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LE
DROIT
MARITIME
FRANÇAIS
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LE DROIT MARITIME FRANÇAIS
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LE DROIT MARITIME FRANÇAIS
Sommaire du n° 669 - Avril 2006
NAVIRE - TRANSPORT MARITIME - GENS DE MER
DOCTRINE
Sûreté maritime : Bilan et perspectives du Code ISPS
Par Pascal POLERE.....................................................................................274
JURISPRUDENCE FRANÇAISE
Abordage
Abordage : une mesure de sécurité n’est pas une faute
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MARSEILLE, 8 JUIN 2004
Navire Kalliste
Obs. Philippe DELEBECQUE ....................................................................284
Affrètement au voyage
Quels sont le sens et la portée de la clause « free in custom of the
port quai fournisseur / liner out » ?
COUR D’APPEL DE PARIS (5ème Ch. sec. A), 26 JANVIER 2005
Navire Trade Swan
Obs. Yves TASSEL ......................................................................................289
Arbitrage
Echec d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale
COUR D’APPEL DE ROUEN (2ème Ch. civ.), 8 SEPTEMBRE 2005
Obs. François ARRADON...........................................................................297
Manutention
Domaine d’application, portée et caducité de l’interruption de pres-
cription liée au référé expertise, au référé provision et à la reconnais-
sance du droit de celui auquel on oppose la prescription
COUR D’APPEL DE VERSAILLES (12ème Ch. sec. 2), 14 AVRIL 2005
Obs. Yves TASSEL ......................................................................................302
Navire - Quirat
Des conditions de prise de décisions dans les copropriétés quira-
taires ou l’histoire de quirataires qui ratèrent leur appel de fonds
COUR D’APPEL D’ORLEANS (Ch. sol.), 9 DECEMBRE 2005
Navire Sarabande
Obs. Antoine VIALARD .............................................................................314
Transport - Droit applicable
De l’office du juge quant à la preuve de la loi étrangère
COUR DE CASSATION (Ch. com.), 28 JUIN 2005
Navire MV Chang-Er
Obs. Martine REMOND-GOUILLOUD.....................................................321
SOMMAIRES
COUR D’APPEL DE PARIS, 26 NOVEMBRE 2003 ...............................328
COUR D’APPEL DE ROUEN, 25 NOVEMBRE 2004.............................328
COUR DE CASSATION, 16 NOVEMBRE 2004......................................329
BIBLIOGRAPHIE
« Droit des transports » par Ch. PAULIN
Recension Yves TASSEL.............................................................................339
LEGISLATION
Au « Journal officiel » de janvier et février 2006
« République française » et « Union européenne » ................................365
Tous droits de reproduction même partielle, par quelque procédé que ce soit,
réservés pour tous pays. © Copyright by Lamy S.A., Paris, 2006
DOCTRINE
Sûreté maritime :
Bilan et perspectives du Code ISPS
par
Pascal POLERE
Docteur en Droit
Avocat au barreau de Paris
Voici déjà plus d’un an que les dispositions du code international pour la sûreté
des navires et des installations portuaires (1), dit code ISPS (2), sont entrées en
vigueur (3). Ce code vise à renforcer la sûreté du transport maritime et à établir un
régime de coopération internationale entre les Etats, les acteurs du transport mariti-
me et l’industrie portuaire.
En effet, la communauté maritime est, plus que jamais, soucieuse des risques qui
pèsent sur le transport par mer : les actes de piraterie perdurent malgré les mesures
prises (4), la menace terroriste progresse et se précise (5). Aujourd’hui, les navires
sont non seulement des cibles idéales, mais peuvent aussi constituer des vecteurs
d’attentats terroristes pour des actions spectaculaires (6). Suite aux tragiques atten-
tats perpétrés contre le World Trade Center le 11 septembre 2001, la communauté
internationale (7) a pris conscience de la nécessité urgente de développer une coopé-
ration entre les Etats pour la mise au point et l’adoption de nouvelles mesures pra-
(1) Code ISPS : International Ship and Port Facility Security Code.
(2) Le code ISPS, tel qu’adopté à Londres le 12 décembre 2002 par la résolution 2 de la Conférence des Gouvernements
contractants à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS,
Safety Of Life At Sea), consiste en une partie A dont les dispositions sont obligatoires et en une partie B dont les dispo-
sitions sont des recommandations.
(3) Entrée en vigueur le 1er juillet 2004. – Le décret n° 2004-290 du 26 mars 2004 porte application des amendements à
l’annexe à la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer.
(4) Cf. POLERE P., « La piraterie maritime aujourd’hui », DMF mai 2005, n° 659, p. 387 et s.
(5) Notamment les attaques de l’USS Cole en octobre 2000, du pétrolier français Limburg en octobre 2002 au large du
Yémen et celle d’avril 2004 contre le terminal pétrolier de Bassora en Irak.
(6) Explosion d'un pétrolier, d'un gazier ou d'un chimiquier dans un port ; blocage de l'entrée d'un grand port commer-
cial vital pour une région ou un pays. Sont particulièrement concernés à terre les terminaux pétroliers, gaziers, chimi-
quiers, zones de stockage et tours de contrôle portuaires. Voir ROCHE M., « Tankers et cargos sont les cibles de nou-
velles menaces terroristes », Le Monde, 28 novembre 2003.
(7) Résolution 1373 (2001) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 28 septembre 2001 et par laquelle il
invite les Etats à prendre des mesures pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme et leur demande d’appliquer inté-
gralement les conventions sur la lutte contre le terrorisme. – Action coopérative du G8 sur la sécurité dans les transports
(section portant sur la sécurité maritime) approuvée par les dirigeants du G8 au Sommet de Kananaskis, les 26 et
27 juin 2002. – Résolution A.924 (22) « Examen des mesures et procédures visant à prévenir les actes de terrorisme
qui compromettent la sûreté des passagers et des équipages et la sécurité des navires » adoptée par l’Assemblée de l’OMI
le 20 novembre 2001.
(8) Si une évaluation de la sûreté de l’installation portuaire a été effectuée par un organisme de sûreté reconnu, l’Etat
contractant sur le territoire duquel l’installation portuaire est située doit passer en revue cette évaluation et l’approuver
pour confirmer qu’elle satisfait aux prescriptions du Code.
(9) S’il a été décidé d’élargir la portée de la convention SOLAS de 1974 aux installations portuaires parce qu’il s’agis-
sait du moyen le plus rapide de garantir que les mesures de sûreté nécessaires entrent en vigueur et prennent effet promp-
tement, il a toutefois été décidé que les dispositions concernant lesdites installations se limitent aux seules interfaces
navire/port qui sont définies comme les interactions qui se produisent lorsqu’un navire est directement et immédiate-
ment affecté par des activités entraînant le mouvement de personnes, de marchandises ou la fourniture de services por-
tuaires vers le navire ou à partir du navire.
à grande vitesse à cargaisons, d’une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux
et même les unités de forage mobiles au large.
Les mesures de sûreté consistent essentiellement dans le marquage apparent et
permanent du numéro d’identification OMI du navire (10), l’installation d'un systè-
me d’alarme de sûreté (11) et l’établissement par l’administration de l’Etat du
pavillon d’une carte synoptique continue du navire permettant d’établir en quelque
sorte un dossier de bord des antécédents du navire (12). L'application du Code ISPS
à bord d'un navire consiste d'abord en une évaluation des risques en fonction du type
de navires, des cargaisons, de l’équipage et de son parcours, des menaces potentiel-
les contre les opérations essentielles de bord et leur probabilité de survenance.
L’évaluation des risques tient compte de différents paramètres, et notamment de l'in-
térêt que peut représenter le navire pour des pirates ou des terroristes éventuels
compte tenu de sa valeur propre, de celle de sa cargaison, de son équipage et de ses
passagers éventuels. Elle prend également en considération l’état des mesures et
procédures de sûreté déjà existantes (13) et les opérations essentielles de bord qu'il
est important de protéger. Cette évaluation globale des risques encourus par le navi-
re et l’équipage (14) effectuée par l'agent de sûreté de la compagnie (15) permet l’ar-
rêt des mesures de prévention et de sûreté selon un ordre de priorité par la compa-
gnie et l’établissement d’un plan de sûreté propre au navire (16) qui doit être approu-
vé par les autorités du pavillon qui délivreront un certificat international de sûreté
du navire (17) attestant de sa conformité au Code ISPS (18). Le certificat interna-
tional de sûreté du navire est délivré ou visé par l’administration, soit par un orga-
nisme de sûreté (19) reconnu agissant pour son compte, pour une période fixée par
l’administration, sans qu’elle puisse excéder cinq ans. Il est évident que le plan de
sûreté du navire (20) qui contient des informations sensibles pouvant être exploitées
par des terroristes ou des pirates doit être protégé contre tout accès ou toute divul-
gation non autorisée. Un agent de sûreté du navire (21) est désigné à bord de chaque
navire pour superviser la mise en oeuvre du plan de sûreté du navire et coordonner
les aspects liés à la sûreté de la manutention des cargaisons avec les agents de sûre-
té des installations portuaires. Il veille à prendre les dispositions en vue d’audits
internes et d’examens périodiques, d’inspections de sûreté et de vérifications de
(10) Parallèlement aux systèmes d’identification automatique (AIS, Automatic Identification System) rendus obligatoi-
res permettant une traçabilité matérielle permanente des navires.
(11) Le système permet au navire dont la sûreté est menacée de transmettre son alerte en toute confidentialité à une auto-
rité compétente.
(12) Notamment ses propriétaires inscrits successifs, son pavillon, sa classification, ses divers affréteurs.
(13) Procédures ISM existantes : contrôle de l’identité des membres d'équipage, des passagers ou visiteurs, procédure
d’alerte, gardiennage, rondes, utilisation des coffres.
(14) SSA, Ship Security Assessment.
(15) CSO, Company Security Officer.
(16) SSP, Ship Security Plan.
(17) ISSC, International Ship Security Certificate.
(18) Sur la question, voir infra.
(19) RSO, Recognised Security Organisation.
(20) SSP, Ship Security Plan.
(21) SSO, Ship Security Officer.
tielle d'une attaque et de ses conséquences éventuelles. Cela comprend une identifi-
cation et une évaluation des infrastructures et biens essentiels à protéger, des mena-
ces éventuelles et leur probabilité de survenance, l’identification des choix et le clas-
sement par ordre de priorité des contre-mesures et des changements de procédure
ainsi que leur degré d’efficacité pour réduire la vulnérabilité, l’identification des
points faibles, y compris les facteurs humains, de l’infrastructure, des politiques et
des procédures. Cette évaluation de la sûreté des installations portuaires permet de
désigner un agent de sûreté de l'installation portuaire (25) et d’établir son plan de
sûreté (26). A l’instar du plan de sûreté du navire, ce plan doit indiquer les mesures
minimales de sûreté opérationnelles que l'installation portuaire doit prendre en
niveau de sûreté 1 ainsi que les mesures de sûreté additionnelles ou renforcées obli-
gatoires en niveau de sûreté 2 ou 3 (27).
Selon l'OMI, au 1er juillet 2004, 86% des navires concernés étaient certifiés et 69%
des ports disposaient de plans de sûreté. Toutefois, il existait encore un décalage
entre les Etats (28), car à peine la moitié des ports maritimes africains étaient confor-
mes au Code ISPS et des ports des pays de l'Europe de l'Est et de Russie ne répon-
daient toujours pas à ses prescriptions (29). La difficulté de mise en place des
normes ISPS réside essentiellement dans leur coût. En effet, au titre des interroga-
tions les plus persistantes figurent celles du coût et du financement des mesures du
Code ISPS. Tout d’abord, parce que les mesures ont un coût qui n’est pas négligea-
ble même s’il semble éloigné du coût que pourrait générer un attentat ou une attaque
sur une cible maritime choisie.
3 - Le coût du Code ISPS
En 2003, un rapport de l'OCDE (30) détaillant les facteurs de risques et les réper-
cussions économiques des mesures de sûreté sur les transports maritimes concluait
que des attaques menées sur des terminaux portuaires pourraient avoir pour résultat,
à la suite des mesures de sûreté que seraient inévitablement amenées à prendre les
autorités, de paralyser largement le fonctionnement du transport maritime. Les coûts
de l'inaction seraient potentiellement considérables dans la mesure où un attentat de
grande envergure pourrait, selon l’OCDE, avoir pour résultat de bloquer le fonc-
tionnement du système des transports maritimes pendant plusieurs mois tandis que
dans la précipitation les Etats prendraient des mesures urgentes de sûreté pour y faire
face. De telles mesures pourraient être aussi bien radicales comme la fermeture tota-
le de certains ports, qu’inefficaces comme la multiplication des contrôles de mar-
chandises et l’allongement corrélatif des délais tant dans les ports de départ qu’à
(31) La majeure partie des coûts liés aux navires correspond aux dépenses en personnel d’encadrement et en équipe-
ments de sûreté.
(32) Par ailleurs, certaines mesures de sûreté présentent des avantages économiques directs pour le transport maritime
comme le raccourcissement des délais, l’accélération des temps de traitement, l’amélioration du contrôle des actifs, ou
encore la diminution des pertes dues aux vols et des rabais sur les primes d'assurance. Ainsi, le rapport de l’OCDE chif-
frait à 22,2 milliards de dollars US sur 20 ans les économies directes qui seraient réalisées par les importateurs améri-
cains grâce à un nouveau système électronique de gestion des manifestes de douane, et à 4,4 milliards de dollars US les
économies réalisées sur la même période pour l’Administration américaine.
(33) Avis n° 76 (2004-200) de M. REVET, op. cit.
(34) Notamment Code ISPS, Traité franco-britannique du Touquet du 6 février 2003.
de sa mission propre, aux contrôles sûreté des passagers. De telles dépenses sont
estimées à 29 millions d'euros en investissement et 25 millions d'euros en fonction-
nement.
L’idée d'une taxe de sûreté portuaire sur les passagers des ferries et les croisiéris-
tes dont le produit serait versé à l'Etat et affectée au financement des ports (de
2 euros par passager à 5 euros par véhicules) a ainsi été avancée.
Si l'élaboration de ces plans a déjà permis de renforcer nettement la collaboration
indispensable entre les exploitants des installations, les autorités portuaires et les
services de l'Etat (35), quelles sont les perspectives de l’application du Code ISPS ?
(35) Depuis mars 2004, le Premier ministre a demandé au Secrétariat Général de la Défense Nationale, en relation avec
le Secrétariat Général de la Mer, de conduire une réflexion en vue d'établir une doctrine nationale dans le domaine de la
sûreté maritime et portuaire. Il s'agit notamment d'élaborer une position française dans le cadre communautaire et inter-
national avec le souci de relier cette démarche avec le plan national de vigilance Vigipirate et sa transposition en mer
avec Vigimer. Les 3 niveaux de sécurité du Code ISPS seront ainsi adaptés aux cinq niveaux du plan Vigipirate (blanc,
jaune, orange, rouge et écarlate).
(36) MTSA, Maritime Transportation Security Act, novembre 2002.
(37) CSI, Containers Security Initiative.
(38) Notamment le Customs-Trade Partnership, C-TPAT (partenariat entre les services des douanes et du commerce pour
lutter contre le terrorisme).
(39) Les principaux ports partenaires volontaires sont Anvers, Bremerhaven, Felixstowe, Gênes, Göteborg, Halifax,
Hambourg, Hong-Kong, Marseille, Le Havre, Montréal, Rotterdam, Singapour, Pusan, Durban, La Spezia, Vancouver
et Yokohama.
(40) The 24 Hours Rule, octobre 2002 ; entrée en vigueur en 2003.
(41) Les marchandises en vrac « bulk cargo » sont toutefois exemptées de l’application de la règle.
supply chain de quelques jours. L’idée participe du concept selon lequel plus le
contrôle est exercé en amont de la chaîne logistique, plus la sûreté maritime est effi-
ciente. Le modèle américain séduit même en Europe puisque parmi les nouvelles
mesures envisagées, il convient de retenir celle de « gardes-côtes européens » sur le
modèle des US Cost Guards afin d’assurer la sécurité et la sûreté des navires et des
ports de l’espace maritime européen contre toute tentative d’attaque terroriste,
notamment contre un port pétrolier majeur (42).
L’autre interrogation soulevée par la mise en place du Code ISPS concerne les
procédures de certification, et particulièrement l’entité juridique habilitée à approu-
ver les plans de sûreté. Selon la Convention SOLAS modifiée et le Code ISPS, il
s’agit de l’Etat et des organismes de sûreté reconnus. La France pose, elle, des
conditions strictes concernant l’habilitation de ces organismes communément
dénommés organismes de sûreté maritime (43). En effet, dans l’hexagone, l'instruc-
tion des demandes de reconnaissance des organismes de sûreté ainsi que le suivi de
ces organismes est assuré par une Commission consultative de reconnaissance et
seul le Ministre de la mer est habilité à délivrer, suspendre ou modifier la recon-
naissance de ces organismes qui n’est d’ailleurs valable que pour une durée de 2 ans.
Par ailleurs, l’approbation finale des plans de sûreté relève de la compétence exclu-
sive de l’Etat français puisque contrairement aux pratiques existant en matière de
sécurité maritime, il n’est pas prévu en France de procédure de certification sous
délégation. Ce sont les services de l'Etat qui approuvent les plans de sûreté de l'ins-
tallation portuaire (44) comme les plans de sûreté des navires (45), tous ces plans
étant ensuite certifiés conformes aux normes de l’OMI. Or, tel n’est pas, hélas, tou-
jours le cas, notamment pour les organismes de certification ou de sûreté oeuvrant
sur le territoire d’Etats dits de pavillon de complaisance, de sorte que l’on est à
même de s’interroger sur la valeur d’une certification obtenue dans un tel Etat et de
surcroît par un organisme tiers. De telles interrogations justifient à elles seules, le
maintien du contrôle au titre de l’Etat du port. Une solution consiste à prévoir un
contrôle étroit des activités de ces organismes et à les responsabiliser, à l’instar des
organismes délivrant les certificats de navigabilité. En effet, les juges n’hésitent pas
à retenir la responsabilité des sociétés de classification (46). La Cour d’appel de
Versailles (47) a ainsi récemment considéré comme anormal le maintien des certifi-
cats de navigabilité pour un navire qui avait été contraint, du fait de son mauvais
état, de faire escale à Madagascar où il s'était échoué et brisé en deux provoquant
ainsi la perte de sa cargaison. Le juges ont estimé que cet état était le résultat d'un
défaut d'entretien sur plusieurs années et ne pouvait qu'être connu « de longue date
(42) Comme Fos-Marseille ou Rotterdam.
(43) Arrêté du 25 juin 2004 relatif à la reconnaissance des organismes de sûreté maritime et portant création d’une com-
mission consultative de reconnaissance, JO n° 179 du 4 août 2004.
(44) Préfet de département.
(45) Affaires Maritimes.
(46) CA Versailles, 12e ch., 21 mars 1996, n° 8905/92, qui en donne la définition suivante : « le classement des navires,
d'après leur valeur économique, est fait non par l'Etat mais par des sociétés privées, dénommées sociétés de classifica-
tion, qui donnent au navire une certaine côte ; la crédibilité des décisions prises par ces sociétés reconnues par l'Etat
est telle, que le navire qui n'obtient pas la première côte devient suspect au regard de tous ceux - acheteurs, affréteurs,
assureurs - qui envisagent de contracter ; ainsi s'explique que la considération d'une côte déterminée revête une impor-
tance essentielle tant pour le propriétaire du navire que pour les tiers - notamment les acquéreurs - qui sont fondés à
considérer qu'ils traitent avec l'armateur avec plus de sécurité ».
(47) CA Versailles, 12e ch., 9 déc. 2004, RG n° 03/02977, inédit.
(48) Depuis la Communication du 24 février 1993 pour une politique commune de la sécurité maritime, COM (93)
66 final. - Au niveau communautaire, le règlement n° 724-2004 du Parlement européen et du Conseil du 22 mars 2004
relatif à l’amélioration de la sûreté des navires et des installations portuaires tend à harmoniser l’application de la par-
tie A du Code ISPS dans les Etats membres. Par ailleurs, le règlement n° 725/2004 du Parlement européen et du Conseil
du 31 mars 2004 a étendu le dispositif de l'OMI au trafic national entre 2004 et 2007. Par ailleurs, une directive du
10 février 2004 définit les mesures complémentaires de sûreté pour étendre la sûreté des installations portuaires à la tota-
lité du port ainsi qu’aux zones adjacentes.
(49) Agence Européenne pour la Sécurité Maritime créée par le Règlement CE n°1406/2002 du 27 juin 2002 destinée à
coordonner les actions des Etats membres de l’Union européenne et de prendre les mesures de nature à assurer la sécu-
rité des navires et des personnels de mer mais également à lutter contre la pollution maritime dans l’Union européenne.
(50) La Commission européenne doit publier la liste de ces navires tous les six mois. La dernière date du 11 juin 2005 ;
Liste 2005/C 142/08, JOUE 11 juin 2005, n° C142, p. 48.
(51) 19 navires avaient été interdits d'accès dans les ports de l'Union européenne entre le 1er novembre 2003 et le 31 août
2004. Ils battaient le pavillon de huit États : Saint-Vincent-et-les-Grenadines (6), Bolivie (3), Panama (3), Turquie (3),
Belize (1), Chypre (1), Roumanie (1), et République arabe syrienne (1). La liste comportait une majorité de vraquiers
(12 sur 19), mais aussi quatre navires rouliers à passagers, deux chimiquiers et un pétrolier.
(52) JOCE 7 juill. 1995, n° L 157, p. 1.
(53) Près de vingt administrations maritimes nationales participent au mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle
des navires par l'État du port. Elles couvrent les eaux des états côtiers de l'Ouest de l'Europe et le bassin Nord-Atlantique
de l'Amérique du Nord à l'Europe. L’objectif est d'éliminer de ces eaux les navires d’un niveau inférieur aux normes
grâce à un système harmonisé de contrôle par l'État du port. Plus de 18 000 inspections sont effectuées sur des navires
étrangers dans les ports du mémorandum d'entente de Paris pour vérifier si ces navires répondent aux normes interna-
tionales en matière d’environnement et de sécurité, et si les équipages ont des conditions de vie et de travail convena-
bles.
En effet, un consensus européen tend à s’instaurer pour reconnaître que les efforts
doivent se poursuivre pour assurer une circulation maritime sécurisée et dépasser
notamment l’exigence de contrôler au moins 25 % des navires faisant escale dans
les ports français dans le cadre du Mémorandum de Paris. La France entend main-
tenir la qualité des contrôles des navires étrangers au titre de l’Etat du port et des
navires français au titre de l’Etat du pavillon. A cet égard, elle s’est lancée dans de
vastes travaux visant à améliorer la sûreté du transport maritime : plan de moderni-
sation des balises et phares, mise en place du système RADARSAT, mise en œuvre
du système TRAFIC 2000 permettant de suivre le trafic maritime et de connaître les
matières dangereuses embarquées, mise en liaison du système d’identification auto-
matique (AIS) avec le projet de surveillance de la marine nationale SPATIONAV.
Enfin, la mise en place de la pièce d’identité des gens de mer sécurisée prévue par
la Convention n° 185 de l’OIT qui avait suscité un tollé de protestations et une levée
en ordre de boucliers, a été ratifiée par la France en 2004.
Force est de constater que la France entend se doter des moyens législatifs néces-
saires. Ainsi la récente ordonnance du 2 août 2005 (54) qui porte actualisation et
adaptation de la partie législative du Code des ports maritimes et s'inscrit dans le
contexte de la décentralisation (55), confirme, s'agissant de la police portuaire, la
compétence de l'Etat pour la fixation et l'application des règles relatives à la sécuri-
té et à la sûreté des ports. L'Etat conserve également une compétence (y compris
dans des ports amenés à être transférés aux collectivités territoriales) au regard des
polices les plus sensibles (mouvement des navires) et de la gestion des matières dan-
gereuses. On ne peut donc que louer l’implication nécessaire des différents interve-
nants du monde maritime, devenus désormais d’avantage des partenaires, pour la
mise en oeuvre des nouvelles règles de sûreté maritime.
JURISPRUDENCE FRANÇAISE
ABORDAGE
Abordage. Capitaine. Mesure de sécurité. Faute (non)
Le fait pour un navire d’avoir rompu ses aussières et heurté le quai au passage,
dans l’enceinte portuaire, d’un autre navire rejoignant sa place au poste indiqué ne
saurait engager la responsabilité de ce dernier navire, dès lors que si sa vitesse était
supérieure aux normes réglementaires, cette vitesse résultait d’une décision du
commandant et du pilote prise pour épargner une manœuvre périlleuse au navire, à
ses passagers et à son fret, compte tenu du vent et de l’étroitesse du chenal, et que
cette décision ne caractérisait ainsi nullement une faute et ne constituait qu’une
mesure de sécurité.
ENTREPRISE NATIONALE DE TRANSPORT MARITIME DE VOYAGEUR
(ENTMV) c/ COMPAGNIE MERIDIONALE DE NAVIGATION (CMN) SA
JUGEMENT (extraits)
« LE TRIBUNAL,
Rappel des faits :
Attendu qu'en date du jeudi 2 mars 2000, le navire Kalliste opéré par la
Compagnie Méridionale de Navigation (ci-après CMN) est entré dans l'enceinte du
Port Autonome de Marseille à 8h20, pour rejoindre sa place au poste 74 ; que comp-
te tenu du vent violent de secteur NW (Nord Ouest), sa vitesse était d'environ
8 nœuds alors que limitée à 6 nœuds dans l'enceinte portuaire ; que simultanément,
le navire Tariq Ibn Ziyad opéré par l’Entreprise Nationale de transport Maritime de
Voyageurs (ci-après ENTMV), a rompu six aussières et aurait heurté le quai; que des
dommages ont été constatés sur le bulbe de l'étrave du navire Tariq Ibn Ziyad dont
l'armement ENTMV demande le remboursement des réparations à la CMN pour un
montant de 86 866, 05 euros, outre la somme de 5 000 euros au titre des frais irré-
pétibles qu'il a du engager dans le cadre de la présente procédure ;
Sur le fond :
Attendu que l'ENMTV fonde son action sur les articles 3 et 6 de la loi du
7 juillet 1967 qui stipulent :
- article 3 : si l'abordage est causé par la faute de l'un des navires, la responsabilité
des dommages incombe à celui qui l'a commise ;
- article 6 : les dispositions qui précèdent sont applicables à la réparation des dom-
mages que, soit par exécution ou omission de manœuvre, soit par inobservation des
règlements un navire a causés, soit à un autre navire, soit aux choses et personnes se
trouvant à leur bord, alors même qu 'il n y aurait pas eu abordage ;
qu'il incombe en conséquence au tribunal de déterminer si une faute a été commi-
se par le navire Kalliste et le cas échéant, s'il existe un lien de causalité entre cette
faute et les dommages subis par le navire Tariq Ibn Ziyad ;
Attendu qu'il ressort des différentes expertises, extraits de livres de bord et
rapports de mer versés aux débats par les parties que :
- le navire Kalliste a chenalé dans les bassins du port de Marseille à une vitesse
supérieure à la vitesse maximale autorisée de 6 nœuds, sans que sa valeur précise
soit clairement établie,
- un vent violent de secteur Nord Ouest (NW) était établi à 35 nœuds (soit envi-
ron 65 km/h) avec rafales à 50 nœuds (soit environ 90 km/h),
- le remorqueur commandé par le navire Kalliste ne l'a pas assisté pendant le
chenalage mais seulement pendant ses manœuvres de mise à quai,
- un espar était mouillé coté Digue du Large à la hauteur de la plate-forme RO/RO
du poste 80, limitant la largeur de la passe à cet endroit à près de 100 mètres, soit
environ trois fois la largeur du navire Kalliste,
- le navire Hoggar, qui n'a pas subi d'avaries, était stationné au poste 86, proue
côté
musoir,
- le navire Tariq Ibn Ziyad était stationné au poste 86, poupe côté musoir, dans un
bassin d'une largeur de 80 mètres, amarré par 16 aussières dont six se sont rompues
et avec l'ancre bâbord mouillée en arrière de l'étrave,
- ni les défenses, ni le quai du coin Est du bassin où était stationné le navire Tariq
Ibn Ziyad ne portaient de traces de choc avec le bulbe dudit navire lequel s’est avéré
être déformé sur 1,92 m2 à bâbord et 2,4 m2 à tribord ;
Attendu tout d'abord que l'analyse des parties diffèrent sensiblement à propos du
cap du navire Kalliste pendant son chenalage par rapport au lit du vent ; que
l'ENTMV indique en page 7 de ses écritures que ce navire avait le vent de face
(NdT : ce qui n'induit aucun coefficient de dérive) soit de secteur NNE, alors que le
croquis versé aux débats par la CMN indique un angle de 40° entre la direction du
vent et l'axe longitudinal du navire, soit un vent de secteur NNW ;
Attendu que pour compenser cette dérive qui tendait à le dresser sur les musoirs
l'angle du quai comme cela est allégué par la demanderesse; que dans un tel cas, les
défenses à quai ne présentant pas de traces de choc et les parois du quai étant verti-
cales, le bulbe aurait dû subir des aplatissements selon un axe vertical tant à bâbord
qu'à tribord alors que les photographies prises par l'expert Lomas/Unilex pour comp-
te de l'armement ENTMV, bien que peu visibles, montrent clairement côté bâbord,
non pas un aplatissement mais bien un enfoncement ;
Attendu que l'armement ENTMV ne démontre nullement que son arrimage a été
fait dans les règles de l'art et encore moins que son navire Tariq Ibn Ziyad est allé
heurter le quai, occasionnant les dégâts qu'il allègue avoir subi ; qu'en conséquence,
il échet de faire droit à la demande de la CMN et de condamner ENTMV à lui payer
une somme de 7 500 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Attendu qu'en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de
Procédure Civile, il échet d'allouer à la Compagnie Nationale de Navigation,
C.M.N. S.A. la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par
la présente procédure ;
Attendu que l'exécution provisoire s'avérant nécessaire et compatible avec la natu-
re de l'affaire, il échet de l'ordonner, excepté toutefois en ce qui concerne les
condamnations prononcées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure
Civile et au titre des dépens ;
Attendu qu'il échet de rejeter tout surplus des demandes comme non fondé, ni jus-
tifié ;
Par ces motifs :
Le Tribunal de commerce de Marseille, (...)
DEBOUTE l’Entreprise Nationale de transport Maritime de Voyageurs
(ENTMV) SPA de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamne l’Entreprise Nationale de transport Maritime de Voyageurs (ENTMV)
SPA à payer à la Compagnie Nationale de Navigation (C.M.N. S.A), la somme de
7 500 euros (sept mille cinq cents euros) à titre de dommages intérêts et celle de
2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du
Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne l’Entreprise Nationale de transport
Maritime de Voyageurs (ENTMV) SPA aux dépens toutes taxes comprises de la pré-
sente instance ; (...) Rejette pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclu-
sions contraires aux dispositions du présent jugement ; … ».
Prés. : M. Vincent ; Av. : Me Follin (ENTMV), SCP Renard (CMN).
Observations - Abordage : une mesure de sécurité n’est pas une faute.
Tous les habitués de la ligne Marseille-Bastia connaissent le Kalliste et n’ont
toujours eu qu’à se féliciter de ses performances ainsi que des qualités de son équi-
page. Ils seront donc très surpris de voir ici le commandant et l’armateur (la CMN)
poursuivis en responsabilité dans le cadre d’un procès en abordage.
Apparemment toutes les conditions étaient réunies pour une condamnation, car le
Kalliste avait gagné son poste de La Joliette à une vitesse de 8 nœuds, alors que
celle-ci est limitée à 6 nœuds dans l’enceinte portuaire. Dans le chenal d’accès, la
poussée de la vague d’étrave du navire marseillais avait déstabilisé le Tariq Ibn Ziyad
en partance pour Alger, mais encore accosté. Inobservation d’un règlement
(cf. art. 4 du règlement du PAM) et donc faute (pour un ex. récent de faute, en
raison d’une absence de veille, v. Trib. com. Marseille 22 févr. 2005, M. Ferrigno
c/ Union transport Group), dommage (les réparations du Tariq Ibn Ziyad ont été
chiffrées à 86 866, 05 euros) et lien de causalité, compte tenu de la concomitance
entre le passage du Kalliste et les avaries subies par le Tariq Ibn Ziyad (inutile de
rappeler que l’abordage ne suppose pas nécessairement un heurt entre deux navi-
res, cf. notam. Cass. com. 1er oct. 1991, DMF 1991. 707) : la condamnation de la com-
pagnie et du capitaine était, de prime abord, inévitable.
Le Tribunal de commerce de Marseille va cependant écarter toute responsabilité
du Kalliste, après une analyse minutieuse des faits et dans un jugement lumineux à
la fois sur le plan technique et juridique.
Point de faute du Kalliste est-il observé, dès l’instant que si sa vitesse était exces-
sive au regard du règlement du PAM, celle-ci était commandée par la situation elle-
même. Le vent était fort, le couloir étroit et le navire dérivait au point d’être dressé sur
les musoirs de quais et de perdre toute « manoeuvrabilité » : la seule solution était
d’augmenter la vitesse si l’on ne voulait pas mettre le navire, ses passagers et son
fret en péril. La vitesse excessive – à supposer qu’elle fût la cause de l’abordage et
des dommages subis par le Tariq Ibn Ziyad – n’était donc pas une faute. Mieux, il s’a-
gissait d’une véritable « mesure de sécurité ».
La solution, parfaitement motivée, laisse clairement entendre que l’état de néces-
sité est une excuse reconnue et efficace dans le droit de l’abordage. On rappellera
simplement que dans le droit de la responsabilité civile extra-contractuelle auquel
appartient certainement le droit de l’abordage, l’état de nécessité peut, sous certai-
nes conditions, justifier le droit de nuire à autrui. Il suffit d’établir que tout bon père de
famille ou tout bon professionnel, placé dans la même situation, aurait agi de la
même façon en choisissant la branche de l’alternative la moins périlleuse
(v. R. Savatier, L’état de nécessité et le droit de la responsabilité civile extra-contrac-
tuelle, Mélanges Capitant, 732).
Ainsi ne saurait-on trop approuver la présente décision : le choix du commandant
de préserver ses passagers et, accessoirement, sa cargaison au détriment – éven-
tuel – des appontements et des navires y amarrés n’était empreint d’aucune faute.
La sécurité n’a pas de prix.
Philippe DELEBECQUE
AFFRETEMENT AU VOYAGE
Affrètement partiel d’espace. Indisponibilité du quai fournisseur. Attente du
navire. Risques. Charge. Fret « free in custom of the port quai fournisseur /
liner out ». Départ du navire sans embarquement de la cargaison.
Responsabilité.
Il appartient au fréteur de connaître les conditions nautiques d’accès du port qu’il
s’est engagé à desservir de sorte que le navire affrété soit mis à la disposition de
l’affréteur à la date et au lieu fixés par le contrat.
Sté SUCRIMEX c/ Sté BOCS
ARRET
LA COUR,
La société Sucrimex qui a pour activité le négoce du sucre, s'est adressée à la
société Bocs par l'intermédiaire du courtier Aoti pour effectuer le transport de deux
cargaisons de 5 000 tonnes au total à destination d'Afrique de l'Ouest et au départ de
Rouen au plus tard le 30 septembre 2000, à bord du navire Trade Swan, 3 000 ton-
nes devant être acheminées à Lomé et 2 000 tonnes à Téma.
Après s'être présenté une première fois en rade de Rouen le 29 septembre 2000 à
21 heures 15 avant d'en repartir à 22 heures en direction d'Anvers où ont été char-
gées d'autres marchandises, puis une seconde fois le 8 octobre 2000 à 20 heures 50,
le navire a appareillé le 9 octobre 2000 à 19 heures 40 sans avoir embarqué la car-
gaison confiée par la société Sucrimex, motif pris de ce qu'il n'aurait reçu aucune
garantie d'avoir un poste à quai pour un chargement au plus tard le 10 octobre.
N'ayant pas été réglée de ses factures relatives à la perte de fret et aux frais sup-
plémentaires exposés à Anvers malgré une relance du 3 novembre 2000, la société
Bocs a assigné la société Sucrimex devant le Tribunal de commerce de Paris en paie-
ment de 143 171,78 euros concernant le lot de 3 000 tonnes et de 87 211, 81 USD
concernant le lot de 2 000 tonnes, tandis que la société Sucrimex l'assignait devant
la juridiction consulaire de Rouen en paiement de 74 200 euros en principal.
Par jugement du 23 novembre 2001, le Tribunal de commerce de Rouen a fait
droit à l'exception de litispendance soulevée par la société Bocs et s'est dessaisi en
faveur de la juridiction consulaire parisienne. Par jugement contradictoire du 24
octobre 2002, le Tribunal de commerce de Paris, joignant les causes, a dit que le
contrat conclu entre les parties était un contrat d'affrètement partiel d'espace, a
débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes et fait masse des dépens qu'il a
mis à la charge de chacune des sociétés par moitié.
Régulièrement appelante, la société Sucrimex demande à la Cour, par conclusions
déposées le 6 décembre 2004, de :
Considérant dès lors que c'est par de justes motifs que la Cour adopte, que les pre-
miers juges ont considéré que le contrat litigieux était un contrat d'affrètement par-
tiel d'espace sur le navire Trade Swan frété par la société Bocs sur une ligne régu-
lière desservant divers ports d'Europe et d'Afrique de l'Ouest ;
Sur la responsabilité
Considérant qu'il appartient au fréteur de connaître les conditions nautiques d'ac-
cès du port qu'il s'est engagé à desservir, de sorte que le navire affrété soit mis à la
disposition de l'affréteur à la date et au lieu fixés par le contrat ;
Considérant qu'il est établi par les messages électroniques versés aux débats et non
contestés par l'intimée que le navire Trade Swan retardé en Allemagne puis aux
Pays-Bas ne s'est présenté en rade de Rouen que le vendredi 29 septembre 2000,
dans la soirée, alors que le navire était attendu depuis le 25 septembre 2000 au port
de Rouen au quai du terminal sucrier désigné par la société Sucrimex selon les men-
tions expresses « attendu Rouen 25/9 (....) » et « free in cop [custom of the port] quai
fournisseur / liner out » portées dans la confirmation de réservation ;
Que la société Bocs allègue vainement l'impossibilité d'accès à ce quai en raison
de l'encombrement de ce dernier, alors que selon le principe ci-dessus rappelé, il lui
incombait de se renseigner sur les usages du port de Rouen expressément visés par
les confirmations de réservation que lui avait adressé le courtier Aoti, l'organisation
du port de Rouen non contestée en tant que telle excluant toute réservation du quai
par le chargeur, les navires devant au contraire accoster pour chargement dans l'or-
dre où ils se présentent, ce que ne pouvait ni devait ignorer le fréteur, qui a accepté
les risques d'attente en toute connaissance de cause ainsi que l'ont justement relevé
les premiers juges ; qu'il y a lieu de relever que la société Bocs n'ignorait pas ces
contraintes, ainsi que le confirme le message qu'elle verse aux débats, adressé dès le
22 septembre 2000 par son agent BOSS au terminal Robuste pour annoncer l'arrivée
du Trade Swan le 28 septembre et demander que lui soient communiquées « les pos-
sibilités de travail pour ce navire dans cette période afin d'ajuster au mieux son
schedule pour les prochains ports touchés » ; que la société Bocs ne justifie ni n'al-
lègue que la société Sucrimex n'aurait pu exécuter son obligation de chargement à
partir du 25 septembre 2000 et jusqu'au 30 septembre 2000, ainsi que les jours sui-
vants, et se borne à indiquer que le navire a été avisé à son arrivée sur rade le 29 sep-
tembre 2000, qu'il ne pourrait y avoir de place à quai avant le 7 octobre 2000 ;
que les griefs formés par la société Bocs à l'encontre de l'appelante, lui reprochant
d'avoir, à la seconde présentation du navire le 8 octobre 2000, exigé une visite
d'inspection non prévue par le contrat puis « garanti » un embarquement le 10 octo-
bre 2000 en réalité impossible en raison de l'indisponibilité du poste occupé par un
autre navire depuis le 4 octobre et jusqu'au 24 octobre 2000, sont inopérants -étant
observé qu'en tout état de cause il incombait au fréteur, à nouveau, de s'en assurer à
la date prévue pour le retour d'Anvers du Trade Swan ;
Qu'il s'ensuit que la société Bocs a rompu unilatéralement et à ses torts exclusifs,
le contrat d'affrètement qu'elle avait conclu avec la société Sucrimex, en décidant
d'appareiller définitivement le 10 octobre 2000 sans avoir embarqué la cargaison
qu'elle s'était engagée à recevoir ; qu'il y a lieu de débouter le fréteur de ses deman-
des en paiement de surestaries et autres frais, l'affréteur ayant été empêché par son
fait de procéder au chargement ;
Sur le préjudice subi par la société Sucrimex
Considérant que la société Sucrimex déclare avoir été dans l'obligation d'acquérir
une marchandise de substitution stockée à Anvers moyennant un surcoût de
3, 30 USD par tonnes, et demande la réparation de son préjudice, soit :
- 9 900 USD pour les 3 000 tonnes à destination de Lomé,
- 14 300 USD pour les 2 000 tonnes à destination de Téma :
Qu'elle produit les connaissements et les factures correspondantes, incluant le sur-
coût pour l'extension de la période d'embarquement et le chargement à Anvers, les
frais de stockage à Anvers, le surcoût (fret) et les frais financiers exposés sur une
période de 30 jours ;
Qu'il y a lieu de faire droit à sa demande ;
Que la demande de Sucrimex tendant à ce que soit également pris en compte un
préjudice commercial estimé à 50 000 USD résultant de la réduction de ses marges
pour des expéditions postérieures, qui n'est étayée d'aucune pièce, sera rejetée ;
Que la société Sucrimex demande enfin que la condamnation de la société Bocs
soit assortie d'intérêts au taux légal à compter de l'assignation et la capitalisation de
ces intérêts ; mais que compte tenu de leur caractère indemnitaire, ces créances ne
peuvent produire intérêt, au taux légal, qu'au jour où elles sont judiciairement
fixées ; qu'il suit que la demande de canitalisation des intérêts, qui doit porter sur
des intérêts dus au moins pour une année entière, ne peut qu'être rejetée ;
Considérant qu'il convient d'infirmer partiellement la décision entreprise ;
Qu'il est équitable que la société Sucrimex soit indemnisée de ses frais irrépétibles
de première instance et d'appel, pour lesquels lui seront alloués 3 000 euros ;
Par ces motifs
Statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme,
Au fond,
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté les demandes de la société
Sucrimex tendant à la réparation de son préjudice et statué sur l'application de
l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que sur les dépens,
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Bocs à payer à la société Sucrimex la contre-valeur en euros
au jour de la présente décision, de 24 200 USD,
Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, ...»
Prés. : Mme Riffault-Silk ; Avoc. : Me Bouffard (Sucrimex), Me Huynh-Olivieri (Bocs).
fait, cela n’a pas été le cas car ces arrêtés de fret n’avaient pas été signés par les
parties, de sorte que la Cour les a déclarés inopposables à la société BOCS qui
contestait les avoir reçus, cependant que la société SUCRIMEX n’apportait pas la
preuve contraire.
C’est sur le fondement des derniers messages, dont la société BOCS ne nie pas
avoir eu connaissance, que la Cour a tranché, ainsi que, tout spécialement, sur le fait
que la société SUCRIMEX avait discuté le montant des surestaries que la société
BOCS lui avait réclamés, soulignant, ce qui n’est pas contestable, que la notion de
surestaries est exclusive d’un contrat de transport. On doit donc comprendre que, ce
faisant, les magistrats ont relevé la concordance des volontés des deux adversaires
en faveur de la qualification du contrat conclu en contrat d’affrètement. Nous ajoute-
rons qu’il s’agit d’un affrètement au voyage. Dès lors que la capacité totale du navi-
re lui permettait de recevoir plus de 5000 tonnes de marchandises, il n’y a rien à redi-
re à le qualifier d’ « affrètement partiel d’espace ». Sur ce point, rien n’est à ajouter,
sauf à souligner que l’on n’est pas en présence du nouveau visage de « l’affrètement
d’espaces », du moins de ce visage que M. Bertrand Sabadie a présenté dans sa
récente thèse de doctorat (1).
Cette qualification n’était pas sans résonance sur la question de la responsabilité.
(3) Dans The Marine Encyclopaedic Dictionnay d’Eric Sullivan, la clause « Liner in free out » est dite signi-
fier qu’il s’agit d’une précision sur le taux de fret selon laquelle « ce taux inclut le prix du déplacement par
mer et celui du chargement, mais exclut celui du déchargement qui incombe au chargeur ou destinataire
(affréteur) selon le cas. Dès lors, il peut exister un accord de temps de planche et de dépassement du temps
de planche au port de déchargement puisque le transporteur (fréteur) n’a pas le contrôle du déchargement
». Si l’on inverse la proposition la clause « Free in liner out » indique que le chargement incombe au char-
geur (affréteur) et qu’il peut exister un accord de temps de planche au chargement puisque le transporteur
(fréteur) n’a pas le contrôle du chargement. Telle semblait bien être la situation dans ce cas d’espèce.
Ce qui nous en fait douter est le fait que le taux de fret était fixé sur la base « free
in custom of the port quai fournisseur ». Il nous semble que l’expression pourrait
aussi bien être interprétée comme signifiant que le risque d’attente du quai fournis-
seur, attente dont la durée dépend bien évidemment de l’usage du port, est pour l’af-
fréteur qui fournit son quai. Deux éléments sont en faveur de cette interprétation :
d’une part, free in signifie que le navire est libre de contrainte ; d’autre part, cette
interprétation permet de comprendre que la société SUCRIMEX ait accepté de négo-
cier le montant des surestaries réclamées, ce qui est expressément relevé par les
juges. Au contraire, déduire du seul fait que le navire ait demandé quelles étaient les
conditions d’accès au quai pour conclure qu’il avait pris sur lui les risques d’attente
nous paraît aller trop vite en besogne.
En revanche, l’analyse que nous proposons ne va pas jusqu’à justifier le compor-
tement de la société BOCS qui, au total, a décidé de repartir sans attendre, donc
sans embarquer la cargaison qu’elle s’était engagée à déplacer. La Cour peut donc
dire que celle-ci a unilatéralement rompu le contrat d’affrètement qu’elle avait conclu.
Mais pouvait-elle véritablement faire autrement ? Toute autre attitude n’eût-elle pas
été déraisonnable ?
Au demeurant, le résultat de la situation ne se révèle pas être catastrophique.
Pour faire parvenir les 5000 tonnes de sucre aux destinations prévues (Lomé et
Téma), la société SUCRIMEX a dû se fournir à Anvers. Elle a, ce faisant, subi un sur-
coût de 3,30 dollars américains la tonne, subissant un préjudice de 24 200 USD.
C’est cette somme que la société BOCS est condamnée à devoir payer à la société
SUCRIMEX.
Que la société BOCS soit déboutée de sa demande de surestaries et autres frais
ne peut surprendre. En fin de compte, le navire a perdu 3/4 d’heures lors de sa pre-
mière venue à Rouen et 23 heures lors de sa seconde venue. Autrement dit, quasi-
ment rien. Quant à réclamer quoique que ce soit pour ne pas avoir embarqué la car-
gaison qu’elle devait charger, cela ne pouvait pas se faire.
On comprend que les premiers juges aient renvoyé les plaideurs dos à dos. Par
ailleurs la condamnation de la société BOCS par les juges de la Cour d’appel de
Paris n’a rien d’injuste. Nous ne sommes pas totalement certain, en revanche, qu’el-
le procède d’une analyse des termes du contrat qui soit hors de portée de toute
réserve. Mais ces termes nous semblent bien ambigus. Faute de disposer des docu-
ments du litige sur ce point, nous ne pouvons en dire davantage. En revanche, une
chose est sûre : l’arrêt présente un intérêt notable pour une meilleure connaissance
du droit de l’affrètement au voyage. Il est certainement également important car la
situation présente, mélangée de conditions propres au liner (on veut parler ici de
rotations, presque de lignes) et d’éléments propres à l’affrètement au voyage (on
parle ici de cargaisons), ne cesse pas de questionner les règles traditionnelles d’ins-
titutions dont la nature est plus tranchée.
Yves TASSEL
La SEICB n'ayant pas déféré à cette demande, un arbitre a été désigné par le
président du tribunal de commerce, statuant en référé et, conformément au RGH, les
deux arbitres ont désigné un troisième arbitre.
Par sentence du 17 mai 2004, le tribunal arbitral a :
- condamné la SEICB à payer à la société l'Aiglon la somme de 627 578 euros au
titre de la contre facturation des 2% de pénalités et des frais bancaires,
- dit et jugé que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux de 6,60% à
compter du 1er juin 2003 jusqu'à parfait paiement,
- dit et jugé que les frais et honoraires d'arbitrage seront partagés par moitié.
La SEICB a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclu-
sions signifiées le 13 mai 2005 par la SEICB et le 25 mars 2005 par la société
l'Aiglon.
Sur ce, la Cour,
Sur le moyen unique. tiré de ce que le tribunal arbitral a statué sans se conformer
à la mission qui lui a été conférée (article 1502. 3° du Nouveau Code de procédure
civile) :
Attendu que la SEICB fait grief au tribunal arbitral de l'avoir condamnée à payer
une somme d'argent à la société l'Aiglon, alors que, selon le moyen, elle avait sou-
tenu dans son mémoire en défense que la société l'Aiglon avait donné pour mission
aux arbitres de juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB ne lui était
pas opposable ;
Qu'en retenant que la société l'Aiglon avait contesté l'existence d'un cas de force
majeure, alors que celle-ci s'était bornée à soutenir que la force majeure invoquée ne
lui était pas « opposable », le tribunal arbitral a statué, sans se conformer à la mis-
sion qui lui a été conférée, la mission d'amiable composition ne conférant pas aux
arbitres le pouvoir d'accorder des dommages-intérêts non sollicités ou supérieurs à
ceux demandés, et d'aménager les relations des parties ;
Attendu, cependant, que la mission du tribunal arbitral est délimitée par l'objet du
litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ;
Attendu qu'après avoir rappelé que, dans son mémoire en demande, la société
l'Aiglon a sollicité la condamnation de la SEICB à lui payer les sommes de
539 600 euros au titre de la différence de marché, 81 712 euros à titre de pénalité
selon le RGH de 2% et 6 266 euros au titre des frais bancaires liés à l'ouverture des
lettres de crédit, soit au total 627 578 euros, avec les intérêts courant depuis la fin
du mois d'avril 2003, date de la contre facturation et sous réserve d'autres frais qui
pourraient découler de cet arbitrage, la sentence énonce que, par lettre du 14 octobre
2003, dont la SEICB a reçu copie, la société l'Aiglon a repris sa demande en solli-
c i t a n t
au tribunal de dire et juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB pour
s'excuser de ne pas avoir respecté ses obligations de livrer le coton n'est pas opposa-
ble à la demanderesse ;
Attendu que les arbitres relèvent encore qu'après que les parties ont été entendues,
la société l'Aiglon a, dans une note complémentaire du 15 mars 2004, exposé avoir
toujours contesté l'existence d'un cas de force majeure et qu'en énonçant que la force
majeure ne lui était pas opposable, elle avait entendu soutenir que la cause d'exoné-
ration invoquée n'était pas justifiée ; que les arbitres constatent que la SEICB a été
en mesure de présenter une note en réplique le 5 avril 2004 ;
Attendu, dès lors, que, pour dégager le sens et la portée de la lettre du 14 octobre 2004,
c'est par une interprétation, que les termes ambigus de ce document rendaient néces-
saires, que les arbitres l'ont rapprochée de la correspondance que la société l'Aiglon
avait adressée à la SEICB le 16 mai 2003, par laquelle elle avait indiqué que « dans
le cas précis, il (lui) paraissait inapproprié de parler de force majeure » ;
Qu'ayant estimé que le sens donné à l'adjectif « opposable » devait être éclairé par
la formule utilisée dans cette lettre et souverainement retenu, dans le respect du prin-
cipe de la contradiction, qu'ils devaient rechercher si les éléments constitutifs de la
force majeure étaient réunis, les arbitres n'ont pas méconnu la mission qui leur a été
conférée ;
Attendu, en outre, qu'en se référant expressément au pouvoir d'amiable composi-
teur dont il était investi par l'article 63-14 du Règlement d'arbitrage, le tribunal arbi-
tral, qui n'a pas accordé à la société l'Aiglon davantage que ce qu'elle avait deman-
dé, a fait ressortir que la solution retenue était propre à donner au litige la solution
la plus juste ; qu'il n'est pas démontré que cette solution est contraire à l'équité, ni
concrètement précisé en quoi les arbitres auraient, en l'espèce, substitué aux obliga-
tions contractuelles des obligations nouvelles et bouleversé ainsi l'économie du
contrat ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Que, par suite, le recours en annulation doit être rejeté ;
Par ces motifs :
REJETTE le recours en annulation ;
Vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Condamne la Société d'égrenage industriel de coton du Bénin, exerçant sous
l'enseigne « SEICB », à payer à la société L'Aiglon la somme de 10 000 euros ; … ».
Prés. Mme Bignon ; Av. : Me Tissot (SEICB), Me Marguet (L’Aiglon).
pas opposable.
Les arbitres ayant tranché en faveur de l’acheteur et condamnant le vendeur à
compenser le préjudice causé, ce dernier a saisi la Cour d’appel de Rouen d’une
demande d’annulation de la sentence, au motif que les arbitres ont statué sans se
conformer à la mission qui leur était conférée.
Un tel recours en annulation s’inscrit dans la tendance générale actuelle de judi-
ciarisation de l’arbitrage. La partie mécontente de la décision des arbitres tente d’ob-
tenir l’annulation de la sentence. La voie ouverte par l’article 1502 du nouveau Code
de procédure civile auquel renvoie l’article 1504 du même code pour définir les pos-
sibles cas d’annulation des sentences arbitrales en matière d’arbitrage international
est cependant très étroite.
En l’absence de faits avérés, il est difficile de fonder une demande d’annulation sur
les alinéas 1° et 2° qui traitent de l’absence de convention d’arbitrage et d’un
tribunal arbitral irrégulièrement composé. Il en est de même du paragraphe 5° et der-
nier qui prévoit l’annulation de décisions contraires à l’ordre public international.
La plupart des demandes d’annulation invoqueront donc le plus souvent les para-
graphes 3° ou 4° invoquant, soit que les arbitres ont statué sans se conformer à la
mission qui leur était conférée, soit que le principe de la contradiction n’a pas été
respecté.
En l’espèce, le grief invoqué par la demanderesse est celui de l’alinéa 3°. Elle plai-
de qu’en recherchant si les éléments constitutifs de la force majeure étaient présents
et en prononçant une condamnation les arbitres auraient statué sans se conformer
à la mission qui leur était conférée. Elle invoque le grief le plus général et donc celui
qui pourrait permettre le plus facilement une interprétation extensive de la part des
juges de l’annulation.
Pour comprendre la motivation de la demande en annulation, il convient de lire avec
attention les termes précis de la demande d’arbitrage de la société L’AIGLON :
« Dire et juger que le cas de force majeure invoqué par la SEICB, pour s’excuser
de n’avoir pas respecté ses obligations de livrer le coton ne lui est pas opposable. »
« En conséquence, de condamner la SEICB à lui payer la somme de
627 518 Euros. »
Pour la demanderesse en annulation, face à une demande d’arbitrage ainsi rédigée,
les arbitres devaient simplement se prononcer sur le caractère « opposable » à
l’acheteur d’un cas de force majeure, à leurs yeux, non contestable et non contesté.
La Cour d’appel de Rouen a, bien entendu, évité de statuer sur, l’existence d’un
cas de force majeure, domaine de la compétence exclusive du tribunal arbitral. Elle
a néanmoins refusé de se laisser enfermer dans une interprétation purement littéra-
le de la rédaction de la demande d’arbitrage. Suivre le raisonnement particulièrement
spécieux de la SEICB et limiter l’arbitrage à juger de la seule opposabilité de la force
majeure conduirait à priver d’effets la procédure arbitrale voulue par les
parties pour régler leur différend.
La Cour réaffirme clairement que le contrôle des sentences peut impliquer un exa-
men détaillé des dossiers pour évacuer toute ambiguïté. En arbitrage, la forme de la
demande étant libre, il est parfaitement logique que la Cour utilise l’ensemble des
écrits pour mieux en définir les contours. Il n’y a en effet pas de limites à son
pouvoir souverain dans l’examen des sentences pour caractériser ou refuser un cas
d’annulation. Elle motive, avec pertinence, sa décision par un examen complet des
courriers et des mémoires échangés entre les parties duquel elle a acquis la convic-
tion que le caractère de force majeure avait été clairement réfuté par la société
l’Aiglon.
En conséquence elle juge que les arbitres agissaient dans le cadre de leur mission
en recherchant si les événements étaient ou non constitutifs d’un cas de force
majeure mais ce faisant elle ne se prononce pas sur le fond du litige qui a été tran-
ché par la sentence des arbitres.
La Cour prend, en outre, le soin de souligner que le refus de considérer l’existen-
ce d’un cas de force majeure par la société L’AIGLON parce qu’exprimé dans ses
écrits et porté à la connaissance de son adversaire, permettait aux arbitres de
statuer dans le respect du contradictoire, éliminant ainsi, si besoin en était, le cas
d’annulation prévu à l’alinéa 4° de l’article 1502.
À partir du moment où les arbitres avaient dûment motivé l’absence de force
majeure, la Cour reconnaît qu’il était également dans leur mission de se prononcer
sur la demande chiffrée de réparation du préjudice. Leur mission d’amiables compo-
siteurs, étant pleinement remplie à partir du moment où après avoir constaté en droit
l’absence de force majeure, ils prenaient soin de souligner que la décision qu’ils
adoptaient leur semblait la plus juste.
Cet arrêt s’inscrit dans la ligne d’interprétation restrictive des cas d’annulation de
sentences arbitrales adoptée par les Cours d’appel et la Cour de cassation et
démontre une fois de plus qu’il faut de solides motifs pour obtenir l’annulation d’une
sentence arbitrale. Une demande inconsidérée a peu de chances de prospérer et
démontre une attitude contraire à l’esprit même de l’arbitrage.
Compte tenu des éléments du dossier, et de la qualité des motivations de cette
sentence, ce recours en annulation aurait, sans doute, pu faire l’objet d’une deman-
de de dommages et intérêts pour procédure abusive. La Cour ne s’y est pas trompée
en donnant pleine satisfaction à la demande de la société L’AIGLON au titre de l’ar-
ticle 700.
Espérons que ce nouvel arrêt contribuera à dissuader une partie insatisfaite d’une
décision d’arbitrage, de tenter d’utiliser une demande d’annulation comme une forme
d’appel devant les tribunaux étatiques.
François ARRADON
MANUTENTION MARITIME
Prescription. Délai. Interruption. Référé expertise. Référé provision.
Reconnaissance du droit de celui auquel on oppose la prescription. Domaine
d’application. Portée. Caducité.
Les prescriptions connaissent des causes interruptives, notamment la citation en
justice en référé signifiée à celui qu’on veut empêcher de prescrire, l’interruption
étant néanmoins regardée comme non avenue lorsque la demande est rejetée, ainsi
que la reconnaissance de dette.
La reconnaissance de dette qui ne contient pas l’engagement formel de payer
n’emporte pas inversion de la prescription qu’elle interrompt.
Sté SAGA c/ Sté DUFERCO, SNCF et Sté CFT
ARRET
LA COUR,
« La SA de droit allemand Duferco Deutschland GMBH a vendu à la société
SPLM aux conditions DDP Le Mans et Saint Ouen L'Aumone des tôles laminées à
froid et à chaud.
Ces marchandises ont été transportées sur le navire Schulenburg au départ de Bar
(Serbie) à destination de Rouen sous couvert de cinq connaissements dont trois
(1, 3, 4) comportaient des réserves émises par le capitaine du chargement concer-
nant la rouille, le cerclage des colis et leur protection.
Selon devis du 28 septembre 1998, la SA de droit suisse Duferco a confié à la SA
Saga Terminaux Portuaires, le déchargement de la marchandise puis sa réexpédition
par barge fluviale à Saint Ouen L’Aumone et Gennevilliers et par voie ferroviaire au
Mans.
Le navire Schulenburg est arrivé au port de Rouen, le 9 octobre 1998, et la car-
gaison a été déchargée du 10 au 14 octobre 1998 par transbordements directs sans
réserve des tôles dans la barge Alaska de la SA Compagnie Fluvial de Transport -
CFT - et sur 17 wagons de la Société Nationale des Chemins de Fers Français -
SNCF - suivant contrat de transport du 15 octobre 1998.
Le 21 octobre 1998, la SNCF a présenté en gare du Mans les wagons à la société
SPLM qui, par lettres recommandées avec accusé de réception des 21 et 30 octobre
1998, a adressé des réserves pour les colis respectivement de tôles laminées à chaud
et à froid.
La barge Alaska est parvenue à l'appontement de la société SPLM à Saint Ouen
L’Aumone, le 22 octobre 1998, et cette dernière a mentionné sur le document de
transport des réserves visant la rouille et l'emballage.
sous sa responsabilité en se référant aux expertises amiables Mahé et Cetex ainsi que
judiciaire.
Elles procèdent très longuement à des réponses sur divers points évoqués par la
société Sea Invest dans ses jeux de conclusions des 22 novembre et 16 décem-
bre 2004 antérieurs à celles récapitulatives du 10 janvier 2005 pour arguer de sa
mauvaise foi et prétendre qu'un passage de ces écritures serait outrageant à l'égard
de son conseil.
Elles affirment que la marchandise était en bon état à l'embarquement à bord du
navire Schulenburg et que la preuve de la manutention défectueuse ressort notam-
ment des constatations du propre expert de la société Sea Invest Monsieur Mahé
sans distinction entre les tôles laminées à chaud et à froid, lequel a considéré que les
dommages étaient causés par les engins de manutention de l'appelante.
Elles concluent à la confirmation de la décision entreprise et à l'entier débouté de
la société Sea Invest.
Elles sollicitent 10 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif et une
indemnité de même montant au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure
civile, la suppression du passage figurant dans les conclusions du 16 décembre
2004, page 20 alinéa 4 de la société Sea Invest et sa condamnation au paiement d'un
euro par application de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 tel que modifiée par
la loi nº 82.506 du 15 juin 1982 et subsidiairement la constatation de ce que celui-
ci semble avoir disparu des dernières écritures de l'appelant et le leur en donner acte.
La SNCF précise que seul demeure le litige concernant les tôles laminées à froid.
Elle soutient que l'action principale est prescrite, la décision du juge des référés
constatant l'existence d'une contestation sérieuse et disant n'y avoir lieu à référé
s'analysant en un rejet rendant non avenue l'interruption de prescription résultant de
l'assignation en référé.
Elle ajoute qu'une interversion de prescription ne peut découler d'une décision de
rejet, ni de la télécopie du 27 octobre 1998 de la société Sea Invest qui ne comporte
pas de chiffrage du dommage causé aux sociétés Duferco.
Elle conteste devoir garantir la société Sea Invest en déniant avoir procédé au
chargement des tôles, cette tâche incombant au manutentionnaire qui, selon elle, est
seul responsable des avaries au vu du rapport d'expertise qui relève que les domma-
ges survenus sur les marchandises par elle livrées étaient strictement identiques à
ceux constatés sur celles livrées à Saint Ouen L’Aumone par la société CFT.
Elle souligne n'avoir effectué aucune opération de manutention.
Elle sollicite l'irrecevabilité et subsidiairement le rejet de l'appel en garantie de la
société Sea Invest à son encontre ainsi qu'une indemnité de 3 000 euros sur le fon-
dement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société CFT expose que la cargaison litigieuse a été réceptionnée à Rouen par
la société Sea Invest sans réserve, laquelle a seule réalisé les opérations de déchar-
gement.
Elle soutient que les avaries, selon l'expert judiciaire, proviennent de coups de
fourche qui ne peuvent avoir été engendrés que dans le cadre de la manutention des
colis avant l'arrivée de la marchandise à destination.
Elle dément toute responsabilité de sa part dans la survenance du dommage rele-
vant selon elle, de la seule société Sea Invest.
Elle conclut à la confirmation de sa mise hors de cause et à la condamnation de la
société Sea Invest au paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts pour pro-
cédure abusive et d'une indemnité de 8 000 euros sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile.
Motif de la décision :
Considérant qu'en vertu de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile, la
cour ne statue que sur les dernières écritures déposées par les parties ;
que par conséquent, les nombreuses observations formulées par les sociétés
Duferco sur les écritures signifiées par la société Sea Invest antérieurement à ses
conclusions récapitulatives du 19 janvier 2005 qui sont inopérantes, n'ont pas lieu
d'être prises en compte ;
Considérant que les condamnations prononcées en faveur de la société Sea Invest
au titre de ses frais à concurrence de 36 326, 72 euros, outre intérêts légaux à comp-
ter du 13 janvier 1999 capitalisés, ne sont plus discutées en cause d'appel.
Sur la prescription de l’action indemnitaire des sociétés Duferco au titre des tôles
laminées à froid :
Considérant qu'il est admis que la société Saga Terminaux Portuaires, aux droits
de laquelle est la société Sea Invest France, soit intervenue en qualité de manuten-
tionnaire pour le déchargement au port de Rouen de la marchandise transportée par
le navire Schulenburg et en celle de commissionnaire de transport pour son réache-
minement à destination de Saint Ouen L’Aumone et du Mans ;
Considérant que les opérations de déchargement ayant été achevées le 14 octobre
1998 et la livraison de la marchandise ayant été effectuée les 21 et 22 octobre 1998
au Mans et Saint Ouen L’Aumone, la société Sea Invest soutient que l'action en
responsabilité engagée à son encontre en sa double qualité par les sociétés Duferco,
selon assignation du 22 décembre 2000, est prescrite en application des articles
56 et 32 de la loi du 18 juin 1966 et L 133-6 du Code de commerce ;
Considérant que le délai d'un an de ces prescriptions a commencé à courir à par-
tir des dates précitées ;
Considérant toutefois que ces prescriptions ont pu connaître des causes interrupti-
ves prévues aux articles 2244 et 2248 du Code civil résultant notamment d'une cita-
tion en justice même en référé signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire,
l'interruption étant néanmoins alors regardée comme non avenue conformément à
l'article 2247 du même code lorsque le demandeur se désiste de sa demande ou que
celle-ci est rejetée, comme de la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui
contre lequel il prescrivait ;
Considérant, à cet égard, que la société Saga dans une télécopie transmise, le
27 octobre 1998 à la société Duferco, indique être ennuyée des « circonstances
s'étant produites durant le rechargement d'une partie de la cargaison sur wagons »
et être très préoccupée par l'avenir de leur coopération, en précisant que la réclama-
tion est entre les mains des assureurs et en spécifiant son désir de lui accorder 40 %
de réduction sur ses honoraires lorsqu'elle est désignée par ses soins, en appliquant
cet arrangement sur un navire EMYC à Saint Nazaire ;
Considérant que cette correspondance vaut reconnaissance de la part de la socié-
té Saga du droit du réclamant au titre des tôles laminées à chaud pour lesquelles elle
a été exclusivement formulée ;
que cependant, cette reconnaissance qui n'était pas assortie d'une promesse
formelle de règlement, mais seulement d'une concession d'ordre commercial aux
fins pour la société Sea Invest de conserver la clientèle des sociétés Duferco pour
l'avenir n'a pu créer un titre nouveau susceptible de générer une interversion de pres-
cription pour substituer celle du droit commun de dix ans comme le prétendent à tort
les intimés, mais seulement une interruption en sorte qu'un nouveau délai d'un an a
commencé à courir à compter de la date du 27 octobre 1998 ;
Considérant que la saisine, le 22 janvier 1999, par les sociétés Duferco du juge des
référés du Tribunal de commerce de Pontoise pour obtenir une expertise ordonnée
le 4 février 1999 constitue aussi un événement interruptif de la prescription à
l'origine d'un délai d'un an depuis cette seconde date jusqu'au 4 février 2000 ;
Considérant que le délai de prescription d'un an a, par ailleurs, été interrompu par
l'assignation en référé provision délivrée par les sociétés Duferco, le 11 août 1999,
ayant donné lieu à une décision du président du Tribunal de commerce de Nanterre
du 30 septembre 1999 qui, faisant droit intégralement à leurs prétentions, a condam-
né la société précédemment Saga à leur payer à titre provisionnel les sommes de
444 756, 69 francs (67 802, 72 euros), 1 438 441, 57 francs (219 289 euros) et de
74 964, 96 francs (11 428, 33 euros) au titre respectivement des dommages causés
aux tôles laminées à chaud, à ceux concernant les tôles laminées à froid ainsi qu'aux
frais d'expertise judiciaire ;
Considérant néanmoins, que la cour de ce siège, par arrêt du 5 octobre 2000,
a confirmé l'ordonnance du 30 septembre 1999 en ce qu'elle avait alloué une indem-
nité provisionnelle du chef des préjudices relatifs aux tôles laminées à chaud, mais
a dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus ;
or, considérant qu'en l'espèce, les sociétés Duferco avaient parfaitement distingué
dans leur assignation en référé du 11 août 1999, les deux lots de marchandises qui
étaient en litige composés de tôles laminées à froid et à chaud, lesquelles constituent
des produits de fabrication et d'usage différents qui avaient fait l'objet d'un condi-
tionnement propre et de transports exécutés selon des modes distincts, les tôles lami-
nées à chaud étant constituées de tôle d'une longueur de 6 mètres chargées à nu sur
wagons-plateaux alors que les tôles laminées à froid étaient composées de feuilles
de 2 m à 2,50 m de longueur qui étaient revêtues d'un emballage ;
que les sociétés Duferco avaient, en effet, réclamé spécifiquement une provision
ayant trait au « sauvetage des tôles laminées à chaud » (448 759, 50 francs) et une
autre, pour « la perte subie suite à la vente des tôles laminées à froid »
(1 500 441,57 francs) ;
que chacune de ces demandes a été examinée séparément et a abouti à des déci-
sions correspondant respectivement et successivement à l'une et à l'autre, tant par le
juge des référés que par la cour ;
Considérant qu'eu égard à ces circonstances, l'effet interruptif de la prescription
attaché auxdites demandes séparées, telles qu'elles ont été présentées par les socié-
tés Duferco, a pu être conservé pour l'action en réparation des dommages des tôles
laminées à chaud puisque la cour a confirmé l'ordonnance de référé qui avait
condamné la société Saga à les indemniser ;
mais qu'en revanche, la décision de la cour ayant dit n'y avoir lieu à référé pour le
surplus, laquelle contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, doit être assimilée à un
rejet des prétentions des sociétés Duferco au titre des dommages causés aux tôles
laminées à froid, a eu pour conséquence de rendre « non avenue », l'interruption de
la prescription résultant de la citation en justice délivrée à leur requête, le
11 août 1999, sans que les sociétés Duferco ne puissent utilement se prévaloir du
caractère non définitif de l'arrêt de la cour du 5 octobre 2000 dès lors qu'il est deve-
nu irrévocable par l'effet de leur désistement du pourvoi en cassation par elles formé
à son encontre ;
Considérant enfin, que les sociétés Duferco ne peuvent valablement invoquer
comme cause interruptive l'instance initiée au fond, le 13 octobre 1999, par la socié-
té Sea Invest en paiement de ses factures devant le Tribunal de commerce de Rouen
au cours de laquelle elles ont formé, le 5 décembre 2000, une demande reconven-
tionnelle indemnitaire à titre subsidiaire ;
qu'en effet, l'interruption de prescription ne profite qu'à celui qui réclame et que
l'effet interruptif de l'action principale ne peut s'étendre à l'action reconventionnelle
des sociétés Duferco au demeurant subsidiaire, ayant été formulée seulement par
conclusions du 5 décembre 2000 et donc, postérieurement au terme du délai d'un an
survenu après les interruptions précitées admises le 4 février 2000, n'a pu interrompre
une nouvelle fois, les prescriptions annales stipulées aux articles 56 et 32 de la loi
du 18 juin 1966 et L 133-6 du code de commerce qui étaient déjà acquises depuis
cette date ;
Considérant que les sociétés Duferco seront donc déclarées irrecevables en leur
action en réparation des dommages causés au lot de tôles laminées à froid dirigée
contre la société Sea Invest, en infirmant la décision attaquée de ce chef.
Sur la demande de restitution de la société Sea Invest
Considérant que la société Sea invest justifiant avoir réglé aux sociétés Duferco
en exécution du jugement déféré la somme non discutée de 238 734, 91 euros est en
droit d'en obtenir le remboursement.
Sur l’appel en garantie de la société Sea Invest à l’égard de la SNCF au titre des
tôles laminées à chaud :
Considérant que les sociétés Duferco ne discutent plus en cause d'appel l'indem-
nité qui leur a été allouée sur ce point par le tribunal ;
que la société Sea Invest ne conteste pas sa responsabilité envers elles à titre prin-
cipal mais prétend qu'elle serait partagée avec la SNCF dont elle sollicite sa garan-
tie au motif qu'en dépit de la défectuosité du chargement des tôles laminées à chaud,
selon elle, manifestement apparente, résultant d'après les experts d'un mauvais
calage, la SNCF a entrepris leur transport sans émettre de réserves ;
Considérant toutefois, que la société Sea Invest, tant dans ses écritures dans
l'instance d'appel de l'ordonnance de référé du 30 septembre 1999, que dans le dire
qu'elle a adressé à l'expert judiciaire, admet que ces tôles se soient trouvées défor-
mées lors de leur chargement sur wagons, réalisé entièrement par ses soins, en
raison de bastaings mal disposés ;
Considérant que les termes de la télécopie de l'appelante du 27 octobre 1998 attes-
tent aussi de sa responsabilité dans les dégradations causées aux tôles laminées à
chaud à l'occasion des opérations de manutention dans le port de Rouen qui lui
incombaient exclusivement ;
Considérant, en outre, qu'il n'est nullement démontré que les défectuosités étaient
visibles de l'extérieur du wagon et dans les conditions d'une personne se tenant
debout à proximité du wagon conformément à l'article 9-1 des CGV, alors même
qu'il ressort des photographies annexées au rapport d'expertise amiable du Capitaine
expert Monsieur Mahé que les wagons étaient hauts et bâchés ;
que par conséquent, la société Sea Invest sera déboutée de son appel en garantie
dirigée à l'encontre de la SNCF.
Sur les autres prétentions des parties :
Considérant que les demandes de suppression d'un passage de conclusions de la
société Sea Invest et de dommages et intérêts formées par les sociétés Duferco sont
sans objet dans la mesure où celui-ci a été retiré dans les écritures récapitulatives de
l'appelante ;
Considérant que les sociétés Duferco et CFT n'établissant pas le caractère abusif
de l'appel exercé par la société Sea Invest, leurs demandes en dommages et intérêts
seront rejetées ;
que l'équité commande, en revanche, d'accorder à la société CFT une indemnité
supplémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de
procédure civile ;
Considérant qu'il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société Sea
Invest et de la SNCF leurs frais non compris dans les dépens ;
qu'il leur sera dès lors alloué à ce titre des indemnités respectives de 6 000 euros
et de 2 000 euros ; considérant que les sociétés Duferco qui sont irrecevables en
leurs prétentions, supporteront les dépens des deux instances comprenant les frais
d'expertise judiciaire, hormis ceux afférents aux mises en cause de la société CFT et
de la SNCF qui resteront à la charge de la société Sea Invest qui en a pris l'initiati-
ve.
(1) Organisée par l’AFDM (Association française du droit maritime) le 27 juin 2005. Les communications
peuvent être lues sur le site internet de l’AFDM et DMF 2005. 677.
vable pour les tôles laminées à froid et pourquoi la cour d’appel a-t-elle infirmé le
jugement ?
10 - Le tribunal a jugé que le délai de prescription avait été interrompu par une télé-
copie de la société Saga qui, expédiée le 27 octobre 1998, disait « être ennuyée des
circonstances s’étant produites durant le rechargement des tôles sur wagons et être
préoccupée pour l’avenir de leur coopération », indiquait que la réclamation était aux
mains des assureurs et accordait une réduction de 40% sur ses honoraires, réduc-
tion immédiatement appliquée à une autre expédition. Cependant, la cour d’appel a
dit que cette proposition ne concernait que les tôles laminées à chaud pour lesquel-
les elle avait été exclusivement formulée. Elle a, en outre et surtout, estimé que cette
proposition qui valait reconnaissance du droit de la demanderesse ne constituait pas
une promesse formelle de règlement mais seulement une concession d’ordre com-
mercial aux fins de conserver la clientèle de la société Duferco. En conséquence, si
elle avait produit une interruption de la prescription, elle n’avait pas eu pour effet d’o-
pérer une inversion de celle-ci. Cette analyse est la clé de la solution. En effet, comp-
te tenu des dispositions légales, la situation devenait celle-ci :
11 - La saisine du tribunal par le référé expertise du 22 janvier 1999 ayant conduit
à l’ordonnance du 4 février suivant avait constitué un événement interruptif de la
prescription de sorte qu’un nouveau délai d’une année s’était mis à courir. L’action en
justice trouvait donc un nouveau terme à la date du 4 février 2000.
12 - L’assignation en référé provision du 11 août 1999 avait également constitué un
événement interruptif de la prescription. C’est à partir de là que les choses deve-
naient encore plus délicates.
13 - Le tribunal saisi avait, le 30 septembre 1999, accordé une provision au titre
des deux lots de tôles. Mais, sur appel, la cour, qui avait confirmé la provision pour
les tôles laminées à chaud, avait dit également « qu’il n’y avait pas lieu à référé pour
le surplus ». Or, la règle relative à l’interruption de prescription du fait d’une action en
justice dispose que celle-ci est regardée comme non avenue si la demande est reje-
tée (5).
14 - Précisément, dans l’arrêt commenté, la cour observe explicitement (i) que le
référé provision avait expressément porté sur deux demandes, l’une pour les tôles
laminées à chaud et l’autre pour celles laminées à froid. Dès lors que, en appel, une
provision n’avait été accordée que pour les tôles laminées à chaud, il fallait considé-
rer que, s’agissant des tôles laminées à froid, la demande en référé provision avait
été rejetée. Avec ce rejet, l’interruption de la prescription devenait caduque.
15 - Par suite, s’agissant des tôles laminées à chaud, l’action en référé provision
avait fait courir un nouveau délai de prescription d’une année partant de la date de
l’octroi de la provision, le 30 septembre 1999. L’action au fond pouvait être intentée
jusqu’au 30 septembre 2000. Or elle ne l’avait été que le 22 décembre 2000 et était
donc prescrite parce que (i) l’interruption de la prescription due à la reconnaissance
de responsabilité faite le 27 octobre 1998 avait seulement fait courir un nouveau délai
d’une année qui avait pris fin le 27 septembre 1999, cependant que (ii) l’action en
référé provision avait fait courir un nouveau délai dont le terme se situait le 30 sep-
tembre 2000.
16 - S’agissant des tôles laminées à froid, l’effet interruptif de la prescription lié au
référé provision avait été rendu inopérant par la décision de la cour d’appel de dire
qu’il n’y avait pas lieu à provision pour celles-ci.
17 - Un dernier élément de droit doit être relevé. La société Duferco a essayé de
se sortir de ce mauvais pas en faisant valoir que la société Saga l’avait, le 13 oc-tobre
1999, actionné en paiement de factures et que, le 5 décembre 2000, elle-même avait
formé une demande reconventionnelle indemnitaire à titre subsidiaire. Cette deman-
de reconventionnelle indemnitaire ne devait-elle pas être déclarée recevable ?
18 - La réponse a été négative parce que le droit positif est établi en ce sens que
l’interruption de prescription ne profite qu’à celui qui réclame et ne s’étend pas à une
action reconventionnelle (6). Certes, la demande reconventionnelle vaut demande
mais elle est le fait du défendeur à l’action principale. Et s’il en est ainsi, c’est parce
que la demande reconventionnelle, si elle est faite entre les mêmes parties, n’a ni le
même objet ni la même cause que l’action principale. Mais précisément, cette
demande reconventionnelle qui avait été formulée par un dépôt de conclusions qui
avait pour date le 5 décembre 2000, avait elle-même été faite hors du délai qui avait
pris fin le 30 septembre 2000.
Yves TASSEL
(6) Cass. Com. 1er oct. 1991, Bull. civ. IV, n° 276.- Cass. Com. 14 janv. 1997, Bull. civ. IV, n° 16.
du dans les quinze jours étant considéré comme s’abstenant et qu’en l’espèce,
M. Daguerre, qui ne conteste pas avoir reçu notification des décisions successives
adoptant le budget de la copropriété et appelant les fonds correspondants, n’a formé
aucun recours à leur encontre dans le délai de trois ans ouvert par l’article 12 de la
loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 sur le statut des navires et autres bâtiments de mer.
Cet arrêt a été cassé, dans toutes ses dispositions, par la Chambre commerciale de
la Cour de cassation le 24 mars 2004 (arrêt n° 568 D, sur pourvoi n° Y 02-11.460)
pour violation du principe de la contradiction, ayant relevé d’office, sans provoquer
au préalable les observations des parties, l’absence de recours de M. Daguerre.
(…)
La copropriété Sarabande fait valoir que les appels de fonds, en vertu desquels
elle est créancière ont fait l’objet de décisions collectives sans que M. Daguerre ne
s’en acquitte. Elle précise que la copropriété a bien rempli son objet, malgré les dif-
ficultés liées à la construction du navire par le chantier italien Valdettaro qui ont
retardé son exploitation, que, sans y être tenue, la gérance a fait valider tous les
appels de fond litigieux et que, si le commissaire aux comptes a refusé de certifier
les comptes, ce n’est pas en raison de la créance ici réclamée, dont le montant, après
la vente du navire s’élève à la somme de 17 397, 67 euros allouée par l’arrêt cassé.
M. Daguerre soutient, de son côté, que l’emploi des fonds n’a jamais été justifié,
qu’aucun compte n’a jamais été présenté, visé par le commissaire aux comptes et
approuvé par l’assemblée générale, la majorité requise n’étant pas atteinte, ce qui
écarte l’application du délai de trois ans de l’article 12 de la loi de 1967 pour agir
en annulation des décisions de la majorité. Il conteste également le décompte pré-
senté.
(…)
Motifs de l’arrêt :
Attendu qu’il résulte des conclusions de la société gérante de la copropriété
Sarabande que la cour de renvoi, comme le Tribunal de commerce de Paris avant
elle, n’est saisie que d’une demande de la gérance tendant au paiement de sommes
qui correspondent à des appels de fonds ; qu’ainsi, contrairement à ce que la géran-
ce soutient, en p. 8, en haut, de ses conclusions, si c’est bien au gérant d’appeler les
fonds, il ne peut le faire de sa propre initiative, sans avoir, comme il le prétend, ni à
justifier ni à faire valider le montant de ses appels, mais exclusivement en exécution
d’une décision collective des quirataires ; qu’en effet, aux termes de l’article 19 de
la loi du 3 janvier 1967 précitée, dans sa rédaction donnée par la loi n° 87-444 du
26 juin 1987, applicable en la cause, les copropriétaires ne répondent aux appels de
fonds du gérant qu’en exécution des décisions prises dans les conditions de majori-
té prévues à l’article 11 de la loi de 1967, ce que confirment d’ailleurs tant les sta-
tuts de la copropriété établis le 30 décembre 1991 (article 2.6) que la convention de
gérance du 31 octobre 1993 - applicable dès le 14 octobre précédent - qui énoncent
que le gérant ne procède à l’appel de fonds que dans le respect du budget (article
9.3) ou en conformité avec lui (article 10.1), sauf événements exceptionnels non en
cause ici ; qu’il convient de rappeler que la loi du 26 juin 1987 a justement eu pour
but de limiter les pouvoirs du gérant qui ne peut plus désormais, comme auparavant,
procéder à des appels de fonds sans que lui soit imposée aucune condition de majo-
rité (Emmanuel du Pontavice, Droit maritime, Précis Dalloz, 12° éd., n° 238,
p. 219 ; Droit maritime français, 1988, p. 12, n° 16, commentaire P. Bonassies) ;
Que, dès lors, avant d’opposer, comme avait fait d’office la Cour d’appel de Paris,
à M. Daguerre la prescription triennale de l’action en annulation des décisions de la
majorité, prévue à l’article 12 de la loi du 3 janvier 1967, il convient de vérifier que
cette majorité était atteinte pour l’adoption du budget en exécution duquel ont été
émis les appels de fonds litigieux ; que cette majorité est, selon l’article 11 de cette
loi, auquel renvoient l’article 19 sur les appels de fonds comme l’article 2.6 des sta-
tuts, la majorité des intérêts, c’est-à-dire la majorité simple, représentée, dans la
copropriété Sarabande, en fonction du nombre de droits de vote, par au moins
298 : 2 + 1 = 149 + 1 = 150 parts ;
Attendu que les seules pièces pertinentes au dossier sur les conditions d’adoption
des budgets (pièces n° 9, 17 et 28 du bulletin de communication de la gérance), qui
sont les procès-verbaux des résultats des consultations écrites des quirataires sur ce
point, permises et organisées par l’article 2.11 des statuts, font apparaître les majo-
rités suivantes :
Qu’alors qu’aucun des budgets en cause n’a jamais obtenu, comme le montre le
tableau ci-dessus et comme le fait valoir M. Daguerre, la majorité des intérêts prévue
par la loi et les statuts, aussi bien la gérance que l’arrêt cassé ont retenu, implicite-
ment, que cette majorité devait se calculer par rapport au nombre de votes exprimés ;
Mais attendu que la majorité des intérêts étant une majorité représentant nécessai-
rement plus de la moitié des parts, elle ne peut se calculer qu’en fonction du nombre
total de celles-ci et non par rapport au nombre de parts détenues par les seuls quira-
taires s’étant exprimés ; que, non seulement aucune disposition de la loi de 1967
n’autorise à compter positivement les quirataires qui se sont abstenus, mais qu’à sup-
poser même - ce qui est très contestable, compte tenu des règles de fonctionnement
des copropriétés de navires - qu’une convention contraire au sens de l’article 30 de la
loi soit possible sur ce point, elle ne résulte pas des statuts de la copropriété
Sarabande ; qu’en effet, la seule stipulation pertinente, celle de l’article 2.11 déjà cité
sur la consultation écrite des copropriétaires, qui est le mode habituel pour l’adoption,
dans cette copropriété, des décisions collectives, précise seulement, d’abord, que
« tout copropriétaire qui n’aura pas répondu dans [le] délai [de quinze jours] sera
considéré comme s’étant abstenu », ensuite que « Pour chaque résolution, le vote est
exprimé par oui ou par non » et, enfin, que « Les décisions prises par les copro-
priétaires obligent tous les copropriétaires, même absents » ; qu’il ne peut pas être
déduit de ces dispositions statutaires qu’une décision collective pourrait être prise par
des quirataires ne représentant qu’une minorité des intérêts, en négligeant de comp-
ter dans le nombre de parts à prendre en considération celles des abstentionnistes ou
bien, ce qui revient au même, en estimant que ces derniers auraient exprimé un vote
positif ; que, dès lors, et peu important que M. Daguerre, qui a toujours désapprouvé
les décisions budgétaires, ait pu effectuer, pour ne pas mettre en péril la copropriété,
quelques versements ou déduire fiscalement de son revenu personnel le déficit d’ex-
ploitation, ce dont il ne résulte aucune acceptation de sa part des appels de fonds
émis, pour un montant qu’il conteste, par la gérance, celle-ci, faute d’une décision
collective régulière adoptée à la majorité des intérêts et en exécution de laquelle elle
pourrait agir, ne dispose d’aucun titre à l’encontre de M. Daguerre pour qu’il répon-
de à des appels de fond ; qu’en réalité cette copropriété se trouve dans la situation
envisagée à l’article 13 de la loi du 3 janvier 1967, aucune majorité des intérêts ne
pouvant se dégager, de manière d’ailleurs répétée, pour l’adoption du budget, dont les
appels de fonds ne sont que l’exécution ; que, par infirmation du jugement entrepris,
la copropriété Sarabande sera donc déboutée de son action en paiement ;
Que l’ensemble des dépens sera supporté par la copropriété, mais qu’il n’y a pas
lieu de la condamner sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procé-
dure civile ;
Par ces motifs :
LA COUR,
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, sur renvoi après
cassation :
INFIRME le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 26 février 1998 et
REJETTE la demande de la société France Caraïbes Charter, en sa qualité de géran-
te de la copropriété du navire Pearl Sarabande, tendant au paiement de la somme de
17 397,67 euros représentant des appels de fonds effectués du 14 octobre 1993 au
20 février 1998 ;
CONDAMNE la copropriété aux dépens exposés tant devant le Tribunal de com-
merce de Paris que les cours d’appel de Paris et Orléans, MAIS REJETTE toute
demande de remboursement de frais sur le fondement de l’article 700 du nouveau
Code de procédure civile ; … ».
Prés. : M. J.-P. Rémery ; Av. : Me Bruguier (demandeur), SELARL GOUZE (défenderesse).
Observations - Des conditions de prise de décisions dans les copropriétés quira-
taires ou l'histoire de quirataires qui ratèrent leur appel de fonds.
C'est un intéressant arrêt que nous livre la Cour d'appel d'Orléans, en tant que Cour
de renvoi après cassation, dans un domaine où la jurisprudence se signale par sa
rareté : le fonctionnement de la copropriété d'un navire, ou copropriété quirataire.
Selon la Cour de cassation, ce furent d'abord le Tribunal de commerce de Paris (26
février 1998) et la Cour d'appel de Paris (9 novembre 2001) qui se fourvoyèrent à
l'occasion de l'application de la règle de droit posée par la loi du 3 janvier 1967 por-
tant statut des navires, relative au fonctionnement de la copropriété. D'où la cassa-
tion, il est vrai pour « non-respect du contradictoire » : on croit comprendre que les
magistrats de la Cour de Paris ont relevé d'office la prescription triennale mise en
place par cette loi (article 12 alinéa 1), sans demander au plaideur auquel cette pres-
cription faisait grief son point de vue.
Une copropriété, retombée des lois de défiscalisation (loi Pons) qui cherchaient à
aider au développement - positif - des départements et territoires d'Outre-Mer, avait
été constituée pour la construction et l'exploitation d'un navire en copropriété, le
Sarabande, copropriété dont la gérance avait été (régulièrement, peut-on supposer)
confiée à une société de gestion « France Caraïbes Charter ».
On sait que la règle fondamentale qui gouverne la prise de décision par les quira-
taires est la règle de la majorité : un quirat, une voix (et non pas un quirataire, une
voix, comme le rappelle justement Rodière (1). Les statuts prévoyaient que les déci-
sions des quirataires seraient prises par voie de consultation écrite (par courrier si
l'on préfère) ; il y est précisé qu'en absence de réponse, les copropriétaires taisants
seraient considérés comme s'abstenant. Et c'est ainsi que, d'année en année, le bud-
get de la copropriété était adopté. Le budget ainsi voté, le gérant se croyait en droit
de procéder aux appels de fonds que son exécution supposait, tels que cela est
prévu par la loi du 3 janvier 1967 (article 19) (2).
Un copropriétaire abstentionniste, M. Daguerre, au bout d'un certain temps, se voit
réclamer une somme non négligeable de l'ordre de 17 400 euros, qu'il refuse de
régler. Assigné par le gérant, il prétend que les décisions relatives au budget n'ont
jamais été prises à la majorité requise par l'article 11 de la loi de 1967 ; et que,
corrélativement, les appels de fonds opérés par le gérant n'avaient aucune légitimité.
Le gérant lui rétorque, d'une part, que sa contestation est tardive comme n'ayant
pas été opérée dans le délai de prescription triennale prévu par l'article 12 alinéa 1
pour toute action en contestation des décisions de la majorité des quirataires (3) ; et
que les décisions fondant les appels de fonds ont été valablement prises par la majo-
rité des quirataires qui ont daigné s'exprimer à l'occasion de la consultation écrite.
Dans un premier temps, les juridictions du fond, ainsi que rappelé ci-dessus, don-
nent raison au gérant. Mais, on l'a dit, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris a été cassé
pour violation du principe du contradictoire.
(1) Traité Général de Droit Maritime, Introduction, - L'armement, Dalloz 1976, p. 415, n° 320.
(2) Article 19 (modifié par la loi du 26 juin 1987) : « .... (Les copropriétaires) doivent, dans la même propor-
tion, contribuer aux dépenses de la copropriété et répondre aux appels de fonds du gérant présentés en exé-
cution des décisions prises dans les conditions de majorité prévues à l'article 11 ».
(3) Article 12 alinéa 1 : « Nonobstant toute clause contraire, les décisions de la majorité sont susceptibles
de recours en justice de la part de la minorité. Ces recours doivent être exercés dans un délai de trois ans ».
L'affaire revient donc devant la Cour d'appel d'Orléans, en tant que Cour de
renvoi. La décision de cette formation, ici commentée, revient aux fondamentaux,
c'est-à-dire à l'application d'un texte limpide, pour donner finalement raison au
quirataire contestataire.
Elle rappelle le mode de calcul de la majorité requise pour que les décisions des
copropriétaires quirataires puissent valablement être prises. Elle en déduit que, en
l'absence d'une pareille majorité, les appels de fonds opérés par le gérant sont pri-
vés de base légale et que le délai de prescription triennale de l'article 12 ne peut
s'appliquer (implicitement, retour au droit commun de la prescription).
Cette décision doit être approuvée dans son principe, malgré les conséquences
pratiques redoutables qu'elle peut entraîner dans le fonctionnement des coproprié-
tés, notamment des énormes « machines » que sont devenues certaines d'entre
elles.
(4) L'article 22 prévoit l'unanimité des copropriétaires pour la vente d'un quirat susceptible de faire perdre la
francisation du navire [on prendra garde à la portée méconnue de la combinaison des articles 15 et 16 de la
loi d'après lesquels, faute de publicité réglementaire sur la nomination d'un ou de plusieurs gérants, tous les
copropriétaires sont réputés gérants (article 15), lesquels doivent dès lors agir « d'un commun accord » (arti-
cle 16), donc à l'unanimité]. L'article 25, qui autorise l'hypothèque du navire par le gérant, la subordonne au
consentement d'une majorité des intérêts représentant les trois quarts de la valeur du navire. L'article 27
retient la majorité en valeur pour la licitation du navire en copropriété.
On constate donc un petit flottement dans la terminologie employée par le législateur : majorité des intérêts,
majorité des intérêts représentant les trois quarts en valeur, majorité en valeur. Ces variations ne semblent
pas affecter la compréhension des textes, ni en modifier la signification. Toutefois, Martine Rémond-Gouilloud
(Droit maritime, Pédone, n° 221) semble vouloir distinguer entre majorité des intérêts et majorité en valeur.
Pour qu'il y ait pareil décalage, il nous semble qu'il faille imaginer une copropriété où les quirats distribués
n'auraient pas tous la même valeur. Cela devrait être rare.
(5) Atomisation toute relative lorsque l'on se souvient que le navire Club Med I avait été divisé en 36000 qui-
rats.
Antoine VIALARD
Professeur émérite
Université Bordeaux IV
Peu importe, enfin, que l’une des parties n’ait pas été à même d’apporter le conte-
nu de la loi étrangère puisque la recherche du contenu de la loi étrangère fait désor-
mais partie de l’office du juge.
Dans une formule générale - très - récente et au visa de l’article 3 du Code civil,
la première chambre a retenu : « qu’il incombe au juge français qui reconnaît une loi
étrangère applicable, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, d’en
rechercher la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et
de justifier ainsi la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif étranger
». Civ, 1ère, n° 00-15.734, au rapport de M. Pluyette. (Tout juste rendue au moment de
la rédaction de ce rapport).
Cette jurisprudence intègre la loi étrangère comme source naturelle du droit. Le
juge doit en rechercher la teneur. Elle peut être considérée comme surprenante
quant à l’office du juge. Elle est cependant le fruit de l’internet... Quelques clics per-
mettent désormais d’écarter la pertinence de la jurisprudence Amerford.
Dans cette occurrence, il semble que le premier moyen peut conduire à une cas-
sation.
Le présent rapport sera transmis à M. Pluyette pour consultation. La réponse au
premier moyen conditionne en tout état de cause une éventuelle réponse au second
moyen.
L’affaire mérite de passer en FO.
ARRET
« LA COUR,
Sur le premier moyen :Vu l'article 3 du Code civil ;
Attendu qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger,
d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur,
avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la ques-
tion litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ;
Attendu, selon l'arrêt déféré, que la société International trading company (socié-
té Itraco) ayant conclu avec la General service organization (GSO) une vente CIF de
fèves australiennes, la marchandise a été acheminée en vrac à bord du navire
MV Chang-Er sous couvert de connaissements nets de réserve depuis les ports aus-
traliens de Wallaroo et d'Adélaïde au port d'Adabya en Egypte et que des manquants
ont été constatés au cours des opérations de déchargement ; qu'ultérieurement, la
société Itraco, subrogée dans les droits de GSO, a assigné la société Fenwick ship-
ping services Ltd, armateur du navire ainsi que son capitaine, en indemnisation du
préjudice ;
Attendu que pour écarter l'application de l'Australian Carriage of goods by sea act
1991 et rejeter la demande de la société Itraco, l'arrêt retient que les fèves ont été
transportées sous couvert de trois connaissements « Austwheat » prévoyant l'appli-
cation des règles de l'Australian Carriage of goods by sea act 1991 et non celle des
règles de Hambourg de 1978, comme l'a retenu à tort le tribunal, que la société Itraco
n'a pas justifié du contenu de ces règles, ni versé les connaissements complets recto
verso, ne permettant pas d'examiner les clauses figurant au verso et qu'en l'état des
pièces produites, la société Itraco n'établit ni les modalités prévues pour la livraison
ni celles afférentes aux pesées de la cargaison délivrée au réceptionnaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la loi australienne était
applicable au litige, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le
20 février 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en consé-
quence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Fenwick shipping services Ltd et le capitaine du navire
MV Chang-Er aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la
société Fenwick shipping services Ltd ; ... ».
Prés. : M. Tricot ; Rapp. : M. de Monteynard ; Av. : SCP Waquet, Farge et Hazan (Sté
Itraco), SCP Delaporte, Briard et Trichet (sté Fenwick shipping services Ltd).
Observations - De l’office du juge quant à la preuve de la loi étrangère (Sur deux
arrêts naviguant de conserve, Cass. Civ 1, 28 juin 2005 et Cass. Com. 28 juin 2005).
Le sujet est exemplaire. Quiconque s’inscrit dans un contentieux international est
tributaire de l’appréciation de la loi étrangère par le juge national. Quiconque
s’adonne aux affaires internationales est voué à se trouver un jour mêlé à un conten-
tieux international. Et quiconque opère dans le commerce maritime s’immisce par là-
même dans les affaires internationales.
Cette jurisprudence, enfin, est exemplaire. Voici, rendus à quelques heures d’in-
tervalle, sur une question controversée depuis plus de dix ans, deux arrêts, l’un de la
première Chambre civile (1), l’autre de la Chambre commerciale de la Cour de cas-
sation, adoptant la même solution, dans les mêmes termes (2), coupant ainsi court
aux tentations d’interprétation divergentes.
Sans doute les circonstances de fait en cause étaient-elles sans rapport. Dans
l’espèce soumise à la Chambre commerciale à propos de manquants constatés au
terme d’un transport de fèves d’Australie en Egypte, les connaissements émis ren-
voyaient à la loi australienne sur le transport maritime de marchandises. Quant à l’af-
faire soumise à la première Chambre civile, elle portait sur le règlement de la ces-
sion de parts sociales d’une société allemande, ce règlement, constaté par acte
authentique allemand, se trouvant contesté par le vendeur au nom de la liberté des
preuves en droit commercial français. Cependant, dans les deux cas le même pro-
blème se posait : les cours d’appel, ayant reconnu applicable le droit étranger mais
estimant insuffisantes les preuves de sa teneur fournies par les parties, l’avaient
donc écarté, pour revenir au droit français, appliqué à titre subsidiaire. Et dans les
(1) Cass. Civ.1 28 juin 2005, (cassant CA Angers 29 fév. 2000), rapport Pluyette, cf. Rec. Dalloz 2005 n° 41,
p. 2853 note N. BOUCHE.
(2) Cass. Com. 28 juin 2005 (ITRACO) (cassant CA Paris 20 fév. 2002), rapport G. de Monteynard.
deux cas la censure les frappe, au même visa de l’article 3 du Code civil, et au même
motif : « il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d’en
rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec
le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question
litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ».
L’intérêt de cette formule, très riche, déborde le champ de cette revue : elle y
répond en effet à une question générale et cruciale en droit international, la charge
de la preuve du contenu de la loi étrangère (3). Elle n’en mérite pas moins la plus
grande attention du praticien du droit maritime, parfois trop enclin à se suffire, outre
la loi du for, du réseau de conventions internationales maillant sa planète. Dans les
interstices, et aux marges de ce réseau, il lui faut pourtant souvent faire une place à
la loi étrangère. Le renforcement de l’office du juge français à cet égard (I) de même
que les interrogations suscitées par l’approfondissement de sa tâche (II) appellent
donc ici quelques remarques ; la motivation de la Cour de cassation en dicte la pré-
sentation.
(3) Sur laquelle nos quelques indications invitent surtout à consulter les traités et études spécialisés, faute
de pouvoir les citer ici.
(4) Sur le problème de la loi applicable au fond aux litiges occasionnant des saisies de navires dans les ports
français. Civ1 6 nov 1979, Rev. Crit. D.I.P 80588, note Couchez ; Bonassies, DMF 89, 80.
(5) v. H. Batiffol. Nationalisme et Internationalisme en Droit international privé. Cours Doctorat Univ. Paris
1965-66 man.
(6) Civ. 12 mai 1959, BISBAL, D.60 610 note Malaurie ; JCP 60II.11.733 note Motulsky.
(7) Cie algérienne de crédit et de banque. 2 mars 1960, JCP 60 II 11734 note H.M Grands arrêts n° 34.
la loi étrangère compétente non invoquée par les parties, et en dépit d’un coup d’ar-
rêt porté à cette jurisprudence en 1988 (8), les parties conservaient pour l’essentiel
la charge d’établir le contenu de la loi étrangère dès lors qu’elles y avaient intérêt ;
faute de quoi la loi française devait s’appliquer au titre de sa vocation subsidiaire de
loi du for (9). Or, les éléments de preuve soumis par les parties relevant de l’appré-
ciation souveraine des juges du fond, le retour à la loi française, incontrôlable, se
trouvait ainsi facilité. Les deux arrêts d’appel soumis à la Cour de cassation le 28 juin
2005 témoignent de cette tendance ; leur censure témoigne du souci de la Cour de
cassation d’y mettre fin.
« Soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque… ». Avec les arrêts du
28 juin 2005, la situation se trouve clarifiée : outre les cas où une partie l’invoque,
ceci impliquant qu’elle y a intérêt, la loi étrangère doit être appliquée d’office par le
juge, ainsi investi d’un rôle « volontaire et actif » (10). Voici également, surtout peut-
être, dissipées les incertitudes nées d’une distinction jurisprudentielle récente selon
que les parties ont ou non la libre disposition des droits litigieux. Suivant cette
jurisprudence, amorcée par un arrêt de la Chambre commerciale le 16 novembre
1993 (11), la preuve du contenu de la loi étrangère incombe, pour les droits disponi-
bles, à la partie qui en invoque l’application, faute de quoi la loi française retrouve sa
vocation subsidiaire, la recherche de la teneur de la loi étrangère s’imposant en
revanche au juge français dès lors que les droits litigieux ne sont pas à la disposition
des parties (12).
Trop subtile peut-être (13), la distinction ne cessait de susciter interrogations doc-
trinales et hésitations jurisprudentielles. La voici donc gommée, et en même temps
le risque de divergence jurisprudentielle réglé avec élégance. Il n’est pas dit pourtant
que la tâche soit achevée. Reste en effet au juge à …
(8) Civ1. 11 et 18 oct. 1988, Rev. Crit. DIP 89, 368, chronique Lequette ; J.89.349, note Alexandre.
(9) Civ1. 5 nov 1991, Rev. Crit DIP 1992, 314 note Muir Watt.
(10) Cf N. Bouche, ét.cit. p. 2854.
(11) Bull n°405, Rev. Crit. droit intern. Privé 1994 p. 332, note LAGARDE ; JDI 1994 p. 98, note J.B Donnier.
(12) Cass com 2 mars 1999, Rev. Crit. DIP 99. 305, note Rémery.
(13) D’autant qu’elle semble recouvrer des concepts distincts, cf LAGARDE, Traité cit. t.1 n° 330 p. 537.
(14) « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».
N.B. Une première formulation, mentionnée au rapport du Conseiller Monteynard, incitait seulement le juge
« à justifier ainsi la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif étranger ».
(15) Suivant cette théorie, supposant une comparaison entre loi étrangère compétente et loi effectivement
appliquée, soit en général la loi française, cette dernière ne serait écartée et la loi étrangère imposée que si
son application conduisait à un résultat différent.
(16) Cf Batiffol et Lagarde, Traité préc., n° 332 p. 544.
une loi française. Or ceci appelle deux remarques, l’une d’ordre théorique, l’autre pra-
tique. On saluera certes l’avancée que représente, pour le droit international, ce sta-
tut neuf de la loi étrangère, jusqu’à récemment traitée comme source inférieure,
sinon même comme un simple fait ordinaire. Mais ne faut-il pas en même temps
noter combien la tâche du juge s’en trouve alourdie (17) ? En dépit des facilités infor-
matiques, « quel clic de souris » lui permettra de conjuguer à coup sûr loi de fond
étrangère et loi de procédure relevant du for ? Quel clic surtout, lui donnera accès à
la loi étrangère, par-delà la lettre du texte ?
Au-delà de la stricte lecture de la loi, reste en effet à l’interpréter, c'est-à-dire non
seulement à la traduire (traduttore – tradittore…), mais également à la situer dans
son contexte, ce qui suppose connue la jurisprudence, voire les modes de pensée
en cause. La subtilité du droit comparé dit assez la difficulté de l’exercice, sitôt que
l’on sort du cercle des droits de même famille que le nôtre. Dans l’affaire jugée par
la première Chambre civile, la détermination du contenu de la loi allemande ne posait
guère de problème aux spécialistes, rompus à la culture germanique, non plus sans
doute que celui de la loi australienne sur le transport des marchandises dans l’espè-
ce soumise à la Chambre commerciale. Mais qui ne se souvient de cette décision
rendue en 1998 dans le procès de l’Amoco-cadiz, où l’on voyait le juge de Chicago
chargé d’appliquer la loi française, loi du lieu du dommage, s’émerveillant des simili-
tudes qu’il y relevait avec la loi des Etats-Unis, et en effectuant dès lors une lecture
purement « américaine » (18) ?
Face à ces incertitudes, le maritimiste, enfin, se félicite de l’uniformisation de son
droit par l’effet des Conventions internationales qui le régissent. Comment cependant
ignorer que ces Conventions, fruits de compromis, sont des équilibres instables, où
chaque système tend à imposer sa propre interprétation, où le respect du droit posi-
tif étranger va donc bien au-delà de la simple lecture des textes ? Comment enfin ne
pas s’inquiéter de l’adéquation entre ce système complexe, perpétuellement modifié,
tributaire de hasards informatiques (19), et le respect d’une « solution conforme au
droit positif étranger » ? Non, décidément, la page n’est peut-être pas encore tour-
née.
Martine REMOND-GOUILLOUD
(17) Longtemps la Cour de cassation s’est gardée pour cette raison d’imposer au juge d’établir le contenu de
la loi étrangère. Cf. Batiffol et Lagarde, op. cit n°331 p.538, et la note 4.
(18) « Les exigences de la vie civilisée et la raison logique commune à tous les hommes imposent que les
lois de toutes les nations, France et Etats-Unis compris, se traduisent par une communauté presque parfai-
te de principes de droit ». U.S D.C, North. Distr. Illinois, 11 janvier 1988, p.4 (traduction libre).
(19) L’erreur commise dans notre espèce, par les premiers juges, qui avaient reconnu compétence aux règles
de Hambourg plutôt qu’à la loi australienne, en constitue le meilleur exemple.
Le présent article vise à offrir une vision à la fois succincte, pratique et réelle de
ce que sous-entend d’un point de vue juridique aujourd’hui en Espagne la fonction
de transitaire et de commissionnaire de transport, en relation avec ses droits et ses
responsabilités, à la lumière des décisions des diverses « Audiencias Provinciales »
(Cours d’appel) et du « Tribunal Supremo » en laissant de côté, dans la mesure du
possible, les opinions personnelles sur ce que devrait être et n’est pas le commis-
sionnaire de transport ou transitaire en Espagne.
Les intermédiaires de transport sont réglementés en Espagne selon une double
perspective, suivant que l’on examine la profession en droit public ou en droit privé.
Du point de vue du droit commercial, la norme qui s’applique est l’article 379 du
Code du commerce de 1885, qui sur ce point précis, n’a pas subi de modifications
depuis l’origine. Cet article prévoit que les dispositions contenues dans les articles
349 et suivants (qui se réfèrent au transporteur proprement dit) sont applicables
pareillement à ceux qui, bien que n’effectuant pas eux-mêmes le transport de mar-
chandises, le feraient par contrat avec des intermédiaires, soit comme fournisseurs
d’une opération particulière et déterminée soit comme commissionnaires de
transports et d’acheminements. Ensuite, l’article précité dispose que dans les deux
cas, ils seront subrogés au lieu et place des transporteurs, tant pour leurs obligations
et leur responsabilité que pour leurs droits.
Du point de vue du droit administratif, il faut se référer à l’article 126 de la loi
16/1987 d’organisation des transports terrestres, plus connue en Espagne comme
nuances exposées plus bas, cela suppose que la position du transitaire ou commis-
sionnaire de transport en Espagne face à son client est juridiquement comparable (au
moins en pratique) à celle du transporteur face à l’expéditeur effectif. Pour preuve
de cette interprétation, on peut citer l’arrêt de la « Audiencia Provincial » de Madrid
du 14 juin 2000 qui déclare au sujet d’un opérateur de transport : « il est commis-
sionnaire de transport dès lors qu’il assume l’obligation de remettre, réexpédier, ou
faire parvenir la marchandise reçue à son destinataire final, de sorte qu’il se trou-
ve dans la même position que le transporteur, conformément à l’article 379 du code
de commerce. »
Ainsi donc, en Espagne, le transitaire ou commissionnaire de transport est soumis
à une obligation de résultat. Autrement dit, le transitaire a l’obligation de mener à
bien, d’exécuter correctement le transport qui lui a été commandé, et en est respon-
sable devant son client ou expéditeur. En d’autres termes, le transitaire ou commis-
sionnaire de transport est considéré comme responsable de toutes les actions ou
omissions de chacune des personnes ou entreprises auxquelles il a recours pour exé-
cuter le contrat, raison pour laquelle les arguments avancés pour la défense de ces
professionnels du transport tendant à prouver que les obligations du transitaire
disparaissent du fait de la passation de contrat et de l’organisation du transport sont
systématiquement rejetés par toutes les juridictions. L’arrêt de la « Audiencia
Provincial » de Barcelone du 1er juillet 2000 est un exemple de cette jurisprudence,
dans le cas d’une réclamation pour dommages subis par la marchandise au cours du
transport : « Sont applicables l’article 379 du Code de commerce et les articles
120.2 ou dans ce cas (en l’absence de qualification plus précise) 126.2 de la loi
16.1987 du 30 juillet, d’organisation des transports terrestres, d’où il ressort que
« K. S.A. », s’est engagée en tant que transporteur avec son commettant assuré par
le demandeur, à l’exécution correcte du transport et des prestations accessoires,
depuis le port de Barcelone jusqu’à l’entrepôt du destinataire à Puebla. Par consé-
quent, ne peuvent être retenus les arguments du défendeur qui conteste son implica-
tion par le fait qu’il a agi en tant qu’intermédiaire de transport et non comme
transporteur effectif ». Cette responsabilité est confirmée par les arrêts du « Tribunal
Supremo » du 14 juillet 1987 et du 16 septembre 1997, (la citation suivante est
extraite de ce dernier) : « pour ce qui concerne l’exception de défaut d’implication
du défendeur au motif qu’il a agi en tant qu’intermédiaire de transport et non
comme transporteur effectif, l’article 379 du Code de commerce prévoit que les
dispositions contenues dans les articles 349 et suivants s’appliquent pareillement à
ceux qui, bien que n’ayant pas effectué par eux-mêmes le transport, ont passé
contrat avec des intermédiaires à cette fin, auquel cas ils sont subrogés au lieu et
place des transporteurs quant à leurs obligations et responsabilités. Ainsi donc,
même s’il est reconnu que le transport de la marchandise a été réalisé par
Transports S., le demandeur ne conteste pas sa qualité d’intermédiaire, à cet effet,
sur la base de l’article cité, il assume les obligations du transporteur. »
A côté de l’interprétation dérivée de l’application pure et simple du texte de loi,
nos juridictions affirment aussi que, en cas de négligence d’un des sous contractants
du commissionnaire, celle-ci est partagée par l’intermédiaire qui l’a engagé, faute
« in eligendo » voire « in vigilando ». Pour preuve, l’arrêt de la « Audiencia
tribunaux à cette question est extrêmement variée (le délai va de 6 mois à 15 ans
selon les trois principales tendances), il n’est pas inintéressant d’offrir une vue
d’ensemble sur l’état de la question.
Il semble évident que l’origine d’un telle divergence de vues vient de ce que nos
tribunaux n’ont pas clairement défini la véritable nature juridique du commission-
naire de transport, dans la mesure où il n’est pas établi par tous que l’article 379 du
Code de commerce assimile les intermédiaires de transport à de véritables transpor-
teurs ; ou seulement en partie. Par conséquent, il n’y a pas non plus unanimité sur la
nature des sommes que le transitaire réclame à ses clients.
La première position concernant le délai de prescription des actions du transitaire
contre l’expéditeur est celle qui considère que l’article 379 du Code de commerce
assimile ces professionnels aux transporteurs et que par conséquent, le délai à rete-
nir est celui qui est prévu à l’article 951 de ce même code qui indique que les actions
relatives au recouvrement des frais de port, de fret, des frais inhérents et contribu-
tions aux dommages courants ont un délai de prescription de six mois après la remi-
se des marchandises. Ce délai est de 15 mois s’il s’agit d’un transport international
de marchandise par route soumis à la convention CMR (contrat de transport inter-
national de marchandises par route), en vertu du délai de prescription contenu dans
cette convention. Cette position, sans doute la plus simple, n’est pas exempte de pro-
blèmes car dans de nombreux cas, l’intervention du transitaire va bien au-delà de la
simple gestion d’un contrat de transport. Ainsi, diverses réponses ont été apportées
remettant en cause l’application mécanique au commissionnaire et transitaire des
délais prévus pour le transporteur.
La décision du Tribunal Supremo du 31 janvier 1983 a souligné que l’article 951 se
rapporte à la régulation du contrat de transport et des actions pouvant en découler au
bénéfice du transporteur et non à celles qui relèvent d’autres sujets en vertu d’autres
contrats, fussent-ils liés objectivement à ce contrat de transport. Cet argument
conduit le Tribunal Supremo à la conclusion que tout contrat excédant le cadre strict
du transport même s’il se présente comme une convention atypique à caractère
commercial, doit être régi par l’article 50 du Code de commerce et par les disposi-
tions du Code civil auquel se réfère l’article 943 du Code de commerce, ce qui
conduit à l’application du délai de 15 ans prévu à l’article 1964 du Code civil pour
la prescription des actions personnelles n’ayant pas un délai spécifique de prescrip-
tion. En définitive, il faut retenir que les contrats débordant du simple cadre du
transport sont atypiques et par conséquent sont soumis aux délais communs de pres-
cription et non à ceux qui sont spécifiques au transport. Un arrêt du Tribunal
Supremo du 8 mai 1996 reprend le critère antérieur et bien qu’il soit rendu au sujet
des consignataires de navires, il est applicable aux commissionnaires de transport.
De même, la « Audiencia provincial » de La Corogne a rendu une décision très
explicite où elle déclare qu’il existe une différence entre le statut de transporteur et
celui de transitaire, ces derniers « s’engageant à organiser contractuellement le
transport en leur nom propre et non à l’effectuer eux-mêmes, le délai de prescri-
ption dérivé de l’article 951 du Code de commerce relatif aux réclamations des frais
de ports du transporteur ne leur est donc pas applicable dans leur relation avec
leurs clients ».
diverses zones du territoire espagnol, pour lequel les deux parties ont mis à la dispo-
sition l’une de l’autre leurs infrastructures et leur organisation pour parvenir à ce
résultat concret. Il s’agit donc d’une relation juridique complexe avec pluralité de
causes avec une vision finaliste de la relation commerciale constituée dans cet
objectif. Ainsi donc, ce qui est demandé n’est pas le recouvrement de contrats de
transports – indépendamment de ceux qui auraient pu être réalisés spécialement ou
sous-traités à un tiers – mais la liquidation et le paiement de la prestation cor-
respondante par la société intimée du fait de la liquidation de cette complexe rela-
tion commerciale avec solde favorable pour la partie appelante. »
Dans le même sens, la « Audiencia Provincial» de Barcelone a statué comme suit
le 23 juillet 2001 : « on peut effectivement affirmer que la relation entre les parties
est plus complexe que celle d’un contrat de transport « stricto sensu », car s’il est
vrai qu’en tant que transitaires (activité qui n’est pas réglementée dans le Code de
commerce car trop récente et développée pour intervenir dans les relations interna-
tionales complexes du transport de marchandises, dont il est fait mention dans la Loi
d’organisation des transports de 1987, loi 16/87 du 30 juillet, définie dans les arti-
cles 119 et 126 comme celle d’organisateurs des transports internationaux) leurs
fonctions sont clairement liées au contrat de transport, il est certain que la récla-
mation concernée n’est pas liée à proprement parler à un contrat de transport que
chacune de ces sociétés a conclu avec ses clients respectifs mais à un contrat de col-
laboration mutuelle, en d’autres termes nous ne sommes pas face à une réclamation
pour avaries, perte de marchandise ou impayé du transporteur, destinataire ou
consignataire, propres au contrat de transport « per se », mais il s’agit d’une rela-
tion commerciale plus large à travers laquelle les deux parties, grâce à l’interven-
tion de leurs clients respectifs, entretenaient un système de collaboration comme dit
précédemment (au bénéfice des deux parties) pour intervenir entre la France et
l’Espagne ». Il résulte de ce qui précède la conséquence suivante : « la Convention
de Genève relative au transport de marchandises par la route ne s’applique pas aux
relations entre les entités organisatrices de transport car ce qui est réclamé c’est la
liquidation globale des frais de port et non pas comme indiqué dans la sentence en
question le paiement de frais de port particuliers, de sorte que cet aspect global
caractérise donc le contrat entre les deux parties et par conséquent le délai de pres-
cription du Code civil s’applique pour ce qui ne ressortit pas aux dispositions du
Code de commerce ou aux normes spéciales qui régissent certaines activités com-
merciales (art. 50 du Code du commerce) en relation avec la Convention sur le
Transport de marchandises par la route ».
(Traduction : Michel Fraysse, conservateur à la Bibliothèque Cujas)
Droit des transports, par Christophe PAULIN, Litec, 2005, 314 pages,
45 euros.
Cet ouvrage est essentiel : il est une somme de connaissances et une remarquable
présentation synthétique d’une matière extrêmement touffue mais rendue accessible
par l’acuité de l’auteur, agrégé des facultés de droit, professeur à l’université des
Sciences sociales Toulouse I et fondateur et directeur du master de droit des
transports.
Dans une introduction courte mais d’une très forte densité, le décor de la pièce est
planté. L’auteur étant convaincu du poids des images, la diversité des modes de
transport est introduite par une mosaïque de faits, de situations et de questions. Puis
quatre courts développements donnent la perspective de l’étude : le droit des
transports est sectoriel, fragmenté, voire atomisé ; pour autant le droit des transports
et les droits fondamentaux ne s’ignorent pas, de même que des apports réciproques
irriguent le droit commun et le droit des transports ; dès lors il est légitime de poser
la question d’un droit général des transports, compte tenu notamment des rappro-
chements observés dans le contenu de ses différentes branches. L’objectif de l’ou-
vrage est donc de proposer une étude d’ensemble de ce droit que l’auteur divise en
quatre parties : les institutions, les déplacements, les entreprises et les contrats.
Les institutions sont présentées sous couvert de plusieurs divisions qui sont autant
de critères de distinction : leur caractère international, européen ou national ; leur
caractère normatif, consultatif ou coopératif ; leur caractère général ou spécialisé ;
leur caractère territorial. Sont ainsi passées en revue les institutions relatives à
chaque mode de transport. C’est une masse de documentation qui nous est accessi-
ble et qui nous fournit l’occasion de souligner que M. Paulin n’est pas dénué d’hu-
mour ainsi qu’en témoigne cette phrase (n° 1, in fine) : « prenant sa voiture diesel
pour rechercher la documentation, l’auteur s’interroge sur la qualité des transports
en commun et, bloqué dans les embouteillages, s’inquiète du service minimum qui
permettra aux autres de libérer la route ». La présentation des déplacements intro-
duit pareillement le lecteur dans un terrain assez peu familier.
L’idée générale est simple : les déplacements ne peuvent être anarchiques mais
leur organisation est hétérogène, qui balance entre le libéralisme et le dirigisme. La
division distingue entre leur organisation et leur réalisation.
L’organisation des déplacements s’accroche à de multiples aspects : autorités
organisatrices, services d’intérêt général ou marchands, syndicats ou associations
représentatifs des différents intérêts, prestations de services, concurrence, conven-
tions internationales ou traités bilatéraux, navigation ou circulation, transports
urbains et transports non urbains, transports publics et transports pour son propre
compte, transports internationaux ou intracommunautaires, province et Ile de
France. Ce monde dont l’importance ne peut être mésestimée est rendu accessible
par une présentation synthétique d’un contenu d’une diversité extrême et d’un inté-
rêt grandissant. C’est dire aussi que l’auteur ignore les frontières du droit privé et du
droit public, qualité éminente et parti pris impératif.
La réalisation des déplacements conduit vers d’aussi clairs développements. Ici la
réglementation a pour objet l’usage des infrastructures, les polices spéciales qui les
gouvernent, les tarifs, les règles de circulation et de navigation, le comportement du
conducteur, les temps de travail et de repos, les aides à la navigation, la sûreté et les
accidents. Sans oublier que l’auteur a bien conscience de l’intérêt capital de l’har-
monisation des dispositions dont le caractère national l’emporte très largement sur
le caractère international.
Avec les entreprises et les contrats, les aspects de droit privé réapparaissent un peu
plus nettement.
Des entreprises, l’auteur présente successivement l’activité, le personnel et les
biens sous l’éclairage de la libéralisation, de l’idée d’un statut et du contrôle des
véhicules. Les aspects essentiels de la matière sont relatifs à la forme juridique des
entreprises de transport, leur identification, leur honorabilité, leur capacité profes-
sionnelle et leur capacité financière, ce qu’expriment des licences et des certificats.
Le personnel de contrôle des entreprises et la sanction des infractions, voire des
fraudes, constituent un autre point non négligeable. Les statuts des différents per-
sonnels laissent apparaître des mondes relativement différents même si le comman-
dant de l’aéronef et le capitaine du navire présentent de notables éléments de simi-
litude. Le soin apporté à l’étude des règles relatives aux véhicules incitent à ne pas
oublier que, même si le contrat de transport s’est progressivement détaché de l’en-
gin de transport, celui-ci demeure un élément capital non seulement de la réussite de
l’opération de transport mais aussi de la sécurité des personnes et de la protection de
l’environnement. Restent alors les contrats.
L’auteur en a très justement une vision large : il étudie séparément les contrats de
transport et les contrats accessoires au transport.
Sur le premier point, une introduction traite de l’existence du prix, de l’obligation
de déplacement et de la qualité du prestataire. Après quoi, la différence est faite entre
les contrats de transport de voyageurs et les contrats de transport de marchandises.
S’agissant des contrats de voyage, la division est rattachée au mode de transport –
terrestre, aérien et maritime – ce qui permet à l’auteur d’insister sur quelques points
particuliers, notamment la sécurité des passagers et la responsabilité du transporteur.
Une autre division est employée pour traiter du transport de marchandises : conflit
de lois, conclusion du contrat, obligations, responsabilité du transporteur et conten-
tieux du contrat. On saura gré à l’auteur d’avoir par la-même insisté sur les aspects
majeurs que sont les documents de transport, le déplacement et les conditions de la
responsabilité et du contentieux.
Les contrats accessoires au transport distinguent entre les contrats qui, conclus
avec les auxiliaires de transport, ont pour finalité l’organisation de l’opération de
transport et ceux qui, relatifs à l’exploitation des véhicules, ont pour objet la dispo-
sition des outils du transport. Relèvent de la première catégorie, les contrats conclus
avec les agences de voyages, les organisateurs de croisières maritimes, les commis-
JURISPRUDENCE FRANÇAISE
Elle considère au premier chef que le contrat dont elle dispose est un contrat de
concession d'outillage public et, qu'ainsi, elle ne serait pas investie du service public
à caractère industriel et commercial d'exploitation du port de Calais,
Pour autant, comme il est indiqué à l'article 1er de ce contrat et comme d'ailleurs,
la C.C.I l'indique elle-même dans ses écritures « la présente concession a pour objet
l'exploitation de l'outillage public » qui comprend les rampes d'accès, objet du
litige.
La C.C.I assurait donc bien l'exploitation de l'outillage et non seulement leur
entretien.
Cette évidence ne constitue nullement une quelconque interprétation du contrat
liant la C.C.I à l'Etat comme le soutient la C.C.I.C.
Le demandeur fait état de ce que les personnes publiques, exerçant une mission à
caractère industriel et commercial, entretiennent des relations de droit privé avec les
usagers de ce service public public (CE 15 mai 2000).
Ainsi, les litiges individuels nés des rapports entre un service public industriel et
commercial et ses usagers relèvent de la compétence des juridictions judiciaires
(T. Conflits 24 mai 2004) – ceci restant valable, même en présence de travaux
publics ou d'un ouvrage public (T.Conflits 24 juin 1954).
Le demandeur s'appuie sur un arrêt du 23 mars 2000 de la Cour d'appel de Rouen
qui, dans un cas similaire, a considéré que « la société concessionnaire, prise dans
son activité d'exploitation de l'outillage public du port assure une mission de servi-
ce public de nature industrielle et commerciale » et ainsi « que les actions relatives
à la réparation des dommages causés aux usagers d'un service public industriel et
commercial par l'interruption ou les perturbations du service, intéressent nécessai-
rement, eu égard à leur objet, les rapports entre le service et ses usagers pris en
cette qualité ; qu'elles relèvent par suite, quelle que soit la cause des perturbations,
de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ».
Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation, le 7 janvier 2003.
Pour s'opposer à cette jurisprudence, la C.C.I.C. invoque la qualité de port d'inté-
rêt national pour le port de Calais qui resterait ainsi sous l'exploitation directe de
l'Etat.
Force est cependant de constater que la qualité de port d'intérêt national n'interdit
pas la concession d'exploitation des outillages portuaires et que la jurisprudence
consacre le fait que, quel que soit le statut du port, l'exploitation des outillages
publics relève d'un service public industriel et commercial (Cass. Civ.
7 décembre 1954).
Un arrêt de la Cour de Cassation du 1er octobre 1985 au sujet d'un sinistre, inter-
venu au port de La Rochelle, lui-même port d'intérêt national, a d'ailleurs tranché
dans ce sens.
Considérant que « les liens existant entre les services publics, industriels et com-
merciaux et leurs usagers sont des liens de droit privé et que la qualité d'usager n'est
pas subordonnée à l'existence d'un contrat mais doit être reconnue à celui qui béné-
ficie des prestations du service en cause ».
La C.C.I.C. considère qu'en l'espèce, il s'agit d'une action en réparation formée par
l'usager d'un ouvrage public et non de l'usager d'un service public industriel et com-
mercial et s'appuie sur une jurisprudence du Tribunal des Conflits du 15 mars 1999.
Cependant, cette décision concernait une passagère en attente d'embarquement et
qui, ainsi, utilisait des installations ayant le caractère d'ouvrage public mais n'était
pas elle-même usager d'un service public à caractère industriel et commercial.
La situation est tout à fait différente vis-à-vis de la demanderesse.
Ce n'est pas un passager de la compagnie de navigation qui intente une action mais
bien la compagnie elle-même à qui on ne saurait nier la qualité d'usager du service
public industriel et commercial.
En effet, la compagnie bénéficie bien des prestations du service pour lequel elle
verse des taxes. La jurisprudence PRISTUPA c/ aéroports de Paris de la C.C.I n'est
donc pas applicable en l'espèce.
Il convient donc de considérer que la compagnie de navigation a bien la qualité
d'usager d'un service public à caractère industriel et commercial et qu'en consé-
quence, le litige est donc de la compétence des juridictions judiciaires.
Il y a donc lieu de nous dire compétent pour connaître du présent litige. (...)
Par ces motifs :
(...) Recevant la C.C.I.C. en son exception d'incompétence, la disons mal fondée
et nous déclarons compétent (...) ;
Ordonnance aimablement communiquée par Me H. de Richemont.
Observations – L'effondrement d'une passerelle de transbordement au port de
Calais lors du passage de camions a entraîné des perturbations importantes dans
l'exploitation du trafic trans-manche à partir ou à destination de ce port.
La compagnie SEAFRANCE qui est l'un des armateurs qui assurent une liaison
régulière entre le port de Calais et celui de Douvres (Royaume-Uni) estime avoir subi
un préjudice important à la suite de cet accident, en raison de la réduction de son
activité durant plusieurs mois. D'autres solutions étaient offertes à la clientèle par des
compagnies concurrentes à partir d'autres ports français ou belges, ou par le tunnel
sous la Manche. Il est vraisemblable que la société requérante a subi une réduction
d'activité, encore qu'une modification de l'organisation du service à
partir des autres postes d'accostage disponibles a pu limiter l'étendue du préjudice
réellement subi.
Si la demande d'expertise semble fondée en son principe, encore faut-il s'interro-
ger sur la compétence du tribunal et sur le contenu de la mission de l'expert.
I. - La compétence du tribunal de commerce
La chambre de commerce et d'industrie de Calais a tenté d'échapper à la compé-
tence de la juridiction consulaire en suggérant de faire une distinction entre
l'usage du service public et de l'ouvrage public. Une telle stratégie était vouée à
l'échec tant les deux aspects de cet usage sont indissociables. Pourtant, le moyen de
défense n'était pas totalement dépourvu de pertinence car il résulte de la jurispru-
dence que le droit d'accoster à un quai relève du service public administratif (1), tandis
que l'exploitation d'un outillage public constitue une mission de service public à
caractère industriel et commercial (2). Une passerelle de transbordement constitue
un outillage public dont l'usage donne lieu au paiement d'une redevance, laquelle est
juridiquement distincte des droits de port.
En l'espèce, ce n'est pas l'impossibilité d'accoster les navires qui était en cause,
mais l'indisponibilité de la passerelle. Les juridictions judiciaires étaient donc compé-
tentes pour statuer sur l'étendue du préjudice résultant de la défaillance de l'offre de
service.
La juridiction consulaire avait-elle vocation à être choisie par préférence au
Tribunal de Grande Instance ? C'est à bon droit que le juge des référés du Tribunal
de commerce de Calais a renvoyé la cause devant une juridiction de même nature
en raison du mode d'élection des juges consulaires. En revanche, tout défendeur
peut récuser la compétence du tribunal de commerce s'il ne participe pas à l'élection
de ses membres (3), comme c'est le cas pour un port autonome qui n'est pas mem-
bre de la chambre de commerce et d'industrie, car le procès serait inéquitable au
sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales.
La procédure de référé connaît quant à elle des limites car le juge ne pouvant pas
se prononcer sur le fond, il n'est pas en mesure de soulever une question préjudi-
cielle, car l'urgence à statuer ne le permet pas en pratique, mais surtout sa formula-
tion est susceptible de préjudicier au principal.
II. - L'expertise sur les causes et le contenu du préjudice
Aux divers points de la mission ordonnée à l'expert, il y a lieu de relever qu'aucu-
ne limite dans le temps n'est envisagée pour l'estimation du préjudice allégué par la
société Seafrance, alors qu’il s’agit d’un élément d’appréciation déterminant, eu
égard à la nature des rapports de droit qui existent entre l’exploitant de l’outillage
public et les usagers.
Il faut se poser la question de savoir si la mise à disposition des usagers d'une pas-
serelle de transbordement relève d'une mission de service public obligatoire ?
Aucun texte n'impose à une autorité portuaire l'obligation de posséder un tel équi-
pement. En outre, il n'existe en principe aucune convention écrite avec les armateurs
pour l'utilisation de l'ouvrage. Si des priorités d'accostage peuvent être envisagées
en raison de la spécificité du trafic ou des navires, la caractéristique de l'outillage
public est d'être mis à la disposition de tous les usagers du port qui en font la deman-
de. Toutefois, l'indisponibilité d'un ouvrage peut résulter de circonstances qui ne sont
pas nécessairement imputables à son gestionnaire, comme les mauvaises condi-
(1) Trib. Confl. 11 décembre 1972 – Spathis c/ Port autonome de Bordeaux – JCP 1974 – II – G – 17669 note
F. Moderne, DMF 1973 o. 269 note J.-M. Auby.
(2) Cass. 1ère ch civ 7 décembre 1954 – C.C.I de Boulogne-sur-mer – Bull. Civ. I n° 353 p. 295, AJDA 1955 –
II – p. 164 ; CE 25 mai 1960 – C.C.I de La rochelle – Rec. p. 356 ; CE 15 décembre 1967 – Level – AJDA
1968 – II – p. 230 concl. G. Braibant ; CE 5 avril 1978 – Sté X... Rec. p. 176 ; CE 24 juillet 1987 – société
Carfos – Rec. p. 274.
(3) « Les établissements publics mixtes et la compétence des tribunaux de commerce » R. Rézenthel – Gaz.
Pal 24 – 25 octobre 1990 p. 16.
(4) Pour la Cour de Cassation, le contrat verbail est « ambigü par nature » (Cass. Com 5 décembre 1984 –
M. Pradler c/ société Seresef – pourvoi n° 83-14253, Bull. Civ. IV n° 332.
(5) TGI Dunkerque 28 septembre.2005 – société Cell c/ Port autonome de Dunkerque – req. n° 04/713. On
notera cependant que la jurisprudence administrative n’admet pas que l’occupation du domaine public puis-
se donner lieu à la conclusion d’un contrat tacite (CE 21 mars 2003 – syndicat intercommunal de la périphé-
rie de Paris pour l’électricité et les réseaux (SIPPEREC) – req. n° 189191).
(6) Cass. 3ème ch civ. 11 octobre 1989 – R. Chardel – pourvoi n° 88-12206 ; Cass. 1ère ch civ. 18 mars 2003 –
M. X… c/ Crédit du Nord – pourvoi n° 01-00928 ; Cass. 1ère ch civ. 11 juin 1996 – M. Gérard de Vallée – pour-
voi n° 94-15779.
(7) CE 8 mars 1991 – société Usinor c/ port autonome de Dunkerque – JCP 1991 – II – G – 21706 p. 265.
Robert REZENTHEL
(1) Trib. Confl. 12 janvier 1987, société navale des chargeurs Delmas-Vieljeux c/ port autonome de
Dunkerque, req. n° 2449, D. 1987, J., p. 707 note R. Rézenthel.
(2) Il a été jugé qu’un pont roulant se déplaçant sur des rails et alimenté par le réseau électrique constitue
un véhicule (Cass. 1ère ch civ. 15 avril 1974, AINF et Port autonome de Dunkerque, arrêt n° 248).
(3) « Les établissements publics mixtes et la compétence des tribunaux de commerce » R. Rézenthel,
Gaz.Pal. 24 – 25 octobre 1990 p. 16.
(4) CA Douai 2ème ch civ. 27 juin 1991, Port autonome de Dunkerque c/ SA Golden Falcon Marinera, req.
n° 1681/91.
NAVIRE DE PLAISANCE
Navire de plaisance. Démâtage. Barreur. Responsabilité à l’égard du proprié-
taire. Faute. Preuve. Nécessité.
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui condamne le bar-
reur d’un catamaran à indemniser le propriétaire à la suite de dommages survenus
au navire lors d’une sortie en mer, sans caractériser en quoi ledit barreur avait com-
mis une faute.
M. Y. c/ M. X.
ARRET
« LA COUR,
Sur le moyen unique : Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, qu'au cours d'une sortie
en mer, un catamaran appartenant à M. X... et barré par M. Y... a été endommagé
à la suite d'un démâtage et du remorquage qui s'en est suivi ; que M. X... a assigné
M. Y... devant le tribunal d'instance, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
en réparation de son préjudice ;
Attendu que pour condamner M. Y... à payer une certaine somme à titre de dom-
mages-intérêts, le jugement se borne à relever que ce dernier était à la barre lorsque
le bateau a démâté, qu'il a retiré la voile qui a coulé, qu'au cours du remorquage, les
coques se sont désolidarisées et ont cassé ainsi que les fixations ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi M. Y... avait commis une
faute, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le
21 mars 2003, entre les parties, par le Tribunal d'instance de Nantes ; remet, en
conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit juge-
ment et, pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d'instance de Paimboeuf ;
Condamne M. X... aux dépens ; ... »
Prés. : M. Dintilhac ; Rapp. : M. Grignon ; Av. : SCP Célice, Blancpain et Soltner (M. Y.),
Me Olivier de Nero (M. Dubigeon).
NAVIRE DE PLAISANCE
Plaisance. Navire. Contrat de gestion. Responsabilité. Règles du mandat.
Principe du contradictoire. Respect. Nécessité.
M. N. qui avait acquis un voilier par l’entremise de M. R., exerçant une activité
commerciale sous l’enseigne Monaco Yachting a, selon acte sous seing privé du
8 mars 1991 conclu avec M. R. une convention de gestion stipulant notamment que
celui-ci prend en gestion le voilier afin d’en effectuer l’entretien et les transformations
en vue de rentabiliser cette unité en location charter » et « s’engage à l’entretenir
dans les règles de l’art et (à) en assumer la garde en bon père de famille ». Après
que, le 3 mai 1991, le voilier qui était à quai, eut été endommagé par une importan-
te voie d’eau (due à la corrosion par l’eau de mer de la tige d’un filtre), M. N., pré-
tendant que ces dommages trouvaient leur origine dans des fautes commises par M.
R. dans l’exécution de la convention qui les liait, a assigné celui-ci et son assureur
en réparation des dommages.
Pour rejeter cette demande, la cour d’appel a estimé qu’aucune faute ne pouvait
être imputée à M. R. après avoir retenu qu’il y avait lieu de faire application de l’arti-
cle 1992, al. 2, du Code civil selon lequel la responsabilité relative aux fautes est
appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui
reçoit un salaire.
En fondant sa décision sur ce moyen qu’aucune des parties n’avait invoqué, sans
inviter au préalable celles-ci à présenter leurs observations à cet égard, la cour
d’appel a méconnu, les exigences de l’article 16 NCPC.
M. NICLAUS c/ MMA et autres. Pourvoi n° P 03-13.387
Obs. Le premier intérêt de l’arrêt rapporté est de rappeler les exigences
du contradictoire. Ce principe essentiel dans toute procédure, judiciaire comme arbi-
trale, s’impose non seulement aux parties, mais aussi à ceux qui ont la charge de
trancher les prétentions.
Le second est de dévoiler l’existence d’un contrat de gestion portant sur un navire
de plaisance, contrat qui aurait, sauf à être « sui generis », la nature d’un mandat et
non d’un simple dépôt (plus généralement, v. P. F. Cuif, Le contrat de gestion, PU
Paris-I, 2001).
Quant au caractère gratuit des services rendus, tout reste hypothétique. On relè-
vera cependant que dans le pourvoi, ce point était discuté : il faut dire que le naufra-
ge du navire était survenu avant l’(éventuelle) détermination de la rémunération du
gestionnaire.
NAVIRE DE PLAISANCE
Plaisance. Navire. Dépôt. Responsabilité. Obligation de moyens renforcée.
En application de l’article 1928 du Code civil qui prévoit que la disposition de l’ar-
ticle précédent doit être appliquée avec plus de rigueur si le dépositaire s’est offert
lui-même pour recevoir le dépôt, l’obligation de moyens pesant sur la société
P. Yachting était renforcée, dès lors qu’elle avait pris attache auprès du propriétaire
pour organiser la vente de son navire.
La responsabilité de cette société est ainsi engagée, dès lors que celle-ci ne rap-
porte pas la preuve que la disparition des éléments d’équipement et les dégradations
constatées lors de la remise du navire au créancier du propriétaire, qui n’existaient
pas lors de la conclusion du mandat de vente « ne sont pas imputables à sa faute ».
M. HENU c/ Sté ID TEC
Obs. La solution ici retenue est, dans notre opinion, parfaitement fondée : la
responsabilité d’un dépositaire – rémunéré et investi, comme en l’espèce, d’un man-
dat de vente – s’apprécie en termes d’obligation de moyens renforcée. Autrement dit,
le dépositaire est, en cas de dommages survenus à la chose confiée, – responsable
de plein droit, à charge pour lui de s’exonérer en prouvant qu’il n’a commis aucune
faute.
On ajoutera que le navire en cause avait été vendu aux enchères pour une somme
de 140 000 F., alors que la cote du navire était de 190 000 F. Jugé que le préjudice
subi par le déposant correspondait non à la valeur des équipements ayant disparu,
mais à la perte d’une chance de voir adjuger le navire à un montant supérieur à celui
obtenu, soit à la somme de 140 000 F.
Philippe DELEBECQUE
Par
Michel MORIN
Docteur en droit
Administrateur à la Commission européenne (1)
TRANSPORT MARITIME
Interdiction des ententes. Pouvoir souverain d’appréciation du Tribunal
de Première Instance. Affaire C-112/04P, ordonnance de la Cour du
15 septembre 2005, Marlines SA, Affaire C-121/04P, ordonnance de la Cour
du 15 septembre 2005, Minoan Lines SA.
La Cour a rejeté les pourvois introduits par Marlines et Minoan Lines contre les
arrêts du TPI du 11 décembre 2003 qui avaient confirmé les décisions de la
Commission constatant que sept compagnies maritimes s’étaient accordées sur les
prix pratiqués par les transbordeurs entre la Grèce et l’Italie en leur infligeant des
amendes (DMF 2004. 483).
Dans les deux affaires, la Cour a considéré que les requérants ont tenté de faire
réexaminer des faits qui avaient été appréciés souverainement par le TPI sans établir
que ces faits avaient été dénaturés. Par conséquent, les pourvois sont rejetés.
NAVIRES DE PLAISANCE
Notification de normes techniques (directive 98/34). Manquement d’Etat
membre. Affaire C-500/03, arrêt de la Cour du 8 septembre 2005, Commission
c/ Portugal.
La directive 94/25 a défini des règles relatives au rapprochement des dispositions des
Etats membres relatives aux navires de plaisance. Les Etats membres ont la possibilité
d’adopter des dispositions complémentaires afin de protéger l’environnement et la
configuration des voies navigables et afin d’assurer la sécurité sur celles-ci.
Le Portugal a adopté en 1998 un arrêté ministériel réglementant la navigation sur
les lagunes des eaux intérieures (à l’exception des eaux du Douro) qui restreint la
navigation aux navires de 7 m au plus de longueur, de hauteur maximale 6,5 m et de
puissance maximale 149,7 CV.
La Cour considère que cet arrêté constitue une norme technique au sens de la
directive 98/34 du 22 juin 1998 (modifiée par la directive 98/48 du 20 juillet 1998)
prévoyant une procédure d’information préalable à la Commission de tout projet de
règle technique. Cette information préalable n’ayant pas été faite, la Cour a constaté
le manquement du Portugal.
CONSTRUCTION NAVALE
Aides d’Etat. Obligation de notification préalable. Affaire C-71/04, arrêt de la
Cour du 21 juillet 2005, Administracion del Estado c/ Xunta de Galicia.
La Communauté autonome de Galice avait adopté, en 1994, un décret relatif aux
aides à la construction navale pour les navires ne pouvant pas bénéficier d’aides dans
le cadre de la directive du Conseil 90/684 qui s’appliquait à la construction de navi-
res d’au moins 100 tjb ou à la transformation de navires d’au moins 1 000 tjb.
L’administration de l’Etat espagnol a demandé l’annulation de ce décret au
Tribunal superior de justicia de Galicia. Celui-ci a considéré que la directive 90/684
suggérait que les aides à la construction navale autres que celles prévues par celle-ci
n’étaient pas soumises à l’obligation de notification préalable à la Commission, tel
que cela est prévu à l’article 88 du traité CE. Le Tribunal Supremo d’Espagne a
ensuite saisi la Cour d’une question préjudicielle.
PECHE
Inexécution d’un arrêt de la Cour. Paiement d’une somme forfaitaire ou (ou
‘et’) d’une astreinte. Contrôle des activités de pêche. Affaire C-304/02, arrêt de
la Cour du 12 juillet 2005, Commission c/ France.
Dans un arrêt du 11 juin 1991 (affaire C-64/88), la Cour avait constaté que la
France avait manqué à ses obligations en matière de contrôle des activités de pêche.
Après plusieurs années de discussion avec la France, la Commission a estimé que
celle-ci était toujours en infraction pour le contrôle du respect des tailles minimales
des produits vendus et pour la poursuite des infractions. La Commission a alors
introduit un recours devant la Cour sur la base de l’article 228 du traité CE afin de
constater que la France n’avait pas pris toutes les mesures pour exécuter l’arrêt de
1991, en proposant une astreinte journalière de 316 500 euros.
Cet article 228 prévoit que « Si la Cour de justice reconnaît que l’Etat membre
concerné ne s’est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d’une
somme forfaitaire ou d’une amende ». C’est la troisième fois que la Cour a été ame-
née à se prononcer en matière de sanction pécuniaire pour inexécution d’un arrêt de
la Cour. Les deux fois précédentes l’ont été pour les affaires C-387/97, Grèce, arrêt
du 4 juillet 2000, DMF 2001. 368 et C-278/01, Espagne, arrêt du 25 novem-
bre 2003, DMF 2004. 495).
En proposant le paiement à la fois d’une somme forfaitaire et d’une astreinte,
l’Avocat Général est allé au-delà de la demande exprimée par la Commission dans
son recours et aussi au-delà de ce que l’article 228 pourrait laisser penser à une pre-
mière lecture. La procédure orale a alors été réouverte par la Cour et les Etats mem-
bres ont été invités à se prononcer sur la possibilité de cumul des deux sanctions.
Quatre Etats membres (Danemark, Pays-Bas, Finlande et Royaume-Uni) se sont
prononcés par l’affirmative en estimant que ces deux types de sanction sont com-
plémentaires tandis que treize autres Etats membres se sont prononcés par la néga-
tive, notamment en raison de l’emploi de la conjonction « ou ». Dans ses deuxièmes
conclusions, l’Avocat Général a confirmé la possibilité de cumul.
La Cour a d’abord constaté que, conformément aux éléments de fait apportés par
la Commission, le manquement persistait tant en ce qui concernait l’insuffisance du
contrôle en matière de tailles minimales que l’insuffisance des poursuites.
Ensuite, la Cour a considéré que ces deux types de sanction peuvent être cumulés.
Certains considérants de la motivation de l’arrêt méritent d’être cités : « 81.
L’application de l’une ou de l’autre de ces deux mesures dépend de l’aptitude de
chacune à remplir l’objectif poursuivi en fonction des circonstances de l’espèce. Si
l’imposition d’une astreinte semble particulièrement adaptée pour inciter un État
membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence
d’une telle mesure, aurait tendance à persister, l’imposition d’une somme forfaitaire
repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des
obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment
lorsque le manquement a persisté pendant une longue période depuis l’arrêt qui l’a
initialement constaté. 82. Dans ces conditions il n’est pas exclu de recourir aux deux
types de sanctions prévues à l’article 228, paragraphe 2, CE notamment lorsque le
manquement, à la fois, a perduré une longue période et tend à persister. 83.
L’interprétation ainsi retenue ne saurait se voir opposer l’utilisation, à l’article 228,
paragraphe 2, CE, de la conjonction « ou » pour relier les sanctions pécuniaires
susceptibles d’être imposées. Ainsi que l’ont fait valoir la Commission et les gou-
vernements danois, néerlandais, finlandais et du Royaume-Uni, cette conjonction
peut, d’un point de vue linguistique, revêtir un sens soit alternatif soit cumulatif, et
doit donc être lue dans le contexte dans lequel elle est utilisée. Au regard de la fina-
lité poursuivie par l’article 228 CE, l’utilisation de la conjonction « ou » au para-
graphe 2 de cette disposition doit donc être entendue dans un sens cumulatif. »
La Cour a en outre considéré qu’elle pouvait s’écarter de la proposition de la
Commission, qui ne proposait qu’une astreinte, en infligeant aussi le paiement d’une
somme forfaitaire. Trois Etats membres (Tchéquie, Hongrie et Finlande) ont répon-
du par l’affirmative à cette question tandis que douze autres se sont prononcés par
la négative. Là aussi, certains considérants méritent d’être cités : « 91. L’argument
selon lequel, en s’écartant ou en allant au-delà des propositions de la Commission,
la Cour violerait un principe général de procédure civile qui interdit au juge d’al-
ler au-delà des conclusions des parties, n’est pas davantage fondé. La procédure
prévue à l’article 228, paragraphe 2, CE est, en effet, une procédure juridictionnel-
le spéciale, propre au droit communautaire, qui ne peut être assimilée à une procédu-
re civile. La condamnation au paiement d’une astreinte et/ou d’une somme forfai-
taire ne vise pas à compenser un quelconque dommage qui aurait été causé par l’É-
tat membre concerné, mais à exercer sur celui-ci une contrainte économique qui
l’incite à mettre fin au manquement constaté. Les sanctions pécuniaires imposées
doivent donc être arrêtées en fonction du degré de persuasion nécessaire pour que
l’État membre en cause modifie son comportement. 92. S’agissant des droits de la
défense dont doit pouvoir bénéficier l’État membre concerné, sur lesquels ont insis-
té les gouvernements français, belge, néerlandais, autrichien et finlandais, il
convient de relever, comme l’a fait M. l’avocat général au point 11 de ses conclu-
sions du
18 novembre 2004, que la procédure prévue à l’article 228, paragraphe 2, CE doit
être considérée comme une procédure judiciaire spéciale d’exécution des arrêts, en
d’autres termes, comme une voie d’exécution. C’est donc dans ce contexte que
doivent être appréciées les garanties procédurales dont doit disposer l’État membre
en cause. 93. Il s’ensuit que, une fois la constatation faite de la persistance d’un
manquement au droit communautaire dans le cadre d’une procédure contradictoire,
les droits de la défense qui doivent être reconnus à l’État membre défaillant en ce
qui concerne les sanctions pécuniaires envisagées doivent tenir compte du but pour-
suivi, à savoir assurer et garantir le rétablissement du respect de la légalité. 94. En
l’espèce, s’agissant de la matérialité du comportement susceptible de donner lieu à
l’imposition de sanctions pécuniaires, la République française a eu l’occasion de se
défendre tout au long d’une procédure précontentieuse qui a duré près de neuf ans
et qui a donné lieu à deux avis motivés, ainsi que dans le cadre de la procédure écri-
te et de l’audience du 3 mars 2004 dans la présente affaire. Cet examen des faits a
conduit la Cour à constater la persistance d’un manquement de la République fran-
çaise à ses obligations (voir point 74 du présent arrêt). »
Finalement, la France est condamnée à payer une somme forfaitaire de 20 millions
d’Euros et une astreinte de 57 761 250 millions d’euros par période de 6 mois.
minant les modalités de répartition du quota alloué à l’Espagne dans la dite zone.
(Pour une affaire du même genre, V. Area Cova c/ Conseil et Commission, affaire T-
196/99, DMF 2002, 391).
Le Tribunal a également considéré que le dommage allégué par les requérants était
seulement hypothétique et indéterminé et ne pouvait pas donner droit à réparation.
En effet, le fait que l’Espagne n’eût pas reçu 90% des possibilités de pêche allouées
pour la zone ne signifiait pas que la flotte espagnole aurait été assurée de pêcher
effectivement ces 90%, d’autant plus que l’Espagne n’a jamais épuisé le quota qui
lui a été attribué et qu’elle a même cédé, au cours d’échanges avec la France, plus
du tiers de ce quota. En outre, les requérants n’ont pas cherché à quantifier le volu-
me des captures additionnelles qu’ils auraient pu réaliser en l’absence de la disposi-
tion annulée.
ENVIRONNEMENT
Eaux conchylicoles. Directive 79/923. Eaux de baignade. Directive 76/160.
c/ Espagne.
La directive 79/923 relative à la qualité des eaux conchylicoles impose aux Etats
membres l’obligation d’établir des programmes en vue de réduire la pollution et
d’assurer que les eaux seront conformes, dans un délai de six ans, à certaines
valeurs.
Les eaux de la Ria de Vigo ont été désignées par l’Espagne comme eaux conchy-
licoles. Cependant, l’Espagne n’avait pas adopté de programme de réduction de la
pollution tel que cela est requis par la directive. L’Espagne a fait valoir que les
coquillages élevés dans cette zone ne sont pas consommés directement par l’homme
mais doivent subir préalablement un traitement d’épuration et que, par conséquent,
le non-respect des valeurs de référence fixées par la directive n’en constitue pas une
violation.
La Cour constate que cette directive s’applique aux eaux conchylicoles en géné-
ral, que les coquillages soient destinés ou non à la consommation directe. Sur ce
motif, la Cour a constaté le manquement de l’Espagne.
En revanche, la Cour n’a pas suivi la Commission pour ce qui concerne le recours
en manquement introduit parce que cet Etat n’avait pas désigné trois plages de la
côte de Galice comme étant des zones de baignade au sens de la directive n° 76/160.
En effet, contrairement à ce que prétendait la Commission, cette directive n’impose
pas aux Etats membres de procéder à la désignation officielle de zones de baignade
même si cela concerne des zones où la baignade est pratiquée et tolérée.
cette directive de l’appliquer dans ces zones. En effet, cette directive protège des
habitats naturels tels que les récifs et des espèces telles que les mammifères marins
que l’on trouve fréquemment en dehors de la mer territoriale. Elle doit donc être
interprétée dans le sens où elle s’applique au-delà de cette zone.
La Cour a également constaté le manquement du Royaume-Uni parce que la loi
sur les phoques (Conservation of Seals Act 1970) ne constitue pas une transposition
correcte de l’article 15 de la directive qui prévoit l’interdiction par les Etats mem-
bres de l’utilisation de tous les moyens non sélectifs dans le cas où une dérogation
est appliquée pour le prélèvement, la capture ou la mise à mort pour certaines espè-
ces énumérées à l’annexe IV, point a), de la dite directive. L’interdiction de seule-
ment deux moyens (l’empoisonnement et la chasse au moyen de certaines armes à
feu) n’est pas suffisante.
AU JOURNAL OFFICIEL
« République française » et « Communauté européenne »
(janvier et février 2006)
ENVIRONNEMENT
Arrêté portant révision des zones sensibles dans le bassin Rhône-Méditerranée.
Arrêté du 22 décembre 2005 (NOR DEVO0650038A), JORF du 22/02/2006,
p. 2753.
FLUVIAL
Arrêté portant grément de l’Institut pour le développement de la formation conti-
nue dans la navigation fluvial (fluvia) comme organisme de formation des experts
devant se trouver à bord des bateaux de navigation intérieure transportant des mar-
chandises dangereuses.
Arrêté du 11 janvier 2006 (NOR : EQUT0600095A), JORF du 31/01/2006,
p. 1623.
MARINS
Arrêté portant majoration des salaires forfaitaires servant de base au calcul des
contributions des armateurs, des cotisations et des pensions des marins du commer-
ce, de la plaisance, de la pêche et des cultures marines.
Arrêté du 2 janvier 2006 (NOR : EQUB0600024A), JORF du 7/01/2006, p. 313.
Arrêté modifiant la composition de la commission de recours en matière d’effec-
tifs à bord des navires de commerce, de pêche maritime, de culture marines et de
plaisance
Arrêté du 22 décembre 2005 (NOR : EQUT0502217A), JORF du 11/01/2006,
p. 438.
Arrêté portant extension d’un accord conclu dans le cadre de la convention col-
lective nationale des personnels navigants officiers des entreprises de remorquage
maritime
Arrêté du 6 janvier 2006 (NOR : EQUT0600030A), JORF du 12/01/06, p. 479.
Arrêté portant extension d’un accord conclu dans le cadre de la convention
collective nationale des personnels navigants d’exécution des entreprises de remor-
quage maritime