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Galilée, dans un texte superbe, avait suggéré qu’il était impossible pour le
voyageur enfermé dans la cabine d’un bateau de savoir si le navire
avançait sur une mer calme ou s’il était immobile. Aujourd’hui, comment
estimer la vitesse d’un avion sans regarder par un hublot ? L’eau s’y verse
dans le verre comme au sol, lequel sol est néanmoins entraîné à près de
30 kilomètres par seconde autour du Soleil !
Ces constatations fondamentales portent le nom de « principe de
relativité ». Enoncé par Galilée dans le cadre de la mécanique classique,
Einstein, après Poincaré, va reconnaître dans son article
« Électrodynamique des corps en mouvement », publié en 1905, que ce
principe s’étend aux phénomènes électromagnétiques et à la lumière. Il
l’érige en postulat et, poursuivant sa démarche, va bouleverser la
physique de son temps. Il crée ce qui sera nommé a posteriori la « théorie
de la relativité restreinte ».
Son article contient deux parties distinctes : l’une (« Partie cinématique »)
dans laquelle il opère une révision complète des notions d’espace et de
temps ; l’autre (« Partie électrodynamique ») dans laquelle il en analyse
les conséquences sur l’électromagnétisme. Suivons pas à pas le grand
homme dans son œuvre révolutionnaire, en nous attachant en particulier
à cette seconde partie si oubliée des articles concernant la relativité.
Transformer l’espace-temps
Les notions de temps et d’espace sont si profondément ancrées en nous
qu’il nous est difficile de les remettre en cause lorsqu’il faut aller contre
notre perception intuitive. C’est pourtant ce à quoi nous invite Einstein
dans sa première partie, brièvement résumée ici 4 .
Il commence par définir avec précision ce qu’il entend par référentiel : il
s’agit d’un « solide », c’est-à-dire d’un ensemble de points immobiles les
uns par rapport aux autres, munis d’horloges synchronisées les unes avec
les autres (c’est-à-dire possédant une origine des temps communes).
Pour se repérer dans cet espace, nul besoin de règles graduées : il suffit
d’échanger des signaux lumineux et de mesurer des durées avec des
horloges. Le lecteur reconnaîtra ici le principe de la localisation par
satellite, le système GPS. Einstein prend bien soin d’expliciter comment
synchroniser deux horloges entre elles avec de la lumière pour montrer
immédiatement après pourquoi, en vertu de l’invariance de la vitesse de la
lumière, la notion de simultanéité est relative à un référentiel : « Nous
voyons que nous n’avons pas le droit d’attribuer une signification absolue
au concept de simultanéité, et que deux événements qui, du point de vue
d’un système de coordonnées, sont simultanés, ne peuvent plus être
considérées comme des événements simultanés lorsqu’ils sont vus d’un
autre système de coordonnées en mouvement relativement au premier. »
Il s’ensuit alors un paragraphe technique et difficile où Einstein établit, à
partir des deux postulats, les lois de transformations entre les
coordonnées spatio-temporelles de deux référentiels en translation
uniforme l’un par rapport à l’autre à la vitesse V le long d’un axe, désigné
par X dans toute la suite. Ce changement de référentiel sera le seul
considéré par Einstein dans tout son article et les formules qui en
résultent portent le nom de transformation spéciale de Lorentz. En effet,
Einstein ne fait que retrouver des relations anciennes, déjà données par
plusieurs auteurs comme Lorentz ou Poincaré. Il est cependant le premier
à les accepter pour ce qu’elles sont : un abandon de l’espace-temps
absolu de Newton.
Einstein donne ensuite les interprétations physiques des équations
obtenues. Elles sont au nombre de trois. La première est que « si deux
horloges synchrones se trouvent en A et que l’on déplace l’une d’entre
elles à vitesse constante le long d’une courbe fermée jusqu’à ce qu’elle
soit revenue en A […], cette horloge, à son arrivée en A, retarde […] sur
l’horloge qui n’a pas bougé ». Il s’agit de la dilatation des temps : la durée
mesurée en suivant le mouvement, ce que les physiciens appellent le
temps propre, est toujours plus faible que la durée mesurée dans un
référentiel fixe. Cet effet fait intervenir la fonction
Transformer la lumière
Qu’est-ce que la lumière ? C’est d’abord ce qui nous permet de voir le
jaune du Soleil au zénith ou le bleu de Klein. Il a fallu attendre Maxwell
pour que l’homme en découvre la nature et l’identifie à une onde
électromagnétique, c’est-à-dire aux oscillations couplées d’un champ
électrique et d’un champ magnétique. Maxwell avait fondé sa découverte
en modifiant la loi d’Ampère 5 pour exprimer qu’un champ électrique
variable avec le temps engendre un champ magnétique dans tout
l’espace, une idée tout à fait nouvelle pour ses contemporains. Cela
constitue le pendant de la loi de Faraday sur l’induction, où les variations
temporelles du champ magnétique induisent un champ électrique.
Comme l’espace et le temps ont perdu leur caractère absolu, il est naturel
de se demander quelles en sont les conséquences sur
l’électromagnétisme. C’est ce à quoi s’attache Einstein dans sa seconde
partie, la « Partie électrodynamique ».
Il commence par l’établissement des formules de transformation du
champ électrique et du champ magnétique lors d’un changement de
référentiel (semblable à celui de la partie précédente). Pour cela, Einstein
revient à son premier postulat : « [...] le principe de relativité exige que les
équations de Maxwell-Hertz dans l’espace vide soient également valables
dans le système [...] en mouvement, si elles le sont dans le système [...] »
au repos. En utilisant la transformation spéciale de Lorentz, il en déduit
les formules :
et
Einstein conclut son article par des prédictions très simples sur les
caractéristiques du mouvement de l’électron, de charge (-e). Deux doivent
retenir notre intention. La première est la relation « entre la différence de
potentiel parcourue et la vitesse u acquise par l’électron [...] » que nous
écririons aujourd’hui (-e) f = Ec. Cette relation a été testée par Bertozzi
en... 1964, en accélérant sous plusieurs millions de volts des électrons !
Énergie cinétique.
L’achèvement
Ainsi se finit notre voyage dans les traces d’Einstein. En cours de route,
nous avons remis en cause les conceptions de Newton sur l’espace et le
temps, modifié les lois de la dynamique des corps et avons définitivement
confondu champ électrique et champ magnétique en une entité unique, le
champ électromagnétique. Aujourd’hui, rien n’est à retrancher de cet
article qui constitue toujours une précieuse et pédagogique introduction à
la relativité. Dans une brève note publiée trois mois après l’article sur la
relativité, Einstein parachèvera son œuvre en énonçant la formule de
physique sans doute la plus célèbre de tous les temps : E = mc².
Édouard KIERLIK,
maître de conférences à l'université Pierre-et-Marie-Curie
© SCÉRÉN - CNDP
Créé en mars 2005 - Actualisé en mars 2006. Tous droits réservés.
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