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CeROArt

Numéro 3  (2009)
L'erreur, la faute, le faux

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Hélène Verougstraete
Vers des frontières plus claires entre
restauration et hyper-restauration
Vers un meilleur dialogue entre historiens de l'art,
restaurateurs et marchands
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Référence électronique
Hélène Verougstraete, « Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration »,  CeROArt [En
ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1121.html
DOI : en cours d'attribution

Éditeur : CeROArt asbl


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© Tous droits réservés
Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration 2

Hélène Verougstraete

Vers des frontières plus claires entre


restauration et hyper-restauration
Vers un meilleur dialogue entre historiens de l'art, restaurateurs et
marchands

Introduction
1 Acceptez-vous d'écrire sur « les faux »… La demande m'a laissée un instant aussi perplexe
que l'aurait été un médecin invité à parler de la maladie ou un pêcheur sur les poissons…
Je commencerai par vous raconter l’une ou l’autre histoire de faux, vécue et authentique,
choisie pour son côté romanesque (quoique triste). Suivront quelques mots sur le bilan que
nous tirons de l’exposition Fake or not Fake?1 présentée au musée Groeninge de Bruges, du 26
novembre 2004 au 28 février 2005. Cette clarification me semble utile après les réactions en
sens divers qui nous sont parvenues. Suivront enfin quelques réflexions sur des publications et
travaux récents qui sont importants pour la restauration des œuvres et ses aspects juridiques,
surtout lorsqu'elle dépasse les frontières nébuleuses du « permis ». Notre expérience concerne
principalement les peintures, mais la réflexion peut s'applique à d'autres œuvres d'art.
2 Il y a quelques années, Monsieur de B (nom d’emprunt) a apporté au Laboratoire d’étude des
œuvres d’art (Labart) de Louvain-la-Neuve une peinture qui lui causait des soucis (fig.1). Il
l’avait acquise d’une curieuse manière: un commissaire-priseur parisien, qui a pignon sur rue,
lui avait envoyé sous enveloppe la photo d’un portrait de Marie de B., une de ses ancêtres,
immortalisée à l’âge de 26 ans. Attestaient de son identité : les armoiries et l’inscription Anno
Domini 1659 Ætatis suae 26, peintes sur le fond du tableau. Il n’y avait pas de signature, mais
dans le catalogue de vente l’œuvre était « attribuée à » un certain De Keyzer, peintre dont
la production est rare, ce qui est confortable parce que les comparaisons entre peintures sont
difficiles.

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Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration 3

Fig.1 Portrait de Marie de B.

Œuvre attribuée par le catalogue de vente à De Keyser


Photo : © laboratoire Labart
3 Monsieur de B réunit alors ses enfants: pouvait-on accepter que Marie soit convoitée par
n’importe qui? Qu’elle risque de faire naufrage dans des régions lointaines ô combien barbares,
à mille lieux de son château natal? Le sauvetage de Marie était coûteux. La famille fit face.
Un fils fut dépêché à Paris pour réaliser la transaction et Marie fut aussitôt suspendue en
bonne place dans le château familial. Hélas, sous un vernis sombre, le teint qu'on imaginait
délicatement diaphane de Marie s'était mué en hâle de marin de haute mer. Monsieur de B
décida d’y remédier. Un restaurateur se mit au travail sans hésitation, mais appela à l’aide: la

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peinture se dissolvait en même temps que le vernis ! Avec un banal solvant ! Le tableau était
frais et récent … Quelqu’un l’avait peint sur mesure et tendu un piège à la descendance.
4 Pour restituer au vendeur l’objet du délit, rien de tel que la menace d’étaler les faits sur la
place publique. Les marchands tiennent à leur réputation. La fausse Marie retourna prestement
à Paris.
5 Cette histoire a une fin heureuse, même si elle incite à la prudence dans l’acquisition de
portraits d’ancêtres trop bien identifiés… D’autres histoires se sont soldées de la même
manière: des menaces proférées à l'encontre du marchand dans le but louable de le protéger
d'une mauvaise réputation!
6 Différente est la mésaventure Monsieur et Madame Z. qui avaient acheté un château réputé
abriter un tableau de Jean Van Eyck représentant un homme au turban … Le château
garantissait l’ancienneté du tableau, tant il était clair aux yeux des acquéreurs que le tableau
y était suspendu depuis toujours…Le fait que le tableau devait normalement être antérieur
de quelques siècles au château n’était pas de nature à les troubler. Les nouveaux châtelains
abandonnèrent aussitôt leur auguste demeure pour entreprendre un tour du monde à la
recherche de l’expert qui pourrait les conforter dans leurs espoirs. Hélas L’homme au turban
n’était qu’un vulgaire pastiche, ce que tout le monde s’accordait à dire, sauf un spécialiste
viennois qui certifia que le tableau était de la main du grand primitif. L’histoire ne dit pas ce
que sont devenus le château, ses châtelains errants et l’homme enturbanné déchu, bien que
soutenu par un spécialiste viennois.

A propos de l'exposition Fake or not Fake (musée


Groeninge de Bruges, 26 novembre 2004- 28 février 2005)
7 Une conjonction d’éléments favorables a rendu possible l’exposition Fake or not Fake de
Bruges. Nous avions examiné la Vierge et Enfant de Van der Weyden à Tournai, avec l’aide
du conservateur de l’époque, Serge Le Bailly de Tilleghem. Nous avions d’abord cru à un
faux, mais, suite à des protestations et après un examen prolongé, nous avons révisé notre
première opinion (le tableau était partiellement ancien). Les résultats de l'examen furent
publiés en 20012. Informé de notre intérêt pour Van der Veken, J.L.Pypaert, banquier de
profession et passionné depuis son jeune âge par les Primitifs flamands et tout spécialement
par le restaurateur-faussaire Jef Van der Veken (1872-1964) qui en avait restauré un nombre
impressionnant et en avait créé quelques autres de toutes pièces, était venu nous suggérer
d’étudier les archives qu’il savait où trouver. Il suggéra aussi d'étudier certains tableaux
restaurés par Van der Veken et conservés dans des musées belges. Il connaissait l'existence
de faux et de tableaux hyper-restaurés, grâce à des témoignages de contemporains et amis de
Van der Veken qui avaient été dans le secret des dieux.
8 Pour une fois, nous nous trouvions devant des tableaux qui étaient en très mauvais état
malgré les apparences et qui étaient propriété publique. L'équipe du Labart ne pouvait que
s'enthousiasmer à la perspective d'entamer leur étude minutieuse. Le projet d'une exposition
didactique qui présenterait le résultat de ces études prit naturellement forme. L’accord
des conservateurs pour faire l’étude des tableaux et pour présenter les résultats au public
nous mettait à l’abri de pressions car des intérêts particuliers ne risquaient pas d'être
lésés par des révélations dévastatrices. Mais la bienveillance des conservateurs n'allait pas
jusqu'à l'empressement d'exposer le matériel que nous proposions. On craignait son caractère
iconoclaste. Au musée Groeninge de Bruges, le conservateur Till Borchert était intéressé par
l’histoire de la restauration et par le thème abordé, celui de l’état de conservation des tableaux,
l’ampleur des restaurations et les faux. Il réserva au projet un accueil favorable. Son intention
était d'ailleurs d'élargir le propos à d'autres faussaires, ce qui n'a pas pu être réalisé faute de
temps. Mais il nous a demandé d'étudier également deux tableaux achetés en 1983 par les

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musées communaux de Bruges. Ces tableaux étaient fortement et magistralement restaurés


par quelqu'un qui n'était pas Van der Veken.
9 On l’a dit, le silence s’était fait autour du travail de Jef Van der Veken dès les lendemains de son
décès. Sans doute l'homme s'était-il entouré de discrétion autour de ses pastiches, ne montrant
ce travail qu'à ses admirateurs et proches, et pas aux historiens de l'art trop curieux. Il a outre
laissé relativement peu d’archives (certaines d'entre elles ont même brûlé). Après son décès,
des proches de Van der Veken qui jouaient un rôle dans le monde de l'art auraient pu fournir
des informations précieuses, mais ils se sont réfugiés dans le mutisme au sujet de cette partie
de l'histoire de la restauration, que peut-être ils jugeaient partiellement honteuse. Aujourd'hui,
pressés de témoigner, ces mêmes proches s'efforcent de minimiser l'immense talent de leur
parent et l'impact de ses interventions sur la connaissance des Primitifs flamands; ils fustigent
ceux qui troublent leur quiétude. Comment interpréter ces réactions? Etait-il peu convenable
d'admettre l'existence d'un faussaire dans la famille? Si on avait raconté que l’excellente école
de restauration belge tenait ses recettes du travail de titan d'un faussaire, n’y aurait-il pas eu
risque d’amalgame ?
10 Suzanne Laemers, dans un excellent article3nous apprend que dès 1911, c’est à dire du temps
de la pleine activité de Van der Veken, des historiens de l’art avaient trouvé suspectes certaines
œuvres et avaient cité Van der Veken comme faussaire.
11 Les suspicions n'étaient pas des preuves. Un réel avancement dans les connaissances fut
accompli par les études techniques. La première étude technique d'un tableau profondément
remanié par Van der Veken date de 1994: le Christ et moine bénédictin (New York, The
Cloisters Collection, 19743) avait suscité d'abord l'étonnement pour son iconographie curieuse,
ensuite la suspicion par ses anachronismes. Enfin on comprit son caractère composite du mi-
vrai, mi-faux 4.
12 Le Labart publia les examens techniques de la Madone Renders de Tournai en 2001 et trois
hyper-restaurations ou faux à l'occasion de l’exposition de Bruges en 2004-2005, (où on
présenta encore la Madone Renders étudiée précédemment au Labart également).
13 Vers la fin de l’exposition de Bruges en 2005, une exposition fut montée dans une salle du
Musée royal des beaux-Arts de Bruxelles par l’Institut royal du patrimoine artistique (2005),
autour de la Madeleine Renders (d'une collection scandinave). Les examens pratiqués et
diverses études passionnantes sont réunies dans le livre Autour de la Madeleine Renders, paru
en 20085.
14 Depuis lors, trois autres tableaux hyper-restaurés ou faux ont encore été examinés au Labart.
Le premier, un merveilleux faux, ne pourra pas être publié à défaut de l'accord du propriétaire.
Un article consacré aux deux autres est sous presse6.
15 L’exposition bruxelloise de 2005 s’intitulait L’Affaire Van der Veken. Le titre est peu heureux
pour le risque de confusion avec l’ « affaire Van der Veken » qui est une longue histoire qui
débute en 1911 comme nous l'apprend Suzanne Laemers dans l'ouvrage cité plus haut7 et qui ne
concerne pas seulement la Madeleine Renders8. Toujours dans le même ouvrage, J.-L.Pypaert
propose un catalogue de 314 œuvres auxquelles le restaurateur aurait touché9. Il faudra à
l'avenir, comme le dit cet auteur, examiner ces œuvres une à une pour déterminer l'ampleur
de la restauration. Un gros travail attend les spécialistes. On verra peut-être un jour plus
clair dans l'évolution des techniques du restaurateur-faussaire. Il est possible que le catalogue
actuel inclue des œuvres d’autres faussaires. Quelques œuvres présentent un même aspect,
caractéristique d’une grande maîtrise, décrite dans les publications. Par contre dans d'autres
faux, les techniques adoptées sont assez différentes. Le Portrait présumé de l'architecte
Carnot10 présente une couche picturale épaisse et volontairement accidentée (griffée, salie)
qui pourrait dénoncer Van der Veken faussaire-débutant. D’autres faux encore présentent une
matière picturale légère, sans craquelures et sans accidents volontaires, et des couleurs qui
n’évoquent pas celles du 15e siècle. Il ne paraît pas évident à ce stade des connaissances

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d'accepter leur intégration dans le catalogue des restaurations ou productions de Van der
Veken.
16 Des réactions nombreuses et en sens divers nous sont parvenues pendant et après l’exposition.
Pour la problématique soulevée, l’exposition a intéressé un bon nombre de visiteurs qui ont
trouvé que la vérité historique avait ses droits et devait être dite. Ils acquiesçaient au fait
qu’une peinture (et par extension toute œuvre d'art), tout comme un texte d’archives, doit être
« éditée », doit subir une critique formelle, historique et être replacée dans son contexte.
17 Notre but avoué était de nous adresser au grand public et de lui dire : « votre œil ne suffit
pas. Ces beaux tableaux, propres et bien vernis, qui pendent aux cimaises des musées, qui
sont présentés à l'occasion de diverses expositions, salles de vente, foires… devraient être
accompagnés d’une description de leur état matériel: cette belle Vierge à l’Enfant à Tournai,
que l’on disait peinte de la main du grand Roger Van der Weyden, a été repeinte aux deux
tiers de la surface au 20e siècle, y compris la moitié des deux visages…Votre œil ne voit pas
tout! L’aide du microscope, de la radiographie, l’analyse des pigments… est indispensable
pour identifier la part du restaurateur. Voyez aussi cette Annonciation du musée d’Anvers avec
deux visages repeints au 20e siècle par Van der Veken : les historiens de l’art qui ont attribué
l’oeuvre au Maître des portraits Baroncelli ne se sentent-ils pas un peu ridicules? »
18 Il y a un travail considérable à faire pour que les tableaux, ceux des musées, ceux du marché de
l’art… fassent l’objet d’une critique externe, une description de l’état matériel. Les tableaux
des musées sont moins impatients : ils sont là pour longtemps. Pour ceux qui circulent sur le
marché de l'art, il y a urgence: ils vont être mis en vente  … il faudra que l’acquéreur sache
exactement ce qu’il acquiert. Si après acquisition, il a des doutes, il pourra ester en justice.
Le magistrat saisi de l’affaire décidera … en s'appuyant sur des avis d’experts, si possible
indépendants du marché et spécialisés dans l’examen technique des œuvres. Mais quand
pourra-t-il être dit que la restauration sombre dans l'hyper-restauration et le faux? Beaucoup
de soucis en vue pour les restaurateurs.
19 Evidemment le travail de J. Van der Veken était une aubaine pour faire la démonstration de
ce qui est exposé ci-dessus. Sur tous les schémas présentés à l’exposition et dans le catalogue,
la couleur rouge identifiait les restaurations, le gris, ce qui était ancien. Le jeune et talentueux
concepteur du lay out du catalogue publié chez Ludion était perturbé par le rouge omniprésent
qu’il jugeait agressif. Mais c'était ce que nous voulions : frapper les imaginations, perturber
le public par l’étendue du rouge, couleur de l’interdit, l'amener à se poser des questions.
20 Les réactions les plus vives et inquiètes sont venues des restaurateurs. Certains ont trouvé
l’exposition très intéressante. On nous a rapporté que certains d’eux s’étaient exclamés: « mais
nous travaillons nous aussi comme Van der Veken  !  ». Il y a eu des «  billets d’humeur  »
de restaurateurs fâchés. Il est bien sûr que nous ne voulions agresser personne. La patience
infinie des restaurateurs prudents formés à bonne école est admirable. Moins admirables sont
les nettoyages excessifs et les trop amples retouches faites par des amateurs…Chaque tableau
véhicule un lot de dégâts liés à des interventions auxquelles de nombreuses générations ont
contribué avec plus ou moins de bonheur, souvent moins que plus. Les recettes et techniques
des restaurateurs belges ressemblent tout naturellement à celles de J.Van der Veken qui
transmît le « beau métier » à son gendre Albert Philippot, chef de file de l’école de restauration
à l’Institut royal du Patrimoine artistique.

La perspective juridique
21 Combien de rouge peut impunément s'étaler sur un schéma avant de devenir l'interdit? Cette
question prend toute sa résonance dans une perspective juridique. La maison d’édition Die
Keure vient de publier un ouvrage qui s'intitule Art & Law11 qui intéressera les historiens de
l'art, les restaurateurs et les marchands. Ce vaste et passionnant ouvrage fait appel à de larges
collaborations : 32 auteurs, presque tous de la K.U.Leuven, principalement des juristes mais

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aussi un sociologue, un spécialiste du management muséal, un diplomate... et une historienne


de l’art, K. Van der Stichelen qui enseigne l’histoire de l’art dans la même université. Cet
ouvrage met en évidence la grande complexité de la question, complexité liée à l’infinie
variété des œuvres d’art et du contexte particulier dans lequel elles ont été créées. De larges
comparaisons sont établies entre le droit pratiqué en matière d’œuvres d’art dans différents
pays: Belgique, Allemagne, Pays-Bas, France, Angleterre, USA… L’ouvrage compare le droit
de ces pays dans divers domaines (protection du patrimoine, management muséal, protection
du patrimoine en temps de guerre…) et dépasse largement la question du faux. On y trouve
aussi de nombreux chapitres-intermèdes traitant d’œuvres d’art ou de tendances artistiques
diverses.
22 Un auteur, B. Demarsin, consacre un chapitre à la question de l’authenticité et de l’erreur
dans le commerce de l’art12 sujet auquel il a consacré une thèse de doctorat qui vient d'être
publiée13. Le chapitre de Art & Law consacré à la question de l'authenticité est généreusement
documenté et on peut y trouver des références à l’abondante littérature consacrée au sujet.
Retenons les phrases où ce juriste, se référant à d’autres auteurs, définit le faux14: No objects
are forgeries per se. They become so only when made, altered, or even just presented in such a
way as to induce error.  Only the fraudulent transaction turns them into a forgery [il n’existe
pas de faux en soi. Les œuvres deviennent fausses lorsqu’elles sont réalisées, modifiées ou
simplement présentées de manière à induire en erreur. Seule la transaction frauduleuse en fait
des faux]. L’auteur souligne que selon J. Châtelain15  in some juridictions the mere creation
of such an object can be a crime… [dans certaines juridictions, la création d’œuvres destinées
à induire en erreur est à elle seule considérée comme un délit].
23 L'acte frauduleux, celui qui mène à ce qu'il y ait erreur sur la substance lors d'une transaction,
peut prendre des formes diverses : une fausse signature, une attribution trop généreuse, une
provenance inventée et non contrôlable, des techniques de vieillissement artificiel (un cadre
ancien pour une peinture fraîche, un vernis brun, des dégâts artificiellement provoqués, des
badigeons et autres camouflages, des étiquettes, inscriptions, chiffres au pochoir…et bien
d'autres choses), mais aussi une restauration abusive.
24 Le bon restaurateur, celui qui ne veut pas tromper, se rassure en se disant que le qualificatif
de faussaire ne peut pas s'appliquer à lui. Pourtant, le tableau qui sort de son atelier inclut
des parties qui sont de sa main, dans des proportions qui varient d’un tableau à l’autre. Des
questions viennent immédiatement à l’esprit  comme: quelle est l'ampleur acceptable de la
restauration? Le maître d'œuvre sait-il au juste la nature et l'ampleur de l'intervention qu’il
paie? On pourrait préciser que pour ne pas tromper le propriétaire, pour ne pas l'induire
en erreur, il faudrait que l’intervention du restaurateur soit dûment identifiée. Et que le
propriétaire à son tour, le jour où il veut vendre et s’il veut vendre sans tromper, informe
l’acquéreur du dossier du restaurateur. Comme le livret d'entretien doit accompagner la voiture
d'occasion lors de sa vente, un rapport de l'état matériel d'une œuvre d'art devrait accompagner
toute transaction qui la concerne.
25 Je sais, pour avoir fait un court apprentissage dans le métier de restaurateur que le restaurateur
est, à l’occasion, celui qui camouffle à la perfection les dégâts qu’il a lui-même occasionnés
aux œuvres. Selon la définition, c'est un acte frauduleux. Si on reprend la définition évoquée
par J. Châtelain, on peut dire que le restaurateur qui craquèle ses restaurations et camouffle à
la perfection ses interventions au point qu'elles ne sont plus repérables, pourrait sous certaines
juridictions être traité de « faussaire ». Il y a là de quoi secouer sérieusement le restaurateur,
de quoi l’inciter à s’intéresser à l’aspect juridique de son travail, à se préparer, se prémunir
contre les problèmes possibles. Le monde de l'art ne ressemblerait-il pas un peu à celui des
banques, où des pratiques douteuses se sont impunément répandues faute de règles, en attente
du jour du « trop plein » où on ne pourra plus plaider la bonne foi? Les mentalités évoluent.

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26 Une ancienne étudiante de Louvain-la-Neuve, Emmanuelle Tondreau, licenciée en droit et


en histoire de l’art, a réalisé un mémoire (non publié à ce jour) qui devrait intéresser les
restaurateurs: La protection des œuvres d’art par l’encadrement de l’activité du restaurateur.
Eclairages juridiques16. Comme le dit le titre de son travail, c'est bien la protection de l'œuvre
qui est en cause et pas de celle du restaurateur. Le restaurateur sait que la meilleure protection
pour lui est de faire son travail dans les règles de la déontologie, avec une intervention très
limitée, une conservation plutôt qu'une restauration quand c'est possible.
27 E. Tondreau adresse des recommandations à celui qui fait restaurer une œuvre. L'encadrement
du restaurateur peut se faire par l'établissement d'un contrat (avec une clause de documentation
avant, en cours et après le travail, un protocole de travail: produits utilisés, ampleur des
retouches…et si la valeur de l'œuvre permet d'en envisager les frais: une clause d'expertise
préalable, …).
28 Un restaurateur est rarement le premier intervenant. Il découvre souvent les dégâts faits par
d’autres. Pour que ces dégâts ne lui soient pas imputés, il est important qu’il les  répertorie et
qu'il les documente avant d’entamer le travail. Ne nous faisons pas d'illusion, nous savons bien
qu'aucun document ne peut rendre correctement compte des effets d’un nettoyage, l’action la
plus téméraire, celle de tous les dangers !
29 Selon E. Tondreau, le contrat pourra inclure un code déontologique élaboré à l'initiative d'une
association professionnelle. Enfin, si le propriétaire du tableau n'est pas satisfait du travail
du restaurateur, il ne pourra ni payer, ni réceptionner le travail car cela équivaudrait à une
agréation. La protection du titre de conservateur-restaurateur serait un grand avantage pour
les deux parties. Le propriétaire se sentirait mieux protégé, et la profession de conservateur-
restaurateur en serait revalorisée.
30 Ce qui étonne, c’est la facilité qu’a l’être humain d’accepter l'œuvre d'art qu'on lui propose
à l'achat sans description de l’état de conservation, avec des attributions et datations non
justifiées ni argumentées, et souvent trop optimistes, une provenance difficile à vérifier, sans
qu'on sache par exemple si, pour une peinture, le cadre est d’origine ou non, etc.
31 On pourrait donc dire que pour un nombre important de transactions dans le domaine de l’art, il
y a risque d’erreur sur la substance. On pourrait pousser les choses un peu plus loin et dire que
si le marchand ne jette aucune lumière sur l’état de conservation de l’œuvre et s’il n’argumente
pas son attribution, s’il ne fait pas une critique externe de l’objet qu’il vend, l’objet de la
transaction est « mal précisé ». L’acheteur achète « un chat dans un sac ».
32 Des conflits d’intérêts sont en cause, mais aussi la difficulté de dialoguer pour des personnes
dont la compétence est différente et complémentaire. Un jour il faudra que les ponts
s'établissent entre les historiens de l’art, les restaurateurs et marchands.

Conclusion
33 Dans les débats qui se sont déroulés à la suite de l’exposition Fake or nor Fake, une question
est souvent revenue. Van der Veken est-il un faussaire  ? Une partie de sa famille, celle
qui lui vouait affection et admiration, répond par un « non » vigoureux à cette question. Il
n’aurait, selon eux, jamais trompé. Il vendait ses pastiches pour ce qu’ils étaient, d'authentiques
pastiches. Mais les archives sont muettes sur les pratiques commerciales de Jef Van der Veken,
sauf en ce qui concerne les Juges intègres qu'il fit payer cher mais mit longtemps à vendre.
Des pastiches, oui, mais tellement bien peints qu'ils se vendaient cher? très cher? presque aussi
cher que les vrais?
34 D’autres répondent sans hésitation oui, il a trompé le monde. Son comparse d'un moment,
Emile Renders17, apparaît d'emblée comme un escroc. Il savait ce qu’étaient les œuvres qui
lui étaient fournies par Van der Veken. Et il les a fait passer pour autre chose. L'envoi de sa
collection de Primitifs hyper-restaurés pour figurer dans une exposition à Londres en 1927 et
le battage médiatique qu'il organisa à cette occasion sont sans conteste des actes frauduleux.
On ne sait pas jusqu’où Renders et Van der Veken étaient complices en ces temps-là, et

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leur association n'a pas duré longtemps. Mais faussaire à ses heures et restaurateur vertueux
à d'autres, Van der Veken pouvait se prévaloir d'être un self-made man, de posséder un
exceptionnel savoir-faire, un grand amour des Primitifs, un métier parfait et un œil patient,
toutes qualités qui le rendent, il faut bien le reconnaître, plutôt sympathique, malgré les gros
soucis qu'il cause aux historiens de l'art des Primitifs flamands.

Notes
1 Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) avec des contributions de Bruyns,
E.,Couvert, J., Pieters, R. et Pypaert, J.-L.,Restaurateurs ou faussaires des Primitifs flamands. [Fake or
not fake. Het verhaal van de restauratie van de vlaamse Primitieven]. Catalogue d'exposition, Bruges
Groeningemuseum 26 novembre 2004-28 février 2005, Gand (Ludion) 2004.
2 Verougstraete, H. et Van Schoute, R., "La Madone Renders et sa restauration par Joseph Vander Veken
(1872-1964)", dans La peinture et le laboratoire. Actes du Colloque XIII pour l'étude du dessin sous-
jacent et de la technologie dans la peinture. (éd. Verougstraete, H. et Van Schoute, R.), Louvain-Paris-
Sterling, 2001, p. 7-28.
3 Laemers, S., "A Matter of Character. Max J. Friedländer et ses relations avec Emile Renders et Jef
Van Der Veken", dans Vanwijnsberghe, D., (dir.), Autour de la Madeleine Renders, Institut royal du
patrimoine artistique. Scientia Artis, volume 4, Bruxelles 2008, p. 147-176.
4 von Sonnenburg, H., "A Case of Recurring Deception" dans The Changing Image. Studies in Painting
Conservation (The Metropolitan Museum of Art Bulletin, LI, 1993-1994), New York, 1994, p. 9-19.
5 Vanwijnsberghe, D., (dir.), Bruxelles, 2008.
6 Decq L., "More on Joseph Vander Veken (1862-1974)", dans Verougstraete, H. et Janssens
deBisthoven, C. (eds.), The Quest for the Original. Underdrawing and Technology in Painting.
Symposium XVI, Louvain-Paris-Walpole, MA, 2009, p. 102-106.
7 Laemers, S., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 147-176.
8   Dans l’éditorial du livre Autour de la Madeleine Renders, M. Serckpasse sans discernement de
L'affaire VdV (titre de l'exposition bruxelloise)à « l'affaire VdV ». En lisant, à propos de l’exposition
bruxelloise  : «  ainsi débuta l’affaire Vander Veken  », le lecteur pourrait erronément croire que
l’exposition bruxelloise a déclenché une saga. En réalité, l’affaire Vander Veken est unelongue saga
(celle de tableaux trop restaurés et de faux), qui débute vers 1911 et intègre les expositions récentes
(Fake or not Fake, Bruges, 2004-2005 et L’Affaire Vander Veken, Bruxelles 2005). Le livre Autour de la
Madeleine Renders raconte fort bien les nombreuses péripéties de cette « affaire » qui occupera encore
longtemps les esprits.
9 Pypaert, J.-L., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 197-282.
10  Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) , 2004, p. 78-85.
11 Demarsin, B., Schrage, E.J.H., Tilleman, B. et Verbeke, A. (eds.), Art & Law, Bruges, 2008, 614
pages.
12  Idem, p. 556-601.
13  Demarsin, B., Handel in Kunstvoorwerpen, Die Keure, Business & Economics, 2009.
14  Idem, p. 562.
15 ChÂtelain, J., Forgery in the Art World, Bruxelles, Commission des communautés européennes,
1979, 30-31 et 36 et sv., cité dans Demarsin, B, 2008, p. 562 note 19.
16 Louvain-la-Neuve 2006-2007, promoteur H. Verougstraete
17  Voir au sujet d'Emile Renders le bel article extrêmement fouillé de: Lust, J., "Grandeur et décadence
d'Emile Renders. Chronique mouvementée d'une collection d'art belge", dans Vanwijnsberghe, D. (dir.),
2008, p. 77-146.

Pour citer cet article


Référence électronique

CeROArt, 3 | 2009
Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration 10

Hélène Verougstraete, « Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration »,
 CeROArt [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/
index1121.html

Hélène Verougstraete
Docteur en histoire de l'art et archéologie, UCL. Thèse: cadres et supports dans la peinture des
Pays-Bas méridionaux aux 15e et 16e siècles. Formation de deux ans en restauration des œuvres
d'art à l'Institut royal du patrimoine artistique. 1987-2005: professeur à l'Institut royal d'archéologie
et d'histoire de l'art de Bruxelles. 1992-: professeur à l'UCL. 1997-: également professeur à la
K.U.Leuven. 1992-: direction du Laboratoire d’étude des œuvres d’art par les méthodes scientifiques
(Labart). 1975-: avec R. Van Schoute: organisation du Colloque pour l'étude dessin sous-jacent et de la
technologie dans la peinture (15 volumes d'Actes publiés à ce jour). Travaux d'expertise. Publications:
Primitifs flamands, Pierre Bruegel (ea une interprétation du Triomphe de la Mort). Préparation avec
l'équipe du Labart de l'exposition et du catalogue Fake or not Fake au Groeningemuseum de Bruges en
26 novembre 2004-28 février 2005.

Droits d'auteur
© Tous droits réservés

Résumé / Abstract

 
Nous évoquerons l'exposition Fake or not Fake (Bruges, musée Groeninge 26 novembre
2004 -28 février 2005). Les historiens de l'art en ont retenu essentiellement les révélations
sur Van der Veken. Mais le but principal était de montrer au public qu'à l'instar des sources
d'archives, les œuvres d'art devaient être décrites dans leur réalité matérielle, qu'elles devaient
être examinées à l'aide des méthodes de laboratoire. L'œil ne suffit pas. L'article abordera
également la protection de l'œuvre d'art: il y a lieu de réfléchir au travail du restaurateur et à
son encadrement dans une perspective juridique.

 
After visiting the exhibition Fake or not Fake, held in the Bruges Groeningemuseum,
November 2004-February 2005, art historians were essentially struck by the revelations about
Van der Veken. But the purpose was to demonstrate to the public that works of art should be
submitted to a critical examination, like any archival source. The eye is not sufficient. The help
of technical instruments is necessary. Inorder to protect the works of art, one should consider
the legal aspects of the restorer's activity.

CeROArt, 3 | 2009

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