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L’Allemagne condamne un bourreau du
régime de Bachar al-Assad
PAR THOMAS SCHNEE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 25 FÉVRIER 2021
Eyad al-Gharib à son arrivée au tribunal le 24 février à
Coblence. © Thomas Lohnes/AFP/Pool/dpa Picture-Alliance
Grâce au principe de «compétence universelle», la
justice allemande a condamné mercredi 24février
Eyad al-Gharib, un agent des services de
renseignement syriens pour «complicité de crimes
contre l’humanité». Un verdict historique et un
premier pas vers la reconnaissance des crimes du
régime de Bachar al-Assad.
Berlin (Allemagne).– C’est une première mondiale.
À l’approche du dixième anniversaire du soulèvement
populaire en Syrie le 15mars 2011, le gouvernement
du despote syrien Bachar al-Assad a enfin été désigné
comme auteur de «crimes contre l’humanité» dans
une procédure légale, grâce à la justice allemande qui
a condamné mercredi 24février à de la prison ferme
Eyad al-Gharib, ex-agent de la «branche 251» des
services de renseignement généraux syriens.
Au bout de 60jours d’audience d’un procès commencé
en avril 2020 (lire ici l’article de Jean-Pierre Perrin),
la Haute Cour régionale de Coblence a en effet
reconnu ce Syrien de 44ans coupable d’avoir participé
à l’arrestation en 2011 d’au moins trente manifestants
à Douma, près de Damas, et à leur transfert vers un
centre de détention des services de renseignement.
Al-Gharib a écopé de quatre ans et demi de prison
pour «complicité de crimes contre l’humanité». Le
procureur fédéral avait requis cinq ans et demi. Sa
désertion en 2012 et surtout le fait qu’il n’ait jamais
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caché sa fonction ni son rôle aux autorités allemandes
lui ont permis de bénéficier des circonstances
atténuantes.
Instrument de mort du clan Assad contre une
population rebelle, les services de renseignement
pratiquent massivement la torture, le viol et les
assassinats. Début janvier 2020, l’Observatoire syrien
des droits humains (OSDH) évaluait à 88000 le
nombre de leurs victimes.
Eyad al-Gharib à son arrivée au tribunal le 24 février à
Coblence. © Thomas Lohnes/AFP/Pool/dpa Picture-Alliance
Pour Luna Wafta, journaliste syrienne refugiée en
Allemagne, elle-même victime et témoin, «ce procès
n’a rien révélé de nouveau. Le monde entier sait déjà
ce qu’il se passe en Syrie. Mais ce jugement peut être
le début d’une longue marche juridique qui permettra
la condamnation du régime», a-t-elle expliqué sur les
ondes de Radio-Canada.
« C’est cependant la première fois qu’un tribunal
confirme ainsi que les actes du gouvernement syrien
et de ses collaborateurs sont des crimes contre
l’humanité», analyse l’avocat Patrick Kroker, qui
travaille pour l’ONG ECCHR (European Center for
Constitutional and Human Rights) basée à Berlin, et
qui représente les plaignants communs contre Eyad
al-Gharib et son chef Anwar Raslan. Ce dernier doit
répondre également devant la justice allemande de la
mort de 58personnes ainsi que des sévices infligés
à plus de 4000. Le verdict est attendu en octobre
prochain.
« Les témoignages des survivants de la torture et
des agents de renseignement, ainsi que les photos
de “César” prouvent l’ampleur et le caractère
systémique des disparitions forcées, de la torture et
des violences sexuelles en Syrie. La pertinence de ces
preuves va bien au-delà de la procédure de Coblence»,
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ajoute Patrick Kroker. César est le pseudonyme d’un
photographe de la police syrienne qui a déserté et livré
à la justice internationale près de 55000 clichés sur les
exactions et les meurtres du régime.
Contactée par Mediapart, la magistrate suisse Carla del
Ponte, ex-procureur du Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR), qui avait
démissionné avec fracas de la Commission d’enquête
sur la Syrie à cause de l’inaction de l’ONU, a
salué chaleureusement la décision de la Haute Cour
régionale de Coblence: «C’est un premier pas et c’est
naturellement très positif pour les victimes. Je salue
aussi la volonté de l’Allemagne de faire jouer le
principe de compétence universelle pour arrêter et
juger ces criminels.»
Dix ans après le début du conflit, elle estime cependant
que tant que les dignitaires du régime et Bachar al-
Assad ne seront pas jugés, «nous serons face à une
justice partielle».
Face au drame syrien, la situation juridique
internationale est toujours bloquée. La Syrie n’ayant
pas signé le Statut de Rome, le texte fondateur de
la Cour pénale internationale (CPI), cette dernière ne
peut engager des poursuites contre le régime syrien.
Par ailleurs, l’allié russe de M.Assad met un veto
systématique à toute tentative de saisine de la CPI via
le Conseil de sécurité des Nations unies. Il ne reste
donc que la compétence universelle des États.
« Quand la CPI a été créée, on a étendu cette
compétence nationale qui fait qu’un pays a le droit
d’arrêter et de juger un criminel sur son territoire,
même si ce dernier n’a commis aucun crime dans ce
pays. On considérait que la CPI ne pouvait pas juger
tout le monde et devait se concentrer sur les grands
criminels. Certains pays, comme l’Allemagne, ont
choisi d’adopter la compétence universelle absolue,
c’est-à-dire sans restriction. D’autres l’ont encadrée
de certaines conditions», détaille Carla del Ponte.
C’est en vertu de ce principe que l’Allemagne a décidé
d’agir. La France a également arrêté un criminel syrien
lié au gouvernement d’Assad et prépare son procès.
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«Le choix allemand, doublé du fait que notre pays a
accueilli beaucoup de réfugiés syriens parmi lesquels
des criminels qui se cachent mais surtout beaucoup de
victimes et de témoins, fait que la justice allemande
a la possibilité de recueillir un nombre important de
témoignages, et pas seulement ceux des victimes des
crimes gouvernementaux», précise Patrick Kroker.
Le procureur fédéral allemand, qui est celui qui
décide de faire jouer la compétence universelle ou
non, a par exemple fait procéder à l’arrestation d’un
médecin syrien soutien du régime et dont la mise en
accusation est attendue pour mi-2021. Par ailleurs,
deux enquêtes générales (Strukturverfahren) ne visant
personne en particulier mais chargées de recueillir
préventivement des preuves et témoignages sur les
crimes du régime syrien sont en cours, un peu sur
le modèle du «Mécanisme international chargé de la
collecte des preuves des crimes de guerre en Syrie»,
créé en 2016 par l’ONU.
Patrick Kroker reste néanmoins lucide. «Ce jugement,
c’est une des premières pièces du puzzle. Ce sont
souvent les plus difficiles à poser. C’est fait. La
machine est en marche. Pourtant, aussi frustrant
que cela puisse être, je ne vois encore aucune
possibilité d’aboutir rapidement à la mise en
accusation internationale d’Assad et de son régime.»
Il rappelle au passage qu’il a fallu plusieurs dizaines
d’années avant de juger les chefs des Khmers rouges,
les généraux argentins ou encore les responsables
d’Auschwitz et des camps d’extermination nazis.
Pour sa part, Amnesty International a appelé, par
la voix de Lynn Maalouf, sa directrice régionale
adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, le
Conseil de sécurité de l’ONU à «soumette d’urgence
la situation en Syrie à la Cour pénale internationale
afin de garantir que les auteurs de toutes les parties au
conflit – y compris les “plus responsables”, à savoir
les hauts fonctionnaires et les commandants – soient
traduits en justice.»
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