ETUDES TRADITIONNELLES
43° Année Aoat-Septembre 1938 IN aa4-208
ER-ROH
Gnas les données traditionnelles de la « science des
lettres », Allah eréa le monde, non par Yahi qui est la
premiére des lettres, mais par le ba qui est la seconde ; et,
en effet, bien que I'unité soit nécessairement le principe’ pre-
tier de la manifestation, c'est Je dualité que celle-ci_ pré-
‘suppose immédiatement, et entre Jes deux termes de laquelle
sera produite, comme entre les deux pdles complémentaires
de cette manifestation, figurés par les deux extrémités du
ba, toute la multiplicité indéfinie des existences contingentes.
Crest donc le ba qui est proprement a lorigine de la création,
et celle-ci s'accomplit par Iui et en lui, clest-A-dire qu'il en
est a la fois le « moyen » et le « lieu », suivant les deux sens
qu’a cette lettre quand elle est prise comme la préposition
bi (x). Le ba, dans ce réle primordial, représente Er-Rah,
JT Esprit », quill faut entendre comme I'Esprit total de
“YExistence universelle, et qui s'identific essentiellement & la
« Lumidre » (En-Név) ; il est produit directement par le «come
mandement divin » (min amri’ Liab), et, dés qu'il est produit,
i est en quelque sorte l'instrument par lequel ce « comman-
dement » opérera toutes choses, qui seront ainsi toutes « or-
données » par rapport & lui (2) ; avant lui, il n’y a donc qu’el-
forge co pout do mcs fusarguer dea eualer wet de Pevangls ee
i Beresith
‘taint Joan,
er, employé
‘comme * pa288 ETUDES TRADITIONNELLES
amr, affirmation de I'Etze pur et formulation premiére de la
‘Volonté supréme, comme avant la dualité il n'y a que I’unité,
on avant le 4 il n'y a que I'alif. Or Vali est la lettre « po-
Taire » (qutbéniyah) (2), dont la forme méme est celle de
Yc axe » suivant lequel s'accomplit I’ « ordre » divin ; et la
pointe supérieure de V'alif, qui est le « secret des secrets »
(sirr el-asrdr), se refléte dans le point du ba, en tant que o¢
point est le centre de la « circonférence premidre » (ed-déivah
el-awwaliyah) qui délimite et enveloppe le domaine del Exis-
tence universelle, circonférence qui d’ailleurs, vue en simal-
tanéité dans toutes les directions possibles, est en réalité une
sphére, la forme primordiale et totale de laquelle nattront
par différenciation toutes les formes particuliéres.
Si Yon considére Ia forme verticale de l'alif et la forme
horizontale du ba, on voit que leur rapport est celui d’un,
principe actif et d’un principe passif ; et ceci est conforme
aux données de la science des nombres sur I'unité et la dua~
lité, non seulement dans l'enseignement pythagoricien, qui
est le plus généralement connu A cet égard, mais aussi dans
celui de toutes les traditions. Ce caractére de passivité est
effoctivement inhérent au double rfl’ c instrument a et de
milieu » universel dont nous avons parlé tout & V’heure ;
aussi Er-R@h est-il, en arabe, un mot féminin ; mais il faut
bien prendre garde que, selon la loi de 'analogie, ce qui est
passif ou négatif par rapport & la Vérité divine (E1-Hagg)
evient actif on positif par rapport & Ia création (el-K alg) (2).
Ul est essentiel de considérer ici ces deux faces opposées,
puisque ce dont il s'agit est précisément, si l'on peut s'expri-
‘mer ainsi, la limite » méme poste entre EL-Hagq et el-Khalg,
limite » par laquelle la création est séparée de son Principe
divin et Ini est unie tout a la fois, suivant le point de vue
3, Comme nous Vavous défi indtqué ailleurs, allf= gat m= 12h (Un hidro-
oluphe de Pole, ae do mal 1937); afoutons que le now 4414 * Treen = A
muss te mime nombre.
tala sens, a in xadoald
de Metaron, mascot, alae
RRO 89
tons lequel'on Venvisage ; c'est done, en d'autres tories, Je
barzalth pas excellence (2) ; et, de méme qu’Allah est « le
Premier et le Dernier » (Et-Atnwal wa El-Akhir) au sens ab-
sola, Er-Rah est « le premier et le dernier » relativement & la
exéation.
Ce n'est pas A dire, bien entendu, que le terme Er-Réh ne
soit pas pris parfois dans des acceptions plus particuliéres,
comme Je mot « esprit » ou ses équivalents plus ou moins
exacts dans d'autres langues ; c'est ainsi que, dans certains
textes qordniques notamment, on a pu penser qu'll s'agis-
sait, soit Pune désignation de Seyidnd Jibrati (Gabriel), soit
d'un antre ange & qui cette dénomination @Zr-Réb serait
appliquée plus spécialement ; et tout cela peut assurément
ttre vrai suivant Jes cas ou suivant les applications qui em
sont faites, car tout ce qui est participation ou spécification
de l Esprit universel, ou ce qui en joue le rble sous un cectaim
rapport et a des degrés divers, est aussi rh en un sens relatif,
y compris esprit en tant qu'il réside dans 1’tre humain ou
dans tout autre étre particulier. Cependant, il est un point
auquel beaucoup de commentateurs exotériques semblent ne
pas préter une attention suffisante : lorsque Er-Réth est d&si-
gné expressément et distinctement a cbté des anges (cl-
maldthah) (2), comment serait-il possible d’admettre que, en
éalité, il s’agisse simplement de I’nn de ceux-ci ? L'interpré-
tation Ssotérique est qu'il s'agit alors de Seyidnd Mtairin
(le Metatron de la Kabbale hébraique) ; cela permet d’ailleurs
de s'expliquer I'équivoque qui se produit & cet égard, puisque
Meairon est aussi représenté comme un ange, bien que, stant
au dela du domaine des existences « séparées », il soit vérita-
blement autre chose et plus qu’un ange ; et cela, du réste,
correspond bien encore au double aspect du Barzakk (3).
eran fd anetne
jane cetaines Sormalen GotGriquos, le nom CAMEAN eet abel 2
“rire anges har apport suse tov dane Tordse fine, ve
eae gaats press290 Erupes TRADITTONNELLES
Une autre considération qui concorde entigrement avec
cotte interprétation est celle-ci: dans la figuration du «Trone»
(EL-Arsh), Er-R&h est placé au centre, et cette place est effec-
tivement celle de Metatron ; le « Tréne » est le Hew de la « Pré-
sence divine », c'est-A-ire de la Shekinah qui, dans la tradi-
tion hébraique, est la « parédre » ou l'aspect complémentaire
de Metatron. D’ailleurs, on peut méme dire que, d'une cer-
taine facon, Ey-Rah sidentifie au « TrOne » méme, car celui-
i, entourant et enveloppant tous les mondes (d’oit I'épithéte
El-Mublt qui lai est donnée), cotncide par 1A avec Ia « circon-
Sérence premiére » dont nous avons parlé plus haut (1). On
retrouve encore ici les deux faces du barsakih : du coté d’'El-
‘Hag, c'est Br-Rahmén qui repose sur le « Tréne » (2) ; mais,
du cOté d’el-Khalg, il n’apparatt en quelque sorte que par
réfraction & travers Ey-Ridh, ce qui est en connexion directe
avec le sens de ce hadith : « Celui qui me voit,celui-la voit la
Vérité » (man raani fayad yaa el-Hagg). C'est la, en effet, le
mystére de la manifestation « prophétique » (3) ; et 'on sait
‘que, suivant la tradition hébraique également, Metairon est
Yagent des « théopharies » et le principe méme de la pro-
phétie (4), ce qui, exprimé en langage islamique, revient &
dice qu'il n’est autre qu'Er-Rih e-mohammediyah, en qui
tous les prophétes et les envoyés divins ne sont qu'un, et qui
a, dans le e monde den bas », son expression ultime dans celui,
qui est leur « sceau » (Xhatam el-anbidt wa’ L-mursalin), c'est-
adire qui les réunit en une synthase finale qui est le reflet de
leur unité principielle dans le « monde den haut » (oit il est
awwal Khalgi’ Liah,ce qui est le dernier dans I’ordre manifesté
1.8ur oe sult da* Trine ‘et du Metaron.caviergé ax polat de vee 40
1a ikabbate ot do Cengblologe Mébesiqnen ct. Basiide, Never sur te monde
fofste (ao do juillet 1904, pp. 2THI15), et Las Anges (n° de t6rrer 1896,
eo),
PE ASatrant ce verset de ls Strat Taha (XX, 8): * Br-Rakinda aletareht
estar
ns On'peut remarquer que par ih. xejoignent dune cerfalne facon la
conception du Propbbbe ot calle Ge 'deatdra, qul procedaat en eens Saverse
WWhedetaetre, ie asconde partant de Ta corsidérstion au principe ql 58
Sandfeste, andie que’ ia premiere part de celle du *eupport , do exile
Sanlfeetiion (et le “Trae. est aus! Ie “support y cele Divs
"Ct Le Rot de Monde, pp. 3°33
ROH agx
tant analogiquement le premier dans ordre principiel), et
qui est ainsi le « seigneur des premiers et des derniers (seyid
dl-awvealina wa'-akhirin), C'est par la, et par 1A seulement,
que peuvent réellement étre compris, dans leur sens profond,
‘tous les noms et les titres du Prophéte, qui sont en définitive
ceux mémes de Y’ « Homme universel » (El-Insdn el-Kémil),
totalisant finalement en Iui tous les degrés de "Existence,
comme ill les contenait tous en lui dés Vorigine : alayhi
ality Rabbil-Arshi dawman, « que sur iui la priére du Sei-
gneur du Trone soit perpétuellement »!
RENE GusnoxNOTE SUR L’ANGELOLOGIE
DE L'ALPHABET ARABE
ie Tréne » divin qui entoure tous les mondes (EL-Arsh
ELMuhit) est représenté, comme il est facile de le com-
Prendre, par une figure circulaire ; au centre est Er-Rdh,
ainsi que nous expliquons par ailleurs ; et le « Tron » est
soutenu par huit anges qui sont placés A la circonférence,
es quatre premiers aux quatre points cardinaux, et les
quatre autres aux quatre points intermédiaires, Les noms de
‘ces huit anges sont formés par autant de groupes de lettres,
rises en suivant ordre de leurs valeurs numériques, de telle
sorte que Vensemble de ces noms comprend la totalité des
lettres de alphabet.
Uy a lieu de faire ici une remarque : il s'agit naturelle-
ment de alphabet de 28 lettres ; mais on dit que Valphabet
arabe n'avait tout d'abord que 22 lettres, correspondant
exactement a celles de Yalphabet hébraique ; de 18 la dis-
tinction qui est faite entre le petit Jajr, qui n'ermploie que ces
22 lettres, et le grand Jafr, qui emploie les 28 en les prenant
toutes avec des valeurs numériques distinctes. On peut d’ail-
leurs dire que les 28 (2 + 8 == 10) sont contenues dans les 22
(2 +2 = 4) comme xo est contenu dans 4, suivant Ia for-
mule de la Tétrakiys pythagoricienne : x4 2-+3 +4 =
79 (1) jet, en fait, les six lettres supplémentaires ne sont que
des modifications d’autant de lettres primitives, dont elles
sont formées par la simple adjonction d'un point, et aux-
quelles elles se raménent immédiatement par la suppression
de ce méme point. Ces six lettres supplémentaires sont celles
ui composent Jes deux deraiers des knit groupes dont nous
Vote La Tatraktys ettecarrd de quatre (a avs 1827
ANGHLOLOGIE DE L’ALPHABET ARABE 325
venons de parler ; il est évident que, si on ne les considérait
pas comme des lettres distinctes, ces groupes Se trouveraient
modifiés, soit quant & leur nombre, soit quant & leur compo-
sition, Par conséquent, le passage de l'alphabet de 22 lettres
a Valphabet de 28 a dt nécessairement amener un change-
‘ment dans fes noms angéliques dont il s'agit, done dans les
« entités » que ces noms désignent ; mais, si étrange que cela
puisse sembler & certains, il est en réalité normal qu'il en
soit ainsi, car toutes les modifications des formes tradition-
nelles, et en particulier celles qui affectent la constitution de
leurs langues sacrées, doivent avoir effectivement leurs « ar-
chétypes » dans le monde céleste.
Cela cit, Ia distribution des lettres et des noms est la sui-
vante :
‘Aux quatre points cardinaux :
AVEst: ABJaD (a);
AY'Ouest : Ha Wa Z ;
Au Nord: HaTaY;
Au Sud: KaLMaN.
‘Aux quatre points intermédiaires :
Au Nord-Est :SaAFaC;
‘Au Nord-Ouest: QaRShaT;
Au Sud-Est: Tha KhaDh;
Au Sud-Ouest : Da ZaGh.
On remarquera que chacun de ces deux ensembles de
quatre noms contient exactement la moitié de alphabet,
soit 14 lettres, qui y sont réparties respectivement de la
fagon suivante :
Dans la premiére moitié: 4+ 3-43-44 = 145
Dans la seconde moitié : 4+ 4+3+3= 14
1.0 ben eotendu que Valet Ia ba pret place Sa. comme tutce
toy autre ior de alphabet, Tear rang nomique; ele no fl en ren,
{nterven!r Jes consldérations eymbollques que nozs expoAoas
‘aol bur donneat autre rale plus apéeial.326 TUDES TRADITIONNRLLES
‘Les valeurs numériques des huit noms, formées de la
tomme de celles de leurs lettres, sont, en les prenant natu-
rellement dans le méme ordre que ci-dessus :
I+243+4=10;
5+6+7=18;
84+ 9-+10=27;
20+ 30 + 40 + $0 = 140;
60 + 70 + 80 +- 90 = 300;
100 -+ 200 ++ 300 -} 400 = 1000 ;
500 + 600 + 700 = 1800 ;
800 + 900 + 1000 = 2700.
‘Les valeurs des trois deniers noms sont égales & celles des
trois premiers multiplies par t00, ce qui est d’ailleurs évi-
dent, si Yon remarque que les trois premiers contiennent les
nombres de x a x0 et les trois derniers les centaines de 100 &
000; les uns et les autres y étant également répartis en
44343
La valeur de la premidre moitié de V'alphabet est la somme
de celles des quatre premiers noms :
10 -+ 18 + 27 4 140 = 195.
‘De méme, celle de la seconde moitié est 1a somme de celles
des quatre derniers noms :
300 + 1000 + 1800 + 2700 = 5800.
Enfin, la valeur totale de 'alphabet entier est :
195 + 5800 = 5o96.
Co nombre 5995 est remarquable par sa symétrie : sa partie
centrale est 99, nombre des noms « attributifs » d'Allah ; ses
chifires extrémes forment 55, somme des dix premiers nom-
bres, of le dénaire se retrouve d’ailleurs divisé en ses deux
moitiés (5 + 5 = 10) ; de plus, 5 +5 = 10 et g + 9 = 38
sont Jes valeurs numériques des deux premiers noms,
On peut mieux se rendre compte de la fagon dont le nom-
bre 5995 est obtenu en partageant V'alphabet suivant une
ANGELOLOGIE DE L'ALPHABET ARABE 327
autre division, en trois séries de neuf lettres plus une lettre
isolée : Ja somme des neuf premiers nombres est 45, Valeur
numérique du nom d'Adam (r+ 4 + 4o = 45, c'est-A-dire,
au point de vue de la hiérarchie ésotérique, E-Quth El-
Ghawth au centre, les quatre Awtdéd aux quatre points car-
dinaux, et les quarante Anjab sur la circontérence) ; celle
des dizaines, de 10 & go, est 45 x 10, et celle des centaines,
de 100 A 900, 45 x 100 ; ensemble des sommes de ces trois
séries novénaires est donc le produit de 45 par 121, le nombre
« polaire » qui est celui de l'alif « développé » ; 45 x Ir =
4995 : il faut y ajouter Je nombre de la derniare lettre, r000,
unité du quatriéme degré qui termine Valphabet comme
Trunité du premier degré le commence, et ainsi on a finale-
ment 5995.
Enfin, la somme des chifires de ce nombre est 5 + 9 + 9 +
5 = 28, c’est-A-dire le nombre méme des lettres de I’alphabet
dont il représente la valeur totale.
On pourrait assurément développer encore beaucoup d’au-
‘res considérations en partant de ces données, mais ces quel-
ques indications suffiront pour qu’on puisse tout au moins
avoir un apersu de certains des procédés de la science des
Tettres et des nombres dans la tradition islamique.
Revé Guénow.LES MYSTERES
DE LA LETTRE NUN
lettre min, dans Valphabet arabe comme dans I'alpha~
bet hébraique, a pour rang 14 et pour valeur ‘numé-
rigue so ; mais en outre, dans V'alphabet arabe, elle occupe
une place plus particuliérement remarquable, car elle termine
la premire moitié de cet alphabet, le nombre total des lettres
de celui-ci étant de 28, au lien de 22 dans T'alphabet hé-
braique. Quant & ses correspondances symboliques, cette
lettre est considérée surtout, dans la tradition islamique,
comme représentant E/-Hét, la baleine, ce qui est d’ailleurs
en accord avec le sens originel du mot num lui-méme qui la
désigne, ct qui signifie aussi « poisson » jet c'est en raison de
cette signification que Seyidnd Yanis (le prophéte Jonas) est
appelé Disin-Nitn. Ceck est naturellement en rapport avec le
symbolisme général du poisson, et plus spécialement avec
certains des aspects que nous avons envisagés ici dans un
précédent article (1), notamment,comme nous allons le voir,
celui du ¢ poisson-sauveur », que ce soit le Matsya-avatara
de la tradition hindoue ou I'Tchthus des premiers Chrétiens.
La baleine, & cet égard, joue aussi le méme role qui est joud
ailleurs par te dauphin, et, comme celui-ci, elle correspond
au signe zodiacal du Capricorne, en tant que porte solsticiale
donnant accds & Ta «-voie ascendante »; mais c'est peut-étre
avec le Matsya-avatéra que la similitude est la plus frap-
pante, comme Je montrent les considérations tirées de la
forme de la lettre man, surtout si on les rapproche de Ihis-
toire biblique du prophete Jonas,
Pour bien comprendre ce dont il sagt, il faut tout d'abord
1, Quelques aspects du symbotiome du poisson (a* de f6vrier 198).
TRS MYSTERES DE LA LETTRE NON 339
se souvenir que Vishnu, se manifestant sous la forme du
poisson (Matsya), ordonne A Safyavrala, le futur Many
Vaivaswata, de construire 1'Arche dans laquelle devront
étre renfermés les germes du monde futur, et que, sous cette
méme forme, il guide ensuite I'Arche sur les eaux pendant le
cataclysme qui marque Ta séparation des deux Manvantaras
successifs. Le réle de Satyavrata est ici semblable & celui de
Seyidnd Nah (Noé), dont I’ Arche contient également tous les
Aéments qui serviront & la restauration du monde apras le
déluge ; peu importe ailleurs que application qui en est
faite soit différente, en ce sens que le déluge biblique, dans
sa signification Ia plus immédiate, parait marquer le début
d'un cycle plus restreint que le Manvantara ; si ce n'est pas
Je méme événement, ce sont du moins deux événements ana-
Jogues, ot V'état antérieur du monde est détruit pour faire
place & un état nouveau (1). Si maintenant nous comparons
Yhistoire de Jonas & ce que nous venons de rappeler, nous
‘voyons que la baleine, au lieu de jouer seulement le role du
poisson conducteur de l'Arche, s‘identific en réalité a I’Arche
elle-méme ; en effet, Jonas demeure enfermé dans le corps
de Ja baleine, comme Salyavrata et Noé dans I'Arche, pen-
dant une période qui est aussi pour lui, sinon pour le monde
extérieur, une période d’ « obscuration », correspondant &
Tintervalle entre deux états on deux modalités d'existence ;
ici encore, la diflérence n’est.que secondaire, les mémes fi-
gures symboliques étant toujours, en fait, susceptibles d’une
double application macrocosmique et microcosmique. On
sait d’ailleurs que la sortie de Jonas du sein de la haleine a
toujours été regardée comme un symbole de résurrection,
done de passage & un nouvel état ; et ceci doit étre rapproché,
autre part, du sens de « naissance » qui, dans la Kabbale
hébraique surtout, s'attache A la lettre nn, et qu'il faut en-
tendre spirituellement comme une « nouvelle naissance »,
clest-A-dire une régénération de T’étre individuel ou cos-
mique.
1. Ct. LeRoi da Monde, pp. 126-128340 ‘ETUDES TRADITIONNELLES
Crest ce qu'indique tras netiement la forme de la lettre
arabe nn : cette lettre est constituée par la moitié inférieure
dune circonférence, et par un point qui est le centre de cette
méme circonférence. Or la demi-circonférence inférieure est
aussi la figure de I'Arche flottant sur les eaux, et le point
qui se trouve 4 son intérieur représente le germe qui y est
contertu ou enveloppé ; la position centrale de ce point
montre d’ailleurs qu'il s'agit en réalité du « germe dimmor-
talité », du « noyau » indestructible qui échappe a toutes le:
dissolutions extérieures. On peut remarquer aussi que la
demi-citconférence, avec sa convexité tournée vers le bas,
est un des équivalents schématiques de la coupe ; comme
celle-ci, elle a donc, en quelque sorte, le sens d'une « matrice «
dans laquelle est enfermé ce germe non encore développé, et
qui, ainsi que nous le vertons par la suite, s'identifie a la moi-
ti6 inférieure ou « terrestre » de I’ « Buf du Monde » (r). Sous
cot aspect d’'élément « passif » de a transmutation spirituelle,
ELH est aussi, d'une certaine fagon, la figure de toute
inclividualité, en tant que celle-ci porte le « germe d'immor-
talité » en son centre, qui est représenté symboliquement
comme le cceut ; et nous pouvons rappeler & ce propos les
rapports étroits, que nous avons déjA exposés en d'autres
occasions, du symbolisme du coeur avec celui de la coupe et
avec celui de I” « Guf du Monde ». Le développement du
getme spirituel implique que I'étre sort de son état indivi-
duel, et du mitieu cosmique qui en est le domaine propre, de
méme que c'est en sortant dur corps de Ia baleine que Jonas
est « ressuscité » ; et, si l'on se souvient de ce que nous avons
écrit ici récemment, on comprendra sans peine que cette sortie
est encore Ja méme chose que celle de la caverne initiatique,
dont la concavité méme est aussi représentée par celle de la
demi-circonférence du nin. La « nouvelle naissance » suppose
nécessairement la mort a Vancien état, qu'il s'agisse d'un
1, Par un curteux rxpprochemeat, ce sens de * atrice » (la yon! sunscrite)
su trouve nasal Impliqué dane le mot gree delphus, ql eat en méme tempe
Jo nom du duuphi.
EBS MYSTERES DE LA LETIRE NON ur
individu ou d’un monde ; mort et naissance ou résurrection,
ce sont 1a deux aspects inséparables I'tn de l'autre, car ce ne
sont en réalité que les deux faces opposées d'un méme chan-
gement d’état. Le nén, dans Valphabet, suit immédiatement
1c mtm, qui a parmi ses principales significations celle de la
mort (@l-mawe), et dont la forme représente V’étre compléte~
‘ment replié sur lui-méme, réduit en quelque sorte & une pure
virtualité, 4 quoi correspond rituellement V'attitude de la
prosternation ; mais cette virtualité, qui peut sembler un
anéantissement transitoire, devient aussitét, par la con-
centration de toutes les possibilités essentielles de I’étre en un
point unique et indestructible, le germe méme doit sortiront
tons ses développements dans les états supérieurs.
I convient de dire que le symbolisme de la baleine n'a pas
seulement un aspect « bénéfique », mais aussi un aspect
« maléfique », ce qui, outre les considérations d’ordre général
sur le double sens des symboles, se justifie encore plus spécia-
Jement par sa connexion avec les deux formes de mort et de
résurrection sous lesquelles apparatt tout changement d’état,
suivant qu’on envisage d’un cété ou de autre, c’est-a-dire
par rapport & Wétat antécédent ou W'état conséquent. La
caverne est & la fois un lieu de sépulture et un lieu de « re-
naissance », et, dans l'histoire de Jonas, la baleine joue préci-
sément ce double role ; du reste, ne pourrait-on pas dire que
Je Matsya-avatéva ini-méme se présente d’abord sous l'appa-
rence néfaste d’annonciateur d'un cataclysme, avant de
deyenir Ie « sauveur » dans ce cataclysme méme ? D'autre
part, ‘aspect « maléfique » de la baleine s’apparente mani-
festement au Léviathan hébraique (2) ; mais il est surtout
représenté, dans la tradition arabe, par les « filles de la ba-
leine » (bendt el-Hit), qui, au point de vue astrologique, équi-
valent & Rain et Kélu dans Ja tradition hindoue, notamment
smoostre marin, bien qayant avant
a a ign Spore dat
i te Zodlaqce wen pen aconp Se a
‘Agar eat gsc ‘traits qui rappellent lo symbolisme * typhonic
pte342 TUDES TRADITIONNELL
fen ce qui concerne les éclipses, et qui, dit-on, « boiront la
mer + au dernier jour du cycle, en ce jour ob « les astres se
Iaveront & VOccident et se coucheront & POrient », Nous ne
pouvons insister davantage sur ce point sans sortir entiére-
ment de notre sujet ; mais nous devons tout au moins appeler
attention sur le fait qu'on retrouve encore ici un rapport
immédiat avec la fin du cycle et le changement d’état qui
sfensuit, car cela est trés significatif et apporte une nouvelle
confirmation aux considérations précédentes,
Revenons maintenant 4 Ia forme de la lettre niin, qui
donne lieu & une remarque importante au point de vue des
relations ‘qui existent entre les alphabets des différentes
langues traditionnelles : dans Valphabet sanscrit, la lettre
corvespondante na, ramenée & ses éléments géométriques fon-
damentaux, se compose également d’une demi-circonférence
et d’un point; mais ici, la convexité étant tournée vers le
haut, c'est la moitié supérieure de la circonférence, et non
plus sa moitié inférieure comme dans le win arabe. Crest
done la méme figure placée en sens inverse, ou, pour parler
plus exactement, ce sont deux figures rigoureuscment com-
plémentaires Pune de l'autre ; en effet, sion les réunit, les
deux points centraux se confondant naturellement, on a le
cerele avec le point au centre, figure du cycle complet, qui
est en méme temps le symbole du Soleil dans l’ordre astrolo-
gique et celui de or dans ordre alchimique (1). De méme
que la demi-circonférence inférieure est la figure de I’Arche,
la demi-circonférence supérieure est celle de Varc-en-ciel,
qui en est l’analogue dans 'acception la plus stricte du mot,
'est-A-dire avec l'application du « sens inverse »; ce sont
aussi les deux moitiés de I’ « uf du Monde », l'une « ter
testre », dans les « eaux inférieures », et l'autre « céleste »,
dans les « eaux supérieures »; et 1a figure circulaire, qui était,
complite au début du cycle, avant la séparation de ces deux
1. On pourra se rappeter fet le aymt
b* Embryon
‘vant cert
4a * Soleil spiei
> lranyagarbha} dane la tradition hindowe ; 0p
sesponttances, lena ext In lettre planétaire da Solel.
TES MYSTHERES DE LA LETTRE NON 343,
moitiés, doit se reconstituer la fin du méme cycle (x). On
pourrait done dire que la réunion des deux figures dont it
slagit représente Vaccomplissement du cycle, par la jonction
de son commencement et de sa fin, d’autant plus que, si on
les rapporte plus particuligrement au symbolisme « solaire »,
la figure du na sanscrit correspond au Soleil levant et celle
du niin arabe au Soleil couchant. D’autre part, la figure cir-
culairé complite est encore habituellement le symbole du
nombre x0, le centre étant x et la circonférence 9 ; mais ici,
éant obtenue par union de deux nan, elle vaut 2 x 54
100 = 10%, ce qui indique que c'est dans le « monde intermé-
diaire » que doit s'opérer la jonction ; celle-ci est en effet
impossible dans le monde inférieur, qui est le domaine de la
division et de la « séparativité », et, par contre, elle est tou-
jours existante dans le monde supérieur, ott elle est réalisée
principiellement en mode permanent et immuable dans
V « éternel présent »,
Acces remarques déja longues, nous n’ajouterons plus qu'un
‘mot, pour en marquer le rapport avec une question & laquelle
ila été fait allusion ici dernigrement (2) : ce quenous venons
de dire en dernier lieu permet dentrevoir que l'accomplisse-
ment du cycle, tel que nous I'avons envisagé, doit avoir une
cettaine corrélation, dans I'ordre historique, avec la ren-
contre des deux formes traditionnelles qui correspondent &
son commencement et A sa fin, et qui ont respectivement
pour langues sacrées le sanscrit et I'arabe : la tradition hin-
doue, en tant qu’elle représente I’héritage le plus direct de
la tradition primordiale, et 1a tradition islamique, en tant
que « sceau de la Prophétie » et, par conséquent, forme ultime
de Vorthodoxie traditionnelle pour le cycle actuel.
René Guéxon.
19
Sebuon, Le Sacrifice (av avril 1988, p. 187, note 2).