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Antiquité Classique

UN OUVRAGE RÉCENT SUR LE JUGEMENT D'EXISTENCE CHEZ ARISTOTE


Author(s): Jeanne Croissant
Source: L'Antiquité Classique, T. 16, Fasc. 2 (1947), pp. 337-344
Published by: Antiquité Classique
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41643078
Accessed: 27-06-2016 03:52 UTC

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UN OUVRAGE RÉCENT SUR

LE JUGEMENT D'EXISTENCE CHEZ ARISTOTE

par Jeanne Croissant

En accordant son attention au jugement d'existence chez Aristote,


Mlle Suzanne Mansioni1) a traité d'un aspect de la pensée aristotéli-
cienne qui touche aux articulations mêmes de la théorie dela science
et qui permet de préciser la forme que prend le réalisme aristotélicien
dans la conception du savoir. L'un des problèmes majeurs qu'Aris-
tote avait à résoudre pour assurer la cohérence de sa philosophie
était en effet, comme le note l'auteur dans son Introduction, d'assu-
rer à une conception du savoir qui garde dans sa forme tous les ca-
ractères de la conception platonicienne, un statut réaliste qu'en toute
rigueur elle ne devrait tenir que du contact avec l'être individuel,
objet de notre expérience. La référence à l'existence s'insère donc au
point le plus délicat de ce qu'on a appelé le dilemme aristotélicien.
Pour en préciser la forme et la portée, Mlle Mansion a repris d'en-
semble l'examen de la théorie aristotélicienne de la science. Elle con-
sacre d'abord une série de chapitres aux caractères généraux de la
connaissance scientifique : connaissance par la cause, connaissance
de l'essence, du nécessaire, de l'universel, lin chapitre sur la con-
naissance d'opinion complète cet exposé préparatoire où l'auteur
trouve l'occasion d'une mise au point des interprétations antérieures,
qu'elle approfondit ou rectifie. C'est ainsi qu'elle discute longuement
l'étude consacrée par Léon Robin à la conception aristotélicienne de
la causalité. Tout en rendant hommage à sa valeur, elle s'efforce de
justifier Aristote du reproche de logicisme que l'historien français
fait à cette conception. On concédera d'autant plus facilement à
Mlle Mansion le bien-fondé de son opposition aux conclusions der-
nières de Mr Robin que celui-ci ne les a pas reprises dans le très
beau livre qu'il a consacré à Aristote en 1944 (2). L'interprétation

(1) Le jugement ďexistence chez Aristote , (Aristote, Traductions et Études,


Collection publiée par l'Institut Supérieur de Philosophie de l'Université de
Louvain), Louvain-Paris, 1946, xiii-305 p.
(2) Leon Kobin, Aristote , Collection Les grands phillosophes , Paris, Presses
Univ. de France, 1944, p. 90 s.
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nouvelle et profonde qu'il y propose de Individuation par la forme


fait échapper la position aristotélicienne à l'écueil de ramener la
causalité à l'action logique d'un universel. L'aristotélisme cesse ainsi
d'apparaître ce qu'il était pour Mr Robin en 1910 : un platonisme
honteux et moins cohérent. Ce point important mis hors cause, sur
quoi porte encore le désaccord entre l'interprétation de Mr Robin
et celle de Mlle Mansion ? Cette dernière met bien en évidence que la
cause qui intervient dans le syllogisme est toujours la cause formelle,
le moyen ayant pour fonction de fonder en raison la conclusion.
Mais elle pense en même temps que cette conception de l'intelligibi-
lité n'empêche nullement les diverses formes de la causalité, la causa-
lité matérielle ou motrice aussi bien que la causalité formelle, de
garder leur spécificité quand elles interviennent comme moyen ter-
me dans le syllogisme. Et elle cite à ce propos l'exemple d'un syllo-
gisme où le moyen terme est cause motrice : la démonstration que la
cause des guerres médiques fut l'agression d'Athènes contre Sardes.
Dans ce cas, dit-elle, le moyen terme « premiers envahisseurs » garde
bien son caractère de cause motrice par rapport à son effet « s'attirer
la guerre» et cependant dans le syllogisme le moyen-cause reçoit
le majeur-effet comme attribut nécessaire. Cela est vrai mais qu'en
faut-il conclure? C'est que la relation concrète entre cause et effet
n'est pas l'objet de la démonstration. La démonstration d'Aristote
revient à subsumer un cas particulier sous la loi générale qui veut
que les premiers envahisseurs attirent sur eux la guerre. Sur le plan
de la science l'intelligibilité de P effet est atteinte par son inclusion
dans un universel. Non certes qu'Aristote ait manqué du sens de
la causalité réelle : nul peut-être mieux que Mr Robin ne Fa mis
en lumière en signalant qu'à côté de la causalité analytique qui a
retenu particulièrement son attention, parce qu'elle coïncidait exacte-
ment avec sa conception de l'intelligibilité, Aristote a reconnu l'exis-
tence d'une causalité rebelle à la déduction, parce que purement con-
statable. Telle est la causalité motrice qui a déclenché les guerres
médiques, ou encore celle qui produit l'éclipsé de lune. Mais cette cau-
salité synthétique opposait à l'esprit analytique de la science et c est
la raison des bizarreries que nous constatons dans les syllogismes
qui prétendent la refléter : ou la cause efficiente est transformée en
cause formelle et la déduction illusoire, comme dans le cas de Féclipse,
ou la relation concrète n'est conservée que comme le témoin d'une
relation conceptuelle, comme dans l'exemple ci-dessus. Dans chaque
cas, il y a bien passage d'un point de vue synthétique à un point de
vue analytique, puisqu'il y a passage du plan de la constatation à
celui de la déduction. Mlle Mansion ne le concèderait-elle pas, une
fois écartées les « conclusions exagérées » qu'en tirait jadis Mr Ro-
bin?
Ces aspects délicats de la conception aristotélicienne de la science
sont d'autant plus importants à signaler qu'ils manifestent mieux
l'objet de la connaissance scientifique, laquelle ne porte jamais sur
des faits comme tels. C'est ce que MUe Mansion souligne à maintes

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reprises au cours de son exposé et dès le chapitre 2, consacré à la


science comme connaissance de l'essence. Les problèmes ultimes
posés par la connaissance de l'essence ne peuvent être résolus dans
cet exposé introductif. L'auteur les indique en passant et insiste
surtout sur les acceptions étendues que prend la notion d'essence,
du fait qu'elle s'appliqua à toute modalité d'être susceptible de dé-
finition, qu'elle soit ou non substantielle. Nous retrouvons ici le
cas de l'éclipsé, phénomène éminemment accidentel, doté cependant
d'une essence par Aristote, Cet emploi étendu d'une notion origi-
nairement liée à celle de substance trouve sa justification dans sa
liaison d'une part avec la .cause-raison, d'autre part avec les caractères
de nécessité et d'universalité qui distinguent la connaissance scien-
tifique.
A propos de la science comme connaissance du nécessaire, Mlle
Mansion note excellement les ambiguïtés de la pensée d'Aristote :
confusion de la nécessité logique et de la nécessité réelle, insuffisance
du critère de l'éternité pour définir la nécessité réelle. Cette récipro-
cité de l'éternel et du nécessaire obligeait Aristote à s'expliquer sur
l'espèce d'éternité qu'il reconnaissait au devenir et, pour éviter l'autre
obstacle qu'opposerait pour lui à son intelligibilité l'infinité de ter-
mes d'un devenir éternel, à considérer la permanence des caractères
spécifiques dans les générations successives comme un équivalent
du caractère circulaire que doit revêtir le devenir pour être pleinement
nécessaire. La même conception de l'intelligibilité conduit Aristote
à négliger les déterminations mécaniques qui vont d'antécédent à
conséquent pour ne retenir que la nécessité qui relève de la fin, né-
cessité d'ailleurs mal explicitée mais qui a pour effet d'établir une
continuité dans le devenir. Cette nécessité n'est elle-même envisagée
qu'indépendamment des générations individuelles, soumises à la con-
tingence. Il est curieux de lire les textes où Aristote établit l'absence
de nécessité des rapports d'antécédent à conséquent en se référant à
l'éternité de durée que cette nécessité attribuerait arbitrairement au
conséquent. Suffirait-il cependant que fussent mieux distinguées
l'éternité logique et l'éternité réelle, comme la nécessité logique et
la nécessité réelle, pour que la conception aristotélicienne de la science
atteigne sur ce point à la cohérence? Mlle Mansion semble l'indiquer
en conclusion (p. 93). Elle avait cependant remarqué plus haut
(p. 85) que la confusion du logique et du réel dans la conception
de la nécessité n'est pas chez Aristote simple « inadvertance », qu'elle
est « sous-jacente à toute sa conception de la nécessité». Ce juge-
ment, bien plus que la conclusion plus optimiste qui le corrige, me pa-
donner la note juste. Sans doute, l'élaboration de la notion de néces-
sité révèle une confusion qu'on pourrait imaginer moins grave. Mais
le réalisme d'Aristote est trop archaïque pour se satisfaire d'une né-
cessité limitée aux rapports entre concepts. La nécessité logique n'a
de valeur pour lui que parce qu'elle traduit une nécessité réelle,
c'est-à-dire une nécessité d'existence. En cela c'est à Parménide
qu'au delà de Platon il se rattache. Au chapitre sur l'universel, l'au-

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teur s'attache à montrer que le point de vue de la compréhension et


celui de l'extension, loin de trahir une dualité de tendance dans
l'usage de l'universel, sont au contraire étroitement solidaires, liés
qu'ils sont au caractère conceptuel de la science.
Mais voyons quand et comment apparaît dans l'édifice de la science
la référence à l'existence, objet précis de *cet ouvrage. La science
aristotélicienne ayant expressément un caractère réaliste, la réfé-
rence à l'existence doit être présente à la fois au niveau des princi-
pes et au niveau de la démonstration. MUe Mansion reprend donc
l'examen de ces deux organes de la connaissance scientifique dont
l'exposé de base est contenu dans les Sec. Anal ., tâche difficile, parce
que la conception de la structure de la science s'y exprime confusé-
ment, par rectifications successives. Gela est vrai surtout de la
théorie des principes, traitée au début du 1. I mais de telle manière
que Mlle Mansion conclut justement, après une minutieuse analyse,
qu'on ne parvient pas, sur ces bases, à se faire une idée exacte de la
fonction des principes. De fait le 1. II réexamine à nouveau la théorie
de la définition qui se trouve en fin de compte absorber la fonction
dévolue d'abord à l'hypothèse. Dans cette théorie de la définition,
qu'Aristote a eu tant de peine à mettre sur pied, Mlle Mansion se
trouve au cœur de son sujet. La démonstration, en effet, ne pose au-
cun problème spécial quant à sa réalité, du moins la démonstration
type, qui consiste à rattacher à un sujet, supposé existant, l'une ou
l'autre de ses propriétés nécessaires. Mlle Mansion dégage à vrai
dire un second type de démonstration, où l'affirmation d'existence
est l'objet même du syllogisme, puisque sa conclusion porte sur
l'existence du sujet. Ce second type de démonstration, dont l'exem-
ple est fourni par l'éclipsé de lune, est d'un intérêt très grand pour
l'objet du présent ouvrage, puisqu'il permet de préciser que l'exis-
tence n'est pas atteinte dans la démonstration comme un fait concret
mais légitimée par les caractères qui explicitent l'essence, autrement
dit que l'existence ne se laisse appréhender scientifiquement qu'à
travers l'essence. C'est là un point fondamental, qui découle directe-
ment de la conception aristotélicienne de la science et qui fournira à
Mlle Mansion l'une de ses conclusions générales. Mais l'intérêt de ce
second type de démonstration n'est pas seulement de nous montrer
comment s'opère, dans un cas particulièrement révélateur, le con-
tact avec le réel. Il est aussi et sans doute plus encore dans l'usage
qu'en fait Aristote pour éclaircir les rapports entre la définition et la
démonstration, ou les moyens de connaître l'essence.
Au livre I, Aristote avait exposé une théorie des principes inspirée
de la géométrie: sur son modèle, il avait tenté d'appliquer à une
science générale du réel les trois sortes de principes posés par la géo-
métrie: axiomes, hypothèses, définitions. Avec sagacité, Mlle Mansion
suit en le clarifiant l'exposé ď Aristote. Elle expose sans l'épuiser
le problème de la saisie des principes, capital pour l'interprétation
de Sec. Anal. II mais extérieur à l'objet qu'elle s'est assigné, et elle
s'efforce de dégager après le rôle des axiomes (à leur propos, Aristote

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entend existence au sens de vérité) celui qui e assigné à la définition


et à l'hypothèse, la première disant ce qu'est une chose, portant donc
sur F essence, la seconde posant qu'une chose existe, portant donc sur
l'existence. Fonction dont la distinction est bien délibérée puisqu' Aris-
tote a affirmé dès le début « autre chose est de dire ce qu'est une
chose, autre chose le fait que cette chose existe ». Mais comment
l'hypothèse et la définition peuvent-elles garder dans l'exercice de
leur fonction de principe et dans leur constitution même la distinc-
tion ainsi établie entre elles? Comment la définition peut-elle requérir
seulement d'être comprise et prononcer sur l'essence d'une chose
dont on ne sait pas si elle existe? Gomment l'hypothèse, jugement
d'existence, pourrait-elle être prémisse d'un syllogisme dont le moyen
terme ne peut être qu'une essence? Telles sont les questions judicieu-
sement soulevées par Mlle Mansion : elles explicitent l'embarras où
reste au 1. 1 la théorie aristotélicienne des principes dont on voit
sans peine la convenance très imparfaite avec la conception aristo-
télicienne de la science. Ce qu'on voit sans peine aussi, et que Mlle
Mansion aurait dû relever, c'est la raison de cette discordance, qui
tient à ce qu'Aristote s'est borné à décalquer dans son premier exposé
la théorie géométrique des principes, où la définition est en fait une
définition nominale, immédiatement claire, où elle est suivie d'une
hypothèse qui établit par la construction la réalité de son contenu.
Il semble donc qu'Aristote n'ait pas aperçu d'emblée ce qui séparait
une science comme la géométrie, même étroitement liée à l'intuition
comme la géométrie grecque, de la science du réel dont il voulait
construire à son image l'appareil déductif. Cette différence se mar-
que sur deux points qui tous deux concernent la définition : le pre-
mier est que la définition, englobant tout le domaine des essences,
requiert à lá fois une méthode d'élaboration et une garantie de légi-
timité ; le second, qu'elle ne peut plus se concevoir indépendamment
d'une affirmation d'existence qu'elle doit contenir au moins implici-
tement et qui doit assurer son caractère de définition réelle.
L'objet du livre II des Sec. Aneti, e st de préciser sur ces deux
points l'exposé du 1. 1, encore que le texte assez embarassé d'Aristote
ne les distingue pas clairement et que le travail de l'exégète soit ici
particulièrement délicat. Préoccupée des rapports entre l'essence et
l'existence dans la pensée d'Aristote, Mlle Mansion ne mentionne pas
le premier problème (*), qui n'intéresse son sujet que dans la mesure
où les deux problèmes interfèrent et c'est la solution du second qu'elle
trouve dans la théorie du syllogisme de l'essence qui clôt le long
débat aporétique sur les rapports entre définition et démonstration.
Son point de vue, quoique partiel, est évidemment exact. Il s'appuie

(1) Cf. le résumé de ma communication au IIIeCongrès des Sociétésde


philos, de langue française, Sur la théorie de la définition dans les Seconds
Analytiques, dans Actes de II Ie Congrès des Sociétés de philosophie delanguç
française, Bruxelles-i, ouy^in, 1947, p. 225-228»

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sur le chapitre entre tous épineux mais suffisamment clair dans son
intention générale, de Sec . Anal . II, 7, où Aristote réclame pour la
définition une garantie expresse de réalité et critique à cette occa-
sion la définition géométrique, sur le fait ensuite que le syllogisme
de l'essence destiné à résoudre les difficultés de la définition trouve
son illustration dans la démonstration de l'éclipsé de lune, dont
Mlle Mansion a montré qu'elle est une démonstration de l'existence
par l'essence. Il semble donc probable qu' Aristote ait considéré que
l'un des bénéfices du syllogisme de l'essence était d'assurer l'exis-
tence du défini, afin que la définition échappe au défaut de la défi-
nition nominale. Si cependant dans ce long débat Aristote se montre
préoccupé avant tout de la démonstration de l'essence, cela tient,
d'après l'exposé de Mlle Mansion, au caractère de la démonstration
d'existence qui s'opère grâce à un moyen terme exprimant la quiddité
du sujet, de sorte qu'elle fonde l'existence sur l'essence et apparaît
comme une démonstration de l'essence (p. 174). C'est pourquoi le
problème qui consiste à rendre la définition féconde en lui adjoignant
un jugement d'existence, de telle manière qu'elle devienne une défini-
tion réelle (p. 183), se trouve résolu par la théorie du syllogisme de
l'essence qui conclut le débat sur la démonstration de l'essence.
Et si ce débat s'est institué c'est, pense Mlle Mansion, en liaison di-
recte avec l'exposé par Aristote du second type de démonstration,
en Sec. Anal . II, 2, dont les caractères précités se heurtaient à de
« graves difficultés » et obligeaient Aristote à poser le problème de la
connaissance de l'essence et des rapports entre définition et démonstra-
tion. Rien n'est certes plus délicat que de tirer au clair la composi-
tion du 1. II. Je crois cependant que le sujet que s'est fixé Mlle Man-
sion a eu pour effet de lui masquer la ligne directrice de ce livre et
qu'en découvrant dans l'exemple de l'éclipsé cité par Aristote au
ch. 2 un second type de démonstration - ce qui est certes légitime
et très intéressant pour la théorie de la démonstration - elle a été
amenée à considérer le livre tout entier comme un traité de la dé-
monstration (p. 211) et le débat sur les rapports entre définition
et démonstration comme un appendice à ce second type de démon-
stration (p. 175). De sorte que par surcroît seulement la théorie
des princpes exposée au 1. I se serait trouvée éclaircie et rectifiée.
Or il me semble que tel n'est pas le véritable ordre des problèmes
dans le livre II, qui me paraît dominé par le problème de la définition.
Cette question a son importance car elle retentit sur la portée que
nous attribuerons à tel moment de l'argumentation d'Aristote et
finalement à la signification tout entière du livre. Je crois notamment
que l'intérêt porté par Mlle Mansion à la « démonstration d'existence »
a eu pour résultat de lui faire dépasser les intentions d'Aristote dans
les deux premiers chapitres. Non seulement la conclusion qu'elle
en tire quant à l'application de la démonstration d'existence me
paraît prématurée en ce qui touche les sujets derniers, mais je doute
pour ma part que l'intention d'Aristote, dans ces deux chapitres,
ait été de dégager les caractères d'un type de démonstration quelque

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UN OUVRAGE SUR LE JUGEMENT D'EXISTENCE CHEZ ARISTOTE 343

peu différent de la démonstration des propriétés nécessaires. Je crois


qu'il voulait seulement établir, en vue de préciser la théorie de la
définition, que toute connaissance non immédiate, toute recherche
discursive, porte sur la recherche d'une cause, qu'elle vise à expliciter
une essence ou à expliquer un fait ou une propriété (cf. sa conclu-
sion au ch. 2, 90 a 32 s.) De sorte que, d'une manière tout à fait
générale et qui ne vise pas seulement le second type de démonstra-
tion, l'objectif de la définition se trouvait rapproché de celui de la
démonstration. Bien entendu l'analyse de Mlle Mansion au sujet
de l'équivalence du ri êan et du ôià ri èan garde toute sa valeur
littérale, ainsi que les conclusions qu'elle en tire sur les rapports
entre l'essence et l'existence. Mais l'interprétation plus modeste que
je propose du contenu de Sec. Anal. II, 1-2 me paraît non seulement
introduire à une interprétation en réalité plus complète du 1. II
(les deux problèmes mentionnés ci-dessus, p. 341 y sont contenus en
germe) mais éviter l'embarras où se trouve en fait Mlle Mansion
pour y rattacher le débat sur les rapports entre définition et démon-
stration qui s'ouvre avec le ch. 3. Car ce débat découlant directement
des deux premiers chapitres cesse d'apparaître, fût-ce à première vue,
comme une digression. L'on s'évite aussi d'anticiper sur un problème
qui ne se posera qu'au cœur même de l'aporie sur l'essence en ratta-
chant à la démonstration esquissée de l'éclipsé de lune, pour laquelle
elles ne se posent pas, les difficultés que rencontre la démonstration
de l'essence. Car - je m'excuse de me répéter - supposer acquise
dès le ch. 2 l'application aux substances de la démonstration d'exis-
tence, c'est tenir pour établi ce qui va faire l'objet d'un examen com-
pliqué, c'est faire trop bon marché de tout ce qui différencie un phéno-
mène démontrable d'une substance définissable. On ne fera pas
grief à Mlle Mansion de n'avoir pas vu que les trois premiers chapitres
du débat sur la démonstration de l'essence (II, 3 à 6) ressortissent au
premier aspect du problème de la définition (cf. supra, p. 341) plutôt
qu'au second. Pourtant la place qu'ils tiennent dans l'argumentation
d'Aristote nous confirme dans l'idée que ce point de vue l'emporte
dans ses préoccupations et que le syllogisme de l'essence n'est que
secondairement pour lui une démonstration d'existence. N'oublions
pas, d'ailleurs, que le terme de démonstration, qu'il vise l'existence
ou l'essence ou les deux à la fois, doit être mis entre guillemets cha-
que fois qu'on l'applique aux substances, puisqu'Aristote est resté
fermement attaché à l'indémontrabilité de l'essence et qu'il a qualifié
de logique ou dialectique le syllogisme de l'essence. Répondant aux
objections qui ont été faites à cet ultime effort d'Aristote pour va-
lider la définition, Mlle Mansion défend son applicabilité aux sub-
stances et il est certain que telle était l'intention d'Aristote. Mais,
même en écartant la question de savoir si la théorie d'Aristote
résout efficacement les difficultés de la définition, il reste à se de-
mander si la réserve faite par Aristote en qualifiant de logique le
syllogisme de l'essence - réserve qui vise le fait que la décompo-
sition de l'essejiçe en un aspect formel et un aspect matériel ne cor

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respond pas à une distinction réelle - autorise à considérer l'ana-


lyse de l'essence que reflète le syllogisme comme une « authentique
déduction » (p. 203). On inclinerait à croire qu'ici aussi Mlle Mansion
est en quelque sorte plus royaliste que le roi car authentique déduc-
tion signifie démonstration parfaitement régulière, conclusion à la-
quelle Aristote s'est toujours défendu de souscrire. Tout bien pesé,
l'on se demande en fin de compte si ce syllogisme logique ajoute
vraiment quelque chose sous le rapport de l'existence à la prise de
contact empirique qui précède la définition. Mais cette théorie est si
embarrassante à force d'être embarrassée qu'on ne peut se décider à
affirmer.
Au reste, nous souscrirons entièrement aux conclusions générales
de Mlle Mansion, qui restent dans leur forme littérale en deçà de
certaines de ses positions particulières. Nul doute qu'une référence
à l'existence ne soit contenue, pour Aristote, en chaque jugement
de science, qui leur donne leur consistance. (La question qui reste
discutable, après la présente étude, est de savoir si l'appréhension
de l'existence précède seulement le travail de la définition et reste
ainsi sur le plan empirique ou si elle est susceptible d'une justifica-
tion scientifique). Nul doute aussi que cette existence qui assure
la réalité de l'essence ne soit l'existence concrète des êtres individuels,
mais « prise à l'état abstrait et indéterminé », et que cette concep-
tion réaliste de la science ne soit parfaitement cohérente avec la
conception aristotélicienne de l'être.
Les remarques que nous a suggerées la lecture de l'ouvrage de
Mlle Mansion portent témoignage de l'intérêt qu'il présente pour la
connaissance d'Aristote. Le sujet qu'il traite n'avait jamais été
abordé pour lui-même. Il exige une familiarité très grande avec la
pensée aristotélicienne et une analyse serrée des textes où l'auteur
a fait preuve de précieuses qualités d'exégète. C'est le destin le
plus heureux d'un livre de soulever des discussions et je souhaite
que le présent ouvrage, grâce auquel son jeune autour vient de
prendre rang parmi les historiens de l'aristotélisme, en fasse naître
de nombreuses et de fécondes. Il fait honneur à Mlle Mansion et aux
traditions aristotéliciennes de l'école de Louvain, qu'entretient avec
maîtrise Mr le Chanoine Mansion.

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