la recherche et le Conseil supérieur de
l'éducation nationale, ou les conseils des ordres professionnels, qui exercent
à la fois des fonctions administratives (qui ne sont pas toutes seulement
consultatives) et des fonctions juridictionnelles (essentiellement
disciplinaires).
o
64. D'autre part, comme on l'a vu plus haut (supra, n  38) et comme on le
os
reverra (infra, n  91 s.), les formations juridictionnelles et les formations
administratives du Conseil d'État sont distinctes et séparées. S'il existe des
liens entre elles en raison de l'appartenance des membres du Conseil d'État
aux deux types de formations, ils ne peuvent statuer dans une formation
44
contentieuse sur un litige dont ils auraient connu précédemment dans une
formation administrative.

65. La singularité organique du Conseil d'État tient ensuite à ce que ses


membres, dont le statut particulier s'articule avec le statut général des
fonctionnaires, ne sont pas des magistrats – à la différence des membres du
corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et des
o
magistrats de l'ordre judiciaire (V. infra, n  139). Mais cette singularité est
elle-même relative.

66. Il existe aussi d'autres juridictions dont les membres ne sont pas
magistrats. Dans l'ordre judiciaire, c'est le cas notamment des conseils de
prud'hommes, des tribunaux de commerce, des cours d'assises et de
juridictions spécialisées, par exemple dans les affaires de sécurité sociale,
d'incapacité. Dans l'ordre administratif, c'est celui de beaucoup de
juridictions spécialisées, dans lesquelles on trouve notamment des
fonctionnaires (par ex. la Cour nationale du droit d'asile, les juridictions
spécialisées dans le domaine social : juridictions de la tarification sanitaire et
sociale, de l'aide sociale). Comme l'a reconnu le Conseil d'État (Ass., 6 déc.
o
2002, req. n  240028, Trognon, Lebon 427   ; RFDA 2003. 694   ; RDSS
2003. 92, concl. Fombeur   ; JCP Adm. 2003. 380, note Jean-Pierre. – Du
o
même jour, Sect., 6 déc. 2002, req. n  221319, Aïn-Lhout, Lebon 430   ;
RFDA 2003. 705   ; RDSS 2003. 163, concl. Séners   ; AJDA 2003. 489.
chron. Donnat et Casas   ; JCP 2003. II. 10132, note Boumedienne), « la
présence de fonctionnaires parmi les membres d'une juridiction ne peut, par
elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur
l'impartialité de celle-ci ». La Cour européenne des droits de l'homme l'admet
en particulier à propos du Conseil d'État dans son arrêt précité du
o
9 novembre 2006, Sacilor-Lormines (supra, n  16).

67. D'autre part, même non magistrats, les membres d'une juridiction


doivent statuer en toute indépendance et impartialité. C'est ce que rappelle
le Conseil d'État dans les deux arrêts précités du 6 décembre 2002 : « en
vertu des principes généraux applicables à la fonction de juge, toute
personne appelée à siéger dans une juridiction doit statuer en toute
indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque
autorité que ce soit ». Le Conseil constitutionnel considère aussi de manière
générale que « les principes d'indépendance et d'impartialité [sont]
indissociables de l'exercice des fonctions juridictionnelles » (notamment
o
Cons. const. 25 nov. 2011, n  2011-199 QPC, AJDA 2012. 578, obs.
F. Lombard  . – dans le même sens, notamment Cons. const. 8 juin 2012,
o
n  2012-250 QPC  , AJDA 2012. 1132  ). La Cour européenne a reconnu

45
qu'ils étaient satisfaits en ce qui concerne les membres du Conseil d'État
(V. les arrêts Kress et Sacilor-Lormines). Toutefois, si un fonctionnaire
membre d'une juridiction participe à une activité qui fait l'objet des questions
soumises à la juridiction, il ne peut y siéger (CE 6 déc. 2002, Trognon, Aït-
Lhout, préc.). C'est ainsi qu'un membre du Conseil d'État ayant eu à
participer, soit en son sein, soit à l'extérieur, à l'élaboration d'un projet de
texte ensuite contesté devant le Conseil, ne peut siéger dans la formation de
jugement. Ainsi, à défaut d'être magistrats, les membres du Conseil d'État
participant aux formations juridictionnelles sont pleinement des « juges »
avec les conséquences qui en résultent (CE, ord., 20 avr. 2006, req.
o
n  92572, Hoffer).

68. La singularité fonctionnelle du Conseil d'État tient à la diversité des titres


de sa compétence juridictionnelle. Comme on le verra plus loin (infra,
os
n  247 s.), le Conseil d'État est, selon les cas, juge de cassation, juge
d'appel, juge de premier et dernier ressort. Cette diversité s'explique
historiquement et peut être encore justifiée logiquement par sa qualité de
juridiction suprême, qui lui permet de couvrir toutes les compétences que
peut exercer une juridiction. Il n'y a pas moins là une singularité par rapport
à l'ordre judiciaire, dans lequel les compétences de premier ressort, d'appel
et de cassation sont réparties entre différentes juridictions et où la juridiction
suprême, la Cour de cassation, est exclusivement juge de cassation (sous
réserve des compétences sur renvoi des juridictions du fond pour avis, ou au
sujet de l'examen des questions prioritaires de constitutionnalité).

er
Titre 1 - Statut du Conseil d'État

69. L'étude du statut du Conseil d'État doit d'abord porter sur celui de


l'institution, ensuite sur celui de ses membres.

er
Chapitre 1 - Statut de l'institution

70. Le Conseil d'État apparaît d'abord comme une institution spécifique


os
(supra, n  20 à 68) ayant dans son ensemble une unité et une homogénéité
que ne mettent pas en cause les divisions de son organisation. Il est doté
d'organes qui assurent son administration dans son ensemble. Ses fonctions
sont assurées par différentes formations.

46
re
Section 1 - Les organes du Conseil d'État

71. L'accroissement du rôle du Conseil d'État et, corrélativement, du nombre


de ses membres et de ses agents a conduit à un accroissement des organes
qui l'administrent, et dont il faut d'abord rendre compte pour essayer d'avoir
une vue exacte de sa structure. L'administration du Conseil d'État est tout
entière placée sous l'autorité de son vice-président. Deux organes collégiaux
l'assistent dans cette fonction. Le secrétaire général dirige les services, qui
sont aujourd'hui importants.

er
Art. 1 - Le vice-président du Conseil d'État

o
72. Comme on l'a déjà relevé (supra, n  53), le vice-président du Conseil
d'État en assure aujourd'hui la présidence (CJA, art. L. 121-1  ). Le code de
justice administrative est venu en 2000 aligner le droit sur le fait car si,
théoriquement, la présidence du Conseil d'État revenait précédemment au
Premier ministre ou, par délégation, au garde des sceaux, ministre de la
justice, ils ne l'exerçaient jamais autrement que pour des séances
e
protocolaires. Depuis la III  République, le vice-président était le véritable
président ; désormais il l'est autant en vertu des textes qu'en vertu de la
pratique (HENRY, Le vice-président du Conseil d'État, RD publ. 1995. 701. –
DENOIX DE SAINT MARC, Le vice-président du Conseil d'État, Just. et cass.
2005. 147).

73. Le vice-président du Conseil d'État est nommé par décret en Conseil des
ministres (c'est-à-dire par le président de la République), sur la proposition
du garde des Sceaux, ministre de la Justice, parmi les présidents de section
ou les conseillers d'État en service ordinaire (CJA, art. L. 133-1  ). On peut
observer que si plusieurs vice-présidents (dont l'actuel) avaient été
précédemment secrétaire général du gouvernement, ils n'avaient pas été
présidents de section mais seulement (comme d'autres) conseillers d'État. Le
choix du gouvernement, s'il ne peut porter que sur des présidents de section
ou des conseillers d'État, est suffisamment large pour qu'il puisse s'exercer
discrétionnairement en fonction de considérations qui, essentiellement
administratives, n'excluent pas une appréciation, sinon politicienne, du moins
de politique administrative. Il est arrivé que le même jour un décret nomme
un conseiller d'État au tour extérieur, puis un autre, celui-ci vice-président
du Conseil d'État (JO 29 nov. 1944). Cette pratique, qui a permis de nommer
vice-président une personne n'appartenant pas au Conseil d'État, serait
aujourd'hui considérée comme une nomination pour ordre, c'est-à-dire

47
comme un acte inexistant, ou encore nul et non avenu (en ce sens, CE
30 juin 1950, Massonaud, Lebon 400, concl. J. Delvolvé ; S. 1951. 3. 57,
note F. M. – Ass., 15 mai 1981, Maurice, Lebon 221 ; AJDA 1982. 86, concl.
Bacquet ; D. 1981. IR, obs. P. Delvolvé ; D. 1982. 147, note Blondel et
Julien-Laferrière). Elle pouvait se justifier en l'espèce par les circonstances
exceptionnelles de l'époque.

74. Placé à la tête du Conseil d'État, le vice-président l'est par là même au


premier rang de l'administration, ce qui ne veut pas dire qu'il est à sa tête, la
direction de l'administration appartenant à la fois au président de la
République et au Premier ministre) : il est le premier fonctionnaire français.
o
C'est ce qui détermine sa place dans l'ordre protocolaire : le décret n  89-
655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances,
honneurs civils et militaires, le place au neuvième rang, après le président de
la République, le Premier ministre, les présidents des assemblées
parlementaires, les membres du gouvernement et le président du Conseil
constitutionnel.

75. Le vice-président du Conseil d'État exerce au sein du Conseil des


fonctions qui sont d'abord administratives, en tant que chef de service et
chef de corps. On a eu l'occasion de les évoquer pour illustrer le statut du
o
Conseil d'État comme organe administratif (supra, n  49). Elles sont
précisées par le code de justice administrative. D'une part, de manière
générale, il assure la gestion administrative et financière du Conseil d'État et
la gestion du corps des tribunaux administratifs et cours administratives
d'appel. Plus particulièrement, il prend tous les actes d'administration interne
du Conseil d'État (CJA, art. R. 121-6  et art. R. 121-7  ) ; « il conclut les
contrats et marchés passés par le Conseil d'État » (art. R. 121-14  ) ; il
« prend […] les actes relatifs à la gestion et à l'administration des agents du
Conseil d'État » (art. R. 121-13  ) ; il est ordonnateur principal du budget
du Conseil d'État (art. R. 121-14  ) ; il arrête la période des vacances
annuelles du Conseil et les mesures propres à assurer la continuité des
travaux des sections administratives pendant cette période (art. R. 121-12 
) ; il propose au Premier ministre et au garde des Sceaux, ministre de la
Justice, la répartition des affaires entre les sections administratives (art
o
R. 123-3) (infra, n  94). D'autre part, il affecte les membres du Conseil
d'État, après avis des présidents de section, aux sections du Conseil (infra,
o o
n  95) (art. R. 121-6  ), à l'assemblée générale ordinaire (infra, n  103)
o
(art. R. 123-14  ) et à la commission permanente (infra, n  109) (art. R.
123-33) ; il peut prononcer, sans consultation de la commission consultative
o
(infra, n  82), l'avertissement et le blâme à l'égard des membres du Conseil
d'État (art. L. 136-2  , al. 2). Il donne son avis sur les nominations au tour

48
o
extérieur (infra, n  163) (art. L. 133-7  ) ; il fait des présentations pour la
nomination des présidents adjoints (art. R. 122-4  ) et des présidents de
o
sous-section (art. R. 122-6  ) de la Section du contentieux (infra, n  122 et
o
n  126) ; il nomme les secrétaires généraux adjoints du Conseil d'État (infra,
o
n  87), les présidents adjoints des sections administratives, le rapporteur
o
général de la Section du rapport et des études (infra, n  99), les maîtres des
o
requêtes en service extraordinaire (infra, n  165) ; il fait des propositions
pour les nominations au Conseil d'État de membres du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel (art. L. 133-8  ). Cette
attribution s'inscrit dans celles qu'il détient à l'égard de ce corps : il en
assure la gestion (art. R. 231-3  ) ; il préside le Conseil supérieur des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (art. L. 232-1 
) ; la mission permanente d'inspection des juridictions administratives est
exercée sous son autorité (art. R. 112-1  ) ; il nomme les assistants de
justice aussi bien pour les tribunaux administratifs et les cours
administratives d'appel que pour le Conseil d'État (art. R. 227-4  ).

76. L'importance des fonctions administratives du vice-président du Conseil


d'État en fait le véritable ministre de la Justice administrative : comme un
ministre, il est ordonnateur principal ; comme un ministre, il gère les
différents corps des personnes exerçant leurs fonctions dans le champ de la
justice administrative : membres du Conseil d'État, des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel ; agents de ces mêmes
institutions. Comme président du Conseil supérieur des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel, il exerce une fonction
analogue à celle qu'avait, par délégation du président de la République, le
ministre de la Justice à l'égard du Conseil supérieur de la magistrature et que
lui a retirée la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (GONOD, Le vice-
président du Conseil d'État, ministre de la Juridiction administrative,
o
Pouvoirs, n  123, 2007, p. 117-132).

77. Le vice-président préside les formations administratives du Conseil


d'État : normalement l'Assemblée générale (CJA, art. R. 123-13  ) et la
Commission permanente (art. R. 123-22  et art. R. 123-23  ). Il peut aussi
théoriquement présider les séances des sections administratives (art. R. 123-
9  ). Il propose au garde des Sceaux, ministre de la Justice et au Premier
ministre, la répartition des affaires entre les cinq premières sections
o
administratives (art. R. 123-3  . – V. infra, n  94). Il décide, pour l'examen
d'une affaire déterminée, la réunion de deux sections administratives, ou, si
plus de deux sections sont intéressées, d'une commission constituée par

49
leurs représentants, et préside ces formations (art. R. 123-10  . – V. infra,
o
n  97).

78. Le vice-président exerce aussi au sein du Conseil d'État des fonctions se


rapportant au rôle contentieux de celui-ci. Les unes relèvent de
l'administration de la justice, le vice-président intervenant comme chef de
juridiction : il désigne les rapporteurs publics sur proposition du président de
la Section du contentieux (CJA, art. R. 122-4  ), renouvelle la désignation
des présidents de sous-section (art. R. 122-6  ), désigne les assesseurs
(art. R. 122-7  ) ; il fixe les groupements de sous-sections, réunies en
formations de jugement (art. R. 122-11  ) ; il peut décider le renvoi des
affaires à la Section du contentieux ou à l'Assemblée du contentieux
(art. R. 122-7  , al. 1). Les autres fonctions sont proprement
juridictionnelles : le vice-président préside l'assemblée du contentieux
(art. R. 122-20  ) ; il peut présider les sous-sections, jugeant soit seules
(art. R. 122-14  , al. 3) soit réunies (art. R. 122-14  , al. 1), mais non la
Section du contentieux (obstacle auquel il pourrait passer outre en appelant
une affaire à l'assemblée du contentieux). Ce que les textes permettent n'est
qu'exceptionnellement mis en œuvre : le vice-président n'intervient
quasiment jamais au niveau des sous-sections. Il ne l'a fait récemment que
dans une affaire qui, ayant déjà donné lieu à un arrêt de la Section du
o
contentieux le 8 juin 2009 (req. n  322236, Élections municipales de Corbeil-
Essonnes, Lebon 222   ; RFDA 2010. 280, concl. Derepas   ; AJDA 2009.
1729, note Maligner  ), revenait au Conseil d'État par la voie d'un recours en
rectification d'erreur matérielle et d'un recours en révision : en raison des
exigences du principe d'impartialité, aucun des membres ayant participé à
l'adoption du premier arrêt ne pouvait statuer sur ces recours ; en
particulier, le président et les présidents adjoints de la Section du
contentieux, qui président normalement les sous-sections réunies, ne
pouvaient le faire ; c'est donc le vice-président qui a présidé les sous-
o
sections réunies en cette circonstance (CE 7 sept. 2009, req. n  330040  ,
Dassault, RFDA 2010. 288, concl. Bourgeois-Machureau  , note Pacteau  ).

79.  En dehors du Conseil d'État, le vice-président exerce encore d'autres


fonctions. Beaucoup lui reviennent ès qualités : président du conseil
d'administration de l'École nationale d'administration (Décr. 10 janv. 2002,
art. 4), de la Commission pour la transparence financière de la vie politique
(L. 11 mars 1988, art. 3), de la Commission nationale de contrôle de la
campagne électorale pour l'élection du président de la République (Décr.
8 mars 2011, art. 13). Il participe à la désignation des membres,
généralement du Conseil d'État, d'autres organismes – soit en les nommant
lui-même (par ex., le président de la Commission d'accès aux documents
administratifs : L. 6 janv. 1978, art. 23 ; deux membres du Comité de
50
règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de
l'énergie : C. Énergie, art. L. 132-3 ; deux membres de la Commission des
sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel : C. mon. fin., art. L. 612-9   ;
un membre du collège de l'Autorité des marchés financiers : art. L. 621-2 
du même code, et deux membres de la Commission des sanctions de cette
autorité : art. L. 621-7  ) – soit en proposant leur nomination (par ex. à la
Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques : C. élect., art. 52-14 ; au comité national et aux comités
régionaux ou interrégionaux de règlement amiable des différends ou litiges
o
relatifs aux marchés publics : Décr. n  2001-797 du 3 sept. 2001 ; à la
o
Commission supérieure de codification : Décr. n  89-647 du 12 sept. 1989 ;
au Conseil national de la formation des élus locaux : CGCT, art. R. 1221-1  -
o
2  ; au collège de l'Autorité de contrôle prudentiel : C. mon. fin., art. L. 612-
5   ; à l'Agence française de lutte contre le dopage : C. sport, art. L. 232-
o
6  , 1 ). Il peut être aussi appelé occasionnellement à présider des
commissions constituées pour l'étude de certaines questions, en France et
au-delà. Par exemple, l'actuel vice-président a été appelé par le président de
la République à présider une commission de réflexion pour la prévention des
conflits d'intérêts dans la vie publique, qui a remis son rapport le 26 janvier
2011 ; le Conseil de l'Union européenne l'a nommé, le 25 février 2010,
président du comité prévu à l'article 225 du Traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne pour donner un avis sur le recrutement des juges et
avocats généraux de la Cour de justice et du Tribunal de l'Union européenne.

Art. 2 - Les organes collégiaux

80. Deux organes collégiaux, dont l'importance est inversement


proportionnelle à leur existence officielle, contribuent, auprès du vice-
président, à l'administration du Conseil d'État : le bureau et la commission
consultative.

81.  Le bureau n'a pas d'existence officielle : aucun texte n'en fait
expressément état, mais la formule selon laquelle le vice-président délibère
avec les présidents de section, comme c'est le cas pour certaines
nominations, affectations ou appréciations (CJA, art. L. 133-8   ;
art. R. 121-15   ; art. R. 122-4   ; art. R. 122-7   ; art. R. 123-5   ;
art. R. 123-6   ; art. R. 123-7   ; art. R. 123-22   ; art. R. 134-4 ;
art. R. 134-6 ; art. R. 134-8), ou décide ou propose après avis des
présidents de section, comme c'est le cas pour des affectations au sein du
Conseil d'État (CJA, art. R. 121-6   ; R. 121-9 ; art. R. 122-6  ), correspond

51
pour partie à ce qu'on appelle couramment le bureau. Il s'agit en fait d'un
organe important, dont la réunion est fréquente, qui contribue à l'adoption
de mesures pouvant être vitales pour le Conseil d'État. Il est constitué, sous
la présidence du vice-président, des sept présidents de section, du secrétaire
général et des secrétaires généraux adjoints. Outre les questions qui, d'après
les textes, donnent lieu à la délibération ou à l'avis des présidents de section,
y viennent celles d'intérêt commun au Conseil d'État que le vice-président y
porte, même lorsqu'il pourrait se prononcer seul. On ne peut avoir
connaissance du rôle de cet organe que par la pratique.

82.  La commission consultative fait l'objet de dispositions expresses dans le


code de justice administrative (CJA, art. L. 132-1  à L. 132-3 ; art. R. 132-
1 à R. 132-3). La particularité du Conseil d'État dans le système administratif
français explique qu'il n'y ait été créé ni commission administrative paritaire
ni comité technique paritaire, contrairement au droit commun de la fonction
publique. La commission consultative en tient lieu. Placée auprès du vice-
président, qui la préside, elle est composée des sept présidents de section et
de six membres du Conseil élus à raison de deux par grade (conseiller d'État,
maître des requêtes, auditeur), et leurs suppléants.

ACTUALISATION
82. Commission supérieure du Conseil d'État. - L'ordonnance du
13 octobre 2016 a remplacé la commission consultative qui était
compétente en matière de personnel, d'organisation et de
fonctionnement par la commission supérieure du Conseil d'État (Ord.
o
n  2016-1365 du 13 oct. 2016, JO 14 oct.). Cette commission est
devenue l'instance de dialogue social et de discipline au sein du Conseil
o
d'État (CJA, art. L. 132-1  et L. 132-2  ). Le décret n  2017-271 du
2 mars 2017 (JO 3 mars) détermine les règles de fonctionnement de
cette commission (CJA, art. R.*132-1 à R.*132-7).

83. Son rôle est double. D'une part, elle peut être consultée sur toutes les
questions intéressant le statut des membres du Conseil d'État et, plus
généralement, sur tous les problèmes intéressant l'organisation et le
fonctionnement du Conseil d'État : c'est pourquoi on en traite ici au titre des
organes du Conseil d'État dans son ensemble. D'autre part, elle doit être
saisie au sujet des mesures individuelles concernant l'avancement des
membres du Conseil d'État et leur discipline (sauf pour l'avertissement et le
blâme : CJA, art. L. 133-8  ) : à ce sujet ne siègent que, d'un côté, le vice-
président et deux présidents de section, de l'autre, deux titulaires et un
suppléant du grade de la personne faisant l'objet de la mesure (par ex. les
deux conseillers d'État titulaires et un conseiller d'État suppléant, si cette
52
personne est elle-même conseiller d'État). Il ne paraît pas qu'il s'agisse en
fait d'une institution très importante.

ACTUALISATION
83. La commission supérieure du Conseil d'État est consultée par le vice-
président du Conseil d'État sur les questions intéressant la compétence,
l'organisation ou le fonctionnement du Conseil d'État. Elle émet un avis
sur toute question relative au statut des membres du Conseil d'État. Elle
peut également être consultée sur toute question générale relative à
l'exercice de leurs fonctions. Elle débat chaque année des orientations
générales en matière de recrutement. Elle émet un avis sur les
propositions de nomination au titre des articles L. 133-8 et L. 133-12
ainsi que sur les propositions de nomination aux fonctions de président
de cour administrative d'appel. La commission donne également son avis
sur les mesures individuelles concernant l'avancement des membres du
Conseil d'État (CJA, art. L. 132-2  ). Le décret du 2 mars 2017 précise
que la commission est saisie des faits motivant la poursuite disciplinaire
par le vice-président du Conseil d'État (CJA, art. R.*136-1). Le texte fixe
la procédure : garanties fondamentales, conditions de délais, sanctions,
notification de la sanction… (CJA, art. R.*136-2 à R.*136-7).

Art. 3 - Le secrétariat général

84. Le secrétariat général s'est développé en importance quantitative et


qualitative en même temps que s'est accru le rôle du Conseil d'État. Le
décret du 22 février 2010, en renforçant certaines attributions des membres
du secrétariat général, a officialisé cette croissance. Placé sous l'autorité du
vice-président, le secrétariat général assure l'administration du Conseil
d'État. Il est dirigé par le secrétaire général, lui-même assisté de secrétaires
généraux adjoints. Il englobe aujourd'hui des services diversifiés et un
personnel nombreux (STIRN, Le secrétaire général du Conseil d'État,
Mélanges Dupuis, 1997, Economica, p. 279).

85.  Le secrétaire général est l'agent central de l'administration du Conseil


(CJA, art. R. 121-9  ). Les conditions de sa nomination le montrent : il est
choisi parmi les conseillers d'État et les maîtres des requêtes ; le vice-
président fait des présentations après avis des présidents de section ; le
garde des Sceaux, ministre de la Justice, en fait une proposition ; la
nomination revient au président de la République par décret. Ce formalisme

53
ne doit pas cacher qu'en réalité le choix du vice-président et du bureau est
déterminant.

86. Cela se comprend si l'on observe que, « sous l'autorité du vice-président,


le secrétaire général dirige les services du Conseil d'État et prend les
mesures nécessaires à la préparation de ses travaux, à leur organisation et à
la gestion du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel ». Il assure le secrétariat de l'assemblée générale, dans ses deux
o
formes (infra, n  103) (art. R. 123-19).

87. Il est assisté, voire suppléé, par des secrétaires généraux adjoints, dont
la nomination parmi les membres du Conseil d'État appartient au vice-
président (art. R. 121-10). Ils sont actuellement deux. L'un s'occupe plus
particulièrement de la gestion du corps des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel, assistant spécialement le vice-président dans
cette fonction, l'autre de la gestion du Conseil d'État.

88. Le secrétaire général et les secrétaires généraux adjoints reçoivent


délégation du vice-président pour signer tous actes et arrêtés concernant la
gestion administrative et budgétaire du Conseil d'État (art. R. 121-11) : cela
souligne l'étendue de leur rôle, qui s'aligne sur les attributions
administratives du vice-président au sein du Conseil. D'ailleurs la possibilité
de donner également délégation aux chefs de service du Conseil d'État et
aux fonctionnaires du secrétariat général appartenant à un corps de
catégorie A ainsi qu'aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau
équivalent illustre encore le développement croissant des services du Conseil
d'État et de leur rôle.

89.  Les services du Conseil d'État dépendant du secrétariat général


comportent actuellement, selon les informations aimablement communiquées
par le secrétaire général, sept directions (ressources humaines, prospective
et finances, systèmes d'information, affaires immobilières, communication,
accueil et sécurité, bibliothèque et archives) et le centre de formation de la
justice administrative.

90. Les agents relevant du secrétariat général sont aujourd'hui plus de 600,


dont la moitié est affectée au Conseil d'État, l'autre à la Commission
nationale du droit d'asile (même source). Leurs statuts sont diversifiés
o
(V. notamment le décret n  2012-190 du 7 févr. 2012 relatif aux emplois de
directeur de service et de chef de service au Conseil d'État et à la Cour
nationale du droit d'asile). Pour l'essentiel ils appartiennent à la fonction
publique : relèvent de la catégorie A les chefs de services administratifs (7)
et les attachés d'administration du Conseil d'État (180), de la catégorie B les

54
secrétaires administratifs (plus de 100), de la catégorie C les adjoints
administratifs (260) et les adjoints techniques (51) ; s'y ajoutent des
contractuels (143) et des vacataires (12), et une dizaine de fonctionnaires
détachés au Conseil d'État. Tous sont des agents du Conseil d'État, distincts
os
des membres du Conseil d'État proprement dits (infra, n  141 s.).

Section 2 - Les formations du Conseil d'État

91. À la dualité des fonctions du Conseil d'État (administratives,


contentieuses) correspond la dualité de ses formations. Leur distinction, qui
a été accentuée par les réformes récentes, en particulier par le décret du
6 mars 2008, n'empêche pas des liens entre elles, assurant l'unité de
os
l'institution (supra, n  36 s.).

er
Art. 1 - Les formations administratives

92. Les formations administratives du Conseil d'État sont elles-mêmes


diversifiées. À la base sont constituées des sections administratives. Elles
sont prolongées par des formations communes. Si elles sont composées
exclusivement de membres du Conseil d'État, la participation de tiers est
prévue dans certains cas.

er
§ 1 - Les sections administratives

93. Les sections administratives ont été progressivement diversifiées pour


tenir compte à la fois des modifications propres à l'organisation
administrative et de l'extension du rôle du Conseil d'État. Aujourd'hui elles
sont six. Elles n'ont pas toutes le même rôle ni, corrélativement, la même
o
organisation. Le décret n  2008-225 du 6 mars 2008 les a sensiblement
réorganisées (V. DELVOLVÉ, MODERNE et STIRN, Entretien, RFDA 2008.
213  . – GONOD, Le Conseil d'État à la croisée des chemins, AJDA 2008.
630  ). Il faut distinguer les cinq sections administratives que l'on peut
considérer comme spécialisées et la Section du rapport et des études.

94. La spécialisation et le nombre des sections administratives ont varié au


cours de l'histoire du Conseil d'État. Des cinq qui existent actuellement, les
o
quatre premières ont été réaménagées par le décret n  63-766 du 30 juillet

55
1963 : ce sont les sections de l'intérieur, la section des finances, la section
des travaux publics et la section sociale. Le décret du 6 mars 2008 y a ajouté
la section de l'administration – intitulé qui prête à discussion car les autres
sections administratives s'occupent aussi de l'administration. En réalité, les
quatre premières sections ont une spécialisation par « secteurs »
correspondant pour l'essentiel à leur intitulé ; la cinquième a une mission
transversale, permettant de traiter des questions relatives à toutes les
fonctions publiques, qui étaient réparties auparavant entre trois sections
(finances, intérieur, sociale), et aux moyens d'action de l'administration (par
ex. contrats publics, propriétés publiques, relations avec les usagers). La
répartition des affaires entre ces cinq sections fait l'objet d'un arrêté du
Premier ministre et du garde des Sceaux, ministre de la Justice, pris sur
proposition du vice-président du Conseil d'État (CJA, art R. 123-3). Le
dernier arrêté date du 4 juillet 2008.

95. Chaque section administrative, selon l'article R. 123-6 du code de justice


administrative auquel le décret du 6 mars 2008 a donné une nouvelle
rédaction, est composée d'un président (qui est un grade) et d'au moins six
conseillers d'État en service ordinaire, dont l'un est choisi parmi les
o
assesseurs des sous-sections du contentieux (infra, n  126) – ce qui permet
un lien entre les formations administratives et les formations contentieuses.
Le président de la section est assisté de présidents adjoints nommés parmi
les conseillers d'État par le vice-président, après avis des présidents de
section. Chaque section comporte des conseillers d'État en service
extraordinaire, des maîtres ded requêtes et des auditeurs. La particularité de
la Section du rapport et des études comporte la désignation, par le vice-
président après avis des présidents de section, d'un rapporteur général
(conseiller d'État ou maître des requêtes) uniquement affecté à cette section,
auquel peuvent être adjoints des maîtres des requêtes ou auditeurs (CJA,
art. R. 123-7  ).

ACTUALISATION
95. Sections administratives. Composition. - Un décret du
28 septembre 2012 modifie le premier alinéa de l'article R. 123-6 du
code de justice administrative. Les mots : « dont l'un choisi parmi les
assesseurs des sous-sections de la section du contentieux » sont donc
o
supprimés (Décr. n  2012-1088 du 28 sept. 2012, art. 7, JO 29 sept.).

96. Le décret du 6 mars 2008 a permis une diversification du fonctionnement


des sections administratives et accru les pouvoirs de leur président à cet
égard. C'est au président de section qu'il revient notamment de déterminer
si la formation plénière de la section doit être réunie en raison de
56
l'importance des affaires portées à l'ordre du jour ; à défaut, la section se
réunit en formation ordinaire dans une composition qu'il fixe à hauteur d'au
moins sept membres (CJA, art. R. 123-6-1  ), le quorum devant réunir au
moins trois membres autour du président (art. R. 123-8  ). Le même décret
a rehaussé le rôle des membres de la section en donnant à tous voix
délibérative, et non plus seulement comme auparavant aux conseillers d'État
ou aux autres membres qui, ne l'étant pas, rapportent une affaire. Le
rapporteur (voire le cas échéant plusieurs) joue un rôle important : il
accomplit toutes diligences nécessaires, notamment en relation avec les
administrations desquelles est issu le projet ou la demande dont la section
est saisie.

97. Des affaires peuvent intéresser plus qu'une section administrative. Le


décret du 6 mars 2008 a diversifié les possibilités d'associer alors plusieurs
sections, selon une gradation comportant trois solutions. Tout d'abord, dans
le cas où une affaire attribuée à une section ressortit à des « secteurs »
relevant de sections différentes, un ou plusieurs conseillers appartenant à
chacune des sections intéressées peuvent être appelés à prendre part aux
délibérations de la section compétente (CJA, art. R. 123-6  , al. 3). En
second lieu, le vice-président du Conseil d'État peut décider pour une affaire
déterminée de réunir à la section administrative compétente une autre
section (art. R. 123-10  , al. 1). Enfin, s'il y a lieu de réunir plusieurs
sections, il décide la constitution et la composition d'une commission
comportant des représentants de toutes les sections intéressées (y compris,
le cas échéant, de celle du contentieux). Il préside normalement les deux
types de formations élargies des sections (art. R. 123-10  ). Une section ou
les sections réunies peuvent suffire à l'examen d'un texte ou d'une question :
il n'y a alors pas lieu de porter l'affaire en assemblée générale.

98.  La Section du rapport et des études est issue de la réforme du Conseil


o
d'État en 1963. Le décret n  63-766 du 30 juillet 1963 (art. 3) a prévu
chaque année la présentation par le Conseil d'État au gouvernement d'un
rapport sur l'activité de ses formations administratives et contentieuses, dont
la préparation devait incomber à une commission constituée par le vice-
président du Conseil d'État. Elle devait intervenir aussi pour les difficultés
relatives à l'exécution des décisions des juridictions administratives. Ce
n'était donc, ni par son objet ni par son statut, un organe de même rang que
les sections administratives. Elle l'a progressivement acquis, non pas quand
son objet a été étendu du rapport aux études (Décr. 26 août 1975), mais
lorsqu'elle a été transformée en Section du rapport et des études par le
o
décret n  85-90 du 24 janvier 1985, permettant ainsi à son président
(nommé dès le lendemain), à défaut d'être nommé à la tête de la Section du
contentieux, de participer au moins à l'assemblée du contentieux (V. infra,

57
o o
n  137) (sur cette nouvelle section, V. CHAPUISAT, EDCE 1985, n  36,
p. 149. – J.-P. COSTA, in AJDA 1985. 265).

99. Si la composition de la Section du rapport et des études est pour


l'essentiel du même type que celle des autres sections administratives, une
particularité tient à son rapporteur général (conseiller d'État ou maître des
requêtes) qui, nommé par le vice-président du Conseil d'État, lui est
exclusivement affecté ; des rapporteurs adjoints (maître des requêtes ou
auditeurs) peuvent avoir la même affectation exclusive (art. R. 123-7).

100. Le rapport et les études sont l'œuvre de la Section. Rendant compte de


l'activité du Conseil d'État dans son ensemble, le rapport est établi en
relation étroite avec les autres formations du Conseil. Le recours à des tiers
o
est systématique pour les études (infra, n  242). Chacune d'entre elles
donne lieu d'une part à la constitution d'un groupe de travail, dans lequel
figurent non seulement des membres du Conseil d'État mais aussi des
membres qui lui sont extérieurs (en particulier des représentants des
administrations, magistrats, avocats, universitaires), d'autre part à l'audition
de personnalités qualifiées dans le domaine étudié. Délibérés par la Section,
le rapport annuel et les études sont ensuite adoptés par l'Assemblée
générale du Conseil. L'examen des difficultés relatives à l'exécution des
décisions des juridictions administratives est entrepris en relation avec la
Section du contentieux.

101. Il faut souligner que depuis quelques années la Section du rapport et


des études a organisé d'importants colloques (par exemple sur le patrimoine
des personnes publiques) et cycles de conférences (par exemple sur le droit
européen des droits de l'homme, la démocratie environnementale)
(SCHRAMECK, Le nouveau triptyque de la Section du rapport et des études,
AJDA 2012. 1216  ).

§ 2 - Les formations administratives communes

102. Par formations administratives communes, on désigne deux organes


qui, toujours pour l'exercice des fonctions administratives du Conseil d'État,
assurent le rôle de celui-ci en réunissant d'une manière transversale, dans
un cas de manière large, dans l'autre de manière restreinte, des membres du
Conseil d'État indépendamment de la division en sections : il s'agit de
l'Assemblée générale et de la Commission permanente.

103.  L'Assemblée générale (à ne pas confondre avec l'Assemblée du


o
contentieux, infra, n  135) apparaît comme l'organe réunissant tous les
58
membres du Conseil d'État à partir du grade de conseiller. Tel a été le cas
pendant longtemps. À ce sujet encore, la réforme de 1963 a voulu remédier
à ce que le pouvoir a pu considérer comme certaines déviances ou en tout
cas comme certaines lourdeurs, en distinguant l'assemblée générale plénière
et l'assemblée générale ordinaire (CJA, art. R. 123-12  ).

104. L'assemblée générale plénière comprend, avec voix délibérative, le


vice-président, les présidents de section et les conseillers d'État – ce qui fait
au total plus de cent membres. Les maîtres des requêtes et auditeurs y ont
accès, avec voix délibérative lorsqu'ils rapportent une affaire, et voix
consultative dans les autres cas (art. R. 123-13).

105. L'assemblée générale ordinaire constitue désormais l'assemblée le plus


couramment réunie, d'autant plus que le décret du 6 mars 2008 a supprimé
la disposition selon laquelle l'assemblée générale plénière devait être réunie
au moins douze fois par an et deux fois par trimestre. Elle comprend, avec
voix délibérative, le vice-président, les présidents de section, l'un des
présidents-adjoints de la Section du contentieux, les présidents adjoints des
sections administratives, des conseillers d'État affectés à la Section du
contentieux désignés chaque année par le vice-président sur proposition du
président de cette section, un conseiller d'État par section administrative
désigné chaque année par le vice-président sur proposition des présidents de
chacune de ces sections – soit une trentaine de personnes. Des suppléants,
désignés dans les mêmes conditions, peuvent les remplacer. Les autres
membres du Conseil d'État peuvent participer à l'assemblée générale
ordinaire, normalement avec voix consultative, mais avec voix délibérative
lorsqu'ils sont rapporteurs (art. R. 123-14).

106. La distinction des deux assemblées n'empêche pas des règles


communes. Il ne faut pas attacher d'importance à la possibilité d'une
présidence par le Premier ministre et, en son absence, par le garde des
Sceaux, ministre de la Justice, qui n'est utilisée que pour des séances
protocolaires (art. L. 121-1) : elle n'est que le reste d'un rattachement
historique, et aujourd'hui théorique, du Conseil d'État au gouvernement. Ce
qui restait théorique avec la possibilité pour les ministres de participer à
l'assemblée générale, chacun avec voix délibérative pour les affaires de son
département, a disparu avec le décret du 6 mars 2008, qui a abrogé
l'article R. 123-15 du code de justice administrative, alignant ainsi le droit
sur le fait. En revanche restent effectives comme règles communes aux deux
formes d'assemblée la présidence (avec voix prépondérante) par le vice-
président ou, à défaut, le président de section le plus ancien (art. R. 123-
15), et les règles de quorum (art. R. 123-17) : normalement la moitié des
membres ayant voix délibérative, ramenée au quart pour l'assemblée

59
plénière et même, pendant la période des vacances annuelles, pour
l'assemblée ordinaire.

107. Les compétences respectives de l'assemblée générale plénière et de


l'assemblée générale ordinaire peuvent à première vue paraître différentes.
En réalité, à l'exception de l'élection des représentants du Conseil d'État dans
certains organismes (par exemple la Commission nationale de l'informatique
et des libertés : L. 6 janv. 1978, art. 1 ; le Conseil supérieur de la
magistrature : LO 5 févr. 1994, art. 5 mod. par celle du 22 juill. 2010), qui
n'appartient qu'à l'assemblée générale plénière, l'une et l'autre peuvent être
saisies des mêmes projets, comme elles peuvent ne pas en être saisies du
tout (CJA, art. R. 123-20  ). Les principaux textes (lois, ordonnances,
décrets de l'article 37 de la Constitution) et les affaires considérées comme
importantes par les ministres intéressés, le vice-président, le président de la
section compétente ou la section elle-même, sont portés normalement en
assemblée ordinaire, mais ils peuvent être renvoyés à l'assemblée plénière
soit par le vice-président soit par l'assemblée ordinaire elle-même ; des
textes appartenant aux mêmes catégories ne présentant ni importance ni
difficulté peuvent, par une décision du vice-président prise sur proposition du
président de la section compétente, ne pas être portés à l'assemblée
générale (ni ordinaire ni plénière) et n'être examinés qu'en section. Le
système comporte une souplesse qui d'une part donne au vice-président un
rôle essentiel, d'autre part évite d'encombrer inutilement l'assemblée
générale, même ordinaire. Ainsi l'Assemblée générale, qui a tenu au total
trente-sept séances en 2010 et trente-quatre en 2011, n'en a tenu en
plénière respectivement que sept en 2010 et neuf en 2011, les autres
séances étant celles de l'Assemblée générale ordinaire (Rapport public pour
2011, p. 127).

108. En assemblée générale, le rapporteur est en quelque sorte le porte-


parole de la section qui a adopté le projet soumis à l'assemblée. Même si au
sein de sa section il était d'une position contraire à celle qu'elle a adoptée,
c'est la position de la section et non la sienne qu'il présente et défend, tout
en restant libre d'exprimer sa position personnelle et de voter.

109. La Commission permanente est un organe qui relève de la même


recherche de souplesse. Elle comprend le vice-président, un président de
section administrative, deux conseillers d'État par section – soit en principe
au total seize membres. Mais ce nombre peut être plus élevé, par
l'adjonction du ou des présidents des sections intéressées et de deux
conseillers d'État de la section qui aurait été normalement compétente. On
peut relever de nouveau le rôle du vice-président dans la composition de la
Commission permanente, soit pour présenter le nom du président de section

60
qui sera désigné par le Premier ministre soit pour désigner lui-même les
conseillers d'État (art. R. 123-22). En fait autant qu'en droit, l'avis ou la
proposition des présidents de section en nuancent l'exercice. Au sein de la
Commission permanente, un rapporteur est désigné pour chaque affaire
(voire plus si l'affaire est importante).

110. La Commission permanente n'intervient, selon les textes, que « pour


l'examen des projets de loi ou d'ordonnance dans les cas exceptionnels où
l'urgence est signalée par le ministre compétent et expressément constatée
par une décision spéciale du Premier ministre mentionnée par les visas »
(art. R. 123-21). Le gouvernement ne paraît pas avoir une conception très
rigoureuse de ce qui est exceptionnel et urgent. Venant après bien des
o
regrets antérieurs, le rapport du Conseil d'État pour 2010 (EDCE n  62,
2011, p. 10) relevait « la fréquence des saisines en urgence qui, pour une
part non négligeable des textes, se révèle a posteriori n'avoir pas été
justifiée » (V. également p. 94-95). Le rapport pour 2011 relève encore
(p. 130) que « cette urgence est peu admissible pour des saisines très
tardives ». La sanction du contentieux ne s'est pas encore appliquée à de
telles dérives. Mais, de même que pour l'application de certaines législations
(par exemple en matière d'expropriation, d'expulsion d'étrangers), le Conseil
d'État a pu censurer l'utilisation injustifiée de procédures d'urgence, on
pourrait concevoir qu'il censure au contentieux un texte pris au prétexte
d'urgence après avis de la Commission permanente alors que l'urgence ne le
justifiait pas. Cela se pourrait pour un acte administratif tel qu'une
ordonnance non ratifiée ou un décret, non pour une loi, qui échappe au
contrôle contentieux du Conseil d'État. Mais le Conseil constitutionnel, qui a
censuré une disposition législative d'initiative gouvernementale n'ayant pas
donné lieu à consultation du Conseil d'État (Cons. const. 3 avr. 2003,
o
n  2003-468 DC  , Rec. Cons. const., p. 325), censurerait-il une loi dont le
projet aurait fait l'objet d'un examen seulement par la Commission
permanente du Conseil d'État, au motif d'une urgence invoquée par le
gouvernement qui n'existait pas ? Il ne le ferait sans doute qu'en présence
d'une manœuvre flagrante ayant conduit à de graves conséquences au fond,
et dans un contexte politique particulier comme ce fut le cas en 2003. Il ne
faut pas trop compter sur le contentieux pour mettre fin aux abus du recours
à la Commission permanente. De toute façon, la Commission permanente
peut décider de renvoyer après instruction l'affaire dont elle est saisie à
l'assemblée générale. Finalement, c'est à la Commission permanente elle-
même qu'on pourrait reprocher de ne pas avoir usé d'un pouvoir dont elle
dispose.

111. Les mêmes observations peuvent être faites au sujet de l'intervention


de la Commission permanente pour l'examen d'une proposition de loi à la

61
demande du président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, dont celui-ci
« constate l'urgence » : c'est au vice-président du Conseil d'État qu'il
appartient de décider l'examen de la proposition par la Commission
permanente, et celle-ci pourrait tout aussi bien encore renvoyer le texte à
l'assemblée générale.

112. Finalement, dans tous les cas, il revient au Conseil d'État, soit par son
vice-président soit par sa Commission permanente, de résister aux
proclamations d'urgence destinées à éviter le recours à l'assemblée générale
ou même seulement aux sections administratives, puisque aussi bien
certains textes ou certaines questions peuvent n'être examinés que par elles
o
(supra, n  107).

§ 3 - La participation de tiers

113. Les formations administratives du Conseil d'État, si elles réunissent


exclusivement les membres de celui-ci, soit avec voix délibérative soit avec
voix consultative, peuvent comporter la participation de personnes n'en
faisant pas partie. Cette participation peut être institutionnelle ; elle peut
être personnelle.

114. Elle est officiellement organisée pour permettre aux représentants de


certaines institutions d'être présents aux délibérations du Conseil et même
d'y prendre la parole, sans toutefois avoir voix délibérative. La solution
ancienne et classique est celle des commissaires du gouvernement (dont
l'appellation correspond exactement à leur statut et à leurs fonctions). Ils
sont désignés soit de manière permanente par décret pour représenter un
département ministériel soit à l'occasion par arrêté ministériel pour une
affaire déterminée ; ils assistent aux séances des différentes formations
administratives pour exposer (voire défendre) la position de l'administration
qu'ils représentent (CJA, art. R. 123-24  ). L'expérience montre que cette
position peut être mise à mal par le Conseil et qu'ils peuvent se retrouver
mal à l'aise.

115. Depuis que le Conseil d'État peut être saisi par des autorités autres que
le gouvernement, les textes leur ont permis de se faire représenter auprès
des formations administratives du Conseil : auteur d'une proposition de loi,
avec les personnes qu'il désigne pour l'assister (art. R. 123-5) ; agents
publics désignés par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
pour l'examen des projets et propositions de lois du pays de cette
collectivité, ainsi que pour d'autres affaires (art. R. 123-6) ; agents publics
désignés par le Défenseur des droits, voire le Défenseur lui-même, pour

62
l'examen des demandes d'avis qu'il a adressées au Conseil (art. R. 123-24-
2).

116. La participation de tiers peut être personnelle à l'initiative du Conseil


d'État lui-même. Indépendamment de la participation à des études de
o
personnalités choisies en raison de leur compétence (supra, n  100), une
innovation du décret du 6 mars 2008 (CJA, art. R. 123-6  ) permet au vice-
président du Conseil d'État et au président d'une section administrative
intéressée d'appeler à prendre part à des formations administratives, avec
voix consultative, « les personnes que leurs connaissances spéciales
mettraient en mesure d'éclairer les discussions ». Ainsi est étendue aux
formations administratives l'institution de l'« amicus curiae » qui a été créée
en même temps auprès des formations contentieuses (CJA, art. R. 625-3  ,
issu du décr. du 22 févr. 2010). L'avenir dira si la solution est effectivement
utilisée, et avec profit.

117. Nulle autre personne ne peut être appelée à participer ou même


seulement à assister aux formations administratives – ce qui est normal.
Pourtant des personnes privées peuvent avoir intérêt à faire valoir leurs
positions sur des projets de textes ou des questions posées au Conseil. Rien
ne leur interdit de communiquer à celui-ci des observations écrites. Elles le
font parfois par l'intermédiaire d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation. Il s'agit de pratiques informelles, qu'aucun texte ne prévoit ni
n'encadre. Le Conseil d'État, et notamment le rapporteur, peut prendre
connaissance de ces observations, mais il n'y a pas lieu d'y répondre
officiellement.

Art. 2 - Les formations contentieuses

118. Les formations contentieuses du Conseil d'État sont articulées autour


de la Section du contentieux. Celle-ci n'est pas seulement une formation de
o
jugement (infra, n  131) et elle n'est pas la seule formation de jugement.
Elle est la structure à partir de laquelle le Conseil d'État exerce ses fonctions
contentieuses. Elle a une composition et une organisation qui lui sont
propres, distinctes de celles des sections administratives. Ses membres sont
le président et ses trois présidents adjoints, pour chacune des dix sous-
sections un conseiller d'État en service ordinaire qui la préside et deux autres
chargés des fonctions d'assesseurs, des conseillers d'État en service
ordinaire, des maîtres des requêtes et des auditeurs chargés des fonctions de
rapporteur ou de rapporteur public. Aucun conseiller d'État en service
extraordinaire ne participe au contentieux. La participation de conseillers

63
d'État en service ordinaire qui appartiennent aux sections administratives
avait été renforcée par la réforme de 1963 pour éviter un cloisonnement des
formations administratives et des formations contentieuses. Elle a au
contraire été limitée par la réforme de 2008 pour éviter de tomber sous la
condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme dans le
o o
prolongement de sa jurisprudence Procola de 1995 (supra, n  20 et n  38).
Les liens entre formations administratives et formations contentieuses n'ont
pas pour autant été rompus : des membres de la Section du contentieux
participent à des formations administratives (notamment à l'assemblée
générale) ; des membres de sections administratives participent à des
formations contentieuses (notamment à l'assemblée du contentieux). Des
précautions sont prises pour que des membres du Conseil d'État ayant connu
ou même seulement pu connaître d'une question au sein d'une formation
os
administrative ne participent pas à une formation contentieuse (supra, n  39
o
et 40, et infra n  138).

119. L'importance du rôle du président de la Section du contentieux et de


ses adjoints justifie qu'un développement particulier lui soit consacré, avant
d'identifier les trois types de formations.

er
§ 1 - La présidence de la Section du contentieux

120. La présidence de la Section du contentieux correspond à un grade du


o
corps du Conseil d'État (infra, n  170) comme celle des autres sections. Le
président est nommé par décret en Conseil des ministres sur proposition du
garde des Sceaux, ministre de la Justice, parmi les conseillers d'État en
service ordinaire (art. L. 133-2) ; l'usage (qui se rapproche de la coutume),
non prévu par les textes, est que le bureau du conseil présente un seul nom
(et non trois comme pour les autres présidents de section) ; il est rare que
ce nom ne soit pas retenu par le gouvernement, mais le cas a pu se
produire.

121. Le président de la Section du contentieux a un rôle propre dans


l'administration de cette formation. Il propose au vice-président la
composition des groupements de sous-sections (art. R. 122-11), la
nomination des rapporteurs publics (art. R. 122-5), il émet un avis sur la
nomination des assesseurs de sous-section (art. R. 122-7), répartit entre les
sous-sections les autres membres du Conseil d'État affectés au contentieux
(art. R. 122-9) et prend les dispositions nécessaires pour compléter une
sous-section dont l'effectif serait incomplet (art. R. 122-10). Il peut décider
de renvoyer une affaire en section ou en assemblée (art. R. 122-17). Il a
64
évidemment un rôle juridictionnel, soit pour présider des formations de
jugement (au premier chef la section, mais aussi éventuellement les sous-
sections réunies, les sous-sections jugeant seules, et en cas d'empêchement
ou de déport du vice-président, l'assemblée), soit pour rendre lui-même,
comme juge unique, certaines décisions (art. R. 122-12. – V. infra,
o
n  133). – CARRAUD, Le président de la Section du contentieux, RD publ.
1980. 1403. – CASSIA, Le président de la Section du contentieux du Conseil
d'État, Mélanges Labetoulle, 2007, Dalloz, p. 125).

122. Les présidents adjoints, au nombre de trois aujourd'hui, ont pris une


importance qu'ils n'avaient pas naguère. Ils sont désignés par décret du
Premier ministre, pris sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la
Justice, après présentation du vice-président délibérant avec les présidents
de section (art. R. 122-4). En fait c'est le bureau du Conseil d'État qui
décide. L'usage est de nommer présidents adjoints les plus anciens
présidents de sous-section. Leur nomination leur attribue une fonction et non
un grade : ils gardent celui de conseiller d'État qu'ils avaient avant d'être
présidents adjoints. Leur rôle s'accroît auprès du président de Section. Ils
président normalement les sous-sections réunies. Ils participent à la Section
et à l'Assemblée du contentieux. Ils reçoivent délégation du président de
section pour statuer sur certaines demandes (art. R. 122-24).

123. Le président et les présidents adjoints se réunissent en une formation


qu'aucun texte ne prévoit mais dont l'importance doit être soulignée en fait.
Elle est couramment appelée « troïka ». Elle traite de questions
contentieuses d'intérêt commun. Spécialement elle revoit les principaux
arrêts rendus avant qu'ils soient lus. Elle peut décider éventuellement de
renvoyer l'affaire à une formation supérieure (LABETOULLE, Une histoire de
Troïka, Mélanges Dubouis, 2002, Dalloz, p. 83).

124. Une autre formation non prévue par les textes réunit en principe deux
fois par trimestre autour du président de la Section du contentieux les trois
présidents adjoints et les dix présidents de sous-section, d'où son appellation
familière de G14. Elle examine notamment l'organisation du contentieux.
Cette organisation a fait l'objet d'un « Projet de la Section du contentieux du
Conseil d'État 2012-2014 », document dont la portée pratique est supérieure
à la valeur juridique.

125. De la présidence de la Section du contentieux dépend le Secrétariat de


celle-ci, dont l'importance doit être soulignée. Elle justifie les particularités
de la nomination du secrétaire (par le Premier ministre) et du secrétaire
adjoint (par le vice-président), et les précisions sur leur rôle (art. R. 122-
26 s.).

65
§ 2 - Les sous-sections

126. Les sous-sections sont actuellement au nombre de dix (elles ont été un


temps onze). Chacune est composée d'un président (conseiller d'État auquel
cette fonction est attribuée par arrêté du Premier ministre, sur proposition du
garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur présentation du vice-président
prise après avis du président et des présidents adjoints de la Section du
contentieux) (art. R. 122-6), de deux conseillers d'État désignés comme
assesseurs par le vice-président après avis du président et des présidents
adjoints de la Section du contentieux (art. R. 122-7), et d'autres membres
du Conseil d'État, de tout grade, affectés à la sous-section comme
rapporteur ou rapporteur public par le président de la Section après avis des
présidents adjoints et des présidents de section (art. R. 122-9). Une sous-
section ne peut délibérer que si y sont présents soit le président et un
assesseur soit deux assesseurs (dont l'un assure alors la présidence).

ACTUALISATION
126. Assesseurs. - Un décret du 23 décembre 2013 prévoit qu'une
sous-section statuant en formation de jugement peut être présidée par
un assesseur de cette sous-section, désigné à cette fin par le président
de la section du contentieux au vu de la proposition du président de la
sous-section. Pour cela, l'article R. 122-7 du code de justice
o
administrative est modifié (Décr. n  2013-1213 du 23 déc. 2013, art. 5,
JO 27 déc.).

127. Chaque sous-section constitue d'abord une formation d'instruction. Elle


peut alors délibérer en nombre pair, le président ayant voix prépondérante
en cas de partage. Le décret du 6 mars 2008 a étendu la voix délibérative
des conseillers d'État (président, assesseurs ou autres) à tous les membres
de la sous-section, quel que soit leur grade, dans toutes les affaires
(art. R. 122-10, al. 2).

128. Les sous-sections constituent aussi des formations de jugement, selon


trois modalités. La première est constituée par un président de sous-section
statuant comme juge unique pour prendre par ordonnance de véritables
décisions juridictionnelles dans des cas ne présentant pas de difficulté : il en
est ainsi par exemple pour donner acte des désistements, rejeter les
requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction
administrative ou manifestement irrecevables (CJA, art. R. 122-12  ). Les
ordonnances des présidents de sous-section qui ont ainsi réglé

66
définitivement des dossiers ont été au nombre de 2878 en 2010 (EDCE 2001,
o o
n  62, p. 38) et 2904 en 2011 (EDCE 2012, n  63, p. 36).

129. La deuxième modalité est celle d'une sous-section jugeant seule dans
une composition d'au moins trois membres ayant voix délibérative, et en
toute hypothèse en nombre impair. La possibilité d'une présidence par le
vice-président, le président et les présidents adjoints de la Section du
contentieux est plus théorique qu'effective (art. R. 122-14). En revanche très
réelle est l'activité des sous-sections jugeant seules. En 2010, elles ont rendu
o
3 677 décisions sur un total de 9 942 (EDCE 2001, n  62, p. 38) et en 2011,
o
3623 sur 9801 (EDCE 2012, n  63, p. 36), soit plus du tiers.

ACTUALISATION
129. Assesseurs. - Un décret du 23 décembre 2013 prévoit qu'une
sous-section statuant en formation de jugement peut être présidée par
un assesseur de cette sous-section, désigné à cette fin par le président
de la section du contentieux au vu de la proposition du président de la
sous-section. Pour cela, l'article R. 122-14 du code de justice
o
administrative est modifié (Décr. n  2013-1213 du 23 déc. 2013, art. 6,
JO 27 déc.).

130. La troisième modalité est celle des sous-sections réunies, la sous-


section d'instruction étant groupée pour juger avec une ou plusieurs autres
sous-sections. Naguère les sous-sections n'étaient réunies que par deux. Le
décret du 22 février 2010 a rétabli la possibilité qui existait autrefois (Décr.
30 juill. 1963, art. 38) de réunir les sous-sections en formation de jugement,
non seulement par deux, mais par trois ou quatre ; il revient au vice-
président du Conseil d'État, sur proposition du président de la Section du
contentieux, de fixer les groupements de sous-sections (art. R. 122-11).
Cette réforme a essentiellement pour objectif de réunir les sous-sections
traitant des affaires fiscales dans une formation élargie sans aller jusqu'à la
section ou l'assemblée du contentieux. Les sous-sections réunies sont
présidées normalement par un président adjoint de la Section du contentieux
(elles peuvent l'être par le président de la section, voire par le vice-président
– cas rare dont on peut au moins citer un exemple au cours des dernières
o
années, supra, n  78). Elles comportent, outre le président et le rapporteur,
les présidents des sous-sections réunies (deux, trois ou quatre selon les cas),
les assesseurs de ces sous-sections (limités à l'assesseur le plus ancien de
chaque sous-section lorsqu'elles sont réunies à quatre), et lorsque les sous-
sections sont réunies à deux ou quatre, un conseiller d'État appartenant à
une autre sous-section, désigné par le président de la Section du contentieux

67
selon un rôle établi deux fois par an (art. R. 122-15). Cette solution permet
de satisfaire à la règle de l'imparité. En toute hypothèse, le quorum est fixé à
cinq membres ayant voix délibérative si les sous-sections sont réunies à
deux, à sept si elles le sont à trois ou quatre. Dans tous les cas, les membres
de la sous-section d'instruction sont minoritaires dans la formation de
jugement. Les sous-sections réunies ont rendu 1 280 décisions en 2010,
e e
1469 en 2011, soit respectivement plus du 1/8 puis du 1/7 de celles du
Conseil d'État (mêmes références dans les rapports précités du Conseil
d'État). Elles ne statuent que sur les affaires présentant une certaine
difficulté (sur le décret du 22 février 2010 relatif aux compétences et au
fonctionnement des juridictions administratives, V. ARRIGHI DE CASANOVA
et STAHL, RFDA 2010. 387  . – CHAUVAUX et COURTIAL, AJDA 2010. 605 
).

§ 3 - La Section du contentieux

131. La Section du contentieux est envisagée ici non plus comme cadre de
l'organisation des activités contentieuses du Conseil d'État, mais comme
formation proprement juridictionnelle. Elle a été sensiblement réorganisée
par le décret du 6 mars 2008. Elle comprend le président et les trois
présidents adjoints de la Section du contentieux, les dix présidents de sous-
section et le rapporteur (qui peut ne pas être conseiller d'État) (art. R. 122-
18) – soit au total normalement quinze membres (et non plus dix-sept avant
2008). En cas d'absence ou d'empêchement du président de la Section ou
d'un président de sous-section, leur remplacement est prévu. On peut
observer que n'est pas prévue la présidence de la section par le vice-
président, alors qu'il peut présider des sous-sections. Le quorum est de neuf.
Si le nombre de membres présents n'est pas impair, ou en cas d'absence ou
d'empêchement d'un président de sous-section, il est recouru à des
assesseurs (art. R. 122-19). Ainsi cette composition ne comporte plus
comme naguère des conseillers d'État appartenant aux sections
administratives. C'est une réforme importante, qui revient sur celle de 1963.
À la volonté d'assurer l'unité entre la Section du contentieux et les sections
administratives, s'est substituée celle d'éviter une « collusion » des sections
administratives et de la Section du contentieux, mais des membres de celle-
ci gardent néanmoins des attaches et même un certain rôle dans les sections
administratives. On peut schématiser en disant que l'administratif n'influence
plus le contentieux mais que le contentieux influence l'administratif.

132. La Section du contentieux peut siéger en formation d'instruction, en


vertu d'une décision prise par son président (CJA, art. R. 611-20  ). C'est

68
une solution rare, adoptée dans des affaires importantes ou particulières. Ce
fut le cas dans l'affaire Barel (CE, ass., 28 mai 1954, Lebon 28, concl.
o
Letourneur ; GAJA, n  69, p. 456), et plus récemment dans l'affaire Tropic,
o
qui a donné lieu à l'arrêt d'assemblée du 16 juillet 2007 (req. n  291545  ,
Société Tropic Travaux Signalisation, Lebon 360, concl. Casas   ; GAJA,
o
n  115, p. 905) reconnaissant un nouveau type de recours contre des
contrats administratifs, ouvert aux concurrents évincés et dans l'affaire
Hoffman-Glemane, qui a donné lieu à l'avis contentieux du 16 février 2009
o
(req. n  315499  , Lebon 43, concl. Lenica   ; RFDA 2009. 316. concl  .,
525, note Delaunay  et 536, note Roche   ; AJDA 2009. 589, chron. Lieber
o
et Botteghi   ; Dr. adm. 2009, n  60, note F. Melleray ; JCP 2009. 1074,
note Markus), relatif à l'indemnisation des victimes des persécutions
antisémites. Dans ce cas, la formation de jugement ne peut être que
l'assemblée du contentieux (art. R. 122-17  , al. 2).

133. On doit mentionner ici la compétence du président de la Section du


contentieux pour statuer lui-même, comme les présidents de sous-section
o
(supra, n  128), sur les litiges ne présentant pas de difficulté, par des
ordonnances qui sont de véritables décisions juridictionnelles (art. R. 122-
o
12) : il en a pris six en 2010, vingt-sept en 2011 (EDCE 2012, n  63, p. 36).

134. Normalement la Section du contentieux n'est qu'une formation de


jugement. Elle est saisie essentiellement pour des questions importantes
« qui sont plutôt d'ordre technique » (STIRN, in RFDA 2008. 215  ). En
o
2010, elle a rendu vingt-cinq décisions (EDCE 2011, n  62, p. 38), en 2011,
o
vingt et une (EDCE 2012, n  63, p. 36).

§ 4 - L'Assemblée du contentieux

135. L'Assemblée du contentieux (à ne pas confondre avec l'assemblée


o
générale, plénière ou ordinaire, du Conseil d'État – supra, n  103) est la plus
élevée des formations contentieuses du Conseil, mais c'est aussi celle qui,
statuant dans les affaires « dont la solution engage le Conseil d'État et
marque une étape majeure dans l'évolution du droit public (par ex. Nicolo,
Arcolor) » (STIRN, préc.), est réunie le plus rarement : elle n'a rendu que
o
neuf arrêts en 2009, quatorze en 2010 (EDCE, 2011, n  62, p. 38), 20 en
o
2011 (EDCE 2012, n  63, p. 36) – la croissance n'est qu'apparente, une
seule et même question ayant donné lieu à plusieurs arrêts au cours d'une

69
seule et même séance. En moyenne, l'Assemblée du contentieux tient cinq
séances par an avec deux affaires.

136. Sa composition a été sensiblement remaniée par le décret du 6 mars


2008, toujours dans le but, déjà observé, d'une plus grande rigueur au
regard des exigences du principe d'impartialité. Un double rééquilibrage a été
établi : par rapport à la Section du contentieux (qui paradoxalement était
plus nombreuse avant cette réforme que l'Assemblée du contentieux) et par
rapport aux sections administratives, dont les représentants ne sont plus
majoritaires.

137. Sa composition est passée de douze à dix-sept membres : le vice-


président du Conseil d'État, les sept présidents de section, les trois
présidents adjoints de la Section du contentieux, le président de la sous-
section sur le rapport de laquelle l'affaire est jugée, les quatre présidents de
sous-section les plus anciens, le rapporteur (art. R. 122-20). Les membres
de la Section du contentieux sont devenus majoritaires. Un système de
suppléance permet de pallier l'empêchement des différents membres
(art. R. 122-21). Dans tous les cas, l'Assemblée du contentieux ne peut
siéger à moins de neuf membres présents et qu'en nombre impair : cela a
fait perdre au vice-président la voix prépondérante qu'il détenait auparavant.

138. La recherche d'une étanchéité entre les sections administratives et


l'Assemblée du contentieux, sans être absolue puisque l'assemblée compte le
vice-président et les présidents des six sections administratives, conduit à
écarter dans une affaire ceux qui auraient eu à en connaître au titre des
formations administratives. Outre le dispositif applicable à l'ensemble des
formations contentieuses (interdiction pour un membre du contentieux de
statuer dans une affaire dont il a connu en tant que membre d'une section
administrative), une mesure propre à l'Assemblée du contentieux a été
adoptée : aux termes de l'article R. 122-21, dernier alinéa, du code de
justice administrative, « lorsque l'assemblée du contentieux est saisie d'un
recours contre un acte pris après avis du Conseil d'État, le président de la
section administrative qui a eu à délibérer de cet avis ne siège pas. Il est
suppléé par le plus ancien dans l'ordre du tableau des présidents des autres
sections administratives… ». Ainsi il suffit qu'une section administrative ait
connu d'une affaire pour qu'aucun de ses membres (ni son président ni un
autre) ne puisse siéger à l'Assemblée du contentieux alors même qu'il
n'aurait pas été présent à la séance de la section qui en a délibéré. Les
auteurs de la réforme de 2010 ont pensé que le patriotisme de section
pouvait conduire les membres de la section à une position préjugeant
l'affaire venant à l'Assemblée du contentieux alors même qu'ils n'en
n'auraient pas connu personnellement. On peut juger excessive cette

70
suspicion ou cette prudence. La jurisprudence Procola n'imposait pas une
telle solution : le décret de 2010 est allé au-delà de ses exigences pour aller
au-devant de nouvelles critiques et couper court à de nouvelles menaces. Il
n'est pas sûr qu'elles seraient apparues. Le système adopté aboutit à des
combinaisons et même des contorsions révélatrices d'une certaine gêne alors
qu'on aurait pu être plus ferme, plus simple et moins circonspect (V. supra,
os
n  39 et 40).

Chapitre 2 - Statut des membres du Conseil d'État

139. Les membres du Conseil d'État font partie d'un corps de fonctionnaires,


et non d'un corps de magistrats, ni administratifs ni, évidemment, judiciaires
puisqu'en tant qu'ils participent à des fonctions juridictionnelles, celles-ci
relèvent de l'ordre administratif. Alors que la qualité de magistrats a été
expressément reconnue aux membres des tribunaux administratifs et des
o
cours administratives d'appel par la loi n  2012-347 du 12 mars 2012 (CJA,
art. L. 231-1  ), elle ne l'a pas été aux membres du Conseil d'État, dont la
situation ne peut être réduite à cette qualité. Leur statut est juridiquement
celui de fonctionnaires de l'État, pleinement administratifs, relevant des
« dispositions statutaires de la fonction publique de l'État » dans la mesure
où elles ne sont pas contraires à celles qu'établit le code de justice
administrative (CJA, art. L. 131-1  ). Leur corps correspond à la définition
de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique de l'État : « Les corps groupent les
fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux
mêmes grades ». La particularité du corps du Conseil d'État en fait un corps
très spécial. Elle apparaît aussi bien dans la situation générale que dans la
situation personnelle de ses membres.

re
Section 1 - La situation générale

140. La situation générale des membres du Conseil d'État relève non pas
seulement d'un statut « particulier » mais véritablement d'un statut
« spécial », qui les couvre tous et comporte des droits et obligations.

er
Art. 1 - Le statut « spécial » du corps du Conseil d'État

71
141. Au sein de la fonction publique de l'État, le statut général résultant
aujourd'hui de la loi précitée du 11 janvier 1984 doit être précisé pour
chaque corps par des statuts particuliers adoptés par décret en Conseil d'État
(art. 8). Certains statuts particuliers peuvent, après avis du Conseil supérieur
de la fonction publique, « déroger […] à certaines des dispositions du statut
général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces corps ou aux
missions que leurs membres sont destinés à assurer » : tel est le cas
notamment des corps dont les membres sont recrutés par la voie de l'École
nationale d'administration (art. 10). Le Conseil d'État en fait partie. Mais,
pour lui, la dérogation n'apparaît pas comme la simple application de cette
disposition. Elle est établie par l'article L. 131-1 du code de justice
administrative déjà cité, selon lequel le statut des membres du Conseil d'État
résulte d'abord des dispositions mêmes de ce code, et ensuite seulement
« pour autant qu'elles ne lui sont pas contraires » des « dispositions
statutaires de la fonction publique de l'État ». En ce sens, la dérogation
propre au Conseil d'État précède l'application du statut général plus qu'elle
n'en est la mise en œuvre – et paraît relever plus d'un statut « spécial » que
d'un statut « particulier dérogatoire ». Si l'appellation « statut spécial » est
utilisée pour désigner ceux des corps auxquels est refusé le droit de grève et
qui relèvent de dispositions législatives distinctes de celles du statut général,
(fonctionnaires de la police, de l'administration pénitentiaire, de la sécurité
aérienne notamment), elle paraît appropriée pour le statut du Conseil d'État
en ce qu'il est établi, lui aussi, à la base avant l'application du statut général.
Au surplus, on ne voit pas que les membres du Conseil d'État puissent
exercer le droit de grève, même si aucun texte ne le leur refuse
expressément.

142.  Les textes établissant le statut spécial du corps du Conseil d'État sont
aujourd'hui réunis pour l'essentiel dans le code de justice administrative
(art. L. 131-1 à L. 137-1 ; art. R. 131-1 à R. 137-4). Ils reprennent
os
notamment le dispositif des décrets n  63-766 et 63-767 du 30 juillet 1967
o
adoptés après la crise provoquée par l'arrêt Canal (supra, n  15). Parmi les
dérogations au statut général figure notamment la Commission consultative,
substituée à la commission administrative paritaire et au comité technique
paritaire du droit commun de la fonction publique : on l'a présentée (supra,
o
n  82) au titre des organes du Conseil d'État en raison de sa place dans
l'organisation de celui-ci et d'une fonction qui ne se limite pas à l'examen de
la situation individuelle des membres du Conseil d'État mais peut aussi porter
sur l'examen de questions concernant l'organisation et le fonctionnement du
Conseil d'État.

143. Aux textes s'ajoutent ce que l'on peut appeler, par analogie avec « les
conventions de la Constitution » (sur cette notion, V. notamment P. AVRIL,
72
Les conventions de la Constitution, 1997, PUF), des conventions qui, plus
que des usages ou des pratiques, sont suivies comme autant de normes à
respecter. Elles compensent l'absence d'un statut de magistrat pour les
membres du Conseil d'État et complètent le silence des textes. La plus
importante est celle de l'avancement à l'ancienneté pour le passage des
grades d'auditeur à maître des requêtes et de maître des requêtes à
conseiller d'État, qui garantit à tous une promotion exclusive de tout
favoritisme. S'y ajoute la convention selon laquelle les nominations des
présidents de section et les affectations au sein du Conseil sont proposées
o
voire décidées par le bureau (supra, n  81) – ce qui assure l'autonomie du
corps.

144. C'est encore une convention qui garantit aujourd'hui l'inamovibilité des


e
membres du Conseil d'État – contrairement à la situation au XIX et même
e
au XX  siècles, qui ont connu des révocations et des épurations. Les
positions prises à l'occasion de l'affaire algérienne par des membres du
Conseil d'État à l'extérieur du Conseil ont provoqué une révocation et des
refus de réintégration ; finalement les intéressés ont pu revenir au Conseil.
Celui qui avait été révoqué a été réintégré dans ses fonctions et à son rang
de maître des requêtes ; il s'est donc désisté de son recours contre sa
révocation (CE 18 janv. 1969, Jacomet, Lebon 14) ; il a plus tard été nommé
conseiller d'État au tour extérieur (Décr. du 3 mars 1978, JO 5 mars,
o
p. 919). Les réactions suscitées par l'arrêt Canal (supra, n  15) n'ont pas
comporté de mesures individuelles ; la réforme du Conseil d'État a préservé
son autonomie. La Cour européenne des droits de l'homme ne s'y est pas
trompée : dans son arrêt du 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines, comme
o
précédemment dans l'arrêt Kress du 7 juin 2001, (supra, n  16), déjà cités,
elle reconnaît que si « l'inamovibilité des membres du Conseil d'État n'est
pas prévue par les textes », elle « se trouve garantie en pratique comme est
assurée leur indépendance par des usages anciens tels que la gestion de
l'institution par le bureau du Conseil d'État, sans ingérences extérieures […]
ou l'avancement à l'ancienneté, garant de l'autonomie tant à l'égard des
autorités politiques qu'à l'égard des autorités du Conseil d'État elles-
mêmes ». C'est le meilleur hommage qu'on puisse trouver, venant d'une
Cour très attentive à l'indépendance et à l'impartialité des tribunaux et qui a
condamné, dans les mêmes arrêts, certains aspects de la procédure du
Conseil d'État au titre de l'« apparence ».

Art. 2 - La composition du Conseil d'État

73
145. Il faut distinguer les membres du corps du Conseil d'État et les autres
personnes associées aux fonctions du Conseil d'État.

146. Les membres du corps du Conseil d'État (ou plus simplement, « les


membres du Conseil d'État ») y sont rangés en fonction d'une hiérarchie des
grades : de bas en haut auditeur (de deuxième classe, puis de première
classe), maître des requêtes, conseiller d'État en service ordinaire, président
de section et enfin vice-président. Chacun est inscrit dans son grade d'après
la date et l'ordre de sa nomination (CJA, art. L. 121-2  ). Le nombre des
er
membres du corps du Conseil d'État est, au 1  janvier 2012, au total de
306, soit 14 auditeurs, 112 maîtres des requêtes, 169 conseillers d'État en
service ordinaire, 10 présidents de section (dont 3 en surnombre, infra,
o
n  171), un vice-président (informations aimablement communiquées par le
Secrétaire général du Conseil d'État).

147. Le corps du Conseil d'État n'est pas seulement une organisation


déterminée par des textes. Il existe un véritable esprit de corps, marqué par
la conscience de l'appartenance au premier corps de l'administration et d'une
supériorité sur toutes les autres institutions administratives, une solidarité
pour la défense et la promotion du corps en tant que tel et de ses membres
individuellement, en particulier pour leur placement dans des postes de
premier plan à l'extérieur. L'Association des membres du Conseil d'État peut
contribuer à l'entretenir (V. BOYON et GONOD, Entretien sur quelques
aspects de l'esprit de corps au Conseil d'État, Mélanges Dupuis, 1997, LGDJ,
p. 27).

148. On peut parler de membres « associés », sans que la formule soit


officielle, pour désigner des personnes qui participent au Conseil d'État
pendant une certaine période. C'est le cas d'abord des douze conseillers
o
d'État en service extraordinaire (infra, n  164), que l'article L. 121-2 précité
range expressément dans la composition du Conseil d'État, mais qui, d'une
part, ne sont nommés que pour cinq ans, d'autre part ne peuvent participer
qu'aux formations administratives, non aux formations contentieuses et, en
vertu de la loi du 12 mars 2012 des maîtres des requêtes en service
o
extraordinaire (infra, n  165).

149. Ces derniers prennent le relais des fonctionnaires et magistrats


nommés au Conseil d'État pour y exercer temporairement les fonctions de
maître des requêtes ou d'auditeur (y compris les fonctions contentieuses) et
dont le nombre s'est accru à la fois pour permettre leur « mobilité » et pour
faire face à l'augmentation des charges du Conseil d'État. Leur recrutement a
o
été organisé par le décret n  2010-101 du 28 janvier 2010 portant

74
o
application au Conseil d'État du décret n  2008-15 du 4 janvier 2008 relatif à
la mobilité et au détachement des fonctionnaires recrutés par la voie de
l'École nationale d'administration : peuvent être détachés au Conseil d'État
ou mis à la disposition du Conseil d'État pour une durée maximale de deux
ans, des fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie de l'École
nationale d'administration, des magistrats de l'ordre judiciaire, des
professeurs d'université, des administrateurs parlementaires, des
administrateurs des postes et télécommunications, des fonctionnaires civils
et militaires ainsi que des fonctionnaires de l'Union européenne. Ils
bénéficient de leur passage au Conseil d'État pour enrichir leur expérience,
autant qu'ils y apportent leur expérience. Leur situation se prolonge
désormais avec celle des maîtres des requêtes en service extraordinaire
o
(V. infra, n  165).

ACTUALISATION
149. Dispositions relatives aux maîtres des requêtes en service
er o
extraordinaire. - Les articles 1  à 3 du décret n  2010-101 du
o
28 janvier 2010 susvisé sont abrogés (Décr. n  2012-1088 du 28 sept.
2012, art. 4, JO 29 sept.).

150. Il faut mettre à part les assistants de justice qui, en vertu de la loi du
9 septembre 2002, peuvent être nommés auprès du Conseil d'État (CJA,
art. L. 122-2  ) comme ils peuvent l'être auprès des tribunaux administratifs
et des cours administratives d'appel (art. L. 227-1  ) et des juridictions
judiciaires. Ils le sont pour une durée de deux ans renouvelable deux fois
(art. L. 122-2  ). Ils « apportent leur concours aux travaux préparatoires
réalisés par les membres du Conseil d'État pour l'exercice de leurs
attributions » (art. R. 122-30  ) : ils sont principalement affectés au
contentieux. Il ne faut pas les confondre avec les stagiaires (essentiellement
des avocats stagiaires et étudiants avancés) recrutés sans formalisme pour
une période de 4 à 6 mois. Assistants de justice et stagiaires (au total 57 en
juin 2012) sont constitués en onze équipes (une par sous-section plus une
auprès du président de la Section), formées d'un assistant de justice et de
trois ou quatre stagiaires, qui apportent de manière active et efficace une
aide à la décision (informations aimablement données par M. Bernard Stirn,
président de la Section du contentieux).

Art. 3 - Droits et obligations des membres du Conseil d'État

75
151. Il n'y a guère matière à différencier les droits et obligations des
membres du Conseil d'État de ceux de tous les agents publics,
fonctionnaires, magistrats ou autres. Les textes n'en donnent pas une
énumération particulière. Le renvoi au statut général des fonctionnaires pour
toutes les dispositions auxquelles le statut des membres du Conseil d'État ne
déroge pas permet de les identifier (V. la loi du 13 juillet 1983 portant droits
et obligations des fonctionnaires). Tout au plus peut-on mentionner
l'obligation de consacrer l'intégralité de l'activité professionnelle aux tâches
qui leur sont confiées, l'interdiction d'exercer une activité lucrative et le
secret professionnel.

152. La réforme de 1963 a été l'occasion d'un rappel qui n'a pas paru
inutile : interdiction pour les membres du Conseil d'État de se prévaloir, à
l'occasion de leur activité politique, de l'appartenance au Conseil (CJA,
art. L.131-2) ; obligation de s'abstenir de toute manifestation de nature
politique incompatible avec la réserve qu'imposent leurs fonctions
(art. L. 131-3  ) ; interdiction de s'absenter (en dehors des périodes de
vacances) sans avoir obtenu du vice-président un congé, accordé après avis
des présidents des sections auxquelles sont affectés les intéressés
(art. R. 131-2) ; possibilité de se livrer à des travaux scientifiques, littéraires
ou artistiques et à toutes activités d'ordre intellectuel (notamment
d'enseignement (possibilité largement utilisée), qui ne seraient pas de nature
à porter atteinte à la dignité ou à l'indépendance des intéressés (pourquoi
avoir formulé cette condition, qui a l'air de viser des hypothèses qui ne
seraient pas d'école ?) (art. R. 131-1).

153. A été adoptée à la fin de 2011 une « Charte de déontologie des


membres de la juridiction administrative – Principes et bonnes pratiques »
rappelant les principes essentiels de la déontologie et précisant leur
application. Elle a été élaborée selon une procédure associant aux membres
du Conseil d'État ceux du corps des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel, puisque la Charte couvre la juridiction administrative
dans son ensemble. Elle n'a pas fait l'objet d'une adoption par un acte
juridique formel émanant d'une autorité exactement identifiée – alors même
que le vice-président et le bureau du Conseil d'État y ont pris une part
déterminante. Ne faisant que rappeler des normes préexistantes, elle ne
constitue pas un acte juridique nouveau devant donner lieu à une
manifestation de volonté propre à l'acte juridique. Elle a au moins un
caractère novateur par la création d'un Collège de déontologie composé de
trois membres (désignés respectivement par l'assemblée générale du Conseil
d'État, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel, et le vice-président du Conseil d'État), chargé
d'éclairer les membres de la juridiction administrative sur l'application des

76
principes et bonnes pratiques. Le Collège a rendu le 4 juin 2012 ses trois
premiers avis à la demande de magistrats administratifs qui l'interrogeaient
sur leur situation, et, de sa propre initiative, une recommandation au sujet
des membres de la juridiction administrative ayant appartenu à des cabinets
ministériels. La Charte et le Collège sont une illustration d'un phénomène
para-juridique contribuant à la précision et à l'officialisation du droit sans le
modifier (V. VIGOUROUX et GONOD, À propos de la charte de déontologie de
la juridiction administrative, AJDA 2012. 875  ).

154. La déontologie des membres du Conseil d'État est telle que c'est
seulement pour mémoire et par souci d'être complet qu'on évoque ici leur
régime disciplinaire. Les sanctions prévues vont classiquement de
l'avertissement à la révocation (art. L. 136-1). Les deux premières
(avertissement et blâme) peuvent être prononcées, sans consultation de la
Commission consultative, par le vice-président. Les autres (exclusion
temporaire, mise à la retraite d'office, révocation) le sont après avis de cette
Commission par l'autorité investie du pouvoir de nomination, c'est-à-dire,
o
selon le grade (supra, n  146), par décret du président de la République en
Conseil des ministres ou non. On n'en connaît pas d'exemple.

Section 2 - La situation individuelle

155. La situation individuelle des membres du Conseil d'État est évidemment


déterminée par des dispositions générales, appliquées cas par cas à chacun
d'eux, d'abord pour leur recrutement, ensuite pour leur carrière, enfin pour
leurs positions.

er
Art. 1 - Le recrutement

156. La particularité du statut du Conseil d'État est très marquée dans son
recrutement, qui combine à un recrutement à la base par concours un
recrutement à un « tour extérieur » dont la justification est d'apporter au
Conseil d'État l'expérience de personnes ayant eu préalablement une autre
activité. La solution est ancienne. Elle a pu être critiquée comme permettant
des nominations à la faveur du pouvoir. Ce n'est pas exclu. Mais, en dehors
de quelques cas (d'ailleurs difficiles à identifier), l'expérience montre l'utilité
de l'apport neuf que constitue le tour extérieur et l'amalgame entre les
membres du Conseil d'État recrutés par concours et ceux qui sont nommés
au tour extérieur, illustré par l'exercice de fonctions importantes au sein du

77
Conseil au même titre que les membres issus du concours. Des dispositions
récentes tendent à encadrer le recrutement au tour extérieur sans qu'on
puisse affirmer qu'elles permettent nécessairement un meilleur résultat
qu'auparavant. C'est à chaque grade qu'il faut identifier le mode de
recrutement initial, la nomination par avancement devant être étudiée plus
loin.
e
157.  Les auditeurs de 2  classe sont exclusivement recrutés par concours.
Jusqu'à la création de l'École nationale d'administration, ils l'étaient par la
voie d'un concours propre au Conseil d'État comme d'autres concours
pourvoyaient à d'autres corps de l'État. Aux termes de l'article L. 133-6 du
e
code de justice administrative, « les auditeurs de 2  classe sont nommés
parmi les anciens élèves de l'École nationale d'administration selon les règles
propres au classement des élèves de cette école » : en fait le choix des
premiers se porte sur le Conseil. La tentative de suppression de ce système
pour le remplacer par des modalités où le choix aurait été fait plus par le
corps que par les élèves s'est heurtée d'une part à la nécessité, pour les
auditeurs au Conseil d'État, d'une disposition législative, d'autre part à la
censure de l'amendement l'introduisant dans un texte de loi avec lequel il
o
n'avait pas de lien même indirect (Cons. const. 12 mai 2011, n  2011-129
o
DC, JCP Adm. 2011, n  26, note Jean Pierre). Le motif de procédure a été un
bien commode instrument pour écarter une réforme qui suscitait une vive
opposition au fond. Les auditeurs restent donc recrutés par le classement de
o
sortie de l'ENA (V. Décr. n  2012-667 du 4 mai 2012). Ils sont nommés par
décret du président de la République.
re
158. Pour les auditeurs de 1  classe, il n'existe pas en principe de
e
recrutement direct, mais seulement l'avancement des auditeurs de 2  classe
o
(infra, n  168). Une exception est ouverte par l'article L. 4139-2 du code de
la défense, qui permet à un militaire d'un certain grade et d'une certaine
ancienneté d'être d'abord détaché pour occuper un emploi vacant dans
l'administration, puis, au bout d'un an, d'être intégré dans le corps
correspondant. Il s'agit donc d'un dispositif général qui peut s'appliquer et a
re
déjà été appliqué au Conseil d'État au niveau des auditeurs de 1  classe,
comme il peut l'être à un autre niveau, notamment celui des maîtres des
requêtes.

159. Il s'insère alors dans les cas de recrutement direct des maîtres des
requêtes qu'il faut désormais qualifier « en service ordinaire » pour les
distinguer de ceux qui peuvent, selon la loi du 12 mars 2012, être nommés
o
en service extraordinaire (infra, n  165). On verra que les maîtres des

78
requêtes sont nommés principalement par avancement des auditeurs (infra,
o
n  169). D'autres le sont aussi directement au tour extérieur, selon un
système ancien et toujours actuel, dans une proportion ne pouvant dépasser
un quart (CJA, art. L. 133-4  ) qui est en fait toujours appliquée. Les
maîtres des requêtes nommés au tour extérieur doivent avoir au moins
trente ans et avoir accompli au moins dix ans de services publics, tant civils
que militaires (ne peuvent être pris en compte les services accomplis par un
parlementaire au titre de son mandat électif : CE 11 avr. 1919, Labussière et
o
d'Hughes, Lebon 395. – Avis, ass. gén., 10 juill. 1980, n  327296, EDCE
o o
1980-1981, n  32, p. 200). La loi n  2012-347 du 12 mars 2012 permet
chaque année, sans que s'applique la proportion du quart, de nommer au
grade de maître des requêtes un fonctionnaire ou un magistrat ayant exercé,
pendant une durée de quatre ans, les fonctions de maître des requêtes en
service extraordinaire (CJA, art. L. 133-12  ). Dans tous les cas, la
nomination est proposée par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et
prononcée par décret du président de la République (mais non en Conseil des
ministres).

160. Parmi les maîtres des requêtes ainsi nommés au tour extérieur,


certains doivent être choisis parmi les membres du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. C'est un des liens entre
ce corps et celui du Conseil d'État. Il vient d'être renforcé. Deux cas sont
organisés. D'une part (CJA, art. R. 133-4), un sur quatre des maîtres des
requêtes nommés au tour extérieur selon le droit commun doit l'être parmi
les membres de ce corps ayant le grade de président ou de premier
o
conseiller. D'autre part, au surplus, en vertu de la loi n  2012-347 du
12 mars 2012 qui a modifié l'article L. 133-8 du code de justice
administrative, chaque année, après avis du Conseil supérieur des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel, un membre du corps des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est nommé au
grade de maître des requêtes ; un autre membre de ce corps peut encore
être nommé chaque année dans les mêmes conditions.

ACTUALISATION
160. Dispositions relatives à la nomination des membres du
Conseil d'État choisis parmi les magistrats des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. - Un décret du
28 septembre 2012 modifie l'article R.* 133-4 du code de justice
administrative. Désormais : « Les maîtres des requêtes nommés en
application du deuxième alinéa de l'article L. 133-8 sont choisis parmi les
magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives

79
d'appel ayant le grade de président ou de premier conseiller » (Décr.
o er o
n  2012-1088 du 28 sept. 2012, art. 1 , 2 , JO 29 sept.).

161. Des conseillers d'État en service ordinaire sont également recrutés


directement au tour extérieur, selon la même tradition, dans une proportion
qui, si elle ne peut, elle, dépasser un tiers (art. L. 133-3), est toujours
appliquée. La seule condition est une condition d'âge : 45 ans accomplis. La
nomination, proposée par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, a lieu
en Conseil des ministres, c'est-à-dire par décret du président de la
République (art. L. 133-3).

162. Parmi les conseillers d'État nommés au tour extérieur, certains, comme


les maîtres des requêtes, doivent provenir du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. Comme pour les maîtres
des requêtes, le dispositif a été récemment renforcé et diversifié. En premier
lieu, un sur six des conseillers d'État nommés au tour extérieur doit être
choisi parmi les membres de ce corps ayant le grade de président et
exerçant des fonctions d'un certain niveau, pour exercer des fonctions au
sein du Conseil d'État (art. R. 133-3). En second lieu, sans que leur
nomination soit imputable à la proposition de un pour six, des membres du
même corps et de même niveau peuvent être nommés conseiller d'État pour
exercer les fonctions de président de cour administrative d'appel
(art. R. 133-7 et R. 133-8). Enfin, selon la loi du 12 mars 2012 (CJA,
er
art. L. 133-8  , al. 1 ), outre les nominations précédentes pour chaque
période de deux ans, un membre du corps des tribunaux administratifs et
des cours administratives d'appel est nommé au grade de conseiller d'État en
service ordinaire (après avis du Conseil supérieur des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel).

ACTUALISATION
162. Dispositions relatives à la nomination des membres du
Conseil d'État choisis parmi les magistrats des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. - Un décret du
28 septembre 2012 modifie l'article R.* 133-3 du code de justice
administrative. Désormais : « Les conseillers d'État nommés en
application du premier alinéa de l'article L. 133-8 sont choisis parmi les
magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel ayant le grade de président et exerçant les fonctions définies par
o
les articles L. 234-4 ou L. 234-5 » (Décr. n  2012-1088 du 28 sept.
er o
2012, art. 1 , 2 , JO 29 sept.).

80
Depuis le décret du 15 avril 2015, la condition d'exercice « de fonctions
définies par les articles L. 234-4 ou L. 234-5 » a été supprimée (Décr.
o er o
n  2015-426 du 15 avr. 2015, art. 1 , 1 , JO 17 avr.).

162-1. Modification des conditions statutaires de nomination au


grade de conseiller d'État ou à celui de maître des requêtes au
Conseil d'État des magistrats des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel. - Un décret du 15 avril 2015 modifie
les articles R.* 133-3, R.* 133-4, R.* 133-7 et R.* 133-9 du code de
justice administrative. Ainsi, « peuvent être nommés conseillers d'État
pour exercer les fonctions de président de cour administrative d'appel ou
de la Cour nationale du droit d'asile les membres du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel remplissant les
conditions définies aux articles L. 133-3 et R.* 133-3 » (art. R.* 133-7).
Ils « sont nommés au grade de conseiller d'État, hors tour »
(art. R.* 133-9). Le texte prévoit, également, qu'un membre du corps
des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel peut
être nommé conseiller d'État pour exercer les fonctions de président de
o
la Cour nationale du droit d'asile (Décr. n  2015-426 du 15 avr. 2015, JO
17 avr.).

163. On doit souligner le rôle du Conseil d'État, en fait et en droit, dans les
recrutements au tour extérieur. Pour la nomination comme maître des
requêtes ou conseiller d'État de membres du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel, c'est le vice-président
délibérant avec les présidents de section qui fait la proposition (CJA,
art. L. 133-8  ) : en réalité le bureau maîtrise le système. Pour les autres
nominations au tour extérieur, en vertu d'une disposition adoptée par la loi
du 28 juin 1994 (art. L. 133-7  ), les nominations doivent être précédées
d'un avis du vice-président du Conseil d'État. Quant au fond, « cet avis tient
compte des fonctions antérieurement exercées par l'intéressé, de son
expérience et des besoins du corps » ; on ne peut exclure qu'il tienne compte
aussi de considérations de pure opportunité. Quant à la forme, non
seulement cet avis est communiqué à l'intéressé sur sa demande, mais
encore son sens, favorable ou défavorable, est mentionné dans les visas du
décret de nomination. On a vu une fois un avis défavorable, ce qui n'a
empêché ni le gouvernement de procéder à la nomination, ni le bénéficiaire
de l'accepter toute honte bue. Le recours d'un tiers intéressé contre une telle
nomination pourrait s'appuyer sur le contenu défavorable de l'avis pour
soutenir qu'elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et obtenir son
annulation, comme cela a été le cas pour des nominations au tour extérieur
dans d'autres corps (CE, ass., 16 déc. 1988, Bleton, Lebon 451 ; RFDA 1989.

81
522, concl. Vigouroux, note Baldous, Négrin et Dietsch ; AJDA 1989. 102,
chron. Azibert et de Boisdeffre ; JCP 1989. II. 21228, note Gabolde. –
o
23 déc. 2011, req. n  346629  , Synd. parisien des administrations
centrales, économiques et financières, AJDA 2012. 607, note Dord   ; RFDA
2012. 115, note Pacteau  ).

164. La nomination des conseillers d'État en service extraordinaire obéit à


d'autres règles (CJA, art. L. 121-14 à L. 121-17). On a vu qu'ils ne sont pas
membres du corps du Conseil d'État, qu'ils ne sont nommés que pour une
durée de cinq ans (non renouvelable avant l'expiration d'un délai de deux
ans), qu'ils ne participent qu'aux formations administratives et non aux
formations contentieuses. Ils « sont choisis parmi les personnalités qualifiées
dans les différents domaines de l'activité nationale ». Ils le sont parfois en
fait pour donner une affectation honorable à une personnalité en fin de
carrière. Le plus souvent ils apportent au Conseil d'État une expérience
professionnelle (par ex. celle de diplomate, d'officier général, de préfet, de
magistrat, d'avocat, voire de chef d'entreprise), parfois d'ordre juridique
(ainsi pour des professeurs de droit privé), que ses membres n'ont pas
toujours. Ils sont nommés par décret du président de la République en
Conseil des ministres, sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la
Justice. Officiellement le vice-président et le bureau du Conseil d'État n'ont
pas à être consultés, mais ils le sont en fait.

165. L'institution de maîtres des requêtes en service extraordinaire,


reprenant une appellation qui existait déjà autrefois (décret du 11 juin 1806,
art. 5 ; décr. du 25 nov. 1853), est une des innovations de la loi du 12 mars
2012. D'après le nouvel article L. 133-9 du code de justice administrative, ils
peuvent être « des fonctionnaires appartenant à un corps recruté par la voie
de l'École nationale d'administration, des magistrats de l'ordre judiciaire, des
professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités, des
administrateurs des assemblées parlementaires, des administrateurs des
postes et télécommunications, des fonctionnaires civils ou militaires de l'État,
de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière
appartenant à des corps ou à des cadres d'emplois de niveau équivalent ainsi
que des fonctionnaires de l'Union européenne de niveau équivalent ». Ils
sont nommés, non pas comme les conseillers d'État en service extraordinaire
qui le sont par le président de la République, mais par le vice-président du
Conseil d'État, qui maîtrise ainsi pleinement leur recrutement. Ils le sont
pour une durée qui ne peut excéder quatre ans (et qui peut être abrégée
pour motif disciplinaire, à la demande du vice-président du Conseil d'État, et
sur proposition de la commission consultative). Un arrêté du vice-président
du Conseil d'État du 15 mai 2012 a ainsi nommé 31 maîtres des requêtes en
service extraordinaire, qui étaient tous précédemment des fonctionnaires,

82
magistrats ou universitaires détachés auprès du Conseil d'État ou mis à sa
o
disposition (supra, n  149). Contrairement aux conseillers d'État en service
extraordinaire, les maîtres des requêtes en service extraordinaire exercent
les fonctions dévolues aux maîtres des requêtes, c'est-à-dire que,
contrairement aux conseillers d'État en service extraordinaire, ils peuvent
être affectés au contentieux, et le sont effectivement pour l'essentiel.

ACTUALISATION
165. Dispositions relatives aux maîtres des requêtes en service
extraordinaire. - Pris pour l'application du chapitre III du titre III de la
loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à
l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la
fonction publique, un décret du 28 septembre 2012 fait évoluer le statut
des maîtres des requêtes en service extraordinaire. Sont ainsi ajoutés un
article R.* 133-10 au code de justice administrative selon lequel : « La
nomination des maîtres des requêtes en service extraordinaire est
prononcée pour une durée de quatre ans par arrêté du vice-président du
Conseil d'État. / Les maîtres des requêtes en service extraordinaire sont
détachés auprès du Conseil d'État ou mis à sa disposition. / Les services
accomplis en qualité de maître des requêtes en service extraordinaire
sont pris en compte, le cas échéant, au titre de la mobilité statutaire des
corps recrutés par la voie de l'École nationale d'administration et des
administrateurs des postes et télécommunications » ; un article R.* 133-
11 au même code aux termes duquel : « À l'exception du deuxième
alinéa de l'article R. 121-3, les dispositions du présent code relatives aux
maîtres des requêtes sont applicables aux maîtres des requêtes en
service extraordinaire » ; ainsi qu'un article R.* 133-12 qui précise :
« Après trente mois au moins d'exercice de leurs fonctions, les maîtres
des requêtes en service extraordinaire peuvent présenter leur
candidature pour une nomination, en application de l'article L. 133-12,
au grade de maître des requêtes ». Le même décret indique que pour
l'application des dispositions de l'article L. 133-12 du code de justice
administrative, les fonctions normalement dévolues aux maîtres des
requêtes et aux auditeurs en application des dispositions de l'article 2 du
o er
décret n  2004-1088 du 14 octobre 2004 ou de l'article 1  du décret
o
n  2010-101 du 28 janvier 2010 sont regardées comme ayant été
accomplies en qualité de maître des requêtes en service extraordinaire
o
au sens de l'article L. 133-9 du même code (Décr. n  2012-1088 du
28 sept. 2012, art. 2, JO 29 sept.).

83
166. Ce dispositif se combine désormais avec le cas des fonctionnaires et
magistrats détachés au Conseil d'État ou mis à sa disposition (supra,
o
n  149), nommés dans les fonctions de maître des requêtes ou d'auditeur (ils
en ont l'emploi mais non le grade), pour deux ans, par arrêté du garde des
Sceaux, ministre de la Justice et, le cas échéant, du ou des ministres
intéressés, avec l'accord préalable du vice-président du Conseil d'État donné
après consultation des présidents de section : le Conseil d'État contrôle ainsi
le recrutement. Il ne peut être passé outre le désaccord du vice-président ;
bien plus, à sa demande, il est mis fin avant terme au détachement ou à la
o
mise à disposition (Décr. n  2010-101 du 28 janv. 2010, préc. supra,
o
n  149). L'avenir dira si le système des maîtres des requêtes en service
extraordinaire englobe complètement celui des fonctionnaires et magistrats
détachés ou mis à disposition.

Art. 2 - La carrière

167. On pourrait dire que la carrière des membres du Conseil d'État est
rectiligne si l'on observait seulement les règles de l'avancement et son
déroulement au sein du Conseil jusqu'à la fin de la carrière. Cette
appréciation est largement contredite, au moins pour beaucoup d'entre eux,
par l'exercice d'activités hors du Conseil d'État dans des positions diverses
os
(V. infra, n  172 s.). Du moins, en tant que membres du Conseil d'État, leur
avancement et leur admission à la retraite présentent une unité certaine.

168. Les règles de l'avancement n'ont lieu d'être précisées ici qu'au sujet
des membres du corps du Conseil d'État. Il n'est pas nécessaire d'entrer
dans les détails de l'avancement d'échelon dans chaque grade, sauf à
indiquer que le nombre d'échelons n'est pas le même d'un grade à l'autre
e re
(auditeurs de 2  classe : 7 ; auditeurs de 1  classe : 4 ; maîtres des
requêtes : 8 ; conseillers d'État : 2), et que le temps à passer à chaque
échelon pour accéder à l'échelon supérieur n'est pas le même non plus. Il
suffit de renvoyer pour les précisions à l'article R. 134-1 du code de justice
administrative. Seul l'avancement de grade doit être ici analysé. Il faut
distinguer le droit et le fait pour deux séries d'avancements, selon qu'elles
concernent ou non les grades de président.

169. Pour l'avancement aux grades autres que celui de président, les textes
re
fixent des règles : nomination des auditeurs de 1  classe parmi les auditeurs
e
de 2  classe, des maîtres des requêtes pour les trois quarts au moins parmi
re
les auditeurs de 1  classe par décret sur proposition du garde des Sceaux,

84
ministre de la Justice ; nomination des conseillers d'État pour les deux tiers
au moins parmi les maîtres des requêtes, par décret en Conseil des ministres
sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Quelques
garanties sont données aux auditeurs (CJA, art. R. 134-7) et aux maîtres des
requêtes (art. R. 134-5) pour être promus au grade supérieur après un
certain nombre d'années (respectivement huit et dix-huit ans). Les garanties
o
sont plus fortes encore en fonction d'une convention (supra, n  143), selon
laquelle l'avancement se fait exclusivement à l'ancienneté. Cela explique qu'il
n'y ait pas de tableau d'avancement (art. R. 134-2). Cela éclaire le rôle du
vice-président : que, délibérant avec les présidents de section, il fasse les
e re
présentations pour l'avancement des auditeurs de la 2  à la 1  classe
re
(art. R. 134-8), et de la 1  classe au grade de maître des requêtes
(art. R. 134-6), ou propose une liste de trois noms pour la promotion des
maîtres des requêtes au grade de conseiller d'État (art. R. 134-4). Il suit
toujours l'ancienneté.

170. Pour l'avancement aux grades de président de section et de vice-


président, l'ancienneté n'est pas systématique. Elle peut jouer pour la
nomination des présidents de section ; elle ne joue plus du tout pour celle du
vice-président. Si, en fait, le bureau fait des propositions pour la nomination
des présidents de section (trois noms pour les sections administratives, un
pour la Section du contentieux), il n'en fait pas pour la vice-présidence. Les
présidents de section ne peuvent être choisis que parmi les conseillers d'État,
le vice-président peut l'être tout autant parmi ces derniers que parmi les
présidents de section : ainsi depuis la Libération, sur neuf vice-présidents,
seuls deux avaient été auparavant présidents de section. Les trois derniers
avaient été secrétaire général du gouvernement. Tous sont évidemment
nommés par décret du président de la République en Conseil des ministres
(officiellement sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice :
CJA, art. L. 133-1  et L. 133-2  ).

171.  L'âge de la retraite a fait l'objet de modifications dont certaines


n'étaient pas dépourvues de toute arrière-pensée politique : son
abaissement a parfois permis de se débarrasser de gêneurs. De 75 ans en
o
1923, il est passé à 70 en 1936, 68 en 1975, 65 en 1984 (L. n  84-834 du
13 sept. 1984) : c'est aujourd'hui le principe. Mais celui-ci fait l'objet d'une
exception et d'aménagements. L'exception profite au vice-président, dont
l'âge de la retraite reste fixé à 68 ans. Des aménagements sont propres aux
conseillers d'État et aux présidents de section : arrivés à l'âge de la retraite,
ils peuvent rester en activité en surnombre, mais, alors même qu'ils sont
présidents de section, pour n'exercer que des activités de conseiller d'État ;
ainsi les présidents de section en surnombre sont affectés à une section

85
autre que celle qu'ils présidaient, et sont de droit présidents adjoints de la
section administrative à laquelle ils sont affectés. D'autres aménagements
résultent du droit commun de la fonction publique : recul d'un an de la limite
d'âge pour avoir élevé trois enfants ou plus. Le recul progressif de l'âge de la
o
retraite jusqu'à 67 ans en vertu de la loi n  2010-1330 du 9 novembre 2010
portant réforme des retraites (art. 28 et 29), qui s'appliquera pleinement aux
o
fonctionnaires nés à partir de 1956, c'est-à-dire en 2021 (Décr. n  2011-754
du 28 juin 2011, art. 3), va faire remonter la limite d'âge. Il arrive que les
membres du Conseil d'État demandent à faire valoir leur droit à la retraite ou
même leur radiation des cadres avant d'avoir atteint la limite d'âge. C'est
principalement le cas lorsqu'ils ont bénéficié précédemment d'une position
hors du Conseil d'État.

Art. 3 - Les positions

172. Les positions des membres du Conseil d'État ne sont pas régies par des
dispositions entièrement spécifiques : il s'agit pour l'essentiel du droit
commun de la fonction publique. Elles méritent néanmoins d'être précisées
tant sont utilisées les possibilités qu'elles offrent, notamment pour les
activités hors du Conseil d'État. Elles sont l'objet des articles R. 135-1 et
suivants du code de justice administrative.

173. La position d'activité au sein du Conseil d'État apparaît comme la


position normale. Elle n'est pourtant celle que d'environ trois cinquièmes des
membres du Conseil d'État. Elle permet au vice-président (V. supra,
os o
n  74 s.) et aux présidents de section (V. supra, n  95) d'exercer les
attributions qui leur sont propres. Pour les autres membres du Conseil d'État,
elle conduit à des attributions variées : pour les conseillers d'État, au
contentieux, fonctions de président adjoint, de président de sous-section,
d'assesseur, voire de rapporteur ; en dehors du contentieux, fonctions de
secrétaire général, de membres de l'assemblée générale, de sections
administratives (le cas échéant comme président adjoint), avec
éventuellement le rôle de rapporteur de certaines affaires, et, au sein de la
Section du rapport et des études, la fonction de rapporteur général ; pour les
maîtres des requêtes et les auditeurs, fonctions de rapporteur au sein des
formations administratives ou des formations contentieuses, voire, pour ces
dernières, celle de rapporteur public. On doit souligner que, sous cette
er
appellation, qui a remplacé depuis le 1  mars 2009, en vertu du décret du
7 janvier 2009, celle, traditionnelle, de commissaire du gouvernement, sont
désignés par le vice-président sur proposition du président de la Section du

86
contentieux, pour une durée ne devant pas dépasser dix ans (art. R. 122-5),
exceptionnellement prolongée d'un an, des maîtres des requêtes (parfois des
auditeurs), à raison de deux par sous-section du contentieux, donc au total
vingt, qui présentent leurs conclusions devant les différentes formations
contentieuses.

174. Les autres positions comportent une sorte de gradation dans le


relâchement des liens entre les membres du Conseil d'État qui en font l'objet
et le Conseil d'État lui-même. Elles sont prévues par la loi du 11 janvier 1984
o
sur la fonction publique de l'État et précisées par le décret n  85-986 du
16 septembre 1985, l'une et l'autre modifiés à plusieurs reprises. Ces
positions font toutes l'objet d'arrêtés du Premier ministre pris sur proposition
du garde des Sceaux, ministre de la Justice, après avis du vice-président
(CJA, art. R. 135-2).

175. La première est la mise à disposition, avec sa variante propre au


Conseil d'État, la délégation. Les intéressés sont considérés comme en
activité, mais ils occupent une fonction publique autre qu'une fonction au
Conseil. Tout en demeurant dans le corps, en étant réputés y occuper un
emploi, en continuant à percevoir une rémunération correspondante, ils
exercent des fonctions dans une administration de l'État, d'une collectivité
territoriale, d'un établissement public. Tel est le cas notamment pour des
fonctions à la présidence de la République, dans les services du Premier
ministre, dans les cabinets ministériels. La durée de la délégation ne peut
excéder quatre ans. Les bénéficiaires ne sont pas remplacés au sein du
er
Conseil (art. R. 135-2). Au 1  janvier 2012, les membres du Conseil mis à
disposition ou délégués étaient une douzaine (information aimablement
communiquée par le Secrétaire général du Conseil d'État).

176.  Le détachement est la position d'un fonctionnaire placé hors de son


corps d'origine mais continuant à y bénéficier de ses droits à l'avancement et
à la retraite. Il faut mettre à part le cas du détachement des membres du
Conseil élus au Parlement, pendant la durée de leur mandat (art. R. 135-4),
voire élus dans une autre assemblée ou nommés au gouvernement (Déc.
o
16 sept. 1985, art. 14-8 ). Pour l'essentiel, le détachement de longue durée
peut être prononcé pour occuper des fonctions dans une administration de
l'État, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public, d'une
entreprise publique, d'une organisation internationale, voire d'une entreprise
privée pour y exercer des travaux de recherche d'intérêt national
(V. l'énumération de l'art. 14 du Décr. du 16 sept. 1985). La durée du
détachement ne peut excéder cinq ans, mais peut être renouvelée. Les
membres du Conseil d'État placés en détachement sont remplacés dans leurs
fonctions, mais ils continuent à bénéficier de l'avancement, leur promotion

87
ayant lieu hors tour : la tradition de l'avancement à l'ancienneté leur profite
o
(supra, n  143). À la fin du détachement, ils sont soit, à leur demande,
réintégrés au Conseil dans leurs fonctions et à leur rang, soit, faute de
er
demander leur réintégration, rayés des cadres (art. R. 135-6). Au 1  janvier
2012, les membres du Conseil en détachement étaient au nombre de quatre-
vingts (même source), notamment dans les emplois les plus élevés de
l'administration française (secrétaire général du gouvernement, directeurs
d'administration centrale, préfets, présidents ou directeurs d'entreprises
publiques, d'autorités administratives indépendantes) et même des pouvoirs
publics constitutionnels (gouvernement, Conseil constitutionnel) et de
juridictions internationales (Cour internationale de justice, Cour de justice de
l'Union européenne). C'est une des manifestations du rayonnement et de
l'influence du Conseil d'État hors du de ses murs, de son sein.

177. La position hors cadre est une sorte de prolongement du détachement.


Elle peut être prononcée pour des fonctions auprès d'une administration,
d'une entreprise publique, d'un organisme international, essentiellement
après l'expiration de la durée pour laquelle a pu être prononcé un
détachement. C'est pourquoi, si elle est expressément prévue par les textes
(CJA, art. R. 135-6 ; L. du 11 janv. 1984, art. 49), elle est en faite peu
er
utilisée (un seul cas au 1  janv. 2012). Lorsqu'elle l'est, elle s'insère encore
dans le système d'extension institutionnelle du Conseil d'État.

178. On ne peut en dire autant de la mise en disponibilité pour convenances


personnelles, mettant les membres du Conseil d'État qui en font l'objet, non
seulement hors du Conseil d'État mais hors du service public pour lequel ils
sont entrés au Conseil d'État (tout en bénéficiant de l'aura que leur donnent
à la fois leur provenance du Conseil d'État et les liens qu'ils ont encore avec
lui, et de la sécurité d'un retour possible au Conseil d'État). On ne veut pas
parler ici, si ce n'est pour mémoire, des cas de disponibilité pour raisons
familiales, qui peuvent être invoquées par les membres du Conseil d'État
comme par d'autres fonctionnaires mais ne le sont pas exagérément. On vise
surtout la mise en disponibilité prévue par l'article 44 du décret du
16 septembre 1985, trop utilisée, moins pour des études et recherches
présentant un intérêt général (a) que pour des convenances personnelles
(b). Elle fait perdre à son bénéficiaire ses fonctions au sein du Conseil (il est
donc remplacé) ainsi que ses droits à l'avancement et à la retraite. Elle ne
peut durer que trois ans mais elle est renouvelable (sans pouvoir excéder dix
ans pour l'ensemble de la carrière si elle est consentie pour convenances
personnelles). À l'expiration de cette durée, les intéressés sont soit, à leur
demande, réintégrés au Conseil, soit rayés des cadres. Actuellement une
quarantaine de membres du Conseil d'État sont en disponibilité.

88
179. Les textes établissent quelques précautions. De manière générale, la
commission de déontologie créée par la loi du 29 janvier 1993 est appelée à
donner son avis sur la compatibilité de l'activité privée qu'un fonctionnaire
envisage d'exercer avec les fonctions qu'il a exercées dans l'administration,
ici celles du Conseil d'État. Plus particulièrement, selon l'article R. 135-9 du
code de justice administrative, tout membre du Conseil placé en disponibilité
pour convenances personnelles doit porter à la connaissance du Premier
ministre, à travers le vice-président et le garde des Sceaux, ministre de la
Justice, les modifications survenues aux fonctions en raison desquelles ce
régime lui a été appliqué. Si cette activité apparaît inopportune ou contraire
à l'intérêt public, il peut être radié des cadres. Au surplus, à la fin de la
période de disponibilité, la réintégration au Conseil peut être refusée pour
raison d'opportunité ayant trait à l'activité exercée pendant cette période.

180. Il faut aller au-delà des textes, surtout si l'on observe les dérives
auxquelles conduit la mise en disponibilité lorsqu'elle est demandée et
obtenue pour exercer l'activité d'avocat – ce qui est le cas aujourd'hui d'une
vingtaine de membres du Conseil d'État. On peut comprendre qu'ils trouvent
plus intéressante à tous égards une activité au barreau (ou plus exactement
dans les cabinets d'avocats d'affaires) et qu'il soit difficile de les empêcher de
partir. Mais on ne comprend pas que ne soit pas alors coupé le lien entre les
intéressés et le Conseil d'État. L'avocat en disponibilité du Conseil reste
membre du Conseil, même s'il n'y siège pas : il peut s'en prévaloir, y
compris dans des écrits, ce qui, à défaut d'un texte comme celui qui interdit
aux membres du Conseil d'État de se prévaloir de cette appartenance dans
o
leur activité politique (supra, n  152), devrait être exclu par la conscience
déontologique ; cette appartenance peut impressionner les clients et les
juges. Depuis 2008, les arrêtés de mise en disponibilité ne précisent plus
qu'ils sont destinés à permettre aux bénéficiaires d'exercer l'activité d'avocat
dans un cabinet déterminé. Désormais il ne devrait plus y avoir de mise en
disponibilité pour cette activité. Si les membres du Conseil d'État veulent
devenir avocats, ils doivent le quitter définitivement et courir leur chance
sans possibilité de retour – à égalité avec les autres avocats.

Titre 2 - Fonctions du Conseil d'État

181. L'usage est de distinguer au sein du Conseil d'État, d'une part, les


fonctions administratives, ou encore les fonctions consultatives, d'autre part,
les fonctions contentieuses. La distinction est exacte en ce qu'elle classe
deux catégories de fonctions qui n'ont ni le même objet ni la même portée.

89
Mais les qualificatifs employés comportent une certaine ambiguïté, pour deux
raisons.

182. La première est que les fonctions contentieuses portent sur le


contentieux administratif et qu'à ce titre on peut les considérer comme
administratives alors même que leur nature juridictionnelle les distingue
fondamentalement des autres. De plus, le contentieux peut ne pas être
juridictionnel (il existe un contentieux, voire une justice, hors du juge) : or
les fonctions contentieuses du Conseil d'État sont exclusivement des
fonctions juridictionnelles. Pour éviter les confusions et gagner en précision,
il vaut donc mieux parler des fonctions juridictionnelles du Conseil d'État.

183. Le second chef d'ambiguïté porte sur la première catégorie de


fonctions, qu'on les appelle administratives ou consultatives. Ces adjectifs
soulignent sans doute les aspects principaux de l'activité exercée par le
Conseil d'État hors du contentieux, mais ils en limitent la portée car ces
fonctions ne sont pas toutes exclusivement administratives ni exclusivement
consultatives. Le code de justice administrative traite du Conseil d'État
« dans l'exercice de ses attributions administratives et législatives » ; la
participation à l'élaboration de textes de loi déborde l'ordre administratif ; la
participation à celle de textes réglementaires dépasse le rôle consultatif ; et
les avis peuvent être plus forts qu'un simple conseil. On n'arrive pas à
trouver un terme qui rende compte de manière exacte de l'identité des
fonctions non juridictionnelles. On en est réduit à leur donner cet intitulé à
côté des fonctions juridictionnelles.

er
Chapitre 1 - Les fonctions non juridictionnelles

184. Les fonctions non juridictionnelles du Conseil d'État, si, par définition,


elles consistent en un rôle autre que rendre la justice, sont diversifiées : on
vient de dire qu'elles ne se réduisent pas à un rôle administratif ou
consultatif selon l'appellation usuelle et qu'elles ne sont pas toutes de même
type. Il faut donc les identifier exactement.

185. On parlera essentiellement de celles qui sont exercées par le Conseil


d'État dans ses formations collégiales. Il ne faut pas sous-estimer cependant
celles que ses membres peuvent accomplir individuellement, non pas
évidemment pour leur propre compte, ni au titre d'une position autre que
os
d'activité (supra, n  176 s.), mais dans le cadre même d'activités relevant
du Conseil d'État. Le code de justice administrative prévoit expressément
« la participation des membres du Conseil d'État à des activités

90
administratives ou d'intérêt général » (art. R. 137-1 à R. 137-4). Deux cas
sont distingués, selon l'initiative de cette participation.

186. Dans l'un (art. R. 137-3), c'est le gouvernement (Premier ministre ou


ministre) qui demande au vice-président du Conseil d'État de désigner soit
un membre chargé, auprès des ministres, de la préparation des mesures
réglementaires nécessaires à l'application d'une loi, soit un ou plusieurs
membres (réunis alors en « mission ») pour apporter un concours à un
département ministériel. Ils donnent notamment leur avis sur les questions
juridiques intéressant ce département, sur les projets de textes que celui-ci
prépare, spécialement ceux qui doivent être soumis à l'examen du Conseil
d'État, donnent une assistance à la présentation au Parlement des projets de
loi, font des propositions pour résoudre les problèmes qui leur sont soumis.
Ils le font en liaison avec la section administrative dont relève le ministère en
cause. Cela souligne que l'activité ainsi exercée s'insère dans celle même du
Conseil d'État.

187. Dans le second cas (art. R. 137-1), le lien est plus lâche. Ce n'est pas
la demande du gouvernement qui officiellement est à l'origine des activités
exercées (mais en fait le gouvernement ne peut être écarté de la démarche).
Il est seulement admis que les membres du Conseil d'État participent aux
travaux de commissions ou conseils à caractère administratif ou
juridictionnel établis auprès des administrations, établissements ou
entreprises publiques, ou soient chargés de missions auprès d'eux ou auprès
d'organisations internationales dont la France fait partie. Ce peut être
notamment le cas auprès de cabinets ministériels (ce qui implique
évidemment la demande du ministre). L'agrément du vice-président du
Conseil d'État est nécessaire et l'activité exercée doit être compatible avec
les fonctions des intéressés au sein du Conseil d'État. Les liens avec le
Conseil sont donc maintenus.

188. Ils restent très forts lorsque les intéressés restent au Conseil dans une
o
situation d'activité « pure » (supra, n  173), ce qui est le plus souvent le cas
dans la première hypothèse, sans que soit changée la possibilité d'une
affectation à toutes les formations du Conseil. Ils le sont un peu moins dans
la seconde hypothèse lorsqu'ils sont placés dans la position de délégation
o
(supra, n  175), qui ne permet au sein du Conseil qu'une affectation à une
section administrative et une participation à l'assemblée générale
(art. R. 137-2), et non à une formation contentieuse. De toute façon, dans
tous les cas, les membres du Conseil d'État qui ont connu d'une affaire dans
leurs activités extérieures ne peuvent participer à son examen si elle vient au
contentieux. Cela permet d'écarter les critiques portant sur la confusion des
fonctions administratives et des fonctions contentieuses des membres du

91
Conseil d'État, autant dans leur activité individuelle que dans leur activité
collégiale.

189. Activité individuelle et activité collégiale présentent des aspects


communs : elles peuvent être d'ordre normatif et d'ordre consultatif. Ces
deux types de fonctions vont être précisés au titre de l'activité collégiale du
Conseil d'État.

re
Section 1 - Les fonctions normatives

190. Les fonctions normatives portent sur la création de règles de droit. Le


Conseil d'État en exerce dans ses fonctions juridictionnelles puisque, par sa
jurisprudence, il est créateur de droit. Dans ses fonctions non
juridictionnelles, il ne crée pas de règles de droit par lui-même avec la même
autorité, mais il contribue à la création de règles de droit par des organes
auprès desquels il joue un rôle. On pourrait parler de fonctions d'assistance à
la création de la norme plutôt que de fonctions normatives proprement dites.
On pourrait parler aussi de fonctions rédactionnelles dans la mesure où cette
assistance porte sur la rédaction des textes, mais ce serait trop réducteur,
car cela ramènerait la nature de l'activité du Conseil d'État à une sorte de
secrétariat, alors qu'elle contribue à l'élaboration même des textes. Il faut
cependant établir une distinction selon que ces fonctions s'exercent dans
l'ordre législatif ou dans l'ordre administratif.

er
Art. 1 - Les fonctions normatives dans l'ordre législatif

191. Les fonctions normatives du Conseil d'État dans l'ordre législatif, si elles


n'atteignent pas l'intensité qu'elles ont eue sous le Consulat et les deux
Empires, ont cependant repris une importance qu'elles avaient perdue sous
e o
la III  République. On a vu (supra, n  3) que, selon l'article 52 de la
Constitution de l'An VIII, le Conseil d'État était chargé, « sous la direction
des consuls, […] de rédiger les projets de lois », et, selon l'article 53, « de
porter la parole au nom du gouvernement devant le Corps législatif ». Le
règlement du 5 nivôse An VIII a affecté spécialement à cette fin une
« section de législation civile et criminelle », devenue ensuite « section de
législation » tout court, qui a existé pendant longtemps. La Constitution de
1848, qui consacre un chapitre spécial au Conseil d'État, renoue avec son
rôle législatif, en disant seulement qu'il est « consulté sur les projets de loi
du gouvernement qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen
92
préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée lui
aura renvoyés » – ce qui rattache son rôle législatif à une fonction
consultative, mais l'étend aux textes d'origine parlementaire – ce qui se
o
retrouvera en 2008 (infra, n  193). De nouveau la Constitution de 1852
(art. 50) charge le Conseil d'État « de rédiger des projets de lois ». La loi du
24 mai 1872 (art. 8) revient à la formule selon laquelle « le Conseil d'État
o
donne son avis : - 1  sur les projets d'initiative parlementaire que
o
l'assemblée nationale juge à propos de lui envoyer ; 2  sur les projets de loi
préparés par le gouvernement, et qu'un décret spécial ordonne de soumettre
au Conseil d'État ». La consultation du Conseil d'État en matière législative
était donc laissée à l'appréciation du parlement et du gouvernement : or l'un
et l'autre n'y eurent plus guère recours et elle tomba presque en désuétude,
ce qui justifia la suppression de la section de législation en 1934. La
restauration du rôle législatif du Conseil d'État sous Vichy fut aussi théorique
qu'éphémère. L'ordonnance du 31 juillet 1945 (art. 21) dispose que « le
Conseil d'État participe à la confection des lois et ordonnances […] il donne
son avis sur (les) projets et propose les modifications nécessaires ». Avec la
e
V  République, d'abord selon le texte initial de 1958, puis avec des
dispositions ultérieures, cette fonction a pris un essor nouveau. Elle s'exerce
à trois titres : deux pour les lois métropolitaines, un pour les lois de
Nouvelle-Calédonie.

192. L'intervention du Conseil d'État pour les projets de loi du


gouvernement est la solution la plus classique et la plus ancienne. Elle est
prévue par l'article 39, alinéa 2, de la Constitution de 1958 : « les projets de
loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État… ». La
formule fait référence à une fonction consultative, alors que, comme on vient
de le voir, d'autres Constitutions chargeaient le Conseil d'État de rédiger des
projets de lois. Mais, même dans le système actuel, il a un rôle de rédaction
dans la mesure où, saisi du projet du gouvernement, il ne se borne pas à
exprimer un avis mais répond au gouvernement en lui transmettant la
version qu'il estime devoir être adoptée. En cela, il exerce bien une fonction
de caractère normatif.
o
193. La loi organique n  2009-403 du 15 avril 2009 prise pour la mise en
œuvre de la réforme constitutionnelle du 28 juillet 2008 en ce qui concerne
la présentation des projets de loi a précisé (art. 8) qu'ils doivent faire l'objet
d'une étude d'impact : « les documents rendant compte de cette étude
d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil
d'État », puis « ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée
saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent ». Le
Conseil d'État veille à une « application scrupuleuse » de cette « nouvelle

93
o
discipline » (Rapport public 2010, EDCE 2010, n  61, p. 97). Il a pu constater
des améliorations mais aussi déplorer des insuffisances (Rapport public
o
2011, EDCE 2011, n  62, p. 96-97). « L'année 2011 a permis, pour plusieurs
catégories particulières de projets de loi, de préciser les exigences […] en
matière d'études d'impact […] D'une façon générale, le Conseil d'État a
relevé que, même si des progrès notables sont à mettre au crédit des
administrations, la qualité des études d'impact ou s'agissant des lois de
finances, des évaluations préalables, doit encore être sensiblement
o
améliorée » (Rapport public 2012, EDCE 2012, n  63, p. 131). On peut se
demander quelles seraient les incidences d'une insuffisance des études
d'impact au stade de la transmission d'un projet de loi au Conseil d'État alors
même qu'il demanderait de la refaire ou de la compléter (Rapport public
o
2011, EDCE 2011, n  62, p. 140. – V. aussi sur le site du Conseil d'État la
conférence du 29 novembre 2010 de M. SAUVÉ, vice-président du Conseil
d'État, sur « Le rôle du Conseil d'État dans la mise en œuvre des études
d'impact ». – PHILIP-GAY (dir.), Les études d'impact accompagnant les
projets de loi, 2012, LGDJ).

194. D'abord, la Conférence des présidents de chaque assemblée, à laquelle


il revient, selon l'article 9 de la loi du 15 avril 2009, de vérifier le respect des
règles relatives à la présentation des projets de loi, pourrait exciper de
l'insuffisance d'une étude d'impact non seulement à son niveau, mais en
amont à celui du Conseil d'État. Ensuite, le Conseil constitutionnel pourrait
o
faire le même constat. Mais, dans la décision n  2009-579 DC du 9 avril 2009
relative à la loi organique qui les a imposées (Rec. Cons. const., p. 84), il a
considéré d'une part (cons. 13) que « le législateur ne pouvait demander au
gouvernement de justifier de la réalisation de cette étude dès le début de
l'élaboration du projet de loi », d'autre part (cons. 17) « que, si, par suite
des circonstances, tout ou partie d'un document constituant l'étude d'impact
d'un projet de loi venait à être mis à la disposition de la première assemblée
saisie de ce projet après la date de dépôt de ce dernier, (il) apprécierait, le
cas échéant, le respect des dispositions précitées de l'article 38 de la loi
organique au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation ».
On peut en inférer que l'exigence de la communication au Conseil d'État de
l'étude d'impact en même temps que le projet de loi auquel elle se rapporte
doit elle-même faire l'objet d'une appréciation souple, et que sa
méconnaissance ne serait guère de nature à entraîner une censure de la loi
au même titre que, le cas échéant, l'absence de consultation du Conseil
d'État sur tout ou partie du projet de loi lui-même.

195. C'est cette hypothèse qui a donné lieu à la décision du Conseil


o
constitutionnel n  2003-468 DC du 3 avril 2003 relative à l'élection des

94
conseillers régionaux (Rec. Cons. const., p. 325 ; AJDA 2003. 948, note
Drago   ; LPA 13 mai 2003, p. 5, note Schoettl ; RD publ. 2003. 948, note
Andriantsimbazovina). Après avoir cité l'article 39 de la Constitution, le
Conseil constitutionnel considère, par une formule de principe, « que, si le
Conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s'il lui est possible d'en
modifier le contenu, c'est, comme l'a voulu le constituant, à la condition
d'être éclairé par l'avis du Conseil d'État ; que, par suite, l'ensemble des
questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doivent
avoir été soumises au Conseil d'État lors de sa consultation ». En l'espèce,
s'agissant des conditions nécessaires pour qu'une liste puisse se maintenir au
second tour des élections régionales, le texte soumis au Conseil d'État
prévoyait un seuil de 10 % du total des suffrages exprimés au premier tour ;
le texte adopté par le Conseil des ministres y avait substitué le seuil de 10 %
du nombre des électeurs inscrits ; or « ce seuil de 10 % des électeurs
inscrits n'a été évoqué à aucun moment lors de la consultation de la
commission permanente du Conseil d'État » ; dès lors « cette disposition du
projet de loi a été adoptée selon une procédure irrégulière » et a été
déclarée, pour ce motif, contraire à la Constitution. Cette censure pour vice
de procédure a évité au Conseil constitutionnel de statuer sur le fond du
dispositif. Elle est la première qui marque l'exigence constitutionnelle de la
consultation du Conseil d'État sur les projets de loi : en parlant « de
l'ensemble des questions posées par le texte », elle admet que, le cas
échéant, ce ne soit pas le libellé du texte strictement entendu qui ait été
connu du Conseil d'État (comme c'est le cas en matière réglementaire), mais
plus fondamentalement l'ensemble des questions qu'il pose. Elle en souligne
l'importance. Cela pourrait conduire à d'autres censures au cas où le
gouvernement, par le caractère expéditif de la saisine du Conseil d'État, ne
laisserait pas à celui-ci le temps nécessaire pour une étude approfondie des
projets de loi. Le Conseil d'État a dénoncé plusieurs fois la brièveté des délais
qui lui sont impartis, notamment pour les projets de loi de finances : « la
réitération de telles pratiques pourrait être de nature à affecter la régularité
de la procédure de consultation du Conseil d'État organisée par l'article 39 de
o
la Constitution » (Rapport public 2011, EDCE, 2011, n  62, p. 95).

196. Les mêmes contraintes pourraient se retrouver lorsque la saisine du


Conseil d'État porte, non pas sur un projet de loi du gouvernement, mais sur
o
une proposition de loi d'un parlementaire. On a vu (supra, n  191) que
l'association du Conseil d'État aux initiatives des assemblées avait été
épisodiquement organisée, et qu'elle avait même été prévue pour la
e
III  République, même si elle n'avait pas en réalité été pratiquée. La réforme
constitutionnelle du 28 juillet 2008 permettant de consulter le Conseil d'État
sur une proposition de loi n'est donc pas une complète révolution. Elle a pu

95
être critiquée comme infléchissant le rôle du Conseil d'État de conseil du
gouvernement en conseil du Parlement. L'observation est exacte si l'on
considère les rapports d'organe à organe. Elle peut être surpassée si l'on
considère, au-delà des précédents historiques, le rôle du Conseil d'État dans
l'œuvre législative : à cet égard, il importe peu qu'un texte soit d'origine
gouvernementale ou d'origine législative. L'essentiel est son caractère
normatif : il n'y a pas plus d'anomalie à faire examiner par le Conseil d'État
un texte législatif d'initiative parlementaire qu'un texte d'initiative
gouvernementale. On peut même dire que, le cas échéant, la consultation du
Conseil d'État sur un texte d'initiative parlementaire pourrait permettre de
contrebattre le procédé consistant pour le gouvernement, afin d'éviter la
consultation du Conseil d'État sur un projet de loi, à le faire présenter par un
parlementaire sous forme de proposition de loi, comme cela a pu se produire
(par exemple pour le Pacte Civil de Solidarité en 1999) : la saisine du Conseil
d'État sur cette proposition rattraperait le coup. Il ne faut pas cependant se
faire trop d'illusions : si la majorité parlementaire est aussi décidée que le
gouvernement à se passer du Conseil d'État, la loi que l'une et l'autre
veulent faire adopter ne sera pas précédée de son avis. C'est en réalité plus
pour des propositions de loi d'ordre technique que pour celles présentant un
enjeu politique que le Conseil d'État sera consulté.

197. Avant même la réforme constitutionnelle de 2008 qui a permis


directement la consultation du Conseil d'État sur une proposition de loi, il
avait pu être saisi par le gouvernement d'une demande d'avis sur une
proposition parlementaire : ce n'est pas le Parlement qui le saisissait
officiellement, mais la question était posée par le gouvernement avec l'aval,
en fait, des autorités parlementaires. Tel a été le cas pour la proposition de
loi organique relative aux lois de finances qui est devenue la loi organique
o er
n  2001-692 du 1  août 2001. Le gouvernement avait posé au Conseil d'État
des « questions relatives aux conditions dans lesquelles peut être modifiée
o
l'ordonnance n  59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois
de finances », dont le remplacement faisait l'objet d'importants travaux
parlementaires. Le Conseil d'État a répondu par un long avis du 21 décembre
o
2000 (EDCE 2001, n  52, p. 210) qui a contribué à leur achèvement. C'était
ainsi déjà une consultation sur une proposition de loi.

198. Le dernier alinéa ajouté à l'article 39 de la Constitution par la réforme


constitutionnelle du 28 juillet 2008 dispose : « Dans les conditions prévues
par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil
d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par
l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose ». La loi
o o
n  2009-689 du 15 juin 2009 et le décret n  2009-926 du 29 juillet 2009 ont

96
précisé les conditions d'application. On peut observer que leurs dispositions
sont insérées dans le code de justice administrative au titre de celles qui
concernent « le Conseil d'État dans l'exercice de ses attributions
administratives et législatives ». Il est précisé notamment que l'auteur de la
proposition de loi, informé par le président de l'assemblée à laquelle il
appartient de son intention de saisir le Conseil d'État, dispose d'un délai de
cinq jours pour s'y opposer, qu'il peut produire devant le Conseil d'État
toutes observations, être entendu par le rapporteur et participer avec voix
consultative aux séances du Conseil au cours desquelles la proposition est
examinée. Si l'examen de la proposition de loi n'est pas fondamentalement
différent de l'examen des projets de loi, il n'en reste pas moins une
différence importante : elle tient à ce que le Conseil procède, non pas à la
rédaction d'un texte qui est ensuite remis à l'auteur de la proposition
(comme est remis au gouvernement une version d'un projet de loi), mais à
la formulation d'un avis. À cet égard, l'intervention du Conseil d'État est non
pas « rédactionnelle » comme pour les projets de loi, mais très exactement
« consultative ». Cela aurait pu justifier qu'on l'étudie dans les
développements consacrés aux fonctions consultatives du Conseil d'État
os
(infra, n  226 s.). Mais elle s'insère dans le processus de l'élaboration de la
loi et présente ainsi un caractère normatif.

199. Depuis qu'une consultation du Conseil d'État sur une proposition de loi


peut être officiellement demandée par une assemblée parlementaire, la
procédure a été utilisée à plusieurs reprises : une fois en 2009, deux fois en
o
2010, cinq fois en 2011 (Rapport public 2012, EDCE 2012, n  63, p. 129).

200. Elle l'a été pour la première fois au sujet de la proposition de loi


présentée à l'Assemblée nationale pour la simplification et l'amélioration de
o
la qualité du droit, qui est devenue la loi n  2011-525 du 17 mai 2011. Sa
diversité et son étendue ont mobilisé au Conseil d'État cinq sections
administratives et onze rapporteurs. Le Conseil a répondu non pas par une
contre-proposition comme il répond par un contre-projet à un projet de loi du
gouvernement, mais par un avis formulant des « observations juridiques
complétées, pour quelques articles, par des suggestions de rédaction ». « La
forme de l'avis ainsi rendu par le Conseil d'État n'est pas celle habituellement
adoptée pour l'examen des projets de loi. Il n'en résulte, toutefois, aucune
différence, sur le fond, quant à la nature et à l'intensité de l'examen opéré
par le Conseil d'État entre les propositions de loi et les projets de loi qui lui
o
sont soumis » (Rapport public 2010, EDCE 2010, n  61, p. 107). Cet avis n'a
pas été publié dans sa forme générale, mais le rapport présenté à
l'Assemblée nationale en a exprimé le contenu après certains articles, en
précisant si celui-ci avait donné lieu à un avis favorable ou défavorable ou à

97
des observations particulières du Conseil d'État. Pour une nouvelle
proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des
o
démarches administratives, qui est devenue la loi n  2012-387 du 22 mars
2012, l'avis demandé également au Conseil d'État a été présenté dans le
pré-rapport accessible aux membres de la Commission des lois et repris,
pour certains articles, dans le rapport établi après délibération de la
Commission. Des parlementaires ont exprimé leur opposition de principe à la
consultation du Conseil d'État, comme ont pu le faire certains membres de la
doctrine (GONOD, V. bibliographie).

201. Le rôle du Conseil d'État dans le processus législatif propre à la


o
Nouvelle-Calédonie a été établi par la loi organique n  99-209 du 19 mars
1999 qui, donnant à ce territoire un statut très particulier, permet à son
Congrès d'adopter des « lois du pays » ayant, à l'égal des lois de la
métropole, une véritable nature législative : après leur adoption, elles ne
peuvent, comme les lois nationales, donner lieu qu'à un contrôle de
constitutionnalité, soit sur recours direct (art. 104 de la loi), soit par voie de
question prioritaire de constitutionnalité (art. 107). En amont, les projets de
lois du pays avant leur adoption par le gouvernement et les propositions de
loi avant leur première lecture sont soumis pour avis au Conseil d'État
(art. 100). La consultation du Conseil d'État est donc obligatoire quelle que
soit l'initiative de la loi du pays ; elle n'aboutit qu'à un avis qui ne lie pas le
destinataire. Mais sa portée est suffisamment importante pour éclairer non
seulement le législateur néo-calédonien mais aussi le Conseil constitutionnel
auquel il doit être transmis dans la perspective d'un contrôle de
constitutionnalité, ainsi qu'aux autorités néo-calédoniennes et au
gouvernement français (CJA, art. R. 123-4  ) (pour un exemple, V. Rapport
o
public du Conseil d'État 2009, n  60, p. 325). Ces avis ne doivent pas être
confondus avec ceux que le Conseil d'État peut être amené à rendre à propos
de la Nouvelle-Calédonie soit dans ses formations administratives (CJA,
art. LO 224-4), soit dans ses formations contentieuses (art. L. 224-3  ), a
fortiori avec ses arrêts dans certaines procédures particulières propres à ce
territoire (art. L. 224-5  ). Si, pas plus qu'à propos des projets et
propositions de loi en métropole, la position exprimée par le Conseil d'État
dans ces avis, qu'on peut qualifier de « législatifs », ne lie le législateur, la
consultation du Conseil d'État le fait participer à l'élaboration de la norme
législative, même s'il ne va pas, comme pour les projets de loi
métropolitains, jusqu'à substituer son propre texte à celui qui lui a été
envoyé.

Art. 2 - Les fonctions normatives dans l'ordre administratif


98
202. Les fonctions normatives du Conseil d'État dans l'ordre administratif ne
peuvent être réduites à un rôle purement consultatif. Certes, comme dans
l'ordre législatif, elles ne lui donnent pas le pouvoir de prendre la décision à
laquelle elles se rapportent, celle-ci étant prise par une autorité
gouvernementale. Mais elles l'associent si étroitement à la préparation de la
décision qu'il n'apparaît pas comme donnant simplement un avis. Il est « à la
frontière de la consultation et de la décision » (LONG, Le Conseil d'État et la
fonction législative : de la consultation à la décision, RFDA 1992. 787  ). La
jurisprudence le confirme à plusieurs égards.

203. Lorsque la délibération du Conseil d'État doit être recueillie


préalablement à l'adoption d'une mesure par le gouvernement, le vice tenant
à l'absence ou à l'insuffisance de cette délibération a constitué, non plus un
vice de procédure tenant à la « violation des formes substantielles prescrites
par la loi », comme cela a été dit jadis (CE 24 déc. 1926, Brassaud,
Lebon 1152 ; S. 1927. 3. 33, note Hauriou), mais, selon une formule
remontant au moins à 1957 (CE, sect., 25 janv. 1957, Keinde Serigne,
Lebon 63), un vice d'incompétence soulevé d'office par le juge (spécialement
par le Conseil d'État lui-même statuant au contentieux), alors même que les
parties n'en ont pas fait état (par ex. CE, ass., 3 juill. 1998, req.
o
n  177248  , Synd. national de l'environnement CFDT et autres,
Lebon 272   ; AJDA 1998. 780. chron. Raynaud et Fombeur  ). Il en est
ainsi non seulement lorsque le Conseil d'État n'a pas été du tout saisi du
texte (mêmes arrêts) mais encore lorsque, ayant été saisi, le texte adopté
finalement n'est ni celui qui lui avait été transmis ni celui qu'il avait rédigé
(par ex. CE 26 avr. 1974, Villatte, Lebon 253). Si le Conseil d'État, saisi d'un
projet, émet un avis défavorable et n'en adopte aucun autre, le
gouvernement, qui pourrait reprendre son texte initial puisqu'il reste
« maître de suivre ou de ne pas suivre cet avis », ne peut adopter des
dispositions qui « ne sont pas celles du projet qui avait été soumis au
er
Conseil » (CE, sect., 1  juin 1962, Union générale des syndicats de
mandataires des halles centrales et autres, Lebon 362). C'est seulement si
les dispositions adoptées par le gouvernement ne diffèrent de celles figurant
dans le projet transmis au Conseil d'État et de celles adoptées par celui-ci
que par une modification mineure, telle la désignation des ministres chargés
de l'exécution, que cela est sans incidence sur la légalité (CE 23 déc. 2010,
o
req. n  310775  , Mutuelle centrale des finances). Le Conseil d'État vérifie
avec soin la conformité du texte adopté par le gouvernement avec celui que
celui-ci lui avait transmis et avec celui qu'il lui a retourné (V. par ex., CE
7 juill. 2000, Confédér. des syndicats médicaux français, Synd. national de
os
l'industrie pharmaceutique, req. n  210943  et 211064. – 20 oct. 2004,
o
req. n  258379  , Synd. national professionnel des médecins du travail. –

99
o
9 juill. 2007, req. n  297711  , Synd. Entreprises générales de France-
Bâtiment Travaux publics, Lebon 298, concl. Boulouis.   – 28 mars 2011,
o
req. n  234533, Ordre des avocats au barreau de Strasbourg). Si, entre le
moment où le Conseil d'État a délibéré sur un projet de décret et celui où a
été adopté le décret, est intervenu un texte, telle une directive, modifiant
l'état du droit au regard duquel le décret doit être apprécié, le gouvernement
ne peut adopter le décret sans solliciter au préalable du Conseil d'État un
o
nouvel examen (CE, ass., 15 avr. 1996, req. n  110464  , Union nationale
des pharmacies et autres, Lebon 127  ).

204. Bien plus, le Conseil d'État statuant au contentieux a considéré qu'en


signant un décret sans qu'il lui ait été préalablement soumis dans ses
formations administratives, le « Premier ministre a méconnu la compétence
que le Conseil exerce conjointement avec le gouvernement » (CE 16 nov.
1979, Synd. national de l'éducation physique de l'enseignement public,
Lebon 416 ; AJDA 1980. 139, concl. Genevois ; D. 1980. IR 123, obs.
P. Delvolvé. – Ass. 9 juin 1978, Sté civile immobilière du 61-67 boulevard
Arago, Lebon 237 ; JCP 1979. II. 19032, concl. Genevois). La formule était
forte et pouvait paraître excessive. Elle était même dangereuse au regard de
l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales : lorsque le Conseil d'État statue au
contentieux sur un recours dirigé contre un décret qu'il a élaboré
« conjointement » avec le gouvernement, il risque d'être taxé de partialité.
L'argument peut être rejeté puisque aucun de ses membres ayant participé
aux formations administratives qui ont examiné le texte ne doit participer
aux formations contentieuses statuant sur le recours dirigé contre lui.
L'impression de partialité peut néanmoins subsister pour les non-initiés. C'est
pourquoi la formule sur la compétence conjointe du gouvernement et du
Conseil d'État, à la fois excessive et dangereuse, devait être abandonnée.
Dans l'arrêt du 11 juillet 2007, Union syndicale des magistrats administratifs
(AJDA 2007. 2218, note Gründler  ), le Conseil d'État est revenu sur les
formules antérieures en considérant que les stipulations de l'article 6-1 « ne
font pas obstacle à ce que le Conseil d'État, qui n'est pas l'auteur du décret
attaqué, procède, dans l'exercice de ses fonctions consultatives, à l'examen
d'un projet de décret et se prononce ultérieurement, dans l'exercice de ses
fonctions contentieuses, sur la légalité de ce même décret ». À cela s'ajoute
que l'impossibilité pour le Conseil d'État statuant au contentieux de prendre
connaissance des avis non publiés rendus par le Conseil d'État et des
dossiers des formations consultatives relatifs à ces avis, ne lui permet pas de
vérifier la régularité des actes devant être pris en Conseil d'État au regard de
o
la délibération de celui-ci (supra, n  39). Cette limite contentieuse n'empêche

100
pourtant pas de reconnaître l'importance du rôle du Conseil d'État dans
l'élaboration de normes administratives.

205. La nature de celles-ci doit être précisée organiquement et


matériellement. Elles émanent toutes d'organes exécutifs (président de la
République, premier ministre, ministres) ; c'est pourquoi elles sont
administratives. Elles peuvent figurer dans des textes d'appellation et de
formes diverses : ordonnance, décret, arrêté. Quant au fond, elles peuvent
être réglementaires ou non réglementaires : on peut observer à ce sujet que,
si le mot « norme » désigne en général une règle de portée générale et
impersonnelle, il peut s'appliquer aussi à des mesures ayant une portée
beaucoup plus limitée, et notamment à des mesures individuelles. Les
normes émanant d'organes administratifs (donc de nature administrative)
peuvent ainsi être réglementaires ou non réglementaires. Le Conseil d'État
contribue à l'élaboration des secondes aussi bien que des premières, mais
son rôle est plus étendu pour les premières que pour les secondes.

er
§ 1 - Les normes administratives réglementaires

206. Le Conseil d'État contribue à l'élaboration de deux catégories d'actes


réglementaires. La première concerne des actes portant sur le domaine de la
loi, la seconde des actes relevant de celui du règlement.

207. Les actes portant sur le domaine de la loi à l'élaboration desquels


participe le Conseil d'État sont essentiellement les ordonnances de l'article 38
de la Constitution. Celui-ci permet au Parlement d'autoriser le gouvernement
à prendre par ordonnances, pendant un délai limité, pour l'exécution de son
programme, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Elles
ont une nature réglementaire tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par le
législateur. Elles « sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil
d'État ». Mais cet avis ne relève pas d'une pure fonction de consultation.
Comme pour d'autres actes réglementaires devant être précédés de la
délibération du Conseil d'État, celui-ci, saisi du projet du gouvernement, peut
adopter d'autres dispositions, qu'il retourne, éventuellement avec des
commentaires au gouvernement, ce dernier ne pouvant retenir que son texte
initial ou, en tout ou en partie, celui du Conseil d'État. L'utilisation de la
procédure des ordonnances pour l'adoption d'un grand nombre de codes a
conduit en réalité à faire du Conseil d'État le véritable auteur de plusieurs
d'entre eux, au premier rang desquels le code de justice administrative (Ord.
du 4 mai 2000) et le code général de la propriété des personnes publiques
(Ord. du 21 avr. 2006).

101
208. Se distinguent des précédentes les ordonnances que l'article 74-1,
introduit dans la Constitution par la réforme du 28 mars 2003 et légèrement
remanié par celle du 23 juillet 2008, permet au gouvernement de prendre
pour étendre ou adapter dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article
74, les dispositions législatives dans les matières qui demeurent de la
compétence de l'État. Ces ordonnances sont prises en Conseil des ministres
après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d'État. Elles
ont comme les précédentes une nature réglementaire tant qu'elles ne sont
pas ratifiées. Le Conseil d'État exerce pour elles le même rôle que pour celles
de l'article 38.

209. Même si les règlements d'administration publique ont disparu depuis


qu'en 1980 ont été abrogées, par une loi du 7 juillet, une loi organique du
21 juillet et un décret du 31 juillet, les dispositions qui en prévoyaient
l'adoption, ils méritent d'être rappelés ici car ils ont été une illustration
particulièrement importante de la fonction réglementaire du Conseil d'État.
L'article 52 de la Constitution de l'an VIII chargeait le Conseil d'État de les
« rédiger », l'article 75 de celle de 1848 et l'article 50 de la Constitution de
1852 de les « préparer » ; l'article 8 de la loi du 24 mai 1872 l'appelait
« nécessairement à donner son avis » sur eux et sur les décrets rendus dans
la forme des règlements d'administration publique. Ce fut alors la grande
époque des règlements d'administration publique, caractérisés non
seulement par leur délibération en Conseil d'État, mais par leur adoption
« en vertu d'une délégation législative » permettant « l'exercice dans toute
leur plénitude des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au
gouvernement dans ce cas particulier », sans échapper pour autant, « en
raison de ce qu'ils émanent d'une autorité administrative » au recours « en
annulation pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État statuant au
contentieux » (CE 6 déc. 1907, Cie des chemins de fer de l'Est, Lebon 913,
o
concl. Tardieu ; GAJA, n  18, p. 108).

210. La situation s'est déréglée avec l'ordonnance du 31 juillet 1945, la


Constitution de 1958 et le décret du 30 juillet 1963, conduisant, non plus
seulement à distinguer règlements d'administration publique et décrets pris
en forme de règlement d'administration, mais les décrets en Conseil d'État
(au premier rang desquels ceux de l'article 37 de la Constitution), avec la
possibilité de l'examen des règlements d'administration publique seulement
en Section et de décrets qui ne l'étaient pas en Assemblée générale, et avec
la détermination de l'étendue du pouvoir réglementaire moins en raison de la
qualité de règlement d'administration publique qu'en vertu des termes de
l'habilitation donnée par la loi pour son application, que ce soit par règlement
d'administration publique ou non (V. concl. KAHN, sur CE, Ass., 7 mai 1971,
Rivière, AJDA 1971. 607). Après une résistance contentieuse pour faire

102
prévaloir le règlement d'administration publique sur le décret en Conseil
d'État (arrêt Rivière), la situation a été apurée par la suppression de toute
référence aux règlements d'administration publique. Ceux-ci n'en ont pas
moins permis au Conseil d'État le plein exercice de sa fonction normative en
matière réglementaire, qu'il poursuit aujourd'hui avec des décrets
(V. DUFFAU, Grandeur et décadence du RAP, AJDA 1980. 468. – Le MIRE, La
réforme du pouvoir réglementaire autonome, RD publ. 1981. 1241).

211. Un rappel doit être formulé à ce sujet. Si les décrets sont des actes par
lesquels le Président de la République et le Premier ministre exercent le plus
souvent le pouvoir réglementaire, les décrets ne sont pas tous
réglementaires et les règlements ne sont pas tous des décrets. Par
conséquent, lorsqu'il est question ici de la participation du Conseil d'État à
l'exercice du pouvoir réglementaire par décret, cela ne signifie pas que toute
participation du Conseil d'État à l'adoption d'un décret soit d'ordre
réglementaire (on le verra précisément à propos de décrets non
réglementaires) ni que toute participation du Conseil d'État à l'adoption d'une
norme réglementaire porte sur des décrets (on vient d'en voir des exemples
avec les ordonnances de l'article 38 et de l'article 74-1 de la Constitution). La
distinction des décrets en Conseil d'État, des décrets pris après avis du
Conseil d'État et des décrets simples à laquelle on va procéder peut donc
valoir à la fois pour des décrets réglementaires et des décrets non
réglementaires. Mais, s'appliquant très souvent aux décrets réglementaires
pris en ou après avis du Conseil d'État, son analyse a sa place ici.

212. Pour l'essentiel, les décrets en Conseil d'État sont ceux qui doivent
obligatoirement être précédés de la délibération du Conseil d'État ; ils sont
pris « le Conseil d'État entendu » ; les décrets pris « après avis du Conseil
d'État » sont ceux qui sont facultativement précédés de la consultation du
Conseil d'État. Les formules des textes sont parfois approximatives.

213. Les textes déterminent les cas dans lesquels le Conseil d'État doit être
saisi d'un projet de décret réglementaire. Il faut mettre à part l'article 37,
alinéa 2, de la Constitution, en vertu duquel les textes de forme législative
ne peuvent être modifiés que « par décrets pris après avis du Conseil
d'État ». D'une part, la consultation du Conseil d'État est obligatoire (il s'agit
donc en réalité de décrets en Conseil d'État) ; d'autre part, après qu'un tel
décret a été pris, sa propre modification pourrait être réalisée ultérieurement
par un décret sans intervention du Conseil d'État à moins qu'il n'ait lui-même
er
disposé qu'il ne pouvait être modifié qu'en Conseil d'État (CE 1  févr. 1967,
Synd. « Groupe des industries métallurgiques mécaniques et connexes de la
région parisienne », Lebon 51). Tel n'est pas le cas pour les autres textes qui
imposent la délibération du Conseil d'État pour l'adoption d'un décret. Il peut

103
s'agir encore de dispositions constitutionnelles (par ex. art. 76, dern. al.). Il
s'agit surtout de dispositions législatives (lois organiques ou ordinaires).
L'intervention du Conseil d'État reste nécessaire pour modifier ou abroger ces
décrets.

214. En dehors des textes, le gouvernement peut spontanément recourir au


Conseil d'État préalablement à l'adoption d'un décret. Il peut le faire selon
l'une des deux formules : « le Conseil d'État entendu » ou « après avis du
Conseil d'État », portées dans les visas du décret. Cela a des conséquences
sur sa modification ou son abrogation ultérieure : « lorsqu'un décret
comporte la mention « le Conseil d'État entendu » et ne précise pas que
certaines de ses dispositions pourront être modifiées par décret simple, il ne
peut être modifié que par décrets en Conseil d'État » (CE, ass., 3 juill. 1998,
o
req. n  177248  , Synd. national de l'environnement CFDT et autres,
Lebon 272   ; AJDA 1998. 780, chron. Raynaud et Fombeur  ). À l'inverse,
un décret pris après avis du Conseil d'État peut être modifié par décret
simple.

215. Le Conseil d'État a essayé de préciser les critères en vertu desquels le


législateur devrait décider de renvoyer à un décret en Conseil d'État ou à un
décret simple (Rapport public 2011, EDCE 2011. 118). Ces critères
pourraient servir aussi à guider le gouvernement lui-même pour décider de
recourir spontanément à un décret en Conseil d'État, à un décret après avis
du Conseil d'État ou à un décret simple, mais ils n'ont rien d'impératif
(V. notamment GUIBAL, La répartition entre décret en Conseil d'État et
décret simple, AJDA 2010. 1308  . – LABETOULLE, Décret simple ou décret
o
en Conseil d'État ?, RJEP juill. 2010, n  1 ; La place du décret en Conseil
d'État dans l'exercice du pouvoir réglementaire gouvernemental, Mélanges
Costa, 2011, Dalloz, p. 353).

§ 2 - Normes administratives non réglementaires

216. On a déjà dit que, contrairement au langage courant, on pouvait


admettre dans le langage juridique qu'une norme émane d'un acte qui n'est
pas réglementaire. En participant à l'adoption d'un tel acte, le Conseil d'État
participe encore à l'exercice d'une fonction normative. Il le fait pour deux
sortes d'actes non réglementaires : les actes particuliers et les actes
individuels.

217.  Les actes particuliers, dits encore « décisions d'espèce » par certains
auteurs, ont pour caractéristique de n'être ni réglementaires ni individuels.
L'exemple type est celui de la déclaration d'utilité publique.
104
218. Précisément certaines déclarations d'utilité publique ne peuvent être
prononcées que par décret en Conseil d'État. L'article R. 11-2 du code de
l'expropriation les identifie : il s'agit principalement de celles qui portent sur
la création d'autoroutes, d'aérodromes, de canaux de navigation, de voies
ferroviaires, de canalisations d'hydrocarbures, de centrales électriques, d'une
certaine dimension. La Section des travaux publics est spécialement chargée
d'examiner ces projets. Elle le fait en vérifiant notamment le bilan qui, selon
la jurisprudence Ville Nouvelle Est (CE, ass., 28 mai 1971, Lebon 409, concl.
o
Braibant ; GAJA, n  85, p. 581), doit être établi entre les aspects positifs et
négatifs pour reconnaître leur utilité publique. Cela permet d'assurer en
amont un contrôle pouvant remédier à des insuffisances qui seraient
censurées en aval (V. AUBIN, Section des travaux publics, Section du
contentieux : regards croisés, Mélanges Labetoulle, 2007, Dalloz, p. 21).
Mais il arrive qu'une déclaration d'utilité publique par décret en Conseil d'État
soit cependant annulée par le Conseil d'État statuant en contentieux (CE
o
19 mars 2003, req. n  238665  , Ferrand, Lebon 818  ).

219. Dans d'autres domaines, des décrets doivent encore être pris en


Conseil d'État pour des actes particuliers : décrets de classement d'un site
(C. envir., art. L. 341-4  ), d'un monument historique à défaut d'accord du
propriétaire (C. patr., art. L. 621-5  ), d'archives privées dans la même
hypothèse (C. patr., art. L. 212-7  ) ; octroi des concessions de mines
(nouv. C. minier, art. L. 132-2  ) ; détermination des opérations d'intérêt
national au titre de l'urbanisme (C. urb., art. L. 121-2  et L. 121-9  ) ;
approbation des concessions d'autoroute (C. voirie, art. L. 122-4).

220. Alors que le plus souvent l'avis du Conseil d'État ne lie pas le


gouvernement, pour le classement d'archives privées il s'agit d'un avis
conforme : si le gouvernement peut renoncer au classement même si l'avis
est favorable, il ne peut y procéder si l'avis est défavorable – ce qui fait
participer le Conseil d'État à l'adoption de la décision ; en cas d'avis
conforme, le Conseil d'État est une sorte de coauteur du décret. Cela
renforce son rôle normatif.

221. Ce rôle normatif, même lorsque l'exigence d'un avis conforme n'est pas
imposée par les textes, peut se trouver renforcé par la combinaison des deux
rôles du Conseil d'État, comme l'illustre l'affaire du classement du site des
Haras du Pin. Saisie du projet de décret, la Section des travaux publics avait
émis des réserves sur la soustraction de certaines parcelles au classement ;
saisie du recours contre le décret de classement, l'Assemblée du contentieux
a annulé le décret de classement en tant qu'il n'incluait pas ces parcelles, ce
qui revenait à compléter le décret en les y incluant (CE, ass., 16 déc. 2005,

105
o
req. n  261646  , Groupement forestier des ventes du Nonant, Lebon 583   
; AJDA 2006. 320, concl. Aguila  ).

222.  Les actes individuels précédés de la délibération du Conseil d'État sont


rares car l'intervention du Conseil d'État ne se justifie normalement que par
la portée générale des textes à élaborer. Elle est imposée pour certains actes
individuels en raison de l'atteinte qu'ils portent aux droits des personnes. Elle
est renforcée par l'exigence d'un avis conforme du Conseil d'État, sans lequel
l'acte ne peut être pris et qui fait du Conseil d'État le coauteur de celui-ci. Tel
est le cas pour : l'autorisation de prendre possession de propriétés privées
dans la procédure d'expropriation pour extrême urgence (C. expr., art. L. 15-
6  et L. 15-9  ) ; le retrait ou la déchéance de la nationalité française
(C. civ., art. 23-7  et 27-2  ) ; la reconnaissance légale et la dissolution
des congrégations religieuses (L. 9 déc. 1905, art. 13. – V. notamment
BELRHALI-BERNARD, Les avis conformes du Conseil d'État, AJDA
2008. 1181  ).

223. Pour d'autres actes individuels, l'avis du Conseil d'État n'a pas à être
conforme, ni même obligatoire pour être pris. Ainsi, alors que pendant
longtemps le Conseil d'État devait être saisi de tout projet de décret
autorisant un changement de nom, il ne l'est plus nécessairement depuis la
loi du 8 janvier 1993 (C. civ., art. 61  ). Le garde des Sceaux peut
cependant demander l'avis du Conseil d'État (Décr. du 20 janv. 1994).

224. Même si l'avis du Conseil d'État qui doit être recueilli n'est pas un avis
conforme, la « jurisprudence » d'une section administrative dans une matière
peut être suffisamment ferme pour qu'un projet qui ne s'y conforme pas soit
l'objet d'un avis défavorable et que le gouvernement ne s'en écarte pas.
Cette « jurisprudence » est parfois formalisée dans un document élaboré par
le Conseil d'État qui, s'il ne s'impose pas en tant que tel, sert de modèle
duquel il ne faut pas s'écarter. Tel est le cas pour la reconnaissance d'utilité
publique d'associations par décret en Conseil d'État. La Section de l'Intérieur
a adopté des statuts types pour ces associations, qui, s'ils ne s'imposent pas
absolument, doivent normalement être suivis pour que puisse être donné un
avis favorable à la reconnaissance d'utilité publique (en ce sens notamment
o o
le rapport public de 2008, EDCE 2008, n  59, p. 74 et 2011, n  62, p. 160).
De même, il a établi des statuts types pour les fondations (Section de
o
l'Intérieur 2 avr. 2003, EDCE 2004, n  55, p. 192). Il peut y être dérogé le
cas échéant, mais le Conseil d'État ne l'admet que sur justification expresse
pour certaines dispositions.

225. Les actes individuels pris sur avis conforme du Conseil d'État (supra,
o
n  222) peuvent être des mesures défavorables aux intéressés (par exemple

106
refus de reconnaissance d'utilité publique d'une association, déchéance de la
nationalité française). Certaines sont prises en considération de la personne,
voire constituent de véritables sanctions (retrait ou déchéance de la
nationalité française). Au titre du principe des droits de la défense, les
intéressés doivent être mis à même de faire valoir leurs observations, qui
doivent être portées à la connaissance du Conseil d'État pour exprimer son
avis. Il a été souligné (BELRHALI-BERNARD, Les avis conformes du Conseil
d'État, AJDA 2008. 1181  , spéc. p. 1187) que, statuant au contentieux, le
Conseil d'État a annulé des décrets de retrait ou de déchéance de la
nationalité française sur lesquels le Conseil d'État avait précédemment émis
un avis conforme sans avoir eu connaissance d'éléments de défense des
intéressés (CE 20 mars 1964, Konarkowski, AJDA 1964. 497, obs. H. A. –
o
6 oct. 1999, req. n  193019, Mme Regraghi. – 9 févr. 2000, req.
o
n  191187  , Mme Zoungapo). De tels événements ne se produiraient pas si
les intéressés étaient appelés par le Conseil d'État lui-même, dans ses
formations administratives, à se défendre.

Section 2 - Les fonctions consultatives

226. On a déjà observé la relativité de la distinction des fonctions


normatives et des fonctions consultatives car les premières peuvent donner
lieu à des avis et les secondes contribuer à l'élaboration de normes. La
distinction n'en a pas moins sa justification en ce que dans un cas, le Conseil
d'État est directement saisi d'un texte en vue de son adoption alors que dans
le second, il exprime une position qui ne porte pas par elle-même sur
l'établissement d'une mesure.

227. On peut observer une gradation dans les fonctions consultatives du


Conseil d'État : à un premier niveau, elles consistent à répondre par des avis
à des questions qui lui sont posées sur des problèmes précis ; à un second
niveau, elles portent sur des études de portée plus générale.

er
Art. 1 - Les réponses à des demandes d'avis

228. Aux termes de l'article L. 112-2 du code de justice administrative, « le


Conseil d'État peut être consulté par le Premier ministre ou les ministres sur
les difficultés qui s'élèvent en matière administrative ». La formule rappelle
celle de l'article 52 de la Constitution de l'An VIII selon laquelle « le Conseil
d'État est chargé […] de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière

107
administrative ». Mais celle-là désignait les difficultés d'ordre contentieux et
est à l'origine des fonctions juridictionnelles du Conseil d'État, alors que
celle-ci ne désigne aujourd'hui que des fonctions consultatives.

229. Si importantes que soient les demandes d'avis adressées au Conseil


d'État et les réponses qu'il leur donne, c'est l'activité dont il est le plus
difficile de rendre compte car elle a dans bien des cas un caractère
confidentiel. Mais celui-ci tend à se réduire avec l'extension des cas d'avis.
On peut en distinguer trois (V. HOEPPFNER, Les avis du Conseil d'État, RFDA
2009. 895  ).

230.  Le premier est traditionnel depuis le Consulat : c'est la consultation du


Conseil d'État par le gouvernement, c'est-à-dire plus précisément par le
Premier ministre et par les ministres (la demande d'avis passe en fait par le
Secrétariat général du gouvernement, qui exerce une sorte d'appréciation
sur la question posée). Nulle autre autorité étatique ne peut, sauf texte
particulier, saisir directement le Conseil d'État. Cela se comprend aisément à
la fois parce que le Conseil d'État est le conseil du gouvernement et parce
que l'administration est placée sous son autorité. Mais, depuis que des
« autorités administratives indépendantes » sont soustraites au pouvoir
hiérarchique du gouvernement, on peut concevoir qu'elles puissent dans
certaines conditions interroger le Conseil d'État, comme cela est maintenant
o
amorcé (V. infra, n  234).

231. Les questions, si elles sont fondamentalement d'ordre juridique,


peuvent être posées dans un contexte d'ordre politique. C'est ainsi par
exemple qu'à un moment où la question du port du foulard islamique se
posait de manière aiguë, le gouvernement a trouvé commode d'interroger le
Conseil d'État sur la compatibilité du port de signes d'appartenance à une
communauté religieuse avec le principe de laïcité. L'avis rendu par
l'Assemblée générale du Conseil d'État le 27 novembre 1989 (EDCE 1990,
o
n  42, p. 239 ; AJDA 1990. 39, note J.-P. C  . ; RFDA 1990. 1, note Rivero   
e o
; Les grands avis du Conseil d'État [GACA], 3  éd., 2008, Dalloz, n  17,
p. 197) a permis d'éclairer non seulement le gouvernement mais l'opinion
publique, à la connaissance de laquelle il a été immédiatement porté.
D'autres demandes d'avis portent sur des sujets beaucoup plus limités et
beaucoup plus techniques. Ainsi, pour ne prendre que deux exemples
récents : le ministre de la Défense a demandé au Conseil d'État si un
ensemble immobilier dont la construction était prévue pouvait être regardé
comme entrepris pour le compte de l'État, et si plusieurs ensembles
immobiliers pouvaient faire l'objet d'un permis de construire unique (V. CE,
o
section des travaux publics, avis du 30 nov. 2010, EDCE 2011, n  62,
p. 388) ; le ministre de la Justice a demandé au Conseil d'État de préciser, à
108
propos de l'enregistrement des images sur la voie publique et dans les lieux
privés, les champs d'application respectifs de la loi du 6 janvier 1978 relative
à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et de la loi du 21 janvier 1995
d'orientation et de programmation relative à la sécurité (CE, section de
l'intérieur, Rapport public 2012, p. 328). Ces avis sont connus parce que le
gouvernement a permis, quelquefois même a voulu leur publication. Mais
rien ne l'oblige à les diffuser : il en est le seul destinataire. Néanmoins la
publication devient assez fréquente dans le Rapport public annuel du Conseil
d'État. C'est ce qui permet aujourd'hui d'en faire le commentaire, à l'instar
des arrêts (V. Les grands avis du Conseil d'État, préc.).

232. Bien que se rattachant à la première catégorie de demandes d'avis, il


faut mettre à part celles dont le Conseil d'État peut être saisi dans le cadre
de l'article 88-4 de la Constitution. Il l'était systématiquement au titre de
cette disposition telle qu'elle a été rédigée successivement par les révisions
constitutionnelles du 25 juin 1992 et du 25 janvier 1993, au sujet de la
soumission à l'Assemblée nationale et au Sénat des propositions d'actes
communautaires comportant notamment des dispositions de nature
législative. Le gouvernement avait organisé par plusieurs circulaires la
consultation préalable du Conseil d'État, en particulier pour savoir si des
dispositions relevaient du domaine législatif ou du domaine réglementaire
(Circ. du 31 juill. 1992, du 21 avr. 1993, du 13 déc. 1999 et du 22 nov.
2005). Cette pratique a été largement et utilement suivie, comme en
témoignaient les comptes rendus du Rapport annuel du Conseil d'État. Elle a
été revue après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a donné
une nouvelle rédaction à l'article 88-4 (V. la circulaire du Premier ministre du
21 juin 2010). Le Conseil d'État n'est plus systématiquement consulté ; mais
« le gouvernement peut décider de saisir le Conseil d'État, pour avis, des
difficultés juridiques qui apparaissent en cours de négociation de projets
d'actes de l'Union européenne » ; « sur demande de l'une ou l'autre
assemblée, (il) examine l'opportunité d'une telle saisine pour les textes
transmis au titre de l'article 88-4 de la Constitution ». Le Conseil d'État a
repensé en conséquence les modalités de son rôle consultatif dans le
o
domaine européen (V. Rapport public 2010, EDCE, n  61, p. 297).

233. Alors que classiquement, conseil du gouvernement, le Conseil d'État ne


peut être consulté que par celui-ci, l'adoption de statuts très particuliers pour
certaines autorités et collectivités a conduit le législateur à organiser une
consultation du Conseil d'État par elles. Ainsi a été ouverte une deuxième
catégorie d'avis.

234. S'agissant des autorités, la seule à en bénéficier pour le moment est,


comme le Médiateur de la République précédemment, le Défenseur des

109
droits, institué par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. La loi
o
organique n  20011-333 du 29 mars 2011 qui lui a été consacrée lui permet
(art. 31), lorsqu'il est saisi d'une réclamation non soumise à une autorité
juridictionnelle, soulevant une question touchant à l'interprétation ou à la
portée d'une disposition législative ou réglementaire, de consulter le Conseil
d'État. C'est au Défenseur des droits qu'il revient d'apprécier si l'avis doit
être publié.

235. S'agissant des collectivités, la première à avoir pu demander un avis au


o
Conseil d'État a été la Polynésie française en vertu de la loi organique n  96-
312 du 12 avril 1996 portant statut de son autonomie. L'article 14 a permis
au président du gouvernement et à celui de l'assemblée de la Polynésie de
saisir le tribunal administratif de Papeete d'une demande d'avis ; lorsqu'il
s'agissait de la répartition des compétences entre l'État, le territoire et les
communes, la demande devait être transmise au Conseil d'État. Le système
o
a été repris et étendu par la nouvelle loi organique n  2004-192 du 27 février
2004, article 175.

236. Entre-temps, il l'avait été pour la Nouvelle-Calédonie par la loi


organique du 19 mars 1999. On a déjà vu le rôle du Conseil d'État pour la
o
préparation des lois du pays (V. supra, n  201). Pour le reste, l'article 206 de
la loi organique dispose que normalement c'est au tribunal administratif que
le président du gouvernement, le président du Congrès, le président du
Sénat coutumier ou le président d'une assemblée de province, ainsi que le
haut-commissaire de la République, doivent s'adresser pour obtenir un avis
sur un objet que la loi ne précise pas, mais qui ne saurait être que d'ordre
juridique. Lorsque la demande porte sur la répartition des compétences entre
l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces ou les communes, comme pour la
Polynésie, elle est transmise par le tribunal administratif au Conseil d'État
(CJA, art. LO 224-4 et art. R. 224-7  à R. 224-9  ).
o
237. Le même système a été repris pour Mayotte (L. n  2007-224 du
21 févr. 2007 ; CGCT, art. LO 6162-10 ; CJA, art. L. 223-2  ) ; Saint-
Barthélemy (CGCT, art. LO 6252-14 ; CJA, art. L. 223-3  ), Saint-Martin
(CGCT, art. LO 6352-14 ; CJA, art. L. 223-4  ) et Saint-Pierre-et-Miquelon
o
(LO n  2007-223 du 21 févr. 2007 ; CGCT, art. L. 6462-9 ; CJA, art. L. 223-
5  ).

238. Chaque année, le rapport public du Conseil d'État reproduit plusieurs


avis sur la répartition des compétences relatives à ces collectivités
spécifiques d'outre-mer. De conseil du gouvernement, le Conseil d'État

110
devient conseil de l'outre-mer pour la répartition des attributions entre les
institutions.

239. La troisième catégorie d'avis n'a plus de rapport avec les précédentes.
Elle en a au contraire avec les fonctions contentieuses du Conseil d'État et
même des juridictions administratives dans leur ensemble. Elle a été ouverte
par la réforme de 1963 à la suite d'observations, formulées notamment par
Jean RIVERO, qui était membre de la commission préparant la réforme,
soulignant l'inefficacité dans certains cas des décisions rendues par la justice
administrative, faute de mécanismes contraignant l'administration à les
respecter. Même si, depuis lors, des progrès considérables ont résulté de
l'attribution d'un pouvoir d'injonction au juge administratif par la loi du
8 février 1995, le dispositif conçu en 1963, intégré désormais dans le code
de justice administrative, est toujours en vigueur et peut encore être mis en
œuvre.

240. Il peut l'être d'abord par « l'autorité intéressée » (qui peut ne pas être
le Premier ministre ou un ministre comme pour les avis « normaux »)
lorsqu'une juridiction administrative a annulé pour excès de pouvoir un acte
administratif ou, dans un litige de pleine juridiction, a rejeté tout ou partie
des conclusions présentées par une collectivité publique : elle peut demander
au Conseil d'État d'éclairer l'administration sur l'exécution de la décision
(CJA, art. R. 931-1  ). De leur côté aussi, « les parties intéressées peuvent
signaler au Conseil d'État les difficultés qu'elles rencontrent pour obtenir
l'exécution d'une décision rendue par le Conseil d'État ou une juridiction
administrative spéciale » (art. R. 931-2  ). La réponse du président de la
Section du rapport et des études au sujet de l'exécution d'une décision d'une
juridiction administrative ne peut faire l'objet d'une contestation
contentieuse, notamment si elle dit qu'il n'y a pas à prendre de mesure
o
d'exécution (CE 29 déc. 2000, req. n  222276  , Colombeau, Lebon 1141   
; AJDA 2001. 895, concl. Mignon  ).

241. Car ces demandes n'aboutissent qu'à un avis. À cet égard, elles


relèvent des fonctions consultatives du Conseil d'État. Le Rapport annuel du
Conseil en fait état. Mais le système a une double singularité. D'une part, il
s'insère entre deux étapes contentieuses, celle de la décision rendue par une
juridiction administrative sur le fond et, celle éventuellement, de la décision
qu'une juridiction administrative, et spécialement le Conseil d'État statuant
au contentieux, peut rendre pour enjoindre l'administration de prendre les
mesures qu'implique nécessairement l'exécution. D'autre part, l'étape
intermédiaire d'examen des difficultés d'exécution est assurée par la Section
du rapport et des études. C'est une des fonctions particulières qui lui sont
confiées.

111
Art. 2 - Les études

242. Les études du Conseil d'État ne sont pas habituellement citées parmi


les fonctions consultatives qu'il exerce, celles-ci étant plutôt considérées
comme portant sur les avis donnés en réponse à des demandes du
gouvernement et même sur les projets ou propositions de textes qui lui sont
adressés. Or, la contribution à la préparation des textes est plutôt d'ordre
normatif que consultatif et le rôle consultatif ne se limite pas à des avis sur
des questions particulières : il peut porter sur des problèmes plus larges. Tel
est bien le cas des études.

243. Aux termes de l'article L. 112-3 du code de justice administrative,


repris de l'ordonnance du 31 juillet 1945, « le Conseil d'État peut, de sa
propre initiative, appeler l'attention des pouvoirs publics sur les réformes
d'ordre législatif, réglementaire ou administratif qui lui paraissent conformes
à l'intérêt général ». Lorsque la Commission du rapport a été élargie aux
études par le décret du 26 août 1975, celui-ci a précisé qu'« à la demande
du Premier ministre ou à l'initiative du vice-président, la commission procède
également à des études ». Cet élargissement a été transposé à la Section du
rapport et des études lorsque celle-ci a remplacé la Commission. L'article
R. 123-5 du code de justice administrative lui donne pour « mission
d'élaborer les propositions que le Conseil d'État adresse aux pouvoirs publics
en exécution de l'article L. 112-3 et de procéder à des études à la demande
du Premier ministre ou à l'initiative du vice-président », de mentionner les
réformes d'ordre législatif, réglementaire ou administratif sur lesquelles le
Conseil d'État appelle l'attention du gouvernement, avec éventuellement des
o
propositions nouvelles. La loi organique n  2011-333 du 29 mars 2011
permet en outre au Défenseur des droits (art. 19) de demander au vice-
président du Conseil d'État (ainsi qu'au Premier président de la Cour des
comptes) « de faire procéder à toutes études ».

244. C'est bien une fonction consultative qu'exerce le Conseil d'État soit de


sa propre initiative sous forme de propositions ou d'études, soit à la
demande du Premier ministre ou du Défenseur des droits sous la forme
d'études (lesquelles comportent d'ailleurs des propositions).

245. Cette fonction s'est considérablement élargie au cours des dernières


années et illustre l'extension, pour ne pas dire l'expansion, du rôle du Conseil
d'État comme acteur de réformes. On peut dire que ce rôle rejoint à certains
égards son rôle normatif.

112
246. Il peut prendre deux formes. À l'occasion du Rapport annuel, sont
publiées en même temps que lui, depuis 1996 (et depuis 2008 dans un
volume distinct), des analyses sur un sujet déterminé (depuis « Le principe
d'égalité » en 1996, jusqu'à « Consulter autrement. Participer
effectivement » en 2010, et « Les agences » en 2011) qui constituent en soi
de véritables études. D'autres études font l'objet de travaux spécifiques (par
exemple en 2009, « Les recours administratifs préalables obligatoires », « La
révision des lois bioéthiques » ; en 2010, « Les établissements publics », et
« Réflexions sur l'institution d'un parquet européen »). Leur présentation,
leur contenu et leur portée sont sensiblement différents de ceux des avis
proprement dits. Mais, dans leur nature, ils ne se séparent pas de la fonction
consultative du Conseil d'État, même si leur préparation et leur présentation
peuvent présenter certaines particularités.

Chapitre 2 - Les fonctions juridictionnelles

247. Une des singularités déjà signalée du Conseil d'État tient à ce que


contrairement à la plupart des juridictions ses fonctions juridictionnelles sont
de divers niveaux. Cela s'explique par son histoire qui, d'un juge de droit
commun de premier et dernier ressort pour l'essentiel à l'origine, en a fait
progressivement de plus en plus un juge d'appel puis un juge de cassation.
Aujourd'hui ces trois fonctions peuvent s'exercer selon les cas. Le plus
souvent, elles s'exercent séparément. Mais elles peuvent se cumuler dans
une même affaire comme on le verra : saisi en cassation d'un arrêt d'une
cour administrative d'appel, il peut l'annuler et, statuant au fond, examiner
comme juge d'appel le jugement du tribunal administratif dont la cour était
saisie ; il peut annuler ce jugement et, reprenant à ce niveau l'affaire au
fond, statuer comme juge de premier et dernier ressort. Ces solutions
s'expliquent fondamentalement parce que le Conseil d'État est le juge
suprême de l'ordre juridictionnel administratif.

re
Section 1 - Le Conseil d'État, juge de premier et dernier ressort

248. La formule selon laquelle le Conseil d'État est compétent dans certains
cas en premier et en dernier ressort, pour classique et même officielle qu'elle
soit, notamment parce qu'elle est employée par les textes (Décr.-loi du
30 sept.1953 ; CJA, art. L. 311-2   s., R. 311-1  ), pourrait être trompeuse
car, au sens strict, les décisions juridictionnelles rendues en premier et
dernier ressort sont susceptibles de recours en cassation… devant le Conseil

113
os
d'État (V. infra, n  330 s.). Or, lorsque le Conseil d'État statue en premier et
dernier ressort, ses décisions ne peuvent donner lieu à pourvoi en cassation.
Il vaudrait mieux parler de compétence directe du Conseil d'État, comme il
o
lui arrive de le faire lui-même (par ex., CE 7 avr. 1993, req. n  81281  , Sté
d'exploitation immobilière et agricole du Midi, Lebon 101   ; CJEG nov.
1993, p. 497, concl. Legal, note Cardon. – CE, sect., 25 avr. 2001, req.
o
n  216521  , Assoc. Choisir la vie, Lebon 190   ; RFDA 2002. 541, concl.
Boissard  ).

249. En cas de compétence directe du Conseil d'État, ses décisions ne


peuvent faire l'objet ni, comme on vient de le voir, d'un pourvoi en
cassation, ni d'un appel. Cette exclusion, qui choque parfois si l'on observe
que, lorsqu'une affaire relève en premier ressort d'un tribunal administratif,
elle peut donner lieu ensuite à un appel devant une cour administrative, puis
à un pourvoi en cassation, s'explique encore parce que le Conseil d'État est
o
la juridiction suprême de l'ordre administratif (V. infra, n  326), et que
conséquemment il ne peut y avoir ni appel ni pourvoi en cassation contre les
décisions qu'il rend.

250. Cette compétence peut s'exercer dans tous les types de contentieux :


contentieux de la légalité (recours pour excès de pouvoir, appréciation de la
légalité et interprétation des actes administratifs) ; pleins contentieux
(notamment réformation de certains actes administratifs ; contentieux
électoral ; contentieux fiscal ; contentieux de la responsabilité), voire
contentieux de la répression (mais les cas de compétence directe du Conseil
d'État en matière de contravention de grande voirie ne devraient guère se
rencontrer). Le rôle du Conseil d'État comme juge de premier et dernier
ressort ne se différencie pas fonctionnellement de celui de toute juridiction
statuant en premier ressort : il en a toute l'étendue et toutes les limites.
Mais il s'en différencie organiquement puisqu'il est exercé par la juridiction
suprême de l'ordre administratif.

251. La compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort a été


progressivement réduite. Elle était le droit commun jusqu'à la réforme de
1953. Celle-ci en a fait une compétence d'exception, mais elle est restée
longtemps assez étendue. Au fur et à mesure que l'autorité et l'expérience
des tribunaux administratifs se sont renforcées, il a été possible de leur
transférer des attributions qui avaient été initialement conservées par le
Conseil d'État, en en faisant pleinement les juges de droit commun du
contentieux administratif : conséquemment la compétence de premier et
dernier ressort du Conseil d'État est devenue résiduelle. Il ne faut pas
exagérer la portée de cette formule car le Conseil d'État garde des

114
attributions de compétence directe qui sont importantes ; mais elles n'ont
plus l'étendue qu'elles ont longtemps eue.

252. La réduction progressive de la compétence directe du Conseil d'État,


corrélative de l'extension de la compétence de premier ressort des tribunaux
administratifs, est résultée de l'adoption successive de décrets et de lois qui
ont modifié le décret-loi du 30 septembre 1953, puis le code de justice
administrative depuis que celui-ci en a repris les dispositions. Le texte le plus
récent le plus représentatif d'une évolution réduisant la compétence de
o
premier ressort du Conseil d'État est le décret n  2010-164 du 22 février
2010 modifiant l'article R. 311-1 du code de justice administrative. Il n'est
o
pas le dernier, puisqu'il a été encore suivi d'un décret n  2011-921 du
er
1  août 2011, qui, s'il est moins important, est significatif de la recherche
d'ajustements assurant une juste répartition entre les litiges portés
directement devant le Conseil d'État et ceux qui n'y parviennent
éventuellement qu'après examen par les tribunaux administratifs et les cours
administratives d'appel (sur le décret du 22 février 2010, V. CHAUVAUX et
COURTIAL, AJDA 2010. 605  . – NOYER et MELLERAY, Dr. adm. mai 2010,
p. 15). Il n'est pas exclu qu'à brève échéance certaines compétences de
premier ressort du Conseil d'État soient transférées à des cours
administratives d'appel.

253. Si le mouvement général tend à réduire le nombre de cas de


compétence directe du Conseil d'État, la solution inverse est recherchée par
d'autres mesures, notamment législatives, pour permettre de donner à
certains contentieux une solution plus rapide que celle qui résulterait du
franchissement des différentes étapes de la justice administrative. On peut
observer ainsi une certaine contradiction entre une volonté de déconcentrer
la justice administrative sur le chef des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel et celle de faire trancher certains litiges en une seule
fois, au sommet de la justice administrative, par le Conseil d'État. Il n'est pas
sûr que la cohérence du système soit parfaitement assurée.
o
254. Selon les dernières statistiques disponibles (EDCE 2011, n  62, p. 38 ;
o
2012, n  63, t. 1, p. 36), le Conseil d'État a été saisi en premier ressort de
3 044 affaires en 2009, de 2067 en 2010, et de 1549 en 2011, soit
respectivement 31 %, 22 % et 17 % du total des affaires – décrue due en
large partie aux réformes ayant réduit la compétence directe du Conseil.

255. La compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort est


reconnue, selon les intitulés du code de justice administrative (livre III, titre
premier, chapitre premier), « en raison de la matière ». Aux termes de
l'article L. 311-1, ce sont « l'objet du litige ou l'intérêt d'une bonne
115
administration de la justice » (on pourrait même dire l'intérêt d'une bonne
administration tout court) qui « conduisent à (lui) attribuer » « des
compétences » directes. La formule est suffisamment générale pour englober
des solutions diverses et qui ont pu varier selon les contingences de la
politique contentieuse, voire de la politique tout court. Il n'est pas possible
d'y voir une parfaite logique. On peut du moins essayer de mettre un certain
ordre en retenant deux aspects justifiant la compétence directe du Conseil
d'État (objet du litige, bonne administration), sans que la distinction entre
ces deux aspects soit d'une parfaite rigueur, chacune des explications
pouvant être retenue parfois en sens inverse.

er
Art. 1 - La compétence directe du Conseil d'État en raison de l'objet
du litige

256. En parlant d'objet du litige, les rédacteurs des textes ont utilisé un
euphémisme pour ne pas avoir à dire que le litige, et ses enjeux, sont trop
importants pour que soit laissée aux tribunaux administratifs la possibilité
d'en connaître. Ce n'est sans doute pas une manifestation de défiance à leur
égard. Mais leur position dans le système juridictionnel et administratif
français n'est pas suffisamment forte pour qu'ils puissent être confrontés à
des contestations dont l'issue peut être cruciale autant pour eux-mêmes que
pour les pouvoirs constitués. Il est préférable que, compte tenu de la place et
de l'autorité du Conseil d'État, lui seul soit appelé à connaître de recours
dont la « sensibilité » peut être grande. On va le voir dans la présentation de
différents chefs de compétence de premier et dernier ressort du Conseil
d'État, concernant les recours contre des actes d'autorités gouvernementales
et ceux d'autres autorités à compétence nationale, ensuite des recours en
matière électorale, enfin des recours propres à certaines collectivités d'outre-
mer.

er
§ 1 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours
contre des actes d'autorités gouvernementales

257. On se tromperait si l'on croyait, à partir de cet intitulé, que le Conseil


d'État est toujours compétent contre tous les actes des autorités
gouvernementales. On veut seulement souligner qu'il a gardé une
compétence directe pour connaître des recours dirigés contre les principaux
actes pris par les plus hautes autorités de l'exécutif, même si d'autres actes

116
que prennent ces mêmes autorités lui échappent désormais. Du moins
l'essentiel lui est conservé. C'est en ce sens qu'on pourrait parler d'une
compétence de droit commun du Conseil d'État à l'égard de ces autorités,
limitée seulement par des exceptions au profit d'autres juridictions ; mais la
formule serait fausse car, même pour les autorités gouvernementales, la
compétence directe du Conseil d'État n'est reconnue que cas par cas.

258. Il n'est pas besoin de souligner l'importance des actes de l'exécutif


dans le système administratif français. On peut seulement rappeler que,
depuis l'arrêt du Conseil d'État du 6 décembre 1907, Compagnie des chemins
de fer de l'Est (Lebon 913, concl. Tardieu ; D. 1909. 3. 57, concl. Tardieu ;
S. 1908. 3. 1, note Hauriou, concl. Tardieu ; RD publ. 1908. 38, note Jèze ;
o
GAJA, n  18, p. 108), même les actes du chef de l'État n'échappent pas, en
ce qu'ils émanent d'une autorité administrative, au recours pour excès de
pouvoir devant le Conseil d'État ; il en va a fortiori ainsi pour ceux du chef du
gouvernement et des ministres. Leur importance a toujours justifié que ces
recours ne puissent être portés que devant le Conseil d'État.

259. L'exclusivité de la compétence du Conseil d'État ne valait, sous l'empire


du décret-loi du 30 septembre 1953, que pour les recours pour excès de
pouvoir. Les recours de plein contentieux ouverts contre certains de ces
actes restaient de la compétence des tribunaux administratifs en premier
ressort (ou le cas échéant de juridictions spécialisées). C'est ce qui a été
jugé, à propos de décrets relatifs à la résiliation de contrats, dont la
contestation relève, entre les parties au contrat, du plein contentieux
contractuel (CE 6 mai 1955, Sté anonyme des grands travaux de Marseille,
Lebon 244 ; AJDA 1955. II. 327, concl. Chardeau. – 11 déc. 1959, Sté
générale technique, Lebon 670), ou encore de décrets portant fermeture
d'un établissement dangereux, incommode ou insalubre (CE 16 déc. 1955,
Sté MORAI, Lebon 595 ; RPDA 1956. 3, concl. Laurent). Mais la rédaction
actuelle de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, qui parle de
« recours » en général, et non plus de recours pour excès de pouvoir comme
le décret de 1953, n'entraîne plus cette exception à la compétence directe du
Conseil d'État pour les actes qu'elle couvre. Ce qui a été jugé à propos de
recours contre les actes des organismes collégiaux à compétence nationale
o o
(V. infra, n  277) (CE 11 févr. 2004, req. n  244324  , Assoc. Défense de la
chanson française-radio fréquence Nîmes, Lebon 641  ) doit valoir autant
pour les « recours » contre les actes d'autorités gouvernementales désignés
par l'article R. 311-1 : tous ces recours, de quelque nature qu'ils soient,
relèvent de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort.

260. Mais reste toujours actuelle la solution selon laquelle, lorsque la légalité


de ces actes est contestée, non pas par un recours (pour excès de pouvoir ou

117
autre) tendant à leur annulation ou à leur réformation, mais par voie
d'exception à l'occasion de la contestation d'une mesure qui en fait
application, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel
sont compétents pour apprécier la légalité de ces actes, et le cas échéant
pour les écarter (sans en prononcer l'annulation).

261. Au premier rang des recours relevant de la compétence directe du


o
Conseil d'État figurent (CJA, art. R. 311-1  , 1 ) les « recours dirigés contre
les ordonnances du président de la République ». Il s'agit essentiellement
des ordonnances prévues par l'article 38 de la Constitution que le Parlement
peut autoriser le gouvernement à prendre pour l'exécution de son
programme : délibérées en Conseil des ministres, elles sont à ce titre signées
par le président de la République. Tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par le
Parlement, elles ont une nature administrative, permettant leur contrôle par
o
le juge administratif (en ce sens, par ex., CE 29 oct. 2004, req. n  269814  ,
o
Sueur, Lebon 393, concl. Casas   ; BJCP 2005, n  38, p. 65 ; RFDA
2004. 1103, concl. Casas   ; AJDA 2004. 2383, chron. Landais et Lenica  ),
plus spécialement par le Conseil d'État, devant qui elles peuvent être
attaquées et par qui elles peuvent être annulées. Après ratification, prenant
une valeur législative, elles ne peuvent plus être contestées devant le juge
administratif (en ce sens notamment, CE 29 oct. 2004, Sueur, préc., pour la
partie d'une ordonnance qui avait été ratifiée par la loi) ; le recours dirigé
o
contre elles devient sans objet (CE 8 déc. 2000, req. n  199072  , Hoffer et
autres, Lebon 585   ; RFDA 2001. 454, concl. Maugüé   ; AJDA 2000. 985.
chron. Guyomar et Collin  ). Les mêmes solutions valent pour les
ordonnances de l'article 74-1 de la Constitution.

262. Aux ordonnances de l'article 38 et de l'article 74-1, il faut ajouter celles


que le président de la République peut être autorisé à prendre en vertu d'une
habilitation référendaire, à laquelle le Conseil d'État, par l'arrêt (ass.) du
19 octobre 1962, Canal, Robin et Godot (Lebon 552 ; AJDA 1962. 612.
chron. de Laubadère ; JCP 1963. II. 13068, note Debbasch ; Rev. adm.
1962. 623, note Liet-Veaux), a reconnu la même portée : les ordonnances
que le président de la République peut prendre en vertu d'une habilitation
figurant dans une loi adoptée par le peuple français ont une nature
administrative : elles peuvent être attaquées devant le Conseil d'État et
annulées par lui (ce qui a été le cas en l'espèce).

263. Aux ordonnances précédentes, il faut encore ajouter celles de l'article


47, selon lequel, si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de
soixante-dix jours sur le projet de loi de finances, ses dispositions peuvent
être mises en vigueur par ordonnance. Le texte ne dit pas expressément,
comme le fait l'article 38, que cette ordonnance est prise en Conseil des
118
ministres, ce qui implique la signature du président de la République. Mais la
solution ne paraît pas devoir être différente d'un article à l'autre. Les
ordonnances de l'article 47 comme celles de l'article 38 sont des
ordonnances du président de la République ; comme elles, elles ont une
nature administrative, entraînant la possibilité de contrôle par le juge
administratif, et spécialement par le Conseil d'État, saisi de recours contre
elles. En réalité, jamais le mécanisme n'a été mis en œuvre ni le Conseil
d'État n'a eu à en connaître. Mais l'éventualité doit en être réservée.

264. Il faut enfin citer des décisions qui s'apparentent à certains égards aux
ordonnances : il s'agit de certaines de celles qui peuvent être prises dans le
cadre de l'article 16 de la Constitution. Si la décision de recourir à cet article
« présente le caractère d'un acte de gouvernement dont il n'appartient au
Conseil d'État ni d'apprécier la légalité ni de contrôler la durée
d'application », et si les décisions que, après avoir mis en application l'article
16, le président de la République, en vertu des pouvoirs exceptionnels que
lui donne cet article, prend dans le domaine de la loi ont une nature
législative les soustrayant au contrôle du juge administratif (en ce sens, CE,
ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens, Lebon 143 ; JCP 1962. II. 12613,
o
concl. Henry ; RD publ. 1962. 294, concl. Henry ; GAJA, n  79, p. 532. –
13 nov. 1964, Min. de l'Intérieur c/ Livet, Lebon 534 ; AJDA 1965. 365, note
A. H. ; D. 1965. 668, note Demichel ; JCP 1965. II. 14286, note Langavant),
celles qu'il prend en dehors du domaine législatif ont une nature
administrative : les recours dirigés contre celles-là relèveraient de la
compétence directe du Conseil d'État. On n'en a pas trouvé d'exemple en
jurisprudence. Ceux qui sont donnés le plus souvent comme illustrations de
cette hypothèse concernent en réalité des décrets (CE, ass., 23 oct. 1964,
d'Oriano, Lebon 486 ; RD publ. 1965. 282, concl. Bernard ; AJDA 1964. 684,
chron. Puybasset et Puissochet ; D. 1965. 9, note Ruzié) à l'encontre
desquels le Conseil d'État doit être saisi directement.

265. Le Conseil d'État est en effet compétent en premier et dernier ressort


pour connaître des recours dirigés contre les décrets (CJA, art. R. 311-1  ,
o
1 ). Dans sa simplicité, la formule couvre toutes les variétés de décrets,
os
organiquement, formellement et matériellement (V. supra, n  211 s.). Il
peut s'agir : des décrets du président de la République et des décrets du
Premier ministre, des décrets en Conseil des ministres (qui sont signés par le
Président), des décrets en Conseil d'État, des décrets pris avis de certains
organismes (par ex. du Conseil supérieur de la fonction publique), des
décrets simples, des décrets réglementaires (par ex. décrets édictant de
nouvelles règles du code de la route), des décrets individuels (par ex.
décrets de nomination de certains fonctionnaires), des décrets particuliers,

119
qui ne sont ni réglementaires ni individuels (par ex. décrets de déclaration
d'utilité publique).

266. La compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur les recours
contre les décrets se prolonge pour les recours dirigés contre le refus de les
abroger ou les modifier. Il en est ainsi quels que soient l'auteur, la forme ou
la portée du décret. Ainsi, ce n'est pas parce qu'un décret est réglementaire
que le recours contre le refus de le modifier ou de l'abroger relève de la
compétence du Conseil d'État, mais tout simplement parce qu'il s'agit d'un
décret (par ex. pour le refus de modifier un décret individuel : CE 4 déc.
1957, Brandstetter, Lebon 651. – 3 nov. 1976, Aufaure, Lebon 465. – Pour le
refus de modifier un décret déclaratif d'utilité publique : CE 23 févr. 1983,
Poulain, Lebon 665. – Pour le refus de modifier un décret réglementaire : CE,
ass., 3 févr. 1989, Cie Alitalia, Lebon 44 ; RFDA 1989. 391, concl. Chahid-
Nourai, notes Beaud et Dubouis ; AJDA 1989. 387, note Fouquet ; RTD
eur. 1989. 509, note Vergès ; Les grands arrêts de la jurisprudence
o
administrative [GACA], n  90, p. 638. – CE, ass., 20 déc. 1995, req.
o
n  132183  , Mme Vedel et Jannot, Lebon 440   ; CJEG 1996. 215 ; RFDA
1996. 313, concl. Delarue   ; AJDA 1996. 124. Chron. Stahl et Chauvaux  ).

ACTUALISATION
266. Refus de modifier un décret. Compétence du Conseil d'État
en premier et dernier ressort. - Le recours exercé contre une décision
de refus de modification d'un décret s'assimile à un recours dirigé contre
un décret. Par conséquent, le Conseil d'État est compétent en premier et
o
dernier ressort (CE 26 nov. 2012, M. B., req. n  356105  , AJDA
2012. 2248, obs. Necib  ).

267. En revanche, lorsqu'un décret n'existe pas encore, le refus de l'adopter


(qu'il émane d'un ministre, du Premier ministre, voire du président de la
République), s'il peut être attaqué, ne peut l'être directement devant le
Conseil d'État, mais en premier ressort devant un tribunal administratif
er
(CE 1  oct. 1958, Noguès, Lebon 462. – CE, sect., 15 juill. 1960, Sté
Sablières de la Fénerie et autres, Lebon 486. – 5 mai 1986, Fondation
Vasarely, Lebon 455). Il n'en irait autrement que si le décret qu'un ministre
refuse de faire prendre eût été un acte réglementaire, car le refus de prendre
un acte réglementaire est lui-même un acte réglementaire : la compétence
du Conseil d'État en premier et dernier ressort résulte alors de sa
compétence pour statuer sur les recours contre les actes réglementaires des
o
ministres (V. infra, n  271) (en ce sens par ex., CE, ass., 8 juin 1973,

120
Richard, Lebon 405). Cette jurisprudence, qui n'est pas d'une parfaite clarté,
pourrait évoluer prochainement.

268. Doit être isolé le cas particulier des oppositions aux changements de


noms prononcés par décret en vertu de l'article 61 du code civil. Ce chef de
compétence directe du Conseil d'État est déterminé non par l'article R. 311-
1du code de justice administrative mais par l'article L. 311-2. Cette
particularité s'explique parce que les oppositions aux changements de nom
constituent un contentieux essentiellement subjectif alors que les recours
identifiés par l'article R. 311-1, qui sont des recours pour excès de pouvoir,
sont essentiellement objectifs. Les rédacteurs des décrets de 1953 puis du
code de justice administrative n'ont pas voulu les mélanger. Pourtant, dès
lors que l'on veut rendre compte de la compétence directe du Conseil d'État
en tant qu'elle porte sur des décrets, le cas des décrets autorisant les
changements de noms doit être mentionné avec les autres décrets, même si
la forme de leur contestation est celle d'une « opposition » et non pas d'un
« recours ». Cela ne change pas la compétence directe du Conseil d'État pour
o
en connaître (par ex. 2 oct. 1996, req. n  173697, Coret, Lebon 798  ).

269. Mais, pas plus que pour tout décret (autre que réglementaire), le refus
de prendre un décret autorisant un changement de nom ne relève d'un
recours direct devant le Conseil d'État. Il doit être porté en premier ressort
o
devant un tribunal administratif (CE 2 oct. 1996, req. n  174195  , Pichon,
Lebon 364  ).

270. À la compétence du Conseil d'État pour connaître des recours dirigés


contre les décrets, peut être rattachée celle qu'il détient directement pour les
litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés
par décret du président de la République en vertu de l'article 13, alinéa 3, de
er o
la Constitution et des articles 1  et 2 de l'ordonnance n  58-1136 du
o
28 novembre 1958 (CJA, art. R. 311-1  , 3 ). Il n'était pas besoin de cette
disposition particulière au sujet des recours dirigés contre les décrets
nommant ces agents puisque la qualité même d'un décret suffit à déterminer
o
la compétence directe du Conseil d'État (V. supra, n  265). Mais les agents
nommés par décret du Président de la République peuvent faire l'objet
d'autres mesures (par ex. arrêté ministériel), voire introduire des recours
autres que contre des décrets ou autres mesures (par ex. pour
l'indemnisation d'un préjudice de carrière) au sujet desquels le Conseil d'État
ne serait pas compétent s'il n'en était pas disposé ainsi spécialement. Dès le
décret du 30 septembre 1953, il a été considéré que le Conseil d'État devait
rester compétent pour tout litige concernant les hauts fonctionnaires,
identifiés par leur nomination par décret. Cette compétence a été

121
progressivement réduite : le décret du 22 février 2010 en est le dernier
avatar. Alors que précédemment c'est tout litige concernant « la situation
individuelle » des intéressés qui était réservé au Conseil d'État, désormais il
ne s'agit plus que de ceux qui portent sur le recrutement et la discipline (le
contentieux indemnitaire par exemple n'en fait plus partie : CE 5 déc. 2011,
o
req. n  347709  , Gollnisch).

271. Les recours contre les actes réglementaires des ministres (y inclus le


Premier ministre et les secrétaires d'État) ont toujours été réservés au
Conseil d'État depuis la réforme de 1953. Cela a conduit à préciser les
critères de l'acte réglementaire (V.  Acte administratif : identification [Cont.
adm.] et Acte administratif : régime [Cont. adm.] ). On peut rappeler
seulement ici qu'est réglementaire l'acte qui établit une disposition générale
et impersonnelle ; il en est ainsi notamment de celui qui détermine
l'organisation d'un service public. Comme on l'a rappelé plus haut (V. supra,
o
n  267), le refus de prendre un acte réglementaire est lui-même un acte
réglementaire – ce qui est le cas en particulier du refus d'un ministre, non
seulement de prendre lui-même un règlement, mais aussi de faire prendre
par le président de la République ou le Premier ministre un décret
réglementaire (ce qui n'est pas le cas pour un décret non réglementaire). Les
actes pris au nom d'un ministre par une autorité bénéficiaire d'une
délégation de signature sont en réalité des actes du ministre : à ce titre, s'ils
sont réglementaires, ils ne peuvent être attaqués que devant le Conseil
d'État, autant que s'ils avaient été signés par le ministre lui-même (sur les
o
délégations de signature des ministres, V. Décr. n  2005-850 du 27 juill.
2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement. –
V. P. DELVOLVÉ, Le nouveau statut des délégations de signature, in
Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l'honneur du professeur
Favoreu, 2007, Dalloz, p. 1173-1189. – LIEBERT-CHAMPAGNE, La réforme
des délégations de signature, de nouvelles modalités alliant efficacité et
respect du droit, AJDA 2005. 1723  . – PETIT, Le nouveau régime de la
o
délégation de signature des membres du gouvernement, JCP A 2005, n  46,
p. 1361).

272. La jurisprudence a dû préciser la qualification d'actes ministériels dans


des cas incertains :

– les uns sont réglementaires et relèvent donc de la compétence directe du


o
Conseil d'État : CE 17 oct. 2007, req. n  294447  , Dpt des Bouches-du-
Rhône (arrêté interministériel du 18 novembre 2005, pris pour l'application
du IV de l'article 104 de la loi du 13 août 2004, relatif à la mise à la
disposition du département de services du ministère de l'Éducation nationale

122
est relatif à l'organisation du service public de l'éducation dans le
département pendant la période transitoire précédant le transfert définitif
o
organisé par cette loi) ; 7 août 2008, req. n  291158  , Comité économique
agricole fruits et légumes du bassin Rhône-Méditerranée, Lebon 654 
(arrêté du ministre chargé de l'agriculture portant reconnaissance en qualité
d'organisation de producteurs d'une société d'intérêt collectif agricole –
o
solution implicite) ; 26 déc. 2008, req. n  312426  , Sté Air France
(décisions ministérielles d'homologation d'une redevance applicable à un
aéroport exploité par une chambre de commerce et d'industrie) ; 26 nov.
o
2010, req. n  328038  , SCP Goury-Laffont et Chauchefer (arrêté du garde
des Sceaux portant notamment transfert d'un office d'huissier, en tant qu'il
prononce ce transfert) ;

– les autres, non et ne relèvent donc pas de la compétence directe du


o
Conseil d'État : CE 27 juin 2005, req. n  279475  , Rocard et Collectif CGT
des victimes de l'amiante Trefimeteaux, Lebon 807-808  (décision par
laquelle le ministre de l'Emploi et du Travail se prononce sur l'inscription d'un
établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de
cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante) ; 20 juin 2006,
o
req. n  293731  , Assoc. France nature environnement, Lebon 795 
(décision par laquelle le ministre chargé de l'agriculture accorde une
autorisation de dissémination volontaire à toute fin autre que la mise sur le
marché, de plantes, semences ou plants génétiquement modifiés, qui fait
application dans un cas particulier de normes générales) ; 30 mai 2007, req.
o
n  287280  , Sté Lesaffre frères, Lebon 765-  766 (décision par laquelle le
ministre chargé de l'environnement retient un exploitant sur la liste de ceux
auxquels sont affectés des quotas d'émission de gaz à effet de serre et
précise, pour chaque installation, le montant total des quotas affectés, ainsi
que les quantités de quotas délivrés chaque année) ; 6 déc. 2010, req.
o
n  344567  , Assoc. Promouvoir (décision par laquelle le ministre de la
Culture et de la Communication a délivré, le 4 novembre 2010, un visa
d'exploitation pour un film, comportant l'interdiction de la représentation aux
mineurs de seize ans assortie d'un avertissement) ; 27 juin 2011, req.
o
n  340164  , Fédér. des conseils de parents d'élèves des écoles publiques,
Fédér. des syndicats Sud Éducation, Assoc. Sauvons l'Université (arrêtés du
ministre de l'Éducation nationale autorisant l'ouverture pour la session 2011
des concours externes, internes et des troisièmes concours pour le
recrutement des professeurs certifiés, des conseillers principaux d'éducation,
des professeurs d'éducation physique et sportive, des professeurs de lycée
professionnel et des professeurs des écoles, qui s'appliquent à ces seuls
o
concours et ne sont donc pas permanents) ; 5 oct. 2011, req. n  346508  ,

123
Union nationale de l'apiculture française (décision par laquelle le ministre de
l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de
l'Aménagement du territoire a autorisé la mise sur le marché du produit
phytopharmaceutique Cruiser 350 de la société Syngenta Agro SAS, même si
elle est assortie de prescriptions relatives aux conditions de son utilisation,
délivrée à une société en vue de la mise sur le marché d'un produit
déterminé).

273. Le Conseil d'État est également compétent en premier et dernier


ressort pour connaître des recours contre les circulaires et instructions
ministérielles de portée générale. La formule est une innovation du décret du
22 février 2010. Elle s'explique par la jurisprudence Mme Duvignères (CE,
o
sect., 18 déc. 2002, req. n  233618  , Lebon 463, concl. Fombeur   ; RFDA
2003. 274, concl. Fombeur  , et RFDA 2003. 510, note J. Petit   ; AJDA
o
2003. 487. chron. Donnat et Casas   ; GAJA, n  110, p. 841), selon laquelle
peuvent être déférées au juge administratif, non plus seulement les
circulaires réglementaires, mais plus généralement les circulaires
impératives, même si elles n'ont pas un caractère réglementaire. S'il n'avait
pas été précisé que toutes les circulaires et instructions ministérielles
relevaient de la compétence directe du Conseil d'État, seules les circulaires
réglementaires en auraient relevé au titre de la compétence du Conseil d'État
o
à l'égard des actes réglementaires des ministres (supra, n  271), non les
autres qui, impératives, ne sont pas pour autant réglementaires. La
compétence du Conseil d'État à l'égard de toutes les circulaires et
instructions ministérielles, sans distinction, assure une unité bienvenue dans
le contentieux de ces mesures, dont l'importance dans la vie administrative
française justifie qu'elles puissent toutes être contestées directement au plus
haut niveau contentieux.

274. La compétence directe du Conseil d'État est encore reconnue par des
dispositions éparses à l'égard de certains actes de ministres, par une
justification qui ne peut être autre que leur importance particulière, mais qui
n'a pas vraiment d'unité. Elle l'est par l'article R. 311-1 du code de justice
administrative pour les recours contre les décisions ministérielles prises en
matière de concentration économique : c'est aux pouvoirs reconnus au
ministre de l'Économie par le code de commerce qu'il est fait référence.
o
Avant la loi n  2008-776 du 4 août 2008, il les exerçait le cas échéant avec le
ministre duquel relevait le secteur concerné. Désormais ils appartiennent
principalement à l'Autorité de la concurrence, dont les décisions en matière
de concentration relèvent du Conseil d'État à un autre titre (V. infra,
o
n  281) ; mais, selon l'article L. 430-7-1 du code de commerce, le ministre
chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en

124
cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la
concurrence et, le cas échéant, en compensant l'atteinte portée à cette
dernière par l'opération ; le Conseil d'État fait une interprétation large de sa
compétence à ce titre en reconnaissant sa compétence directe pour statuer
sur des mesures du ministre se rapportant à la concentration (CE 23 déc.
o
2011, req. n  340834  , Sté Groupe Partouche, AJDA 2012. 584, note E. G 
.). Dans un tout autre ordre, l'article L. 311-4 du code de justice
administrative soumet au Conseil d'État statuant en premier et dernier
ressort les recours de pleine juridiction contre les sanctions infligées par le
ministre chargé du logement en vertu de l'article L. 313-13 du code de la
construction et de l'habitation aux organismes jouant un rôle dans la collecte,
la gestion ou l'utilisation des fonds dus par les employeurs pour
l'amélioration du logement ; cette compétence se rattache à celle qui est
attribuée plus généralement au Conseil d'État dans le contentieux des
o
sanctions infligées par certaines autorités collégiales (V. infra, n  281).

ACTUALISATION
274. Loi ALUR. - La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un
o
urbanisme rénové (loi ALUR) modifie l'article L. 311-4, 2 du code de
er
justice administrative, de sorte que depuis le 1  janvier 2015, le Conseil
d'État connaît, en premier et dernier ressort, des recours de pleine
juridiction qui lui sont attribués en vertu des articles L. 342-14 et L. 342-
15 du code de la construction et de l'habitation contre les décisions de
sanction prises par le ministre chargé du logement ou conjointement par
les ministres chargés du logement et des collectivités territoriales
o
(L. n  2014-366 du 24 mars 2014, art. 102-IV et IX, JO 26 mars).

275. En revanche le décret du 22 février 2010 a fait disparaître de la


compétence directe du Conseil d'État les recours contre les actes des
ministres qui ne peuvent être pris qu'après son avis. Ce titre de compétence
particulière (qui ne pouvait concerner que les actes non réglementaires
puisque les actes réglementaires des ministres, pris ou non après avis du
Conseil d'État, relevaient et relèvent d'ailleurs toujours du Conseil d'État en
o
premier et dernier ressort – V. supra, n  271) se justifiait par le rôle que
devait avoir le Conseil d'État dans l'adoption de ces actes : corrélativement
leur contrôle contentieux paraissait ne pouvoir être exercé que par lui.
Désormais, cela ne semble plus nécessaire. C'est aux tribunaux
administratifs, puis aux cours administratives d'appel d'en connaître
d'abord ; le Conseil d'État, selon le droit commun du contentieux
administratif, ne sera saisi qu'à l'occasion d'un éventuel pourvoi en
cassation.
125
§ 2 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours contre
des actes d'autres autorités nationales

276. C'est encore l'importance de certaines autorités au niveau national qui


justifie que la contestation de leurs décisions soit attribuée directement au
Conseil d'État. Mais la solution a connu des évolutions qui illustrent la
difficulté de trouver un critère satisfaisant et de procéder à une rédaction
exacte.

277. La compétence directe du Conseil d'État à l'égard de ces autorités n'a


d'abord été reconnue par le décret du 30 juillet 1963 que pour les recours en
annulation dirigés contre les décisions administratives des organismes
collégiaux à compétence nationale des ordres professionnels, ce qui ne
couvrait pas des organismes tels que la Commission de contrôle des banques
(CE 8 juill. 1964, Sté anonyme de défense familiale et commerciale (Lebon
864-865) ou la Commission supérieure de la carte d'identité des journalistes
(CE, sect., 14 avr. 1972, Premier ministre c/Marion de Procé, Lebon 287),
qui, s'ils ont un rôle dans le domaine professionnel, ne sont pas des ordres
professionnels ; le décret du 26 août 1975 a élargi ce titre de compétence
directe du Conseil d'État aux recours en annulation contre les décisions
administratives des organismes collégiaux à compétence nationale. La
formule « recours en annulation » a été interprétée comme ne désignant que
les recours pour excès de pouvoir et non les recours de plein contentieux
o
(CE 12 oct. 1992, req. n  132694  , Galy-Dejean, Lebon 367   ; RD publ.
1993. 239, concl. Le Chatelier ; AJDA 1992. 84. chron. Maugüé et
Schwartz  , à propos du recours contre la décision de la Commission
nationale des comptes de campagne et des financements politiques fixant le
montant des sommes devant être reversées par un candidat comme
dépassant le montant des dépenses électorales) ; mais cette restriction a fini
par être dépassée (pour une admission du recours de plein contentieux, sous
er
réserve de sa présentation avec le ministère d'un avocat : CE 1  avr. 2005,
o
req. n  273319  , Mme Le Pen, Lebon 136   ; AJDA 2005. 1306, note
Maligner  ). De plus il a été admis que la compétence directe du Conseil
d'État s'exerçait à l'encontre des décisions prises par un dirigeant de
l'organisme collégial par délégation de celui-ci (CE 21 mars 2011, req.
o
n  341572  , Dumon), mais non par celles qu'il prenait en vertu de ses
pouvoirs propres (CE 9 oct. 1985, Grellet, Lebon 276. – 17 janv. 1990, req.
o
n  95943  , Jeannie Longo).

126
278. Ces variations sont une des illustrations de la difficulté d'arriver à une
solution satisfaisante, voire du byzantinisme auquel n'a pas complètement
échappé l'abondante jurisprudence qui a dû être rendue pour reconnaître ce
qui est un organisme à compétence nationale et distinguer les décisions
prises par un organisme collégial de celles qui le sont par une autorité
unique. Le décret du 22 février 2010 a procédé à une simplification qui
devrait permettre d'identifier plus simplement la compétence directe du
Conseil d'État à l'encontre d'actes de certaines autorités nationales. Mais il
n'a pas supprimé complètement la formule des autorités à compétence
nationale. Il faut distinguer deux cas.

279. Le premier cas est celui des recours contre les actes réglementaires et
o
les circulaires et instructions de portée générale. L'article R. 311-1, 2  du
code de justice administrative donne compétence directe au Conseil d'État
os
non seulement pour ces actes adoptés par les ministres (supra, n  271 et
273), mais aussi pour ceux qui le sont par les « autres autorités à
compétence nationale ». Elles ne sont pas nécessairement collégiales, mais il
faut qu'elles aient une compétence nationale, ce qui peut encore prêter
parfois à discussion. Déjà le Conseil d'État a jugé « que, hormis le cas où il
aurait été doté par un texte d'un pouvoir réglementaire, un établissement
public national ne peut être regardé comme une autorité à compétence
o
nationale, au sens de ces dispositions » (CE 26 juill. 2011, req. n  346771  ,
Snutefi-FSU, Synd. national Sud travail affaires sociales et Synd. national
CGT SETE) – ce qui peut être effectivement le cas (CE 28 mars 2012, req.
o
n  341067  , Confédér. générale des petites et moyennes entreprises).

ACTUALISATION
279. Compétence du Conseil d'État pour les litiges relatifs aux
actes réglementaires des directeurs d'administration centrale. -
Cette compétence résulte des dispositions de l'article R. 311-1, 2), du
code de justice administrative qui prévoit cette compétence pour les
actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence
nationale. Sur le fondement de la jurisprudence Jamart (CE 7 févr. 1936,
o
Jamart, req. n  43321  , Lebon 172), cette compétence porte également
sur les actes pris au titre du pouvoir d'organisation dont disposent les
directeurs d'administration centrale en tant que chef de service (CE
o
9 mars 2016, req. n  382868  ).

280. Le second cas est identifié par la désignation de chaque autorité


nommément. Leur énumération permet d'éviter toute hésitation. Elle permet
d'ailleurs déjà d'inclure la liste parmi les autorités à compétence nationale

127
adoptant des actes réglementaires, circulaires et instructions dont le
o
contentieux appartient directement au Conseil d'État (V. supra, n  279).
Cette énumération lui donne compétence aussi pour les recours dirigés
contre les actes pris par les autorités ainsi désignées « au titre de leur
mission de contrôle ou de régulation ». L'établissement de cette liste évite
toute ambigüité quant aux autorités en cause et à leurs organes, qui peuvent
être aussi bien uniques que collégiaux. Il peut en laisser subsister quant aux
fonctions au titre desquelles ils prennent leurs décisions : il doit s'agir de
contrôle ou de régulation, notions dont les contours ne sont pas exactement
déterminés. En tout cas, ces fonctions n'englobent pas les mesures
d'administration de ces organes et de leurs services, dont la contestation ne
relève donc pas de la compétence directe du Conseil d'État.

281. La liste de ces autorités peut être modifiée au fur et à mesure des
er
besoins. Elle a déjà été complétée par un décret du 1  août 2011 pour la
Commission nationale d'aménagement commercial, mettant ainsi fin à un
imbroglio peu acceptable (V. POUJADE, Urbanisme commercial : la fin de
o
l'imbroglio !, AJDA 2011. 1  ). L'article R. 311-1, 4  du code de justice
administrative donne l'énumération suivante : Agence française de lutte
contre le dopage ; Autorité de contrôle prudentiel ; Autorité de la
concurrence ; Autorité des marchés financiers ; Autorité de régulation des
communications électroniques et des postes ; Autorité de régulation des jeux
en ligne ; Autorité de régulation des transports ferroviaires ; Autorité de
sûreté nucléaire ; Commission de régulation de l'énergie ; Conseil supérieur
de l'audiovisuel (pour celui-ci, V. aussi la disposition spéciale de l'article
L. 553-1 du CJA relative au référé devant le président de la Section du
contentieux du Conseil d'État) ; Commission nationale de l'informatique et
des libertés ; Commission nationale de contrôle des interceptions de
sécurité ; Commission nationale d'aménagement commercial. En outre, le
Conseil d'État est compétent en premier et dernier ressort en vertu de
dispositions qui, par une inconséquence regrettable, n'ont pas été intégrées
o
à l'article R. 311-1, 4  : les unes sont antérieures au décret du 22 février
o
2010 (par exemple, art. 10 du Décr. n  70-147 du 19 févr. 1970 relatif à
l'ordre des experts-comptables, pour les recours contre les décisions de la
Commission nationale de cet ordre : CE 24 avr. 2012, Hedouin, req.
o
n  344936  ) ; les autres lui sont postérieures (art. 13-1 ajouté au Décr.
o
n  2001-1837 du 8 déc. 2011, pour les recours contre les décisions de la
Commission nationale de contrôle de la campagne électorale pour l'élection
du Président de la République).

ACTUALISATION

128
281. Compétence sur la Haute Autorité pour la transparence de la
vie publique. - Un décret du 23 décembre 2013 ajoute la Haute
Autorité pour la transparence de la vie publique à la liste énumérative du
o o
4 de l'article R. 311-1 du code de justice administrative (Décr. n  2013-
1204 du 23 déc. 2013, art. 17, JO 24 déc.).

o
282. L'énumération de l'article R. 311-1, 4  se combine avec celle que donne
l'article L. 311-4 du CJA au sujet des recours de pleine juridiction portés au
Conseil d'État en premier et dernier ressort contre les sanctions prises par
l'Autorité de contrôle prudentiel, l'Autorité des marchés financiers, le Conseil
supérieur de l'audiovisuel, l'Autorité de régulation des communications
électroniques et des postes, la Commission de régulation de l'énergie,
l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, l'Agence française de lutte
contre le dopage. Il s'agit là de décisions qui s'insèrent dans celles que plus
o
généralement énumère l'article R. 311-1, 4 . Leur singularité tient à ce qu'il
s'agit de sanctions contre lesquelles le législateur a voulu spécialement ouvrir
un recours direct de pleine juridiction devant le Conseil d'État.

ACTUALISATION
282. Juge compétent sur les litiges touchant les autorités
indépendantes. - Si le Conseil d'État est compétent pour connaître en
premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises
o
par les organes des autorités mentionnées au 4 de l'article R. 311-1 du
code de justice administrative au titre de leur mission de contrôle ou de
régulation, il n'est, en revanche, pas compétent pour connaître en
premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises
par ces autorités à un autre titre, ni pour connaître des autres litiges,
me
notamment indemnitaires, les concernant (CE 18 déc. 2013, M Longo-
o
Ciprelli, req. n  365844  , AJDA 2014. 9  ).

Autorité de contrôle prudentiel. Les décisions par lesquelles le


secrétaire général adjoint a refusé de communiquer des documents
demandés ne sont pas des décisions prises au titre de la mission de
contrôle et de régulation de cette autorité. Le recours dirigé contre ces
décisions ressortit à la compétence du tribunal administratif
territorialement compétent et non du Conseil d'État (CE 15 oct. 2014,
Assoc. nationale des victimes de l'immobilier [ANVI-ASDEVILM] et
o
M. Michel, req. n  362927  ).

129
Autorité de sûreté nucléaire. Le Conseil d'État est compétent sur le
o
fondement du 4 de l'art. R. 311-1 pour connaître en premier et dernier
ressort des recours dirigés tant contre les décisions prises par l'Autorité
de sûreté nucléaire (ASN) au titre de sa mission de contrôle et de
régulation que contre celles par lesquelles les ministres homologuent ces
décisions (CE 17 oct. 2014, Comité de réflexion d'information et de lutte
o
anti-nucléaire [CRILAN], req. n  361315  ).

Conseil supérieur de l'audiovisuel. La décision par laquelle le Conseil


supérieur de l'audiovisuel (CSA) refuse d'agréer une modification du
contrôle direct ou indirect de la société titulaire de l'autorisation est prise
sur le fondement de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Par
suite, des conclusions tendant à l'annulation de cette décision ne sont
pas au nombre de celles dont la cour administrative d'appel de Paris
o
connaît en premier et dernier ressort, en application du 2 de l'article
R. 311-2 du code de justice administrative, selon lequel cette cour
connaît des litiges relatifs aux décisions prises par le Conseil supérieur
de l'audiovisuel, en application des articles 28-1, 28-3 et 29 à 30-7 de
o
cette loi. En vertu du 4 de l'article R. 311-1 du même code, elles
relèvent de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil
o
d'État (CE 2 mai 2016, SARL Nice Music, req. n  33686).

§ 3 - L'extension de la compétence directe du Conseil d'État aux


recours en interprétation et aux recours en appréciation de la
légalité

283. On vient de voir que les recours dirigés contre des actes d'autorités
gouvernementales et ceux d'autres autorités nationales, tendant à leur
annulation, voire dans certains cas à leur réformation, doivent être portés
directement au Conseil d'État. Ces actes peuvent également faire l'objet de
deux autres formes de contentieux : elles restent de sa compétence directe.

284. Il s'agit en premier lieu des recours en interprétation. Ils ont pour objet
non pas de faire juger que l'acte est légal ou non, mais de déterminer son
sens (lequel peut cependant parfois commander sa légalité mais, dans le
contentieux de l'interprétation, seul le sens de l'acte est demandé au juge).
Il faut distinguer le recours en interprétation des questions d'interprétation
qui peuvent se poser à l'occasion d'un litige. Par exemple, à l'occasion du
recours en annulation contre un acte d'un ministre, peut se poser la question

130
du sens d'un décret sur le fondement duquel cet acte a été pris :
l'interprétation du décret peut commander la solution du recours dirigé
contre l'acte du ministre, mais elle n'est pas en elle-même l'objet du recours.
Si le recours dirigé contre l'acte du ministre relève de la compétence directe
o
du Conseil d'État (cas d'un acte réglementaire – supra, n  271), il n'y a
évidemment aucune singularité à ce que celui-ci interprète le décret pour
déterminer la solution à donner au recours contre l'acte du ministre. Mais si
le recours en annulation porte sur un acte relevant de la compétence de
premier ressort d'un tribunal administratif (cas d'un acte individuel), le
tribunal administratif pourra de lui-même donner le sens du décret, sans
avoir à renvoyer la question au Conseil d'État, car il n'est saisi de la question
de l'interprétation que par voie d'exception et non par un recours direct en
interprétation. Il n'y a de recours en interprétation que si l'objet du recours
est exclusivement de demander au juge le sens d'un acte. Deux cas peuvent
se présenter.

285. L'un est celui d'un recours en interprétation indépendamment de toute


contestation devant une autre juridiction. Deux parties s'opposent sur le sens
d'un acte ; pour trancher le litige, le juge est saisi par l'une ou l'autre, voire
par les deux. Un tel recours ne peut être intenté que s'il existe un réel
contentieux sur le sujet (il ne peut s'agir de demander seulement un avis au
juge) : le litige doit être « né et actuel ». Si l'acte en cause est de ceux des
recours contre lesquels le Conseil d'État est compétent directement, le
Conseil l'est aussi pour le recours en interprétation (notamment pour une
ordonnance, un décret, un acte réglementaire d'un ministre) (pour un
exemple de recours en interprétation d'un décret : CE, sect., 23 juin 1967,
Laquière, Lebon 273 ; RD publ. 1967. 1218, concl. Bertrand).

286. L'autre cas de recours en interprétation se présente lorsqu'une


juridiction judiciaire, à l'occasion d'un litige dont elle est compétemment
saisie, se heurte à une difficulté pertinente et sérieuse portant sur
l'interprétation d'un acte administratif, qu'en vertu du principe de la
séparation des autorités administratives et judiciaires, elle n'a pas
compétence pour donner (V.  Questions préjudicielles [Cont. adm.] ).
L'hypothèse ne peut plus guère concerner aujourd'hui que l'interprétation
d'un acte administratif individuel dont l'application est en cause devant une
juridiction judiciaire non répressive. Celle-ci doit surseoir à statuer jusqu'à ce
que la juridiction administrative, saisie par la partie la plus diligente, ait
donné l'interprétation nécessaire. Le recours en interprétation est alors un
recours incident. Si l'acte administratif dont l'interprétation est ainsi en cause
est de ceux contre lesquels le Conseil d'État est compétent directement, c'est
à lui aussi que doit être adressé directement le recours en interprétation.

131
o
287. En second lieu (V. supra, n  284) se trouvent les recours en
appréciation de légalité d'actes administratifs. Il ne s'agit ni d'en obtenir
l'annulation ou la réformation comme dans les recours dirigés directement
contre eux, ni d'en obtenir le sens comme dans les recours en interprétation,
mais d'en déclarer la légalité ou l'illégalité. Ces recours ne peuvent être
intentés qu'à la suite d'une exception d'illégalité soulevée devant une
juridiction judiciaire dans un litige dont elle est saisie et sur laquelle elle doit
o
surseoir à statuer (par ex. CE 23 mars 2011, req. n  332400  ). Ils n'ont pas
lieu d'être lorsque l'exception d'illégalité est soulevée devant une juridiction
administrative, celle-ci pouvant toujours apprécier la légalité d'un acte
administratif par voie d'exception alors même qu'elle ne le serait pas pour en
connaître par voie d'action (par exemple compétence d'un tribunal
administratif pour apprécier la légalité d'un décret à l'occasion d'un recours
contre un acte individuel) ; ils n'ont pas lieu d'être non plus lorsque
compétence est reconnue aux juridictions judiciaires pour apprécier la
légalité d'un acte administratif (cas notamment des juridictions répressives à
l'égard des actes administratifs servant de fondement aux poursuites ou à la
défense). Alors que, comme on vient de le voir, le recours en interprétation
peut être le cas échéant un recours direct, le recours en appréciation de
légalité ne peut être qu'un recours incident, résultant du sursis à statuer
d'une juridiction judiciaire se heurtant à une difficulté sérieuse et pertinente
quant à la légalité d'un acte dont l'application est en cause dans le litige dont
elle est saisie : il appartient alors à la partie la plus diligente, comme pour le
recours incident en interprétation, de saisir le juge administratif. Lorsque
l'acte est de ceux des recours contre lesquels le Conseil d'État est compétent
directement, le recours en appréciation de légalité doit également être porté
directement au Conseil d'État (par ex. CE, ass., 24 nov. 1961, Électricité de
Strasbourg c/Schaub, Lebon 660 ; RD publ. 1962. 339, concl. Heumann ;
AJDA1962. 18. chron. Galabert et Gentot : recours en appréciation de
validité d'un décret d'amnistie en exécution d'un jugement d'un tribunal de
grande instance. – CE, ass., 22 janv. 1982, Butin, Lebon 27, et Ah Won,
Lebon 33 ; RD publ. 1982. 816, note Drago, et 822, concl. Bacquet ;
AJDA 1982. 440. chron. Tiberghien et Lasserre ; D. 1983. IR 235, obs.
P. D. ; JCP 1983. II. 19968, note Barthélémy ; Rev. adm. 1982. 390, note
Pacteau : recours en appréciation de validité d'un décret relatif à
l'organisation judiciaire en Océanie, sur renvoi de juridictions criminelles. –
o
CE 18 janv. 2012, Virmont, req. n  344677  , RJEP juin 2012. 40, concl.
Landais : recours en appréciation de la légalité d'un règlement de la SNCF,
sur renvoi d'un conseil de prud'hommes).

132
§ 4 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours en
matière électorale

288. La compétence directe du Conseil d'État pour statuer sur le contentieux


de certaines élections s'explique parce que ces élections concernent des
organismes dont non seulement l'importance est, pour la plupart, évidente,
mais dont aussi, pour la plupart, les attributions dépassent le ressort d'un
seul tribunal administratif (on retrouve à ce sujet une considération qui a pu
un temps justifier à elle seule la compétence directe du Conseil d'État –
o
V. infra, n  293). Il est envisagé de transférer à certaines cours
administratives d'appel en premier ressort le contentieux des élections
régionales. L'article L. 311-3 du code de justice administrative donne la liste
des institutions dont le contentieux électoral appartient aujourd'hui
directement au Conseil d'État : Parlement européen, conseils régionaux et
assemblée de Corse, congrès et assemblées de province de la Nouvelle-
Calédonie, assemblée de la Polynésie française, assemblée territoriale de
Wallis-et-Futuna, conseil territorial de Saint-Barthélemy, conseil territorial de
Saint-Martin, conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, Assemblée des
Français de l'étranger. Il y ajoute les consultations organisées en application
des articles 72-4 et 73 de la Constitution (au sujet du changement de statut
des collectivités d'outre-mer). Les collectivités d'outre-mer font ainsi pour le
contentieux de la désignation de leurs organes l'objet d'un traitement
contentieux électoral devant le Conseil d'État, dont la particularité est
prolongée pour d'autres contentieux.

ACTUALISATION
288. Représentation des Français établis hors de France. - Une loi
du 22 juillet 2013 a apporté d'importantes modifications au dispositif de
o
représentation des Français de l'Étranger organisé par la loi n  82-471
du 7 juin 1982, notamment en créant de nouvelles instances. C'est ainsi
o
que la rédaction du 9 de l'article L. 311-3 du code de justice
administrative concernant la compétence du Conseil d'État en premier et
dernier ressort est modifiée afin de faire référence aux élections des
conseillers et délégués consulaires et des conseillers à l'Assemblée des
o
Français de l'étranger (L. n  2013-659 du 22 juill. 2013, art. 58, JO
23 juill.).

133
§ 5 - La compétence directe du Conseil d'État pour des recours
propres à certaines collectivités d'outre-mer

289. L'aménagement de certains régimes spéciaux pour des collectivités


d'outre-mer a conduit le législateur à déroger non seulement aux dispositions
du droit commun administratif applicable aux collectivités territoriales mais
encore à celles du contentieux administratif, spécialement en ce qui concerne
la compétence que les tribunaux administratifs exercent normalement en
premier ressort dans le contentieux local. On vient d'en avoir un exemple à
propos du contentieux électoral. On en a d'autres à propos des recours
dirigés contre certaines décisions, mais non pas toutes, d'organes de ces
collectivités. Pour les identifier exactement, il faut se reporter aux
dispositions du code de justice administrative qui les énumère. Elles
concernent : la Polynésie française (art. L. 311-7) ; les départements et
régions d'outre-mer (art. L. 311-8) ; Saint-Barthélemy (art. L. 311-10) ;
Saint-Martin (art. L. 311-11) ; Saint-Pierre-et-Miquelon (art. L. 311-12) (le
cas de Mayotte – anc. art. L. 311-9 – a été supprimé par la loi du 7 déc.
2010). La compétence du Conseil d'État ainsi déterminée étant une
compétence d'exception, le contentieux des autres actes des organes de ces
collectivités relève normalement des tribunaux administratifs dans le ressort
desquels elles se trouvent.

Art. 2 - La compétence directe du Conseil d'État dans l'intérêt d'une


bonne administration

290. L'intérêt d'une bonne administration justifiant la compétence directe du


Conseil d'État est présenté comme étant celui de l'administration de la
justice. Si c'est bien le cas souvent, cet intérêt peut être plus large et
concerner en réalité l'administration tout court : tel est le cas pour les
collectivités territoriales.

er
§ 1 - La bonne administration de la justice

291. L'intérêt d'une bonne administration de la justice n'était pas absent des


chefs de compétence directe du Conseil d'État précédemment identifiés : la
désignation du Conseil d'État pour connaître de certains contentieux
électoraux (Parlement européen, conseils régionaux) pouvait s'expliquer
autant par l'impossibilité de trouver un tribunal administratif compétent pour
en connaître que par l'objet du litige ; la soustraction de contentieux
134
électoraux outre-mer aux tribunaux administratifs dont la compétence aurait
pu être aisément reconnue s'explique sans doute autant par la volonté de
désigner un juge qui soit détaché des contingences locales (donc par l'intérêt
d'une bonne administration de la justice) que par l'objet du litige (qui, en
métropole, peut être apprécié par les tribunaux administratifs). On
n'envisage ici que les cas où la bonne administration de la justice constitue à
elle seule l'explication de la compétence directe du Conseil d'État. On va voir
qu'elle ne couvre plus que des cas résiduels.

ACTUALISATION
291. Déclaration de vacance d'un office de greffier de tribunal de
commerce. - L'arrêté du garde des Sceaux, qui déclare vacant un office
de greffier de tribunal de commerce et précise les modalités de dépôt
des candidatures à la succession, est relatif à l'organisation du service
public de la justice et présente ainsi un caractère réglementaire. Le
Conseil d'État est donc compétent pour connaître en premier et dernier
ressort d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte (CE
o
11 févr. 2015, req. n  367884  , AJDA 2015. 313, obs. de Montecler  ).

A - La fin de la compétence directe du Conseil d'État en raison des


limites territoriales de la compétence des tribunaux administratifs

292. Sous l'empire des décrets de 1953, dont le dispositif s'est prolongé


jusqu'au décret du 22 février 2010, deux cas de compétence directe du
Conseil d'État résultaient de la difficulté d'identifier un tribunal administratif
compétent en premier ressort : par défaut, ou faute de mieux, c'est alors le
Conseil d'État qui restait compétent.

293. Le premier cas était celui des recours dirigés contre les actes
administratifs dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un
o
seul tribunal administratif (CJA, anc. art. R. 311-1, 5 ). L'application des
règles de compétence territoriale des tribunaux administratifs aurait pu
entraîner la compétence de deux ou plusieurs d'entre eux, avec les risques
de divergence pouvant en résulter. Pour pallier un tel inconvénient, le
Conseil d'État a été reconnu directement compétent dans une telle
hypothèse. Il a dû développer toute une jurisprudence précisant en quoi un
acte a des effets hors du champ d'application d'un seul tribunal administratif,
avec le souci de ne pas exagérer la compétence directe du Conseil d'État à ce
titre. Les solutions ont pu paraître subtiles, voire insatisfaisantes. Elles sont
aujourd'hui dépassées puisque ce dispositif a été abrogé par le décret du

135
22 février 2010. Désormais, même si un acte a des effets hors du ressort
d'un seul tribunal administratif, est compétent, conformément au droit
commun du ressort territorial des tribunaux administratifs (CJA, art. R. 312-
1  ), celui dans le ressort duquel a son siège l'autorité qui a pris la décision
attaquée (la première d'entre elles si la décision a été signée par plusieurs).
C'est une solution simple et sage, qui restitue aux tribunaux administratifs
une compétence normale et épargne au Conseil d'État un encombrement
inutile.

294. Le second cas était celui des litiges d'ordre administratif nés hors des
territoires soumis à la juridiction d'un tribunal administratif (CJA, ancien
o
art. R. 311-6 ). Chaque tribunal administratif a un ressort territorial défini
par rapport à un ou plusieurs départements (V. CJA, art. R. 221-3  ). Or
certains litiges peuvent se rapporter à des situations extérieures. Tel est le
cas par exemple de décisions prises par des autorités françaises à l'étranger
(notamment des ambassadeurs et consuls) ou de dommages causés en
haute mer par des installations françaises (CE, sect., 4 déc. 1970, Min. d'État
chargé de la défense nationale et Min. de l'Équipement et du Logement c/
Starr, Lebon 734 ; RGDIP 1970. 1114, concl. Guillaume ; AJDA 1971. 112,
note Moderne ; D. 1971. 253, note Tedeschi ; JCP 1971. II. 16764, note
Ruzié ; RD publ. 1971. 1219, note Waline). Faute de tribunal administratif
territorialement compétent, ces litiges relevaient de la compétence directe du
Conseil d'État. Depuis le décret du 22 février 2010, il n'en est plus ainsi :
désormais, selon l'article R. 312-19 du code de justice administrative, les
litiges qui ne relèvent de la compétence d'aucun tribunal administratif sont
attribués au tribunal administratif de Paris. Le Conseil d'État n'aura plus à en
connaître directement.

B - La compétence directe du Conseil d'État en cas de connexité

295. La compétence directe du Conseil d'État en cas de connexité n'est


qu'un cas d'application de la connexité, qui peut s'appliquer à d'autres
o
hypothèses (V. infra, n  320). Elle est explicitement reconnue par l'article
R. 341-1 du code de justice administrative : « Lorsque le Conseil d'État est
saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est
également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant
normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal
administratif ». Les articles suivants déterminent le renvoi au Conseil d'État
des litiges dont une partie connexe d'une autre relevant de la compétence
directe du Conseil d'État aurait été portée devant un tribunal administratif.

136
296. De manière générale, il y a connexité entre deux affaires lorsque la
solution de l'une est nécessairement commandée par celle de l'autre.
Appliquée à la compétence directe du Conseil d'État, cette définition conduit
à lui reconnaître compétence pour statuer directement sur un recours qui
relèverait normalement de la compétence d'un tribunal administratif s'il en
est saisi en même temps que d'un autre relevant de sa compétence directe
dont l'issue détermine nécessairement celle de ce recours.

297. On peut donner plusieurs exemples (CE 28 déc. 2005, req.


o
n  267287  , Assoc. citoyenne intercommunale des populations concernées
par le projet d'aérodrome de Notre-Dame-des-Landes, Lebon 809   : le
Conseil d'État, compétent pour connaître directement des actes par lesquels
la Commission nationale du débat public, organisme collégial à compétence
nationale, détermine les modalités de participation du public aux processus
de décision portant sur les projets dont elle est saisie, l'est également, en
raison du lien de connexité qui les unit, pour connaître de l'acte par lequel le
maître d'ouvrage ou la personne publique responsable d'un projet qui relève
de la procédure du débat public décide, à l'issue du débat, du principe et des
o
conditions de la poursuite du projet. – 3 avr. 2006, req. n  291023  , SA
Placoplâtre, Lebon 181   : le Conseil d'État, compétent pour connaître en
premier et dernier ressort de la requête en annulation d'un décret déclarant
l'utilité publique d'un projet, l'est également, au titre de la connexité, pour
statuer sur le pourvoi dirigé contre l'arrêté de cessibilité ainsi que sur la
demande de suspension dont celui-ci fait l'objet. – 11 avr. 2008, req.
o
n  298059  , Union générale des syndicats pénitentiaires CGT, Lebon 800   
; AJDA 2008. 1142, concl. Landais   : eu égard à la connexité existant entre
les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la note de service du
11 août 2006 du garde des Sceaux, ministre de la Justice, et celles tendant à
l'annulation des deux notes de service du directeur de la maison d'arrêt
d'Épinal, le Conseil d'État est compétent, en application de l'article R. 341-1
du code de justice administrative, pour connaître en premier ressort de
o
l'ensemble de ces conclusions. – 26 déc. 2008, req. n  312426  , Sté Air
France : les décisions ministérielles d'homologation d'une redevance
applicable à un aéroport exploité par une chambre de commerce et
d'industrie ont le caractère d'actes réglementaires dont le contentieux relève,
en premier et dernier ressort, de la compétence du Conseil d'État ; eu égard
à la connexité existant entre les conclusions dirigées contre ces décisions et
celles dirigées contre les décisions de la chambre de commerce et d'industrie
fixant les tarifs de ces redevances, le Conseil d'État est également
compétent, en application de l'article R. 341-1 du code de justice
administrative, pour connaître en premier et dernier ressort de l'ensemble de
ces dernières conclusions).

137
298. Mais la connexité a ses limites. Ainsi, comme le souligne un arrêt du
o
Conseil d'État du 28 mars 2011 (req. n  326919, Brugnon), si tout justiciable
est recevable à invoquer au soutien d'une requête formée à l'encontre d'une
décision administrative individuelle l'illégalité éventuelle de l'acte
administratif réglementaire qui sert de fondement à cette décision, il ne
saurait en être inféré qu'il existerait un lien de connexité, au sens de l'article
R. 341-1 du code de justice administrative, entre la requête tendant à
l'annulation pour excès de pouvoir d'un règlement administratif et celui
contestant la légalité d'une décision individuelle prise sur le fondement dudit
règlement.

C - La compétence directe du Conseil d'État pour les actions en


responsabilité pour durée excessive de la procédure devant la
juridiction administrative

299. Depuis qu'à la suite de décisions de la Cour européenne des droits de


l'homme condamnant la France pour la durée excessive de procès devant la
juridiction administrative (par ex. CEDH 24 oct. 1989, H c/ France, série A,
o
n  162A, RFDA 1990. 203, note Dugrip et Sudre  . – 31 mars 1992, X c/
o
France, série A, n  234-C, AJDA 1992. 420, note Flauss  ), le Conseil d'État
o
(Ass., 28 juin 2002, req. n  239575, Garde des Sceaux, Min. de la Justice c/
Magiera, Lebon 248, concl. Lamy   ; RFDA 2002. 756, concl. Lamy   ; AJDA
2002. 596. Chron. Donnat et Casas   ; AJDA 2003. 85, note
Andriantsimbazovina ; D. 2003. 2, note Holderbach-Martin   ; Dr. adm. oct.
2002, p. 27, note Lombard ; JCP 2003. III. 10151, note Menuret ; GACA,
o
n  5, p. 107) a admis que « lorsque la méconnaissance du droit à un délai
raisonnable de jugement […] a causé un préjudice » aux justiciables, ceux-ci
« peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le
fonctionnement défectueux du service public de la justice », ce contentieux
s'est développé. Il aurait normalement relevé des tribunaux administratifs en
premier ressort, ce qui a effectivement été le cas un temps. Mais le
processus, avant d'aboutir finalement au Conseil d'État, risquait d'ajouter un
nouveau délai à celui dont la durée était déjà excessive. C'est pourquoi le
o
décret du 28 juillet 2005, ajoutant un 5  à l'article R. 311-1 du code de
justice administrative, a réservé au Conseil d'État statuant en premier et
dernier ressort les actions en responsabilité dirigées contre l'État pour durée
excessive de la procédure devant la justice administrative. C'est vraiment
une solution de bonne administration de la justice. Pour les lenteurs de la

138
justice judiciaire, c'est aux juridictions judiciaires que revient le contentieux
de la responsabilité en découlant.

§ 2 - La bonne administration des collectivités territoriales

300. Deux cas particuliers de compétence directe du Conseil d'État, qui n'ont


de rapport ni avec les précédents ni a priori entre eux, ont été reconnus en
raison de leur spécificité, l'une contentieuse, l'autre administrative. Un
élément commun les rapproche : ils concernent tous les deux les collectivités
locales. On peut voir dans la compétence directe du Conseil d'État une forme
de contrôle de celui-ci sur elles, destiné à assurer leur bonne administration,
soit pour que leurs intérêts soient bien défendus, soit pour qu'elles ne
portent pas atteinte à l'intérêt de la défense nationale.

301. Le premier cas est celui des recours contre les décisions des tribunaux
administratifs relatives aux autorisations de plaider au nom d'une collectivité
territoriale. En vertu d'un dispositif remontant à 1837, étendu en 2000 des
communes aux autres collectivités territoriales et aux établissements publics
les regroupant (V. CGCT, art. L. 2132-5  , art. L. 3133-1  , art. L. 4143-1 
et art. L. 5211-58  ), un contribuable peut demander au tribunal
administratif l'autorisation de plaider au nom d'une collectivité qui néglige la
défense de ses intérêts. Le tribunal administratif statue non pas comme
juridiction rendant un jugement, mais « comme autorité administrative »
adoptant une décision administrative (qu'elle donne ou refuse l'autorisation)
o
(CE, ass., 26 juin 1992, Pezet et San Marco, préc. supra, n  48,
AJDA 1992.477  . Chron. Maugüé et Schwartz ; JCP 1992. II. 21937, note
Chaminade). Cette décision peut faire l'objet d'un recours de pleine
juridiction devant le Conseil d'État. Une appréciation superficielle conduirait à
voir dans ce recours un appel contre une mesure prise par un tribunal
o
administratif, comme cela se trouve dans d'autres cas (V. infra, n  305). Il
n'en est rien malgré les apparences. Le Conseil d'État est bien saisi en
premier et dernier ressort puisque est contesté à cette occasion, non pas une
décision que le tribunal administratif rendrait comme juridiction, mais un
acte administratif unilatéral qu'il adopte dans l'exercice d'une fonction
d'administration, dont l'intérêt justifie la contestation directe devant le
Conseil d'État.

302. Le second cas est celui du recours spécial dans l'intérêt de la défense
nationale que l'article L. 1111-7 du code général des collectivités territoriales
ouvre au préfet : si celui-ci estime qu'un acte pris par les autorités
communales, départementales ou régionales est de nature à compromettre

139
de manière grave le fonctionnement ou l'intégrité d'une installation ou d'un
ouvrage intéressant la défense, il peut en demander l'annulation par la
juridiction administrative pour ce seul motif ; il le défère à la Section du
contentieux du Conseil d'État, compétente en premier et dernier ressort, le
cas échéant avec une demande de suspension ; il est statué sur ce recours
dans un délai de quarante-huit heures. Le Conseil d'État apparaît ici comme
le garant, non seulement de la défense nationale, mais à son sujet, de l'unité
nationale. C'est plus que l'intérêt d'une bonne administration qui justifie sa
compétence en premier et dernier ressort et commande son jugement dans
un délai très bref.

Section 2 - Le Conseil d'État, juge d'appel

303. Avant 1953, le Conseil d'État n'avait une compétence d'appel qu'à


l'égard des juridictions administratives spécialisées, au premier rang
desquelles se trouvaient les conseils de préfecture. La réforme de 1953,
faisant des tribunaux administratifs les juges administratifs de droit commun
en premier ressort, a rendu le Conseil d'État principalement juge d'appel à
leur égard. Celle de 1987, qui a introduit les cours administratives d'appel
entre les tribunaux administratifs et le Conseil d'État, a réduit de nouveau sa
compétence d'appel. Elle subsiste néanmoins dans un nombre de cas assez
important, à l'égard de jugements soit de tribunaux administratifs soit de
juridictions administratives spécialisées. Elle pourrait se trouver encore
réduite par des projets en cours d'étude.

304. Le rôle du Conseil d'État comme juge d'appel lui permet de juger une
seconde fois le litige qui a fait l'objet d'une première instance, avec une
double composante : l'examen du fond même du litige (l'effet dévolutif de
l'appel) ; l'examen de la validité du jugement rendu en première instance au
regard des règles de compétence et de procédure : leur violation pourrait
conduire à restituer le litige aux premiers juges, mais le juge d'appel peut
cependant en conserver l'examen par voie d'« évocation » (V.  Appel [Cont.
adm.] ).

er
Art. 1 - La compétence d'appel du Conseil d'État à l'égard des
tribunaux administratifs

305. Par exception à la compétence d'appel des cours administratives


d'appel à l'égard des jugements des tribunaux administratifs, le Conseil

140
d'État est compétent en appel pour connaître de jugements des tribunaux
administratifs rendus dans des contentieux dont la particularité a justifié
qu'ils soient plus rapidement réglés que par la procédure faisant
normalement intervenir successivement les cours et le Conseil : celui-ci peut
être saisi plus vite et juger, non pas comme juge de cassation, mais avec la
plénitude du jugement au fond qui appartient au juge d'appel. L'article
L. 321-1 du code de justice administrative justifie cette solution par l'intérêt
d'une bonne administration de la justice, formule dont on a déjà observé la
généralité et l'imprécision et qui n'a pas empêché les variations dans les
solutions qu'elle entraîne. En réalité le législateur a voulu que certains
contentieux puissent être vidés assez rapidement, en évitant les lenteurs que
l'engagement successif d'une procédure en premier ressort, puis en appel et
enfin en cassation risque d'entraîner. Cette volonté s'est manifestée d'abord
pour deux types de contentieux particuliers, ensuite, plus nettement encore,
pour certains contentieux en urgence.

er
§ 1 - La compétence d'appel du Conseil d'État pour certains
contentieux particuliers

306. Les contentieux particuliers pour lesquels a été maintenue la


compétence d'appel du Conseil d'État sont les contentieux sur renvoi de
os
l'autorité judiciaire (V. infra, n  307 s.) et des contentieux électoraux
os
(V. infra, n  311 s.), dont on peut observer qu'ils sont très différents les uns
des autres : la seule justification de leur réunion dans la compétence d'appel
du Conseil d'État est la volonté de vider ces litiges dans des délais
relativement courts.

A - Le contentieux sur renvoi de l'autorité judiciaire

307. Aux termes de l'article R. 321-1 du code de justice administrative, « le


Conseil d'État est compétent pour statuer sur les appels formés contre les
jugements des tribunaux administratifs rendus sur renvoi de l'autorité
judiciaire ». La solution se justifie pour éviter le dépassement d'un délai
raisonnable de procédure : déjà le renvoi d'une question préjudicielle par
l'autorité judiciaire au juge administratif ralentit la procédure au fond ; si
l'examen de la question préjudicielle par le juge administratif devait suivre
les étapes ordinaires de la procédure devant celui-ci avant que l'affaire
puisse revenir au fond devant le juge judiciaire, les délais pourraient être
d'une longueur pouvant conduire à un préjudice entraînant la responsabilité

141
o
de l'État (V. supra, n  299). L'aménagement d'un appel devant le Conseil
d'État et non pas devant une cour administrative réduit le risque de lenteur.

308. La loi du 31 décembre 1987 n'avait couvert que « les recours en


appréciation de légalité » : il s'agissait seulement de ceux qui portaient sur
des actes administratifs (autres que ceux relevant de la compétence directe
o
du Conseil d'État – supra, n  287) à l'encontre desquels une exception
d'illégalité est soulevée devant une juridiction de l'ordre judiciaire qu'elle est
incompétente pour trancher et au sujet de laquelle elle sursoit à statuer
jusqu'à ce que la juridiction administrative l'ait fait. Cela ne couvrait pas les
recours en interprétation qui peuvent aussi donner lieu à sursis à statuer des
juridictions judiciaires et à renvoi par elles aux juridictions administratives :
en conséquence les appels contre les jugements rendus en la matière par les
tribunaux administratifs relevaient en appel des cours administratives d'appel
– ce qui entraînait une dichotomie entre des contentieux provoqués par le
renvoi de l'autorité judiciaire, les recours en appréciation de légalité relevant
en appel du Conseil d'État, les recours en interprétation, des cours
o
administratives d'appel (en ce sens, CE 8 oct. 1990, req. n  114609  , Mme
Deniau, Lebon 269  ). Cette anomalie, pour ne pas dire cette absurdité, a
été supprimée par le code de justice administrative, qui unifie la compétence
d'appel du Conseil d'État à l'égard de tout jugement de tribunal administratif
rendu sur renvoi de l'autorité judiciaire. Il entraîne ainsi extension de cette
compétence, mais aussi certaines limites.

309. L'extension tient à ce que, si le renvoi pour appréciation de légalité ne


peut porter que sur un acte administratif (unilatéral ou contractuel), le renvoi
pour interprétation peut porter non seulement sur l'interprétation d'un acte
o
administratif (pour un exemple, CE 16 févr. 2005, req. n  241773  ), mais
sur toute autre question où un doute sur une solution propre au droit
administratif peut apparaître à l'occasion d'un litige devant l'autorité
judiciaire. Ainsi en est-il par exemple de l'appartenance d'un bien au
o
domaine public (CE 7 sept. 2001, req. n  207796  . – CE 23 janv. 2012, req.
o
n  344360, RJEP juin 2012. 37, concl. N. Boulouis : si une juridiction
judiciaire sursoit à statuer jusqu'à ce que la question ait été tranchée par un
tribunal administratif, le jugement rendu par celui-ci relève d'un contentieux
de l'interprétation sur renvoi de l'autorité judiciaire, contre lequel l'appel est
porté au Conseil d'État).

310. La restriction tient à ce que la compétence d'appel du Conseil d'État ne


s'exerce sur un recours en interprétation que si celui-ci a été engagé sur
renvoi d'une juridiction judiciaire (recours incident). Si le recours en
interprétation est un recours direct, le jugement du tribunal administratif

142
relève en appel, selon le droit commun, de la cour administrative d'appel, le
Conseil d'État ne connaissant de l'affaire que par la voie du pourvoi en
o
cassation (CE 12 mai 2004, req. n  263945  , Blondiau et EARL de la
Neuville, Lebon 809  . – Pour un autre exemple, à propos de la
reconnaissance de « droits fondés en titre » : CE 7 févr. 2007, req.
o
n  280373  , M. et Mme Sablé, RFDA 2007. 494, concl. Aguila  ). S'agissant
des recours en appréciation de la légalité, on doit rappeler ici qu'ils ne
peuvent pas faire l'objet d'un recours direct, mais seulement d'un recours sur
renvoi de l'autorité judiciaire : donc c'est nécessairement et exclusivement
par la voie de l'appel que le Conseil d'État est saisi des jugements rendus par
les tribunaux administratifs à leur sujet.

B - Les contentieux électoraux

311. La loi du 31 décembre 1987 a confié dès l'origine au Conseil d'État les
appels contre les jugements des tribunaux administratifs sur les litiges
relatifs aux élections municipales et cantonales. La formule n'a pas varié
(CJA, art. R. 321-1  ). Si elle n'englobe pas les élections régionales, c'est
o
que leur contentieux relève directement du Conseil d'État (supra, n  288).
Elle couvre non seulement la contestation des élections des conseillers
municipaux et des conseillers généraux, mais encore celle de la désignation
des représentants des communes au sein des organes des établissements
publics de coopération intercommunale (en ce sens, par ex. CE 16 juin 2003,
o
req. n  247294  , Cne de Longuyon, Lebon 721  ), et de l'élection par les
organes délibérants des communes, départements et établissements publics
de coopération intercommunale, de leurs exécutifs (maire, président de
conseil général, président d'établissement public de coopération
o
intercommunale : par ex. CE 24 sept. 1990, req. n  109495  , Gaucher,
Lebon 252  ). Bien plus, la compétence d'appel du Conseil d'État couvre plus
généralement les recours contre les jugements portant sur des mesures
ayant des incidences sur les élections municipales ou cantonales (en ce sens,
notamment, CE, ass., 3 févr. 1989, Maire de Paris, Lebon 47 ; AJDA
1989. 312. Chron. Honorat et Baptiste : opérations de révision des listes
électorales qui, même si elles ont une portée plus large que les élections
municipales et cantonales, les intéressent particulièrement), ou leur faisant
suite (par ex. le remplacement d'un conseiller municipal ou d'un conseiller
o
général en cours de mandat : CE 16 janv. 1998, req. n  188892  , Ciré,
Lebon 15  . – Sa démission d'office en vertu de dispositions du code
o
électoral : 29 juill. 1994, req. n  155346  , Avrillier et Jonot, Lebon 864  ).

143
312. Toutefois la compétence d'appel du Conseil d'État à propos des
élections municipales et cantonales ne s'étend pas à des contestations trop
éloignées de ces élections, telles que celles qui portent sur la désignation de
représentants des assemblées locales à des organismes autres que des
établissements publics de coopération intercommunale (CE 16 juin 2003, Cne
o
de Longuyon, préc. supra, n  311), ou sur un référendum local (CE, sect.,
o
29 déc. 1995, req. n  154028  , Géniteau, Lebon 463   ; RFDA 1996. 60,
note Guillot ; RFDA 1996. 471, concl. Chantepy   ; AJDA 1996. 111. Chron.
Stahl et Chauvaux   ; D. 1996. 273, note Verpeaux  ), a fortiori sur des
élections à des établissements publics tels que les chambres professionnelles
o
(CE 8 nov. 1993, req. n  146345  , Marguin et autres, élections à la
chambre des métiers de l'Ain, Lebon 310  ).

313. La compétence d'appel du Conseil d'État avait été maintenue par la loi
du 31 décembre 1987 à l'égard des jugements rendus par les tribunaux
administratifs sur recours pour excès de pouvoir. Elle l'avait été
complètement pour les jugements portant sur les actes réglementaires. La loi
avait admis la possibilité de reconnaître par décret la compétence des cours
administratives d'appel à l'encontre de jugements portant sur des actes non
réglementaires : c'est ce qui a été fait progressivement, en 1992 pour les
actes non réglementaires pris en matière d'urbanisme, d'expropriation et en
matière fiscale, en 1994 pour les actes non réglementaires relatifs aux
fonctionnaires et autres agents publics. Finalement la loi du 8 février 1995 a
supprimé toute exception à la compétence d'appel des cours administratives
d'appel en matière d'excès de pouvoir, que les jugements rendus par les
tribunaux administratifs portent sur des actes réglementaires ou non.
Corrélativement la compétence d'appel du Conseil d'État en la matière a
disparu.

§ 2 - La compétence d'appel du Conseil d'État pour des contentieux


en urgence

314. L'aménagement de procédures d'urgence sous forme de référé a pour


objet même de faire trancher rapidement certains litiges. Les tribunaux
administratifs en sont saisis pour l'essentiel. Dans la plupart des cas, leurs
décisions sont rendues en premier et dernier ressort et ne sont donc
susceptibles que d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État (V. infra,
o
n  335). Le législateur, dans une logique qui n'est pas apparente, a préféré
dans certains cas donner au tribunal administratif une compétence de
premier ressort sous réserve d'appel au Conseil d'État : ainsi a été

144
maintenue en l'occurrence une compétence d'appel de celui-ci. Elle a été
reconnue dans deux domaines principaux : pour la protection des libertés
publiques et pour le contrôle de certaines institutions.

A - La compétence d'appel du Conseil d'État en urgence pour la


protection des libertés

315. Le premier cas, non pas chronologiquement, mais parce qu'il est le plus
général, est celui du référé-liberté aménagé par l'article L. 521-2 du code de
justice administrative (L. du 30 juin 2000), en vertu duquel « saisi d'une
demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner
toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à
laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé
chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de
ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des
référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Il s'agit
normalement du président du tribunal administratif ou du magistrat qu'il
délègue. Selon l'article L. 523-1, alinéa 2 du même code, les décisions
rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles, dans les quinze
jours de leur notification, d'appel devant le juge des référés du Conseil
d'État, qui statue dans un délai de quarante-huit heures. Si le référé-liberté a
donné lieu à une ordonnance de rejet sur le fondement de l'article L. 522-3,
cette ordonnance est susceptible, non d'un appel, mais d'un pourvoi en
o
cassation (V. infra, n  336) (sur le référé-liberté, V.  Référés d'urgence
[Cont. adm.] ).

316. Un second cas, qui lui est antérieur, a été aménagé par la loi du 2 mars
1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des
régions dans le cadre du nouveau contrôle exercé sur les actes de ces
collectivités par la voie du déféré préfectoral ; il a été légèrement modifié par
la loi du 30 juin 2000 en même temps qu'elle a institué, avec d'autres
référés, le référé-liberté. Selon des articles du code général des collectivités
territoriales, (principalement art. L. 2131-6, art. L. 3132-1 et art. L. 4142-1)
auxquels renvoie l'article L. 554-3 du code de justice administrative, le préfet
peut assortir sa demande d'annulation d'un acte d'une de ces collectivités
d'une demande de suspension (il était dit initialement de « sursis à
exécution ») « lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice
d'une liberté publique ou individuelle ». La décision de suspension prise par
le président du tribunal administratif ou son délégué est, comme pour le
référé-liberté, susceptible d'appel devant le Président de la Section du
contentieux du Conseil d'État, qui doit statuer également dans les quarante-

145
huit heures. La compétence d'appel du Conseil d'État est donc alignée sur le
cas précédent. Ce sont les conditions de la suspension qui, quant au fond,
diffèrent (notamment la condition d'urgence n'est pas requise). Mais l'appel
contre le jugement rendu au fond par le tribunal administratif reste de la
compétence des cours administratives d'appel.

B - La compétence d'appel du Conseil d'État en urgence pour le


contrôle de certaines institutions

317. Déjà le cas de la compétence d'appel du Conseil d'État au sujet de la


suspension, sur déféré préfectoral, de mesures de collectivités locales
portant atteinte à une liberté était lié à leur contrôle. C'est ce contrôle qui est
plus systématiquement mis en œuvre dans d'autres cas, dont certains
dépassent ces collectivités. Le législateur les a multipliés sans que la logique
contentieuse soit vraiment assurée.

318. En cas de contestation devant le tribunal administratif par le maire des


villes de Paris, Marseille et Lyon, de délibérations de conseils
d'arrondissement, accompagnée d'une demande de suspension, la décision
prise sur celle-ci par le tribunal (dans les quarante-huit heures) est
susceptible d'appel devant le Conseil d'État, qui statue dans ce même délai
(CJA, art. L. 554-9   ; CGCT, art. L. 2511-23  ). Mais la demande au fond
reste de la compétence d'appel des cours administratives d'appel.

319. Cette contradiction, qui rejoint celle qu'on a déjà observée à propos de


o
la demande de suspension du préfet en matière de liberté (n  316), se
prolonge par celle qu'on a constatée avec la compétence de premier et
dernier ressort du Conseil d'État à propos de décisions de collectivités locales
o
compromettant l'intérêt de la défense nationale (supra, n  302), et par celle
qu'on constatera avec la compétence du Conseil d'État seulement en
cassation à l'égard de décisions également rendues en référé par les
o
tribunaux administratifs au sujet d'autres mesures (infra, n  336). Une mise
en ordre est nécessaire pour qu'un même type de décisions rendues en
référé fasse l'objet d'un même type de recours devant le Conseil d'État, sans
tiraillement selon les cas entre appel et cassation.

§ 3 - L'extension de la compétence d'appel du Conseil d'État pour


connexité

146
o
320. On a déjà vu (supra, n  295) qu'en cas de connexité entre un litige
relevant en premier ressort d'un tribunal administratif et un autre relevant
en premier ressort du Conseil d'État, celui-ci est compétent pour le tout. Une
solution semblable se retrouve losrqu'un litige relève en appel d'une cour
administrative d'appel et qu'un autre qui lui est connexe relève en appel du
Conseil d'État. Selon l'article R. 343-1 du code de justice administrative,
« lorsque le Conseil d'État est saisi de conclusions relevant de sa compétence
comme juge d'appel, il est également compétent pour connaître de
conclusions connexes relevant normalement de la compétence d'une cour
administrative d'appel ». Plusieurs exemples peuvent être donnés.

321. Certains concernent la combinaison de la compétence d'appel du


Conseil d'État à l'égard des jugements rendus par les tribunaux
o
administratifs sur renvoi de l'autorité judiciaire (supra, n  307) et de la
compétence d'appel par voie de connexité pour un litige dont il ne devrait
pas être normalement saisi en appel. Ainsi le Conseil d'État, compétent pour
connaître en appel du jugement d'un tribunal administratif appréciant, sur
renvoi de l'autorité judiciaire, la légalité d'un permis de construire, est
également compétent pour connaître des conclusions connexes par lesquelles
est contesté le même jugement en tant qu'il a accueilli le recours pour excès
de pouvoir présenté contre le même permis de construire (28 mai 2001, req.
o
n  218374, Cne de Bohars, Lebon 249  ) ; ou encore, compétent pour
connaître en appel du jugement rendu par un tribunal administratif, sur
renvoi de l'autorité judiciaire, au sujet de la limite d'une parcelle avec la voie
communale, le Conseil d'État l'est également pour connaître des conclusions
connexes par lesquelles le requérant conteste le même jugement en tant
qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté d'alignement :
il y a lieu pour le Conseil d'État de statuer sur l'ensemble des conclusions de
o
la requête d'appel (CE 5 mai 2010, req n  327239, Le Palud).

322. D'autres exemples concernent le contentieux des élections municipales


et cantonales, dont le Conseil d'État connaît en appel dans un sens qui, pour
avoir été entendu largement, n'en comporte pas moins certaines limites
o
(supra, n  298). La connexité permet de dépasser ces limites. Ainsi le Conseil
d'État est compétent pour connaître en appel des conclusions tendant à
l'annulation du jugement d'un tribunal administratif annulant la délibération
du conseil municipal d'une commune concernant la désignation des
représentants de la commune auprès de cinq syndicats de communes, mais il
ne l'est pas normalement pour un litige relatif à la désignation par la
commune de ses représentants dans les organes délibérants des centres
communaux d'action sociale, maisons de retraite, collèges, missions locales
ou sociétés d'économie mixte régionales d'aménagement ; il y a lieu

147
néanmoins pour le Conseil d'État, eu égard à la connexité existant entre les
conclusions relatives à la désignation des représentants de la commune aux
syndicats intercommunaux et celles tendant à l'annulation du même
jugement annulant la désignation, par la même délibération, des
représentants de la commune aux conseils d'administration du centre
communal d'action sociale, de deux maisons de retraite et d'un collège, au
conseil d'établissement d'un mission locale et à l'assemblée spéciale d'une
société d'économie mixte, de statuer également, en application de l'article
R. 343-1 du code de justice administrative, sur ces dernières conclusions
o
(CE 16 juin 2003, Cne de Longuyon, préc. supra, n  311).

Art. 2 - La compétence d'appel du Conseil d'État à l'égard des autres


juridictions administratives

323. Si les cours administratives d'appel apparaissent comme les juridictions


d'appel de droit commun des jugements des tribunaux administratifs (le
Conseil d'État n'étant à leur égard, selon les solutions qu'on vient de
présenter, qu'un juge d'appel d'exception), elles ne sont pas les juridictions
d'appel de droit commun de tout le contentieux administratif. Aussi
paradoxal que cela puisse apparaître à la vue de la loi du 31 décembre 1987,
qui semble avoir voulu faire des cours administratives d'appel l'institution
centrale des appels en matière administrative, le dispositif qu'elle a adopté
au profit de ces cours comporte des limites au-delà desquelles elles ne
peuvent aller. Pour cet au-delà, on retrouve le Conseil d'État : c'est une
illustration du rôle central qu'il conserve dans l'ordre juridictionnel
administratif.

324. Il est formellement reconnu en matière d'appel par l'article L. 321-2 du


code de justice administrative : « Dans tous les cas où la loi n'en dispose pas
autrement, le Conseil d'État connaît des appels formés contre les décisions
rendues en premier ressort par les autres juridictions administratives ». C'est
bien la confirmation que, si étendue que soit la compétence des cours
administratives d'appel, le Conseil d'État reste le juge d'appel de droit
commun du contentieux administratif. On en a eu la confirmation avec l'arrêt
o
qu'il a rendu le 28 décembre 2005, req. n  274527, Union syndicale des
magistrats administratifs (Lebon 591   ; AJDA 2006. 940, note Pontier  ) au
sujet d'un article du décret du 3 juin 2004 relatif aux procédures
administratives et financières en matière d'archéologie préventive,
organisant la procédure d'arbitrage prévue par l'article L. 523-10 du code du
patrimoine : il donnait compétence, pour connaître d'un appel formé contre

148
la décision de l'arbitre, à la cour administrative d'appel du ressort de
l'opération archéologique : au visa des articles L. 321-1 et L. 321-2 du code
de justice administrative, le Conseil d'État a considéré « qu'un décret ne
peut, sans méconnaître ces dispositions législatives, donner aux cours
administratives d'appel compétence pour connaître en appel de décision
rendues en premier ressort par d'autres juridictions administratives que les
tribunaux administratifs ». C'est le Conseil d'État seul qui reste compétent en
dehors des dispositions donnant compétence aux cours administratives
d'appel.

325. Déjà ces dispositions font l'objet d'exceptions dont on vient de voir le


nombre. Au-delà, la compétence d'appel du Conseil d'État peut apparaître
comme étant le principe dans le contentieux administratif dans son
ensemble. Il ne faut certes pas exagérer cette affirmation puisque le
contentieux administratif appartient normalement aux tribunaux
administratifs puis aux cours administratives d'appel, et donc échappe
normalement aussi au Conseil d'État en appel. En fait le nombre d'appels des
jugements des tribunaux administratifs, d'après les dernières statistiques
o o
(EDCE 2011, n  62, t. 1, p. 38 ; 2012, n  63, t. 1, p. 36) n'a représenté que
3 % du total des affaires enregistrées en 2009 et 2010 (respectivement 304
et 299), 4 % en 2011 (359), et on ne relève pas d'appel contre des décisions
rendues en premier ressort par d'autres juridictions administratives. Mais il
suffit de constater l'existence d'un îlot de compétence d'appel du Conseil
d'État pour relever la singularité de celui-ci par rapport à la Cour de
cassation alors même que son rôle de cassation a été considérablement
accru.

Section 3 - Le Conseil d'État, juge suprême

326. Le code de justice administrative dispose dans son article L. 111-1 :


« Le Conseil d'État est la juridiction administrative suprême ». C'est la
première fois qu'un texte comporte une affirmation aussi solennelle, voire
triomphale. On pourrait s'étonner qu'elle ait figuré dans un code adopté par
o
voie d'ordonnance sur le fondement d'une habilitation (L. n  99-1071 du
16 déc. 1999) permettant seulement une codification à droit constant (« Les
dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des
ordonnances, sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues
nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la
cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l'état du
droit »). La formule n'est pas nécessaire au respect de la hiérarchie des
normes et à la cohérence rédactionnelle ; elle va plus loin que

149
l'harmonisation du droit (jolie expression, peu habituelle et peu appropriée à
la discipline juridique). Elle n'en est pas moins exacte depuis que, selon la loi
du 24 mai 1872, « le Conseil d'État statue souverainement sur les recours en
matière administrative », et que, selon la jurisprudence, il n'est pas de
décision administrative, juridictionnelle ou non, qui ne puisse, directement ou
indirectement, être contestée devant lui.

327. Il en est ainsi en particulier pour les décisions rendues par les autres
juridictions administratives statuant en dernier ressort : elles peuvent toutes
faire l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'État, alors même
que le législateur ne l'aurait pas précisé – bien plus, alors même qu'il l'aurait
exclu (CE, ass., 7 févr. 1947, d'Aillères, Lebon 50 ; RD publ. 1947. 68, concl.
o
Odent, note Waline ; JCP 1947. II. 3508, note Morange ; GAJA, n  58,
p. 374). C'est ainsi d'abord comme juge de cassation que le Conseil d'État
peut apparaître comme juge suprême, à l'instar de la qualification souvent
donnée à la Cour de cassation, qui est presque exclusivement juge de
cassation.

328. Mais le Conseil d'État n'est pas que juge de cassation. Outre les
fonctions de juge de premier et dernier ressort et de juge d'appel dont on a
précédemment rendu compte, il exerce des fonctions de régulation de l'ordre
juridictionnel administratif qui sont directement liées à sa place suprême
dans cet ordre (V. P. DELVOLVÉ, Le Conseil d'État, Cour suprême de l'ordre
o
juridictionnel administratif, Pouvoirs, 2007, n  123, p. 51).

er
Art. 1 - Le Conseil d'État, juge de cassation

329. La compétence du Conseil d'État en cassation pourrait apparaître


aujourd'hui comme sa compétence normale après la création des cours
administratives d'appel par la loi du 31 décembre 1987. Il est vrai que la
pyramide tribunaux administratifs-cours administratives d'appel-Conseil
d'État, qui peut paraître parallèle à la pyramide de l'ordre judiciaire
(tribunaux de grande instance-cours d'appel-Cour de cassation) paraît
donner au Conseil d'État une situation équivalente à celle de la Cour de
cassation, qui n'est que juge de cassation. Il est vrai aussi qu'à s'en tenir aux
statistiques, le rôle de cassation du Conseil d'État est aujourd'hui
prédominant : si l'on additionne les affaires enregistrées au titre de différents
recours en cassation devant lui, elles sont 5219 en 2009, 5651 en 2010 et
6082 en 2011, soit respectivement 53 %, 61 % et 64 % du total (source :
o o
EDCE 2011, n  62, t. 2, p. 38 ; 2012, n  63, t. 1, p. 36). Cela suffit à
souligner l'importance du rôle du Conseil d'État en cassation, mais tout
150
autant ses limites : il restait plus de 45 % en 2009, près de 40 % en 2010 et
encore 36 % en 2011 d'affaires autres que de cassation enregistrées au
Conseil d'État. On est loin d'un rôle exclusif de cassation. C'est toute
l'originalité de sa situation dans l'ordre juridictionnel administratif, en
relation avec son statut de juridiction suprême.

330. Son rôle de cassation est exprimé par l'article L. 331-1 du code de


justice administrative : « Le Conseil d'État est seul compétent pour statuer
sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier
ressort par toutes les juridictions administratives ». La formule est moins
solennelle que celle, issue de la Révolution, selon laquelle, dans l'ordre
judiciaire, « il y a, pour toute la République, une Cour de cassation » (COJ,
art. L. 411-1  ). Elle n'en est pas moins équivalente en ce que les recours en
cassation en matière administrative ne peuvent être portés que devant le
Conseil d'État. Ils doivent d'ailleurs toujours pouvoir être portés devant lui.
C'est ce qu'a reconnu le Conseil d'État dans le fameux arrêt d'Aillières du
o
7 février 1947, précité [supra, n  327], qui, faute d'une volonté du
législateur excluant clairement le recours en cassation à l'encontre de
décisions juridictionnelles rendues en dernier ressort, avait admis qu'il
existait de droit. Aujourd'hui c'est bien la volonté inverse qui est exprimée
par l'article L. 331-1 précité : toute décision d'une juridiction administrative
rendue en dernier ressort peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant
le Conseil d'État. Avec la réforme de 1987, son rôle de cassation s'est
amplifié et apparaît comme son rôle normal dans le contentieux
administratif.

331. Il consiste à vérifier que les décisions rendues par les juges du fond
l'ont été conformément au droit. Cela comporte d'abord la vérification de leur
compétence, de la procédure qu'ils ont suivie et de la forme de la décision
(notamment la motivation). Cela comporte ensuite celle du respect de la
règle de droit. Il est dit classiquement que le juge de cassation est juge du
jugement non juge du litige, juge du droit non juge du fait : c'est ainsi
l'erreur de droit qui est classiquement censurée ; si la matérialité des faits et
leur qualification juridique sont également contrôlées, celle de leur
appréciation ne l'est pas, sauf dénaturation. Il y a là des nuances qui
peuvent prêter à des variations et dont le maniement permet au Conseil
d'État d'exercer sa suprématie (V.  Recours en cassation [Cont. adm.] ).

332. Celle-ci se manifeste encore en cas de cassation de la décision


contrôlée. Car, si, comme la Cour de cassation, le Conseil d'État peut
renvoyer l'affaire au juge du fond, il peut aussi, en vertu de l'article 11 de la
loi du 31 décembre 1987, repris à l'article L. 821-2 du code de justice
administrative, « régler l'affaire au fond si l'intérêt de la bonne

151
administration de la justice le justifie ». Il utilise pleinement cette disposition
pour éviter notamment une durée excessive dans la solution du litige. Si la
décision cassée est une décision rendue en appel, le Conseil d'État statue
alors comme juge d'appel ; si c'est une décision rendue en premier ressort, il
statue comme juge de premier ressort. Si, statuant comme juge d'appel, il
annule la décision rendue en premier ressort, il devient encore, par voie
d'évocation, juge de premier ressort. C'est une illustration supplémentaire de
sa qualité de juge suprême.

333. Le rôle de cassation du Conseil d'État concerne au premier chef


aujourd'hui les arrêts des cours administratives d'appel, mais il s'exerce
aussi à l'égard de décisions de tribunaux administratifs et de celles d'autres
juridictions administratives.

er
§ 1 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard des
arrêts des cours administratives d'appel

334. La création des cours administratives d'appel par la réforme de la loi du


31 décembre 1987, en en faisant les juridictions d'appel des jugements des
tribunaux administratifs, leur a donné le pouvoir de statuer en dernier
ressort dans les affaires en cause. Corrélativement leurs arrêts relèvent du
Conseil d'État par la voie du pourvoi en cassation. On pourrait dire que la
compétence du Conseil d'État s'exerce aujourd'hui principalement comme
juge de cassation des arrêts des cours administratives d'appel. Les
statistiques déjà citées confirment l'importance de son rôle à cet égard : en
2009, 2854, en 2010, 2867, en 2011, 3006, soit respectivement 29 %, 31 %
et 32 % des affaires enregistrées par le Conseil d'État étaient des pourvois
en cassation contre des arrêts de cours administratives d'appel. Mais ces
chiffres montrent tout autant la limite de ce rôle, soit au regard des autres
rôles du Conseil d'État, soit au regard de son rôle même de cassation, qui ne
s'exerce pas seulement à l'égard des cours administratives d'appel.

§ 2 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de


décisions de tribunaux administratifs

335. Il pourrait paraître paradoxal que, malgré la volonté de


« décentraliser » le contentieux administratif au profit des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel, le législateur ait laissé
subsister des îlots de compétence de premier et dernier ressort de tribunaux

152
administratifs, avec comme conséquence leur contestation, non pas par
appel ni devant les cours administratives ni devant le Conseil d'État, mais par
pourvoi en cassation devant celui-ci. L'explication par la recherche d'une
bonne administration de la justice, voire par celle d'une bonne administration
tout court, qu'on a déjà rencontrée ailleurs pour d'autres solutions (V. supra,
o
n  290 s.), est facile ; mais tant elle est générale, elle n'est pas satisfaisante.
Il y a certainement de bonnes raisons, mais l'unité de l'ensemble de l'édifice
contentieux s'en trouve sensiblement affectée. La recherche de solutions
rapides peut expliquer que le pourvoi en cassation soit seul possible pour des
décisions rendues en urgence par les tribunaux administratifs ; l'explication
ne vaut plus pour des petits litiges pour lesquels seul le recours en cassation
est possible.

A - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de


décisions de tribunaux administratifs rendues en urgence

336. L'aménagement de procédures de référé par la loi du 30 juin 2000 a


permis aux présidents de tribunal administratif (ou leurs délégués) de
prendre en urgence, outre, dans le cadre du référé-liberté (CJA, art. L. 521-
2  ) des mesures dont la contestation donne lieu à un appel devant le
o
Conseil d'État (supra, n  315), des décisions, dans le cadre du référé-
suspension (art. L. 521-1  ) et du référé-mesures utiles (art. L. 521-3  ), et
o
même du référé-liberté (art. L. 522-3   ; supra, n  315), qui rendues en
premier et dernier ressort, relèvent du pourvoi en cassation devant le Conseil
d'État (art. L. 523-1  ). On peut souligner qu'il s'agit dans tous ces cas de
mesures provisoires.

337. S'en différencient à cet égard les mesures que peuvent prendre les
tribunaux administratifs dans le cadre du référé précontractuel (CJA,
art. L. 551-1   s.) et du référé contractuel (art. L. 551-13   s.) réaménagés
par l'ordonnance du 7 mai 2009 « en cas de manquement aux obligations de
publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par
les pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices de contrats
administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de
fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique
constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service
public ». Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue,
statue en premier et dernier ressort en la forme des référés (art. L. 551-3  ,
L. 551-8  et L. 551-23  ). Cela signifie que la décision rendue est, non pas
comme dans les référés précédents, une mesure provisoire mais une décision
définitive au fond, dont la contestation relève aussi du pourvoi en cassation

153
devant le Conseil d'État (V.  Référés : contrats de la commande publique
[Cont. adm.] ).

ACTUALISATION
337. Extension du champ du référé précontractuel. - Le code de
justice administrative est adapté (modification de l'article L. 551-1) pour
étendre la procédure de référé précontractuel à la sélection d'un
actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à
o er o
opération unique (L. n  2014-744 du 1  juill. 2014, art. 2, 1 , JO
2 juill.).

B - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de


décisions de tribunaux administratifs rendues dans des petits litiges

338. Certains litiges d'importance minime, s'ils relèvent du tribunal


administratif, peuvent donner lieu à une décision d'un de ses membres
(ayant un certain grade ou une certaine ancienneté) statuant en juge unique
et en premier et dernier ressort : la décision est donc seulement susceptible
d'un recours en cassation devant le Conseil d'État. Ce dispositif a été adopté
pour permettre un traitement simplifié et rapide d'affaires trop peu
importantes pour justifier le « luxe » d'un examen en formation collégiale et
d'une possibilité d'appel avant le recours en cassation. Il a été
progressivement étendu en fonction des besoins d'allègement du contentieux
administratif (Décr. du 24 juin 2003, du 23 déc. 2006 et du 5 janv. 2007). Il
pourrait encore être modifié en fonction des contraintes de l'inflation
contentieuse. Les pourvois en cassation dans ce type de litige ont été au
nombre de 1076 en 2009, 1178 en 2010, 1261 en 2011, soit 11 % puis13 %
o o
du total (EDCE 2011, n  62, t. 1, p. 38 et 2012, n  63, t. 1, p. 36).

339. L'article R. 222-13 du code de justice administrative énumère les litiges


o
donnant lieu au système du juge unique : 1  litiges relatifs aux déclarations
o
préalables prévues par l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme ; 2  litiges
relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l'État et des
autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que des agents ou
employés de la Banque de France, à l'exception de ceux concernant l'entrée
o
au service, la discipline et la sortie du service ; 3  litiges en matière de
pensions, d'aide personnalisée au logement, de communication de
o
documents administratifs, de service national ; 4  litiges relatifs à la
o
redevance audiovisuelle ; 5  recours relatifs aux taxes syndicales et aux
154
o
impôts locaux autres que la taxe professionnelle ; 6  la mise en œuvre de la
responsabilité de l'État pour refus opposé à une demande de concours de la
o
force publique pour exécuter une décision de justice ; 7  actions
indemnitaires, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur à
un montant qui, déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15, est
o
actuellement de 10 000 euros ; 8  requêtes contestant les décisions prises
o
en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse ; 9  litiges relatifs
o
aux bâtiments menaçant ruine ; 10  litiges relatifs au permis de conduire.
C'est pour eux que l'article R. 811-1 prévoit seulement le pourvoi en
cassation (en aménageant cependant des exceptions qui ne simplifient pas
les solutions).

340. Il y ajoute les requêtes dont les jugements sont rendus par les
tribunaux administratifs en formation collégiale en premier et dernier ressort
au sujet de la reconnaissance du droit au logement.

341. On ne peut pas dire que, même si des considérations pratiques peuvent
justifier la soustraction de certaines affaires à des formations collégiales et
au recours en appel, en laissant possible seul le recours en cassation, le
système soit d'une grande clarté. Il y a trop d'exceptions au principe,
assorties elles-mêmes de leurs propres exceptions, pour que la cohérence de
l'ensemble soit assurée. On a l'impression de solutions pointillistes, adoptées
en fonction de contingences de « productivité » qui sont loin d'une haute
conception de la justice administrative, alors même qu'elles sont adoptées à
l'initiative du Conseil d'État lui-même. Il est possible qu'à la suite d'une
étude demandée par le vice-président, l'appel soit rétabli dans certains
contentieux (fonction publique, taxes locales).

342. C'est exclusivement en raison de la particularité du droit local de


Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin que s'explique la solution de l'article L.
2541-18 du code général des collectivités territoriales donnant un caractère
définitif, sous réserve de recours en cassation devant le Conseil d'État, au
jugement du tribunal administratif rendu en pleine juridiction sur opposition
à une décision du conseil municipal en raison de la participation du maire,
d'un adjoint ou de membres du conseil municipal à une délibération sur des
affaires dans lesquelles ils sont intéressés personnellement ou comme
mandataires. L'histoire et la géographie ne sont plus une justification
suffisante à cette dérogation au droit commun du contentieux administratif.
Ce ne serait pas un attentat au particularisme local que d'unifier à la fois le
régime de contestation des délibérations du conseil municipal et celui des
recours contentieux, de les aligner sur le droit commun de la France « de

155
l'intérieur », et de retirer au Conseil d'État une compétence en cassation qui
n'a guère de raison d'être.

§ 3 - La compétence de cassation du Conseil d'État à l'égard de


décisions d'autres juridictions administratives

343. De nombreuses juridictions administratives spécialisées ont été


organisées dans des domaines divers, qui peuvent comporter elles-mêmes
soit un double degré de juridiction (premier ressort, appel), soit un seul
(premier et dernier ressort). Dans tous les cas, les décisions de la juridiction
statuant en dernier ressort sont susceptibles de pourvoi en cassation devant
le Conseil d'État, comme le rappelle l'article L. 331-1 du code de justice
administrative. Les statistiques révèlent que l'exercice de la compétence de
cassation dans cette hypothèse n'est pas purement théorique : 684 affaires
ont été enregistrées à ce titre en 2009, 886 en 2010, 1047 en 2011, soit
o
respectivement 7 %, 9 % et 11 % du total (EDCE 2011, n  62, t. 2, p. 38 ;
o
2012, n  63, t. 1, p. 36).

344. Trois groupes de juridictions spécialisées constituent l'essentiel de


celles dont les décisions donnent lieu à l'exercice de la compétence de
cassation du Conseil d'État : le premier est constitué par des juridictions
financières (Cour des comptes, Cour de discipline budgétaire et financière,
pour des exemples du contrôle de cassation à l'égard de la première : CE,
o
sect., 17 oct. 2003, req. n  237290, Dugoin c/ Dpt de l'Essonne, Lebon
409   ; AJDA 2003. 2031. Chron. Donnat et Casas, et à l'égard de la
o
seconde : CE, ass., 4 juill. 2003, req. n  234353  , Dubreuil, Lebon 313,
concl. Guyomar   ; RFDA 2003. 713, concl. Guyomar   ; AJDA 2003. 1596.
chron. Donnat et Casas  ), le deuxième par des juridictions sociales
(Commission centrale d'aide sociale : par ex. CE, ass., 6 déc. 2002, req.
o
n  240028  , Trognon, Lebon 427   ; RDSS 2003. 92   ; RFDA 2003. 694,
concl. Fombeur  . – Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale : par
o
ex. CE 30 janv. 2008, req. n  274556  , Assoc. Orientation et Rééducation
des enfants et adolescents de la Gironde [OREAG]), le troisième par des
juridictions disciplinaires : Conseil supérieur de la magistrature (par ex.
o
CE 15 févr. 2006, req. n  272825  , de Mordant de Massiac, Lebon 77  ),
ordres professionnels (par ex. médecins : par ex. CE 15 nov. 2010, req.
o
n  314674  , Conseil départemental de l'Ordre des médecins des Bouches-
du-Rhône, Lebon 431  . – Chirurgiens-dentistes : par ex. CE 15 juin 2011,
os
req. n  324980  et 324982. – Architectes : par ex. CE 2 févr. 2005, req.

156
o
n  259206  ), institutions universitaires (Conseil national de l'enseignement
o
supérieur et de la recherche : par ex. CE 20 mars 2009, req. n  296984). Il
faut mettre à part la Cour nationale du droit d'asile, qui est une sorte de
démembrement des juridictions administratives de droit commun statuant
naguère elles-mêmes en cette matière comme dans d'autres, et qui a été
spécialement constituée pour les désencombrer ; ses décisions font l'objet de
pourvois en cassation devant le Conseil d'État (par ex. CE 23 juill. 2010, req.
o
n  318356  , Office français de protection des réfugiés et apatrides c/
Assfour, Lebon 336  ) qui en garde ainsi le contrôle.

Art. 2 - Le Conseil d'État, juge régulateur

345. Le Conseil d'État a pu être considéré comme régulateur de la vie


administrative dans son ensemble, à la fois par ses avis et par ses arrêts. Ce
n'est pas cette fonction générale de régulation qui est ici observée. C'est plus
particulièrement celle qu'il exerce à l'égard de l'ordre juridictionnel
administratif. Elle apparaît déjà dans les différents titres de compétence
qu'on a précédemment reconnus, en particulier en appel et en cassation. Elle
est plus nette encore à d'autres titres, dans lesquels elle se trouve en
quelque sorte à l'état pur. Elle a été expressément formulée par des arrêts
o
(CE 10 nov. 1999, req. n  208119  , Sté coopérative agricole de Brienon,
o
Lebon 351  . – 28 juill. 2000, req. n  196920  , Cts Demir, Lebon 357  . –
o
Sect., 17 oct. 2003, Dugoin c/ Dpt de l'Essonne, préc. supra, n  344. –
o
4 févr. 2005, req. n  269233  , Procureur général près la Cour des comptes,
Lebon 31   ; AJDA 2005. 1070, concl. Guyomar  ). Elle consiste à assurer
un certain ordre au sein des juridictions administratives. Tantôt elle porte sur
le fonctionnement de la justice administrative, tantôt sur le fond même du
droit applicable (V. P. DELVOLVÉ, Le Conseil d'État, régulateur de l'ordre
juridictionnel administratif, Mélanges Labetoulle, 2007, p. 259).

er
§ 1 - La régulation du fonctionnement de la justice administrative

346. Dans l'exercice de ses compétences d'appel et de cassation, le Conseil


d'État a l'occasion de préciser les conditions de fonctionnement de la justice
administrative, notamment quant à la procédure qui doit y être suivie. Il
peut même le faire lorsqu'il est compétent en premier et dernier ressort par
des formules qui ont une portée générale. Mais, dans tous ces cas, il le fait
dans l'exercice de ses compétences normales, sans procédure propre à la

157
régulation. Dans d'autres cas, des mécanismes spécifiques sont mis en
œuvre : ils relèvent par eux-mêmes de la régulation. Il en ainsi pour la
solution des difficultés de compétence, celle des contradictions de décisions
et même celle de l'impossibilité de décision.

A - Le règlement de questions de compétence

o
347. Le décret n  72-143 du 22 février 1972 instituant une procédure de
règlement des questions de compétence au sein de la juridiction
administrative a permis aux sous-sections du Conseil d'État et aux tribunaux
administratifs, s'ils estiment qu'une affaire ne relève pas de leur juridiction,
de saisir le président de la Section du contentieux du Conseil d'État pour
désigner, par une ordonnance insusceptible de recours, la juridiction
administrative qu'il déclare compétente. Cette possibilité a été reconnue aux
cours administratives d'appel lors de leur création. Le président de la Section
du contentieux assurait une véritable fonction de régulation à l'intérieur de
o
l'ordre administratif. Avec le décret n  2002-547du 19 avril 2002,
l'exclusivité qu'il détenait à ce sujet a disparu puisque, selon le nouvel article
R. 351-3 du code de justice administrative, une cour administrative d'appel
ou un tribunal administratif peut transmettre le dossier à une autre
juridiction administrative sans passer par le Conseil d'État. Le président de la
Section du contentieux garde cependant sa compétence soit pour les
requêtes dont le Conseil d'État a été saisi soit pour celles qui, présentées à
une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif, présentent des
difficultés particulières justifiant qu'ils la lui transmettent pour désigner la
juridiction compétente.

ACTUALISATION
347. Office du Conseil d'État saisi d'une question de compétence.
- Lorsque le Conseil d'État est saisi d'une question de compétence sur le
fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, il ne
peut pas se prononcer sur des conclusions à fin de non-lieu (CE 10 oct.
o
2012, Lebrun, req. n  355987  , AJDA 2013. 206  ).

348. Le même décret du 19 avril 2002 a institué avec le nouvel article


R. 351-8 un nouveau mécanisme de régulation « lorsque des considérations
de bonne administration de la justice l'imposent » : « le président de la
Section du contentieux du Conseil d'État […] attribue, par une ordonnance
motivée qui n'est pas susceptible de recours, le jugement d'une ou plusieurs
affaires à la juridiction qu'il désigne ». La solution est d'autant plus

158
remarquable qu'elle peut être prise non seulement, comme dans le cas
précédent, à la demande d'un président de tribunal administratif ou de cour
administrative d'appel, mais encore de la propre initiative du président de la
Section du contentieux. La seule exigence est celle de la motivation de la
décision, qui ne pèse pas sur le cas précédent, et qui doit permettre
d'identifier les « considérations de bonne administration de la justice » qui
imposent l'attribution d'une ou plusieurs affaires à une juridiction autre que
celle à laquelle elle reviendrait normalement. Il ne s'agit plus seulement de
venir au secours d'un requérant qui s'est trompé de juge. Il s'agit de
désigner le juge le mieux à même de traiter la ou les affaires. On peut faire
confiance au président de la Section du contentieux pour que ce pouvoir ne
soit pas détourné de la bonne administration de la justice. Il doit seulement
déterminer la juridiction par laquelle la justice sera le mieux rendue.

B - Le règlement de juge

349. Pour la solution des contradictions de décisions juridictionnelles, le


Conseil d'État s'est reconnu compétence sans texte particulier, en vertu des
« pouvoirs généraux » qui lui sont attribués (concl. ROUCHON-MAZERAT sur
CE, sect., 15 janv. 1932, Rambaud, S. 1932. 3. 83 ; et, outre l'arrêt lui-
même, celui du même jour, Dame veuve Reynes) et même, depuis 1999, de
ses « pouvoirs généraux de régulation de l'ordre juridictionnel
administratif ». Ces pouvoirs tiennent à sa position de juridiction
administrative suprême (WALINE, notes D. 1936. 3. 57 ; RD publ. 1950.
971. – BERNARD, concl. sur CE, ass., 11 mai 1959, Miret, S. 1959. 146).

350. Ils ont servi au règlement de juge, permettant de régler les


contradictions entre des décisions juridictionnelles conduisant à des dénis de
justice. Ces contradictions portent classiquement sur la compétence. Le
Conseil d'État les a résolues pour la première fois par ses arrêts Rambaud et
Dame veuve Reynes du 15 janvier 1932, précités. Elles peuvent résulter de
conflits négatifs de compétence, deux juridictions administratives se
déclarant également incompétentes sur un même litige au motif que c'est
l'autre qui est compétente : certains arrêts parlent de conflit négatif de
juridictions.

351. Le cas le plus fréquent a été à l'origine celui de l'incompétence du


Conseil d'État pour un litige au sujet duquel une autre juridiction
administrative s'était précédemment déclarée incompétente (outre les arrêts
du 15 janv. 1932, CE 27 oct. 1948, Guignard, Lebon 392 ; RD publ. 1950.
971, note Waline. – Sect., 23 mai 1952, Dame veuve Merlin, Lebon 275 ;
JCP 1952. II. 7163, note Plantey. – 4 janv. 1967, Union des chambres

159
syndicales d'affichage et de publicité extérieure, Lebon T. 908. – 10 mai
1967, même requérant, Lebon T. 907). Ce peut être aussi le cas de
l'incompétence déclarée successivement par deux juridictions administratives
autres que le Conseil d'État (CE, sect., 14 oct. 1960, Tisserand, Lebon 542 ;
AJDA 1960. I. 160, chron. Combarnous et Galabert. – Sect., 4 janv. 1964,
er
Nouzillat, Lebon 8. – 1  oct. 1969, Sté Hadfields, Lebon T. 936. – 10 déc.
1969, Bouriau, Lebon T. 935. – Sect., 26 févr. 1971, Odinot, Lebon 170. –
23 avr. 1975, Debled, Lebon 257). On est en présence d'une situation
analogue à celle du conflit négatif de compétence entre juridiction
administrative et juridiction judiciaire, que le décret du 26 octobre 1849 a
chargé le Tribunal des conflits de résoudre (CJA, art. R. 771-1  ). Ici il l'est
par le Conseil d'État en vertu de ses pouvoirs généraux. Dans tous les cas, le
Conseil d'État déclare nulle et non avenue la décision rendue par la
juridiction qui s'est à tort déclarée incompétente et lui renvoie l'affaire. Ces
cas doivent être aujourd'hui réduits par le système de régulation des
compétences qu'aménagent les décrets du 22 février 1972 et du 19 avril
o
2002 (supra, n  347) pour prévenir les hypothèses de conflit négatif de
compétence au sein de l'ordre administratif, comme le décret du 25 juillet
1960 les prévient entre les ordres de juridiction. Mais des cas peuvent encore
o
se rencontrer (V. CE 9 avr. 2010, req. n  329759  , Dedieu).

352. Des contradictions relatives à la compétence, le règlement de juge a


été étendu aux contradictions relatives au fond. Elles peuvent encore être
liées à des contradictions sur la compétence : ainsi en est-il lorsque
l'incompétence déclarée par une juridiction tient à une appréciation erronée
du fond de la demande (V. les arrêts préc. du 15 janv. 1932, Rambaud et
Dame veuve Reynes, du 27 oct. 1948, Guignard, du 23 mai 1952, Dame
veuve Merlin, du 4 janv. 1967, Union des chambres syndicales d'affichage et
de publicité extérieure, du 10 mai 1967, même requérant). Les questions de
compétence ne sont plus en cause lorsque deux juridictions, se
reconnaissant exactement compétentes pour statuer sur un litige, rendent au
fond des décisions contradictoires entraînant déni de justice. On reconnaît là
une hypothèse que la loi du 20 avril 1932 a permis de régler par
l'intervention du Tribunal des conflits lorsque les deux juridictions
appartiennent chacune aux deux ordres différents (administratif et
judiciaire). Elle ne règle pas le cas de décisions émanant de deux juridictions
appartenant au même ordre, et spécialement à l'ordre administratif, comme
cela se rencontre (par ex. CE 14 mars 1986, Min. des PTT c/ Cts Lormet,
o
Lebon 73. – 12 févr. 1990, req. n  60282  , Cne de Bain-de-Bretagne,
Lebon 33  ). Le règlement de juge par le Conseil d'État permet de résoudre
la contradiction.

160
353. Il peut même porter sur la contradiction entre deux décisions rendues
par la même juridiction, ne serait-ce que par le Conseil d'État lui-même.
Celui-ci l'a réglée en puisant « dans (sa) fonction de juge suprême du
contentieux administratif les pouvoirs nécessaires pour assurer une bonne
administration de la justice » selon la forte expression de M. Antoine
BERNARD dans ses conclusions déjà citées sur l'affaire Miret. Il s'agissait de
lever la « contrariété conduisant au déni de justice » résultant des
appréciations successives du Conseil d'État, à la suite de l'arrêt du Tribunal
des conflits du 12 décembre 1955, Thomasson (Lebon 626 ; JCP 1956. II.
9198, concl. Lemoine, note Rivero ; RD publ. 1956. 337, note Waline ;
AJDA 1956. I. 13. chron. Langavant), sur l'imputabilité des préjudices nés
des mesures d'épuration. Le Conseil d'État, comme le recommandait
M. A. BERNARD, s'est reconnu « le droit de mettre fin aux contrariétés
existant entre (ses) décisions lorsqu'il peut en résulter un déni de justice ».
Cette procédure est souvent présentée comme se rattachant au règlement
de juges, mais elle s'en distingue : elle permet au Conseil « soit de (se)
saisir, au besoin d'office, à l'occasion d'une décision (qu'il va) rendre […],
soit encore […] d'être saisi après coup par les intéressés eux-mêmes de la
situation créée par la contradiction existant entre deux […] décisions passées
en force de chose jugée et de prendre alors la décision qui s'impose … ». La
distinction par rapport au règlement de juge précédemment rencontré tient
non seulement à ce que la contradiction porte, non sur la compétence, mais
sur le fond, mais encore à ce qu'elle résulte de décisions émanant de la
même juridiction. Il ne s'agit plus alors seulement de « réguler » l'ordre
juridictionnel administratif, mais une seule juridiction, et, qui plus est, la
juridiction administrative suprême elle-même.

354. Mais le Conseil d'État n'a pas d'exclusivité à ce sujet. La création des


cours administratives d'appel peut les conduire à régler des contrariétés de
ce genre. Ainsi la cour administrative d'appel de Nancy a pu lever la
contradiction entre un jugement d'un tribunal administratif devenu définitif,
rejetant au fond une demande dirigée contre une commune au motif que
seule la responsabilité du syndicat intercommunal pouvait être engagée,
alors qu'elle-même jugeait que les dommages n'étaient pas imputables au
syndicat (CAA Nancy, 19 févr. 1991, Épx Degezelle, Lebon 493). Il ne doit
s'agir que de cas rares, ne remettant pas en cause le rôle prédominant du
Conseil d'État dans la régulation.

C - La solution de l'impossibilité d'une décision juridictionnelle

355. Le cas de l'impossibilité d'une décision juridictionnelle doit être plus


rare encore. Il s'est rencontré au moins deux fois lorsque la Cour des

161
comptes d'une part et la Cour de discipline budgétaire et financière d'autre
part n'ont pu, en raison du principe d'impartialité, statuer sur des affaires
dans lesquelles leurs membres avaient déjà pris position. Le Conseil d'État,
dans deux arrêts déjà cités (Sect., 17 oct. 2003, Dugoin c/ Dpt de
l'Essonne ; 4 févr. 2005, Procureur général près la Cour des comptes), a
donné le mode de règlement de la difficulté par le considérant suivant :
« Dans le cas où (ces juridictions) estime(nt) ne pas pouvoir se prononcer
régulièrement sur une affaire, il (leur) appartient de transmettre l'affaire au
Conseil d'État, afin que celui-ci, dans le cadre de ses pouvoirs généraux de
régulation de l'ordre juridictionnel administratif, donne à cette transmission
les suites qui conviennent… ». La solution va bien au-delà de la répartition
des compétences et de la solution des contrariétés de décisions. Les pouvoirs
généraux de régulation du Conseil d'État peuvent servir à lever les obstacles
qui empêchent que soit rendue la justice par les juridictions auxquelles elle
appartient en application des règles normales de compétence.

356. En désespoir de cause, ces juridictions doivent s'en remettre au Conseil


d'État : à lui de déterminer la solution qui convient. Ce peut être de statuer
lui-même au lieu et place de la juridiction qui l'a saisi. Ainsi, dans l'affaire
Dugoin, il a remplacé la Cour des comptes ; dans l'affaire Procureur général
près la Cour des comptes, il aurait pu remplacer la Cour de discipline
budgétaire et financière. Il est devenu dans un cas, aurait pu devenir dans
l'autre, ce que l'on appelle un « juge financier ». Il ne cesse pour autant
d'être juge administratif car, contrairement à ce que l'appellation pourrait
faire croire, le juge financier est un juge administratif car soumis au contrôle
de la juridiction administrative suprême qu'est le Conseil d'État ; et c'est
parce que le Conseil d'État est la juridiction administrative suprême qu'il a pu
statuer comme juge financier.

§ 2 - La régulation du fond du droit applicable

357. On peut dire que dans toutes ses fonctions, aussi bien non
juridictionnelles que juridictionnelles, et dans les fonctions juridictionnelles,
aussi bien en premier et dernier ressort qu'en cassation, le Conseil d'État
assure la régulation du droit applicable en ce sens qu'il détermine,
directement ou indirectement, la règle de droit à adopter ou à mettre en
œuvre. Mais cette conception est si large qu'elle fait perdre tout sens à la
fonction et même à la notion de régulation. Ce que l'on veut désigner ici, ce
sont des procédures particulières par lesquelles le Conseil d'État est
spécialement chargé, dans ses formations contentieuses, de contribuer à
identifier la règle de droit qu'il faut appliquer. La particularité des dispositifs
tient à ce qu'il le fait par des mesures qui ne tranchent pas elles-mêmes le
162
litige à l'occasion duquel il est saisi, mais elles contribuent à le résoudre.
Elles se singularisent par rapport aux fonctions traditionnelles du Conseil
d'État et contribuent à étendre, voire à renforcer, son rôle. Elles sont de
deux types : dans un cas il s'agit d'avis contentieux, dans l'autre de décisions
sur la transmission de questions prioritaires de constitutionnalité.

A - Les avis contentieux

358. Le système des avis contentieux est une des innovations de la loi du
31 décembre 1987 qui a créé les cours administratives d'appel. Il a été
étendu à certaines hypothèses concernant l'outre-mer (V. HOEPPFNER, Les
avis du Conseil d'État, RFDA 2009. 895  . –GOURDOU, L'avis du Conseil
d'État sur une question de droit, Mélanges Moderne, 2004, Dalloz, p. 189).
o
359. 1  À l'occasion de la création des cours administratives d'appel par la
loi de 1987, le législateur a aménagé une procédure, qui s'apparente à celle
du rescrit du droit romain, permettant aux tribunaux administratifs et aux
cours administratives d'appel, régulièrement saisis d'un litige relevant de leur
compétence, d'interroger le Conseil d'État sur une question relative au droit
applicable. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative,
« avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle,
présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le
tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision
qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au
Conseil d'État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée.
Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'État ou, à
défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ».

360. Il doit s'agir de questions de droit nouvelles. Elles peuvent porter sur
des problèmes de fond : c'est à elles qu'a surtout pensé le législateur de
1987. Effectivement le Conseil d'État en a beaucoup été saisi : ainsi, une des
premières fois, au sujet de l'indemnisation des dommages causés par les
o
manifestants au cours d'émeutes (CE, ass., 6 avr. 1990, req. n  112497  ,
Cie financière et industrielle des autoroutes, Lebon 95, concl. Hubert   ; RD
publ. 1990. 1145, concl. Hubert ; RFDA 1991. 562, note Letteron   ; GAJA,
o
n  92, p. 65), et, plus tard et plus gravement, sur l'indemnisation des
personnes juives victimes de déportations sous l'Occupation (CE, ass.,
o
16 févr. 2009, req. n  315499  , Mme Hoffman-Glemane, Lebon 43, concl.
Lenica   ; RFDA 2009. 316, concl. Lenica   ; AJDA 2009. 589. Chron. Liéber
o
et Botteghi   ; Dr. adm. 2009, n  60, note Melleray ; JCP 2009. 1074, note
Markus), ou encore sur la qualification d'ouvrage public (CE, ass., 29 avr.

163
o
2010, req. n  323179  , M. et Mme Béligaud, Lebon 126, concl. Guyomar   
; AJDA 2010. 1642. Chron. Liéber et Botteghi   ; RJEP 2010, comm. 54,
note Gaudemet ; RFDA 2010. 557, note Melleray  ). Il peut s'agir tout
autant de problèmes de répartition des compétences juridictionnelles, entre
juridiction administrative et juridiction judiciaire (par ex. CE, sect., 10 avr.
o
1992, req. n  132539  , SARL Hofmiller, Lebon 159   ; AJDA 1992. 688,
note Prétot   ; CJEG 1992. 479. chron. Lachaume) ou à l'intérieur de la
o
juridiction administrative (par ex. CE 28 avr. 1993, req. n  134490, Cne de
Royan, Lebon 139   ; RFDA 1994. 230, concl. Vigouroux  , note Pouyaud),
ou encore de problèmes de procédure (par ex. les conditions d'exercice du
o
pouvoir d'injonction du juge : CE, sect., 13 mars 1998, req. n  190751  ,
Mme Vindevogel, Lebon 78   ; AJDA 1998. 408. Chron. Raynaud et
Fombeur  ).

361. La nouveauté de la question s'apprécie moins dans son apparition


récente en elle-même que dans l'absence de réponse récente et évidente
dans la jurisprudence (en ce sens notamment, ABRAHAM, concl. sur CE,
o
sect., 9 oct. 1992, req. n  137342  , Abihilali, Lebon 363   ; RFDA 1993.
175  ).

362. Le caractère sérieux de la difficulté posée par la question est apprécié


en réalité par la juridiction devant laquelle elle se pose. Il ne doit pas s'agir
pour elle de se défausser dès qu'elle rencontre un obstacle : il doit y avoir un
véritable problème la dépassant et appelant une solution au niveau le plus
élevé de l'ordre administratif. Lorsque la question lui est renvoyée, le Conseil
d'État pourrait théoriquement répondre qu'elle n'est pas suffisamment
difficile pour que la juridiction qui la lui a envoyée ne puisse la trancher – ce
qui serait une sorte de leçon sévère à son égard. On ne peut citer d'exemple
en ce sens. En réalité les juridictions du fond ont suffisamment conscience de
leurs responsabilités pour ne pas utiliser la procédure de renvoi comme une
solution de facilité. Le seul véritable obstacle tient à l'existence de
procédures en cours portant sur la même question, se poursuivant
normalement par l'exercice des voies de recours aboutissant au Conseil
d'État, qui devra la trancher par un arrêt : il ne peut lui être demandé
parallèlement de le faire par un avis contentieux (CE, sect., 6 oct. 1995, req.
o
n  138647, Chevrillon, Lebon 350   ; RFDA 1996. 353, concl. Denis-Linton   
; AJDA 1995. 882. Chron. Stahl et Chauvaux  ).

363. Enfin la question doit se poser dans de nombreux litiges : ce peut être


au sein d'une même juridiction administrative mais aussi tout autant, et
même plus, au sein de plusieurs juridictions. C'est une question de fait. À ce
sujet les informations circulant systématiquement entre les juridictions

164
administratives doivent leur permettre de savoir si une question est
largement répandue : les échanges entre elles, avec une sorte de
centralisation par les services du Conseil d'État, permettent d'identifier la
situation. Il n'est pas exclu que se forme une sorte d'entente entre les chefs
de juridiction, voire de suggestion de la part du Conseil d'État, pour que la
question soit posée par une juridiction dans les conditions de fait et de droit
les plus appropriées, afin d'aboutir au meilleur résultat. Il n'est pas exclu non
plus qu'une administration, telle l'administration fiscale, particulièrement
sensible à un problème de droit non encore tranché, qui se pose pour elle
non seulement dans de nombreux litiges mais aussi dans de nombreux
dossiers n'ayant pas encore donné lieu à contentieux, incite à saisir le
Conseil d'État d'une demande d'avis contentieux.

364. Car c'est bien pour trancher la question sans attendre que soit
remontée toute la filière de la procédure contentieuse habituelle que la
procédure d'avis contentieux a été conçue. Elle permet d'éviter des délais
trop longs autant pour les justiciables que pour les administrations. La
réponse de la juridiction administrative suprême avant qu'elle soit saisie de
recours contre les décisions des tribunaux et des recours, notamment le
recours en cassation qui est le recours « normal », permet de vider les
contentieux en cours, voire d'éviter les contentieux.

365. Toutefois la réponse donnée par le Conseil d'État est formulée non pas
dans un arrêt mais dans un « avis contentieux », qui se singularise par sa
forme (il n'a pas le même type de rédaction qu'un arrêt) et par sa portée : il
n'est pas investi de l'autorité de la chose jugée. La juridiction qui a posé la
question, a fortiori les autres juridictions peuvent ne pas suivre la position
exprimée par le Conseil d'État dans son avis contentieux. Le législateur a
manifesté à ce sujet une réticence à reconnaître au Conseil d'État par cette
procédure un rôle normatif qui aurait rejoint celui du législateur lui-même.
C'est sans doute illusoire car au contentieux, par ses arrêts, le Conseil d'État
exerce bien un rôle normatif ; c'est même contradictoire car on ne voit pas
l'utilité de faire trancher une question par cette procédure de rescrit si ce
n'est pour que la réponse puisse avoir autorité.

366. En réalité, elle l'a. La position « suprême » du Conseil d'État dans


l'ordre juridictionnel administratif conduit nécessairement à faire de la
réponse à une demande d'avis que lui a posée une juridiction administrative
la solution de principe qui sera normalement suivie par les juges du fond
dans les litiges où la question à laquelle il répond se pose.
o
367. 2  Si les tribunaux administratifs d'outre-mer peuvent procéder à des
demandes d'avis contentieux au Conseil d'État selon le droit commun issu de

165
la loi de 1987 qui vient d'être exposé, ils disposent aussi d'une autre
procédure d'avis contentieux, qui doit pour certains être obligatoirement
mise en œuvre, au sujet de la répartition des compétences entre les
différentes collectivités publiques. On a déjà vu que ce type de question peut
faire l'objet d'une procédure à la demande d'autorités publiques, présentée
au tribunal administratif, qui doit transmettre la question au Conseil d'État :
celui-ci y répond par un avis consultatif, rendu par les formations
os
administratives du Conseil (supra, n  235 s.). Ce même type de question
peut se poser à l'occasion d'un litige devant le tribunal administratif : celui-ci
la transmet au Conseil d'État, qui y répond par un avis contentieux, rendu
par les formations contentieuses.

368. Cette particularité a été adoptée la première fois par la loi organique


o
n  99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie dans son article
205 (modifié par celle du 3 août 2009), auquel fait référence l'article L. 224-
3 du code de justice administrative. Lorsque le tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie est saisi d'un recours pour excès de pouvoir ou d'un
recours en appréciation de légalité dirigé contre certains actes (délibérations
du Congrès, arrêtés du gouvernement notamment) et que ce recours est
fondé sur un moyen sérieux invoquant l'inexacte application de la répartition
des compétences entre l'État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les
communes ou que ce moyen est soulevé d'office, il transmet le dossier sans
délai pour avis au Conseil d'État par un jugement qui n'est susceptible
d'aucun recours. Le code de justice administrative (art. R. 224-3 à R. 224-6)
précise que c'est la Section du contentieux qui est saisie, que le dossier est
examiné selon la procédure du Conseil d'État statuant au contentieux, que la
réponse est donnée dans les mêmes formes qu'un arrêt. Mais le législateur
n'a pas voulu lui donner le nom d'arrêt. On peut comprendre la réticence
qu'il a eue pour les avis de la loi de 1987, que les tribunaux et cours ne sont
pas tenus de solliciter et qui ne tranchent pas absolument la question posée.
Cette réticence ne se comprend plus pour les questions propres à la
Nouvelle-Calédonie, qui sont des « questions préjudicielles », c'est-à-dire
dont la solution commande la solution du litige et que le tribunal
administratif, incompétent pour trancher, doit renvoyer au Conseil d'État.
Lorsqu'une juridiction judiciaire doit surseoir à statuer sur une question
préjudicielle dont la solution appartient à la juridiction administrative, ou une
juridiction nationale sur une question préjudicielle dont la solution appartient
à la Cour de justice de l'Union européenne, la réponse de la juridiction
administrative ou de la Cour de justice est donnée, non par voie d'avis, mais
par de véritables arrêts. Le législateur s'est trompé non seulement de
vocabulaire, mais aussi de notion.

166
369. On ne peut pas lui faire le même reproche pour la solution qu'il a
adoptée dans l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999, repris à
l'article L. 224-5 du code de justice administrative au sujet de la répartition
des compétences néo-calédoniennes entre la loi et le règlement : « Lorsqu'au
cours d'une procédure devant une juridiction de l'ordre administratif ou de
l'ordre judiciaire, la nature juridique d'une disposition d'une loi du pays fait
l'objet d'une contestation sérieuse, la juridiction saisit, par un jugement qui
n'est susceptible d'aucun recours, le Conseil d'État qui statue dans les trois
mois. Il est sursis à toute décision sur le fond jusqu'à ce que le Conseil d'État
se soit prononcé sur la nature de la disposition en cause ». L'hypothèse
dépasse le seul tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et peut
concerner d'autres juridictions ; son traitement est le même pour toutes. Si
le texte ne parle pas de question préjudicielle, c'est bien d'une telle question
qu'il s'agit. Elle doit être renvoyée au Conseil d'État, qui l'examine et la
tranche dans ses formations contentieuses et rend, comme c'est
normalement le cas au contentieux, une « décision » (V. les articles R. 224-
10 à R. 224-12 du CJA).

370. Le système de saisine pour « avis » du Conseil d'État statuant au


contentieux au sujet de la répartition des compétences entre collectivités
publiques, adopté en 1999 pour la Nouvelle-Calédonie, a été étendu à
d'autres collectivités outre-mer : la Polynésie française (art. 174 de la loi
o
n  2004-192 du 27 févr. 2004, auquel fait référence l'art. L. 225-2 CJA) ;
Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon (respectivement
o
art. LO 6242-5, LO 6342-5 et LO 6452-5 CGCT, issus de la loi n  2007-223
du 21 févr. 2007). Il comporte le renvoi obligatoire de la question au Conseil
d'État, qui l'examine et la résout dans ses formations contentieuses, mais ne
rend qu'un « avis » contentieux (V. CJA, art. R. 223-5  à R. 223-7  ). La
formule suscite les mêmes critiques qu'à propos de la Nouvelle-Calédonie et
devrait être remplacée par celle de « décision », qui a été retenue pour ce
territoire au sujet de la répartition des compétences entre la loi et le
règlement.

B - La question prioritaire de constitutionnalité des lois

371. Le système de la question prioritaire de contrôle de constitutionnalité


des lois établi par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (art. 61-1 de
er
la Constitution) et entré en application le 1  mars 2010, s'il ne fait du
Conseil d'État ni le juge de la conformité des lois à la Constitution (cette
fonction appartenant au Conseil constitutionnel) ni l'organe exclusif de
transmission de la question au Conseil constitutionnel (la Cour de cassation

167
ayant le même rôle dans l'ordre judiciaire), n'en donne pas moins au Conseil
d'État dans l'ordre administratif un rôle correspondant à la place suprême
qu'il y détient et que ne remet pas en cause le rôle du Conseil constitutionnel
(V. M. GUILLAUME, Avec la question prioritaire de constitutionnalité, le
Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ?, JCP 2012. 722).

372. Il exerce encore dans ce système une fonction de régulation. Aux


termes de l'article 61-1 nouveau de la Constitution, c'est sur renvoi du
Conseil d'État ou de la Cour de cassation que le Conseil constitutionnel peut
être saisi lorsque, à l'occasion d'une instance devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que
o
garantit la Constitution. La loi organique n  2009-1523 du 10 déc. 2009
relative à l'application de l'article 61-1 (en ajoutant des dispositions
o
notamment à l'ord. n  58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le
o
Conseil constitutionnel) et le décret n  2010-148 du 16 févr. 2010 portant
application de cette loi organique permettent de préciser le rôle du Conseil
d'État, comme celui de la Cour de cassation. Ce rôle s'exerce en amont et en
aval (V.  Question prioritaire de constitutionnalité [Cont. adm.] ).

373. En amont, il peut s'exercer ab initio sans qu'une question prioritaire de


constitutionnalité d'une loi ait été précédemment soulevée devant une autre
juridiction. C'est le cas non seulement lorsque le Conseil d'État est
compétent en premier et dernier ressort pour connaître d'un litige (supra,
os os
n  248 s.) mais encore lorsqu'il l'est en appel (supra, n  303 s.) ou en
os
cassation (supra, n  329 s.) : il est possible en effet de soulever pour la
première fois une telle question en appel (art. 23-1 de l'ord. du 7 nov. 1958)
ou en cassation (art. 23-5) (en revanche, lorsque le Conseil d'État est saisi
os
d'une demande d'avis contentieux [supra, n  358 s.], ce ne peut être
l'occasion de soulever devant lui une question prioritaire de
constitutionnalité). En 2010, 158 questions prioritaires ont été soulevées
directement devant le Conseil d'État, en 2011, 135 (source : Rapport du
Conseil d'État pour 2011).

374. Le Conseil d'État peut également être saisi d'une question prioritaire de
constitutionnalité par une juridiction relevant de son contrôle – non
seulement les juridictions de droit commun que sont les tribunaux
administratifs et les cours administratives d'appel, mais encore les
juridictions administratives spécialisées – qui considérant que les conditions
de la question sont remplies, la transmet au Conseil d'État. Les tribunaux
administratifs et les cours administratives d'appel ont ainsi transmis au
Conseil d'État 92 questions en 2010, 70 en 2011, les juridictions

168
administratives spécialisées respectivement 6 et 7 (source : Rapport du
Conseil d'État pour 2011).

375. Dans tous les cas, que la question soit soulevée pour la première fois
devant lui ou qu'elle l'ait été devant une juridiction administrative qui la lui
envoie, le Conseil d'État apprécie si elle doit être transmise au Conseil
constitutionnel pour la trancher. Il dispose de trois mois pour se prononcer. Il
vérifie que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure,
ou constitue le fondement des poursuites, à l'occasion desquels la question a
o
été soulevée (art. 23-2 1  de l'ord. du 7 nov. 1958), qu'elle n'a pas déjà été
o
déclarée conforme à la Constitution (art. 23-2 ), « et que la question est
nouvelle ou présente un caractère sérieux » (art. 23-4 et 23-5).

376. C'est donc bien un rôle de « filtre », comme on le dit couramment,


qu'exerce le Conseil d'État pour déterminer s'il convient de saisir le Conseil
constitutionnel : il peut retenir la question s'il considère que les conditions de
la transmission ne sont pas remplies. Son appréciation ne porte pas
seulement sur les conditions de procédure (il pourrait par exemple constater
que la question n'a pas été posée dans un mémoire distinct de ceux de la
procédure au fond, comme les textes l'exigent). Elle porte tout autant sur les
conditions de fond. Si les unes concernent l'applicabilité de la disposition
contestée à l'affaire et ne comportent pas, en tant que telles, de rapport
avec la question de constitutionnalité, les autres concernent directement une
telle question : il s'agit de savoir, au regard des droits et libertés garantis par
la Constitution, si la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme
à celle-ci et, surtout, si la question est nouvelle ou présente un caractère
sérieux. Il y a donc une marge d'appréciation qui pourrait permettre une
pratique de rétention. À cet égard, le Conseil d'État s'immisce dans le
contrôle de constitutionalité des lois (V. A. ROBLOT-TROIZIER, Le non-renvoi
des questions prioritaires de constitutionnalité par le Conseil d'État. Vers la
mutation du Conseil d'État en un juge de la constitutionnalité des lois, RFDA
2011. 691  ).

377. Le Conseil d'État ne s'est pourtant pas engagé dans une voie
restrictive. Il a voulu « jouer le jeu » en transmettant, sinon
systématiquement du moins raisonnablement, les questions au Conseil
constitutionnel : le taux de transmission a été de 26 % en 2010, 25 % en
2011 ; aux questions qu'il lui a transmises, le Conseil constitutionnel a donné
une réponse de conformité de la loi à la Constitution à près de 66 % en 2010
et de 79 % en 2011 (source : Rapport du Conseil d'État) – ce qui montre que
le Conseil d'État avait été assez souple dans la transmission de ces
questions.

169
378. Cette souplesse s'est traduite dans une jurisprudence, destinée aussi
bien aux autres juridictions administratives qu'à lui-même, ouvrant la
possibilité de soulever une question prioritaire de constitutionnalité d'une loi
dans des cas non précisés par les textes et dont la solution n'était pas
évidente. Par exemple, quant à la procédure, il a ainsi admis que la question
pouvait être posée en référé (CE, ord., 6 juin 2010, Mme Diakité, req.
o
n  340350. – CE, ord., 21 oct. 2010, Confédération nationale des présidents
o
des unions régionales des médecins libéraux, req. n  343527  ), et qu'elle
pouvait être soulevée in extremis dans une note en délibéré, déposée après
o
l'audience (CE 28 janv. 2011, Huchon, req. n  338199  , RFDA 2011. 723,
note Türk  ). Par exemple aussi, quant au fond, contrairement à la position
o
adoptée un temps par la Cour de cassation (ass. plén., 19 mai 2010, n  09-
o
70.161. – Crim. 19 mai 2010, n  09-87.651  ), il a considéré dès l'origine
que la question de la conformité d'une loi à la Constitution doit s'apprécier
compte tenu de l'interprétation qu'en fait la jurisprudence (CE 16 juill. 2010,
o
SCI la Saulaie, req. n  334665  . – 25 juin 2010, Mortagne, req.
o
n  326363  ) – ce qu'a confirmé le Conseil constitutionnel (Cons. const. 6
o o
oct. 2010, n  2010-39 QPC  , Rec. 264. – 14 oct. 2010, n  2010-52 QPC,
Rec. 283). Il a également dès l'origine accepté de compter au nombre des
droits et libertés garantis par la Constitution qui peuvent donner lieu à
question prioritaire de constitutionnalité, ceux qu'elle reconnaît au profit des
collectivités territoriales autant que ceux qui protègent les particuliers (CE 18
o
mai 2010, Commune de Dunkerque, req. n  306643  , RFDA. 2010. 713,
concl. Geffray  ) – suivi en cela par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 2
o
juill. 2010, n  2010-12 QPC, Commune de Dunkerque, Rec. 134 ; AJDA
o
2010. 1594, note Verpeaux  . – 8 juill. 2011, n  2011-146 QPC,
Département des Landes, JO 9 juill. ; AJDA 2011. 2067, note Verpeaux   ;
RJEP nov. 2011. 11, note Terneyre).

379. En aval, le rôle régulateur du Conseil d'État s'exerce aussi pour tirer les
conséquences de la réponse du Conseil constitutionnel à la question posée,
déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, et donc
l'abrogeant. Deux exemples sont caractéristiques. Ils concernent la portée
temporelle et personnelle de la non-conformité de dispositions législatives.
Le Conseil constitutionnel avait déjà posé les principes dans ses décisions du
o o
25 mars 2011 (n  2010-108 QPC et n  2010-110 QPC, JO 26 mars). Le
Conseil d'État a eu à les mettre en œuvre et à les préciser s'agissant de
dispositions adoptées les unes pour limiter la jurisprudence « Perruche », les
autres pour cristalliser les pensions (respectivement : CE, ass., 13 mai 2011,
o
Mme Delannoy et M. Verzele, req. n  317808  , et Mme Lazare, req.

170
o
n  329290  , RFDA 2011. 772, concl. Thiellay  . – CE, ass., 13 mai 2011,
o
Mme M'Rida, req. n  316734  , RFDA 2011. 789, concl. Geffray   ; AJDA
2011. 1136, chron. Domino et Bretonneau  ). En même temps, dans le
second cas, il a déterminé les conditions du contrôle de conventionnalité
après qu'a été exercé le contrôle de constitutionnalité.

380. Ainsi doit être soulignée la portée du rôle du Conseil d'État dans le


système de la question prioritaire de constitutionnalité : en refusant de saisir
le Conseil constitutionnel ou au contraire en le saisissant, il participe au
contrôle de constitutionnalité des lois. Certes, ce n'est pas lui qui censure la
loi. Mais, selon qu'il transmet ou non la question, il permet ou empêche la
censure. Lorsque la censure a été prononcée, il contribue à en déterminer les
conséquences. Il participe ainsi à la régulation du contrôle de
constitutionnalité. Fondamentalement juge administratif, il devient pour
partie juge constitutionnel.

Actualisation

o
Décret n  2016-1480 du 2 novembre 2016 modifiant les dispositions
réglementaires relatives au Conseil d'État, aux cours
administratives d'appel et aux tribunaux administratifs.
er o
Entré en vigueur le 1  janvier 2017, le décret n  2016-1480 du 2 novembre
2016 comprend des modifications procédurales substantielles.
Plein contentieux. Le décret supprime l'exigence d'une décision expresse
pour faire courir le délai de recours (2 mois) en matière de plein contentieux
(CJA, art. R. 421-3  ).
Ministère d'avocat devant le tribunal administratif (CJA, art. R. 431-
2  et R. 431-3  ) La dispense d'avocat est supprimée pour les litiges de
travaux publics et d'occupation contractuelle du domaine public et pour les
appels en matière de fonction publique.
En revanche, désormais, sont dispensés d'avocat tous les contentieux
sociaux.
Dans le cadre du contentieux contractuel, le ministère d'avocat n'est
obligatoire que lorsque la requête a pour objet un litige né de l'exécution
d'un contrat (auparavant cela s'étendait à tout litige né d'un contrat).

171
Rejet par ordonnance (CJA, art. R. 222-1  et R. 822-5  ) Afin
d'accélérer le traitement des requêtes, le texte élargit les possibilités de
rejet par ordonnance dans les tribunaux administratifs et les cours
administratives d'appel.
Des ordonnances dites « de séries » pourront être prises par les tribunaux
sur la base d'un arrêt devenu irrévocable de la cour administrative d'appel
o
dont ils relèvent (CJA, art. R. 222-1  , 6 ).

Pour les présidents des cours administratives d'appel, il est également


possible de rejeter par ordonnance, lorsqu'un mémoire complémentaire a
été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes d'appel
manifestement dépourvues de fondement.
Après attribution du dossier d'une série à une juridiction par le président de
la section du contentieux, il sera possible de transmettre directement tous
les dossiers relevant de cette série à la juridiction concernée.
Par ailleurs, les présidents de formations de jugement du Conseil d'État
pourront ne pas admettre, par ordonnance, les pourvois manifestement
dépourvus de fondement dirigés contre une décision d'appel.
Les conseillers d'État désignés comme assesseurs pourront prendre des
ordonnances sur le fondement de l'article R. 822-5 du code de justice
administrative.
Cristallisation du litige (CJA, art. R. 611-7-1  ) Le président de la
formation de jugement, ou, au Conseil d'État, le président de la chambre
chargée de l'instruction, peuvent fixer d'office, et dans tous les litiges, une
date à partir de laquelle de nouveaux moyens ne peuvent plus être
invoqués.
Désistement d'office (CJA, art. R. 611-8-1  et R. 612-5-1  ) Le
président de la formation de jugement ou, au Conseil d'État, le président de
la chambre chargée de l'instruction peuvent également prononcer un
désistement d'office si l'obligation de production d'un mémoire récapitulatif

172
dans un délai donné n'est pas respectée, et, lorsque l'état du dossier
permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son
auteur, de l'inviter à en confirmer le maintien, sous peine de désistement
d'office en l'absence de réponse dans un délai fixé. La demande qui lui est
adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à
l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé
s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions.
Réouverture de l'instruction (CJA, art. R. 613-1-1  ) Postérieurement
à la clôture de l'instruction, le président de la formation de jugement peut
inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter
l'instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle
aux autres parties des éléments et pièces produits, n'a pour effet de rouvrir
l'instruction qu'en ce qui concerne ces éléments ou pièces.
Médiation à l'initiative de l'expert (CJA, art. R. 621-1  ) L'expert peut
se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre
l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation.
Communication des mémoires pendant l'instruction (CJA,
art. R. 613-3  ) Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne
donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction.
Recours abusifs (CJA, art. R. 741-12  ) Le montant maximal des
amendes pour recours abusif qui était de 3 000 euros a été augmenté. Il est
désormais de 10 000 euros. L'article 24 du décret du 2 novembre 2016
modifie l'article R. 741-12 du code de justice administrative, en augmentant
le montant maximal des amendes pour recours abusif.
Fonctionnement de la juridiction administrative. Le décret consacre le
rôle des greffiers des juridictions administratives dans la conduite de
l'instruction (CJA, art. R. 611-10  ).
Requêtes collectives. Il sera également possible de limiter le nombre de
notifications de la décision de justice lorsqu'une requête, un mémoire en

173
défense ou un mémoire en intervention a été présenté par plusieurs
personnes ou a été présenté par un avocat pour le compte de plusieurs
personnes (CJA, art. R. 411-6  , R. 611-2  et R. 751-3  ).
o
Décret n  2016-1481 du 2 novembre 2016 relatif à l'utilisation des
téléprocédures devant le Conseil d'État, les cours administratives
d'appel et les tribunaux administratifs.
er
Depuis le 1  janvier 2017, ce décret rend obligatoire l'utilisation de
l'application Télérecours, tant en demande qu'en défense ou en
intervention, pour les avocats, les personnes publiques, à l'exception des
communes de moins de 3 500 habitants, et les personnes morales de droit
privé chargées d'une mission permanente de service public. Il ouvre une
faculté d'utilisation aux associations d'assistance aux étrangers dans les
centres de rétention.
Modes alternatifs de règlement des différends : de la conciliation à
la médiation.
o
La loi n  2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du

XXIe siècle a introduit une procédure de médiation ouverte à tout litige


relevant de la compétence du juge administratif.
o
Auparavant l'ordonnance n  2011-1540 du 16 novembre 2011 avait
transposé dans le code de justice administrative, aux articles L. 771-3 à
L. 771-3-2, la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de
la médiation en matière civile et commerciale. La possibilité de recourir à la
médiation était limitée aux différends transfrontaliers et aux matières non
régaliennes.
La procédure prévue par la loi du 18 novembre 2016 aux articles L. 213-1
et suivants du code de justice administrative reprend celle qui existe en
matière civile et commerciale. Cette procédure est applicable aux
juridictions relevant du Conseil d'État qui ne sont pas régies par le code de
justice administrative.
174
La médiation est définie à l'article L. 213-1 du code comme « tout processus
structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs
parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de
leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou
désigné, avec leur accord, par la juridiction ». Elle distingue la médiation à
l'initiative du juge et la médiation à l'initiative des parties.
 
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 (JO 20 avr.) relatif à la médiation
dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif fixe les
règles procédurales (CJA, art. R. 213 s.).
 
Attribution du Conseil d'État (CJA, art. L. 114-1  ) Lorsque le Conseil
d'État est saisi d'un litige en premier et dernier ressort, il peut, après avoir
obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir
à un accord entre celles-ci.
 
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 précise cette attribution. Les
pouvoirs dévolus au président de la juridiction sont exercés par le président
de la section du contentieux (CJA, art. R. 114-1  ).
 
Le médiateur (CJA, art. L. 213-2  à L. 213-4  ) Le médiateur
accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence.
La médiation à l'initiative des parties (CJA, art. L. 213-5  et L. 213-
6  ) Les parties peuvent, en dehors de toute procédure juridictionnelle,
organiser une mission de médiation et désigner la ou les personnes qui en
sont chargées.
Elles peuvent également, en dehors de toute procédure juridictionnelle,
demander au président du tribunal administratif ou de la cour administrative
d'appel territorialement compétent d'organiser une mission de médiation et

175
de désigner la ou les personnes qui en sont chargées, ou lui demander de
désigner la ou les personnes qui sont chargées d'une mission de médiation
qu'elles ont elles-mêmes organisée.
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 prévoit que, lorsque le délai de
recours contentieux a été interrompu par l'organisation d'une médiation,
l'exercice d'un recours gracieux ou hiérarchique ne l'interrompt pas de
nouveau, sauf s'il constitue un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours
contentieux (CJA, art. R. 213-4  ).
 
La médiation à l'initiative du juge (CJA, art. L. 213-7  à L. 213-10 
) Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel est
saisi d'un litige, le président de la formation de jugement peut, après avoir
obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir
à un accord entre celles-ci.
o
Le décret n  2017-566 du 18 avril 2017 indique que le juge peut prendre à
tout moment les mesures d'instruction qui lui paraissent nécessaires (CJA,
art. R. 213-8  ).
 
La conciliation disparaît au profit de la médiation. L'article 5-VI de la
loi du 18 novembre 2016 prévoit qu'à compter de la publication de la
présente loi, les missions de conciliation confiées à un tiers en application
de l'article L. 211-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction
antérieure à la présente loi, se poursuivent, avec l'accord des parties, selon
er
le régime de la médiation administrative défini au chapitre III du titre I du
livre II du même code, dans sa rédaction résultant de la présente loi.
Expérimentation. L'article 5-IV de la loi du 18 novembre 2016 prévoit qu'à
titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la
promulgation de la loi, les recours contentieux formés par certains agents
o
soumis aux dispositions de la loi n  83-634 du 13 juillet 1983 portant droits

176
et obligations des fonctionnaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation
personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits
attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur
des travailleurs privés d'emploi peuvent faire l'objet d'une médiation
préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil
d'État.
 
o
Médiation : recours des militaires. Le décret n  2017-566 du 18 avril
2017 précise les modalités d'articulation de la médiation à l'initiative des
parties avec la procédure de recours administratif préalable obligatoire
devant la commission des recours des militaires, dont le régime est fixé par
les articles R. 4125-1 à R. 4125-10 du code de la défense.
Déontologie des membres des juridictions administratives
o
La loi n  2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et
obligations des fonctionnaires a été publiée au Journal officiel de la
République française le 21 avril 2016. Le texte consacre les valeurs
fondamentales communes aux agents publics telles que la dignité,
l'impartialité, la probité, la neutralité et la laïcité.
La déontologie des membres des juridictions administratives et financières
fait l'objet de dispositions spécifiques, codifiées respectivement dans le code
de justice administrative et celui des juridictions financières. Il s'agit de
conforter des procédures existantes, comme les collèges de déontologie des
deux ordres de juridiction.
Le texte impose aussi des obligations renforcées à leurs membres, en
particulier celle de s'abstenir de « tout acte ou comportement à caractère
public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ».
Autres dispositions importantes relatives aux juridictions
administratives et financières

177
La loi ouvre la possibilité de nommer des conseillers d'État en service
extraordinaire pour exercer des fonctions juridictionnelles.
La Cour des comptes pourra, elle, se doter de conseillers référendaires en
service extraordinaire.
L'appellation de « magistrats des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel » est généralisée dans le code de justice
administrative.
Les sous-sections du Conseil d'État deviennent des chambres.
Enfin, la loi comporte des dispositions procédurales :
- la possibilité d'attribuer des litiges en premier et dernier ressort aux cours
administratives d'appel est généralisée ;
- il est créé une formation de référé à trois juges.
La loi habilite le gouvernement à prendre, par ordonnance, d'importantes
mesures statutaires concernant les membres des juridictions
administratives et financières et à moderniser le code des juridictions
financières.
Modifications de règles de fonctionnement du Conseil d'État
o er
Un décret n  2016-899 du 1  juillet 2016 (JO 2 juill.) modifie plusieurs
règles applicables au Conseil d'État.
Dénomination des formations contentieuses. En application de la loi
o
n  2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et
er
obligations des fonctionnaires, le décret du 1  juillet 2016 change la
dénomination des formations contentieuses du Conseil d'État qui prennent
le nom de « chambres » en lieu et place de celui de « sous-sections ». Les
« secrétaires de sous-section » deviennent quant à eux des « greffiers en
chef de chambre ».
Limitation dans le temps de certaines fonctions
Les présidents de chambres et les conseillers d'État chargés de fonctions
d'assesseurs sont désignés pour une durée de quatre ans. Ils peuvent, à

178
leur demande, être renouvelés dans leurs fonctions pour une durée de trois
ans par arrêté du vice-président du Conseil d'État (CJA, art. R. 122-6  ,
R. 122-7  , R. 773-9  ).
Les rapporteurs publics ne pourront exercer leurs fonctions pendant une
durée totale supérieure à sept années (contre dix ans auparavant). En cas
de nécessité de service, leurs fonctions pourront être prolongées dans la
limite de six mois (CJA, art. R. 122-5  , R. 122-6  , R. 122-7  ).
Ces dispositions ne s'appliquent qu'aux personnes nommées, renouvelées
ou prolongées dans leurs fonctions après l'entrée en vigueur du texte, soit
le 3 juillet 2016.
Section administrative
Auditeurs et des maîtres des requêtes. Par ailleurs, le texte réduit à
trente mois (auparavant trois ans) le nombre minimum d'années de service
exigé des auditeurs et des maîtres des requêtes pour qu'ils puissent être
affectés à une section administrative en plus de leur affectation à la section
du contentieux (CJA, art. R. 121-3  ).
Réunion en formation restreinte. Il modifie les modalités d'examen des
projets de texte en section administrative en permettant un examen en
formation restreinte pour les affaires inscrites à l'ordre du jour de la section
dont le président estime qu'elles ne soulèvent pas de difficulté particulière
(CJA, art. R. 123-6-1  ). La composition de la formation restreinte est fixée
par le président et doit compter au moins trois membres (CJA, art. R. 123-
8  ).

82. Commission supérieure du Conseil d'État. - L'ordonnance du


13 octobre 2016 a remplacé la commission consultative qui était compétente
en matière de personnel, d'organisation et de fonctionnement par la
o
commission supérieure du Conseil d'État (Ord. n  2016-1365 du 13 oct.
2016, JO 14 oct.). Cette commission est devenue l'instance de dialogue
social et de discipline au sein du Conseil d'État (CJA, art. L. 132-1  et
o
L. 132-2  ). Le décret n  2017-271 du 2 mars 2017 (JO 3 mars) détermine

179
les règles de fonctionnement de cette commission (CJA, art. R.*132-1 à
R.*132-7).

83. La commission supérieure du Conseil d'État est consultée par le vice-


président du Conseil d'État sur les questions intéressant la compétence,
l'organisation ou le fonctionnement du Conseil d'État. Elle émet un avis sur
toute question relative au statut des membres du Conseil d'État. Elle peut
également être consultée sur toute question générale relative à l'exercice de
leurs fonctions. Elle débat chaque année des orientations générales en
matière de recrutement. Elle émet un avis sur les propositions de nomination
au titre des articles L. 133-8 et L. 133-12 ainsi que sur les propositions de
nomination aux fonctions de président de cour administrative d'appel. La
commission donne également son avis sur les mesures individuelles
concernant l'avancement des membres du Conseil d'État (CJA, art. L. 132-
2  ). Le décret du 2 mars 2017 précise que la commission est saisie des faits
motivant la poursuite disciplinaire par le vice-président du Conseil d'État
(CJA, art. R.*136-1). Le texte fixe la procédure : garanties fondamentales,
conditions de délais, sanctions, notification de la sanction… (CJA,
art. R.*136-2 à R.*136-7).

95. Sections administratives. Composition. - Un décret du 28 septembre


2012 modifie le premier alinéa de l'article R. 123-6 du code de justice
administrative. Les mots : « dont l'un choisi parmi les assesseurs des sous-
o
sections de la section du contentieux » sont donc supprimés (Décr. n  2012-
1088 du 28 sept. 2012, art. 7, JO 29 sept.).

126. Assesseurs. - Un décret du 23 décembre 2013 prévoit qu'une sous-


section statuant en formation de jugement peut être présidée par un
assesseur de cette sous-section, désigné à cette fin par le président de la
section du contentieux au vu de la proposition du président de la sous-
section. Pour cela, l'article R. 122-7 du code de justice administrative est
o
modifié (Décr. n  2013-1213 du 23 déc. 2013, art. 5, JO 27 déc.).

129. Assesseurs. - Un décret du 23 décembre 2013 prévoit qu'une sous-


section statuant en formation de jugement peut être présidée par un
assesseur de cette sous-section, désigné à cette fin par le président de la
section du contentieux au vu de la proposition du président de la sous-
section. Pour cela, l'article R. 122-14 du code de justice administrative est
o
modifié (Décr. n  2013-1213 du 23 déc. 2013, art. 6, JO 27 déc.).

149. Dispositions relatives aux maîtres des requêtes en service


er o
extraordinaire. - Les articles 1  à 3 du décret n  2010-101 du 28 janvier

180
o
2010 susvisé sont abrogés (Décr. n  2012-1088 du 28 sept. 2012, art. 4, JO
29 sept.).

160. Dispositions relatives à la nomination des membres du Conseil


d'État choisis parmi les magistrats des tribunaux administratifs et
des cours administratives d'appel. - Un décret du 28 septembre 2012
modifie l'article R.* 133-4 du code de justice administrative. Désormais :
« Les maîtres des requêtes nommés en application du deuxième alinéa de
l'article L. 133-8 sont choisis parmi les magistrats des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel ayant le grade de
o
président ou de premier conseiller » (Décr. n  2012-1088 du 28 sept. 2012,
er o
art. 1 , 2 , JO 29 sept.).

162. Dispositions relatives à la nomination des membres du Conseil


d'État choisis parmi les magistrats des tribunaux administratifs et
des cours administratives d'appel. - Un décret du 28 septembre 2012
modifie l'article R.* 133-3 du code de justice administrative. Désormais :
« Les conseillers d'État nommés en application du premier alinéa de l'article
L. 133-8 sont choisis parmi les magistrats des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel ayant le grade de président et exerçant les
o
fonctions définies par les articles L. 234-4 ou L. 234-5 » (Décr. n  2012-1088
er o
du 28 sept. 2012, art. 1 , 2 , JO 29 sept.).

Depuis le décret du 15 avril 2015, la condition d'exercice « de fonctions


définies par les articles L. 234-4 ou L. 234-5 » a été supprimée (Décr.
o er o
n  2015-426 du 15 avr. 2015, art. 1 , 1 , JO 17 avr.).

162-1. Modification des conditions statutaires de nomination au


grade de conseiller d'État ou à celui de maître des requêtes au
Conseil d'État des magistrats des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel. - Un décret du 15 avril 2015 modifie les
articles R.* 133-3, R.* 133-4, R.* 133-7 et R.* 133-9 du code de justice
administrative. Ainsi, « peuvent être nommés conseillers d'État pour exercer
les fonctions de président de cour administrative d'appel ou de la Cour
nationale du droit d'asile les membres du corps des tribunaux administratifs
et des cours administratives d'appel remplissant les conditions définies aux
articles L. 133-3 et R.* 133-3 » (art. R.* 133-7). Ils « sont nommés au
grade de conseiller d'État, hors tour » (art. R.* 133-9). Le texte prévoit,
également, qu'un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel peut être nommé conseiller d'État pour exercer les
o
fonctions de président de la Cour nationale du droit d'asile (Décr. n  2015-
426 du 15 avr. 2015, JO 17 avr.).

181
165. Dispositions relatives aux maîtres des requêtes en service
extraordinaire. - Pris pour l'application du chapitre III du titre III de la loi
du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des
conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, un
décret du 28 septembre 2012 fait évoluer le statut des maîtres des requêtes
en service extraordinaire. Sont ainsi ajoutés un article R.* 133-10 au code
de justice administrative selon lequel : « La nomination des maîtres des
requêtes en service extraordinaire est prononcée pour une durée de quatre
ans par arrêté du vice-président du Conseil d'État. / Les maîtres des
requêtes en service extraordinaire sont détachés auprès du Conseil d'État ou
mis à sa disposition. / Les services accomplis en qualité de maître des
requêtes en service extraordinaire sont pris en compte, le cas échéant, au
titre de la mobilité statutaire des corps recrutés par la voie de l'École
nationale d'administration et des administrateurs des postes et
télécommunications » ; un article R.* 133-11 au même code aux termes
duquel : « À l'exception du deuxième alinéa de l'article R. 121-3, les
dispositions du présent code relatives aux maîtres des requêtes sont
applicables aux maîtres des requêtes en service extraordinaire » ; ainsi qu'un
article R.* 133-12 qui précise : « Après trente mois au moins d'exercice de
leurs fonctions, les maîtres des requêtes en service extraordinaire peuvent
présenter leur candidature pour une nomination, en application de l'article
L. 133-12, au grade de maître des requêtes ». Le même décret indique que
pour l'application des dispositions de l'article L. 133-12 du code de justice
administrative, les fonctions normalement dévolues aux maîtres des requêtes
et aux auditeurs en application des dispositions de l'article 2 du décret
o er o
n  2004-1088 du 14 octobre 2004 ou de l'article 1  du décret n  2010-101
du 28 janvier 2010 sont regardées comme ayant été accomplies en qualité
de maître des requêtes en service extraordinaire au sens de l'article L. 133-9
o
du même code (Décr. n  2012-1088 du 28 sept. 2012, art. 2, JO 29 sept.).

266. Refus de modifier un décret. Compétence du Conseil d'État en


premier et dernier ressort. - Le recours exercé contre une décision de
refus de modification d'un décret s'assimile à un recours dirigé contre un
décret. Par conséquent, le Conseil d'État est compétent en premier et dernier
o
ressort (CE 26 nov. 2012, M. B., req. n  356105  , AJDA 2012. 2248, obs.
Necib  ).

274. Loi ALUR. - La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un


o
urbanisme rénové (loi ALUR) modifie l'article L. 311-4, 2 du code de justice
er
administrative, de sorte que depuis le 1  janvier 2015, le Conseil d'État
connaît, en premier et dernier ressort, des recours de pleine juridiction qui
lui sont attribués en vertu des articles L. 342-14 et L. 342-15 du code de la

182
construction et de l'habitation contre les décisions de sanction prises par le
ministre chargé du logement ou conjointement par les ministres chargés du
o
logement et des collectivités territoriales (L. n  2014-366 du 24 mars 2014,
art. 102-IV et IX, JO 26 mars).

279. Compétence du Conseil d'État pour les litiges relatifs aux actes


réglementaires des directeurs d'administration centrale. - Cette
compétence résulte des dispositions de l'article R. 311-1, 2), du code de
justice administrative qui prévoit cette compétence pour les actes
réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale.
Sur le fondement de la jurisprudence Jamart (CE 7 févr. 1936, Jamart, req.
o
n  43321  , Lebon 172), cette compétence porte également sur les actes
pris au titre du pouvoir d'organisation dont disposent les directeurs
d'administration centrale en tant que chef de service (CE 9 mars 2016, req.
o
n  382868  ).

281. Compétence sur la Haute Autorité pour la transparence de la vie


publique. - Un décret du 23 décembre 2013 ajoute la Haute Autorité pour la
o
transparence de la vie publique à la liste énumérative du 4 de l'article
o
R. 311-1 du code de justice administrative (Décr. n  2013-1204 du 23 déc.
2013, art. 17, JO 24 déc.).

282. Juge compétent sur les litiges touchant les autorités


indépendantes. - Si le Conseil d'État est compétent pour connaître en
premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises par
o
les organes des autorités mentionnées au 4 de l'article R. 311-1 du code de
justice administrative au titre de leur mission de contrôle ou de régulation, il
n'est, en revanche, pas compétent pour connaître en premier et dernier
ressort des recours dirigés contre les décisions prises par ces autorités à un
autre titre, ni pour connaître des autres litiges, notamment indemnitaires, les
me o
concernant (CE 18 déc. 2013, M Longo-Ciprelli, req. n  365844  , AJDA
2014. 9  ).

Autorité de contrôle prudentiel. Les décisions par lesquelles le secrétaire


général adjoint a refusé de communiquer des documents demandés ne sont
pas des décisions prises au titre de la mission de contrôle et de régulation de
cette autorité. Le recours dirigé contre ces décisions ressortit à la
compétence du tribunal administratif territorialement compétent et non du
Conseil d'État (CE 15 oct. 2014, Assoc. nationale des victimes de l'immobilier
o
[ANVI-ASDEVILM] et M. Michel, req. n  362927  ).

183
Autorité de sûreté nucléaire. Le Conseil d'État est compétent sur le
o
fondement du 4 de l'art. R. 311-1 pour connaître en premier et dernier
ressort des recours dirigés tant contre les décisions prises par l'Autorité de
sûreté nucléaire (ASN) au titre de sa mission de contrôle et de régulation que
contre celles par lesquelles les ministres homologuent ces décisions (CE
17 oct. 2014, Comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire
o
[CRILAN], req. n  361315  ).

Conseil supérieur de l'audiovisuel. La décision par laquelle le Conseil


supérieur de l'audiovisuel (CSA) refuse d'agréer une modification du contrôle
direct ou indirect de la société titulaire de l'autorisation est prise sur le
fondement de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Par suite, des
conclusions tendant à l'annulation de cette décision ne sont pas au nombre
de celles dont la cour administrative d'appel de Paris connaît en premier et
o
dernier ressort, en application du 2 de l'article R. 311-2 du code de justice
administrative, selon lequel cette cour connaît des litiges relatifs aux
décisions prises par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en application des
o
articles 28-1, 28-3 et 29 à 30-7 de cette loi. En vertu du 4 de l'article
R. 311-1 du même code, elles relèvent de la compétence de premier et
dernier ressort du Conseil d'État (CE 2 mai 2016, SARL Nice Music, req.
o
n  33686).

288. Représentation des Français établis hors de France. - Une loi du


22 juillet 2013 a apporté d'importantes modifications au dispositif de
o
représentation des Français de l'Étranger organisé par la loi n  82-471 du
7 juin 1982, notamment en créant de nouvelles instances. C'est ainsi que la
o
rédaction du 9 de l'article L. 311-3 du code de justice administrative
concernant la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort est
modifiée afin de faire référence aux élections des conseillers et délégués
consulaires et des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger
o
(L. n  2013-659 du 22 juill. 2013, art. 58, JO 23 juill.).

291. Déclaration de vacance d'un office de greffier de tribunal de


commerce. - L'arrêté du garde des Sceaux, qui déclare vacant un office de
greffier de tribunal de commerce et précise les modalités de dépôt des
candidatures à la succession, est relatif à l'organisation du service public de
la justice et présente ainsi un caractère réglementaire. Le Conseil d'État est
donc compétent pour connaître en premier et dernier ressort d'un recours
pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte (CE 11 févr. 2015, req.
o
n  367884  , AJDA 2015. 313, obs. de Montecler  ).

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337. Extension du champ du référé précontractuel. - Le code de justice
administrative est adapté (modification de l'article L. 551-1) pour étendre la
procédure de référé précontractuel à la sélection d'un actionnaire opérateur
o
économique d'une société d'économie mixte à opération unique (L. n  2014-
er o
744 du 1  juill. 2014, art. 2, 1 , JO 2 juill.).

347. Office du Conseil d'État saisi d'une question de compétence. -


Lorsque le Conseil d'État est saisi d'une question de compétence sur le
fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, il ne peut
pas se prononcer sur des conclusions à fin de non-lieu (CE 10 oct. 2012,
o
Lebrun, req. n  355987  , AJDA 2013. 206  ).

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