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Numéro 3 (2009)
L'erreur, la faute, le faux
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Hélène Verougstraete
Vers des frontières plus claires entre
restauration et hyper-restauration
Vers un meilleur dialogue entre historiens de l'art,
restaurateurs et marchands
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Référence électronique
Hélène Verougstraete, « Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration », CeROArt [En
ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1121.html
DOI : en cours d'attribution
Hélène Verougstraete
Introduction
1 Acceptez-vous d'écrire sur « les faux »… La demande m'a laissée un instant aussi perplexe
que l'aurait été un médecin invité à parler de la maladie ou un pêcheur sur les poissons…
Je commencerai par vous raconter l’une ou l’autre histoire de faux, vécue et authentique,
choisie pour son côté romanesque (quoique triste). Suivront quelques mots sur le bilan que
nous tirons de l’exposition Fake or not Fake?1 présentée au musée Groeninge de Bruges, du 26
novembre 2004 au 28 février 2005. Cette clarification me semble utile après les réactions en
sens divers qui nous sont parvenues. Suivront enfin quelques réflexions sur des publications et
travaux récents qui sont importants pour la restauration des œuvres et ses aspects juridiques,
surtout lorsqu'elle dépasse les frontières nébuleuses du « permis ». Notre expérience concerne
principalement les peintures, mais la réflexion peut s'applique à d'autres œuvres d'art.
2 Il y a quelques années, Monsieur de B (nom d’emprunt) a apporté au Laboratoire d’étude des
œuvres d’art (Labart) de Louvain-la-Neuve une peinture qui lui causait des soucis (fig.1). Il
l’avait acquise d’une curieuse manière: un commissaire-priseur parisien, qui a pignon sur rue,
lui avait envoyé sous enveloppe la photo d’un portrait de Marie de B., une de ses ancêtres,
immortalisée à l’âge de 26 ans. Attestaient de son identité : les armoiries et l’inscription Anno
Domini 1659 Ætatis suae 26, peintes sur le fond du tableau. Il n’y avait pas de signature, mais
dans le catalogue de vente l’œuvre était « attribuée à » un certain De Keyzer, peintre dont
la production est rare, ce qui est confortable parce que les comparaisons entre peintures sont
difficiles.
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peinture se dissolvait en même temps que le vernis ! Avec un banal solvant ! Le tableau était
frais et récent … Quelqu’un l’avait peint sur mesure et tendu un piège à la descendance.
4 Pour restituer au vendeur l’objet du délit, rien de tel que la menace d’étaler les faits sur la
place publique. Les marchands tiennent à leur réputation. La fausse Marie retourna prestement
à Paris.
5 Cette histoire a une fin heureuse, même si elle incite à la prudence dans l’acquisition de
portraits d’ancêtres trop bien identifiés… D’autres histoires se sont soldées de la même
manière: des menaces proférées à l'encontre du marchand dans le but louable de le protéger
d'une mauvaise réputation!
6 Différente est la mésaventure Monsieur et Madame Z. qui avaient acheté un château réputé
abriter un tableau de Jean Van Eyck représentant un homme au turban … Le château
garantissait l’ancienneté du tableau, tant il était clair aux yeux des acquéreurs que le tableau
y était suspendu depuis toujours…Le fait que le tableau devait normalement être antérieur
de quelques siècles au château n’était pas de nature à les troubler. Les nouveaux châtelains
abandonnèrent aussitôt leur auguste demeure pour entreprendre un tour du monde à la
recherche de l’expert qui pourrait les conforter dans leurs espoirs. Hélas L’homme au turban
n’était qu’un vulgaire pastiche, ce que tout le monde s’accordait à dire, sauf un spécialiste
viennois qui certifia que le tableau était de la main du grand primitif. L’histoire ne dit pas ce
que sont devenus le château, ses châtelains errants et l’homme enturbanné déchu, bien que
soutenu par un spécialiste viennois.
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d'accepter leur intégration dans le catalogue des restaurations ou productions de Van der
Veken.
16 Des réactions nombreuses et en sens divers nous sont parvenues pendant et après l’exposition.
Pour la problématique soulevée, l’exposition a intéressé un bon nombre de visiteurs qui ont
trouvé que la vérité historique avait ses droits et devait être dite. Ils acquiesçaient au fait
qu’une peinture (et par extension toute œuvre d'art), tout comme un texte d’archives, doit être
« éditée », doit subir une critique formelle, historique et être replacée dans son contexte.
17 Notre but avoué était de nous adresser au grand public et de lui dire : « votre œil ne suffit
pas. Ces beaux tableaux, propres et bien vernis, qui pendent aux cimaises des musées, qui
sont présentés à l'occasion de diverses expositions, salles de vente, foires… devraient être
accompagnés d’une description de leur état matériel: cette belle Vierge à l’Enfant à Tournai,
que l’on disait peinte de la main du grand Roger Van der Weyden, a été repeinte aux deux
tiers de la surface au 20e siècle, y compris la moitié des deux visages…Votre œil ne voit pas
tout! L’aide du microscope, de la radiographie, l’analyse des pigments… est indispensable
pour identifier la part du restaurateur. Voyez aussi cette Annonciation du musée d’Anvers avec
deux visages repeints au 20e siècle par Van der Veken : les historiens de l’art qui ont attribué
l’oeuvre au Maître des portraits Baroncelli ne se sentent-ils pas un peu ridicules? »
18 Il y a un travail considérable à faire pour que les tableaux, ceux des musées, ceux du marché de
l’art… fassent l’objet d’une critique externe, une description de l’état matériel. Les tableaux
des musées sont moins impatients : ils sont là pour longtemps. Pour ceux qui circulent sur le
marché de l'art, il y a urgence: ils vont être mis en vente … il faudra que l’acquéreur sache
exactement ce qu’il acquiert. Si après acquisition, il a des doutes, il pourra ester en justice.
Le magistrat saisi de l’affaire décidera … en s'appuyant sur des avis d’experts, si possible
indépendants du marché et spécialisés dans l’examen technique des œuvres. Mais quand
pourra-t-il être dit que la restauration sombre dans l'hyper-restauration et le faux? Beaucoup
de soucis en vue pour les restaurateurs.
19 Evidemment le travail de J. Van der Veken était une aubaine pour faire la démonstration de
ce qui est exposé ci-dessus. Sur tous les schémas présentés à l’exposition et dans le catalogue,
la couleur rouge identifiait les restaurations, le gris, ce qui était ancien. Le jeune et talentueux
concepteur du lay out du catalogue publié chez Ludion était perturbé par le rouge omniprésent
qu’il jugeait agressif. Mais c'était ce que nous voulions : frapper les imaginations, perturber
le public par l’étendue du rouge, couleur de l’interdit, l'amener à se poser des questions.
20 Les réactions les plus vives et inquiètes sont venues des restaurateurs. Certains ont trouvé
l’exposition très intéressante. On nous a rapporté que certains d’eux s’étaient exclamés: « mais
nous travaillons nous aussi comme Van der Veken ! ». Il y a eu des « billets d’humeur »
de restaurateurs fâchés. Il est bien sûr que nous ne voulions agresser personne. La patience
infinie des restaurateurs prudents formés à bonne école est admirable. Moins admirables sont
les nettoyages excessifs et les trop amples retouches faites par des amateurs…Chaque tableau
véhicule un lot de dégâts liés à des interventions auxquelles de nombreuses générations ont
contribué avec plus ou moins de bonheur, souvent moins que plus. Les recettes et techniques
des restaurateurs belges ressemblent tout naturellement à celles de J.Van der Veken qui
transmît le « beau métier » à son gendre Albert Philippot, chef de file de l’école de restauration
à l’Institut royal du Patrimoine artistique.
La perspective juridique
21 Combien de rouge peut impunément s'étaler sur un schéma avant de devenir l'interdit? Cette
question prend toute sa résonance dans une perspective juridique. La maison d’édition Die
Keure vient de publier un ouvrage qui s'intitule Art & Law11 qui intéressera les historiens de
l'art, les restaurateurs et les marchands. Ce vaste et passionnant ouvrage fait appel à de larges
collaborations : 32 auteurs, presque tous de la K.U.Leuven, principalement des juristes mais
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Conclusion
33 Dans les débats qui se sont déroulés à la suite de l’exposition Fake or nor Fake, une question
est souvent revenue. Van der Veken est-il un faussaire ? Une partie de sa famille, celle
qui lui vouait affection et admiration, répond par un « non » vigoureux à cette question. Il
n’aurait, selon eux, jamais trompé. Il vendait ses pastiches pour ce qu’ils étaient, d'authentiques
pastiches. Mais les archives sont muettes sur les pratiques commerciales de Jef Van der Veken,
sauf en ce qui concerne les Juges intègres qu'il fit payer cher mais mit longtemps à vendre.
Des pastiches, oui, mais tellement bien peints qu'ils se vendaient cher? très cher? presque aussi
cher que les vrais?
34 D’autres répondent sans hésitation oui, il a trompé le monde. Son comparse d'un moment,
Emile Renders17, apparaît d'emblée comme un escroc. Il savait ce qu’étaient les œuvres qui
lui étaient fournies par Van der Veken. Et il les a fait passer pour autre chose. L'envoi de sa
collection de Primitifs hyper-restaurés pour figurer dans une exposition à Londres en 1927 et
le battage médiatique qu'il organisa à cette occasion sont sans conteste des actes frauduleux.
On ne sait pas jusqu’où Renders et Van der Veken étaient complices en ces temps-là, et
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leur association n'a pas duré longtemps. Mais faussaire à ses heures et restaurateur vertueux
à d'autres, Van der Veken pouvait se prévaloir d'être un self-made man, de posséder un
exceptionnel savoir-faire, un grand amour des Primitifs, un métier parfait et un œil patient,
toutes qualités qui le rendent, il faut bien le reconnaître, plutôt sympathique, malgré les gros
soucis qu'il cause aux historiens de l'art des Primitifs flamands.
Notes
1 Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) avec des contributions de Bruyns,
E.,Couvert, J., Pieters, R. et Pypaert, J.-L.,Restaurateurs ou faussaires des Primitifs flamands. [Fake or
not fake. Het verhaal van de restauratie van de vlaamse Primitieven]. Catalogue d'exposition, Bruges
Groeningemuseum 26 novembre 2004-28 février 2005, Gand (Ludion) 2004.
2 Verougstraete, H. et Van Schoute, R., "La Madone Renders et sa restauration par Joseph Vander Veken
(1872-1964)", dans La peinture et le laboratoire. Actes du Colloque XIII pour l'étude du dessin sous-
jacent et de la technologie dans la peinture. (éd. Verougstraete, H. et Van Schoute, R.), Louvain-Paris-
Sterling, 2001, p. 7-28.
3 Laemers, S., "A Matter of Character. Max J. Friedländer et ses relations avec Emile Renders et Jef
Van Der Veken", dans Vanwijnsberghe, D., (dir.), Autour de la Madeleine Renders, Institut royal du
patrimoine artistique. Scientia Artis, volume 4, Bruxelles 2008, p. 147-176.
4 von Sonnenburg, H., "A Case of Recurring Deception" dans The Changing Image. Studies in Painting
Conservation (The Metropolitan Museum of Art Bulletin, LI, 1993-1994), New York, 1994, p. 9-19.
5 Vanwijnsberghe, D., (dir.), Bruxelles, 2008.
6 Decq L., "More on Joseph Vander Veken (1862-1974)", dans Verougstraete, H. et Janssens
deBisthoven, C. (eds.), The Quest for the Original. Underdrawing and Technology in Painting.
Symposium XVI, Louvain-Paris-Walpole, MA, 2009, p. 102-106.
7 Laemers, S., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 147-176.
8 Dans l’éditorial du livre Autour de la Madeleine Renders, M. Serckpasse sans discernement de
L'affaire VdV (titre de l'exposition bruxelloise)à « l'affaire VdV ». En lisant, à propos de l’exposition
bruxelloise : « ainsi débuta l’affaire Vander Veken », le lecteur pourrait erronément croire que
l’exposition bruxelloise a déclenché une saga. En réalité, l’affaire Vander Veken est unelongue saga
(celle de tableaux trop restaurés et de faux), qui débute vers 1911 et intègre les expositions récentes
(Fake or not Fake, Bruges, 2004-2005 et L’Affaire Vander Veken, Bruxelles 2005). Le livre Autour de la
Madeleine Renders raconte fort bien les nombreuses péripéties de cette « affaire » qui occupera encore
longtemps les esprits.
9 Pypaert, J.-L., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 197-282.
10 Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) , 2004, p. 78-85.
11 Demarsin, B., Schrage, E.J.H., Tilleman, B. et Verbeke, A. (eds.), Art & Law, Bruges, 2008, 614
pages.
12 Idem, p. 556-601.
13 Demarsin, B., Handel in Kunstvoorwerpen, Die Keure, Business & Economics, 2009.
14 Idem, p. 562.
15 ChÂtelain, J., Forgery in the Art World, Bruxelles, Commission des communautés européennes,
1979, 30-31 et 36 et sv., cité dans Demarsin, B, 2008, p. 562 note 19.
16 Louvain-la-Neuve 2006-2007, promoteur H. Verougstraete
17 Voir au sujet d'Emile Renders le bel article extrêmement fouillé de: Lust, J., "Grandeur et décadence
d'Emile Renders. Chronique mouvementée d'une collection d'art belge", dans Vanwijnsberghe, D. (dir.),
2008, p. 77-146.
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Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration 10
Hélène Verougstraete, « Vers des frontières plus claires entre restauration et hyper-restauration »,
CeROArt [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/
index1121.html
Hélène Verougstraete
Docteur en histoire de l'art et archéologie, UCL. Thèse: cadres et supports dans la peinture des
Pays-Bas méridionaux aux 15e et 16e siècles. Formation de deux ans en restauration des œuvres
d'art à l'Institut royal du patrimoine artistique. 1987-2005: professeur à l'Institut royal d'archéologie
et d'histoire de l'art de Bruxelles. 1992-: professeur à l'UCL. 1997-: également professeur à la
K.U.Leuven. 1992-: direction du Laboratoire d’étude des œuvres d’art par les méthodes scientifiques
(Labart). 1975-: avec R. Van Schoute: organisation du Colloque pour l'étude dessin sous-jacent et de la
technologie dans la peinture (15 volumes d'Actes publiés à ce jour). Travaux d'expertise. Publications:
Primitifs flamands, Pierre Bruegel (ea une interprétation du Triomphe de la Mort). Préparation avec
l'équipe du Labart de l'exposition et du catalogue Fake or not Fake au Groeningemuseum de Bruges en
26 novembre 2004-28 février 2005.
Droits d'auteur
© Tous droits réservés
Résumé / Abstract
Nous évoquerons l'exposition Fake or not Fake (Bruges, musée Groeninge 26 novembre
2004 -28 février 2005). Les historiens de l'art en ont retenu essentiellement les révélations
sur Van der Veken. Mais le but principal était de montrer au public qu'à l'instar des sources
d'archives, les œuvres d'art devaient être décrites dans leur réalité matérielle, qu'elles devaient
être examinées à l'aide des méthodes de laboratoire. L'œil ne suffit pas. L'article abordera
également la protection de l'œuvre d'art: il y a lieu de réfléchir au travail du restaurateur et à
son encadrement dans une perspective juridique.
After visiting the exhibition Fake or not Fake, held in the Bruges Groeningemuseum,
November 2004-February 2005, art historians were essentially struck by the revelations about
Van der Veken. But the purpose was to demonstrate to the public that works of art should be
submitted to a critical examination, like any archival source. The eye is not sufficient. The help
of technical instruments is necessary. Inorder to protect the works of art, one should consider
the legal aspects of the restorer's activity.
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