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DU FMI
Jérôme Sgard
2012/3 n° 55 | pages 79 à 92
ISSN 1293-6146
ISBN 9782352400691
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L
a restructuration de la dette grecque, au printemps
dernier, a rappelé à nouveau combien l’insolvabilité
d’un Etat souverain est une expérience récurrente,
mais toujours difficile à traiter. Réduire la dette d’un
royaume ou d’une république, ou simplement la rééchelonner
du court vers le long terme, a été de tout temps une opération
compliquée, imprévisible, impliquant in fine des coûts massifs
pour toutes les parties concernées. C’est donc un constat inverse
à celui qui prévaut pour les faillites privées, à l’intérieur des fron-
tières nationales, qui suivent des procédures très banalisées,
présentant une très grande continuité sur le plan historique.
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Une expérience unique p. 81
Une des expériences les plus intéressantes, mais aussi les plus
méconnues, est offerte par le modèle de restructuration suivi
au cours de la crise de la dette des pays en développement,
dans les années 1980 [1]. Sa caractéristique la plus frappante est
d’avoir été à la fois très standardisée et tout à fait informelle.
Alors qu’aucune règle, aucun traité international ou aucun com-
muniqué n’a jamais décrit de manière précise cette procédure,
en pratique elle a fonctionné comme un métronome. On compte
plus de 100 accords entre les pays endettés et les comités de
coordination des banques entre 1982 et 1989 : tous ont suivi les
mêmes règles de procédure, bien qu’à l’évidence le contenu des
accords a varié fortement – selon les programmes économiques
du pays, les concessions des investisseurs et la contribution du
FMI. Aussi le jugement implicitement positif que l’on prononce
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gouvernement allemand en 2010-2011 pour répondre à la crise p. 83
en Grèce. Mais l’option a été de nouveau repoussée, si bien
que la méthode suivie finalement, au printemps 2012, a été
aux antipodes de celle des années 1980 – improvisée, ad hoc,
sans contribution directe forte du FMI et ouverte à une influence
évidente des acteurs privés. A tout prendre, on était plus proche
des méthodes d’avant 1914, cela témoignant à l’évidence d’un
déclin du multilatéralisme financier issu de la conférence de
Bretton Woods (1944).
La préhistoire (1970-1982)
Comprendre le fonctionnement du régime de restructuration des [2] On sait le rôle
que jouent, dans
années 1980 appelle cependant une perspective généalogique : les organisations
cet ensemble de règles n’est pas sorti tout armé d’une réunion internationales, l’informel
et le non-dit, le plus
d’urgence du G7, convoquée au lendemain du quasi-défaut du souvent exploités par
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l’avenir on parvienne à « un partage du fardeau équilibré entre p. 85
les différents créanciers, afin d’éviter toute impression que les
nouveaux apports de capitaux seraient largement compensés par
les remboursements aux créanciers [antérieurs] » [FMI, 1971]. Le
problème est bien sûr de savoir comment atteindre ce partage
qui ne saurait intervenir qu’ex ante, si l’on veut contrôler effica-
cement l’aléa de moralité. Comment échanger des informations
sur les positions des uns et des autres ? Comment converger
vers un partage mutuellement acceptable ? Et comment être sûr
que les engagements pris seront bien respectés ? A bien des
égards, toute l’histoire ultérieure des restructurations, du début
des années 1970 jusqu’en 1982, puis en 1989, découlera de la
réponse apportée à cette question a priori simple. Mais avec
l’accroissement du nombre des pays concernés comme de la
taille de leur dette, avec également l’entrée en jeu des banques
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l’évidence, cette structure de jeu, les problèmes aigus d’action p. 87
collective qu’elle posait, mais aussi la menace perçue d’une crise
systémique semblaient devoir imposer un résultat imparable :
les opérateurs officiels seraient bientôt contraints de renflouer
le Mexique, et donc ses créanciers privés. En d’autres termes,
on allait au bail-out et ainsi au transfert du coût de la crise des
banques internationales vers le secteur public, c’est-à-dire in fine
vers les contribuables des pays riches.
Le même jour, Paul Volcker, alors président de la Fed [3] « New credits should
not be subjected to
(Washington), la banque centrale américaine, annonce incidem- supervisory criticism »
ment que les apports de fonds des banques échapperont à toute [Federal Reserve Bank
of New York, 1982].
critique du superviseur [3]. Concrètement, refinancer les encours
échus n’impliquera pas que les crédits sous-jacents devront être
déclarés en défaut, un pas qui aurait révélé des pertes massives
dans les plus grandes banques du pays. En d’autres termes,
Volcker modifie de façon discrétionnaire le régime (encore bal-
butiant à l’époque) de supervision des banques et de contrôle
des risques internationaux.
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ne réunissaient jamais l’ensemble des banques concernées p. 89
par chaque pays, si bien que formellement ils n’avaient aucun
mandat tangible pour renégocier sa dette et interagir avec le FMI.
Cela étant, ce jeu étonnant se déroulait aussi dans l’anticipation
partagée que toute tentative de fuite ou d’exit par les banques
serait contrôlée par la main forte des gouvernements du G7 et
de leurs régulateurs.
Nous trouvons donc ici une règle ad hoc, dont toutefois les
résultats sont assez proches de ceux d’une faillite privée : on
restructure l’économie réelle et on réécrit les contrats de dette.
Seulement elle n’atteint ces résultats que par un jeu à deux
niveaux : une négociation au sens étroit, structurée par une règle
d’équité relative (le veto mutuel) ; et puis l’appel toujours pos-
sible au rapport de force et à l’autorité hiérarchique, en un mot
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sous forte pression : devant la difficulté croissante des négocia- p. 91
tions, il lui était difficile d’attendre des mois entre la signature
de la « Lettre d’intention » (étape 1 de la règle de décision) et le
déboursement de la première tranche du stand-by (étape 3). D’ici
est venue, pratiquement, la décision de rompre avec la règle du
no lending into arrears dans sa version post-1982 : dès 1987,
le Board a envisagé, puis, en 1989, a annoncé officiellement
la possibilité qu’il se donnait à nouveau de prêter à un pays
membre, sans attendre l’accord financier du secteur privé. Le FMI
revenait ainsi à l’orthodoxie multilatérale qui, sur le fond, rend
difficile toute interaction forte ou tout accord contraignant avec
des acteurs non étatiques.
Une autre chose que nous savons est que, loin d’ouvrir sur
une ère de stabilité financière, l’émergence de ces marchés de
capitaux désintermédiés s’accompagnera de crises majeures,
souvent dans les pays mêmes qui avaient connu la crise des
années 1980 [Sgard, 2002]. Cependant, au lieu d’une stratégie
de gestion de crise reposant sur la renégociation des contrats
de dette, le FMI va tenter de développer une stratégie toute
différente, fondée sur le principe du prêteur en dernier ressort
[Fischer, 1999 ; Sachs, 1995]. Soit un opérateur à caractère
public, agissant à distance des intérêts privés et qui intervient de
manière unilatérale pour stabiliser des marchés pris de panique.
Dit autrement, d’une stratégie de no lending into arrears qui a
dominé les années 1980, le FMI est passé à une stratégie qui par
excellence relève du lending into arrears – c’est-à-dire prêter au
pays en crise, parfois massivement, mais sans conditionner cette
intervention à aucune considération relative au secteur financier
privé et aux droits des créanciers. ›››
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Bibliographie
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