Sie sind auf Seite 1von 24

Introduction à l’Epistémologie

On pourrait commencer cette introduction à l’épistémologie par un constat : celui-ci


consiste à faire remarquer que l’épistémologie est devenue une discipline ordinairement
convoquée, tout à fait à la mode, et qui paraît au moins de prime abord incontournable. On le
comprend parce qu’elle travaille à la vérification des méthodes, des théories et des résultats
des différentes disciplines scientifiques. Introduire à l’Epistémologie, c’est dire de quoi il
s’agit, en délimiter le territoire, en présenter les grandes approches, en étudier les questions
essentielles. On peut donc dire d’emblée que savoir ce qu’est l’épistémologie, c’est déjà en
interroger sa naissance, questionner ses débuts, s’interroger sur son nom, dessiner la carte de
ses variantes et en étudier les grands thèmes. Pour les étudiants africains en particulier, la
question additionnelle et néanmoins fondamentale du rapport de l’épistémologie et de la
science à Afrique est toujours présente. Elle est la question de l’importance de la science pour
les pays dits émergents, ou comme on dit encore en voie de développement, et on soupçonne
que ce rapport n’est peut-être pas tout à fait celui que l’on rencontre pour les pays développés,
qui se trouvent aussi être ceux pour lesquels la science, sa politique et sa pratique ne sont pas
de simples possibilités mais constituent des engagements sociétaux significatifs. Elle est
également la question de leur apport à la science d’une part, à leurs coutumes, rêves et
desseins d’autre part.
En fait, au cœur de la question de ce qu’est l’épistémologie, il y a celle de ce qu’elle
fait, au sens où on peut la reconnaître par ses actes, ses évaluations. Mais il y a aussi la
question essentielle, qui se donne pourtant sous des dehors élémentaires, de ce qu’est la
science. Cette activité semble tant représenter pour l’humanité qu’elle la structure, l’oriente,
l’engage pour le meilleur, dans le mieux-être humain, et pour le pire, car la science est
pouvoir conféré par la connaissance sur la nature selon la vieille demande pascalienne et
cartésienne qui nous veut voir maîtres et possesseurs de la nature. Elle est aussi pouvoir sur
l’humain, attribution de la possibilité de choix de l’humain, en particulier avec les travaux de
la génétique, les manipulations diverses et la connaissance intime de la nature que nous
confère la science. On le comprend, ces dernières considérations épistémologiques ont partie
liée avec la valeur de la science, qui peut être entendue comme demande acceptable, d’une
part de la valeur de nos résultats scientifiques, et d’autre part de l’humanisme de nos
procédures, des menaces sur l’humain que pourraient comporter nos démarches scientifiques.

1
Epistémologie comme discipline philosophique

On peut considérer que l’épistémologie est une discipline philosophique. Cela signifie
qu’elle fait partie de la philosophie au même titre que la philosophie morale, l’histoire de la
philosophie, la philosophie politique. De quelle partie de la philosophie s’occupe-t-elle ? La
réponse paraît évidente : elle travaille sur notre rapport aux sciences, elle s’intéresse à
l’évaluation du travail scientifique, son appartenance à la philosophie n’est pas sans
contrepartie. On peut la soulever en deux points : 
Premier point : faire valoir que l’Epistémologie comme la philosophie en général
semble être engagée dans ce champ de bataille dont parlait Kant. Un champ de bataille dont
personne ne sort jamais ni vaincu, ni vainqueur. On observera qu’en épistémologie comme en
philosophie, prolifèrent les courants, écoles, tendances. Il ne va pas de soi que ces différentes
tendances communiquent entre elles et on peut croire que les engagements de la discipline
varient au gré des contextes, des modes, des fonds alloués à la recherche, des programmes de
recherche ouverts et que l’on doive constater que certains développements sombres alors que
d’autres s’imposent. Parmi ceux qui se sont imposés récemment  on peut citer la question de
l’optimisation, son application à l’économie, le problème de la rationalité, la bataille entre le
réalisme qui tient que la science explique le monde et l’instrumentalisme qui tient que les
théories scientifiques sont des instruments très limités, incapables de rendre compte des
questions en déroute, on peut citer : l’analyse du langage, les questions liées au vocabulaire
observationnel, la lecture statistique de la connaissance, l’abandon de la recherche de la
certitude.
Deuxième point : l’épistémologie est encore philosophie au sens où sa défense est son
premier problème. Ce problème se complique infiniment lorsqu’on y adjoint les questions
linguistiques qui sont déjà celles de la traduction du nom épistémologie. La variation est
importante d’une langue à une autre et on ne semble s’entendre ni sur le nom ni sur l’objet, ni
sur la nature de l’épistémologie. Les mots employés ne recouvrent jamais la même réalité et
chaque fois, l’épistémologie semble s’ouvrir à des territoires différents.

Le mot et la chose
Le mot épistémologie peut être analysé de manière élémentaire en recourant à
l’étymologie. On pourrait alors le décomposer en épistème et en logos. L’épistème peut
signifier science, savoir ; quant au logos, il renvoie à discours, théorie, étude critique sur...
2
Tentons de joindre les deux composantes étymologiques : on obtient que l’épistémologie sera
discourue de la science, théorie de la science ou sur la science, étude critique de la science ou
sur la science.
En fait, dès ce niveau étymologique, les problèmes surviennent. Une étude critique de
la science devrait couvrir quelque chose de différent de ce que serait une étude critique sur la
science. On peut dire la même chose du discours ou de la théorie de la science ou sur la
science. Le problème général qui est posé revient à la question de savoir si l’épistémologie,
comme la philosophie précisément, n’est bien que cet oiseau de Minerve qui n’arrive qu’à la
tombée de la nuit. Si d’aventure ce devait être le cas, il apparaîtrait alors qu’elle n’est que
discours sur un savoir qui serait déjà constitué. Dans le cas contraire, elle est étude critique
participant à la conception et à l’élaboration du savoir lui-même. Selon que l’on réponde
de l’une ou de l’autre manière, la discipline parait être plus ou moins intéressante. On
comprend fort bien que si l’épistémologie devait participer à l’élaboration du savoir alors
qu’il est en cours de constitution, son importance serait fondamentale. Mais si, par impossible,
elle ne devait se contenter que de gloser sur un savoir toujours déjà constitué, on pourrait
douter de son efficacité à faire avancer ce savoir, de la possibilité que les critiques
épistémologiques participent à l’amélioration effective de celui-ci.
La première alternative est développée par Paul Feyerabend sous un aspect
essentiellement critique. Il regrette alors en toute conséquence que l’épistémologie soit sortie
de ce temps où elle participait au savoir, celui en particulier de l’auteur de La mécanique, un
temps où la philosophie et la science marchaient main dans la main et où les philosophes
impulsaient l’élaboration du savoir. Par opposition à cette période heureuse, il lui semble que
l’épistémologie contemporaine, celle qui suit le rationalisme critique de Karl Popper, se soit
spécialisée dans le discours d’après, d’explication, dans la glose, et n’ait jamais traité que de
questions annexes. Cela condamne les épistémologues à l’aparté, à l’éloignement des
problématiques scientifiques réelles et à l’analphabétisme. Deux textes de Paul Feyerabend
développent cette double idée. Le premier, repris par John Preston dans Knowledge Science
and Relativism, s’intitule “Epistemology A subject with a Great Past”. On comprend à demi-
mot qu’il s’agit de rappeler la période heureuse de l’épistémologie, celle d’un passé glorieux
de la philosophie scientifique ou le philosophe se faisait aussi scientifique compétent. Le
deuxième texte est intitulé “From Incompetent Professionalism to Professionalized
Incompétence”, avec un sous-titre à la connotation tout à fait explicite : “The Rise of a New
Breed of Intellectuals”. Ce titre indique clairement les regrets de Feyerabend de ne pas voir
les philosophes des sciences s’impliquer davantage dans la science réelle, ce qui les cantonne
3
aux questions marginales et à ce qu’il nomme les ratiocinations logiques, qui ne sont pas très
intéressantes pour le développement de la science et qui ne disent rien de la vie des
laboratoires.
La deuxième alternative est développée par le philosophe belge Michel Meyer dans
son livre Découverte et justification en science. Selon Meyer, considérer que l’épistémologie
serait un discours sur la science, c’est en quelque sorte en consacrer le renoncement. Dans
cette posture, le philosophe reçoit son texte tout fait et travaille sur une science déjà
constituée. Il ne lui reste qu’à s’occuper des détails qu’il considérera comme éventuellement
intéressants. Il n’est pas non plus dans l’initiative, dans la fabrication de la science mais plutôt
dans les procédures d’explications de la science, ce qui aura occupé une large part de la
philosophie contemporaine.
Cette opposition entre discours de et discours sur la science nous introduit au caractère
éclaté du domaine épistémologique, et la difficulté se trouve dans le mot épistémologie lui-
même. Que devient-il quand nous passons aux traductions allemandes, anglaise, italienne ?

Les différentes conceptions du mot

En anglais, le mot épistémologie se dit Epistemology et a pour complément direct :


philosophy of science. La distinction entre les deux est assez floue. Mais on peut considérer
que le mot epistemology traite des questions techniques liées à la science alors que la
philosophy of science est intéressée par des questions méthodologiques ou à un
questionnement plus général lié à notre rapport aux sciences, à la morale, à la téléologie des
sciences ou au rapport entre différentes sciences. Elle peut renvoyer d’une façon générale à la
théorie de la science et d’une façon encore différente générale à une théorie de la
connaissance. Ce qu’on veut souligner par la distinction entre l’epistémology and philosophy
of science, c’est la distinction entre les questions ardues ou proprement ou directement
scientifiques et dont traiteraient aussi bien les scientifiques eux-mêmes parce qu’elles ont
partie liée avec l’état de la connaissance dans telle discipline scientifique ou son
développement, par opposition avec les questions de la philosophy of science qui sont
générales et transversales, et qui permettent de parler de la science en général et de la
considérer par exemple comme une entité unique.
Cette distinction anglo-américaine renvoie à l’autre distinction allemande entre la
Wissenshaftlehre et l’Erkenntnistheorie. La première renvoie à la théorie de la science ; la
4
seconde est la théorie de la connaissance. Une telle distinction soulève un point compliqué
sur lequel on devrait s’arrêter un moment. En effet, une théorie de la science ne peut se
réduire à une théorie de la connaissance et vice-versa. Il semble que l’on doive admettre que
la théorie de la science soit la réflexion critique sur les sciences qui prend ces sciences
proprement dites pour objet. Il s’agit d’un domaine restreint, repérable, celui des sciences
établies. Par opposition à cette conception, une théorie de la connaissance est quelque chose
de bien plus large qui inclut une théorie de la science puisqu’elle peut aussi être une théorie de
la connaissance scientifique. Mais elle laisse également supposer que la connaissance est au-
delà de la science. Il existe des connaissances traditionnelles, non homologuées par les
sciences et méthodes scientifiques. Il y a la pratique ordinaire, source de connaissance et
efficace, mobilisable dans l’ici et maintenant.
Mais la question se complique. On peut supposer qu’il y’a homologie entre ces
connaissances que naturellement nous ne mettons pas toutes sur le même palier. Par exemple,
on pourrait distinguer la connaissance animale et la connaissance humaine. Mais cette
distinction tient-elle ? Ce que les théoriciens de l’épistémologie évolutionnaire se sont
préoccupés de réaliser, c’est par exemple de penser le passage de l’animal à l’homme, la
continuité entre la connaissance animale et celle humaine. Parmi eux, nous avons Michaël
Bradie, Karl Popper, Campbell, Munévar... Conformément à cette tendance de
l’épistémologie, on peut dire du chien qu’il sait que son maître rentre, comme on peut dire
d’une plante qu’elle sait de quel côté est le soleil et qu’elle s’y dirige pour réaliser sa fonction
chlorophyllienne. Selon Karl Popper, l’animal et l’homme connaissent de la même manière,
entre l’amibe et Einstein, il n’y a pas de différence, sinon que le père de la relativité a le
langage c’est-à-dire il a la possibilité de se séparer de ses propres théories par le langage. Pour
Popper, les animaux et les hommes connaissent de la même façon, par essais et erreurs, c’est-
à-dire par conjectures et réfutations. La différence essentielle avec les hommes est que leur
théorie est hors d’eux, précisément dans le langage. Popper dit qu’elle est exosomatique, elle
est posée hors de leur corps. Par contre, les animaux portent la théorie en eux. La théorie à
laquelle ils adhèrent s’exprime par leurs comportements. Dans le cas malheureux où la théorie
qu’ils arborent est fausse, c’est-à-dire que le comportement est inadapté, ils sont condamnés à
disparaître avec elle. On aura compris que la philosophie poppérienne, qui travaille sur cette
homologie entre l’animal et l’homme lui-même en matière de la connaissance, est une théorie
darwinienne de la connaissance. Il s’agit donc d’une théorie de la sélection de nos hypothèses
par la nature qui fonctionne sur l’hypothèse que la connaissance humaine n’est pas supérieure
à celle des animaux. Cet intermède sur la philosophie évolutionnaire de la connaissance
5
renvoie à la distinction allemande évoquée. Ce qu’on comprend, c’est qu’une théorie de la
connaissance en général englobe bien plus qu’une théorie de la science et enseigne que la
connaissance scientifique n’est qu’un type de connaissance parmi tant d’autres.
Mais on voit aussi les implications de notre distinction allemande. Pour celui qui
considère que la science est une activité extraordinaire, différant de tout ce qu’on peut penser
d’autre, une théorie de la science ne peut être une théorie de la connaissance. Pour celui qui
pense au contraire que la science est une connaissance comme les autres, se distinguant par
quelques spécificités particulières, alors une théorie de la science peut bien finir par se
confondre avec une théorie de la connaissance et en être même le modèle.

Selon André Lalande (Vocabulaire technique et critique de la philosophie),


l’épistémologie est la philosophie des sciences dans son sens strict. Elle est donc l’étude
critique des principes (bases), des hypothèses et des résultats des sciences. Cette étude est
destinée à déterminer l’origine logique de ces sciences, leurs valeurs et leurs objectifs. Elle
doit être non philosophique. L’étude critique dont il est question est une étude analytique au
sens kantien du terme. Cela signifie qu’il s’agit d’étaler ou de décomposer le savoir
scientifique pour en monter le contenu, les implications et les limites. Les principes des
sciences renvoient à ceux sur quoi elles sont fondées, à leurs bases, postulats, axiomes. Les
hypothèses des sciences concernent les différentes voies que les diverses sciences suivent
dans leur cheminement, les grandes orientations qui sont retenues, les schèmes organisateurs
de l’explication dans ces sciences. En ce qui concerne les résultats, ils renvoient aux solutions
préconisées par les sciences, aux aboutissements des recherches, à leurs conclusions, quelque
provisoire soient-elles.
Lalande insiste pour que l’origine recherchée par l’épistémologie soit logique, c’est-à-
dire qu’elle concerne l’organisation rationnelle et qu’elle se tourne vers la rationale, à savoir
la raison profonde qui intéresse les sciences. La valeur des sciences – beau titre consacré par
Henri Poincaré - renvoie à l’idée de leur bien-fondé, leur importance, leurs vertus ou leurs
qualités. La notion d’objectifs pour les sciences pose la question du rendement, celle des
implications. Quant à la portée objective des sciences, elle renvoie à leur rapport à l’objet,
c’est-à-dire à l’opposition à la subjectivité et donc à ce qui n’est valable que pour moi. On
comprend, en suivant Lalande, que l’épistémologie sera tournée vers l’étude des théories qui
ont une correspondance avec la réalité. Ce rapport est celui que l’on fait à la vérité, au sens de
ce qu’Aristote appelle la vérité objective, ou vérité-correspondance, c’est-à-dire la vérité
comme la correspondance avec les faits. Cette idée sera retrouvée avec Alfred Tarski dans
6
Logique, Mathématique et Métamathématiques sous l’idée de vérité-redondance dans sa
« théorie sémantique de la vérité ». Mais, selon Tarski, et cela contrairement à la version
aristotélicienne qui tombait sous le coup du paradoxe du menteur ou d’Epiménide le Crétois,
la correspondance ne concerne jamais que le seul rapport au langage. En effet, Tarski
distingue ce qu’il nomme le langage-objet qui porte les énoncés et qu’il oppose au
métalangage, c’est-à-dire d’un langage qui parle du premier langage, celui qui porte les faits
exprimés. Ce que Tarski appelle le langage, il l’appelle encore la langue-objet (en anglais
object language). Son exemple ordinaire est celui de la neige. Selon Tarski l’énoncé The
snow is white est vrai si et seulement si « la neige est blanche ». Interprétons la thèse de
Tarski.
Ce qu’on nomme, selon le beau langage de Donald Davidson dans son livre Inquires
into Truth and Interpretation, la convention T, est la thèse de Tarski selon laquelle on doit
comprendre que l’énoncé « The snow is white » est vrai, c’est-à-dire a pour valeur de vérité
« vrai » (V) (ou en anglais « True » (T)), si et seulement si, traduit dans une autre langue qui
apparaît ici comme le métalangage, en l’occurrence dans ce cas le français, on aura « la neige
est blanche ». Par la convention T de Tarski, on revient à la question du réalisme, qui est celle
de savoir quel est l’objet de nos sciences. Sont-elles de manière obvie des explications de la
nature ? Ou sont-elles simplement des postulats que nous savons insuffisants et qui nous
servent d’instruments pour tenter de conquérir l’univers, en sachant que nous saurons
appliquer en ce lieu une version de l’argument ontologique de Descartes, à savoir l’idée selon
laquelle nous avons un esprit fini alors que l’univers est infini et ne pourrait donc être couvert
dans sa totalité et sa réalité par un esprit limité comme le nôtre ?
La seconde réponse à la question de l’objet de la science est celle des
instrumentalistes. Certains auteurs, comme Bernard d’Espagnat dans son livre A la recherche
du réel, la disent encore pythagoricienne parce qu’elle s’intéresse à nos possibilités de calcul
et de prédictions et est sous-tendue par la conscience que nous ne savons que prédire, et donc
que nous n’entrons jamais dans les secrets de l’univers.
La difficulté de cette thèse est double. La première est qu’il s’agit d’une thèse
paresseuse, conservatrice. Car à quoi servirait-il de s’ennuyer à continuer de sonder la nature
si nous savons par avance notre limitation originelle et si nous savons n’être condamnés qu’à
produire de simples instruments, plus ou moins commodes, mais qui ne sont jamais plus que
des instruments ? Cette thèse pèche d’une seconde manière : elle n’est pas seulement
renoncement à l’effort, elle porte en plus la conviction qu’en fin de compte nous ne pouvons
pas savoir. Elle est donc d’une certaine manière sceptique. La difficulté vient de ce qu’en cela
7
elle fait un pari sur l’incontrôlable parce que nous ne pouvons pas savoir que nous ne pouvons
pas savoir.
Par opposition à l’instrumentalisme, il y a le réalisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle
l’objectif de la science, c’est la connaissance de notre univers et notre situation dans notre
univers, de dire le monde, de rendre compte de la réalité. Pour le réaliste, le problème premier
de l’épistémologie est celui de la cosmologie : celui du sens de notre univers, de notre place
dans celui-ci. Certains, dont Popper, ont par exemple dit de la convention T de Tarski qu’elle
est réaliste. Elle ne l’est que via une interprétation aristotélicienne ou poppérienne. Dans La
Connaissance objective de Karl Popper, est précisément développée une telle interprétation de
la doctrine de Tarski – qu’il rencontre au Congrès de philosophie des sciences de Paris en
1935 et qui en quelque sorte le libère pour l’utilisation du terme de vérité et de la menace du
paradoxe du menteur. Chez Sir Karl – il a été anobli entre temps par la Reine d’Angleterre (la
science est source de respect) –, elle n’est plus l’énoncé : « The snow is white » est vrai si et
seulement si, traduit en français, on obtient « la neige est blanche », ce qui est une
correspondance entre langues, ou, comme on l’a vu, mise en correspondance d’un langage et
d’un métalangage. Elle devient : l’énoncé « The snow is white » est vrai si et seulement si la
neige est blanche. On l’a remarqué, les guillemets disparaissent. Il ne s’agit donc plus d’une
correspondance entre un énoncé – qui dit quelque chose – et un autre énoncé – qui dit quelque
chose d’équivalent dans une autre langue –, entre un langage et un métalangage, mais entre un
énoncé d’une part (« The snow is white ») et un fait (la blancheur (whiteness) de la neige),
entre une énonciation et un état de choses.
Cette discussion qu’initie la définition de Lalande nous transporte de plain-pied dans
l’une des plus grandes batailles épistémologiques du XXe siècle. Celle-ci qui opposa en son
temps, pendant plus ou moins 50 ans, Einstein, père de la relativité et précurseur de la
mécanique quantique et Niels Bohr, grand défenseur de l’école de Copenhague. Einstein et
ses disciples (Vigier, Karl Popper, D. Bohm) étaient réalistes. Ils considéraient par conséquent
que l’objectif de la science et en particulier de la mécanique quantique, c’était de donner une
interprétation complète du phénomène physique, y compris de sa correspondance avec le réel.
D’un autre côté, Bohr et ses disciples de l’école de Copenhague (Wolfgang Pauli, Werner
Heisenberg, Philip Frank,…) étaient opérationalistes ou pythagoriciens ou instrumentalistes.
Ils considéraient que l’on ne pouvait atteindre une théorie complète de l’objet physique et que
de bons calculs, confirmés par de bonnes prédictions, elles-mêmes reçues favorablement par
l’expérience, suffisaient à faire le bonheur du scientifique. La discussion est toujours en cours,
même si l’école de Copenhague semble avoir aujourd’hui pris une avance importante.
8
Revenons à Lalande. Il considère que l’épistémologie devrait s’intéresser à la portée
commune des sciences. On soupçonne qu’il s’agit du refus de la subjectivité. On peut malgré
tout critiquer la définition de Lalande sur un certain nombre de sujets.
(a) D’abord il lui semble que nous devrions chercher l’origine non philosophique des
sciences, parce que, d’après lui, cela est garantie de l’objectivité de notre démarche. Peut-on
suivre Lalande sur ce point ? Peut-on défendre qu’il n’y a aucune pertinence pour la
compréhension, la constitution, l’acceptation ou la circulation de la connaissance de recourir à
la philosophie ? Il est douteux que la réponse soit positive. Il semblerait que la philosophie
puisse servir plus que cela à l’épistémologie. N’est-il pas important, pour comprendre une
théorie scientifique, de rentrer dans les fondements philosophiques de son auteur ?
(b) La définition de Lalande est claire car elle permet d’exclure un certain nombre d’éléments
du champ de l’épistémologie. Elle est restrictive pour deux raisons :
1/ Elle exclut tout ce que nous ne recevons pas de l’épistémologie. Elle dit ce qui ne
fait pas partie du territoire de l’épistémologie, ce qui est exclu du champ de la discipline. Le
premier élément à exclure est la méthodologie qui, selon Lalande, est étudiée par la logique et
non l’épistémologie.
2/ L’épistémologie ne s’occupe pas non plus de faire la synthèse des élaborations
conjecturales des hypothèses. Cette discipline n’a donc ni pour objet ni pour rôle de formuler
des lois scientifiques.
3/ Un troisième élément peut être ajouté. Pour Lalande, deux courants développent des
choses contraires à l’épistémologie, à savoir le positivisme et l’évolutionnisme. Ces deux
courants seront donc exclus. Lalande exclut en outre de l’épistémologie, la gnoséologie
(théorie de la connaissance). Il apparaît donc que, sous cette définition restrictive,
l’épistémologie sera théorie de la science et non de la connaissance.
Quelles motivations pourrait avoir Lalande pour défendre une théorie restrictive de ce
type ? La principale est celle de l’efficacité. Césaire repend un mot bien connu : « qui trop
embrasse, mal étreint ». Pour que l’épistémologie soit efficace, son domaine se doit d’être
défini dans un domaine strict, pour qu’elle ne soit pas dans tous les domaines d’investigation.
Il importe de la séparer de la gnoséologie, de la logique (science normative du vrai) et de la
synthèse des lois (corps de la science elle-même). En séparant l’épistémologie de ces
différents domaines d’investigation, Lalande réserve une place particulière à cette discipline.
Il ouvre ainsi la voie vers la régionalisation de l’épistémologie. A supposer que nous restions
fidèles au modèle de Lalande, l’épistémologie étudiera pour chaque discipline scientifique, les
9
difficultés soulevées par les hypothèses, les problèmes résolus grâce à ces hypothèses, la
confiance que nous avons dans les théories élaborées et enfin les problèmes restés en suspens.
Quelles raisons peut-on avoir de ne pas suivre Lalande ? Trois grandes réponses
peuvent être proposées :
1/ On peut s’étonner que l’on puisse tenter de faire une théorie de la science sans un
intérêt pour la méthode. En effet, la caractérisation la plus ordinaire de la science est de dire
qu’il s’agit d’une discipline qui se distingue par son objet et sa méthode. La première
caractérisation est dite matérielle alors que la seconde est qualifiée de formelle. En fait, les
épistémologues du XXè siècle ont réservé une grande part de leur travail aux discours de
méthodes, à l’étude des différentes méthodes scientifiques, à leur comparaison. Ce domaine
de la méthodologie a un intérêt particulier, c’est de rendre possible une idée globale de la
science.
2/ L’étude des questions de méthodologie débouche sur l’étude des questions
transversales qui concernent la quasi-totalité des sciences.
3/ On peut aussi s’étonner que les domaines qu’exclut Lalande soient quand même
nécessaires dans l’élaboration et la compréhension de la théorie des sciences. On remarquera
par exemple que si on veut faire une étude critique de la relativité, il faut au moins savoir
comment la chose s’est constituée, c’est-à-dire s’intéresser aux péripéties historiques de la
construction du domaine.
Au total, le problème de la définition de Lalande est qu’elle ne présente qu’une partie
de la discipline et tente de faire passer cette partie pour le tout. Les développements de
l’épistémologie ne lui ont pas toujours été fidèles. Il ne pouvait pas en être autrement.

La naissance de l’épistémologie

Le mot français épistémologie apparaît pour la première fois en 1906 dans le


Dictionnaire Larousse. Mais il ne faut pas croire que l’apparition du mot justifie l’existence
de la chose. On ne saurait en effet nier que l’on a, depuis l’antiquité, conçu des
développements ou élaborations qui ressemblent à l’épistémologie ou qui la rappellent
vaguement.
Un exemple qui ne saurait nous échapper est celui de Platon, auteur du Théétète. Il y
développe par exemple la théorie de réminiscence, qui est une théorie du ressouvenir. Selon
Platon, l’âme peut se souvenir d’une connaissance dont elle a disposé dans le passé et qu’elle
10
a momentanément oubliée en sombrant dans la tombe du corps. Le procédé par lequel cette
connaissance réapparaît à la conscience, par lequel le sujet connaissant se réconcilie avec lui-
même et se réapproprie sa connaissance, est une technique de questionnement particulière : la
maïeutique. Il s’agit d’un jeu de questions et de réponses par lequel, petit à petit, par
suggestions progressives, par déroulement logique, on amène le sujet à trouver la bonne
réponse qu’il avait déjà en lui. Cela est possible parce que, selon la doctrine des idées de
Platon, l’esprit a eu l’occasion de contempler le savoir dans le ciel intelligible (en ce lieu où
on rencontre les vertus cardinales : Beau, bien, juste, vrai). Ce que nous voyons dans notre
univers, ce ne sont que de pâles copies du monde intelligible. De cette contemplation, l’esprit
a donc gardé le savoir que la descente dans le corps lui a fait oublier momentanément. L’objet
des questions, c’est d’introduire à la réminiscence, c’est-à-dire au souvenir de ce savoir
momentanément oublié. Chez Platon, ceci a encore rapport au mythe de la caverne. Ce court
développement de la théorie des idées, sur les lieux du savoir (l’intelligible) et les lieux de
l’ignorance (notre expérience ordinaire) enseigne que chez Platon déjà, il y avait une réflexion
nourrie sur les questions relatives à la connaissance, à la vérité et à l’apparence, etc. Si on
revient à l’exemple du Théétète, on relèvera que le sous-titre de ce livre est bien : Théorie de
la science.
Mais il n’y a pas que Platon qui, dans l’antiquité, se soit intéressé à l’approche de la
connaissance. Son disciple Aristote, qui fera descendre le ciel intelligible, fait aussi partie de
ceux qui se sont intéressés à ce type de débat. On pourrait remonter aux présocratiques, aux
sophistes, aux pyrrhoniens, aux sceptiques de tout genre… Quoi qu’on dise, tous ces
développements ne sont cependant pas encore de l’épistémologie, même si on ne peut pas nier
les ressemblances de famille qui les lient à la discipline. La véritable difficulté vient de ce que
l’épistémologie est théorie critique de la science, une science dont le sens a profondément
changé. La science dont traite l’épistémologie n’est ni la science aristotélicienne, ni
platonicienne, ni présocratique, ni épicurienne, ni celle de Lucrèce… Cela ne signifie pas que
la théorie des atomes chez Lucrèce par exemple n’a aucun sens ou que la théorie matérialiste
de Démocrite d’Abdère n’a aucun intérêt. Cela signifie tout simplement que ce que nous
nommons science désormais est un ensemble de choses qui se cristallise au XVIIe siècle, en
particulier avec Newton. Le type de science auquel commence à s’intéresser l’épistémologie
est ce qu’on nomme la science classique et ses développements ultérieurs.
En remontant l’histoire, on pense que les débuts de l’épistémologie se trouvent dans
l’Essai sur l’entendement humain de John Locke (en particulier dans le livre 4) et ensuite dans
les Nouveaux essais sur l’entendement humain de Leibniz. Au XVIIIe siècle, apparaît le
11
Discours préliminaires à l’encyclopédie de d’Alembert. En 1814 (XIXe siècle), Dugas
Stewart écrit la Philosophie de l’esprit humain. En 1826, Hershell écrit le Discours
préliminaire à l’étude de la philosophie naturelle. Tous ces écrits constituent le premier
matériau qui ressemble le plus à l’épistémologie. Mais on sait que, bien avant cela, on a les
travaux sur la théorie de la science chez Aristote, sur l’atomisme de Démocrite, sur la
réminiscence de Platon.
Deux textes fondamentaux marquent malgré tout l’entrée de l’épistémologie : le
premier est écrit en 1834 par Bernard Bolzano. Son titre est justement la Wissenschaftlehre.
Dans ce livre, Bolzano étudie les sciences formelles, c’est-à-dire celles pour lesquelles seule
importe la forme (logique, mathématiques). Selon Bolzano, cette étude de la
Wissenschaftlehre renvoie de façon stricte à la connaissance scientifique. Le deuxième texte,
écrit en 1840 par William Whewell, porte un titre révélateur : The Philosophy of Inductive
Sciences Founded upon their History. Pour Whewell, il faut remonter à Francis Bacon pour le
sens de la philosophie des sciences. Le chancelier anglais voulait tracer a priori le chemin des
sciences inductives. Ces sciences partent des faits qu’elles accumulent pour bâtir des théories
générales. Deux siècles après Bacon, Whewell reprend le projet baconien avec l’obligation de
prendre en compte, dans la détermination de ce programme, le développement et
l’épanouissement réel des sciences inductives. En cela, Whewell est pionnier car il est le
premier à penser que pour faire la théorie des sciences, il faut remonter à l’histoire de ces
sciences. Avec lui, apparaît une nouvelle définition de l’épistémologie. Pour lui, la conception
des sciences inductives est fondée sur les procédés que ces sciences ont suivis ou qu’elles
adoptent pour atteindre la vérité. La différence entre Bacon et Whewell est que le premier
s’intéresse à ce que doit être la science (le normativisme), alors que le second ne veut prendre
en compte que ce qu’elle a été effectivement (le descriptivisme). En cette distinction, on a
l’un des points d’achoppement les plus importants entre épistémologues.
Du programme de Bacon, on peut dire qu’il est normatif. Les philosophes comme
Popper, Steven T. s’inscrivent dans cette perspective. Ils se demanderont ce que doit être la
science et tenteront de l’imposer et de le penser, générant une grille de critères. Par opposition
à cette mouvance, le programme de Whewell est historico-critique, c’est-à-dire que l’histoire
est la base fondamentale de la philosophie des sciences ; ce qui n’oblige pas cette philosophie
à se limiter à cette histoire, située ici et maintenant et ne pouvant jamais pré-penser
l’universel. [La déduction part des cas généraux vers les cas particuliers alors l’induction par
des cas particuliers vers les cas généraux].

12
Vers 1900, on observe une montée de la critique des principes de la science classique.
Cette critique des théories scientifiques portera sur les lois. Elle s’intéresse particulièrement
aux sciences physiques avec des auteurs comme Henri Poincaré (deux grands livres pour cet
auteur : La science et l’hypothèse ; La valeur de la science) ou Pierre Duhem (La théorie
physique  : son objet et sa structure) ou Leroy. Chez les Anglo-saxons, s’intéressent à cette
question, Charles Sanders Pierce, Karl Pearson. En Allemagne, on aura Ernst Mach et
Ostwald.
Quelques temps plus tard, suivra la crise des fondements des mathématiques. Il s’agit
du défi lancé aux mathématiques de trouver le fondement de leur science. On comprend qu’à
l’époque, les mathématiques paraissaient être le modèle de la science, selon Kant et d’autres,
et on comprenait qu’elles étaient bâties sur des fondements solides et inébranlables. On sait
aussi qu’elles ont pour arrière base l’arithmétique élémentaire dont il se trouve
malheureusement qu’elle ne peut trouver en elle-même ses propres fondements. C’est le sens
de ce qu’on a appelé le théorème d’indécidabilité chez Kurt Gödel (On Formally
Undecidable Propositions of Principia Mathematica and Related Systems). Deux hommes
illustreront cette critique des fondements des mathématiques dont Frege dans Les Fondements
de l’arithmétique (Grundlagen der Arithmetik) et Russell qui, avec Whitehead, écriront les
Principia Mathematica.
La jonction de la perspective de Bolzano et celle de Whewell circonscrit le territoire
de l’épistémologie, qui couvrira la réflexion critique concernant à la fois les sciences
formelles (logique, mathématiques) et les sciences empiriques (physique, biologie,
astronomie).

Les variantes de l’épistémologie

L’épistémologie est l’étude critique de la connaissance, des méthodes et des résultats


scientifiques. Elle est l’étude des modes de connaissances et critiques philosophiques du
savoir. Etudier ses variantes, c’est reconnaître qu’elle est plurielle. On observe une certaine
tension dans ce domaine avec des oppositions parfois franches, parfois détournées.
Exemple d’opposition franche : celles qui opposent les empiristes et les rationalistes.
Les empiristes considèrent qu’il n’y a pas d’autre mode, manière de connaissance que celle
sensible, alors que pour les rationalistes, toutes les connaissances sont interventions,
génération de l’esprit. On s’aperçoit qu’étudier la connaissance revient pour les empiristes à
13
en étudier les sources sensibles : « il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait d’abord été dans
les sens » écrivait à ce sujet Aristote. De ce type d’empirisme qui recherche les fondements
des connaissances, on dira qu’il s’agit d’un empirisme fondationnaliste, c’est-à-dire qu’il tient
qu’il existe des bases de la connaissance, des briques premières qui sont comme le fondement
de l’expérience scientifique et du savoir qui en découle. Un tel empirisme se trouve dans le
Cercle de Vienne chez des auteurs comme Carnap, Neurath, Schlick. Chez les positivistes
viennois, la base de la connaissance se trouve dans les énoncés de base ou énoncés
élémentaires. D’un autre côté, les rationalistes considèrent que la connaissance est une
génération autonome de l’esprit. Le rationalisme se double ici d’un idéalisme. Pour cette
doctrine, la vérité des idées est aussi celle des choses qui, comme par nécessité, leur sont
subalternes. Parmi les empiristes, on peut citer Hume, Locke ; pour le positivisme, il y a le
Cercle de Vienne. Pour les rationalistes, on citera Descartes, Spinoza…
Cette distinction entre rationalistes et empiristes ne fait pas toujours en suivant une
ligne nette. Hume par exemple, qui tient qu’il n’y a jamais de connaissance défendable que
fondée sur l’expérience, tient aussi que si notre connaissance devait se limiter à l’expérience,
elle ne pourrait pas rendre compte de ce qu’il a au-delà de celle-ci : ce que veut faire pourtant
la science.
Spinoza, chez qui la raison tient une si grande place, lui qui aurait voulu penser more
geometrico (en suivant la méthode géométrique) et en se tenant à la seule force du
raisonnement, tient quand même que toute pensée est pensée du corps.
Un auteur peut être appelé à la rescousse pour réaliser harmoniquement la jonction
entre le rationalisme et l’empirisme, c’est Emmanuel Kant dont la doctrine est le réalisme
critique. Il développe une doctrine qui est un moyen terme entre l’empirisme d’un Hume,
celui qui le réveilla de son sommeil dogmatique, et le rationalisme d’un Wolff. Pour Kant, on
va distinguer trois ordres de réalités (facultés) :
1/ La sensibilité qui contient les intuitions sensibles : les choses. C’est le lieu de la
matérialité de notre connaissance.
2/ L’entendement qui contient les catégories. Il y en a douze. Ces catégories servent à
classer le divers sensible. Elles sont comme des casiers qui doivent récolter la matière de
notre connaissance. L’entendement a ses formes pures a priori que Kant appelle l’espace et le
temps. Ce que fournit l’entendement, ce sont les conditions de possibilité même de
l’expérience, ce sont les formes premières qui viendront sculpter la matière de notre
connaissance.

14
3/ La raison (faculté des principes). C’est le lieu des lois ; on dira alors que
l’entendement est structurateur, organisateur et la raison est législatrice.
Connaître chez Kant, c’est mettre en forme la matière. Comme il le dit lui-même, les
intuitions sensibles sans l’entendement sont aveugles, l’entendement sans les intuitions est
vide. On voit que Kant espère une merveilleuse jonction entre d’une part, la demande
empiriste d’une connaissance bien fondée sur les faits, et d’autre part l’intuition rationaliste
que, les idées, théories, principes qui organisent notre connaissance ne peuvent venir de
l’expérience mais de la raison. La principale faiblesse de la philosophie kantienne en ce sujet
est que le rationalisme pense que notre esprit est tellement bien fait qu’il ne peut trouver ce
qui correspond forcément à la nature. On pourrait comprendre les motivations kantiennes. Le
philosophe de Königsberg voulait justifier la réussite de Newton, pourquoi ce dernier avait
toujours eu raison ; il voulait dire la supériorité de la théorie newtonienne et aurait voulu en
rendre compte en recourant à des principes universels. La faiblesse de sa démarche est qu’elle
oublie sa part d’erreur, nos ratés, que l’esprit ne commande pas la nature. C’est sur ce point
que le rationalisme kantien sera repensé par le falsificationisme poppérien qui part de l’idée
que nous avons de temps en temps, et bien plus souvent que nous ne l’aurions souhaité, tort,
et que connaître consiste à rectifier ses erreurs.

Parmi les oppositions larvées dans le domaine de l’épistémologie, on peut relever celle
qui opposa, en son temps, les membres du Cercle de Vienne entre eux. Elle oppose deux
groupes de pensées : d’un côté les sensationnalistes, de l’autre les phénoménalistes.
Le Cercle de Vienne est une école de pensée qui naît dans les années 1920. Parmi ses
tenants, on peut citer Rudolf Carnap, Otto Neurath, Philip Franck, Moritz Schlick… Cette
école s’engage dans la recherche d’une nouvelle voie pour la philosophie des sciences ; une
philosophie qu’elle veut rigoureuse, loin des absurdités de la métaphysique. On peut dire que
le cri d’unité ou de ralliement de l’école de Vienne, c’est la critique de la métaphysique. C’est
en quelque sorte le sol commun sur lequel se rejoindront les uns et les autres. Deux écoles
doivent être distinguées au sein l’école de Vienne.
D’un côté, les sensationnalistes qui considèrent que l’origine des sciences est à trouver
dans nos sensations primaires et que le matériau de base s’y trouve entièrement. Cette
doctrine, dont le grand défenseur est Von Juhos, conduira à un empirisme radical qui tient que
tout ce qui ne correspond pas à nos propres sensations ne peut être considéré comme base
pour l’élaboration de la connaissance scientifique. Il s’agit d’une radicalisation fort nette de
l’empirisme d’un Protagoras qui déclarait en son temps que « l’homme est la mesure de toutes
15
choses, de celles qui sont mesure de leur être, de celles qui ne sont point mesure de leur non-
être ».
De l’autre côté, les phénoménalistes qui ont pour chef de file Carnap. Ces auteurs
préconisent la vérification des phénomènes, une vérification qui ne peut être faite qu’à partir
des sensations. Cette école est donc vérificationniste, c’est-à-dire qu’elle tient que les énoncés
scientifiques sont des énoncés vérifiés, que ce qui distingue la science, c’est la vérifiabilité.
Réciproquement, cela signifie que ce qui n’est pas vérifiable ne peut relever de la science.
Les deux groupes (sensationnalistes et phénoménalistes) sont intéressés par la
possibilité de revenir à l’ordinaire. Ils sont tentés de revenir aux énoncés qui disent vraiment
ce qui se passe dans les choses au cours de l’expérience, qui racontent ce qui est observé ici et
maintenant. De tels énoncés sont dits protocolaires (protokollsätze) parce qu’ils racontent les
protocoles de l’expérience ; c’est-à-dire qu’ils disent, sans ajout, de ce qui a été effectivement
observé, qu’ils décrivent exactement ce qui se produit dans l’observation. Pour les viennois,
les énoncés protocolaires sont la base de la science. Ils constituent ce à partir de quoi on peut
juger de la validité de la science.
Si sensationnalistes et phénoménalistes adhèrent à ce fameux critère de vérifiabilité,
un autre courant, fort important, est en retrait par rapport à cette position : il s’agit du courant
des cohérentistes dont le chef de file est Neurath. Selon ces derniers, ce qu’on recherche dans
le système de la science, c’est tout simplement la cohérence des énoncés scientifiques, car
c’est dans cette cohérence que se loge la capacité de bâtir un édifice scientifique valable et
stable.
Les discussions qui s’engageront au sein du cercle de Vienne aboutiront à l’explosion
de cette organisation. On peut dégager malgré tout trois exemplifications de la réponse à la
question générale de l’épistémologie (à savoir qu’est-ce-que la science ?) :
1/ La première, conjointement défendue par les sensationnalistes et les
phénoménalistes, est la science comme vérifiabilité. Il n’y a de science que du vérifiable et
l’invérifiable est réputé, par avance, non ou antiscientifique. Cette thèse, séduisante en soi, est
malgré tout malheureuse. Son malheur vient de ce que les théories scientifiques sont des
énoncés universels, Popper les qualifie comme énoncés à propos de tous. De tels énoncés ont
pour caractéristique d’avoir des conséquences infinies. C’est ce que Popper nomme le
contenu logique d’une théorie. En effet, quelle que soit la théorie que l’on puisse prendre, on
peut toujours en tirer logiquement un nombre infini de conséquences qu’il nous faudra
vérifier. Or quel que soit le nombre de vérifications faites, il nous restera toujours quelque
chose à vérifier additionnellement ; c’est-à-dire que nous ne serons jamais dans la position de
16
pouvoir dire que la théorie est vérifiée, ni même qu’elle est vérifiable, puisque nous ne
saurons jamais rien des conséquences que nous n’avons pas encore examinées. Cette critique
poppérienne sur les conséquences de l’infinité du contenu logique des théories annonce que le
critère de vérifiabilité n’est pas tenable. Cela signifie que si on devait suivre un tel critère, on
devrait rejeter la science tout entière puisqu’elle ne serait pas vérifiable.
2/ La seconde exemplification de la réponse est la science comme confirmabilité ou
probabilité. Les membres du Cercle de Vienne prennent conscience de l’échec de la
vérifiabilité. Ils s’engagent dans un rattrapage qui consiste à dire, qu’à défaut d’être vérifiable,
une théorie appartenant à la science empirique est à tout le moins confirmable. Dans cette
lecture, une théorie générale étant donnée, on en tire un certain nombre de conséquences
qu’on soumet à l’expérience. Chaque réponse favorable de l’expérience compte comme
confirmation de la théorie et comme ajoutant à la valeur de la théorie. Ces philosophes,
comme Carnap dans Logical Foundations of Probability (The University of Chicago Press) en
1950, diront que de telles théories sont hautement probables, c’est-à-dire qu’elles ont une très
haute probabilité d’être vraies. Cette doctrine sera appuyée par les systèmes de logique
inductive que l’on doit à des philosophes comme Carnap, Sir Harold Jeffreys (Theory of
Probability), De Finetti (Probability, Induction and Statistics (Probability & Mathematical
Statistics, John Wiley & Sons, 1972).
Le très grave problème que l’on rencontre avec la confirmabilité peut s’exposer en
deux moments :
(a) Le premier moment concerne ce qu’on nomme les paradoxes de la confirmation
inductive. Il s’agit d’un paradoxe logique que l’on doit à Hempel. Selon celui-ci, si l’on prend
la théorie « tous les corbeaux sont noirs », on s’aperçoit que, du point de vue du calcul
logique, chaque corbeau noir confirme la théorie, mais aussi tout ce qu’il y a de noir même si
ce n’est pas un corbeau. Cela signifie qu’à peu près n’importe quoi peut confirmer la théorie
selon laquelle «tous les corbeaux sont noirs ». Cela a pour conséquence que nous devions
reconnaître qu’en logique, nous ne savons pas traiter convenablement, de manière formelle, ce
qu’est une confirmation inductive.
(b) Le deuxième moment est lié à la probabilité et a été développé par sir Karl Popper
dans le Post Scriptum à La logique de la découverte scientifique (Paris, Payot, 1973) intitulé
Realism and the Aim of Science (trad. franç. A. Boyer & D. Andler : Le réalisme et la science,
Hermann, 1990). Popper explique que, puisque dans la science, on a affaire aux énoncés
universels, nous ne pouvons jamais prétendre que de tels énoncés aient une haute probabilité
d’être vrais. Il faut même dire l’inverse. En effet, la règle des probabilités explique que la
17
probabilité d’une hypothèse H est définie par le rapport entre le nombre de cas favorables et le
nombre de cas possibles. Mais puisque le nombre de cas possibles est infini, alors cette
probabilité sera forcément évanescente, infinitésimale, en tout cas proche de la nullité. Selon
Popper, il faut dire que les théories universelles sont tout simplement improbables, ce qui est
une conséquence diamétralement opposée aux thèses de Carnap.
3/ Troisième réponse : le système de la science comme ensemble d’énoncés cohérents,
c’est-à-dire non contradictoires les uns les autres (cohérentisme ou la théorie de l’aire
culturelle). Dans l’idéologème de la vérifiabilité ou de la confirmabilté, le souci empiriste est
premier. Il s’agit en effet de fonder solidement la connaissance sur l’expérience, sur une
expérience élémentaire, celle qui dit ce qui se passe ici et maintenant dans l’observation. On
peut alors être tenté de fonder la science sur ses propres sensations (Von Juhos) ou ses propres
perceptions pour les phénomènes qu’on expérimente soi-même. C’est ce que Carnap appelait
le solipsisme méthodologique. Une fois qu’il est apparu que cette fondation n’a rien de fiable
et de définitif, il y a eu en quelque sorte renoncement à l’empirisme radical pour une thèse
bien plus affaiblie : celle du cohérentisme à la Neurath. En effet, la science ne recherche plus
de base solide et définitive ; il n’y a plus, dit Neurath en latin, de Noli me Tangere, c’est-à-
dire d’énoncés irréfutables, non révisables. A partir de là, la base de la science c’est
l’ensemble des énoncés que nous considérons dans notre aire culturelle comme constituant ce
à partir de quoi nous devons procéder pour construire l’édifice de la connaissance
scientifique. Cette façon de fonctionner, introduit un relativisme quasi absolu dont tireront
ensuite parti des auteurs comme Paul K. Feyerabend, puisque désormais cette base de la
science ne s’impose à personne, si ce n’est à ceux qui participent de mon aire culturelle
particulière.

Denis Venant et les variantes de l’épistémologie

L’opposition entre l’empirisme et le rationalisme exemplifie ce que l’on peut appeler


une opposition franche dans le territoire de l’épistémologie (encore qu’on a vu que des
philosophes comme Kant ou Popper tentent de lancer des ponts entre les deux bras du fleuve).
Dans ce cas en effet, sont opposés deux doctrines contraires, aux conséquences
diamétralement opposées. Avec le Cercle de Vienne, la situation varie substantiellement : on
sait que de nombreux éléments font l’unité du mouvement alors qu’au sein de celui-ci les
discussions demeurent vives ; il s’agit donc d’une opposition à l’intérieur d’un même univers
18
de pensée, c’est le positivisme. Traiter des variantes de l’épistémologie amène à couvrir tous
ces territoires de dissension. On s’aperçoit à l’occasion que l’épistémologie est une discipline
éclatée. Denis Vernant (Introduction à la philosophie de la logique, Bruxelles, Mardaga,
1995) propose de reconstruire cette diversité en s’intéressant aux bouleversements qui ont eu
lieu dans le domaine de la science. Si on suit cet auteur, cinq entrées différentes ouvrent des
pistes qui permettront de distinguer les variantes de l’épistémologie :
1/ La crise des fondements : l’épistémologie s’intéressera ici à une explication des
enjeux des pratiques fonctionnalistes de la science. La crise des fondements concerne ainsi au
premier chef l’obligation des mathématiques à se fonder elles-mêmes. Elle est traitée par
Russell et Withehead (Principia Mathematica) et Frege (Fondements de l’Arithmétique, Paris,
Seuil).
L’épistémologie travaille dans ce cas, et c’est ce qui l’intéresse au premier chef, à
fonder la démarche scientifique. La difficulté vient de ce qu’il faut justifier cette position de
privilège. Pourquoi reviendrait-il à l’épistémologie de devoir rechercher le fondement des
sciences ? Qu’est-ce qui lui en donne qualité ? On pourrait, objectera-t-on, poser la question
autrement : pourquoi cela ne lui reviendrait-il pas même si on devait considérer que
l’épistémologue est une sorte d’outsider (qui, dans le cadre d’une épistémologie externe par
exemple, regarde la science de l’extérieur) ? Ce regard autre n’est-il pas justement
susceptible, en raison de son décalage, de questionner les fondements et d’interroger les
pratiques scientifiques y compris en leur cœur ?
2/ La mathématisation de la logique : c’est la tentative qui consiste à réduire la logique
aux mathématiques. Elle accouche d’au moins deux conséquences :
(a) une attention particulière est portée au langage. Elle conduira au fabuleux
développement de la philosophie du langage.
(b) L’épistémologie devient en conséquence l’élucidation des propositions
scientifiques. La réalisation de cette tâche d’élucidation appelle une analyse formelle des
conditions de validation, de confirmation ou de falsification des énoncés scientifiques.
Cette théorie de la mathématisation de la logique est un réductionnisme, doctrine selon
laquelle la science est en fait une. S’il en va ainsi, les divers développements des sciences sont
réductibles en un et un seul ensemble d’énoncés fondamentaux ; celui de ce qu’on nomme la
science fondamentale ou la science première. Le réductionnisme affronte une difficulté
importante. C’est que quel que soit le nombre de composantes de la science secondaire
réduites aux axiomes fondamentaux de la science première, il lui (la science secondaire) reste
toujours un fond qui lui est irréductible. Donc, le réductionnisme est toujours un échec. C’est
19
le cas de la mathématisation de la logique, mais aussi du programme inverse qui lui
succédera : le logicisme (programme de réduction des mathématiques à la logique). Ceux qui
travaillaient à ce programme, comprennent : Wittgenstein dans Tratatus Logico-
Philosophicus ???????????
3/ La diversification des sciences : elle entraîne la multiplication des sciences. Elle a
des conséquences multiples, dont deux fondamentales :
(a) Elle condamne toute catégorisation. Ainsi, des expressions comme la raison ou la
science n’ont plus beaucoup de sens. On est obligé de remarquer que la science économique
n’est pas la science physique, que l’histoire n’est pas la psychologie et que toutes les sciences
dites dures (celle de la matière) ne suivent pas elles-mêmes le même cheminement, et que la
différence est encore plus forte d’avec les sciences formelles (logique, mathématiques) et
d’avec les sciences humaines. Par conséquent, il faut constater l’éclatement des sciences ou
des choses scientifiques.
(b) Naissance des épistémologies régionales. Puisque les sciences sont diverses,
puisqu’elles suivent des méthodes différentes, puisqu’elles ont des objets différents et
recourent à des procédures différentes, la théorie critique de ces sciences doit s’adapter pour
devenir théorie particulière de chaque science particulière. Comme l’idée d’une science
générale devient vaseuse, l’idée d’une épistémologie qui s’applique dès lors à toute science
devient suspecte. L’épistémologie va se spécialiser et étudier les diverses régions de la
science. Elle examinera en conséquence les principes, les méthodes et les concepts des
sciences particulières en considérant chaque science comme si elle était autonome. On aura
ainsi une épistémologie de la physique quantique avec (Woflgang Pauli, Werner Heisenberg,
Erwin Schrödinger, Paul Dirac, Niels Bohr) qui étudiera les méthodes de la discipline, les
questions relatives aux probabilités dans celle-ci, les problèmes touchant à la mesure, la
question de la réalité des objets physiques, les paradoxes liés au réalisme…
Une épistémologie de l’économie travaillera sur le principe de rationalité, principe
selon lequel notre comportement en économie doit être rationnel si on veut en rendre compte.
Mais elle pourrait s’intéresser à la question de l’optimisation, aux problèmes de l’expérience
en économie, à la question du contrôle des hypothèses économiques. De la même manière,
une épistémologie des sciences humaines, dont un exemple est l’élaboration de Gilles Gaston
Granger (Pensée formelle et sciences de l’homme, nouvelle édition, L’Harmattan, 2010),
pourrait s’occuper de la distinction de l’approche épistémologique lorsqu’elle s’applique aux
humains, par opposition au moment où elle s’applique aux choses physiques. Elle soulèvera
les problèmes relatifs à l’expérimentation dans les sciences humaines (J. Chr. Akenda
20
Kapunda, Les sciences entre Nature et Culture, Chennevières-sur-Marne, Dianoïa, 2011), à ce
que François Dagognet nomme expérimentation sanglante (Le vivant, Paris, Bordas, ??). On
peut évidemment étendre ces exemples à des sciences comme la biologie avec les questions
posées aujourd’hui par la génétique, la tentation du clonage et les interrogations bioéthiques
générales et spécialisées liées à ces élaborations.

4/ Les modifications rapides et profondes des sciences à notre époque :


De telles modifications ont eu une conséquence importante. Il s’agit de la naissance
des épistémologues historiques. En effet, comme les sciences évoluent rapidement,
l’épistémologie peut s’occuper d’étudier la progression des inventions, tout comme le
processus de formation et de transformations de théories scientifiques. Quelques auteurs
peuvent être cités comme représentants de ce courant. Parmi les plus importants : Jean
Cavaillès (Essai sur la Théorie de la science, Paris, Vrin), Alexandre Koyré (Etudes
d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard ; Etudes d’histoire de la pensée
philosophique, Paris, Gallimard), Gaston Bachelard (La formation de l'esprit scientifique ; Le
nouvel esprit scientifique  ; Essai sur la connaissance approchée), Georges Canguilhem
(Philosophie de la vie, Paris, Vrin; Le normal et le pathologique, Paris, Puf ; Écrits sur la
médecine, Paris, Vrin ; Etudes d'histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin  ;
Idéologie et rationalité dans l’histoire des sciences de la vie, Paris, Vrin ; Du développement
à l'évolution au XIXe siècle Paris, Puf. Quelques auteurs peuvent être cités en addition à cette
version historique de l’épistémologie : Herbert Butterfield (The Origins of Modern Science,
1300-1800, Londres, The Free Press, 1965)
En fait, le recours à l’histoire va constituer un véritable bouleversement dans les
conceptions épistémologiques du xxe siècle. Il s’agit en effet tout à la fois du renoncement à la
souveraineté de la logique quand il s’agit de rendre compte de la connaissance scientifique et
du renoncement au modèle de la physique comme science de base à laquelle toutes les autres
sciences devraient être réductibles. Ce double mouvement de renoncement est porté par trois
auteurs qui incarnent la nouvelle philosophie des sciences :
(a) Paul Feyerabend qui s’est en particulier intéressé à l’histoire de la physique quantique. Les
principaux articles sur ce sujet sont rassemblés dans le premier volume de ses Philosophical
Papers dont le titre est Realism, Rationalism and Scientific Method (Cambridge University
Press, 1981, trad. franç. E. Malolo Dissakè : Réalisme, rationalisme et méthode scientifique,
Chennevières-sur-Marne, Dianoïa, 2005)

21
(b) Thomas Kuhn, auteur de Black Body and Quantum Discontinuity et de The Structure of
Scientific Revolutions (trad. franç. Laure Meyer : La structure des révolutions scientifiques,
Paris, Flammarion, ????).
(c) Imre Lakatos, successeur de Sir Karl à la London School of Economics et qui s’est
intéressé à suivre les développements scientifiques à travers l’histoire. Il les a théorisés dans
son livre The Methodology of Scientific Research programmes (Cambridge University Press,
19 ??, trad. franç. partielle : Histoire et Méthodologie des sciences, Paris, Puf, 1994) [Preuves
et Réfutations : essai sur la logique de la découverte mathématique , Paris, Hermann, 1984].
A ces auteurs, il faut rajouter un météore dans le ciel de la philosophie des sciences, Norwood
Russell Hanson, qui a, lui aussi, beaucoup travaillé à la physique quantique et à son
interprétation par l’école de Copenhague et qui a écrit Patterns of Discovery dont le sous-titre
parlant est Inquiry into the Conceptual Foundations of Science » (trad. franç. E. Emboussi
Nyano : Les modèles de la découverte. Enquête sur les fondements conceptuels de la science,
Chennevières-sur-Marne, Dianoïa, 2001).

5/ L’essor des sciences dans l’homme.


Cet essor a pour conséquences une meilleure compréhension des conditions
historiques dans lesquelles se structurent les discours. Cela conduit aux questions relatives à
l’archéologie du savoir dans lesquelles excellera un philosophe comme Michel Foucauld, ou
aux questions philosophiques relatives à la conception du savoir ou encore aux conditions
liées à l’acquisition personnelle des connaissances scientifiques essentielles.
Une autre conséquence de ce dernier point nous amène sur la voie de l’épistémologie
génétique dont l’un grands des défenseurs est indiscutablement Jean Piaget (L’épistémologie
génétique, Paris, Puf ; Le structuralisme, Paris, Puf ; La Géométrie spontanée de l'enfant, 2e
éditionde Jean Piaget et Bärbel Inhelder, Paris, Puf, 1973 ; Problèmes de psychologie
génétique, Paris, Puf, 1972) ; La construction du réel chez l'enfant, Paris, Puf). Cette
épistémologie génétique étudie les méthodes d’acquisition de la connaissance. Elle s’intéresse
à monter comment les structures qui permettent cette acquisition s’installent dans la prime
enfance. Elle étudie par conséquent la genèse de la connaissance. Pour cela, il est nécessaire
de faire recours à la manière dont l’enfant connaît, dont il acquiert chaque connaissance, à
comment s’installent les opérations de pensée, à l’apparition des opérations de calcul, à la
notion d’objet pour l’enfant et à ses évolutions, etc.
Cette étude est intéressante parce qu’elle nous permet de comprendre comment nous-
mêmes connaissons, parce qu’elle tient l’enfant pour modèle auquel nous devons nous référer
22
pour nous voir nous-mêmes comme dans un miroir, d’où nous venons et comment nous avons
évolué. Elle considère dans une de ses interprétations que l’enfant est une sorte de page
blanche, une espèce de tabula rasa sur laquelle viennent s’accumuler les impressions. Faire
recours à l’enfant est très important pour voir comment se mettent en place les mécanismes de
la connaissance.

Les fondements du nouvel esprit scientifique


Comme nous pouvons le constater grâce à ce qui précède, l’existence d’une ancienne pensée
scientifique et d’une nouvelle n’est pas gratuite. Prises individuellement, elles n’ont pas de
sens ; tandis que, mises ensemble, elles ont une continuité et constituent une base à la pensée
scientifique. Car, ces deux pensées naissent d’une nouvelle méthode appropriée pour un
problème particulier. Ce caractère dualistique et dialectique produit un nouveau dynamisme à
la philosophie scientifique. Cette idée nous ramène à l’objet premier de notre corpus qui est
selon les termes de l’auteur de : « saisir la pensée scientifique contemporaine dans sa
dialectique et montrer ainsi la nouveauté essentielle » (p.16). Afin de parvenir à cet objectif,
Bachelard identifie un premier point : l’existence d’une variété de géomètres. Cette existence
dénote le caractère dialectique de la démarche géométrique. C’est ce caractère qui contribue
au développement de la géométrie. Cette dernière est passée par une multitude d’étapes : des
théorèmes d’Euclide à ceux d’Alembert, puis de Sacher et Lambert à Tarinus … tous des
penseurs d’époques différentes.
Une fois de plus, ce n’est pas la diversité de ces théorèmes qui doivent attirer notre attention,
mais plutôt la familiarité qui existe entre eux. Bien qu’ils soient divers, la géométrie en elle-
même n’a pas cessé d’exister, elle n’a pas été altérée, ce sont les idées qui se sont succédées et
qui ont donné lieu à des interprétations diverses. Ces théorèmes ne sont pas nés ex-nihilo et
sont liés. L’auteur nous fait comprendre que notre attention doit porter sur ce lien, le point de
départ de ces propositions scientifiques : « Cette cohérence, seule base possible du réalisme,
on ne la trouvera pas en creusant une forme particulière, en multipliant par exemple les efforts
d'intuition sur un problème euclidien. On doit la chercher dans ce qu'il y a de commun dans
les géométries contraires. Il faut étudier la correspondance établie entre ces géométries. C'est
en faisant correspondre les géométries que la pensée mathématique prend une réalité. » (p.26).
Lui-même à la quête de ce lien, Bachelard démontre que la géométrie non-euclidienne est une
dialectique qui se poursuit dans la mécanique non-newtonienne.

23
Le travail de Newton porte sur la mécanique de la gravitation et ses effets. Newton établit
trois lois fondamentales et universelles du mouvement qui sont restées inchangées pendant
plus de trois siècles. Il est parti du terme « poids » pour parvenir aux lois de la gravitation
universelle. Ces trois lois du mouvement (principes des actions réciproques, principe
fondamental de la dynamique et principe d’inertie) ont fait d’Isaac Newton le père de la
mécanique moderne. La mécanique non-newtonienne prend naissance dans la théorie de la
relativité d’Einstein. En effet, la théorie d’Einstein ne peut être considérée comme scientifique
et applicable qui si l’on tient la théorie de Newton pour fausse. Ces deux approches
différentes ont chacune contribué au développement de la physique. L’esprit scientifique
einsteinien ne vient pas récuser ou rejeter celle newtonienne, mais il vient la compléter,
apporter de la lumière aux zones d’ombre. Le nouvel esprit scientifique est conçu selon ce
schéma : la démonstration que le nouvel esprit scientifique est la quête du lien et non de
l’opposition entre les propositions scientifiques marquantes du monde moderne. Bachelard
veut nous montrer la complexité et la nécessité qui caractérise la philosophie scientifique. En
effet, elle n’est pas accessible à tous, mais c’est grâce à elle que le nouvel esprit scientifique
évolue, elle est le socle sur lequel ce nouvel esprit repose.
Cette évolution caractérisée par dualité et dialectique se résume dans l’épistémologie
cartésienne : « Un des chimistes contemporains qui a mis en œuvre les méthodes scientifiques
les plus minutieuses et les plus systématiques, M. Urbain, n'a pas hésité à nier la pérennité des
méthodes les meilleures. Pour lui, il n'y a pas de méthode de recherche qui ne finisse par
perdre sa fécondité première. Il arrive toujours une heure où l'on n'a plus intérêt à chercher le
nouveau sur les traces de l'ancien, où l'esprit scientifique ne peut progresser qu'en créant des
méthodes nouvelles. Les concepts scientifiques eux-mêmes peuvent perdre leur universalité.
Comme le dit M. Jean Perrin " Tout concept finit par perdre son utilité, sa signification même,
quand on s'écarte de plus en plus des conditions expérimentales où il a été formulé." »
(p.104). Dans la philosophie scientifique, rien est sacré ou intouchable, tout est sujet au
changement dès lors que les conditions de l’expérience changent. Selon Bachelard, c’est cette
caractéristique qui explique l’évolution de la science, révolutionnaire et sans cesse en
mouvement.
Au final, l’épistémologie bachelardienne insiste donc sur le fait que la philosophie
scientifique est sans cesse en rupture avec la connaissance établie. Au fur et à mesure que le
temps passe, de nouvelles théories voient le jour dans le sillon des anciennes. L’esprit
scientifique se renouvelle sans cesse.

24

Das könnte Ihnen auch gefallen