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Monsieur Rogers Brubaker

De l'immigré au citoyen
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 99, septembre 1993. pp. 3-25.

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Brubaker Rogers. De l'immigré au citoyen . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 99, septembre 1993. pp. 3-25.

doi : 10.3406/arss.1993.3058

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1993_num_99_1_3058
Zusammenfassung
Vom Einwanderer zum Staatsbürger
Der auf lange Sicht expansive Charakter des Nationalitätenrechts in Frankreich, und insbesondere die
kürzlich verabschiedeten Bestandteile des jus soli, werden häufig zu Unrecht, sei es als Ausdruck einer
Tradition des Liberalismus und der großzügigen öffnung gegenüber Fremden, sei es, in überlegterer
Form, als Konsequenz einer um Demographie und Armee besorgten Staatsraison interpretiert. Der
Artikel erkundet die komplexeren Ursprünge des jus soli, aufgrund dessen im Verlauf eines
Jahrhunderts die in Frankreich geborenen Einwanderer der zweiten und dritten Generation
"verstaatlicht" wurden. Er bekämpft, indem er den Schwerpunkt auf die entscheidende Ausdehnung des
jus soli im Jahr 1889 verlegt, die vorherrrschende instrumentelle und materialistische Interpretation und
zeigt auf, daß die in erster Linie im Spiel stehenden "Interessen" weder demographisch noch militärisch,
sondern politisch und ideologisch waren, die im Zusammenhang einer besonderen Folge institutioneller
Reformen, durch einen ganz bestimmten Begriff einer assimilatorischen und staatszentrierten Idée der
Nation geformt und gar begründet wurden.

Abstract
Migrants into citizens
The longstanding expansiveness of French nationality law, and notably the elements of jus soli that
were abridged by recent legislation, are often misinterpreted either as an expression of a tradition of
liberalism, generosity, and inclusiveness towards foreigners or (in more sophisticated discussions) as a
consequence of demographic and military raison d'Etat. This article explores the more complex origins
of the system of jus soli that, for a century, has automatically "nationalized" French-born second- and
third-generation immigrants. Focusing on the crucial extension of jus soli in 1889, it challenges the
prevailing instrumentalist and materialist interpretation of this measure, and shows that the "interests" at
stake were not demographie or military but political and ideological, shaped, even constituted, in the
context of a particular sequence of institutional reform, by an assimilationist and state-centered
understanding of nationhood.

Résumé
De l'immigré au citoyen
Le caractère expansif du droit de la nationalité en France, sur la longue durée, et plus précisément les
éléments du jus soli qui ont été récemment abrogés, sont souvent interprétés à tort soit comme
l'expression d'une tradition de libéralisme, de générosité et d'ouverture envers les étrangers, soit, dans
les débats plus sophistiqués, comme la conséquence d'une raison d'Etat soucieuse de la démographie
et de l'armée. Cet article explore les origines plus complexes du jus soli qui, un siècle durant, a
"nationalisé" les immigrés de deuxième et troisième génération nés en France. En mettant l'accent sur
l'extension décisive du jus soli en 1889, il combat l'interprétation instrumentale et matérialiste qui
prévaut, et il montre que les "intérêts" en jeu n'étaient ni démographiques ni militaires, mais politiques et
idéologiques, façonnés, et même constitués, dans le contexte d'une séquence particulière de réforme
institutionnelle, par une représentation de l'idée de nation assimilationniste et étatique.
ROGERS BRUBAKER

De l'immigré au citoyen

Comment le jus soli s'est imposé

en France, à la fin du xixe siècle

Etat
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pratique.
de la nationalité
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L
ment, comme un corps de citoyens solidement liés, s'appropriant les uns,
le plus souvent indépendamment de leur volonté, instituant les autres en
étrangers, opérant ainsi le partage, à travers d'innombrables actes quoti
diens diacritiques, entre ceux qui appartiennent à l'Etat, et à qui, en prin
cipe, il appartient, et les autres. En dépit de son importance, le droit de la
nationalité a été curieusement négligé par les sciences sociales, y compris
par l'histoire sociale de l'Etat, pourtant florissante l ; son histoire et l'ana
lyse de son fonctionnement ont été laissées à une branche hautement
spécialisée et technique de la science du droit.
Dans Citizenship and Nationhood in France and in Germany2, j'ai
essayé de rompre avec cette division arbitraire et académique du travail,
et de montrer que la nationalité juridique est essentielle au développe
ment et au fonctionnement de l'Etat moderne et de son appareil. J'ai étu
dié la genèse des définitions codifiées, rationalisées, de l'appartenance à
l'Etat, en France et en Allemagne. Je me suis efforcé d'expliquer les diffé
rences marquées et durables entre leur définition respective du citoyen
(citizemy) - différences qui sont particulièrement sensibles au regard du
statut civique des immigrés et de leur descendance. Pendant un siècle,
l'Etat français a automatiquement « nationalisé » les enfants d'étrangers
nés en France, tandis que l'Etat allemand continuait à définir le citoyen
uniquement en référence à son ascendance. En conséquence, le statut
civique des immigrés de l'après-guerre, et de leurs descendants, a sensi-

ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES, N° 99, SEPTEMBRE 1993, 3-25


Rogers Brubaker

blement différé d'un pays à l'autre. A peine quelques milliers d'anciens


Gastarbeiter, ou leurs enfants, sont naturalisés chaque année en All
emagne, soit dix fois moins que les travailleurs immigrés et leurs enfants
qui, chaque année, deviennent citoyens français, la plupart du temps par
le mécanisme automatique du jus soli.
Aujourd'hui, après trois décades de mouvements migratoires massive
ment tournés vers l'immigration, la France et l'Allemagne voient peu à
peu leurs régimes de citoyenneté (citizenship) converger. Au lieu de
devenir automatiquement des citoyens à l'âge de dix-huit ans, les enfants
nés en France de parents étrangers devront dorénavant, pour le devenir,
faire une déclaration en forme, selon une procédure qui reste à définir.
Au même moment, le gouvernement allemand s'est engagé à faciliter
l'acquisition de la citoyenneté allemande ; il s'agit certes d'une riposte à
l'assassinat des cinq Turcs brûlés vifs à Solingen, et aux protestations qui
ont suivi. Mais c'est aussi le moyen d'estomper la disparité, criante et
embarrassante, entre les immigrés turcs qui sont pour l'écrasante majorité
exclus defacto de la citoyenneté allemande et le million et demi d'All
emands, d'un point de vue ethnique, rapatriés d'Europe de l'Est ou de l'ex-
URSS, qui bénéficient automatiquement de la citoyenneté. Toutefois,
pour que les régimes juridiques convergent pleinement, il faudrait que
l'Allemagne lève ses objections à rencontre d'une citoyenneté duelle, et
donne aux enfants nés sur son territoire de parents étrangers le droit
d'acquérir la citoyenneté par une simple déclaration, et non par la pro
cédure infiniment plus lourde de la naturalisation. Il n'en reste pas moins
que le projet de devenir français est, pour un temps encore, plus plau
sible pour un immigré nord-africain en France, que celui d'être ou de
devenir allemand pour un immigré turc en Allemagne — en partie parce
que les représentations communes de l'idée de nation (idioms of nation
hood) sont encore étatiques et assimilationnistes en France, et plus eth-
noculturelles et axées sur les différences en Allemagne. Aussi le statut en
matière de citoyenneté, mais aussi les chances et les stratégies des immig
rés, resteront-ils profondément différents entre ces deux pays.
Dans la confusion des récentes polémiques, et comme pour résumer
les débats intenses de 1985-1987, la portée historique du jus soli dans le
droit français de la nationalité a été âprement disputée. Ses défenseurs y
ont vu l'expression d'une tradition libérale, ouverte, généreuse envers les
étrangers, tandis que ses adversaires (et certains de ses défenseurs les
plus sophistiqués) en ont fait le produit d'une raison d'Etat cynique, gou
vernée par les besoins démographiques et militaires en hommes. Comme
cet article, tiré du livre, essaie de le montrer, aucune de ces interpréta
tions ne permet de rendre compte des origines complexes du jus soli qui,
pendant un siècle, a automatiquement « nationalisé » les immigrés de
deuxième génération nés en France, et ceux de troisième génération. En
mettant l'accent sur l'extension décisive du jus soli en 1889, il combat
DE L'IMMIGRÉ AU CITOYEN

l'interprétation instrumentale et matérialiste qui prévaut, et il montre que


les « intérêts » en jeu n'étaient ni démographiques ni militaires, mais poli
tiques et idéologiques, façonnés, et même institués, dans le contexte
d'une séquence particulière de réforme institutionnelle, par une repré
sentation de l'idée de nation assimilationniste et étatique.

1 - Une exception notable, Gérard Noiriel, Le creuset français. Histoire de l'immigration xnf-xx!2 siècle, Paris,
Seuil, 1988.
2 - Cambridge, Mass., Londres, Harvard University Press, 1992, XII-270 p.

L extension de la citoyenneté française aux immigrants nation assimilationniste, étatique et profondément enra
ne repose pas tant sur des choix politiques ou des pra cinée dans la géographie politique et culturelle. Le pr
tiques que sur un système de jus soli qui transforme aut ogramme républicain d'enseignement primaire obligatoire
omatiquement les immigrés de deuxième ou troisième et de conscription universelle l'ont considérablement ren
génération en citoyens. Des commentateurs ont suggéré forcé dans les années 1880.
que l'Etat français avait établi le jus soli par intérêt démog Je rejette l'interprétation instrumentale qui prévaut
raphique et militaire. Assurément, le « problème angois pour rendre compte de l'extension du droit de citoyen
sant de la natalité » a joué un rôle crucial dans les mesures neté en France. Mais je ne crois pas qu'il faille lui substi
de libéralisation de la naturalisation adoptées en 1927 3. tuerune explication purement culturelle. Je cherche à
Néanmoins, les préoccupations démographiques et mili montrer comment une acception particulière de la nation,
taires n'avaient rien de décisif en 1851, quand le jus soli a caractérisée par une approche étatique et une tendance à
été introduit pour les immigrés de troisième génération, l'assimilation, a pu se trouver activée et renforcée, contre
ni en 1889, quand il a été étendu à la deuxième générat l'émergence d'une vision plus ethnoculturelle, dans un
ion 4 ; et c'est le système de 1889 qui reste en vigueur au contexte historique, institutionnel et politique donné ; et
jourd'hui. Ce n'est pas un effort délibéré de l'Etat pour comment cette acception particulière de la nation a
accroître la population et élargir la base de la conscription façonné les perceptions et les jugements quand il s'est
militaire qui a engendré le jus soli5. En introduisant puis agi de décider ce qu'était l'intérêt de l'Etat. La réforme du
en étendant le jus soli, le gouvernement a fourni une droit de citoyenneté s'inscrit dans une période, marquée
réponse à un problème idéologique et politique, et non par l'emprise des républicains, où s'engage une série de
pas démographique ou militaire.
Le cœur du problème se trouve dans le ressentiment 3 - J. C. Bonnet, Les pouvoirs publics français et l'immigration dans
éprouvé dans les départements frontaliers envers l'entre-deux-guerres, Thèse de 3e cycle, université Lyon-II, 1974, p. 8,
l'exemption du service militaire dont bénéficiaient des 153-154, 159-160.
étrangers pourtant installés de longue date. Ce ressenti 4 - Du point de vue sociologique, la deuxième génération de migrants
ment,très politique, s'est intensifié dans les années 1870, est celle dont la socialisation s'opère essentiellement dans le pays
d'accueil. C'est cette socialisation et non pas la naissance, dans le pays
quand le taux des militaires parmi les Français (de sexe d'accueil qui est décisive, sociologiquement (G. Noiriel, Le creuset franç
,

masculin) s'est accru, et surtout dans les années 1880, ais, op. cit., p. 213). Ma définition de la deuxième génération est plus
quand la doctrine républicaine de la conscription univers stricte, puisqu'elle s'applique seulement aux personnes nées dans le
pays d'accueil. J'adopte cette définition par commodité, dans la mesure
ellea gagné du terrain. L'extension du jus soli a été où l'habitude administrative d'enregistrer le lieu de naissance lui a
poussée par la force de ce ressentiment social, et non par donné davantage d'importance que la socialisation dans le droit de
citoyenneté. Par immigré de deuxième génération, j'entends donc une
des considérations démographiques ou militaires. Maint personne née dans le pays d'accueil par immigré de troisième génér
enant, pourquoi ce ressentiment à l'encontre des immi ation, j'entends une personne née dans le pays d'accueil, et dont l'un
;

grés bien établis s'est-il traduit par une définition plus des parents y est né aussi.
large de la citoyenneté ? On aurait pu imaginer que l'obl 5 - Tout au long du xixe siècle, l'initiative est venue du Parlement et
non du gouvernement, pour réformer le droit de citoyenneté. Le gou
igation militaire soit étendue aux résidents étrangers 6, ou vernement craignait qu'une extension du jus soli en France incite les
bien que la politique d'immigration se referme, ou autres pays à imposer leur propre citoyenneté aux Français résidant à
l'étranger. C'est pourquoi, il a agi avec prudence, et infléchi les initia
encore que se développe un nationalisme xénophobe. tives parlementaires dans le sens de la modération.
L'extension décisive du jus soli qui s'accomplit en 1889, 6 - De fait, cette éventualité a été envisagée à plusieurs reprises. Mais la
ne se comprend qu'en référence à une conception de la tradition du soldat-citoyen était trop ancrée pour qu'elle aboutisse.
Rogers Brubaker

réformes institutionnelles, parmi lesquelles on trouve la La codification des conditions d'appartenance à l'Etat
conscription universelle et l'enseignement primaire grat telle que les premiers révolutionnaires l'ont établie dif
uit, laïque et obligatoire. Dans ce contexte, l'acception fère de la jurisprudence d'Ancien Régime sur un point.
traditionnelle de la nation - assimilationniste et étatique - Les personnes nées à l'étranger de parents français et les
s'est trouvé considérablement renforcée. Les élites qui descendants des protestants expatriés devaient non seu
pèsent sur l'opinion et prennent les décisions en sont lement s'installer en France, mais aussi prêter serment,
venues à juger anormal et intolérable le fait que les immi pour être considérés comme français. Les étrangers qui
grésde la deuxième et de la troisième génération, légal obtenaient la citoyenneté après cinq ans de résidence en
ement étrangers mais socialement français, soient exclus France devaient aussi prêter serment. L'accent mis sur ce
de la citoyenneté et du service militaire. Aussi ont-ils serment civique montre que dorénavant l'appartenance
prôné leur intégration civile et militaire, comme une prenait une signification volontariste. Toutefois, malgré
chose naturelle et nécessaire. l'insistance idéologique sur le caractère volontaire de
l'allégeance, le serment restait marginal pour déterminer
la citoyenneté. Les personnes nées en France de parents
français - la grande majorité des citoyens - n'avaient pas
L'héritage révolutionnaire à manifester leur volonté d'être français la citoyenneté

;
et napoléonien leur était accordée indépendamment de leur volonté.
La Constitution de 1791 opérait une distinction entre
Alors que le système français du jus soli date de 1889, la citoyens français et citoyens actifs. Les premiers étaient
citoyenneté française était largement ouverte aux im des nationaux et ressortissants français, des citoyens au
migrés depuis déjà un siècle. La définition juridique des sens moderne du terme; les seconds regroupaient la
conditions d'appartenance à l'Etat sous la Révolution et sous-catégorie des personnes dotées de droits politiques.
l'Empire a jeté les fondements d'un droit étendu de la A travers cette distinction, les constituants visaient à
citoyenneté en France. La Révolution française a terribl concilier une citoyenneté civique universaliste et égalita-
ementenrichi et transformé la signification légale et poli riste, et une citoyenneté politique à plusieurs niveaux.
tique de la citoyenneté ; pour la première fois, un Etat ter Les Constitutions révolutionnaires suivantes n'ont pas
ritorial occidental était amené à définir formellement conservé cette distinction. Elles ne se préoccupaient pas
l'appartenance à un Etat. Mais cela n'a pas radicalement d'étendre la citoyenneté au sens moderne du terme, mais
transformé les critères qui distinguent un Français d'un seulement les droits politiques. On ne demandait pas

:
étranger. La citoyenneté était devenue un statut caracté «Qui est français? » Mais plutôt: «Qui jouit des droits
ristique, significatif; mais à la question «Qui est fran politiques ? » On abandonna la notion de citoyenneté
çais? », on répondait encore selon la jurisprudence des comme statut général, pour revenir à l'ancienne notion
parlements d'Ancien Régime, en tenant compte du lieu de citoyenneté comme statut particulier, un statut poli
de naissance, de l'ascendance et du lieu de résidence. Les tique spécifique9.
anciens critères d'appartenance convenaient bien à la C'est au moment de la préparation du Code civil que
nouvelle acception de la nation. Cette approche militait s'est de nouveau posée la question d'une citoyenneté
en faveur d'une définition large de la citoyenneté ce
;

sont les anciens critères qui allaient dans ce sens ' Sou
.

cieuse de garantir la juste transmission des droits, la juri 7 -J'entends citoyenneté au sens large de membre d'un Etat-nation, et
sprudence des parlements au regard de la qualité de fran non pas au sens restreint de citoyen politiquement actif.
çais s'était assouplie durant les derniers siècles de 8tutions - Constitution du 3 septembre 1791, Titre II, art. 2 et 3, in Les Consti
de la France depuis 1 789, éd. J. Godechot, Paris, Garnier-Flam-
l'Ancien Régime. Au xvnie, pour établir qu'une personne marion, 1979, p. 37.
était française, il lui suffisait d'être née en France, ou 9 — M. Vanel, Histoire de la nationalité française d'origine, Paris,
d'avoir un père français, à condition de résider en France. Ancienne Imprimerie de la Cour d'appel, 1945, p. 95, 102, 113-114.
La Constitution de 1791 a confirmé et codifié ces règles, L'usage du terme citoyen dans les Constitutions révolutionnaires prête
à confusion. La Constitution de 1791 emploie le terme pour désigner un
elle les a complétées en assouplissant encore les condi national, membre de l'Etat-nation. au sens moderne. Les Constitutions
tions de citoyenneté, puisqu'elle la reconnaissait à des révolutionnaires suivantes l'emploient, en règle générale, pour dési
gner ceux qui ont des droits politiques (le citoyen actif, au sens de la
étrangers domiciliés en France et socialement intégrés, Constitution de 1791). Sur les confusions engendrées par cette accep
au bout de cinq ans de résidence ; de même, elle a auto tionstrictement politique de la citoyenneté, voir R. Grawert, Staat und
Staatsangehörigkeit, Berlin, Duncker et Humblot, 1973, p. 165-168.
risé les descendants d'émigrés religieux à réclamer la Quant à moi, j'emploie « citoyenneté » pour désigner l'appartenance for
citoyenneté en élisant leur domicile en France 8. melle à un Etat-nation.
DE L'IMMIGRE AU CITOYEN

entendue au sens moderne du terme comme une appar la France, mais un lien durable et consistant, qui lui-
tenance générale à l'Etat. Le fait que tous les Français même reflète une volonté d'appartenance. « Si riches que
jouissent des mêmes droits civiques faisait l'unanimité. nous soyons en population, nous pouvons devenir plus
En revanche, des étrangers ne pourraient jouir de ces riches encore. Ouvrons nos portes aux étrangers, profi
droits civiques que sur la base d'accords réciproques tonsde la chance qui a fait naître leurs enfants en France

;
entre les Etats. Aussi était-il nécessaire de spécifier qui est mais ne nous emparons pas de ces enfants contre leur
français et qui est étranger. Le Code a adopté le principe gré. [La citoyenneté française] est une offre que nous
élémentaire du jus sanguinis la citoyenneté se transmet devons leur faire, un avantage que nous leur accordons,
:

par filiation, d'un père à ses enfants, quel que soit le lieu mais pas une servitude que nous leur imposons 14. »
de leur naissance. Il y a eu un grand débat pour savoir C'est ce point de vue qui l'a emporté. Dans la version
dans quelle mesure il serait souhaitable de compléter le finale du Code civil, les enfants nés en France de parents
principe de base d'un jus sanguinis par des éléments étrangers n'ont pas d'emblée la citoyenneté française,
empruntés au jus soli. On convenait que naître en France mais peuvent la réclamer à leur majorité, en déclarant
devait entrer en ligne de compte. Mais jusqu'à quel leur intention d'établir leur domicile en France (et, pour
point ? Est-ce que naître en France est un critère suffisant ceux qui résideraient à l'étranger, en établissant leur
pour obtenir la citoyenneté française, ou bien est-ce que domicile en France pendant une année). Ce système l'a
cela confère seulement une sorte de droit conditionnel à emporté sur xxnjus soli inconditionnel, parce qu'il aurait
le devenir? Est-ce que l'enfant né en France de parents été « trop injuste » et « inconvenant à la dignité nationale »
étrangers est automatiquement et inconditionnellement de conférer la citoyenneté française à quelqu'un qui, bien
français, ou doit-il prouver sa volonté d'être français, en que né en France, « n'y aurait jamais résidé, ni manifesté
élisant domicile en France 10 ? le désir de s'y installer » b.
Napoléon a donné la prédominance au premier cas. Le Code civil distingue deux catégories d'apparte
En se plaçant délibérément du côté des intérêts de l'Etat, nance, effective ou virtuelle. La première concerne les
il se préoccupait davantage des obligations militaires qu'il personnes nées d'un père français, en France ou à l'étran
serait possible d'imposer aux citoyens que des droits ger ; elles reçoivent la citoyenneté française sans avoir à
civiques dont ils pourraient jouir11. Comme il le remarq en exprimer la volonté, ni à faire la preuve de leur att
uait, les guerres auxquelles la France avait été mêlée achement à la France. L'autre catégorie recouvre les per
avaient entraîné l'établissement en France de nombreux sonnes nées en France d'un père étranger, ou les per
étrangers. Il serait de l'intérêt de la France d'accorder la sonnes nées à l'étranger d'un père qui a perdu sa
citoyenneté française à leurs enfants ; sans quoi « on ne citoyenneté française ces personnes doivent « recou
;

pourrait les contraindre ni à la conscription ni aux autres vrer» ou «réclamer» leur citoyenneté par un acte de
obligations publiques». Par ailleurs, il soulignait le pou volonté. S'ils ne le faisaient pas, ils seraient traités en
voir d'assimilation de la France. Les enfants nés en France étrangers. Néanmoins, les mots le disent bien, ils n'ont
de parents étrangers qui y résident « ont les façons de qu'à demander pour obtenir. Ces gens ne « deviennent »
penser des Français, les habitudes des Français, et l'at pas français ; ils « n'acquièrent pas » la citoyenneté fran
tachement naturel que chacun éprouve pour le pays qui l'a çaise, comme le feraient des étrangers par leur naturali
vu naître12». sation. Ils recouvrent ou réclament une qualité légale
Tandis que Napoléon mettait l'accent sur les enfants qu'en un sens ils possédaient déjà. Ils activent une appar-
d'étrangers résidant en France, les opposants hostiles à
l'application inconditionnelle du jus soli s'intéressaient
surtout aux enfants des étrangers en transit. « Le fils d'un
Anglais peut devenir français. Mais doit-il l'être pour la 10 - J. G. Locré, Esprit du Code Napoléon, tiré de la discussion, Paris,
seule raison que sa mère, en traversant la France, l'a mis Imprimerie impériale, 1867, vol. 1, p. 250.
au monde sur un territoire où elle et sa famille sont des Il -Ibid., p. 150.
étrangers? [Dans ce cas, pour une personne,] le pays 12 - Cité in C. Nizet, Des effets de la naissance sur le sol français au
dépendrait non pas de l'affection qu'elle lui porte, ni de point de vue de la. nationalité, Thèse, faculté de droit de Nancy, Nancy,
Imprimerie Crépin-Leblond, 1896, p. 61-62.
son choix, mais des hasards de sa naissance 13. » Les 13 — P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code
adversaires et les partisans d'un jus soli inconditionnel civil, Paris, Videcoq, 1836, vol. 7, p. 166.
étaient d'accord pour que la citoyenneté française soit 14 - Boulay, ibid., p. 166-167.
définie de façon large. Mais les adversaires souhaitaient 15 - Gar>7, présentant au Tribunal la version finale du projet, cité par
que la citoyenneté reflète non pas un lien accidentel avec M. Vanel, op. cit., p. 137 (voir aussi P. A. Fenet, op. cit., p. 643).
Rogers Brubaker

tenance latente, ils transforment une citoyenneté virtuelle questions de principes. On a reproché à Napoléon son
en citoyenneté effective 16. approche d'homme d'Etat, intéressé seulement par la
La définition large de la citoyenneté dans le Code civil « dimension verticale » de la citoyenneté, avec les obliga
reflète un gallocentrisme prononcé, qui tient pour acquis tionsque l'Etat pourrait imposer aux citoyens, et négli
que des gens que leur naissance où leur parenté lient à la geant la « dimension horizontale » , les liens de la national
France, lui seraient attachés et fidèles. Pour ceux qui sont ité, l'attachement au pays, et les relations entre les gens
nés en France d'un père français, l'attachement à la qui font de la nationalité une réalité sociale substant
France est une présomption si forte et si évidente qu'ils ielle 20. Sous cette forme, on a rapproché la vision napo
ne sont même pas mentionnés dans le Code civil. Au léonienne du droit de citoyenneté traditionnel en Anglet
sens strict, leur citoyenneté va sans dire. Pour ceux qui erre, selon lequel toute personne née dans le domaine
sont nés à l'étranger de parents français, la présomption de la couronne anglaise est sujet anglais. Or, l'Angleterre
est presque aussi forte. On suppose que leurs parents qui faisait figure de repoussoir son droit de citoyenneté

:
séjournent à l'étranger sans s'y établir ont l'intention de « reste imprégné de féodalisme et ne doit en aucun être
retourner en France. Comme l'indique Boulay «L'att imité 21 ». Ceux qui s'opposaient à un jus soli incondition
:

achement à notre sol et à nos compatriotes nous persuade nel ne cessaient de répéter qu'on risquerait d'accorder la
qu'on ne peut les quitter, si ce n'est de façon temporaire, citoyenneté française à des gens qui n'auraient aucun lien
et toujours avec le désir de les retrouver. Ainsi le vieil véritable avec la France. Accorder sans condition la
adage est devenu un axiome "Le Français conserve tou citoyenneté française à quelqu'un « qui n'a jamais résidé
jours l'esprit de retour17." » II est intéressant de noter que
:

en France, ni manifesté le moindre désir de s'y établir »


la transmission de la citoyenneté par la filiation est justi était «incompatible avec la dignité nationale... C'est un
fiée par la force présumée de l'attachement au territoire devoir, pour celui que le droit d'un pays a adopté, de se
français, et non pas en référence à une appartenance montrer digne de cette faveur, et de s'associer aux dest
ethnique indépendante du territoire. inées de son pays d'adoption en y établissant sa rés
Ce biais gallocentrique s'est étendu aux personnes idence 22 » Accorder la citoyenneté française trop large
.

nées en France de parents étrangers. Eux aussi ont bénéf ment, sans égard pour les liens substantiels de la
icié d'une présomption d'attachement. Mais ici, la logi nationalité, reviendrait à dévaluer ce statut, à lui ôter sa
que est inversée. Alors qu'on suppose que des Français dignité et son prestige 23.
résidant à l'étranger ont nécessairement l'intention de Pour autant, il serait faux de croire que l'intérêt pour
revenir en France, les étrangers qui résident en France un idéal favorise l'acception étroite de la citoyenneté.
sont censés vouloir s'y établir. L'émigration serait tempor Bien au contraire. L'un des mythes les plus forts et les
aireet l'immigration définitive. L'argument est le sui plus durables que la Révolution ait engendré est celui de
vant « Ces fils d'étrangers resteront pour la plupart sur
:

le sol français et ne rejoindront pas le pays de leur


père 18. » Pourtant, il peut arriver que des personnes nées 16 - La jurisprudence du xixe siècle atteste que ces personnes étaient
déjà considérées comme des citoyens latents ou virtuels. Tout au long
en France ne développent pas un attachement fort par du siècle, les cours de justice ont accordé le bénéfice de la rétroactivité
;

exemple, une personne née en France de parents étran à la revendication de citoyenneté une personne qui réclamait la
citoyenneté française était réputée française depuis sa naissance.
:

gersde passage et élevée à l'étranger19. La présomption (C. Nizet, op. cit., p. 89-90 P. Lagarde, La nationalité française, Paris,
gallocentrique d'attachement garantit aux personnes nées Dalloz, 1975, 99, p. 83).
;

en France de parents étrangers la possibilité de devenir 17 - P. A. Fenet, op. cit., p. 155.


français elle ne suffit pas à leur accorder la citoyenneté 18 - Roederer cité in]. G. Locré, op. cit., p. 252.
;

effective. Pour l'obtenir, ils devront prouver le bien-fondé 19 - C'était un lieu commun de l'époque de dire que l'essor du com
de cette présomption en manifestant leur attachement. merce amenait un grand nombre de gens à traverser les frontières sans
Pour expliquer que le droit de citoyenneté française pour autant vouloir s'installer. Cette observation concernait au premier
chef les Français résidant à l'étranger, conformément au mode de pen
ait été largement ouvert aux immigrés, les commentateurs sée gallocentrique. Mais on convenait aussi que des étrangers pou
ont souligné les intérêts matériels de l'Etat - en particul vaient chercher fortune en France, sans vouloir s'y établir.
ier, les intérêts démographiques, militaires et écono 20 - Sur les dimensions verticales et horizontales de la citoyenneté, voir
F. Terré, «Réflexions sur la notion de nationalité», Revue critique de
miques. Pourtant, ils ne semblent pas avoir joué un rôle droit international privé, 1975, p. 203, 208.
décisif dans l'élaboration du Code civil. La proposition 21 - Siméon in P. A. Fenet, op. cit., p. 167.
de Napoléon d'appliquer sans condition le jus soli était 22 - Gaiy, ibid., p. 643.
explicitement fondée sur de tels intérêts d'Etat, et elle a 23 - Ce souci de la dignité, de la valeur, du prestige de la citoyenneté
été rejetée par le Tribunat, essentiellement pour des réapparaît dans les débats qui se déroulent actuellement en France.
DE L'IMMIGRÉ AU CITOYEN

la France, gardienne — et accoucheuse - de la liberté pour domiciliés de longue date en France serait déclarée fran
le monde entier. Vergniaud, le Girondin, disait ainsi « Ce çaise 27. Il est frappant de constater que cette proposition

:
n'est pas seulement pour nous, pas seulement pour cette a vu le jour trente-cinq ans avant que les effectifs mili
part du globe qu'on appelle la France, que nous avons taires ne soient perçus comme un problème, et plus long
conquis la Liberté24. » A l'extérieur, ce mythe a encou temps encore avant que la stagnation démographique ne
ragél'expansion territoriale. Il a servi à justifier la guerre soit clairement reconnue. Cela montre bien que le point
comme une guerre contre les tyrans et l'impérialisme de départ d'une extension du jus soli, tout au moins au
comme une mission libératrice. A l'intérieur, il a encou milieu du xixe siècle, ne se trouve pas dans des intérêts
ragél'ouverture envers l'immigration et une acception militaires ou démographiques.
large de la citoyenneté. Cela a engendré un intérêt pour S'il n'y avait pas à proprement parler un intérêt mili
le prestige de la France, vue comme un pays d'ouverture, taire à transformer les immigrés en citoyens, et par là, en
le refuge de ceux qui fuyaient le despotisme, l'endroit où éventuels conscrits, en revanche cela présentait un intérêt
les talents peuvent faire carrière. Définir la citoyenneté politique certain. Le service militaire était loin d'être uni
française de façon large, c'était distribuer à plus vaste versel au début du siècle. Le principe même de la
échelle le prestige d'une association avec la France. En conscription universelle a été abandonné entre 1847 et
l'absence d'une perception de soi ethnico-nationale, la 1872, pour ne rien dire de la pratique. La Charte consti
France était assimilationniste en toute confiance autori tutionnelle de 1814 a formellement aboli la conscription.
:

ser les enfants nés en France de parents étrangers à récl Le service obligatoire a été réintroduit en 1818, mais sans
amerla citoyenneté française de plein droit, ne risquait pas que cette obligation soit ni personnelle ni universelle.
de diluer la substance ethnoculturelle de la nation, mais C'est le tirage au sort qui fixait les personnes à qui cette
l'élargirait et la renforcerait25. Il y a un autre mythe, plus obligation incomberait; mais ceux qui avaient tiré un
ancien, que la Révolution a renforcé, selon lequel la mauvais numéro n'étaient pas tenus de servir personnel
France était au centre des affaires de l'Europe et du lement et pouvaient acheter un remplaçant28. Pendant
monde. La Révolution et les guerres qu'elle a occasion les années 1820, le nombre de personnes ainsi désignées
nées ont stimulé la fierté nationale ; elles ont affermi la est resté faible (de l'ordre de 10 000 à 50 000 par an, sur
vision du monde gallocentrique vers laquelle les Français les 300 000 susceptibles d'être appelés). Mais pour ceux
inclinaient déjà. La France était censée exercer un attrait qui avaient la malchance de tirer un mauvais numéro
pratiquement irrésistible, tant sur les immigrants que sur sans avoir les moyens de payer un remplaçant, le service
les émigrés, et cette présomption d'attachement jouait en militaire était un lourd fardeau qui durait de six à huit
faveur d'une acception large de la citoyenneté. Bref, ans 29. Dans les années 1820, il y avait une raison parti
l'intérêt idéal de la France pour une définition large de la culière d'en vouloir aux étrangers qui échappaient tota-
citoyenneté s'est fondé sur une compréhension de la
nation qui donnait du poids aux aspects politiques, inst
itutionnels et territoriaux, et une faible importance aux 24 - Séance du 24 août 1792, cité m M. Vanel, op. cit., p. 109.
aspects ethniques et culturels. 25 - A la fin du xvme siècle, et au début du xixe, avant l'âge du nationa
lismeethnoculturel, il n'y avait pas d'intérêt majeur à préserver la sub
stance ethnoculturelle de la nation française. Du point de vue linguis
tique,il n'y avait guère de substance ethnoculturelle à sauver il aurait
fallu la créer avant de vouloir la sauver. Il n'y avait pas non plus une
:

définition catholique de l'idée de nation française, bien que la Révolut


Les réformes des années 1 850 ion en ait forgé les conditions d'apparition.
26 - G. Noiriel, op. cit., p. 77-78, 252.
Le Code civil a défini les personnes nées en France de 27 - Cet amendement n'a pas été adopté, pour ne pas prendre, semble-
parents étrangers comme des citoyens virtuels, et les a t-il, des dispositions concernant la citoyenneté à l'occasion d'un projet
concernant le recrutement militaire (Chambre des députés, Documents
autorisés à réclamer la citoyenneté française à leur major parlementaires, Session extraordinaire de 1887, Séance du 7 novembre
ité. Mais ils sont peu nombreux à avoir profité de ce 1887, Annexe n. 2083, « Rapport fait au nom de la commission chargée
droit. La plupart de ceux qui auraient pu y prétendre ont d'examiner la proposition de loi adoptée par le Sénat, sur la national
ité», par M. Antonin Dubost, p. 232 C. Nizet, op. cit.. p. 98).
préféré vivre en France comme des citoyens étrangers, et
;

28 — B. Schnapper, Le remplacement militaire en France, Paris, SEV-


par là échapper au service militaire 26. En réponse à cette PEN, 1968.
anomalie notoire, une première extension du jus soli a 29 - En principe, la durée du service était de six ans entre 1818 et 1825,
été proposée en 1831, sous la forme d'un amendement à de 8 ans de 1825 à 1832, et ensuite de 7 ans (F. Choisel, «Du tirage au
sort au service universel ». Revue historique des armées. 1981, 2, p. 45J.
la loi sur le recrutement militaire. Cet amendement pré En réalité, Schnapper estime à 4 ans la durée moyenne de service effec
voyait que toute personne née de parents étrangers tué(op. cit., p. 38). Cette durée longue correspondait aux vues des mili-
10 Rogers Brubaker

lenient à cette corvée. Jusqu'en 1830, pour chaque can de parents étrangers, ou à quelques-uns seulement. Le
ton, on calculait le nombre de personnes qui seraient projet restrictif avait pour objectif d'empêcher des gens
recrutées en se fondant sur un recensement de la popul nés en France de parents étrangers d'accéder aux avan
ation qui intégrait les étrangers. Par conséquent, dans les tages de la citoyenneté française une fois passé l'âge de la
zones à forte concentration d'étrangers, les Français ri conscription. Le projet d'ouverture cherchait à éviter qu'ils
squaient davantage d'être appelés 30. Il n'est donc pas sur n'échappent à la conscription en restant étrangers 34.
prenant que l'exemption des étrangers ait été particuli Pour une raison juridique technique, aucun de ces
èrementmal ressentie à Paris et dans les régions projets n'a été adopté en 1849 35. En 1851, le projet
frontalières où se regroupaient les étrangers 31. d'ouverture a été adopté, mais sous une forme att
Aux lendemains de la révolution de 1848, la question énuée36. La loi de 1851 déclare française toute personne
s'est de nouveau posée. « La part active que de nombreux née en France de parents étrangers, pourvu que l'un des
étrangers ont prise dans les glorieux événements de deux soit né en France (néanmoins, elle conserve la
février » a conduit le gouvernement provisoire à promul faculté de renoncer à la citoyenneté française à sa major
guer un décret pour faciliter la naturalisation, fin mars ité). Pourquoi la solution d'ouverture l'a-t-elle emporté
1848. Au bout de trois mois, ce décret a été annulé. Dans
l'intervalle, 2 400 personnes s'étaient fait naturaliser et le
gouvernement s'en était alarmé. Il estimait qu'on avait taires et des politiques de l'époque. Les militaires pensaient qu'elle était
accordé sans contrôle la citoyenneté à des gens qui nécessaire pour obtenir une force disciplinée et efficace. Les politiques
n'offraient pas les garanties suffisantes pour devenir des étaient hostiles au service universel, par défiance envers les masses.
Cette opposition politique et militaire au service universel s'est pour
citoyens (comme d'être nés en France ou d'y avoir été suivie sous la IIIe République. Thiers l'illustre parfaitement, quand il
élevés)32. En décembre 1849, une loi a instauré des s'élève contre l'idée de « mettre un fusil à l'épaule de chaque socialiste »
(A. F. Kovacs, « French Military Institutions before the Franco-Prussian
conditions extrêmement restrictives et des procédures War», American Historical Review, 1946, 51, p. 217 R. D. Challener,
pour obtenir la naturalisation 33. The French Theory of the Nation in Arms 1866-1939, New York, Russ

;
Au moment même où le gouvernement limitait ell et Russell, 1965, p. 39).
l'acquisition de la citoyenneté, il envisageait la possibil 30 - Schnapper rapporte que la Seine ne parvenait pas à remplir son
contingent, à la fin des années 1820, à cause du grand nombre d'étran
ité d'en étendre l'attribution. La contradiction n'est gers dans le département {op. cit., p. 38-39).
qu'apparente. Le projet pour limiter l'acquisition de la 31 - En principe, ce système a été modifié en 1830, de sorte qu'on ne
citoyenneté s'appliquait à des personnes nées à l'étran tienne plus compte de la population étrangère dans le calcul du contin
ger et qui parfois avaient peu résidé en France le projet gent.En fait, on a continué à en tenir compte, dans la mesure où le
nouveau système s'est fondé sur le nombre de personnes inscrites sur
;

d'étendre l'attribution de la citoyenneté visait des per les listes de tirage au sort. De nombreux étrangers installés de longue
sonnes nées en France et qui y avaient été élevées. Pour date y figuraient. Lorsqu'ils tiraient un mauvais numéro, ils pouvaient
arguer de leur qualité d'étranger. Aussi ce système était-il à nouveau
les premières, contrairement aux autres, on ne pouvait défavorable aux cantons qui comportaient beaucoup d'étrangers ins
pas présumer de leurs liens à la France. Il n'est donc pas tallés de longue date, dès lors que ceux-ci figuraient sur les listes de
surprenant que la même commission de loi, qui avait tirage (Annales de l'Assemblée nationale, Séance du 18 décembre 1873,
Annexe n. 2122, « Rapport fait au nom de la commission chargée d'exa
approuvé la loi de décembre 1849 visant à restreindre la miner la proposition de loi de M. des Rotours, ayant pour objet de
naturalisation, ait envisagé sérieusement une politique déclarer Français et d'assujettir à l'obligation du recrutement les indivi
d'attribution de la citoyenneté plus ouverte d'autant plus dusd'origine étrangère nés en France, qui ne satisfont pas, dans leur
pays d'origine, aux charges du service militaire » par M. Albert Desjar
;

que ce n'était pas le libéralisme qui inspirait cette orient dins,p. 275-276).
ation, mais le ressentiment envers ces familles étrangères 32 - C. Beudant, « De la naturalisation », Revue critique de législation et
qui s'étaient définitivement établies sur le sol français, de jurisprudence, 1855, 7, p. 121-122.
« ces étrangers qui dédaignent les avantages de la natural 33 - Le demandeur devait avoir reçu l'autorisation d'établir son domic
ileen France, et y avoir vécu dix ans à dater de cette autorisation. En
isation, en profitant de la liberté accueillante de nos lois outre, la naturalisation était accordée « seulement après une enquête
tout en échappant aux charges que doivent supporter officielle concernant la moralité de l'étranger, et seulement sur avis
nos ressortissants ». Qu'il s'agisse d'un « abus très grave », favorable du Conseil d'Etat» (Loi des 13, 21 novembre, 2 décembre
1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France, cité in
cela ne faisait aucun doute ; en revanche, les avis diver La nationalité française .- Textes et documents, Paris, La Documentat
geaient sur les remèdes à y apporter. Des solutions oppos ion Française, 1985, p. 59).
éesont été proposées. D'une part, pour rendre plus dif 34 - Rapport de M. de Montigny du 8 novembre 1849, cité in C. Nizet,
ficile la naturalisation de personnes nées en France de op. cit., p. 109.
35 - C. Nizet, op. cit., p. 108.
parents étrangers qui ont négligé de réclamer la citoyen
36 - Atténuée dans la mesure où elle ne s'applique qu'aux immigrés
netéà leur majorité d'autre part, pour attribuer la de troisième génération. Ce n'est qu'en 1889 que la citoyenneté sera
;

citoyenneté française à tous ceux qui sont nés en France accordée dès la deuxième génération.
DE L'IMMIGRE AU CITOYEN

en 1851 ? Assurément pas grâce à l'universalisme républi ments des autres pays à attribuer leur citoyenneté aux
cain.L'Assemblée législative qui a entériné la loi de Français résidant à l'étranger.
février 1851 était dominée par les monarchistes. Ce tour Il faut souligner à quel point cette réforme a été peu
nant peut s'expliquer pour deux raisons. Le projet res controversée. Les réserves ont porté uniquement sur la
trictif n'aurait pas réglé le problème immédiat. Les enfants mise en œuvre, jamais sur les fondements. Tous accept
nés en France de parents étrangers qui ne réclamaient aient le principe de la réforme, transformer les immigrés
pas la citoyenneté française à leur majorité n'auraient pas de longue date en Français. Pour l'élite, il était clair que
agi différemment si on avait imposé comme règle «la l'Etat-nation français pouvait recevoir de nouvelles
naturalisation maintenant ou jamais», comme le projet recrues grâce à l'immigration. Cette conception essentie
restrictif le prévoyait. Face à l'alternative entre réclamer la llementpolitique et étatique de la nation était une carac
citoyenneté française à la majorité ou rester étrangers en téristique culturelle commune, ce n'était pas une idéolo
France toute leur vie, ils auraient sans aucun doute choisi gie partisane41. Dans les années 1880, les façons de
cette deuxième possibilité. Comparés au risque d'être concevoir la nation étaient plus discutables et plus discu
assujetti à sept ans de service militaire, les avantages de la tées. Une autre approche commençait à poindre, plus
citoyenneté française semblaient bien maigres 37. orientée vers une représentation de la nation comme eth
Plus important encore, il faut souligner, à cette nie. En même temps, la conception traditionnelle et éta
époque, la faiblesse des motifs ethniques dans le sent tique de la nation se trouvait puissamment renforcée.
iment national. Corrélativement, l'ascendance partagée
n'apparaissait pas comme un critère d'appartenance à la
nation française. Dans ce contexte politico-culturel, le
projet d'ouverture était à l'abri des attaques idéologiques. Jus soli ou jus sanguinis ?
Pratiquement, il pouvait passer pour du simple bon sens.
D'ailleurs, le projet restait modeste. Il s'appliquait seule Les débats qui ont entouré la réforme prudente et limi
ment aux immigrés de troisième génération - des per téedes années 1850 ne concernaient ni le principe d'une
sonnes nées en France, dont l'un des parents au moins y extension du jus solí, ni le fait de rendre français des
était né aussi. Une forte présomption d'attachement à la immigrés de longue date, mais seulement les moyens
France semblait légitime dans ce cas. «N'étaient-ils pas pratiques d'y parvenir. La réforme radicale de 1889 a
français dans les faits et dans leur intention, par leurs donné lieu à davantage de controverses, et le chemin
affections, leurs mœurs, leurs habitudes38? » Alors, pour pour prendre force de loi a été long et tortueux. La légis
quoi ne seraient-ils pas français selon la loi? Puisqu'ils lation qui a fini par voir le jour en 1889 gardait peu de
étaient membres du pays réel, pourquoi ne le seraient-ils ressemblance avec le projet initial de 1882, et moins
pas du pays légal39? Il serait dangereux de les tenir à encore avec une proposition du Conseil d'Etat en 1884.
l'écart de «la grande famille française». La réforme pro
posée pouvait apparaître comme un moyen sans détour
de « régulariser cette situation anormale 40 » 37 - L'incitation à réclamer la citoyenneté française était d'autant plus
faible que certains des avantages qui lui étaient attachés ne pouvaient
.

L'opposition parlementaire au projet d'ouverture s'exercer qu'avant d'atteindre l'âge de la majorité comme par exemple
n'était pas inspirée par l'idéologie, mais par la prudence. le droit de fréquenter certaines écoles, ou le fait de se porter volontaire
;

Personne ne s'élevait contre le principe d'attribuer la pour un service d'un an (Sénat, Documents parlementaires, Session
extraordinaire de 1886, Séance du 4 novembre 1886, Annexe n. 19,
citoyenneté aux immigrés de troisième génération. Mais « Rapport supplémentaire fait, au nom de la commission chargée d'exa
on craignait que les gouvernements des autres pays ne miner la proposition de loi de M. Batbie, sur la naturalisation», par
M. Batbie, sénateur, p. 373b). Plus généralement, sur le manque d'inci
répliquent en attribuant leur citoyenneté aux Français tation à devenir français, voir G. Noiriel, op. cit., p. 76-77.
résidant à l'étranger et ne leur imposent le service mili 38 - Rapporteur de la loi de 1851, cité in C. Nizet, op. cit., p. 112.
taire. Or, à cette époque, ils étaient assez nombreux. Pour 39 - C'est beaucoup plus tard que cette formule sera inversée. On dira
parer cette éventualité, on a rendu conditionnelle l'attr alors que la pleine citoyenneté formelle, l'appartenance au pays légal,
ne suffit pas à faire des immigrés - ou des juifs - des membres du pays
ibution de la citoyenneté française aux immigrés de tro réel.
isième génération. Tous ceux que cette mesure concern 40 - Benoît-Champy, cité in C. Nizet, op. cit., p. 113, 114.
ait pourraient renoncer à la citoyenneté française à leur 41 - Ici je me range à la façon dont Skocpol définit ces caractéristiques
majorité. On justifiait cela en termes volontaristes il culturelles communes (cultural idiom) comme « inscrites dans la
longue durée, plus anonymes, moins partisanes... que des idéologies »
:

n'était pas souhaitable de faire « un Français malgré lui »


(•< Cultural Idioms and Political Ideologies in the Revolutionary Reconst
.

La préoccupation sous-jacente était plus prosaïque. Il ruction of State Power A Rejoinder to Sewell », Journal of Modern
était souhaitable d'éviter de provoquer les History, 1985, 57, p. 91).
:
12 Rogers Brubaker

Ce qui à l'origine était proposé comme une simple ratio plus conforme à [nos] principes » d'abolir cette disposit
nalisation technique du droit de citoyenneté française a ion. Mais ça ne pourrait pas se faire tout seul. Il y avait
débouché sur une restructuration politique de fond. Cela trop d'immigrés installés en France « de père en fils »

.
a donné lieu à des désaccords profonds sur les fonde Attribuer la citoyenneté française aux immigrés de tro
ments du droit de citoyenneté, les uns prônant un sys isième génération nés en France se justifiait comme « une
tème entièrement fondé sur le jus sanguinis, les autres loi de défense. contre. le vagabondage international »,

..

..
réclamant l'extension dwjus soli. une loi pour prévenir le développement d' « une populat
On a pu croire d'abord que les partisans du jus san ion de nationalité incertaine, profitant de presque tous
guinis l'emporteraient. Une proposition du Conseil d'Etat les avantages de nos ressortissants, sans en supporter les
visant à limiter le jus soli a été adoptée en première lec obligations » 44.
ture au Sénat. Le jus sanguinis était posé de façon expli Néanmoins, il est significatif que le Conseil d'Etat et
citecomme le principe fondamental du droit de citoyen le Sénat affirment expressément le principe du jus san
neté française, et le jus soli était expressément récusé. guinis et critiquent sévèrement le jus soli. Le principe du
Représentant le Conseil d'Etat devant le Sénat, Camille jus sanguinis était affirmé, ou du moins reconnu, par
Sée développa l'argument suivant « La nationalité doit tous les tenants du débat, à la Chambre des députés, plus
:

dépendre du sang, de l'ascendance, et non pas du fait radicale, aussi bien qu'au Sénat, plus conservateur. Per
accidentel de la naissance sur notre territoire. » Le jus soli sonne ne l'attaquait de front. Même ceux qui souhaitaient
était rejeté comme une survivance féodale tandis que le étendre le jus soli n'ont pas remis en cause le principe du
jus sanguinis semblait un principe résolument moderne. jus sanguinis pendant les débats des années 1880. En
Dans une question toute rhétorique, Camille Sée demand mettant en avant le fait que les considérations théoriques
ait« Pourquoi faire revivre ce principe féodal d'une devaient céder le pas aux nécessités pratiques, ils consa
:

nationalité reposant sur la naissance à l'intérieur du terri craient la supériorité du jus sanguinis sur le jus soli,
toire, quand toute l'Europe, à l'exception de l'Angleterre comme principe du droit de citoyenneté. C'est ainsi que
et du Portugal, nous disent que la nationalité dépend du Anton Dubost, rapporteur à la Chambre du projet
sang, et quand les progrès de la science permettent à un d'extension du jus soli aux immigrés de deuxième génér
individu d'aller en quelques heures d'un bout de l'Europe ation, reproche aux défenseurs du jus sanguinis d'avoir
à l'autre? Le Conseil d'Etat ne saurait dire, près d'un siècle « un point de vue purement doctrinal » et par là de négli
après la Révolution française, qu'un individu né sur le ter ger« les nécessités sociales » 45.
ritoire français est français en vertu du principe qui fait En 1886, il était généralement admis, à titre de prin
de l'homme une dépendance du sol. » Dans cette opti cipe, que la citoyenneté devait se fonder sur l'ascendance
que, le jus soli revenait à « une mainmise sur les étran et non pas sur le lieu de naissance. Pour la première fois,
gersnés en France » 42. L'opposition entre la vision féo le jus sanguinis est expressément affirmé, et le jus soli
dale et les conceptions modernes de l'appartenance sévèrement critiqué. Un amendement limitant le jus soli
sociale et politique servait ainsi de cadre à la critique du est adopté en première lecture au Sénat. Son passage
jus soli. semblait acquis. Pourtant la loi qui sera adoptée deux ans
Cet assaut contre le jus soli était surtout rhétorique.
En fait, le projet du Conseil d'Etat était largement plus
modeste que ce que sa rhétorique pouvait faire croire. 42 - Sénat, Comptes rendus, Séances du 13, 15 novembre 1886,
Selon ce projet, une personne née en France d'un père p. 1185a, 1182b. Voir aussi, p. 1179-1180. A l'origine, il s'agit d'un terme
emprunté au droit féodal qui désigne la confiscation ou la saisie de
étranger n'aurait plus le droit de réclamer la citoyenneté biens. Puis mainmise a pris une tournure péjorative, qui suppose l'exer
française à sa majorité. Au lieu de quoi, il devrait demand ciced'un pouvoir absolu et tyrannique.
er sa naturalisation comme tout étranger, sauf que le 43 - Les statistiques sont inutilisables dans la mesure où il n'y avait pas
délai de résidence imposé avant d'introduire sa demande de contrôle administratif ni même d'enregistrement centralisés des
déclarations d'acquisition de la citoyenneté française. Mais les obser
serait moins strict que pour les autres étrangers. Dans la vateurs s'accordent à souligner à quel point il était peu fréquent que
mesure où très peu de gens avaient exercé leur droit de des personnes nées en France de parents étrangers choisissent d'acquér
ir la citoyenneté française. On en trouve une preuve indirecte dans le
devenir français à leur majorité, les conséquences de fait que près de 40 % des étrangers résidant en France en 1891 y étaient
cette réforme auraient été infimes 43. nés (G. Noiriel, op. cit., p. 251)- Ce pourcentage aurait été beaucoup
En revanche, ce que le Conseil d'Etat ne proposait pas moins élevé si une part importante des étrangers nés en France avaient
opté pour la citoyenneté française à leur majorité.
était beaucoup plus important. Depuis 1851, les immigrés 44 - Sénat, Séances du 13, 15 novembre 1886, op. cit., p. 1182c.
de troisième génération étaient définis comme français, 45 - Chambre des députés, Séance du 7 novembre 1887, Annexe 2083,
jure soli. Le Conseil d'Etat reconnaissait qu'il « aurait été op. cit., p. 234.
DE L'IMMIGRE AU CITOYEN 13

et demi plus tard consacre l'extension radicale du jus soli tionnelles qui étaient en question. Et celles-ci ne faisaient
et non pas son remplacement. Ce renversement de situa l'objet d'aucune objection de principe.
tionpose deux problèmes étroitement liés. Qu'est-ce qui Il n'y avait pas davantage d'argument de principe en
justifie la préférence générale et explicite pour le jus san- faveur du fus sanguinis. On imagine volontiers ce que
guinis? Comment expliquer que cette réforme, telle serait une justification positive, autonome du jus sanguin
qu'elle a été décrétée, soit passée outre cette préférence is. Il faudrait pour cela en appeler à l'idée de nation
et ait étendu le jus soli de façon substantielle ? conçue comme une ascendance commune. Or, on n'a
Une partie de la réponse se trouve dans le fait que pas vu apparaître cette justification positive. La seule jus
l'affirmation du jus sanguinis et la critique du jus soli tification était purement négative, fondée sur la critique
étaient plus faibles qu'il n'y paraît. L'engagement en du jus soli. D'ailleurs, cette critique demeurait inconsis
faveur du jus sanguinis était très superficiel. Nulle part, tante,dans la mesure où elle visait une forme incondit
dans les débats des années 1880, le jus sanguinis n'a été ionnelle du jus soli que nul n'a jamais sérieusement envi
affirmé ou défendu pour ses propres mérites. Lorsqu'il sagée, à la fin du xixe siècle en France.
était affirmé, c'était par défaut, sa seule justification était Aussi le débat des années 1880 ne porte-t-il pas
purement négative. Son unique vertu était de n'avoir pas témoignage d'un engagement fort en faveur d'un droit de
les points faibles du jus soli. Quels étaient-ils donc ? En citoyenneté strictement fondé sur l'ascendance. Il manq
premier lieu, le fait que le jus soli soit un vestige féodal, uait le prérequis idéologique d'un engagement de ce
traitant l'homme comme une dépendance du sol en type, l'idée de nation comme ascendance commune. La
;

deuxième lieu, le fait d'attacher la citoyenneté à un lieu fibre ethnique de la conscience nationale a toujours été
de naissance accidentel, ce qui risque, à l'âge des dépla assez faible en France. De façon plus générale, elle se
cements internationaux et clone en période d'augmentat révèle plus faible dans les vieux Etats-nations de France
ion des migrations internationales de courte durée, de et d'Angleterre que dans les Etats-nations récents d'Eu
ne comporter aucun attachement ni fidélité véritables. rope centrale. Encore ne tient-on là que le début d'une
Ces arguments n'avaient aucun poids pour détermi explication. Il faut aussi dire pourquoi le jus sanguinis
ner le statut des immigrés de deuxième ou troisième était explicitement affirmé, sans pour autant s'engager
génération. Ils valaient contre un jus soli absolu et incond pour un droit de citoyenneté exclusivement fondé sur
itionnel. Ils étaient inopérants contre ces formes limi l'ascendance. Enfin, nous devrons rendre compte de
tées et conditionnelles du jus soli qui visaient à faire l'accord général que recueille l'affirmation du jus san
d'immigrés de deuxième ou troisième génération bien guinis. Qu'est-ce qui justifie l'adhésion générale et doré
établis des membres à part entière de l'Etat. Personne ne navant explicite du jus sanguinis?
se prononçait pour un jus soli pur et inconditionnel,
depuis que Napoléon s'en était fait le défenseur, au
moment du débat sur le Code civil. La loi de 1851 ne tou Les débuts d'une représentation
chait que les immigrés de troisième génération, des per ethnique de la nation
sonnes nées en France et dont l'un des parents y était né
aussi. La naissance de deux générations successives sur le Certes, la fibre ethnique de la conscience nationale a tou
territoire français pouvait difficilement être accidentelle. jours été relativement faible en France. Toutefois, à la fin
C'était donc une preuve suffisante d'installation définitive du xixe siècle, elle est devenue plus sensible (sans comp
en France. araison bien sûr avec l'Allemagne de la même époque).
Ce qui est certain, c'est que les partisans du jus soli, Cette conscience ethnique atteindra son apogée plus
dans les années 1880, se sont focalisés sur les immigrants tard, pendant l'affaire Dreyfus, et après mais les pre
;

de deuxième génération, pas sur ceux de la troisième miers signes de son éveil ont sans doute contribué, de
génération dont l'enracinement en France ne faisait façon diffuse, à l'affirmation du jus sanguinis clans les
aucun doute. Pour autant, ils ne considéraient pas que débats des années 1880.
naître en France était en soi une garantie suffisante pour L'apparition d'une composante ethnique dans la
accorder la citoyenneté. Ils admettaient que naître en conscience nationale française est le résultat de plusieurs
France pouvait être quasi accidentel. C'est pourquoi ils
proposaient de rendre l'attribution de la citoyenneté
dépendante des signes ultérieurs d'un attachement 46 - Dans sa forme finale, par exemple, la loi de 1889 attribue la
citoyenneté française aux personnes nées en France et qui y résident à
durable 46. Les critiques adressées, vers 1880, à un jus soli leur majorité, pourvu qu'elle n'aient pas conservé leur citoyenneté
inconditionnel ne correspondaient pas aux formes d'origine.
14 Rogers Brubaker

évolutions conjuguées. Tout d'abord, l'intérêt des intel Il n'en reste pas moins que le principe de nationalité
lectuels français qui se sentent solidaires des mouve pousse précisément à rattacher les deux 53 - pas directe
ments nationaux du siècle, essentiellement ceux des ment,en demandant à l'Etat de redéfinir la nationalité
Grecs, Belges, Polonais, Hongrois, Italiens, Roumains et légale en termes ethnoculturels, mais indirectement, en
Allemands. Le soutien aux mouvements nationaux était redessinant les frontières politiques de telle sorte que
particulièrement développé à gauche 47. Jusque vers convergent nationalités ethnoculturelles et légales.
1865, dans la lignée de la Révolution et avec l'essor et la C'est seulement à partir de la seconde moitié du xixe
répression de ces mouvements en 1848, ils sont apparus siècle qu'on s'est mis à appeler « nationaux » les membres
comme des luttes contre l'Ancien Régime, des camde l'Etat français, et à parler de « nationalité » pour dési
pagnes de libération contre des régimes dynastiques gner l'appartenance à l'Etat français. Ce mot nouveau,
réactionnaires. Dans cette perspective, la dimension poli «nationalité54», a pris d'abord un sens ethnoculturel
tique l'emportait sur l'aspect ethnique. Il semblait que ces (bien établi vers 1848), puis un sens légal. Il semble bien
mouvements nationaux étaient véhiculés par des peuples que la signification première, ethnoculturelle, a « conta
privés de leur liberté, et non par des regroupements pré miné » la signification légale. Parler de « nationalité » au
politiques à base ethnoculturelle. Pour reprendre les sens légal véhicule un halo de significations qui appar-
mots d'un observateur de l'époque, ces mouvements
nationaux accomplissaient « le travail de régénération »
par lequel des nations arbitrairement divisées cherchaient 47 — R. Girardet, éd., Le nationalisme français : Anthologie 1871 à
à se reconstituer et à « rétablir leur unité première » 48. 1914, Paris, Seuil, 1983, p. 12-13 G. Weill, L'Europe du XIXe et l'idée de
nationalité, Paris, Albin Michel, 1938, p. 137.

;
Même avec cette approche résolument politique, il 48 -M. Deloche, Du principe des nationalités, Paris, Guillaumin, I860,
était vraiment difficile d'ignorer le fondement ethno- p. vi, 31. Cette sympathie toute politique pour les mouvements nati
culturel des mouvements nationaux du xixe siècle. A part onaux dérive directement de la Révolution, et plus précisément du
irde 1830, l'usage du terme « nationalité » se répand pour célèbre décret de la Convention (19 novembre 1792) « La Convention
nationale déclare, au nom de la Nation française, qu'elle accordera fra

:
désigner une communauté ethnoculturelle et par consé ternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur
quent une communauté d'aspiration politique, en liberté» (cité in]. Godechot, Za Grande Nation : l'expansion révolu
tionnaire de la France dans le monde de 1 789 à 1 799, Paris, Aubier
l'absence d'une organisation politique autonome. Cette Montaigne, 1983, p. 75).
terminologie nouvelle montre qu'on devenait plus sen 49 - G. Weill, op. cit., p. 4-6.
sible au nationalisme ethnique 49. « Nationalité » n'était 50 - On devrait marquer une différence importante entre une définition
pas synonyme de «nation», qui, en français du moins, ethnique de l'idée de nation, et une définition culturelle, ce que le
sous-entend une organisation politique autonome, et pas terme d'ethnoculturel gomme. Toutefois, en pratique, on constate que
même la définition culturelle de l'idée de nation a une coloration eth
nécessairement une communauté ethnoculturelle. nique beaucoup plus forte que celles qui sont définies en référence à
Le lien entre communauté ethnoculturelle et aspira l'Etat. Certes, à long terme, une culture commune ne veut pas néces
sairement dire une ascendance commune. Il n'en reste pas moins que
tionpolitique s'est noué dans le « principe de national la famille joue un rôle décisif dans la transmission de la culture natio
ité », posé d'abord par Mazzini, et d'usage courant à part nale celle-ci comprend des marqueurs culturels, comme les mœurs,
irde la moitié du siècle. Cela implique une distinction larésistants gestuelle, les modes de pensée, les façons de sentir, qui sont plus
;

que le langage à une transmission organisée et formalisée.


conceptuelle très ferme entre la nationalité et l'Etat, et le En conséquence, il y a une affinité élective entre la transmission famil
programme politique qui vise à redessiner la carte poli iale de la citoyenneté (jus sanguinis), et l'approche culturelle, voire
tique pour la conformer à la géographie ethnocultur explicitement ethnique, de l'appartenance à la nation. Ce qui ne veut
pas dire que l'on attribue un fondement biologique à une culture com
elle50. Cette distinction conceptuelle et ce programme mune. Ce n'est pas l'ascendance commune au sens biologique qui est
politique sont au cœur des mouvements nationaux soulignée, mais sa socialisation à travers la famille. L'ascendance est
alors prise comme un indicateur de la socialisation.
d'Europe centrale, alors qu'ils étaient étrangers à la cul 51 - B. Akzin, States and Nations, Garden City, NY, Doubleday, 1966,
ture et à l'expérience politique de l'Europe occidentale p. 11-12, 23-24, 46.
du Nord51. Les sympathies françaises pour le programme 52 - Une autre source montrerait à quel point se creuse l'écart entre la
politique ont sans doute contribué à « naturaliser » la dis notion d'Etat et de nationalité, au sens ethnoculturel; c'est l'intérêt
croissant, tout au long du xixe siècle, pour le rôle de l'hérédité dans la
tinction entre nationalité ethnoculturelle et Etat, elles ont vie sociale, et le développement de l'ethnographie, de l'anthropologie
aussi alimenté la tendance à appréhender les «natio physique, de la géographie humaine, et de la démographie (G. Noiriel,
naux» d'un Etat en termes ethnoculturels 52. op. cit., p. 35 sq., 81-82).
53 - H. Battifol et P. Lagarde, Droit international privé, 7e éd., Paris,
Assurément, la nationalité légale conférée par l'Etat Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1981. p. 61-62.
est différente de la nationalité ethnoculturelle qu'invoque 54 - Le premier usage de « nationalité » en ce sens dans un texte officiel
le « principe de nationalité » La première peut être confé date de 1874, bien qu'il apparaisse dans des textes juridiques deux
.

rée à quelqu'un dans le plus parfait mépris de la seconde. décades auparavant.


DE L'IMMIGRE AU CITOYEN 15

tiennent au mot, dans son sens ethnoculturel. Le fait lisme tant que la France était la puissance dominante en
même d'adopter « nationalité » dont la signification eth- Europe 58. Dorénavant, on reprochait à l'universalisme de
noculturelle était déjà établie, pour désigner ce que jus saper le patriotisme. La nouvelle situation géopolitique
qu'alors on désignait sous le vocable neutre d'un point exigeait, disait-on, un nouveau type de patriotisme. Bat
de vue ethnoculturel de « qualité de Français », atteste une tue, faible, vulnérable, la France avait besoin d'un patrio
propension à revendiquer pour l'Etat un fondement tisme resserré, un concentré de valeurs et d'engagement.
ultime, idéal, d'ordre ethnoculturel. Utiliser le même mot De ce point de vue, la France devait imiter l'Allemagne 59.
de « nationalité » pour l'appartenance formelle à un Etat et Le particularisme apparu aux lendemains de la défaite
à une communauté ethnocultu relie, suggère une sensibil était, en première instance, d'ordre politique et non pas
ité à leur affinité et le désir de l'accentuer. ethnique. Les intellectuels se sont en effet rangés sur des
Les sympathies de nombre d'intellectuels français positions gallocentristes, mais pas ethnocentristes. Ils ont
pour le principe de nationalité étaient de nature poli tourné leur attention sur la reconstruction de la force
tique, plus qu'éthique. Malgré cela, ils en sont venus à nationale française, sur les intérêts nationaux français ;
souhaiter, à trouver désirable et normal, que les national mais il n'y avait rien de spécifiquement ethnique à rétré
ités légale et ethnoculturelle se recouvrent, comme si cirainsi l'horizon de leurs préoccupations. Ce particula
toute l'histoire du siècle tendait vers ce but. «Toute risme reposait sur la discipline d'un engagement strict
l'Europe, à l'exception de l'Angleterre et du Portugal, ementpolitique en faveur du sort de l'Etat français - un
nous dit que la nationalité dépend du sang», rappelait « égoïsme national » selon le mot du nationaliste Paul

,
Camille Sée au Sénat, pour défendre le jus sanguinis55. Déroulède - sans pour autant impliquer une redéfinition
Même les gens sceptiques ou hostiles au principe de ethnique de la nation française 60. Néanmoins, l'évolution
nationalité, parce qu'ils en redoutaient le potentiel d'ex du climat intellectuel a indirectement favorisé une rela
plosion géopolitique, reconnaissaient la force de cette tive ethnicisation de la conscience nationale. Jusqu'alors,
tendance. On comprend mieux alors pourquoi, au cours le patriotisme universaliste à l'ancienne, soutenu par une
des débats des années 1880, aucune voix ne s'est élevée théorie rationaliste du monde social qui récusait l'exi
contre l'idée que la nationalité devait se fonder sur stence de différences de fond entre les peuples 61, empêc
l'ascendance. hait de penser la nation en termes ethniques. En r
L'autre évolution qui a nourri une relative ethnicisa- evanche, le nouveau rationalisme soulignait les traits
tion de la conscience nationale, c'est la réévaluation cr distinctifs et la spécificité du Français, ainsi que les diff
itique des éléments individualistes, universalistes et ratio érences primordiales, définitives, entre le Français et l'All
nalistes de la tradition révolutionnaire française qui emand. L'ethnicisation de la conscience de soi aura été
apparaît vers I860 et s'intensifie après la défaite de l'une des manières d'interpréter l'antagonisme franco-
1870 56. La révolte contre le rationalisme était un phéno
mènegénéral en Europe. Toutefois, ce large mouvement
d'idée européen n'atteint sa maturité que dans les années 55 - Sénat, Séances du 13, 15 novembre 1886, op. cit., p. 1182b.
1890 - trop tard, par conséquent, pour peser sur les 56 - Les paragraphes qui suivent s'appuient sur Z. Sternhell, La droite
débats parlementaires français des années 1880. Quoi révolutionnaire 1885-1914 : les origines françaises du fascisme, Paris,
qu'il en soit, le choc de la défaite militaire, et la prépon Seuil, 1978; A. Mitchell, Victors and Vanquished: The German
Influence on Army and Church in France after 1870, Chapel Hill, Uni
dérance des éléments rationalistes et universalistes dans versity of North Carolina Press, 1984, et H. S. Hughes, Consciousness
l'héritage politico-culturel français, ont provoqué une cr and Society, New York, Knopf, 1961.
itique précoce du rationalisme et de l'universalisme en 57 - Ce minutieux examen de soi ne surgit pas ex nihilo, après Sedan.
Comme l'a montré Mitchell, les comparaisons défavorables avec l'All
France57. emagne se développent chez les Français après la victoire des Prussiens
La confiance péremptoire des intellectuels français sur l'Autriche à Sadowa, et s'accompagnent du sentiment qu'il est
dans la mission universelle de la France - si solide tout au nécessaire de renforcer le système français de conscription, pour se
mesurer à un voisin désormais puissant. Et, comme l'a montré Sternh
long du xixe siècle - s'est trouvée profondément ébranlée ell, la « tradition française » des dernières années de l'Empire laisse
par la débâcle française. Les remises en cause, inspirées déjà percer ce courant de mécontentement critique. Il montre que les
penseurs qui ont cherché à formuler des critiques d'ensemble dans les
par la comparaison implicite ou explicite avec l'Allema années 1870, énonçaient ces thèmes dès les années I860.
gne, se sont centrées sur la critique de l'universalisme. 58 — C. Digeon. La crise allemande de la pensée française 1870-1914,
Historiquement, le patriotisme français a une propension Paris, PUF, 1959, p. 75.
à l'universel. A cet égard, la Révolution n'a fait qu'accent 59 - Ibid., p. 77, 87.
uer une tendance bien établie depuis le xvne siècle. Il 60 - Déroulède est cité par Z. Sternhell, op. cit., p. 83.
n'était pas difficile de concilier patriotisme et universa- 61 - C. Digeon, op. cit., p. 76.
16 Rogers Brubaker

allemand - pas la seule, ni même, pour finir, la plus latine » de la France était menacée par la « barbarie ger
répandue 62. manique». «On est barbare de naissance, écrivait Fran
Une autre évolution intimement liée à celle-ci s'est çois Combes en 1870. L Allemagne le sera toujours pour
révélée décisive dans le développement de l'ethnicisa- nous qui sommes le rempart des races latines 68. »
tion de la conscience nationale, c'est ce qu'on pourrait Le corollaire de cette nationalisation de la notion de
appeler la nationalisation de catégories ethniques et race, c'est une sorte de « racialisation », d'ethnicisation de
raciales. Expliquer des phénomènes sociaux par la race l'idée de nation. Pour rendre compte des différences
était chose commune dans la France du xixe siècle63. nationales, on a ajouté la dimension ethnique aux aspects
Ainsi la race est une catégorie centrale de l'analyse histo institutionnels, historiques ou géographiques. C'est part
rique et sociale, non seulement chez Gobineau, le théo iculièrement sensible en ce qui concerne les différences
ricien de la race le plus systématique, mais aussi chez des franco-allemandes l'ethnicisation des différences entre

:
penseurs majeurs, tels que Augustin Thierry, Ernest nations hostiles a permis de souligner leur caractère défin
Renan et Hyppolite Taine. Jusque vers 1870, penser la itif, irréductible et fatal, et de mobiliser les sentiments
France en terme de race allait contre le nationalisme, dans la lutte pour la nation. Mais cette tendance était plus
aussi bien sur le plan politique que conceptuel64. En générale encore, et peut nous aider à comprendre que le
effet, la notion de race avait partie liée avec la notion de jus sanguinis ait été proclamé ouvertement durant les
classe, pas avec celle de nation. On invoquait la race débats des années 1880. On mesure combien la pensée
pour rendre compte de tensions, de divisions, de fa en termes de race était prégnante dans les débats eux-
iblesses au sein de la nation française, pas pour l'opposer mêmes, à cette remarque du sénateur Isaac « La France

:
aux nations étrangères. On croyait que l'aristocratie était n'est pas seulement une race, mais d'abord une patrie.

..
d'origine germanique, et se distinguait en cela du reste elle possède cette qualité éminemment coloniale d'absor
de la population française dont on pensait qu'elle était ber en elle les peuples auxquels elle apporte la civilisa
d'origine gauloise 65. Dire de la France qu'elle était un tion69. » Isaac lui-même était peu enclin à penser la
mélange de races était alors un lieu commun, universel nation comme une ascendance commune, il bataillait à
lement admis, que ce soit pour le déplorer, comme Gobi gauche pour que la citoyenneté française soit accordée
neau, ou s'en féliciter, comme Michelet 66. Non seulement
les notions de race et de nation étaient conceptuellement
séparées ; mais les partisans de la race n'entretenaient de 62 - Les caractéristiques essentielles et distinctives des Français pou
sympathie ni pour le nationalisme ni pour le patriotisme. vaient être interprétées en termes ethniques ou bien idéologiques. La
question d'Alsace-Lorraine a favorisé cette dernière approche.
Gobineau était antipatriote de façon militante, et tenait le 63 - Au xixe siècle, l'usage de la notion de race est flou. En général,
patriotisme pour une « monstruosité ». « race » renvoie à un groupe uni par une ascendance commune, ou sup
Avec la guerre franco-prussienne, penser en terme de posé tel. C'est en ce sens que j'emploie ici le terme de race.
race s'est rapproché du nationalisme. Aux lendemains de Aujourd'hui, nous parlerions plus volontiers d'ethnie en ce cas.
L'ascendance commune était lourdement soulignée par les théoriciens
la défaite, les analyses sociales et politiques étaient tout des races, mais ce n'était pas leur seule référence exactement comme
aujourd'hui le recours à la notion d'ethnie fait appel à une commune
;

entières dominées par la comparaison franco-allemande


et ses contrastes 67. Dans ce contexte, la notion de race ascendance, mais pas seulement. La référence à une ascendance com
mune se combinait dans des proportions variables avec la reconnais
s'est séparée de celle de classe, pour se combiner avec sance d'autres facteurs, tels que la géographie, le climat, et les institu
celle de nation ; elle devenait la base de conflits interna tions(J. Barzun, Race, New York, 1937 M. R. Marrus, The Politics of
Assimilation : The French Jewish Community at the Time of the Dreyfus
;

tionaux, et non plus intranationaux. Les analyses qui pré Affair, Oxford, Oxford University Press, 1971, chap. 2).
tendaient rendre compte des différences franco-all 64 - H. Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, Harcourt
emandes étaient nombreuses à utiliser les catégories de Brace Jovanovich, 1973, p. I6l-l63, 174.
race, que ce soit dans un sens pro-allemand - comme 65 - De ce point de vue, les théoriciens des races du XIXe siècle sui
ceux qui avaient prédit longtemps à l'avance la débâcle vaient les analyses de Boulainvilliers, au début du xvine siècle. Voir
H. Arendt, op. cit., p. 162-164.
de 1870 - ou anti-allemand. Gobineau avait souligné, et 66 - Pour Michelet, « le génie français est profondément différent de
déploré, le mélange des races en France. Après 1870, celui des Romains ou des Germains... Toutes les races du monde ont
ceux qui, en France, pensaient en termes de race, mett contribué au talent de la France » (cité in J. Barzun, op. cit., p. 30). Sur
Gobineau, voir J. Barzun, op. cit., p. 56-57; H. Arendt, op. cit., p. 171-
aient en avant les différences entre les nations. Les pes 173.
simistes opposaient la décadence des nations latines, la 67 - C. Digeon, op. cit. A. Mitchell, op. cit.
France, l'Espagne, le Portugal, à la vigueur expansive des
;

68 -J. Barzun, op. cit., p. 137-146, citant Combes p. 141.


nations «anglo-saxonnes», l'Angleterre, les Etats-Unis et 69 - Sénat, Comptes rendus, Séances du 3, 4, 7, 8, 11 février 1887,
l'Allemagne. Les autres pensaient que la «civilisation p. 94c.
DE L IMMIGRE AU CITOYEN 17

aux Africains qui avaient été recrutés dans les années de la population française et de ses effectifs militaires.
1850 et I860 pour travailler aux Antilles. Il n'empêche Subitement, la France a dû affronter une confédération
que le début de sa phrase - « La France n'est pas seul germanique forte de 29 millions d'hommes, soit 10 mil
ement une patrie » (c'est moi qui souligne) - montre bien lions de plus que la Prusse prise séparément. Dès lors, la
que la pensée en termes vagues de race ou d'ethnie est Prusse « ne pouvait plus être tenue pour inférieure à la
devenue chose courante, à cette époque 70. France, d'un point de vue militaire ou démographi
Il faut attendre l'affaire Dreyfus pour que la fibre eth que 72 » A fortiori, après la guerre franco-prussienne et

.
nique s'affirme dans la conscience nationale française. la naissance de l'Empire allemand, la France s'est retrou
Même à ce moment, elle restera moins prononcée qu'en vée diminuée de l'Alsace-Lorraine, face à une Allemagne
Allemagne. Il manque à Barrés et Maurras, en dépit de élargie dont la population était non seulement plus nomb
leur antisémitisme, cette forte composante ethnique que reuse que la sienne (41 millions contre 36 millions en
les penseurs allemands du xixe siècle ont pris coutume 1872), mais aussi beaucoup plus rapide à croître 73. Doré
de joindre à l'idée de nation. Dans les années 1880, la navant, le ravitaillement des troupes reposait sur les che
dimension ethnique était moins marquée, encore qu'elle mins de fer. De ce fait, il ne grevait plus la taille de
fût plus sensible que dans les périodes antérieures où elle l'armée proprement dite, et la question des effectifs est
demeurait quasi imperceptible. Cette ébauche d'ethnici- devenue décisive. Il semblait que la guerre fût affaire
sation de la conscience nationale aura été préparée par la d'arithmétique démographique. Napoléon III exprimait
vague de sympathie que le principe de nationalité a sou la sagesse commune lorsqu'il notait en 1867 que « l'i
levée au milieu du siècle, et par l'habitude d'expliquer nfluence d'une nation dépend du nombre d'hommes
les phénomènes sociaux en termes vagues de race qu'elle peut mettre en armes 74 ».
;

l'émergence d'un nationalisme particulariste au lende


main de la défaite de 1870 l'a renforcée. Ces éléments 70 - L'antisémitisme a joué un rôle central dans l'ethnicisation de l'idée
permettent de mieux comprendre pourquoi le jus san- de nation aux environs de 1890. Mais, avant 1880, il n'est pas particu
guinis l'emporte sans conteste sur le jus soli, comme lièrement sensible. Il s'est développé, en commençant par La France
principe fondateur du droit de citoyenneté. juive de Drumont, parue en 1886, après l'affirmation du jus sanguinis
par le législateur, et ne peut donc pas l'expliquer.
71 - J.-P. Niboyet, Traité de droit international privé français, vol. 1,
Paris, Recueil Sirey, 1938, p. 154. Voir aussi H. Battifol et P. Lagarde,
op. cit., p. 89 Etre français aujourd'hui et demain, Rapport de la Comm
ission de la nationalité, <■ Conclusions et propositions de la Commiss
;

Les intérêts démographiques ion de la nationalité », vol. 2, Paris, La Documentation Française, 1988,
et militaires p. 23, 25 J. Costa-Lascoux, « Nationaux, mais pas vraiment citoyens »,
Projet, 204, mars-avril 1987, p. 47 J. Massot, « Français par le sang,
;

Français par la loi, Français par le choix », Revue européenne des migrat
;

Malgré les critiques portées contre le jus soli, et bien que ionsinternationales, 1, décembre 1985, p. 9; D. Lochak, «Etrangers
le jus sanguinis ait été ouvertement proclamé comme le et citoyens au regard du droit», in C. Wihtol de Wenden, éd., La
Citoyenneté, Paris, Edilig/Fondation Diderot, 1988, p. 79-80. Pour un
principe fondateur du droit français de citoyenneté, la point de vue divergent, voir la contribution majeure de C. Bruschi, dans
législature s'achève en 1889 par une forte extension du un texte court, mais excellent, « Droit de la nationalité et égalité des
jus soli. Pourquoi ce renversement ? Les juristes ont sou droits de 1789 à la fin du xrxe siècle » (m, S. Laacher, Questions de natio
nalité : histoire et enjeux d'un code, Paris, L'Harmattan, 1987, p. 21-59),
ligné les intérêts de l'Etat français en matière de démog qui reconnaît l'importance des républicains de l'époque (p. 45). La
raphie et d'effectifs militaires. « L'ombre du bureau de seule étude détaillée des débats des années 1880 se trouve dans la
recrutement plane sur ce texte», a écrit Niboyet, le thèse de droit de Charles Nizet, Des effets de la naissance, qui se limite
à l'analyse technique des points de droit soulevés par la réforme. Le
fameux spécialiste de droit civil international du début creuset français de Noiriel, p. 82 sq., replace ces débats dans leur
du xxe siècle. Et son point de vue reste largement par contexte politique, social et culturel, mais il ne les analyse pas en détail.
tagé 71. Pourtant, ces intérêts d'Etat n'étaient pas prédo 72 - A. Mitchell, op. cit., p. 3. Sur le choc ressenti en France à la victoire
minants. Comprendre la réforme du droit de citoyenneté prussienne de Sadowa, voir aussi R. D. Challener, op. cit., p. 11, et
A. F. Kovacs, op. cit., p. 223-224.
de façon purement instrumentale revient à surestimer les 73 - De 1871 à 1911, la population française a augmenté de 90 000 par
besoins de l'armée en hommes dans les années 1880, et à an, celle de l'Allemagne, de 600 000, par an. A la veille de la guerre, il y
sous-estimer les enjeux proprement politiques et idéolo avait 66 millions d'Allemands, et 39 millions de Français (A. Armen-
gaud, La population française au XIXe siècle, Paris, PUF, 1971, p. 47.
giques attachés à l'assimilation complète des étrangers 53).
établis en France de longue date. 74 - Sur le ravitaillement des troupes par chemin de fer, voir
A première vue, l'argument instrumentaliste paraît M. Howard, War in European History, Oxford, Oxford University Press,
1976, p. 99, et R. D. Challener, op. cit., p. 49-51. Sur l'arithmétique
solide. La victoire écrasante de la Prusse sur l'Autriche en démographique, voir A. Vagts, A History of Militarism, New York, Meri
1866 avait amené à se poser des questions sur le volume dian, 1959, p. 217. Napoléon III est cité in A. Mitchell, op. cit., p. 7.
18 Rogers Brubaker

Pourtant on aurait tort d'expliquer en terme instr n'est pas nécessaire de rendre français des étrangers pour
umental la réforme du droit de citoyenneté, et d'y voir seu accroître les effectifs militaires. En réalité, la réforme de la
lement la réponse de l'Etat à une conjoncture marquée conscription a engendré le problème contraire trop de

:
par la stagnation démographique, le réalignement géo recrues. Bien que la durée du service soit ramenée de
politique et la naissance des armées de masse. Tout cinq à trois ans, les contraintes budgétaires n'ont pas per
d'abord, il faut prendre garde à ne pas commettre d'ana mis que toutes les recrues servent durant trois ans. Un
chronisme en donnant trop d'importance au volume de tiers a été tiré au sort pour ne servir qu'un an 82.
la population. Comme l'a montré Allan Mitchell, « [aux
lendemains de la guerre de 1870], l'enjeu le plus décisif,
ce n'était pas le nombre, mais l'organisation 75 ». Au fur et
à mesure que l'écart démographique s'est creusé entre la
France et l'Allemagne, et que les modes de conscription
ont évolué vers une pleine utilisation des effectifs dispo
nibles, le volume de la population est devenu un enjeu 75 -A. Mitchell, op. cit., p. 20; cf. p. 3, 72-73.
plus manifeste76. Toujours est-il qu'entre 1870 et 1880, la 76 - R. D. Challener, op. cit., p. 79-80. Les estimations sur les effectifs
taille de l'armée française n'était pas limitée par le militaires à atteindre ont considérablement augmenté entre 1866 et
volume de la population. Si les forces armées françaises 1914. Les estimations françaises ont fréquemment été revues à la
hausse, dans la mesure où la doctrine militaire française mettait en
ne parvenaient pas à égaler celles de l'Allemagne, pen avant la parité en nombre avec l'Allemagne, tandis que celle-ci ne ces
dant ces décades, cela montre que la conscription uni sait d'augmenter ses forces. Au début du xxe siècle, la démographie est
devenue une préoccupation majeure, dans la mesure où l'Allemagne a
verselle était plus achevée et la période de réserve plus entrepris d'exploiter à plein une base démographique beaucoup plus
longue en Allemagne qu'en France. La réforme militaire large que celle de la France (ibid., p. 6l, 73, 79-80). La réponse, clair
de 1872 en France s'était contentée d'introduire le prin ement dictée par ces préoccupations démographiques a consisté à
étendre la conscription aux colonies - sans que cela s'accompagne, il
cipe du service militaire universel. Mais, en pratique, les faut le noter, d'une extension parallèle des droits civiques (ibid., p. 80).
exemptions et les privilèges n'avaient pas disparu ; il est Dans les années 1870 et 1880, en tout cas, les contraintes et les préoc
même arrivé que des hommes qui ne bénéficiaient ni cupations centrales n'étaient pas encore d'ordre démographique.
d'exemption ni de privilèges échappent au service comp 77 - J. Monteilhet, Les institutions militaires de la France (1814-1924),
Paris, Librairie Félix Alean, 1926, p. 73.
let de cinq années, à cause de restrictions budgétaires 77. 78 — Les naturalisations en France 1870-1940, Ministère des Finances,
Dans les années 1870 et 1880, l'intérêt de l'Etat à aug Direction de la statistique générale, Paris, 1942, p. 73-
menter la taille de l'armée aurait été servi plus efficac 79 — Nous savons que 40 % de la population totale des étrangers de
ementen rendant vraiment universel le service des Franç 1891 étaient nés en France (G. Noiriel, Le creuset français, op. cit.,
ais, et en allongeant la période de réserve, plutôt qu'en p. 251-252). Cette proportion doit varier selon l'âge, et être plus élevée
chez les jeunes.
transformant des étrangers en Français. A la fin des 80 — On ne compte pas parmi eux les personnes qui ont rempli leurs
années 1880, la population étrangère en France dépasse obligations militaires dans leur pays, ou qui n'y sont pas soumises. Aux
à peine un million, dont environ 200 000 hommes âgés termes de la loi de 1889, ces personnes peuvent refuser la citoyenneté
française.
de moins de vingt ans 78. Parmi eux, près des trois quarts 81 - En admettant que 300 000 jeunes gens atteignent l'âge du service
sont nés en France 79. On peut estimer à 6 000 ou 8 000 le chaque année.
nombre d'hommes étrangers, nés en France et y résidant, 82 - A. Mitchell, op. cit., p. 108. Pour les problèmes de budget, voir
qui atteindraient chaque année l'âge de servir. Ce sont aussi R. D. Challener, op. cit. Dans les années 1880, l'objectif républi
donc eux qui, au terme de la loi de 1889, seraient doré cain d'un service universel de trois ans était irréaliste. Cela « aurait fait
gonfler l'armée, bien au-delà des ressources du budget militaire... Bien
navant considérés comme des Français, et donc astreints que le taux de natalité ait commencé à stagner, et que les démographes
au service militaire 80. Par rapport aux 300 000 hommes aient indiqué que bientôt la population allemande dépasserait larg
français qui atteignent chaque année l'âge du service, ils ement celle de la France, les jeunes gens susceptibles d'être incorporés
chaque année étaient en trop grand nombre pour que le système des
élargissent la base de recrutement d'environ 2 à 2,5 %81. trois ans puisse se mettre en place sans bouleverser le budget. Qui plus
Ce gain marginal est insignifiant, comparé aux gains qui est, la taille de l'armée allemande de l'époque ne semblait pas garantir
à l'expansion des forces françaises une longue période de paix... La
résulteraient d'un service vraiment universel chez les plus grande partie des débats militaires était consacrée à la recherche
Français. de solutions pour résorber l'excédent de conscrits et établir un système
Universaliser le service militaire était d'ailleurs inscrit d'exemptions qui ne violenterait pas trop Pégalitarisme de principe ».
En fin de compte, le problème a été résolu en réduisant la durée du
dans l'agenda des législateurs. Au moment où la Chamb service à 2 ans, en 1905, et en diminuant l'effectif des incorporations
re des députés entérine l'extension du jus soli, il est clair annuelles. C'est pourquoi, alors que les tensions montaient en Europe,
et que les Allemands commençaient à étendre la conscription au sein
que le système de recrutement militaire devra évoluer d'une population plus large, la France risquait d'avoir un problème de
dans le sens de l'universalisation. Dans ce contexte, il déficit de soldats en réserve » (R. D. Challener, op. cit., p. 54-55).
DE L'IMMIGRÉ AU CITOYEN 19

Pourquoi les républicains L'autre problème qui a motivé l'extension du jus soli,
fabriquent des Français c'est qu'ont commencé à se développer « des nations dif
férentes au sein de la nation française 87 » Tout au long

.
L'intégration civique des immigrés n'était pas nécessaire, du xixe siècle, les Belges ont constitué la population
d'un point de vue militaire, dans les années 1880. Néan étrangère la plus nombreuse en France. Pourtant, l'atten
moins, dans le contexte d'une réforme de la conscription, tions'est centrée sur les immigrés italiens, perçus comme
on en est venu à la considérer comme nécessaire, d'un une communauté plus solidaire, et culturellement plus
point de vue politique. Lorsque la Chambre des députés étrangère aussi 88. Dans les Bouches-du-Rhône, où les Ita
étend le jus soli aux immigrés de deuxième génération, liens représentaient 12% de la population, on disait que
elle entend répondre à deux problèmes, définis l'un les « chefs de colonie » italiens cultivaient, ardemment
comme l'autre en termes politiques et idéologiques plutôt
que démographiques ou militaires. Le problème le plus
grave, c'est cette « inégalité choquante » qui permet à des 83 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Session ordi
étrangers établis de longue date de rester dans leurs naire de 1885, Séance du 25 juin 1885, Annexe n. 3904, ■< Proposition de
loi relative à la nationalité des fils d'étrangers nés en France », présentée
foyers - et à leur travail - pendant que les Français pas par M. Maxime Lecomte et al. Chambre des députés, Compte rendu,
sent cinq ans en caserne 83. La potion est d'autant plus Séance du 16 mars 1889, p. 594b.

;
amère que le service militaire est devenu, en droit sinon 84 - Les législations sur le recrutement militaire et sur la citoyenneté
ont connu une carrière parlementaire couplée au milieu et à la fin des
en fait, une obligation personnelle pour tout homme années 1880 les projets ont été approuvés en deux semaines à l'été
français. Vers 1885, même si on en ignore les détails, on 1889. L'étroite parenté entre ces deux réformes, conduites l'une et
;
sait déjà que la nouvelle loi va raccourcir la durée du ser l'autre par un égalitarisme républicain intransigeant, se manifeste dans
l'intrication des débats. Les débats sur la citoyenneté ont été ponctués
vice et le rendre davantage universel. Dans le contexte de références à la réforme imminente de la conscription, et les débats
de cette universalisation croissante du service militaire sur la conscription ont conduit à rappeler que les étrangers étaient
exemptés du service militaire, et qu'il était question de modifier cet état
pour les Français, l'exemption des immigrés de deuxième de fait en rendant français les étrangers établis de longue date en
génération est intolérable politiquement et idéologique- France. En 1884, par exemple, pendant le débat sur le projet de recru
ment, bien qu'elle n'ait pas une grande importance d'un tement, le député Maxime Lecomte a proposé un amendement qui défi
nirait comme français, et par conséquent soumis à l'obligation militaire,
point de vue militaire. toute personne née en France de parents étrangers. Cet amendement
Tout au long des années 1880, la charge idéologique plutôt bien perçu a néanmoins été rejeté, pour une raison technique,
parce qu'il a paru déplacé de prendre une mesure concernant la
des débats sur le recrutement des armées a pesé sur les citoyenneté dans une loi sur le recrutement militaire (Chambre des
débats consacrés au droit de citoyenneté 84. Ce sont des députés, Compte rendu, Séance du 16 mars 1889, p. 594a).
républicains farouches qui ont mené campagne, à la 85 - Montheilet note que la législation sur le recrutement, entre 1875 et
1905, a tourné autour d'une question «plus politique et sociale que
Chambre des députés, pour une réforme de la conscript militaire» (op. cit., p. 218-219). Ce qui est amplement confirmé par
ion. Sans être toujours de bonne politique, leur engage R. D. Challener, op. cit., chap. 2. Les militants républicains, remarque-
menten faveur de l'égalité est passionnel85. Comme le t-il, ont eu une approche « purement morale » du recrutement militaire
ils défendaient <■ le service égal, pour tous » comme une cause (p. 58).
;
note Challener, «le désir de réduire la durée de la
conscription, et l'espoir d'en finir avec un contingent 86 — R. D. Challener, op. cit., p. 58-59. «Un contingent divisé» pour
des raisons budgétaires, le contingent annuel des conscrits avait été
:

divisé, avec les exemptions pour les enseignants et les longtemps divisé par tirage au sort en deux parties, dont une seule
prêtres, le système des volontaires pour un an... tout devait accomplir un service dans sa totalité, l'autre étant soit complète
ment dispensée de service, soit soumise seulement à un bref entraîne
cela... n'était que les corollaires d'un thème principal, ment.«Les volontaires pour un an», ceux qui avaient la chance pou
l'égalité 86 » L'extension du jus soli était un autre coroll vaient ■• être volontaires » pour un service d'une durée d'un an en
airede cet égalitarisme républicain. Il n'est guère éton payant 1 500 francs (E. Weber, Peasants into Frenchmen : The Modern
.

ization of Rural France, 1870-1914, Stanford, Stanford University


nant que les députés républicains, hostiles aux privilèges Press, 1976, p. 293).
et aux exemptions pour les prêtres, les étudiants, les 87 - Chambre des députés, Compte rendu, Séance du 16 mars 1889,
maîtres d'école et les riches, soient opposés à l'exempt p. 595a.
ion fondée sur la citoyenneté. D'autant que, pour des 88 — P. Milza, •■ Un siècle d'immigration étrangère en France », Vingtième
personnes nées et élevées en France, la qualité d'étranger Siècle, 7, juillet-septembre 1985, p. 5-6. La Belgique et la France ont
conservé de bonnes relations, tandis que l'Italie semblait un ennemi
semblait une imposture, une fiction légale sans fonde potentiel (ibid.). En 1886, les Belges représentaient 43%, et les Italiens
mentsocial. En réponse à ce privilège indéfendable, cette 24 % des 1,1 millions d'étrangers vivant en France. L'ensemble de ces
étrangers représentaient 3 % de la population française (Recensement
«inégalité choquante», le mouvement en faveur d'une général de la population de 1982, Les étrangers, Série «Boulier»,
extension du jus soli s'est défini et battu sur le terrain RP 82/5. Préparé par l'Institut national de la statistique et des études
politique et idéologique, plutôt que démographique ou économiques et le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité
nationale. Publié par La Documentation française, coll. «Migrations et
militaire. Sociétés », n. 6, p. 17).
20 Rogers Brubaker

« l'esprit national » italien, qu'ils poursuivaient « une poli Certes, on pouvait, d'un coup de plume, faire des étran
tique d'isolation», à travers les associations ou les jour gers des Français, faire qu'ils deviennent membres du
naux89. La formule politique unitaire de la France était pays légal- est-ce que, du même coup, ils deviendraient
directement mise en cause par de telles communautés membres du pays réel? Ne resteraient-ils pas des « Fran
ethniques bien soudées, qu'elles soient réelles ou imagin çais de papier», comme ces Français naturalisés que
aires. Depuis la Révolution « la nation une et indivisible » dénoncerait l'Action Française pendant l'entre-deux-
s'était révélée violemment intolérante à tout ce qui, de guerres 95 ?
près ou de loin, pouvait passer pour « une nation au sein Les républicains de la Chambre n'ont pas connu ces
de la nation » Cette attitude unitaire est tout à la fois into doutes, ils n'ont pas hésité à prendre des étrangers pour
.

lérante envers les groupes constitués, et accueillante en faire des soldats français et des citoyens français, parce
envers leurs membres, pris individuellement. Elle a pour qu'ils avaient une solide confiance dans les capacités
emblème la célèbre formule du comte de Clermont Ton d'assimilation de la France. C'est ainsi que A. Dubost, le
nerre pendant la Révolution « On doit tout refuser aux rapporteur de la loi, demandait que la citoyenneté fran
:

Juifs en tant que nation, et tout leur accorder en tant çaise soit accordée à ces gens qui « ayant vécu depuis
qu'individus... Ils doivent être des citoyens, en tant longtemps sur le sol où ils sont nés, en ont acquis les
qu'individus 90. » L'attitude de la Chambre des députés mœurs, les coutumes, le caractère, et sont supposés avoir
envers les immigrés établis est comparable il vaut mieux un attachement naturel pour le pays de leur naissan
:

qu'ils deviennent individuellement des citoyens (français) ce96». Maxime Lecomte se prononçait en faveur de
plutôt que de rester des étrangers en groupe, une nation « l'annexion pacifique, équitable, nécessaire d'une popul
étrangère au sein de la nation française, et à ce titre, un ation nombreuse, attachée à son sol natal, une popula
« véritable péril 91 » tion qui serait rapidement assimilée par la nation tout
.

La menace représentée par ces communautés étran


gères bien soudées était perçue avec davantage d'acuité
encore en Algérie, où, parmi les colons, les Français 89 - Chambre des députés. Séance du 16 mars 1889, op. cit., p. 595a.
étaient à peine plus nombreux que les autres nationali 90 - Cité par D. Schnapper et R. Leveau, « Religion et politique juifs et
tés 92. En Algérie, plus encore qu'en métropole, les étran musulmans maghrébins en France », texte présenté à la conférence ■• Les

:
gers, et surtout les Espagnols et les Italiens avaient ten musulmans dans la société française », organisée par l'Association fran
dance à vivre « en groupes compacts et solidaires » çaise de science politique, Paris, 29-30 janvier 1987, p. 3.
comme « de véritables colonies étrangères, d'autant 91 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Séance du
,

7 novembre 1887, op. cit., p. 34.


moins susceptibles d'être absorbées dans la nationalité 92 - Cette comparaison qui fait apparaître 225 000 Français contre
française qu'elles sont plus denses 93 ». 210 000 » étrangers européens » exclut les 3,3 millions d'« indigènes »
A la Chambre, les républicains ont donc défendu (Sénat, Compte rendu, Séances des 3, 4, 7, 8, 11 février 1887, p. 79).
l'extension du jus soli comme le moyen d'éliminer 93 — Chambre des députés, Documents parlementaires, Session ordi
naire de 1887, Séance du 25 janvier 1887, Annexe n. 1490, «Proposi
« l'odieux privilège » dont jouissaient les étrangers instal tion de loi ayant pour objet la naturalisation des étrangers en Algérie »,
lés de longue date, et d'éviter qu'apparaissent des nations présentée par M. Alfred Letellier. p. 265c.
au sein de la nation. Dans l'ensemble, le diagnostic posé 94 - Sur «la nation en armes», voir J. Monteilhet, op. cit., chap. 5, et
par les républicains a été partagé. Mais reste à com R.aliénant» D. Challener, op. cit. « Un tribut arraché par un Etat oppresseur et
E. Weber, op. cit., p. 295. Weber montre que «la nation en
;

prendre en quoi l'extension du jus soli a été perçue armes » n'était pas seulement une théorie militaire, mais une réalité
:

comme une solution acceptable et efficace. Après tout, il sociale qui a émergé à la fin du xixe siècle. Dans les années 1870, il y
y aurait pu y avoir plusieurs sortes d'objections contre le avait « un sens de l'identité nationale insuffisant pour contrebalancer
l'hostilité et la peur que la plupart des gens de la campagne éprou
projet de faire des immigrés de deuxième génération des vaient envers les soldats». Mais la guerre avec la Prusse «a marqué le
Français. N'était-il pas dangereux d'incorporer ces gens début d'un changement», et son « rôle... en développant la sensibilité
nationale s'est trouvé renforcé par la propagande scolaire, par le déve
à l'armée, d'autant plus que le service militaire était doré loppement des liens de commerce et d'affaire, et finalement par quel
navant conçu dans la perspective de la nation et non plus que chose qui ressemblait à un service universel. Vers 1890, il devient
de l'Etat, comme «la nation en armes», et non plus évident que l'armée est perçue comme "les nôtres" et non plus comme
"les autres". Les sentiments négatifs entre civils et militaires se sont trou
comme « le tribut arraché par un Etat oppresseur et ali vés contrebalancés par le sens de la nation, appris à l'école, et aussi à la
énant » 94 ? Et comment une modification purement for caserne. Au moins pour un temps, l'armée est devenue ce que ses par
melle de la loi pourrait-elle suffire à résoudre la question tisans espéraient l'école de la mère patrie ».
:

95 - R. Schor, L'opinion française et les étrangers 1919-1939, Paris,


sociopolitique de la nation à l'intérieur de la nation ? Est- Publication de la Sorbonne, 1985, p. 529 sq.
ce que cette naturalisation de la population étrangère ne 96 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Séance du
laisserait pas intacte les réalités sociales sous-jacentes ? 7 novembre 1887, op. cit., p. 232b.
DE L'IMMIGRÉ AU CITOYEN 21

entière97». De même, A. Naquet, un dirigeant républi nement moral et civique caractéristique des écoles de la
cain radical au Sénat, seul à défendre le jus soli dans ce République. Le patriotisme y a été cultivé délibérément,
corps de l'Etat, évoquait le processus par lequel « ces énergiquement, et - comme on le verra en 1914 - effic
étrangers qui sont nés en France, qui ont appris notre acement.
langue dès leur naissance, et le plus souvent n'en parlent Si l'assimilation «commence à l'école obligatoire»,
pas d'autre, qui ont été élevés parmi nous, qui ont appris pour reprendre le mot de l'un des participants aux débats
à aimer la France. [deviennent] français par le cœur98 ». sur le droit de citoyenneté, « elle continue au service mili
..

Le thème de l'assimilation n'est pas neuf en France. taire » 105. L'armée et l'école se renforcent l'une l'autre

:
Mais, dans les années 1880, il prend une coloration nouv l'école inculque des vertus militaires, l'armée apprend à
elle, spécifiquement républicaine. Ce n'est pas tant le parler français, à lire et écrire, elle enseigne la citoyen
fait de résider ou de travailler en France qui est porteur neté106. Les immigrés de deuxième génération déjà sou
de vertu assimilatrice ; c'est la participation à ces institu mis à ces travaux d'assimilation à l'école, le seront aussi à
tionsrécemment « républicanisées » et nationalisées que l'armée, avec l'extension du jus soli. «La. migration et
sont l'école et l'armée. Le train de réformes du début et l'amalgame institutionnalisés » qui sont inhérents au ser

,
de la moitié des années 1880 ont donné à l'instruction vice militaire, ont réalisé l'intégration des paysans fran
primaire de financement public un caractère universel et çais ; il en ira de même pour les immigrés 107.
obligatoire ". A la fin de la décade, l'école obligatoire L'exemption de service militaire dont les immigrés
était non seulement un principe, mais bel et bien une réa avaient joui jusqu'alors était ressentie comme « un odieux
lité qui embrassait dans sa puissance d'assimilation les
enfants étrangers aussi bien que français. En outre, doré
navant, l'instruction primaire était laïque. On a coutume 97 - Chambre des députés, Séance du 16 mars 1889, op. cit., p. 595a.
de souligner la composante négative, violemment anti 98 - Sénat, Séances du 13, 15 novembre 1886, op. cit., p. 1186b.
cléricale des réformes de l'éducation sous la République. 99 - Sur les réformes de l'école sous la République, voir M. Ozouf,
L'école, l'église et la République 1871-1914, Paris, Armand Colin, 1963
Mais la laïcité a eu aussi un contenu positif. Ce n'est pas M. Gontard, L'œuvre scolaire de la LLF République, Toulouse, Centre

;
seulement éliminer l'instruction religieuse des salles de régional de documentation pédagogique, s.d.
classe et les membres des congrégations religieuses du 100 - Voir J.-P. Azéma et M. Winock, La LLF République (1870-1940),
corps des enseignants ; c'est aussi remplacer, dans le chapitre sur «Le ciment idéologique». Paris, Calmann-Lévy, 1976;
R. Girardet, op. cit., p. 28-30 E. Weber, op. cit., p. 336.
cœur et dans la tête des enfants, l'instruction religieuse
;

101 - Ferry, cité in}. -M. Mayeur et M. Rebérioux, Tlje Third Republic
en classe par l'instruction civique, le serviteur de Dieu from its Origins to the Great War, 1871-1914, traduit par J. R. Foster,
par celui de l'Etat à la tête de la classe, et enfin, Dieu le Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 84.
père par la mère Patrie 10°. Jules Ferry voulait « établir 102 - Paul Bert, cité m J.-P. Azéma et M. Winock, op. cit., p. 149.
l'humanité sans dieu ni roi » — mais pas sans un rempla 103 - Selon Pierre Nora, les manuels de Lavisse étaient « pratiquement
sans rivaux dans l'instruction publique » et ont joui d'un « quasi-mono
çant 101. Ce substitut, c'est la nation. Pour être plus exact, pole» pendant des décades (P. Nora, «Lavisse, instituteur national»,
il s'agit de « cette religion de la mère Patrie. ce culte et p. 247-290 in P. Nora, éd., Les lieux de mémoire, 1 La République,
Paris, Gallimard, 1984, p. 267).
..

cet amour, tout à la fois ardent et raisonné, dont nous


voulons pénétrer le cœur et l'esprit de l'enfant 102 ». 104 -E. Weber, op. cit., p. 95-96, 332-336, 486. Ferdinand Buisson, col
laborateur de Jules Ferry et directeur de l'enseignement primaire,
L'éducation laïque est une éducation nationale en un célèbre en ces termes le manuel d'histoire de première année de
double sens. Tout d'abord, l'éducation a un cadre admin Lavisse « le petit livre d'histoire vraiment national [c'est moi qui sou
ligne] et vraiment libéral que nous demandions pour être un instrument
:

istratif national. De la formation des maîtres dans les d'éducation, voire même d'éducation morale» (P. Nora, «Lavisse... »,
Ecoles normales, aux manuels tels que ceux de Lavisse loc. cit.). Le Tour de France de G. Bruno de 1877 s'était vendu à 8 mil
en histoire et instruction civique, l'enseignement a été lions d'exemplaires en 1900. L'amour de la France y apparaît comme un
leitmotiv, et il se termine par ces mots, « le devoir et la mère Patrie »
normalisé d'un bout à l'autre du territoire national 103. Par (E. Weber, op. cit., p. 335). De façon générale, l'école républicaine a
ailleurs, on a mis la nation au cœur des programmes des « instillé une vision nationale des choses dans des esprits régionaux »
écoles. L'histoire et la géographie, qui ont une place de {ibid., p. 486). L'une des composantes de cette perspective nationale
récente sur le monde, c'est la signification que prend l'idée de « pays »
choix dans le programme de l'école républicaine, font de (auparavant, le pays de quelqu'un s'entendait dans un sens local ou
la nation un concept et une notion morale, en utilisant régional), et celle d'« étranger» (jusqu'au milieu du xixe siècle, ce terme
désignait les gens d'une autre région) {ibid., p. 96, 98, 99).
de nouveaux manuels qui rendent vivante, tangible, par
105 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Séance du
lante, une représentation de la France qui jusqu'alors res 25 janvier 1887, Annexe n. 1490, op. cit., p. 266b.
tait lointaine et abstraite. Ils entourent aussi le devoir 106 - P. Nora, «Lavisse... », loc. cit., p. 267; E. Weber, op. cit., p. 298-
patriotique d'une pénombre de dignité et de grandeur 104. 299.
La nation occupe une place centrale dans cet 107 - E. Weber, op. cit., p. 294.
22 Rogers Brubaker

privilège », et redoutée comme un obstacle à leur assimi du Sénat justifie le jus soli, en tant que réponse au
lation. Les étrangers exemptés du service, pensait-on, « déplorable abus » qui permettait aux immigrés de
« allaient s'associer avec d'autres dans la même situation deuxième génération d'échapper au service militaire en
et. ils conserveraient un esprit indifférent, voire hostile, invoquant leur citoyenneté étrangère 112. Ce qui est cer
..

à la grandeur et à la prospérité de la nation française 108 » tain, c'est que le Sénat n'a pas déployé la ferveur idéolo

.
D'un autre côté, rendre français les immigrés de deuxième gique qui s'était manifestée à la Chambre. Lors du débat
génération « agirait comme un solvant » sur les solidarités sur la conscription, il a défendu le privilège des étudiants
communautaires d'étrangers auxquelles l'Etat français et des séminaristes, et la Chambre a dû s'incliner devant
était si intolérant 109. cette insistance 113. En revanche, le Sénat ne se souciait
La confiance républicaine dans le jus soli reposait sur pas de défendre les privilèges des étrangers. Sur ce point,
la foi républicaine en l'assimilation. La foi typiquement il pouvait donc rejoindre la rhétorique moralisatrice de la
républicaine dans l'assimilation par l'armée et l'école s'est Chambre. C'est ainsi que le Sénat demande qu'on en
surajoutée à la croyance traditionnelle et diffuse dans les finisse avec « l'injustice manifeste » qui permet aux étran
vertus assimilationnistes du sol et des institutions de la gersexemptés de faire carrière, tandis que leurs congé
France. Assimiler veut dire rendre semblable l'école et nères français passent trois ans à la caserne. Suivant à
:

l'armée, dans leur version républicaine, étaient remar nouveau le raisonnement de la Chambre, le rapport du
quablement équipées pour cela, avec leur «mission de Sénat crédite l'extension du jus soli du pouvoir d'empê
retremper l'âme française110». Elles étaient en mesure cher que se forment de dangereuses « agglomérations
d'assimiler des gens qui étaient légalement français d'étrangers dont un grand nombre pourraient être appel
depuis longtemps, et dont elles ont retaillé les façons de ésà servir dans les armées ennemies » Enfin, il reconn

.
penser et de sentir. Elles étaient aussi capables de le faire aîtque c'est « le seul moyen d'assurer la prédominance
pour des étrangers et des naturalisés de fraîche date. Les de l'élément français » en Algérie 114.
petits étrangers allaient à l'école avec les Français. Après Pourquoi le Sénat n'a-t-il pas repris son argumentat
1889, le service militaire deviendrait obligatoire, non seu ion précédente, selon laquelle la citoyenneté devait se
lement pour les Français de souche, mais pour ceux qui fonder sur l'ascendance plutôt que sur le lieu de nais
le deviendraient par la réforme du droit de citoyenneté. sance ? Une part de la réponse tient à la faiblesse persis
L'assimilation d'éléments extérieurs ne différerait pas tante du courant ethnique dans la conscience nationale.
sociologiquement de celle d'éléments de l'intérieur. Si Cette faiblesse est joliment exprimée par la citation que
l'école et l'armée étaient capables de faire d'un paysan nous venons de faire. Si «la prépondérance de l'élément
un Français, elles n'auraient pas de mal à rendre français français » peut être acquise en rendant français des étran
des étrangers nés en France111. gersétablis de longue date, c'est que « l'élément français »
L'extension du jus soli a résulté de préoccupations n'est pas entendu dans un sens ethnique. Etre français est
politiques et idéologiques, plutôt que démographiques
et militaires. La question que la réforme du droit de
citoyenneté prétendait résoudre , c'était cette « inégalité 108 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Séance du
25 juin 1885, Annexe n. 3904, op. cit.
choquante qui permettait à des étrangers établis de 109 - Chambre des députés, Documents parlementaires, Séance du
longue date d'échapper à l'obligation de plus en plus uni 25 janvier 1887, Annexe n. 1490, op. cit., p. 266.
verselle de la conscription », et aussi la peur que se déve 110 -J.-P. Azéma et M. Winock, op. cit., p. 149.
loppent « des nations différentes au sein de la nation » 111 - Weber met l'accent sur «rendre pareils» le progrès des trans
.

L'incorporation civique des étrangers installés de longue ports, par la route et le chemin de fer, la génération passée par l'école
:

date est apparue comme une solution acceptable, parce républicaine et le service militaire universel, tout cela a eu pour effet
« des différences de comportement et de langue en régression nette...
qu'on a admis que l'évolution légale serait suivie d'une les régions françaises sont devenues plus semblables entre elles vers
transformation sociale on pourrait redéfinir légalement 1919 qu'elles ne l'étaient avant Jules Ferry, avant Charles Freycinet»
[celui qui a fait passer la loi sur la conscription de 1889] (E. Weber,
:

ces immigrés comme des Français, puisqu'ils seraient op. cit., p. 494).
véritablement transformés en Français grâce à l'action 112 - Sénat, Documents parlementaires, Session ordinaire de 1889,
assimilatrice de la scolarité obligatoire et du service mili Séance du 3 juin 1889, Annexe n. l60, « Rapport fait au nom de la com
taire universel. mission chargée d'examiner la proposition de loi, adoptée par le Sénat,
modifiée par la Chambre des députés, sur la nationalité, par M. Delsol,
De façon surprenante, compte tenu de son intention sénateur», p. 283b.
première de rogner le jus soli, le Sénat s'est empressé de 113 -J. Monteilhet, op. cit., p. 226-230.
ratifier le projet qu'avait la Chambre de l'étendre. 114 - Sénat, Documents parlementaires, Séance du 3 juin 1889, Annexe
Suivant l'argument avancé à la Chambre, le rapport n. I6O, op. cit., p. 283b-c.
DE L IMMIGRE AU CITOYEN 23

une acquisition et non un héritage. A coup sûr, on nationalistes ethniques parleraient plus volontiers de
l'acquiert en famille, au travail, au marché, à l'école et à la « prétendus Français » que de « prétendus étrangers »

.
caserne. Mais c'est la famille comme lieu de socialisation, Ainsi, le Sénat s'est révélé aussi confiant que la
et non la famille comme unité génétique qui est décisive. Chambre dans les vertus assimilatrices de la France, mais
On peut attribuer le succès antérieur du jus sanguin cette confiance conserve un aspect plus traditionnel et
is aux prémisses d'une vision plus ethnique de la moins spécifiquement républicain. Il se peut que la pré
conscience nationale, dans les années 1870-1880. Mais la férence qu'ont d'abord montrée les sénateurs pour le jus
préférence pour le droit du sang, qui s'est exprimée pour sanguinis soit le fruit d'une approche plus ethnique de
la première fois dans les années 1880, est restée limitée et la conscience nationale, mais elle restait limitée. En effet,
superficielle. En effet, la préférence pour le jus sanguinis le courant ethnique était encore trop faible pour barrer
était liée à la critique d'un jus soli inconditionnel. Mais la route à une extension du jus soli qui correspondait par
elle ne tenait plus face à l'extension du jus soli que la faitement à une conception profondément enracinée,
Chambre proposait. Le Sénat s'élevait contre le fait que assimilationniste et élargie, de la nation française.
l'attribution de la citoyenneté repose sur l'arbitraire du
lieu de naissance. Mais il voulait bien qu'on l'attribue sur
la base d'une conjonction de faits, le lieu de naissance et
le lieu de résidence à la majorité. Ces deux faits, pris Politiques de la citoyenneté :
ensemble, permettent d'en inférer un troisième on peut les constantes françaises
:

supposer qu'une personne née en France et qui y réside


à sa majorité, y a vécu durant les années de sa format La législation de 1889 a donné une forme durable aux
ion115. Cette personne, dit le rapport du Sénat, « sera att règles qui gouvernent l'attribution de la citoyenneté fran
achée à la France par des liens puissants. La France est son çaise. Les principales révisions ultérieures du droit de
pays natal, c'est là qu'elle a été élevée, elle ne connaît citoyenneté - en 1927, 1945 et 1973 - ont modifié les di
pas d'autre pays116». Plutôt que de laisser des gens spositions concernant la naturalisation, les effets du
comme ceux-là vivre en France comme de « prétendus mariage sur la citoyenneté, et son attribution selon le jus
étrangers » - des personnes qui revendiquent leur statut sanguinis, mais elles n'ont pas touché le principe du jus
d'étranger -, mieux vaudrait « les absorber dans la natio soli pour les immigrés de deuxième génération119.
nalité française, qui est si forte et si vivante, dans la Assurément, les années 1880 ne sont pas une décade
mesure où les circonstances de leur naissance et de leur représentative, et il serait téméraire, à partir des débats
résidence garantissent l'espoir qu'ils deviendront des de cette période, de tirer des conclusions trop larges sur
citoyens dévoués à leur nouvelle patrie 117 » L'expression la signification politique et culturelle de la citoyenneté en
.

« prétendus étrangers » utilisée par un sénateur lors d'un France. Pourtant, les débats sur le statut des immigrés
précédent débat sur la citoyenneté est révélatrice 118. Des sont identiques, vers 1880, à ceux de la Révolution et de
l'ère napoléonienne, un siècle plus tôt, et à ceux d'au
jourd'hui, un siècle plus tard. En France, les relations
115 -Sénat, ibid., p. 283b. entre citoyenneté et immigration sont dominées par un
116-Ibid. style de pensée et de discours bien établi. Ce style, dont
117 -Ibid. les racines remontent à la période révolutionnaire, se
118 - Sénat, Comptes rendus, Séances du 3, 4, 7, 8, 11 février 1887, définit dans les années 1880. Depuis, il est arrivé qu'il soit
p. 81a. remis en cause. Au tournant du siècle, dans Pentre-deux-
119 — Ces réformes sont allées aussi dans le sens de l'extension. La
réforme de 1927 a considérablement facilité la naturalisation, en per guerres, et de nouveau depuis le milieu des années 1980,
mettant à une femme française mariée à un étranger de conserver sa ce discours dominant a été pris à parti par un contre-dis
nationalité, et en l'accordant aux enfants de ce mariage, pourvu qu'ils cours. Mais, sauf pendant le court intermède du régime
fussent nés en France. La réforme de 1945 a accordé la citoyenneté
française à tous les enfants dont le père ou la mère est français, qu'ils de Vichy, c'est le discours dominant et non pas le contre-
soient nés en France ou pas. La réforme de 1973 a donné au conjoint discours qui a déterminé la politique de la citoyenneté. Il
d'un citoyen français le droit d'acquérir la nationalité par déclaration. comporte trois thèmes majeurs la rhétorique de l'inclu
Pour les textes juridiques, voir La nationalité française, op. cit.
:

120 - Je m'attache ici à la seule ouverture envers les immigrés de sion,la faiblesse du courant ethnique, et les ambiguïtés
longue date, particulièrement ceux qui ont été élevés en France. La du nationalisme.
politique française envers les immigrés de fraîche date, et la rhétorique La rhétorique de l'inclusion. Pendant deux siècles,
qui l'a accompagnée et informée est assurément moins ouverte (encore
que la politique de la France en matière de naturalisation reste très libé les débats sur le statut des immigrés ont été menés dans
rale comparée à celle de l'Allemagne). un esprit d'ouverture 120. A de rares exceptions, toutes les
24 Rogers Brubaker

parties en jeu ont affiché leur soutien à une définition les deux principales réformes de l'après-guerre, 1945 et
large de la citoyenneté. Quelle que soit la position défen 1973. Il y a bien sûr des voix discordantes dans ce
due,on ne pouvait pas se soustraire à une proclamation concert. Elles ont donné naissance à un courant d'opi
de ce type. Les défenseurs de projets restrictifs ont eux- nion bien charpenté à l'occasion de l'affaire Dreyfus, et
mêmes cherché à minimiser leur propos ou à le dénier elles ont eu leur heure sous Vichy, qui a dénaturalisé de
plutôt qu'à le souligner. Durant les débats des années nombreuses personnes dont la naturalisation était
1880, un seul parlementaire a défendu ouvertement une récente m. On les a entendues à nouveau, à partir des
position restrictive, c'est le seul dont les interventions années 1980, qui soulignaient la dimension ethnique
aient été régulièrement interrompues et tournées en déri dans l'idée de nation française et le caractère inassimi
sion. lable d'un grand nombre d'étrangers. Mais même un gou
La rhétorique de l'inclusion est une chose, la politique vernement plutôt bien disposé en ce sens n'est pas par
d'inclusion en est une autre. Elles ne sont pourtant pas venu à faire passer une réforme restrictive du droit de
sans lien. A tout le moins, la rhétorique de l'ouverture citoyenneté en 1986-1987.
pose le problème du coût politique de la défense - ou Les ambiguïtés du nationalisme. Il ne faudrait pas
de l'imposition - d'une restriction de la citoyenneté. La prendre la faiblesse du courant ethnique pour une fa
rhétorique de l'inclusion n'est pas désincarnée. Elle se iblesse du nationalisme ou de la xénophobie. Le nationa
fonde sur une forme particulière de la conscience natio lismeet la xénophobie ont fleuri en France, y compris
nale, sur le sens de la grandeur de la France, sur les ver dans les années 1880. Mais le nationalisme français et la
tus assimilatrices des institutions et du territoire français, xénophobie ont eu un double visage, provoquant des
et la vocation de la langue et de la civilisation françaises à réponses opposées à la question de l'immigration - l'un
l'universel. Il se peut que cette conscience de soi ait prônant l'assimilation, l'autre l'exclusion.
perdu aujourd'hui de sa vigueur, elle n'en demeure pas Durant les années 1880, comme sous la Révolution,
moins singulière, très différente des habitudes all la réponse assimilationniste l'a emporté. On serait tenté
emandes en la matière. L'idée que des immigrés d'Afrique de penser seulement que le nationalisme et la xénophob
du Nord puissent être ou devenir français reste plus vra ie n'ont pas réussi à empêcher une acception large de la
isemblable, plus naturelle, que l'idée que des Turcs puis citoyenneté. Paradoxalement, ils lui ont fourni de puis
sent être ou devenir allemands. santes émotions et des arguments favorables. Par
La faiblesse du courant ethnique. Nous n'avons exemple, un moyen d'anéantir ces « cosmopolites » -
cessé de souligner la faiblesse de l'aspect ethnique, et comme disaient avec mépris les patriotes - de « national
corrélativement l'importance du courant assimilationniste ité flottante » qui « revendiquent de n'appartenir à aucun
dans la conscience nationale française. Ces deux points pays et de ne remplir nulle part le plus sacré des
sont bien illustrés dans les débats des années 1880. Par devoirs », serait de régler la question de leur citoyenneté,
exemple, lorsqu'on dit des étrangers installés de longue en les rendant français123. Pour renforcer l'unité natio
date qu'«ils se prétendent étrangers», alors que «tout le nale après le désastre de 1870 - la préoccupation princi
monde les considère comme français», parce qu'il sont paledu nationalisme des années 1880 - il ne suffirait pas
«Français dans leur cœur» ; ou encore, quand on pro
pose de faire des étrangers des citoyens (français) pour
« assurer la prédominance de l'élément français ». La défi
nition de ce que c'est qu'être français se joue en termes 121 - Les citations sont extraites des Comptes rendus des séances du 3,
4, 7, 8, 11 février 1887 au Sénat, p. 81a de la Séance du 16 mars 1889 à
sociaux et politiques, et non pas ethniques. C'est affaire la Chambre, p. 594a de la Séance du 25 juin 1885 à la Chambre,
;

de devenir social, et non d'essence 121. Annexe n. 3904 et des Documents parlementaires, Séance du 3 juin
;

1889 au Sénat, Annexe n. 160, p. 283c.


;

La foi dans l'assimilation a une saveur typiquement


républicaine dans les années 1880. Elle reflète la 122 - Une loi de 1940 impose à l'administration de revoir toutes les
naturalisations accordées depuis que la loi libérale de 1927 est entrée
confiance républicaine dans l'éducation universelle et le en vigueur. Environ 15 000 personnes, soit 3 % du nombre total des
service militaire universel. Il s'agit d'une variante de la personnes naturalisées entre 1927 et 1940, ont ainsi été privées de leur
citoyenneté et, parmi elles, environ 6 000 juifs. Les juifs ont été touchés
confiance traditionnelle française en matière d'assimila de façon disproportionnée par ces mesures un certain nombre, un mil
tion. Cette tradition d'assimilation a pesé sur les pre lier peut-être, ont été déportés, en conséquence directe de leur dénat
;

mières mises en forme du droit de citoyenneté sous la uralisation (M. R. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews,
New York, Schocken, 1983, p. 4; B. Laguerre, «Les dénaturalisés de
Révolution et l'Empire ; on la retrouve dans l'extension Vichy 1940-1944», Vingtième Siècle, octobre-décembre 1988, p. 11-14).
du jus soli aux immigrés de troisième génération en 1851, 123 — Les citations sont extraites des Comptes rendus des Séances du
dans la loi libérale sur la naturalisation de 1927, et dans 13, 15 novembre 1886, p. 1182c et du 3, 4, 7, 8, 11 février 1887, p. 80c.
DE L IMMIGRE AU CITOYEN 25

de «nationaliser les masses124» grâce à l'école et à politique et culturel relativement homogène et délimité
l'armée, il faudrait aussi casser les communautés d'étran par des frontières. Mais les formes particulières prises par
gers bien soudés. Ces projets allaient bien ensemble. On le nationalisme et la xénophobie, de même que la force
pourrait atteindre le second à travers le premier, en injec relative de l'exclusion et de l'assimilation, ont considéra
tantles immigrés de deuxième génération dans le circuit blementvarié d'un Etat-nation à l'autre. La France s'est
de l'école primaire et du service militaire universels. distinguée par la vigueur de son nationalisme assimila
Quant à l'exorbitant privilège des étrangers établis de tionniste. Mais cette force même a suscité en retour un
longue date 125 - la cible principale des xénophobes des « contre-nationalisme 127 » d'exclusion. Aujourd'hui, ce
années 1880 -, on lui porterait remède en les rendant contre-nationalisme est de nouveau fort, tandis que la
français. En quelque sorte, la propension expansive de confiance des élites dans la possibilité et la légitimité de
la citoyenneté française est bien le legs d'un moment de l'assimilation est moins solide que dans les années 1880.
nationalisme renforcé. Néanmoins, la conception dominante de l'idée de nation
En parallèle, s'est développé un nouveau nationa reste plus inclusive et plus assimilationnise en France
lismede droite. Il s'est défini lui-même en opposition qu'en Allemagne. Il en résulte que l'intégration civique
avec l'esprit républicain et anticlérical qui animait encore des immigrés par le mécanisme du jus soli se poursuit
le nationalisme assimilationniste dominant. Plus proche en France, tandis que l'Allemagne conserve un pur jus
des conceptions d'Europe centrale, pour qui la nation est sanguinis.
une communauté d'ascendance, ce nouveau national
isme,et la xénophobie qui l'accompagne - le nationa Traduction de Marie Ymonet
lismede Barrés, de Maurras, de Vichy, et aujourd'hui de
Le Pen - a inspiré les politiques d'exclusion, en matière
de citoyenneté. De là, les critiques de l'Action française
124 — Pour reprendre le titre de l'ouvrage de George Mosse.
contre « les Français de papier » créés par naturalisation ;
de là, les dénaturalisations opérées sous Vichy; de là 125 - Ce privilège ne se limitait pas à l'exemption du service militaire,
mais touchait aussi leur position sur le marché du travail, et, disaient
aussi le projet de Le Pen de purger le droit de citoyen certains, sur le marché matrimonial (Chambre des députés, Compte
neté de toute trace de jus soli126. rendu, Séance du 16 mars 1889, p. 594c).
Le nationalisme et la xénophobie français ont donc 126 -J.-Y. Le Gallou et J.-F. Jalkh. Etre français cela se mérite, Paris,
eu un double visage, tourné tantôt vers l'assimilation, tan Albatros, 1987, p. 101, 110.
127 - S. Hoffmann, «The Nation What For? Vicissitudes of French
tôt vers l'exclusion. En fait, l'assimilation et l'exclusion Nationalism, 1871-1973», p. 403-442, in Decline or Renewal? France
:

sont inhérentes à l'Etat-nation, conçu comme un espace Since the 1930s, New York, Viking, 1974, p. 409-

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