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du PIB n’a atteint que 2,2 %, contre 3,3 % en 2008. Cette faible performance était due à la
baisse des recettes pétrolières et gazières (44,3 milliards de dollars, soit une chute de 42 %
par rapport à 2008), en raison de la contraction de la demande mondiale d’hydrocarbures.
Ce repli a entraîné un important déficit budgétaire, le premier depuis 1999, équivalant à
8,4 % du PIB. Pour 2010, Alger tablait sur une croissance de 4 % grâce à un redémarrage
de la croissance mondiale et à des revenus pétroliers et gaziers en augmentation. De son
côté, le Fonds monétaire international (FMI) était plus optimiste, prévoyant un taux de
croissance de 4,6 % en 2010 et de 4,1 % en 2011.
Pourtant, le pays disposait fin 2009 d’une importante aisance financière, avec
100 milliards de dollars de réserves de change et plus de 40 milliards de dollars alloués au
Fonds de régulation des recettes des hydrocarbures. Pour nombre d’experts, ces
ressources, doublées d’une amélioration du climat des affaires, devraient permettre à
l’économie algérienne d’effectuer sa mue en attirant le savoir-faire étranger susceptible de
mettre fin à l’omniprésence des hydrocarbures. Mais les autorités locales ont multiplié
en 2009 les signaux contradictoires à destination des investisseurs occidentaux, asiatiques
et arabes. Le gouvernement d’Ahmed Ouyahia a ainsi pris des mesures protectionnistes,
dont l’obligation, pour tout investisseur étranger, de s’associer à des partenaires locaux
devant détenir au moins 51 % de la société créée. Cette mesure, soutenue par le patronat
privé local, a provoqué la colère de nombreuses entreprises étrangères, dont des banques,
déjà installées en Algérie ou qui se préparaient à le faire. À l’inverse, après les protestations
officielles de l’Union européenne (UE), le gouvernement a renoncé à imposer
rétroactivement aux sociétés commerciales étrangères opérant déjà en Algérie l’ouverture
de leur capital à hauteur de 30 % en faveur d’investisseurs nationaux.
Selon plusieurs observateurs, ces incertitudes alimenteraient une lutte de clans dans la
perspective de la succession du président algérien. Les rivalités de sérail, l’ambition
attribuée à l’un des frères d’Abdelaziz Bouteflika de lui succéder malgré l’opposition de
l’armée – tout cela sur fond de résurgence de la guérilla islamiste au nord-est du pays et au
Sahara – ont alourdi le climat politique. L’assassinat en février 2010 du patron de la police
algérienne Ali Tounsi (en poste depuis seize ans) par l’un de ses collaborateurs, et la
multiplication d’arrestations à haut niveau pour des faits de corruption, notamment au
sein de la compagnie pétrolière Sonatrach, ont convaincu nombre d’Algériens de
l’existence d’une lutte acharnée au sein du pouvoir.
Akram Belkaïd
Pour autant, la réélection d’Abdelaziz Bouteflika n’avait pas atténué toutes les
interrogations et inquiétudes à propos de la stabilité du régime. L’état de santé
préoccupant du président, obligé de se rendre régulièrement à l’étranger pour des soins,
ainsi que l’intention prêtée à son frère et conseiller Saïd, un universitaire de 52 ans, de
constituer un parti politique à l’automne 2009, sans oublier les informations témoignant
de graves divergences entre la Présidence et les généraux algériens, constituaient autant de
signes d’une future crise de succession dans laquelle, une fois encore, l’armée devrait jouer
un rôle charnière.
Cette incertitude sur la capacité du président à mener son troisième mandat à terme était
d’autant plus pesante que les actes de violence n’avaient pas cessé, avec des attentats
régulièrement revendiqués par Al-Qaeda au Maghreb islamique ou des groupes islamistes
armés n’ayant pas fait allégeance à l’organisation d’Oussama Ben Laden.
Les relations avec le Maroc ne se sont guère améliorées, la frontière demeurant fermée
malgré les appels répétés des autorités marocaines pour son ouverture. Signe du blocage
du processus d’intégration maghrébine, à Alger, comme dans les autres capitales
maghrébines, le 20e anniversaire de la constitution, en février 1989, de l’Union du
Maghreb arabe (UMA) passait totalement inaperçu. De même le gouvernement algérien a-
t-il accueilli avec une grande réserve le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) lancé
par le président français Nicolas Sarkozy lors du sommet de Paris du 13 juillet 2008. Pour
Alger, c’était la dimension politique de cette Union, avec notamment la question du
partage des souverainetés, qui posait problème, les officiels algériens souhaitant que
l’UPM se limite à la seule mise en place de projets économiques régionaux.
Par ailleurs, la crise financière internationale provoquait un vif débat sur l’emploi et le
placement à l’étranger des excédents budgétaires alimentés par la hausse des recettes
pétrolières. De nombreuses personnalités, dont d’anciens ministres de l’Économie, mirent
en garde contre le risque de dépréciation des quelque 60 milliards $ placés en bons du
Trésor américains, s’attirant une fin de non-recevoir de la part du gouvernement. Ce
dernier ne chercha guère à se justifier sur son refus de créer un fonds souverain qui, hausse
des recettes pétrolières aidant, permettrait à l’Algérie de prendre des participations dans
des entreprises occidentales à l’image des investissements réalisés par les fonds souverains
du Golfe.
Dans le même temps, le premier semestre 2009 était marqué par la résurgence d’un
discours économique protectionniste que la campagne électorale pour la présidentielle
de 2009 n’expliquait qu’en partie. En janvier 2009, Alger annonçait que tout opérateur
étranger souhaitant s’installer sur son sol devait ouvrir son capital à hauteur de 51 % en
faveur d’un opérateur algérien. En mai 2009, c’est l’accord d’association signé avec l’Union
européenne (UE) en avril 2002 qui faisait l’objet de violentes attaques de la part du
Premier ministre. En effet, Ahmed Ouyahia jugeait que l’Algérie n’en avait rien retiré de
positif, l’Europe n’acceptant qu’au compte-gouttes les exportations algériennes, hors
hydrocarbures, et continuant à s’opposer à la candidature de son pays à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). Enfin, Alger a aussi dirigé ses critiques contre de
nombreux investisseurs du Golfe, ces derniers étant accusés de ne pas avoir tenu leurs
promesses malgré les aides et dispositions favorables qui leur avaient été consenties.
Pour de nombreux experts, les autorités algériennes, alertées par la gravité de la crise
financière internationale, songeraient à freiner le rythme de libéralisation de l’économie en
pariant de nouveau sur le secteur économique public auquel les discours des dirigeants
algériens du début des années 2000 promettaient pourtant une rapide privatisation. Enfin,
sur le plan social, émeutes et grèves ont continué à faire partie du décor avec un chômage
réel dont le taux atteignait les 20 % (12 % selon les chiffres officiels).
Une statistique en dit long sur la réalité algérienne : plus d’un quart de la population
vivrait sous le seuil de pauvreté alors que les performances macroéconomiques demeurent
bonnes. En 2009, la croissance du PIB devrait atteindre 2,1 %. De même, les recettes
pétrolières devraient reculer à 50 milliards $, contre 76 milliards $ en 2008 et
60 milliards $ en 2007.
Akram Belkaïd
Bilan 2009 - Le boom en trompe-l’œil de l’économie algérienne
Après plusieurs années de relative accalmie, le terrorisme a refait son apparition en Algérie
où, c’est une première dans l’histoire tourmentée de ce pays, plusieurs attentats-suicides à
la voiture piégée ont été commis de manière simultanée, notamment le 11 avril et le
11 décembre 2007. Ces attentats ont fait plusieurs dizaines de victimes civiles et ont été
revendiqués par l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui se
présente depuis fin 2006 comme la branche armée d’Al-Qaeda au Maghreb. De leur côté,
les dirigeants algériens ont accusé à plusieurs reprises une « main étrangère » sans donner
plus de précisions.
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Les aléas politiques n’ont toutefois pas empêché le pays d’enregistrer de bonnes
performances macroéconomiques. Le produit intérieur brut (PIB) a enregistré une
croissance de 4,6 % en 2007 avec un taux de progression supérieur à 6 % hors
hydrocarbures. De même, la hausse des cours du pétrole a amélioré l’état des finances de
l’Algérie qui a engrangé 54 milliards de dollars de recettes d’exportation. Cette manne a
permis la poursuite du désendettement (la dette extérieure ne représente plus que 3 % du
PIB) et a porté le total des réserves de change à près de 100 milliards de dollars, soit
l’équivalent de plus de 36 mois d’importations.
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Mais, si elle a provoqué un sentiment d’euphorie parmi les dirigeants algériens, cette
aisance financière sans précédent n’a guère accéléré les réformes économiques. Après un
feuilleton de plusieurs années, la privatisation du Crédit populaire d’Algérie (CPA), qui
devait constituer le point de départ de la modernisation du secteur bancaire, a été
suspendue en décembre 2007, officiellement à cause du désistement de plusieurs banques
candidates au rachat en raison de la « crise des subprimes ». Mais, pour de nombreux
observateurs, ce nouveau report illustrait l’impossible mutation de l’environnement
économique algérien vers plus de transparence. Le procès Khalifa, du nom de
l’ancien golden boy exilé en Grande-Bretagne après la faillite de son groupe en 2003, a mis
en exergue la face cachée de l’ouverture économique algérienne avec son lot de passe-
droits et de trafics d’influence. Si Moumen Khalifa a été condamné par contumace à une
peine de prison à perpétuité, l’opinion publique algérienne est restée sur sa faim, le
tribunal de Blida n’ayant pas fait toute la lumière sur les complicités à haut niveau dont a
bénéficié l’homme d’affaires déchu.
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Sur le plan diplomatique, les relations avec la France se sont réchauffées après les tensions
provoquées par la loi sur les « bienfaits de la colonisation » de février 2005. En juin 2007,
Alger et Paris sont convenus de l’abandon du projet de Traité d’amitié, tandis que les
grandes entreprises françaises ont fait un retour en force sur le marché algérien dans la
foulée de la visite de Nicolas Sarkozy le 3 décembre 2007 à Alger. Gaz de France a annoncé
un investissement d’un milliard de dollars dans le Sud algérien (gisement de Touat) tandis
que Total prévoyait de débourser 1,5 milliard de dollars dans le terminal gazier d’Arzew,
dans l’ouest du pays. Cette embellie franco-algérienne a contrasté avec la multiplication
des contentieux avec l’Espagne, dont celui provoqué par la décision de la compagnie
pétrolière Sonatrach d’annuler un contrat conclu en 2004 avec les groupes énergétiques
espagnols Repsol et Gas Natural pour l’exploitation du gisement gazier de Gassi Touil.
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Par ailleurs, les relations avec la Russie ont été marquées par plusieurs couacs, le dernier
en date étant le rejet, en mars 2008, par les autorités algériennes d’une livraison d’avions
de chasse de type Sukhoï. En décembre 2007, Alger a aussi annulé de manière unilatérale
l’accord stratégique conclu entre Sonatrach et Gazprom en août 2006 et qui préparait la
création d’un Cartel des exportateurs de gaz naturel (« Opep du gaz »). La visite du
président Bouteflika à Moscou en février 2008 n’a pas permis de relancer le projet même si
les autorités algériennes se sont engagées à passer de nouvelles commandes de matériel
militaire russe.
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Enfin, en mars 2008, le gouvernement algérien a opposé une fin de non-recevoir aux
demandes marocaines d’ouverture de la frontière terrestre entre les deux pays, laquelle est
fermée depuis août 1994.
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La loi sur les hydrocarbures de 2005, qui avait introduit le régime des concessions, a été
amendée en juillet 2006, revenant à la formule du partage de la production avec part
majoritaire (51 %) pour la compagnie nationale Sonatrach. Mais, en 2006, une baisse de
2,5 % de la production de ce secteur (lequel représentait 98 % des exportations) – due
notamment au gel de la loi de 2005 ainsi qu’à une explosion au terminal pétrolier de
Skikda le 4 octobre 2005 – a fait chuter le taux de croissance de l’économie à 1,8 % (4,8 %
hors hydrocarbures).
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Ce contexte laissait craindre une reprise de l’inflation, passée de 1,6 % à 2,5 % entre 2005-
2006. En octobre 2006, une brèche a été ouverte dans le gel des salaires, avec la signature
par la tripartite (syndicat UGTA-organisations patronales-gouvernement) d’un Pacte
national économique et social. Mais l’exclusion des syndicats autonomes de la négociation
a affaibli la légitimité de cet accord, compromettant la garantie de paix sociale qui devait
en être la contrepartie. De plus, malgré une baisse du taux de chômage de 15,3 % à 12,3 %
entre 2005 et 2006, l’importance de l’emploi informel (moins de 50 % des travailleurs sont
affiliés à la sécurité sociale) a relativisé la portée de l’annonce d’une augmentation du
salaire minimum garanti (SMNG).
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L’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, achevée fin août 2006,
a un peu apaisé les esprits, sans toutefois rétablir le dialogue politique ni rendre justice aux
victimes, notamment aux familles de disparus. À partir de l’été 2006, une nouvelle flambée
de violence (attentats, ratissages de l’armée) a touché le centre (Boumerdès, Kabylie) et
l’est du pays. Faits nouveaux, des attentats ont atteint la banlieue d’Alger (30 octobre
2006) puis son centre (11 avril 2007) et pour la première fois, le 10 décembre 2006, des
intérêts américains ont été atteints. Après la double explosion à la voiture piégée du 11 avril
2007, dont l’une contre le Palais du gouvernement, des divergences dans les réactions
officielles ont révélé des désaccords au sommet quant à l’orientation de la propagande
antiterroriste : tandis que des «sources» sécuritaires y voyaient la main d’Al-Qaeda au
Maghreb, le Premier ministre Abdelaziz Belkhadem dénonçait des «actes criminels» visant
la réconciliation nationale. Pendant l’attentat, la marine militaire algérienne participait à
un exercice de la VIe flotte américaine en Espagne. Alors que circulait l’information sur
une plate-forme de renseignement de l’armée américaine dans le Sud algérien, le refus
officiel de l’Algérie d’accueillir des bases de ce pays sur son territoire et d’intégrer le futur
Africom (Commandement US pour l’Afrique) a semblé remettre en cause l’alliance scellée
avec les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre 2001. Le
contexte international – enlisement des Américains en Irak, montée en puissance de la
Chine, affirmation des souverainismes en Russie, Iran, Amérique du Sud – a permis une
plus grande marge de manœuvre de la politique extérieure.
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Malade, le président Bouteflika n’a fait que de rares apparitions publiques – sauf celles,
très remarquées, après l’attentat du 11 avril, destinées à galvaniser les foules contre un
ennemi incertain – et a dû abandonner plusieurs projets, dont celui de révision de la
Constitution, qu’il avait promis de soumettre au peuple par référendum avant la fin 2006.
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La campagne pour les élections législatives (17 mai 2007) a été centrée sur le bilan de la
politique de réconciliation nationale, défendue avec plus ou moins de conviction par les
partis de l’Alliance présidentielle – Front de libération nationale (FLN), Rassemblement
national démocratique (RND) et Mouvement de la société pour la paix (MSP) – et attaquée
par les partis dits «républicains», opposés à tout dialogue avec les «islamistes». Le Front
des forces socialistes (FFS), en crise depuis plusieurs mois, appelait quant à lui au boycott.
Perdant 35 sièges par rapport à la précédente assemblée, la coalition au pouvoir a
remporté 249 des 389 sièges : 136 au FLN, parti historique de la révolution algérienne, 61
au RND dit «libéral» et 52 au MSP dit «islamiste modéré», autant que le Parti des
travailleurs, devenu premier parti d’opposition de l’hémicycle. Mais la forte abstention
(65 % contre 54 % en 2002) a relativisé la signification de ces résultats. D’autant que pour
ces législatives – les troisièmes depuis celles de fin 1991, interrompues par l’armée alors
que le FIS allait gagner – le choix offert aux électeurs était limité, l’exercice du pluralisme
politique étant devenu formel, l’enjeu n’étant plus que dans les luttes au sommet. Ainsi, le
président de la Commission de surveillance des élections, pourtant issu du sérail, a accusé
le FLN de «fraude massive», ce qui n’a pas empêché le Conseil constitutionnel de valider
les résultats. Cette accusation, ainsi que la perte de 63 sièges par le parti de A. Belkhadem
– alors que le RND en gagnait 14 – sonnaient comme un avertissement au chef de l’État,
soupçonné de préparer son Premier ministre à sa succession. Au lieu du changement de
gouvernement attendu, A. Bouteflika a repris A. Belkhadem comme Premier ministre et
l’essentiel de l’équipe précédente a été reconduite. Cet épisode annonçait d’âpres luttes de
succession.
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Quant au traité d’amitié entre l’Algérie et la France, s’il n’a pas été signé, comme prévu,
avant la fin 2005, la cause est en revenue à la loi française du 23 février 2005, réhabilitant
le « rôle positif de la présence française outre-mer », à l’époque coloniale. La suppression
par le gouvernement français, en février 2006, de l’article le plus controversé de la loi – au
moment où le Sénat venait d’approuver un accord avec l’Algérie sur la sécurité et la
coopération policière – n’a pas tari la polémique. Le FLN a dénoncé une « loi qui falsifie
l’histoire », exigeant que le traité d’amitié consacre le devoir de mémoire et que la France
officielle fasse acte de repentance, pour les crimes et les massacres commis durant la
période coloniale. Le 17 avril 2006 à Constantine, le président algérien a déclaré que la
France avait commis un « génocide de l’identité algérienne ». Quelques jours plus tard,
alors qu’il avait rejoint son hôpital parisien, des déclarations hostiles de la classe politique
française l’ont obligé à interrompre son séjour et à rentrer en Algérie.
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Dans le pays, les tensions avaient repris sur le front social (grèves, émeutes) et les
revendications salariales se faisaient plus pressantes, encouragées par la situation
financière florissante du pays (56 milliards de dollars de réserves de change à la fin 2005,
8 milliards de plus quatre mois après). Le gouvernement a profité de la manne pétrolière
pour poursuivre le remboursement anticipé de la dette extérieure, dont le stock a été
ramené à 15,5 milliards de dollars. En 2005, 1,215 milliard de dollars ont été remboursés
avant terme. Le 27 mai 2006, Ahmed Ouyahya, qui avait mené l'ajustement structurel
d'une poigne de fer, au-delà même des exigences du FMI, a présenté sa démission.
Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, lui a succédé au poste de Premier
ministre en reconduisant la même équipe gouvernementale.
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Or la « normalisation » engagée par A. Bouteflika était une tentative de substituer à la
terreur et au crime des procédures et moyens institutionnels, mais elle ne visait pas à
rétablir les libertés. Au contraire, elle s'est accompagnée d’un durcissement. Cela a
commencé dès juin 2004 par un bras de fer avec la presse écrite (arrestations de
journalistes, harcèlement judiciaire, fermeture de journaux) dans un contexte où l’opinion
était peu mobilisée pour des journaux largement discrédités. Ce qui apparaissait comme
un règlement de comptes entre A. Bouteflika et des journalistes qui, obéissant à un clan de
l’armée et se croyant ainsi protégés, l’avaient violemment attaqué lors de la campagne
électorale de 2004 sonnait aussi comme un avertissement à l’ensemble des médias et, au-
delà, aux militants des droits humains, syndicalistes, opposants politiques. L'attitude du
gouvernement s’est durcie à l’égard des syndicats autonomes qui contestaient le maintien
par le gouvernement de l’ancienne centrale unique UGTA (Union générale des travailleurs
algériens) comme seul interlocuteur (principal motif des grèves, par exemple dans le
secteur de la santé). En contrepartie, l’UGTA a accepté de suspendre son opposition
systématique aux privatisations pour permettre le vote à l’Assemblée, le 20 mars 2005,
dans l’urgence et la confusion, de la loi sur les hydrocarbures, après la ratification et avant
la mise en application de l’accord d’association avec l’Union européenne (UE), qui
contenait des dispositions sur l’énergie liées à cette loi. N’obtenant pas la même docilité
des conservateurs (présents au gouvernement et à l’Assemblée) qui réclamaient un
référendum sur le projet de loi modifiant les dispositions les plus discriminatoires du code
de la famille et de la nationalité à l’égard des femmes, le président a fini par légiférer par
ordonnance le 27 février.
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En Kabylie, à la suite d’un accord passé le 15 janvier entre le Premier ministre et les
« dialoguistes » des arouch (assemblées « traditionnelles ») pour l’application de la plate-
forme d’El-Kseur (revendications du mouvement des arouch, 11 juin 2002), les autorités,
violant la Constitution et creusant le fossé entre la société et l’État, décidaient de dissoudre
les assemblées locales (« conseils municipaux »).
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En 2004, l'Algérie a reçu pour 5,857 milliards d'euros d'investissements directs étrangers
(2,519 milliards en 2003). En juillet 2004, les ministres algérien et français de l'Économie
signaient un « aide-mémoire sur le partenariat pour la croissance et le développement »
prévoyant un engagement de la France de 2 milliards d'euros, ainsi que la conversion à
hauteur de 10 % de la dette (288 millions d'euros) en investissements, en contrepartie
d'une place privilégiée accordée aux entreprises françaises sur le marché algérien. Cet
accord s'inscrivait dans le cadre du « partenariat d'exception » – comportant d'autres
volets, notamment politique et sécuritaire – engagé en mars 2003 (Déclaration d'Alger).
Mais, tandis qu'en France une loi du 23 février 2005 reconnaissait l'« œuvre positive » de
la présence française en Algérie, le président Bouteflika lançait en mai une polémique sur
les crimes coloniaux de cette période (1830-1962), soutenu par des associations
algériennes qui exigeaient que la signature du « traité d'amitié » entre les deux pays soit
soumise à un acte de repentance de la part de la France. Cette remise en cause tardive de la
loi d'amnistie de 1962, qui avait protégé jusque-là les Français coupables de crimes en
Algérie, n'était pas étrangère au fait qu'une autre loi d'amnistie très controversée était en
passe d'être votée en Algérie.
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L’armée avait annoncé qu’elle ne pèserait pas dans l’élection présidentielle du 8 avril 2004.
La fraude massive fut évitée (suppression du vote des corps constitués dans les casernes ;
réduction des bureaux itinérants et la présence d’observateurs internationaux conféra une
crédibilité externe à l’élection. Mais Abdelaziz Bouteflika a-t-il été correctement réélu ? Il
semblerait que, au sommet de l’armée, ceux qui voulaient le remplacer par une
personnalité plus prévisible, menant depuis plusieurs mois une lutte farouche pour le
priver des instruments de campagne électorale (administration, médias, lobbies...), aient
dû abandonner leur dessein. Des impératifs externes (dont la perspective d’entrer à
l’OTAN – Organisation du traité de l’Atlantique nord) les auraient forcés à abandonner
cette stratégie au profit de la stabilité et la crédibilité qu’exigeaient leurs partenaires
occidentaux, et à renoncer à orchestrer la campagne virulente contre A. Bouteflika menée
par une partie du sérail politique et de sa presse privée. L’armée n’aura pourtant pas pris
de risque, l’édifice institutionnel mis en place depuis 1995 écartant toute possibilité que
son pouvoir soit menacé par les urnes. Son souci était d’éviter que se renouvelle le scénario
de 1999 (son candidat s’était retrouvé sans concurrent, les six autres s’étant retirés de la
compétition pour protester contre la fraude et l’absence de transparence du scrutin). Si
certains candidats, dont Ali Benflis (premier secrétaire du Front de libération nationale
– FLN, ancien parti unique), rejoignirent le «groupe des onze» personnalités de bords
différents exigeant des garanties contre la fraude, et dont plusieurs se retirèrent finalement
de la course, les autres crurent jusqu’au bout à un second tour et envisagèrent même un
report des voix en faveur de A. Benflis. Mais cette fois encore, il n’y eut pas de réelle
compétition et le duel Bouteflika/Benflis fut un leurre. Fort de son monopole sur
l’administration et les médias publics et renforcé par le vide créé par le «retrait» de
l’armée, A. Bouteflika récolta officiellement 84,99 % des voix et A. Benflis 6,42 %.
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L’absence de lisibilité de ces stratégies joua en faveur du président sortant, perçu comme
celui qui, faute d’avoir apporté un réel changement face au drame déclenché par
l’annulation des législatives de 1992 qui avait débouché sur des affrontements armés, avait
permis un certain apaisement. C’est dans les zones les plus touchées par les violences des
années 1992-1997 qu’il obtint ses meilleurs scores. Les fortes présomptions pesant sur la
haute hiérarchie militaire quant à sa responsabilité dans les crimes contre l’humanité
perpétrés durant cette période ne furent pas étrangères au «retrait» de l’armée.
A. Bouteflika n’avait pas de responsabilité à cette époque mais, devenu président, il
protégeait les militaires qui l’avaient hissé au pouvoir, alors que des plaintes avaient été
déposées contre eux à l’étranger et que des enquêtes étaient en cours. Des témoignages
d’ex-agents des services spéciaux cités à l’appui d’une plainte déposée à Paris, en décembre
2003, pour enlèvement, séquestration et assassinat de sept moines français à Tibéhirine
(dans la Mitidja) en 1996, révélaient le degré de manipulation des GIA (groupes islamiques
armés) par les services de sécurité. Un mécanisme ad hoc fut installé pour régler le dossier
des 7 000 disparus, mais il ne prévoyait pas la recherche des auteurs de ces crimes pour les
traduire en justice.
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Afin de normaliser ses relations avec le reste du monde, l'Algérie a en 2002-2003 multiplié
ses engagements internationaux : partenariat avec l'Union européenne (UE), négociation
en vue de l'adhésion à l'OMC (Organisation mondiale du commerce), statut vis-à-vis de
l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord), coopération avec l'AELE (Association
européenne de libre-échange), présence au «sommet» du G-8 à Évian (1er-3 juin 2003).
Appuyé par une coûteuse politique de prestige («l'Année de l'Algérie en France» aurait
coûté 26 millions € à l'Algérie), ce retour de visibilité sur la scène internationale, après plus
de dix ans d'une guerre civile meurtrière provoquée par le coup d'État militaire de janvier
1992 qui interrompit le processus de transition démocratique engagé fin 1988, visait
d'abord un objectif politique (compenser le déficit de légitimité du pouvoir militaire), puis
économique (faire baisser le «risque Algérie» qui décourage investisseurs et touristes). Ces
engagements ont des implications juridiques et législatives impératives pour l'Algérie. Ses
partenaires occidentaux savent qu'elle n'est pas prête pour les réformes qu'ils lui
demandent de réaliser, mais cela leur permet d'exercer une pression permanente, sans
aller toutefois jusqu'à déstabiliser un régime qu'ils considèrent comme leur allié. En
réaction, le pouvoir, humilié par le dernier programme d'ajustement structurel négocié
avec le FMI (1994-1998), a accumulé des réserves de change (23 milliards de dollars fin
2002) et accéléré le remboursement de sa dette (20 milliards de dollars, soit 12 de moins
qu'en 1996), tout en maintenant un contrôle des changes qui bloque la modernisation du
système bancaire, sans toutefois empêcher la fuite des capitaux (on évalue les avoirs
algériens à l'étranger entre 30 et 40 milliards). Sans investissements créateurs d'emplois et
avec un taux de chômage dépassant 30 %, de larges pans de la population ne survivent que
grâce à la vitalité du secteur informel (de 22 % à 27 % du PIB), tandis que certains
s'enrichissent sans limite en échappant au fisc et à la réglementation, ce désordre
favorisant la précarité et les écarts de revenu (un quart de la population vit dans la
pauvreté et 5,7 % dans la misère, avec moins de 30 dinars par personne et par jour). Cette
stratégie, qui sacrifie la relance (à laquelle un plan de 525 milliards de dollars a été dédié
pour 2001-2004) à la sécurité financière, profite des bons résultats macroéconomiques dus
surtout aux recettes pétrolières (croissance de 3,1 % du PIB et de 30 % du commerce
extérieur, excédent budgétaire de 1,6 % du PIB, inflation de 1,4 %).
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Avec 3,7 milliards € d'importations, l'Algérie est le premier client hors OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques) de la France. Début
mars, alors que la guerre contre l'Irak était imminente, la première visite d'État d'un
président français (Jacques Chirac) en Algérie depuis l'indépendance s'interprétait comme
un signal fort de retour de la confiance dans les rapports bilatéraux. Mais, alors que les
scandales touchant le groupe privé Khalifa affaiblissaient la crédibilité des institutions
financières depuis peu ouvertes au privé (la banqueroute de Khalifa Bank a grevé le Trésor
algérien de 1,2 milliard de dollars, dont 25 millions € à rembourser aux compagnies
françaises), le mystérieux enlèvement de trente et un touristes européens dans le Grand
Sud ajoutait au climat d'incertitude.
58
C'est que, à l'approche de l'élection présidentielle d'avril 2004, la pression des «décideurs»
militaires s'était intensifiée. Tout en affirmant que cette fois ils n'interviendraient pas dans
le choix du président, ils s'employaient déjà à s'assurer le contrôle des candidats potentiels
et à neutraliser ceux qui tentaient de leur échapper, à commencer par le président
Abdelaziz Bouteflika.
59
Une âpre bataille a été menée pour le contrôle du FLN (Front de libération nationale),
devenu un enjeu depuis qu'il a obtenu la majorité à l'Assemblée et dans les communes. Elle
s'est poursuivie après que l'ancien parti unique a reconduit A. Benflis à sa tête lors de son
VIIIe congrès en mars 2003. L'opacité, la propension à fomenter des conflits et à alimenter
des foyers de tension sont restées le mode de fonctionnement d'un régime qui ne peut se
maintenir que grâce à la situation d'exception, tout retour à la normale (à commencer par
la suspension de l'état d'urgence instauré en 1992) apparaissant comme une menace pour
lui. Ainsi en a-t-il été en Kabylie (122 tués et près de 5 000 blessés entre 2001 et 2003, des
milliers d'exilés, en particulier parmi la jeunesse) où les élections locales d'octobre 2002 se
sont déroulées sur fond d'émeute et de boycottage. En juin, alors que le mouvement
s'essoufflait, le nouveau gouvernement joua l'apaisement en accordant la liberté provisoire
à Belaïd Abrika et ses camarades délégués des a'rouch (assemblées locales traditionnelles
kabyles) emprisonnés depuis quelques mois. Le 2 juillet, Ali Benhadj, qui avait, avec Abassi
Madani, autre dirigeant historique du FIS (Front islamique du salut), été condamné en
1991 à douze ans de détention pour «atteinte à la sûreté de l'État», est sorti de prison. Dans
l'ensemble du pays, la violence politique, qui a continué à faire en moyenne 125 morts par
mois, surtout civils, a enregistré une inquiétante recrudescence en juin. Pour se
débarrasser du dossier des disparus (plus de 7 000 cas recensés en dix ans), le
gouvernement a proposé des indemnisations aux familles qui réclamaient la vérité et la
justice. Malgré l'impunité et les violations persistantes des droits humains (pratique
systématique de la torture ; harcèlement et poursuites judiciaires ciblant les défenseurs des
droits humains), la communauté internationale, et notamment l'UE (dont la politique à
l'égard de l'Algérie est restée directement influencée par la France) et les États-Unis, a mis
ses critiques en sourdine, lutte «antiterroriste» oblige.
60
Le 21 mai, un violent séisme de plus de 6,5 sur l'échelle de Richter touchait la région est
d'Alger (Zemmouri, Boumerdès), l'une des plus peuplées du pays, faisant plus de
2 200 morts, 10 000 blessés et de très nombreux disparus, et des dégâts matériels
considérables, amplifiés par la mauvaise qualité des nouvelles constructions et l'état de
vétusté des anciennes. Les autorités, dépassées par les événements, furent sévèrement
accusées d'irresponsabilité par la population, tandis qu'un vaste mouvement de solidarité
s'organisait à l'échelle locale, nationale et internationale.
61
Fatiha Talahite
62
63
En novembre 2001, lors de très graves inondations à Alger (733 morts, 170 disparus, des
milliers de familles sinistrées, des dizaines de maisons démolies, près de 1,2 milliard de
dinars de dégâts), les autorités ont ainsi été mises en cause pour avoir bouché des voies
d'évacuation lors d'une opération antiterroriste. En Kabylie, où les émeutes n'ont pas cessé
après les événements du printemps 2001 qui avaient fait officiellement 267 blessés dont 50
mortellement (à la suite de l'assassinat d'un lycéen dans une gendarmerie). Malgré un
amendement de la Constitution reconnaissant tamazight (la langue berbère) comme
langue nationale, le boycottage des élections législatives (30 mai 2002) par
les arouch (assemblées traditionnelles) et les partis politiques (RCD [Rassemblement pour
la culture et la démocratie] et FFS, dont les élus refusèrent d'organiser le scrutin) a été
suivi à près de 100 %. Ces élections ont dans l'ensemble permis d'écarter l'ancienne
coalition au pouvoir au profit de nouvelles clientèles moins compromises dans la politique
d'éradication des islamistes, et remis l'ex-parti unique FLN à l'honneur (35,52 % des voix),
dans une Assemblée ternie par un déficit de légitimité et comptant des islamistes
«modérés». Les conflits au sein du sérail n'ont pas pour autant cessé, les majors de
l'armée, qui dissimulent leur pouvoir derrière celui, formel, d'un chef de l'État choisi parmi
les civils (Abdelaziz Bouteflika), n'entendant pas laisser celui-ci engranger les dividendes
d'un règlement du conflit ni lui reconnaître la moindre marge de manœuvre pour
gouverner.
64
Dans ce contexte, l'Algérie et l'Union européenne (UE, avec laquelle elle effectue 63 % de
ses exportations et 57 % de ses importations) ont conclu un accord d'association devant
déboucher sur une zone de libre-échange, malgré la protestation des organisations de
défense des droits de l'homme, de partis politiques, des syndicats et du patronat (qui a
demandé une réouverture des négociations avant ratification). Voulant surtout acquérir
ainsi une crédibilité, les autorités, qui n'ont pas obtenu d'atténuation des modalités de
«déprotection» industrielle, se sont rabattues sur une clause antiterrorisme acquise
d'avance. L'Algérie s'est engagée à poursuivre des réformes (bancaire, fiscale, sur les droits
de propriété) et des privatisations qu'elle n'avait pu mener lors du rééchelonnement de sa
dette (1994-1998). Elle engrangeait alors de bons résultats macroéconomiques en
contrepartie d'une austérité draconienne imposée à la population, tandis que le climat de
terreur empêchait les revendications sociales de s'exprimer.
65
L'augmentation de la pauvreté, surtout dans les villes où vit 60 % de la population ; un
taux de chômage dépassant 27 %, soit 2,3 millions de personnes, dont 70,7 % de moins de
trente ans ; la pénurie de logements ; les difficultés croissantes d'approvisionnement en
eau, cause d'émeutes quasi quotidiennes, et le retour de maladies comme la typhoïde ou la
méningite ont provoqué une reprise des mouvements de revendication risquant de
compromettre les résultats de la stabilisation macroéconomique (une augmentation des
salaires et pensions a fait passer le taux d'inflation de 0,3 % à 4,1 %). Malgré une hausse
des recettes tirées des hydrocarbures et de l'agriculture, la croissance est restée insuffisante
en 2001, surtout dans l'industrie. Le déclin du secteur public (production en baisse de
0,7 %, effectifs de 2,5 %, investissements publics inférieurs à 6 % du produit intérieur brut)
n'apparaît pas compensé par le développement du secteur privé (celui-ci ne crée que 700
emplois pour 1 000 détruits dans le secteur public). Certes, la majorité soutenant le
gouvernement à l'Assemblée devait permettre à ce dernier de faire passer des lois urgentes
jusqu'alors bloquées. Cela concernait le secteur des hydrocarbures, avec la priorité donnée
à la valorisation de la ressource énergétique par l'attrait des entreprises étrangères les plus
compétitives - au détriment d'une compagnie nationale (Sonatrach) perdant tout privilège
par rapport à ses concurrents -, la privatisation en moins de deux ans de l'essentiel des 700
entreprises publiques - y compris les plus performantes -, ainsi que les engagements liés à
l'accord d'association avec l'UE et à l'adhésion à l'OMC (Organisation mondiale du
commerce) où l'Algérie a déposé sa candidature le 15 janvier 2002. Ces mutations devaient
largement modifier la configuration des institutions et du droit interne algériens dans les
années futures.
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Fatiha Talahite
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En entamant son mandat, le 15 avril 1999, le président Abdelaziz Bouteflika avait suscité
l'espoir d'une partie de ses concitoyens qui voyaient en lui sinon l'homme "providentiel",
du moins une personnalité capable de jeter les bases d'un retour à la paix civile et
d'engager des réformes tous azimuts pour sortir la société de la profonde crise la frappant
depuis une décennie. Deux ans après son élection, la majorité des Algériens avaient perdu
leurs illusions. Par ailleurs, les émeutes en Kabylie et les imposants défilés de protestation
à Alger et Tizi Ouzou, déclenchés par l'assassinat d'un jeune, Massinissa Guermah, le 18
avril 2001 dans la gendarmerie de Béni Douala, et qui ont fait officiellement entre 60 et 80
morts et occasionné d'importants dégâts matériels, ont constitué la plus grave crise qu'a eu
à affronter le président algérien depuis son arrivée au pouvoir.
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71
La politique de "concorde civile", dont la pierre d'angle était une amnistie des militants
islamistes "n'ayant pas participé à des crimes de sang" et qui était destinée à restaurer
l'unité sociale (elle fut approuvée massivement par référendum en septembre 1999), est
apparue pour beaucoup comme un échec personnel de l'homme d'État. Pour tenter de
relancer la dynamique de réconciliation après une décennie de guerre larvée, ce dernier a
proposé, en février 2001, de passer à la "concorde nationale". Un concept flou visant à
ratisser large mais ne contentant personne (pas plus les islamistes que les laïco-
républicains) et semant le doute au sein même de la coalition gouvernementale. Du reste,
si les grandes villes semblaient épargnées, la violence (attentats des groupes armés et
opérations militaires), dont la presse locale se faisait quotidiennement l'écho, a continué à
frapper l'intérieur du pays.
72
Cette violence attestait que la nouvelle "guerre d'Algérie" n'était pas encore terminée. Le 4
mars 2001, l'assassinat d'une Française dans la petite ville de Koléa (30 km à l'ouest
d'Alger) a porté à cinq le nombre d'étrangers tués en Algérie depuis le début de l'année. Les
derniers assassinats d'étrangers remontaient à 1996. Plus de 120 d'entre eux ont été tués
depuis 1993, dont une quarantaine de Français, des Croates, des Italiens et des Russes.
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Cette mise en cause des militaires a connu un développement en France même : l'ancien
ministre de la Défense Khaled Nezzar, venu à Paris présenter son livre de Mémoires, a dû
écourter précipitamment son séjour, une plainte "pour torture", déposée contre lui par un
compatriote ayant été déclarée recevable par la justice française. Plusieurs intellectuels ont
réclamé, dans la foulée, la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale sur les
atteintes aux droits de l'homme en Algérie.
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Pourtant, grâce à des recettes d'hydrocarbures dopées par la flambée des cours, l'Algérie
disposait en 2000 d'un excédent budgétaire de quelque 18,5 milliards de francs, une
cagnotte permettant d'élargir la marge de manœuvre gouvernementale.
77
Sur le plan politique, l'héritage du passé était tout aussi paralysant. A. Bouteflika était
d'ailleurs soupçonné, pour conforter son pouvoir personnel, de vouloir réhabiliter le
système FLN (Front de libération nationale) dont les vieux barons sont revenus en force
dans les institutions. Ainsi Mohamed-Chérif Messaadia (77 ans), ancien secrétaire général
du FLN chassé par les émeutes d'octobre 1988 (qui virent des dizaines de milliers de
jeunes Algérois descendre dans la rue pour exprimer leur lassitude face au système de parti
unique), a été imposé, le 12 avril 2001, à la tête du Sénat où il a remplacé Bachir Boumaza
(74 ans), ancien chef historique du FLN, en opposition depuis plusieurs semaines avec le
chef de l'État sur le fonctionnement de la Chambre haute.
78
Ses incessants voyages à l'étranger attestent que le président algérien a surtout voulu, pour
la première partie de son mandat, restaurer l'image de l'Algérie sur la scène internationale.
Début avril 2001, il s'est ainsi rendu à Moscou à l'issue d'une visite en Allemagne. La
Russie et l'Algérie ont signé en novembre 2000 un accord de coopération bilatérale en
matière de défense. Moscou devrait livrer prochainement à Alger trois bombardiers SU-24
modernisés, sur 22 commandés pour un montant de 120 millions de dollars.
79
Les séjours à Alger de plusieurs ministres français, Daniel Vaillant (Intérieur), Hubert
Védrine (Affaires étrangères), Michelle Demessine (Tourisme), ainsi que de nombreux
parlementaires ont souligné que les deux capitales "veulent agir concrètement" pour
traduire l'amélioration des relations entre les deux pays. Mais bien plus que les éventuelles
retombées politiques ou économiques de ce réchauffement, la population attendait qu'il se
traduise par une plus souple attribution des visas. En 2000, quelque 180 000 visas ont été
accordés contre moins de 50 000 en 1997. Mais à la fin des années 1980, près de 800 000
visas par an étaient délivrés à des Algériens.
80
Ali Habib
Bilan 2001 - Les limites de la politique de "concorde civile"
81
L'"effet Bouteflika" n'aura pas vraiment eu les résultats escomptés, ni pour l'homme
politique lui-même - élu à la magistrature suprême le 15 avril 1999, à l'issue d'un scrutin
contesté par ses six adversaires qui s'étaient retirés à la veille du vote "pour dénoncer les
fraudes" -, ni pour la société - avide avant tout de paix et d'une amélioration de ses
conditions de vie tant sur le plan social qu'économique. Un an après son élection à la
présidence algérienne, Abdelaziz Bouteflika était toujours confronté aux violences des
groupes islamistes armés radicaux refusant sa politique de réconciliation nationale, et
aucune réforme n'avait été engagée pour remettre à flots une économie délabrée par un
passage brutal au libéralisme imposé par le FMI et par une décennie de guerre civile
larvée. Son arrivée à la tête de l'État avait pourtant soulevé des espoirs au sein de la
population, dont une partie voyait en lui l'homme capable de mettre fin aux tueries et aux
attentats qui, de sources officielles, ont provoqué la mort de plus de 100 000 personnes,
fait un million de victimes et causé quelque 20 milliards de dollars de dégâts depuis 1992.
82
Soutenu par le sérail restreint des "décideurs" militaires, le cinquième président élu de
l'Algérie post-indépendance s'est d'emblée attaché à restaurer l'unité sociale du pays en
promouvant une politique de "concorde civile" et en donnant une "légalité" à des accords
qui auraient été conclus, avant son élection, entre la hiérarchie de l'Armée nationale du
peuple (ANP) et les islamistes armés (AIS - Armée islamique du salut -, branche armée du
Front islamique du salut - FIS dissous).
83
Le 6 juin 1999, l'AIS, en trêve unilatérale depuis octobre 1997, a annoncé par la voix de son
chef, Madani Merzrag, qu'elle déposait les armes, se plaçait sous l'autorité de l'État et
appelait à l'arrêt des violences. Il était relayé, six jours plus tard, par le chef historique du
FIS, cheikh Abassi Madani, donnant ainsi à la décision de l'AIS la caution politique du
parti islamiste. Le 8 juillet, la loi sur la "concorde civile" était adoptée à une très forte
majorité par le Parlement. Elle a été massivement approuvée (98,63 %) lors du référendum
du 16 septembre suivant, qui a pris l'allure d'un "plébiscite" pour le président de la
République. Cette loi, appliquée du 13 juillet 1999 au 13 janvier 2000, prévoyait une
amnistie partielle ou totale des islamistes armés non coupables de crimes de sang et de
viols et n'ayant pas déposé de bombes dans les lieux publics.
84
Quelque 1 800 islamistes armés ont bénéficié de cette amnistie, qui a été suivie d'une
autre, s'appliquant à près de 2 500 combattants de l'AIS. Par ailleurs, comme gage de sa
bonne volonté et malgré les réticences de partis et d'associations s'inscrivant dans la
mouvance laïco-républicaine, le président Bouteflika avait fait procéder à la libération de
plus de 10 000 sympathisants - ou considérés comme tels - des islamistes armés,
croupissant dans les prisons surpeuplées, à la suite de procès bâclés.
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Tous ces gestes n'ont pas abouti à un vrai retour de la sécurité. Le pays est demeuré en
proie à des assassinats et à des tueries, bien que la violence ait notablement baissé et que
les grandes villes soient apparues désormais épargnées. Ces violences ont été attribuées
par la presse algérienne aux Groupes islamistes armés (GIA) d'Antar Zouabri et aux
Groupes salafistes pour la prédication et le combat (GSPC) de Hassan Hattab. Depuis la fin
du calendrier d'application de la loi sur la "concorde civile", le 13 janvier 2000, et selon un
décompte établi par les médias locaux, ces groupes auraient assassiné plus de 500 civils et
militaires.
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Les difficultés de la vie quotidienne, à l'origine des succès de l'islamisme politique du début
des années quatre-vingt-dix, se sont aggravées, réduisant d'autant les chances d'un
règlement durable de la crise algérienne. Selon l'Office national des statistiques (ONS), 14
millions d'Algériens vivent en dessous du seuil de pauvreté. En dépit des appels directs du
président, les investisseurs étrangers, et en particulier français, ont continué de se montrer
réticents. Premier fournisseur et troisième client de l'Algérie, la France a affiché en 1999
un excédent commercial d'environ 6,5 millards FF. Pourtant, les tumultueuses relations
entre Paris et Alger - après une brève période de refroidissement au lendemain de
l'élection présidentielle du 15 avril 1999 et des mois de tergiversations entre les deux
capitales - ont connu une embellie concrétisée par la visite d'État du président algérien en
France du 14 au 17 juin 2000. Qualifiant son voyage de "politique", A. Bouteflika a assuré
qu'il repartait "confiant mais les mains vides". Il a cependant obtenu de la France un petit
coup de pouce économique, sous la forme de la conversion en investissements d'une partie
de la dette extérieure algérienne et de facilités de séjours de ses compatriotes.
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Ali Habib
90
Les Algériens, traumatisés par sept années de violences et désenchantés par la corruption
et une crise économique aiguë qui frappe des pans entiers de la société, ont été une
nouvelle fois appelés à se rendre aux urnes pour une présidentielle qui s'est transformée en
vote pluraliste pour un candidat unique. Soutenu par les partis gouvernementaux et par la
majorité des décideurs militaires, Abdelaziz Bouteflika (61 ans), ancien ministre des
Affaires étrangères (1965-1978) de Houari Boumediène, est donc devenu, le 15 avril 1999, à
l'issue d'un scrutin marqué par le retrait spectaculaire des six autres candidats en raison
"des fraudes massives" lors des premiers votes au Sahara et dans les casernes et une
participation électorale "réelle" plus que médiocre, le cinquième président élu post-
indépendance après Ahmed Ben Bella, Houari Boumediène, Chadli Bendjedid et Liamine
Zéroual.
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La gestion très musclée de la lutte anti-terroriste a porté ses fruits même si les attentats et
actes de violence isolés ont perduré, ensanglantant les campagnes profondes. Le régime
semblait donc avoir gagné la partie sur le plan militaire mais montrait des signes évidents
d'usure sur le plan politique. Préparer et enclencher la réconciliation nationale, passage
obligé pour tenter de juguler la crise économique, a en effet attisé les divergences entre les
différents clans de l'armée. Par ailleurs, l'islamisme politique, s'il a perdu de sa pugnacité,
est resté prégnant dans la masse des laissés-pour-compte, continuant à représenter l'un
des enjeux d'un retour à la paix ardemment désiré par la majorité d'une population n'en
pouvant plus des violences, de l'effondrement du pouvoir d'achat et de la détérioration des
prestations des services publics.
93
Le 15 décembre 1998, le chef de l'État avait chargé un technocrate de 68 ans, bien au fait
des affaires du sérail, Smaïl Hamdani, de succéder au Premier ministre Ahmed Ouyahia
pour préparer l'élection présidentielle, laquelle à bien des égards aura été édifiante. Bien
que s'étant engagés à une neutralité absolue, les "décideurs" militaires - dont les divisions
pouvaient être un gage d'élections véritablement pluralistes - n'ont finalement pas voulu
ou pu mettre en application leurs assurances de vote démocratique et ont fait resurgir les
vieux démons de l'ancien système du parti unique (le Front de libération nationale, FLN).
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Sept candidats, pour la plupart anciens barons du FLN, avaient été retenus par le Conseil
constitutionnel pour briguer les suffrages de 17,5 millions d'électeurs: Abdelaziz
Bouteflika, Hocine Aït-Ahmed, leader du Front des forces socialistes (FFS), Ahmed Taleb-
Ibrahimi, ancien ministre sous les présidences de Boumediène et de Chadli, Mouloud
Hamrouche, ancien Premier ministre de Chadli au lendemain des émeutes d'octobre 1988
et artisan des réformes économiques et institutionnelles, Mokdad Sifi, ancien Premier
ministre du président Zéroual, Abdallah Djaballah, fondateur du parti islamiste légal
Ennahda, puis de son avatar le Mouvement de la réforme nationale, et enfin Youssef el-
Khatib, ancien colonel de la guerre d'indépendance.
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Fait nouveau, l'ex-Front islamique du salut (FIS) avait appelé à participer au scrutin "pour
le candidat le plus à même de ramener la concorde nationale", avant d'indiquer finalement
que son candidat était le Dr Taleb-Ibrahimi, fils d'un ancien dirigeant des Oulémas
algériens (creuset de formation d'une partie des nationalistes algériens).
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Crise économique et retour à la paix ont été les thèmes dominants d'une campagne
électorale menée tambour battant dans les grandes villes du pays par les différents
candidats qui n'ont cessé de donner des gages à l'électorat islamiste.
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A la veille du vote, six des sept candidats en lice ont annoncé leur retrait, invoquant
l'existence de fraudes massives dans les premières opérations de vote et le "favoritisme"
gouvernemental au crédit d'A. Bouteflika. Ce coup de théâtre a plongé le pays dans une
crise politique aussi brève qu'intense et - l'élection ayant été maintenue par Liamine
Zéroual à l'échéance prévue - a privé ce dernier de la sortie "honorable" qu'il recherchait et
son successeur, devenu malgré lui candidat unique, de la légitimité qu'il était en droit
d'attendre d'un vote pluraliste et transparent.
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Selon les chiffres officiels, Abdelaziz Bouteflika a remporté l'élection présidentielle dès le
premier tour de scrutin avec 73,79 % des suffrages exprimés. La participation aurait été de
60,25 %, soit quelque 8,9 millions d'électeurs. Pour l'opposition, ces chiffres ont été
manipulés.
99
Le nouveau président algérien allait avoir besoin de toute son habileté pour résoudre sans
heurt la quadrature du cercle: ramener une paix effective en jetant les bases de la
réconciliation nationale et atténuer autant que faire se peut les effets de la crise
économique et sociale... Mais comme un scénario réglé d'avance, à peine deux mois après
la présidentielle, une succession d'événements ont attesté d'un déblocage de la situation
politique: le 6 juin, l'Armée islamique du salut (AIS), en trêve unilatérale depuis le
1er octobre 1997, décrétait qu'elle déposait les armes; prenant acte de cette "reddition" et
chassant sur les terres des partis d'opposition qui avaient soutenu en 1996 la plate-forme
de Sant'Egidio, A. Bouteflika annonçait peu de temps après le dépôt d'une loi "sur la
concorde civile" soumise à référendum après l'aval du Parlement, et une amnistie pour les
militants islamistes "n'ayant pas participé à des crimes de sang". Parallèlement, le nouveau
chef de l'État multipliait les ouvertures tous azimuts vers l'extérieur pour bien montrer
qu'une page sombre de l'histoire du pays était tournée. Le 35e sommet de l'OUA, tenu dans
la capitale algérienne du 12 au 14 juillet 1999, en présence d'une quarantaine de chefs
d'État, devait témoigner de cette volonté de reprise en main, également, du dossier
diplomatique pour tenter de redonner un rôle international à l'Algérie. En ce qui concerne
le volet économique, Abdelaziz Bouteflika, qui avait déjà fustigé "l'économie de bazar"
caractérisant son pays, est resté dans les généralités. Il est vrai que le bilan est lourd.
Quatorze millions d'Algériens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit près de la moitié
de la population, estimée à quelque 30 millions d'habitants dont 11 millions d'analphabètes
(selon l'UNESCO). Le chômage affecte 29 % de la population active. La privatisation de
secteurs entiers de l'appareil économico-industriel a entraîné, en trois ans, le licenciement
de près de 400 000 personnes.
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Ali Habib
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" Anni Horribili " pour la population algérienne. En effet, si les " décideurs " politico-
militaires algériens ont parachevé, comme ils l'avaient promis, le nouvel édifice
institutionnel du pays avec les élections à la proportionnelle des conseils des communes et
des willayat (départements) (octobre 1997) et surtout, au suffrage indirect, du Conseil de
la Nation, la chambre haute du Parlement (décembre 1997), ils n'auront guère réussi à
véritablement maîtriser le dossier sécuritaire qui aura été caractérisé par d'effroyables
massacres de civils.
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Par ailleurs, l'Armée islamique du salut (AIS), branche militaire du Front islamique du
salut (FIS), au terme, selon elle, de pourparlers secrets avec des émissaires de l'armée, a
décidé en octobre 1997 d'une trêve unilatérale dont la poursuite était conditionnée à
l'engagement d'un dialogue politique pour trouver une solution à la crise. Les militaires ont
opposé une fin de non-recevoir, estimant que la trêve était en fait une " reddition " pure et
simple.
104
Si à Alger, malgré des attentats sporadiques, la tension est nettement retombée dans la
plupart des quartiers, plusieurs régions ont été marquées par des tueries en série, jetant
l'effroi au sein de la population et suscitant une onde de choc à l'étranger. Raïs, Bentalha,
Béni-Messous, aux portes de la capitale, sont devenus les symboles d'une escalade sans
précédent dans l'horreur. Dans ces villages martyrs, au début de l'automne 1997, des
groupes armés ont massacré plus de 500 personnes en l'espace de trois nuits.
Méthodiquement, les assaillants ont mutilé, décapité, égorgé ou brûlé vifs hommes,
femmes, enfants, vieillards.
Macabres scénarios
105
L'Algérois est resté, durant tout l'été, le théâtre de cette violence ciblée dont l'épicentre
s'est, cependant, déplacé à la fin de l'année et au début de 1998, en plein mois de ramadan,
dans l'ouest du pays. Des massacres ont ainsi été perpétrés dans des villages isolés aux
alentours de Relizane, Mascara, Tlemcen, Sidi-Bel-Abbès, Saïda. Selon des bilans partiels
ils auraient fait quelque 428 morts. Avec ces nouveaux massacres, la presse algérienne
privée estimait à plus d'un millier le nombre de personnes tuées au cours des six premiers
jours du jeûne coranique, puisque l'attaque (janvier 1998) du village de Sidi Hammed,
dans l'Algérois, aurait dépassé de loin, selon des estimations non vérifiables, le bilan
officiel de 139 morts.
106
Les tueries se sont déroulées selon un macabre scénario : les " tueurs " connaissent
parfaitement les lieux ; venus de plusieurs directions, ils encerclent le village - en général
une localité abritant une population déshéritée - ; ils coupent l'électricité puis commencent
leur sinistre besogne. Leurs victimes sont en majorité des femmes et des enfants. Les
autorités et la presse affirment que le Groupe islamique armé (GIA), affaibli par les
opérations de grande envergure de l'armée et la multiplication des groupes de légitime
défense (GLD) dans les villages, étant aux abois, s'est dès lors engagé dans une logique de
représailles contre les civils " qui les rejettent ". Enfin, toujours selon les mêmes sources,
certaines tueries pourraient être liées à des rivalités entre groupes islamistes armés rivaux.
107
La multiplicité et la barbarie de ces massacres, comme les conditions dans lesquelles ils se
sont déroulés - parfois non loin de casernes, les forces de sécurité ne se rendant sur les
lieux que plusieurs heures après la tuerie - ont certes terrorisé la population, mais elles ont
également suscité de nombreuses interrogations. Plusieurs partis ont accusé de " passivité
" l'armée qui, sortant de son mutisme, a expliqué que certains massacres avaient été
rendus possibles par des défauts d'" alerte ", tout en soulignant la difficulté de la lutte
antiterroriste. " Nous ne pouvons mettre un soldat devant chaque citoyen " a plaidé un
général...
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Le 25 juin 1998, l'assassinat du chanteur engagé kabyle Lounes Matoub par des islamistes
présumés, non loin de Tizi-Ouzou, a soulevé une intense émotion en Kabylie où se sont
déroulées de violentes manifestations populaires.
Interpellations étrangères
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110
Les autorités ont toutefois permis, fin juillet et pour une douzaine de jours, à une mission
de l'ONU dirigée par l'ancien président portugais Mario Soares, de venir " s'informer " sur
place de la situation auprès des différents acteurs du monde politique et de la société civile.
111
Sur le plan politique, le pouvoir a mené à son terme le programme constitutionnel qu'il
avait engagé avec l'élection présidentielle de novembre 1995. Les élections législatives et
locales ont confirmé par ailleurs l'émergence d'un puissant pôle " islamo-conservateur ",
dominé par le parti du président Liamine Zéroual, le Rassemblement national
démocratique (RND), qui a largement remporté ces scrutins, entachés de fraudes selon
l'opposition. Le parti présidentiel a également " raflé " la mise au Conseil de la Nation qui
doit avoir un rôle prépondérant dans l'élaboration des lois. A l'issue d'une élection par un
collège électoral formé d'élus départementaux et municipaux, il s'est vu crédité de 80 des
96 sièges composant les deux tiers de ce Sénat qui en comprend 144. Le RND a ainsi
obtenu un score sans comparaison avec l'ancien parti unique, le Front de libération
nationale (FLN, 10 sièges), le Front des forces socialistes (FFS, 4 sièges) et le Mouvement
de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, 2 sièges). Le chef de l'État, Liamine Zéroual, a
coopté le tiers restant, soit 48 personnalités.
112
Point d'orgue de l'âpre lutte à laquelle les différents clans militaires se sont livrés durant
l'été 1998, L. Zéroual a annoncé le 11 septembre qu'il quitterait le pouvoir, après la tenue
d'un scrutin présidentiel anticipé, avant la fin de février 1999.
113
Sur le plan économique, l'Algérie, dont la dette s'élevait à 33 milliards de dollars, devait
s'affranchir en 1998 de la tutelle du FMI avec lequel elle avait signé en 1994 un
contrat stand-by, suivi en 1995 d'un contrat dit " de facilité de financement élargie " de
trois ans. Alger avait également signé deux accords de rééchelonnement de sa dette
extérieure avec le Club de Paris et deux autres avec le Club de Londres, en 1994 et 1995.
Cela lui avait valu un différé de remboursement de 16 milliards de dollars. Le délai de grâce
(portant sur le principal de sa dette) a expiré en mai 1998. Selon le Premier ministre,
Ahmed Ouyahia, les grands équilibres ont été rétablis et les réserves de change ont atteint
le taux record de 8,8 milliards de dollars. Les investisseurs étrangers ont marqué un regain
d'intérêt pour le pays, notamment dans le domaine des hydrocarbures. Cependant, le
programme de restructuration d'une économie délabrée imposé par le Fonds monétaire a
marqué le pas. Les privatisations se sont certes poursuivies, mais au compte-gouttes, la
production industrielle piétinant et les fermetures d'usines entraînant le licenciement de
dizaines de milliers de travailleurs dans un pays comptant officiellement 2,3 millions de
chômeurs (28 % de la population active), dont 70 % de jeunes. La pauvreté gagne des
couches de plus en plus importantes de la population, alors qu'une minorité de nantis
affiche ostensiblement les signes extérieurs d'une richesse rapidement acquise grâce au
libéralisme économique sauvage qui a succédé à l'économie planifiée des ères Boumédiène
et Chadli.
114
Ali Habib
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116
Parallèlement, l'année 1997 a été caractérisée par une multiplication des massacres
collectifs de villageois, principalement dans la plaine de Mitidja qui enserre Alger et dans
les faubourgs mêmes de la capitale. Ces massacres, officiellement imputés aux groupes
islamistes armés, ont fait des centaines de morts, donnant la lugubre mesure d'une guerre
civile armée semblant échapper de plus en plus aux deux forces en lutte depuis janvier
1992: les tenants de la "République" et les défenseurs de la "loi islamique". L'émergence,
suscitée par le pouvoir, des gardes communales armées et des groupes d'autodéfense, les
"patriotes" (environ 200 000 éléments émargeant au budget de l'État), a élargi le champ
des personnes impliquées dans le conflit algéro-algérien et quelque peu soulagé la pression
supportée depuis cinq ans par l'armée et la gendarmerie, mais elle a accentué d'une
manière spectaculaire une violence qui frappe en premier lieu la population civile. Le
conflit, à bien des égards, a semblé continuer à obéir davantage au schéma répression-
représailles-répression qu'à un quelconque engagement politique ou idéologique.
Massacres collectifs de civils
117
Le bilan des victimes de la violence, plus aveugle qu'organisée, n'a cessé de s'alourdir.
Selon les estimations approximatives des chancelleries occidentales à Alger, le conflit
aurait fait en cinq ans entre 60 000 et 100 000 morts, avec des pics dépassant le millier de
personnes par semaine. Désormais, des familles entières (enfants, femmes et vieillards
compris) ont été sauvagement massacrées et mutilées sans que l'on sache exactement ou
que l'on ne veuille dire leurs allégeances. A ces tueries de civils - annoncées par une presse
locale entièrement contrôlée et sévèrement muselée par les autorités - se sont ajoutées, à
intervalle quasi régulier, des campagnes d'attentats à la voiture piégée sur les artères des
villes ou dans des lieux publics très fréquentés, comme les marchés.
118
Le pouvoir répétant que "le terrorisme est désormais résiduel" et "ne représente plus
qu'une fuite en avant sanguinaire et démente de groupes de bandits acculés" s'est montré
persuadé qu'il était en mesure de gérer la situation sur le plan sécuritaire et s'est efforcé -
en vain - de faire basculer l'ensemble de la population en sa faveur. Cependant, le principal
souci de cette dernière - certes lassée à l'extrême et s'accommodant douloureusement de la
violence et de l'insécurité -, est resté d'assurer un quotidien économique et social à la limite
du supportable.
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121
L'élection, supervisée par quelque 200 observateurs internationaux, s'est déroulée sans
violence majeure, sous la haute protection de plus de 300 000 hommes en armes -
militaires, policiers, gardes communaux, groupes d'autodéfense. Elle a été remportée, sans
surprise, par le Rassemblement national démocratique (RND), un nouveau parti créé pour
soutenir l'action présidentielle seulement quatre mois auparavant. Selon le Conseil
constitutionnel algérien, le RND est arrivé largement en tête avec 155 sièges, suivi par le
Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, islamiste) 69 sièges, par le Front
de libération nationale (FLN, ex-parti unique) 64 sièges, le Mouvement Ennahda
(islamiste) 34 sièges, le Front des forces socialistes (FFS) 20 sièges, et le Rassemblement
pour la culture et la démocratie (RCD) 18 sièges. Le Parti des travailleurs (PT, extrême
gauche) a obtenu 4 sièges, les indépendants 11 et trois petits partis se sont partagé les 5
sièges restants. Le taux de participation officiel s'est élevé à 65,49 pour 17 millions
d'électeurs potentiels.
122
L'Assemblée allait donc être presque entièrement dominée par ce que l'on appelle en
Algérie le "courant islamo-conservateur", représenté par le RND, le FLN, le MSP et
Ennahda (au total 322 des 380 sièges). Noyés au sein d'une chambre hostile, affaiblis par
leurs divisions, les autres partis, qu'ils se baptisent démocrates ou républicains, allaient en
être réduit à exercer une "fonction tribunicienne".
123
Reconduit dans ses fonctions le 14 juin 1997, le Premier ministre Ahmed Ouyahia devait
former, le 25 du même mois, un nouveau gouvernement où les principaux ministres ont
gardé leur poste, notamment Mohamed Attaf aux Affaires étrangères et Mostefa
Benmansour à l'Intérieur. Le RND a emporté, comme il fallait s'y attendre, les ministères
de souveraineté, le FLN et le parti islamiste MSP participant également, avec quatre
ministères et trois secrétariats chacun. L'octroi au MSP de l'important et délicat
portefeuille de l'Industrie et des Restructurations - véritable cadeau empoisonné - allait
l'exposer en première ligne. D'autant que la production industrielle - en chute libre - et la
politique d'assainissement des entreprises publiques devaient encore entraîner, en 1997,
des dizaines de milliers de licenciements supplémentaires. FFS et RCD ont décliné pour
leur part l'invitation à participer à l'exécutif.
124
S'il est parvenu à parachever, contre vents et marées, l'édifice institutionnel (dont la
première pierre a été la présidentielle en novembre 1995 et la dernière les élections aux
assemblées populaires communales - APC, conseils municipaux - fin octobre 1997), le
régime qui a rassemblé à son avantage exclusif toutes les cartes politiques (la libération à la
mi-juillet 1997 d'Abbasi Madani, président de l'ex-FIS - Front islamique du salut -,
emprisonné depuis 6 ans, s'est inserrée dans ce contrôle du jeu politique) ne parvenait
toujours pas à maîtriser une économie en plein marasme. Pourtant de l'argent frais avait
été avantageusement avancé par les différents organismes bancaires internationaux.
125
Il ne parvenait pas plus à freiner la dynamique d'une violence dont il restait l'un des
acteurs. La persistance des attentats, les massacres de villageois, l'ampleur des ratissages
menés dans plusieurs régions par l'armée et ses supplétifs ont témoigné de l'enracinement
des groupes armés islamistes. Aux atrocités de ces derniers à continué de répondre une
répression sans merci. Les organisations internationales de défense des droits de l'homme
ont dénoncé, régulièrement, l'utilisation de la torture, les "disparitions" et les exécutions
sommaires menées par les forces de sécurité. La violence apparaissait à de nombreux
observateurs pouvoir durer encore longtemps, malgré l'appel unilatéral à un cessez-le-feu
lancé, le 21 septembre 1997, par l'AIS (Armée islamique du salut), bras armé du FIS. La
poursuite des tueries collectives de civils dans les environs d'Alger a fait redoubler, chez les
commentateurs, les interrogations quant au jeu mené par certaines factions de l'armée.
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Ali Habib
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Aucune issue n'apparaissait à terme dans la guerre civile algérienne, née de l'arrêt du
processus électoral en janvier 1992 et de la dissolution du Front islamique du salut (FIS)
qui avait suivi. Mais si, sur le plan sécuritaire, la situation ne semble guère avoir évolué en
1995-1996, militaires et groupes armés islamistes se livrant toujours une implacable et
sanglante guerre d'usure, l'élection présidentielle du 16 novembre 1995, remportée par le
président sortant Liamine Zéroual a quelque peu changé la donne politique. Elle a octroyé
aux militaires une "légitimité" que l'opposition légale, de même que l'ex-FIS, n'a pas
cherché à contester au lendemain du scrutin.
128
Pour la première fois de l'histoire d'après l'indépendance les militaires ont ainsi
officiellement pris la direction du pays (auparavant ils avaient habilement ménagé les
apparences). Parallèlement à la gestion musclée du dossier sécuritaire dont l'épine dorsale
est demeurée la poursuite de l'"éradication complète" du terrorisme et de l'idéologie
islamistes, ils se sont attachés, dès l'été 1995, à remodeler le paysage politique dans le
cadre d'une transition autoritaire, avec façade pluraliste entièrement gérée par leurs soins.
129
Ainsi, contre l'avis de la majorité des partis de l'opposition légale et notamment du Front
de libération nationale (FLN, ex-parti unique) et du Front des forces socialistes (FFS), qui
estimaient que le retour à la paix devait précéder toute démarche électorale et que, quel
que fût le vote, seul passerait le "poulain" des militaires, le pouvoir a décidé d'organiser, en
novembre 1995, le "premier scrutin présidentiel pluraliste" de l'histoire de cet État. Ce
rendez-vous a cristallisé les clivages et les craintes des quatorze millions d'électeurs.
130
131
Outre Liamine Zéroual, choisi par ses pairs, trois candidats ont été autorisés par la
nouvelle loi électorale, très contraignante, à postuler à la magistrature suprême: Mahfoud
Nahnah du Mouvement de la société islamique (MSI-Hamas, présenté comme islamiste
modéré), Saïd Sadi du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, présenté
comme moderniste) et Nourredine Boukrouh du Parti du renouveau algérien (PRA,
islamisant). Malgré le boycottage des grandes formations de l'opposition et l'exclusion de
l'ex-Front islamique du salut (FIS) de la course à la Présidence, les militaires ont réussi à
construire, contre vents et marées, la première étape de leur "échafaudage"
constitutionnel.
Du pareil au même...
132
Si l'élection au premier tour de Liamine Zéroual (61,01 % des voix) ne faisait de doute pour
personne, le taux élevé de participation (75,69 %) a constitué une surprise. La presse locale
a parlé de "vote pour la paix", un vote que le pouvoir entendait bien faire fructifier à son
seul avantage.
133
Dans son programme électoral, L. Zéroual a prôné un "ordre national nouveau" devant
notamment promouvoir le "dialogue national" et "mettre un terme à la violence
criminelle". Ainsi, six semaines après son élection, le 31 décembre 1995, a-t-il confié à
Ahmed Ouyahia, son directeur de cabinet, le soin de former un nouveau gouvernement
avec pour mission de préparer des élections législatives, de continuer les réformes
économiques et, surtout, d'incarner la "rupture" avec l'ancien système. En dépit de la
discrète entrée dans le gouvernement d'"islamistes modérés" à des postes subalternes
(deux membres du MSI-Hamas et un dissident de l'ex-FIS), et d'une personnalité du PRA,
le cabinet de A. Ouyahia se composait surtout des principaux membres du précédent
gouvernement de Mokdad Sifi. Le président a conservé le ministère de la Défense lui
assurant la haute main sur l'appareil sécuritaire et lui évitant de trancher dans les
inévitables inimitiés entre les différents clans du sérail. Mais, même avec sa touche
pluraliste, le nouveau gouvernement n'avait aucunement en charge de définir la politique à
suivre. Il lui appartenait seulement d'appliquer celle déterminée par les plus hautes
sphères du pouvoir. Et l'"embellie" dont parlaient certains au lendemain de l'élection
présidentielle n'aura été que de courte durée.
134
Occupé à asseoir son autorité vis-à-vis de ses pairs, le chef de l'État a tardé à appliquer le
changement promis. Son opération visant à récupérer l'ancien parti unique, qui s'est
rapproché du pouvoir après un temps d'opposition, a ravivé les craintes des Algériens de
voir pérenniser, sous une forme pseudo-démocratique, les méthodes de l'ancien système.
Faute d'ouverture politique crédible, la violence ne devait pas cesser. Malgré leurs
dissensions internes, les groupes islamiques armés ont poursuivi leur campagne
d'attentats sanglants. L'armée, épaulée par les milices d'autodéfense, chargées d'assurer la
protection des villageois, a continué, avec une grande violence et des succès mitigés, sa
politique d'"éradication" des groupes terroristes et de répression contre la population.
Selon des estimations concordantes, le conflit aurait fait quelque 50 000 morts entre le
début 1992 (quand il a commencé) et la mi-1995.
135
Premier partenaire économique et financier de l'Algérie, accusée par les groupes islamistes
armés de soutenir la "junte" d'Alger, la France, frappée sur son sol durant l'été 1995 par
une vague d'attentats du GIA, s'est à nouveau trouvée prise au piège d'un conflit dont,
officiellement, elle affirmait "ne pas vouloir se mêler". Le 27 mars, sept moines trappistes
français étaient enlevés dans leur monastère de Notre-Dame de l'Atlas, à Tibéhirine, près
de Médéa, par la fraction la plus dure du GIA, le groupe de Djamel Zitouni; leurs
dépouilles ont été retrouvées le 30 mai suivant. Une polémique sur des "tractations" entre
les ravisseurs et les autorités françaises, niées par Paris, a, dès lors, envenimé les rapports
entre Paris et Alger. Le 16 juillet, la liquidation de D. Zitouni allait être annoncée par le
GIA, tandis que le 1er août, à l'issue de la visite du ministre français des Affaires étrangères
à Alger, l'archevêque franco-algérien d'Oran, Mgr Pierre Claverie allait être tué dans un
attentat.
136
137
Mais, pour des raisons diverses, les principales composantes de l'opposition légale
renâclaient à s'insérer dans le jeu présidentiel, contestant le "dirigisme" des militaires et
dénonçant le danger de les voir mener seuls, pour longtemps encore, les affaires du pays.
138
Sur le plan économique, malgré une très fragile embellie due à de bons résultats dans
l'agriculture et à un rééquilibrage de la balance commerciale, le pays apparaissait loin
d'être tiré d'affaire. Fruit à la fois d'une augmentation des exportations des hydrocarbures
et d'un effritement des importations, ce "léger mieux" ne semblait devoir être qu'un feu de
paille.
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Ali Habib
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L'année 1994-1995 n'a laissé aucun répit à l'Algérie dont la population s'est trouvée
confrontée à la montée en puissance du "terrorisme islamiste" et à la répression accrue et
"sans états d'âme" des forces militaires et paramilitaires. A la mi-1995, le nombre des
victimes de cette double violence dépassait, sans que l'on puisse toutefois en donner un
bilan précis, le chiffre de 30 000 morts, avancé fin 1994 par le département d'État
américain. La "guerre sans image" dans laquelle s'est trouvé plongé le pays après l'arrêt du
processus électoral et l'instauration de l'état d'urgence en janvier 1992 est aussi apparue
comme une "guerre sans chiffre", puisque le gouvernement contrôlait totalement
l'information en s'assurant de la docilité des médias.
141
Les deux parties en lutte, pouvoir et islamistes, ont cherché, au travers d'attentats
spectaculaires et d'opérations "coup de poing", à faire basculer le rapport de forces,
chacune en sa faveur, ne réussissant toutefois à obtenir qu'un relatif équilibre, remis
quotidiennement en cause par les actions des uns et des autres. Selon certaines sources, à
cette date, un tiers du "pays utile" (nord de l'Algérie) échappait totalement ou en partie au
contrôle des militaires. Ces derniers, en revanche, avaient encore bien en main la majorité
des villes et en particulier la capitale, Alger, mais les quartiers populaires restaient le vivier
où venaient puiser les groupes islamistes armés circulant en toute impunité dans de larges
zones suburbaines.
142
Sur le terrain, les bilans disponibles, officiels mais partiels, ont confirmé la recrudescence
des accrochages et l'âpreté des combats entre les troupes d'élite de l'armée et les groupes
armés islamistes, les plus radicaux se rangeant sous la bannière du Groupe islamique armé
(GIA). Ce dernier, aux structures et aux effectifs peu connus - 2 000 à 3 000 militants
selon les sources les plus fiables -, "éclatés" en petites cellules ayant chacune un "émir" à sa
tête, et qui se serait surtout implanté à l'Est et dans le Centre, a revendiqué la plupart des
attentats qui ont ensanglanté le pays et les assassinats d'étrangers.
143
144
Par ailleurs, la violence a gagné des régions jusque-là épargnées. Ainsi en est-il allé de la
Kabylie, aux portes d'Alger, qui s'enorgueillissait d'être une "petite Suisse" algérienne, et
des régions sahariennes du Sud, où se trouvent concentrés les champs pétrolifères et
gaziers, principales sources de recettes en devises du pays. Le relief montagneux de la
Kabylie favorise l'implantation de maquis ou, du moins, de zones de repli provisoire.
Assassinats, coups de main contre les villages pour récupérer des fusils de chasse,
affrontements entre islamistes armés et forces de sécurité ont attesté que la situation dans
cette région s'est dégradée d'une manière inquiétante. Au sud, le 5 mai 1995, un
commando armé a mené une attaque contre les locaux d'une filiale algérienne de la
compagnie américaine Bechtel à Ghardaïa, à 600 km d'Alger. Cinq étrangers y ont été tués.
Dès lors, les milieux pétroliers internationaux n'ont plus caché leurs inquiétudes de voir les
islamistes s'attaquer à un secteur jusque-là épargné par les attentats.
145
L'armée, qui a eu à gérer deux périodes d'état de siège, en octobre 1988 - après la sanglante
répression d'émeutes populaires - et en juin 1991, ainsi que l'état d'urgence en vigueur à
compter de février 1992, s'est trouvée en première ligne pour tenter de circonscrire les
maquis islamistes, contre lesquels elle a lancé, au cours du printemps 1995, notamment à
Aïn Defla (Centre-Ouest) et Jijel (Est), des opérations militaires d'envergure aux résultats
apparemment peu probants. Elle a aussi prêté main-forte, grâce à son soutien logistique,
aux nombreuses opérations de "ratissage" menées par la police en milieu urbain. Ses corps
d'élite et notamment ses fameux "ninjas" en cagoule ont continué d'assurer dans les faits le
plus gros de la besogne sécuritaire, étant plus redoutés par la population que les groupes
armés islamistes. Leurs multiples exactions et leur grande brutalité ont elles aussi alimenté
la spirale d'une violence qu'ils avaient pourtant mission de combattre.
146
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Si elle a reçu le soutien officieux d'une bonne partie de la population, l'initiative des
principales forces de l'opposition a été vilipendée par ceux qui se sont autobaptisés
"républicains" en Algérie (RCD - Rassemblement pour la culture et la démocratie,
Ettahadi) et prônent une solution militaire. Ils y ont vu une tentative pour remettre en selle
les islamistes. La réunion de Rome n'a par ailleurs reçu qu'un soutien très timide des
principales capitales occidentales, en particulier de la France - ancienne puissance tutélaire
- qui a, à maintes reprises, appelé "tous les acteurs de la vie politique algérienne au
dialogue", et qui s'est contentée de marquer son "intérêt" pour la plate-forme de Sant'
Egidio. Principaux partenaires commerciaux des Algériens avec qui ils entretiennent des
rapports "passionnels", les dirigeants français ont été accusés par les islamistes de soutenir
la "junte" au pouvoir en lui accordant une aide "militaire, politique et économique".
Washington, Londres, Rome et Madrid ont adopté des positions plus nuancées par rapport
à la situation en Algérie, renvoyant dos à dos militaires et islamistes.
148
La France, en fait, a montré qu'elle craignait d'être davantage impliquée dans le conflit
algérien. Cependant, le dénouement sanglant, le 24 décembre 1994, sur l'aéroport de
Marignane, du détournement d'un Airbus d'Air France (les preneurs d'otages ont été
abattus par le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale) et l'assassinat, le 11
juillet, à Paris, d'un imam fondateur du FIS, cheikh Abdelbaki Sahraoui, ont attesté la
dérive de la violence sur le sol français. Même si Paris n'a plus voulu apparaître comme un
allié inconditionnel du régime en place à Alger, et si son enveloppe devait passer de six
milliards à cinq milliards de francs, son soutien est demeuré réel. Preuve en a été son appui
sans faille au gouvernement algérien dans ses difficiles négociations avec le FMI.
L'institution internationale a accordé à l'Algérie, en mai 1995, un crédit total de 1,16
milliard de droits de tirage spéciaux (DTS), soit environ 1,79 milliard de dollars, pour tenir
le programme de réformes économiques à moyen terme mis en oeuvre par le
gouvernement. Cela a représenté une véritable bouffée d'oxygène pour une économie
exsangue, mais servira aussi à l'effort du "tout sécuritaire", privilégié par les militaires
algériens.
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Outre la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), sept formations
politiques, à l'instigation de la communauté catholique Sant' Egidio, ont participé à Rome,
en janvier 1995, à la rencontre qui a débouché sur la signature d'un programme de
"consensus minimum" pour trouver une solution "politique et pacifique" à la crise. Ces
partis signataires ont été le Front de libération nationale (FLN), le Front des forces
socialistes (FFS), le Front islamique du salut (FIS), le Mouvement pour la démocratie en
Algérie (MDA), le Parti des travailleurs (PT), le Mouvement de la Nahda islamique (MNI),
et El Jazaïr musulmane (JMC).
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Dans le cadre des mesures devant précéder les négociations avec le pouvoir, il demande
également "la libération effective des responsables du FIS et de tous les détenus
politiques"; "l'annulation de la décision de dissolution du FIS".
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Impasse politique et extension territoriale de l'action des groupes armés islamistes: l'année
1993-1994 ressemblerait à s'y méprendre à la précédente si ce n'était deux évolutions
notables. La désignation à la présidence de la République, le 31 janvier 1994, du général
Liamine Zéroual a consacré pour la première fois la gestion directe du pouvoir par une
armée qui jusque-là avait préféré utiliser des "paravents" civils. Le Haut Comité d'État
(HCE), présidence collégiale, a ainsi cédé la place aux militaires. Il avait été créé après
l'interruption en janvier 1992 du processus électoral qui semblait devoir amener au
pouvoir le Front islamique du salut (FIS, interdit le 4 mars 1992).
156
Par ailleurs, la signature en avril d'un accord avec le FMI a fait disparaître un tabou tenace
concernant le rééchelonnement - pudiquement appelé "reprofilage" - de la dette extérieure
algérienne. Alger n'avait en effet guère le choix: en 1994, le service de sa dette - évaluée à
26 milliards de dollars en 1993 - aurait absorbé la totalité des recettes d'exportation de ses
hydrocarbures. L'économie algérienne à bout de souffle - les usines tournant à moitié,
souvent même au tiers de leur capacité et un actif sur cinq au moins étant au chômage - a
trouvé dans cet accord un précieux ballon d'oxygène, ouvrant la voie à de nouveaux
financements de la Banque mondiale, de l'Union européenne et de la France. Il restait à
savoir si la dévaluation de 40,17% du dinar algérien, advenue en avril 1994, suffirait pour
combattre efficacement le marché noir.
157
Hormis ces deux faits majeurs, l'année aura été particulièrement marquée par
l'immobilisme du pouvoir et par une aggravation des violences. Le remplacement, le 11
avril 1994, du chef du gouvernement Rédha Malek par Mokdad Sifi - quatrième Premier
ministre nommé depuis janvier 1992 - a laissé à penser que le nouveau chef de l'État
entendait garder la porte ouverte à un éventuel dialogue avec les islamistes. R. Malek,
arrivé au pouvoir le 21 août 1993, et son ministre de l'Intérieur, Selim Saadi, étaient en
effet apparus comme des "éradicateurs" en s'opposant à plusieurs reprises à toute
"réconciliation nationale". Rien n'a cependant été fait pour entamer rapidement un
véritable dialogue. Le gouvernement de technocrates et de hauts fonctionnaires de M. Sifi,
composé pour l'essentiel de fidèles des militaires, devait s'occuper avant tout de mener à
bien les engagements pris auprès du FMI et de procéder à de profondes réformes
économiques. Les déclarations répétées de L. Zéroual pour engager un "dialogue sérieux"
et sans exclusive (c'est-à-dire incluant les islamistes) ont semblé avant tout destinées à
satisfaire certains partenaires étrangers de l'Algérie, notamment les États-Unis, soucieux
de voir le pouvoir "élargir sa base".
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Dès lors, la lutte anti-terroriste a prévalu. Fallait-il y voir l'expression d'un rapport de
forces favorable aux "éradicateurs"? La délégation de signature accordée par le président
au général Mohamed Lamari, le chef de l'état-major, considéré comme un partisan de la
politique dite du "tout sécuritaire", a en tout cas relancé les interrogations sur la réalité de
la marge de manoeuvre à la disposition du président de la République. Aux yeux de
certains, cependant, ces contradictions seraient seulement apparentes, le général Zéroual
et le général Lamari se partageant les rôles.
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161
La fin de l'année 1993 et l'année 1994 auront, à la vérité, vu se dessiner quatre évolutions
notables dans le domaine de la sécurité:
162
163
- l'ouverture, le 21 septembre 1993, d'un front contre les étrangers, avec l'assassinat de
deux géomètres français près de Sidi Bel Abbès et la détention, une semaine durant, en
novembre, de trois agents consulaires français. Au total, plus de cinquante étrangers ont
été tués parmi lesquels douze Croates d'origine chrétienne le 14 décembre à Tamezguida,
deux religieux français le 8 mai à la Casbah d'Alger, sept Italiens dans le port de Jijel en
juillet, entraînant le départ de la plupart des ressortissants étrangers et l'"interruption" en
avril des activités des six centres culturels français. C'est seulement après les meurtres du 8
mai que le FIS a condamné ces attentats, que le GIA (Groupe islamiste armé) revendiquait,
par la voix de ses représentants à l'étranger, Rabah Kébir et Anwar Haddam;
164
- la fuite en avant dans la violence de la part des groupes armés les plus radicaux,
notamment le GIA, qui ont pris pour cible les fonctionnaires dans le but de paralyser le
fonctionnement de l'État, tout en continuant à s'attaquer aux journalistes, aux
universitaires. Par ailleurs, ils n'ont plus épargné les femmes et ont imposé un début de
contrôle social (port du hijab, interdiction des journaux et des cigarettes) dans certains de
leurs fiefs (Lakhadaria, Blida, Dellys, Jijel...). Après avoir semblé abandonner le terrain
face aux islamistes, l'armée y a repris l'offensive au début du printemps en procédant à des
"ratissages" de très grande envergure (opérations héliportées, bombardements aériens,
exécutions sommaires...);
165
Un peuple en otage
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168
A l'été 1994, rien ne paraissait susceptible de mettre fin à une crise déjà à l'origine de 8
000 à 10 000 morts. La communauté internationale, elle, était partagée sur l'attitude à
adopter à l'égard de l'Algérie: alors que la France plaidait pour un soutien économique
massif et inconditionnel, les États-Unis insistaient pour que le pouvoir élargisse sa base et
entame un dialogue avec les islamistes modérés et n'excluant pas les forces démocratiques
de la société.
169
José Garçon
Bilan 1994 - L'engrenage de la violence armée
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172
Les membres des forces de l'ordre, ceux des "délégations exécutives", qui ont remplacé les
mairies islamistes dissoutes, les "collaborateurs" convaincus d'avoir fourni des
informations aux autorités, les magistrats, les personnalités proches du pouvoir, ont été
pris pour cible puis, à partir du printemps, cela a été le tour des journalistes et des
intellectuels (Djillali Liabès, Tahar Djaout, Mahfoud Boucebci...). Auparavant, le 13 février
1993 - une dizaine de jours après la reconduction de l'état d'urgence pour une durée
"indéterminée" - le général Khaled Nezzar, membre du HCE, remplacé le 10 juillet 1993 à
la tête du tout-puissant ministère de la Défense par le général Lamine Zéroual, avait
échappé de peu à un attentat à la voiture piégée. De nombreux sabotages économiques ont,
par ailleurs, eu lieu. Attaques d'agences postales et de succursales bancaires, de casernes et
de commissariats ont servi à procurer argent et armement aux islamistes, tandis que le
banditisme a pris des proportions inquiétantes dans certaines grandes villes.
173
L'escalade dans la répression a été à l'avenant: l'usage de la torture s'est généralisé, les
policiers en civil armés et les commandos en cagoule sont devenus omniprésents. Placées
sous le commandement du général Mohamed Lamari, "patron" de la lutte anti-terroriste
jusqu'au 10 juillet, date à laquelle il est devenu chef d'état-major de l'armée, les forces de
l'ordre ont mené de véritables opérations de guerre, à l'arme lourde, pour démanteler un
maquis, ou pour détruire une maison ou un immeuble servant de refuge à des activistes.
Après l'attaque le 22 mars de la caserne de Boughzoul (18 morts), les officiers les plus
"durs" de l'armée ont obtenu des moyens accrus pour "lutter contre le terrorisme": 15 000
soldats envoyés en renfort dans l'Algérois ont commencé début mai à "ratisser" les fiefs
islamistes dans dix départements du centre du pays.
174
Les forces de l'ordre ont certes infligé de sérieux coups aux groupes armés, dont plusieurs
chefs ont été arrêtés ou tués et de nombreux réseaux démantelés, mais la situation sur le
terrain a semblé infirmer l'optimisme des autorités. Si selon les chiffres officiels, les
groupes clandestins comptaient 1 100 hommes armés à la mi-1993, le plus préoccupant
pour le pouvoir est demeuré les petits noyaux informels, surgissant ici après avoir été
démantelés là. Formés autour de petits chefs locaux, de "héros" de quartier, ils ont créé
une dynamique de base très difficile à maîtriser et rappelant le phénomène de "réaction en
chaîne" qui a caractérisé les grandes périodes de la résistance algérienne à la colonisation.
175
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177
Cette impasse dans le domaine de la sécurité s'est doublée d'un blocage politique. En poste
depuis le 19 juillet 1992, le Premier ministre Belaïd Abdesselam n'a pu amorcer le
redressement économique annoncé. A la mi-1993, les indicateurs n'incitaient guère à
l'optimisme, le risque d'explosion sociale était grand et les soutiens financiers extérieurs se
faisaient attendre. Ayant seulement réussi à faire l'unanimité contre lui, B. Abdesselam n'a
semblé devoir son salut - provisoire - avant tout l'effet désastreux que produiraient, selon
certains militaires, des changements trop fréquents à la tête du gouvernement.
178
179
Comment sera désignée l'instance qui succédera au HCE dont le mandat expire en
décembre 1993, à la fin de celui de Chadli Bendjedid, le président "démissionné" le 11
janvier 1992? Prévue initialement pour le 5 juillet, la conférence nationale entre le pouvoir
et l'opposition a été reportée à une date ultérieure. Elle devait décider de l'édifice
institutionnel qui sera mis en place pour gérer la période de transition que le pouvoir a
fixée à "deux à trois ans" avant tout retour aux urnes. L'ensemble des changements sera-t-
il dès lors directement soumis à référendum, la relève du général Nezzar au ministère de la
Défense pouvant s'inscrire dans la perspective de sa participation à la direction collégiale
de trois personnes qui devrait assurer la transition?
180
On ignorait encore, au début de l'été 1993 si, tout en poursuivant la lutte contre les groupes
armés, le pouvoir algérien entrouvrirait la porte à un "dialogue" permettant de trouver une
solution politique pour sortir de l'impasse créée par l'interruption du processus électoral et
d'"isoler les terroristes".
181
José Garçon
182
Année du trentième anniversaire de l'indépendance, 1992 devait aussi être celle du passage
de l'Algérie au pluralisme politique et, après plusieurs reports, de ses premières élections
libres. Cette année aura finalement été marquée par le blocage du processus démocratique
et par l'assassinat, pour la première fois au Maghreb, d'un président de la République.
L'intervention de l'armée, pour la troisième fois en trois ans et demi, et l'instauration le 9
février 1992 de onze mois d'état d'urgence après les quatre mois d'état de siège déjà
proclamés en juin 1991, ont sonné le glas des espoirs apparus après l'"ouverture" qui suivit
les émeutes d'octobre 1988.
183
C'est le Front islamique du salut (FIS) qui fut le catalyseur - et le principal acteur, avec
l'armée - de deux crises successives. En juin 1991, l'armée avait porté un coup d'arrêt aux
manifestations violentes organisées par le FIS et annulé les élections législatives. Après des
années de laxisme, ce changement dans la gestion du phénomène islamiste, illustré
notamment par l'arrestation de ses principaux dirigeants, n'allait cependant pas sans un
"volet" politique. Il marqua l'intronisation par l'armée d'un nouveau Premier ministre, Sid
Ahmed Ghozali qui remplaça Mouloud Hamrouche. Le bilan de ces événements fut très
lourd: 150 morts officiellement et plusieurs centaines de blessés de part et d'autre.
184
En décembre 1991, le parti islamiste fut à nouveau à l'origine d'une crise et de l'annulation
du scrutin législatif. Mais l'incertitude qui a régné pendant plusieurs semaines avant la
date prévue pour le premier tour de ce scrutin, le 26 décembre, a montré combien les
résistances au processus électoral pouvaient être grandes parmi les dirigeants du pays. La
présentation et l'adoption, en décembre, par une Assemblée en fin de course et
décrédibilisée, de plusieurs lois très importantes avaient-elles anticipé une éventuelle et
future absence d'Assemblée? Quoi qu'il en soit, l'énorme médiatisation de l'attaque, le 29
novembre, par un groupe d'islamistes, d'un poste frontalier à Guemmar (trois soldats tués)
avait renforcé le climat d'insécurité. Le malaise était accentué par la majorité de la presse
qui annonçait que la tenue des élections conduirait au "chaos" et répétait qu'on ne vote pas
sur fond de "crise économique".
185
Le résultat du premier tour allait déjouer toutes les prévisions des autorités, à commencer
par celles du chef du gouvernement qui, en décriant violemment l'ancien parti unique FLN
(Front de libération nationale), avait fait campagne pour des candidats "indépendants". Le
rejet du système par la population, mais aussi les effets pervers de la loi et du découpage
électoraux jouant à plein, le FIS remporta 188 des 430 sièges à pourvoir, avec 3 400 000
voix et 47,54% des suffrages exprimés.
186
Ce scrutin au cours duquel près d'un Algérien sur deux s'est abstenu (5 000 000 sur 13
000 000 d'électeurs) a néanmoins fourni une carte politique du pays. Outre le FIS, seuls le
Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït-Ahmed - qui a réalisé l'essentiel de son
score en Kabylie et s'est imposé comme la troisième force du pays - et le FLN sont "sortis"
des urnes (avec respectivement 26 et 15 sièges), les autres partis étant tous balayés, y
compris les deux mouvements islamiques Hamas et Ennadha, le MDA (Mouvement pour
la démocratie en Algérie) de Ahmed Ben Bella et le RCD (Rassemblement pour la culture et
la démocratie), son leader, Saïd Sadi étant même battu à Tizi Ouzou.
187
Le résultat spectaculaire de ces élections fit oublier que le FIS avait perdu 1 200 000 voix
par rapport à son score aux municipales de 1990. Les militaires estimèrent néanmoins que
la majorité absolue des voix que le FIS risquait d'obtenir au second tour - prévu pour le 16
janvier 1992 - contenait les germes de la guerre civile... et d'une fracture au sein de l'armée.
Bien réelle, la peur d'une grande partie de la population fut largement exploitée par
plusieurs membres du gouvernement et par certains partis politiques qui, après leur échec
au premier tour, redoutaient de voir le second consacrer leur disparition.
188
Le 2 janvier 1992, cependant, une véritable marée humaine déferla pendant plusieurs
heures dans les rues d'Alger à l'appel du FFS qui réclamait la poursuite du processus
électoral et voyait dans cette mobilisation le "sursaut" pouvant amener une majorité des
abstentionnistes à voter au second tour. L'armée préféra y voir un "feu vert" pour un coup
d'État "constitutionnel".
189
Le 11 janvier, les blindés se déployaient dans les principales villes du pays; Chadli
Bendjedid - accusé d'envisager une "cohabitation" avec les intégristes - était contraint par
les militaires à démissionner, après avoir été obligé de signer le décret de dissolution de
l'Assemblée nationale. Le 12, les élections étaient annulées. L'Algérie entrait dans une crise
constitutionnelle grave: un Haut Conseil de sécurité - dominé par les militaires - confia, le
16 janvier, les pouvoirs présidentiels à un Haut Comité d'État (HCE), composé de cinq
personnes et présidé par Mohamed Boudiaf, soixante-douze ans, volontairement exilé au
Maroc depuis 1963. En faisant appel à l'un des neuf "chefs historiques" de la révolution
algérienne de 1954, dans un pays où, depuis l'indépendance en 1962, la guerre de
libération servait de référence, le nouveau pouvoir cherchait une fois de plus une
"légitimation" dans l'Histoire, les militaires refusant d'assurer directement la gestion des
affaires publiques.
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191
Seul acquis revendiqué par le HCE, la "restauration de l'autorité de l'État" est apparue bien
précaire, en dépit du coup réel porté à l'organisation du mouvement intégriste. Imputés à
des "extrémistes islamistes", les attentats contre policiers et militaires se sont multipliés -
près de quatre-vingts d'entre eux ont été assassinés entre janvier et juillet 1992. Si ces
attentats n'ont pas réussi à créer une instabilité significative, ils n'en ont pas moins abouti
à une dangereuse banalisation de la violence.
192
Le 29 juin 1992, alors que le "changement radical" promis par Mohamed Boudiaf se faisait
toujours attendre, le chef de l'État était assassiné à Annaba par l'un de ses gardes du corps,
un officier de vingt-six ans appartenant à un corps d'élite. Fallait-il rechercher,
notamment, dans une volonté de lutter contre la corruption l'une des raisons de cet
attentat? Rares en tout cas étaient ceux qui y voyaient "la main des islamistes", en
attendant les résultats de la commission d'enquête qui devait fournir ses premières
conclusions avant la fin juillet.
193
Moins d'une semaine après la nomination, le 2 juillet, de son successeur Ali Kafi, un
nationaliste de la première heure - qui dispose des réseaux de la toute-puissante
organisation des anciens moudjahidin (combattants de la guerre de libération) -, Belaïd
Abdesselam, l'un des "barons" du régime de Boumediène (1965-1978) et le "père" de
l'industrie lourde algérienne, remplaçait Sid Ahmed Ghozali à la tête du gouvernement. En
dépit de son échec à organiser des élections "libres et honnêtes", à obtenir de l'extérieur
l'aide économique nécessaire et à ramener la sécurité, ce dernier semblait vouloir se mettre
en réserve de la République en se présentant comme le "dépositaire" de la mémoire et de
l'oeuvre de Boudiaf - toutes deux magnifiées par le pouvoir après sa mort.
194
Le général Khaled Nezzar - ministre de la Défense et homme fort du pays -, Ali Kafi et
Belaïd Abdesselam parviendront-ils à juguler une crise économique, politique et sociale
sans précédent? Devant faire face à une lourde dette extérieure (25 milliards de dollars à la
mi-1992), le pouvoir algérien allait-il s'accrocher à la thèse sécuritaire qui a fait la preuve
de son insuffisance? Ou allait-il tenter d'ouvrir un "dialogue" avec les forces politiques
représentatives - islamiques compris - pour barrer la route au "terrorisme et à la violence"?
De ce choix dépendait sans doute la suite des événements.
195
José Garçon
196
L'année 1991 devait être celle de la consolidation du processus démocratique avec la tenue
des premières élections législatives pluralistes de l'Algérie indépendante. Quelle que soit
l'issue de ce scrutin qui a été reporté, cette année aura été marquée par le fait que, pour la
seconde fois en deux ans et demi, l'armée est intervenue pour rétablir l'ordre.
197
1990 avait vu le succès, lors des élections municipales du 12 juin, du FIS (Front islamique
du salut), qui avait exigé la tenue d'élections législatives anticipées. Mais cette victoire,
pour l'essentiel, fut surtout une défaite du FLN (Front de libération nationale), le parti au
pouvoir depuis l'indépendance en 1962, symbole d'un système usé jusqu'à la corde.
198
La tolérance du gouvernement à l'égard des islamistes jusqu'au début de 1991 aura permis
au FIS d'occuper le terrain et de multiplier les actes d'intimidation, face à un pouvoir n'en
finissant pas de se déchirer. On a ainsi assisté, au cours du second semestre 1990, à la
marginalisation - ou au départ - de plusieurs responsables de l'ancien parti unique et de
l'ancien appareil de sécurité. Le 22 septembre, le chef de l'État Chadli Bendjedid annonça
la dissolution de la Sécurité militaire (SM). La redoutable police politique devenait, du
moins officiellement, un organisme chargé du seul contre-espionnage. L'assassinat, en
octobre, de Saïd Mécili, un cousin d'Ali Mécili - l'opposant algérien abattu à Paris en 1987
sur ordre de la SM -, a cependant montré les limites de cette dissolution.
Élections ajournées
199
200
L'année s'est achevée sur une démonstration de force, le 27 décembre, du Front des forces
socialistes (FFS) dirigé par Hocine Aït-Ahmed, qui a réuni à Alger plus de 500 000
personnes "contre l'intolérance politique et religieuse" et contre la loi sur l'arabisation
adoptée précipitamment la veille par l'Assemblée nationale.
201
La gestion du phénomène islamiste - sur lequel se sont greffées les luttes internes du
régime - allait bouleverser les échéances du pays.
202
Les principaux partis avaient vu dans les dispositions de la loi électorale devant s'appliquer
pour les législatives du 27 juin 1991 une volonté de "truquage". Mais c'est le nouveau
découpage électoral, qui défavorisait avant tout le FIS, qui a mis le feu aux poudres.
203
204
L'échec relatif de sa grève générale allait conduire les islamistes à une dangereuse escalade.
Ils multiplièrent marches de protestation et occupations des places de la capitale jusqu'à la
première intervention, le 2 juin, des brigades anti-émeutes. A l'aube du 5 juin, après trois
jours d'affrontements violents et plusieurs morts à Alger, Chadli Bendjedid annonça l'état
de siège, la démission du gouvernement et le report des élections législatives. Mais à peine
désigné le nouveau Premier ministre - Sid Ahmed Ghozali -, le pouvoir allait permettre au
FIS de présenter sa défaite sur le terrain comme une victoire politique. Les autorités
annoncèrent en effet, outre la tenue d'un scrutin législatif, une élection présidentielle
anticipée.
205
206
Si la volonté de l'aide radicale du FIS d'entraîner le pouvoir dans le cycle de la violence n'a
fait guère de doute, les luttes de tendance au sein du régime semblent avoir aussi contribué
à l'affrontement. Certains dirigeants du FLN exclus du pouvoir ont incité le FIS à ne pas
céder, tandis que, tous clans confondus, la nomenklatura de l'ex-parti unique voyait là
l'occasion de se débarrasser du Premier ministre Mouloud Hamrouche. Accusé de
"laxisme" à l'égard du FIS, ce dernier était coupable avant tout d'avoir totalement épuré les
caciques des listes électorales après s'être assuré le contrôle du FLN.
207
208
Si elle devait se perpétuer, l'incapacité du pouvoir à ouvrir une issue à cette crise
économique et à offrir une alternative culturelle et politique à l'islamisme pourrait
hypothéquer toute tentative de normalisation.
209
L'armée saurait-elle par ailleurs faire que l'état de siège décrété pour quatre mois soit
seulement un intermède destiné à "assurer la paix civile"? Au début de l'été 1991, les
militaires assumaient, plus que jamais, la réalité du pouvoir et le gouvernement paraissait
difficilement en mesure de combler le vide politique. Seules une amélioration de
l'économie et la reprise du processus de démocratisation - c'est-à-dire la tenue rapide
d'élections législatives - apparaissaient susceptibles de rendre un peu d'espoir à la
population.
210
José Garçon
Bilan 1991 - Succès électoral des islamistes
211
212
Seize mois plus tard, le 12 juin 1990, les premières élections libres de l'Algérie
indépendante faisaient l'effet d'un coup de tonnerre. Sauf dans les grandes villes, la
bipolarisation aura été la règle compte tenu de l'appel au boycottage lancé par le FFS
(Front des forces socialistes) de Hocine Aït-Ahmed et par le MDA (Mouvement pour la
démocratie en Algérie) d'Ahmed Ben Bella. Le FIS s'est emparé de toutes les grosses
concentrations urbaines, parvenant aussi à s'implanter dans les villes moyennes et dans les
campagnes. Les islamistes ont ainsi obtenu 54,25% des voix des votants pour les
municipales et 57,44% pour les assemblées de willayas contre 28,13% et 27,53% au FLN.
Le nombre important des abstentions - officiellement 35,86% - a notamment souligné que
cette bipolarisation a été vécue comme un choix impossible entre la peste et le choléra. Les
"indépendants" ont remporté pour leur part 11,66% des voix, le Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD) 2,08% et le Parti national de la solidarité et du
développement (PNSD), 1,64%. La participation a été très faible en Kabylie (20%).
213
L'Algérie n'a pas pour autant sombré dans l'intégrisme. En raison de son caractère local ce
scrutin ne remettait pas immédiatement en cause l'équilibre institutionnel du pays. On a
assisté avant tout à un vote-sanction contre le FLN, symbole d'un pouvoir et d'un régime
usés jusqu'à la corde. Le vote FIS a exprimé le comportement oppositionnel de toute la rue
algérienne. Celle-ci n'a pas tant opté pour un projet religieux, que contre un système jugé
"illégitime", "corrompu" et indifférent aux préoccupations quotidiennes de la population.
Bénéficiant d'un vide politique de trois décennies qui les a fait apparaître comme les
"repreneurs" d'un pouvoir déliquescent, les islamistes étaient devenus en effet les seuls
dépositaires d'un discours politique et social contestataire et radical, voire d'une certaine
utopie solidariste et du populisme véhiculé hier par l'ex-parti unique.
214
Le FLN, en fermant les yeux sur les actes d'intolérance et les exactions des islamistes, voire
en les manipulant, croyait tirer profit de la peur qu'ils inspiraient. C'est le contraire qui
s'est produit, le rejet de la politique menée depuis l'indépendance se révélant plus fort
encore que cette peur.
215
Les dissenssions internes qui ont continué à miner l'ex-parti unique ne l'ont par ailleurs
pas aidé à affronter le FIS. En septembre 1989, le chef de l'État, Chadli Bendjedid limogeait
le Premier ministre Kasdi Merbah qui fut pendant quatorze ans le chef de la redoutable
Sécurité militaire, et était accusé de ralentir l'application des réformes. Mais la nomination
pour lui succéder de Mouloud Hamrouche, un technocrate compétent, fidèle de Chadli,
ayant joué un rôle de premier plan dans l'élaboration des réformes mais ne possédant pas
l'autorité nécessaire pour les faire appliquer, n'a pas suffi à rompre avec la logique d'un
FLN parti hégémonique, sinon unique.
216
Cette nomination n'a pas empêché davantage la poursuite des sempiternelles luttes de
pouvoir. De retour au Comité central du parti, à l'occasion de son VIe congrès en novembre
1989, les "barons" de l'ère boumediéniste ont mené la vie dure à Chadli et à son
gouvernement, contestant un Bureau politique dont ils étaient exclus, et réclamant pour
certains le retour de l'ancien président Ahmed Ben Bella. Un débat souvent dérisoire car se
déroulant entre des hommes totalement coupés de la masse de ceux qui peuvent voter, se
mobiliser ou provoquer une explosion dans le pays.
217
Le succès d'une marche du FLN, le 17 mai, qui réunit quelque 200 000 personnes
ramenées de tout le pays par trains, bus, avions et même bateaux, a pu abuser ses
responsables. Cette marche était l'avant-dernière d'une série qui a marqué le premier
semestre de 1990 ; la rue devenant en quelque sorte un institut de sondage grandeur
nature. En effet, le 8 mars, 5 à 6 000 femmes manifestaient dans les rues d'Alger pour
réclamer l'abrogation du code de la famille et l'égalité des droits avec les hommes. Le 20
avril, le FIS organisait une démonstration de force devant la présidence de la République,
exigeant la dissolution de l'Assemblée nationale populaire et des élections législatives dans
les trois mois. Ce rassemblement impressionna plus par sa discipline paramilitaire et son
silence mortuaire que par son nombre (de 60 000 à 70 000 personnes). Le FLN y perdait
encore de son crédit en annulant, par crainte de ne pas tenir la comparaison, la
manifestation qu'il avait convoquée le même jour. Le 10 mai, 80 000 personnes - dont plus
d'un tiers de femmes - marchaient à Alger contre la violence, l'intolérance et pour la
démocratie, à l'appel de quatre partis dont le RCD et le PAGS (Parti de l'avant-garde
socialiste). Aidée par un soutien médiatique considérable, cette marche a en tout état de
cause marqué l'éveil de la société civile algérienne et sa volonté de ne pas laisser les
intégristes décider à sa place. Le 31 mai enfin, Hocine Aït-Ahmed, un des neuf "chefs
historiques" de la révolution algérienne, rentré en Algérie après 23 ans d'exil le 15
décembre 1989, organisait la plus grande de ces démonstrations. Plus de 400 000
personnes défilaient dans la capitale réclamant l'élection d'une Assemblée nationale
constituante, l'abrogation du code de la famille et la dissolution de la police politique.
Vide du pouvoir
218
Au début de l'été 1990, la situation demeurait encore très incertaine. Le vide du pouvoir
semblait total: il avait fallu attendre six jours la première réaction officielle - celle du
Bureau politique du FLN - au succès électoral du FIS, dans des termes montrant le
désarroi du pouvoir et l'atmosphère de règlements de compte régnant au sommet de l'État.
Jusqu'à quand Chadli pourrait-il repousser les élections législatives anticipées exigées par
le FIS? Jusqu'à quand le leader de ce mouvement, Abassi Madani, tiendrait-il ses troupes
chauffées à blanc par le discours enflammé du "numéro deux" du parti, le jeune et très
radical Ali Bel Hadj?
219
220
Quelle allait être enfin l'attitude de l'armée qui, en mars 1989, s'était "retirée de la scène
politique"? Le 4 février 1990, elle est sortie une première fois de son mutisme pour dire sa
détermination à "intervenir pour défendre la démocratie naissante" si besoin en était. Prise
à partie par les islamistes en mai 1990, elle a mis en garde les autorités contre toute
tentation de partager le pouvoir avec le FIS et s'est posée comme l'ultime recours de la
démocratie "face aux menaces des intégristes". Mais quelle est l'influence de ces derniers
chez les sous-officiers et dans le contingent?
221
Deux autres paris d'importance ont par ailleurs été lancés: la mobilisation de la majorité
silencieuse et la création d'un pôle susceptible de reprendre au FIS ses électeurs
occasionnels et de contester à ce dernier le monopole de l'opposition qui lui permettait de
rallier tous les mécontents.
222
La victoire électorale des islamistes aura presque fait oublier que, dans le domaine
économique, l'année 1989 et le premier trimestre 1990 ont été la période où l'Algérie s'est
engagée dans la voie du libéralisme, après trois décennies de socialisme étatique. Le 26
mars 1990, l'Assemblée nationale populaire adoptait la fameuse "loi sur la monnaie et le
crédit" qui ouvrait l'Algérie aux capitaux étrangers. Pièce maîtresse d'une réforme
économique à long terme, cette loi complétait tout un dispositif légal prévoyant
l'autonomie des entreprises publiques, la levée des monopoles d'importation, la libération
partielle des prix, la privatisation de l'agriculture et la "loi sur les relations de travail" qui
autorise les licenciements.
223
Constituant un bouleversement radical, ces lois, peu en prise sur la réalité, n'ont cependant
pas apporté d'amélioration tangible pour la population, en même temps qu'elles ont
désorganisé le système en place. Leur application technocratique trop rigide, le fait que
l'équipe de la réforme se compose plus de technocrates croyant avant tout à la vertu du
texte que de managers ou de politiques ont même provoqué de sérieux
dysfonctionnements. La lutte contre le trabendo - marché parallèle - déclenchée en mai
1989 pour "assainir le marché" en a constitué probablement l'exemple le plus caricatural:
son application sans nuances a fait des ravages - sans doute aussi électoraux - dans un pays
où les pénuries contraignent tous les Algériens à recourir à ce trafic qui pallie les faiblesses
et les carences de l'économie. Le pays est en effet plongé dans une crise économique sans
précédent: le taux de chômage a dépassé les 22% en 1989, le service de la dette extérieure,
évaluée à 23 milliards de dollars, a absorbé les trois quarts de la valeur des recettes
d'exportation. Par ailleurs, le système éducatif génère 200 000 à 300 000 exclus par an et
l'instabilité politique risque de décourager les investisseurs étrangers et de fournir un
argument supplémentaire aux banques étrangères pour ne pas concéder les prêts
supplémentaires nécessaires au remboursement de la dette.
224
Face à des islamistes qui prospèrent sur la crise économique et sociale et recrutent en
palliant matériellement les carences de l'État et des services publics, le vide du pouvoir,
son incapacité à redonner confiance à la population et les incessantes luttes d'appareil
demeuraient, après le coup de semonce électoral, le danger le plus grave qui menaçait
l'Algérie.
225
José Garçon
226
Crise profonde d'un régime en rupture avec son peuple, sanction de vingt-cinq ans
d'erreurs, et timides espoirs d'"ouverture politique": si 1988 restera une année noire pour
l'Algérie, elle aura aussi été, paradoxalement, celle où l'hégémonie politique exercée par le
FLN a pris fin et où, pour la première fois, la société civile a repris la parole après un quart
de siècle de silence.
227
Tout a éclaté - à défaut de commencer puisque des grèves se multipliaient depuis trois
semaines - le 5 octobre 1988. Pendant six jours, de violentes émeutes ont secoué Alger
avant de se propager dans plusieurs villes. Des vagues de jeunes ont déferlé dans les rues,
lançant des pierres contre les policiers, brûlant des pneus et des voitures, faisant voler en
éclats cabines téléphoniques et panneaux publicitaires et s'en prenant à tout ce qui
représente l'État, le Parti ou l'opulence. Des mesures sans précédent dans l'histoire de
l'Algérie indépendante allaient être proclamées: état de siège, couvre-feu, création d'un
"commandement militaire". Des scènes oubliées depuis la guerre de libération ont resurgi:
soldats en tenue léopard et chars devant les bâtiments stratégiques. Puis, tout a basculé.
En tirant sur la foule, l'armée "nationale populaire" a offert aux Algériens et au monde
l'image d'une dictature.
228
Le bilan fut lourd: plus de 500 morts selon des sources médicales, loin en tout cas des 159
annoncés officiellement. Le 10, après une incroyable vacance du pouvoir, un discours du
chef de l'État, Chadli Bendjedid ramena le calme en promettant des "réformes politiques".
229
230
231
232
Dès lors, la chronologie des mesures prises par "la présidence" à partir du 12 octobre 1988,
date de la levée de l'état de siège et de l'annonce d'un référendum le 3 novembre, portant
sur une modification de la Constitution, avait de quoi donner le vertige. Le 24 octobre, une
profonde réforme du FLN appelé à perdre son "hégémonie politique" même si le
"multipartisme" était exclu, fut annoncée. Limogeage le 29 octobre des hommes - Chérif
Messaadia et Lakehal Ayat - qui symbolisaient les deux institutions les plus honnies du
pays, le Parti unique et la toute-puissante police politique, la Sécurité militaire (SM). Le 3
novembre, la première réforme constitutionnelle adoptée par référendum consacrait la
séparation du Parti et de l'État. Nommé Premier ministre le 5, Kasdi Merbah - qui dirigea
la SM sous Boumédiène - présentait, une semaine plus tard, un gouvernement composé de
nombreux technocrates, mais où "l'ouverture politique" était remise à plus tard. Il fallait,
en effet, rassurer ceux qui refusaient toute libéralisation inconsidérée du système. Les 27 et
28 novembre, l'obligation de faire face à la rue, d'assurer la survie du régime et de
restaurer l'image de marque du pays - liée en grande partie à Chadli - l'emportait. Le
congrès du FLN le désigna comme candidat unique à l'élection présidentielle du 22
décembre, non sans qu'il ait exclu le multipartisme dans l'immédiat, et déchargé l'armée
du poids de la répression en assumant la responsabilité de celle-ci. Le 5 février 1989, le
texte de la nouvelle Constitution publié par la presse et qui devait être soumis à
référendum le 23, fit sensation. Le sacro-saint "socialisme" - présent dans l'article premier
de la Constitution adoptée en 1976 - n'y figurait pas, non plus qu'une quelconque allusion à
la Charte nationale ; le multipartisme était implicitement légalisé par le "droit de créer des
associations à caractère politique". L'armée, quant à elle, détentrice du vrai pouvoir depuis
un quart de siècle, n'était plus chargée de "participer au développement du pays et à
l'édification du socialisme", mais avait pour mission la "défense de la souveraineté
nationale" et celle de "l'unité et de l'intégrité territoriale du pays". Le 23 décembre, un mois
jour pour jour après que le "oui" au référendum eut consacré la fin du parti unique et du
socialisme, Chadli Bendjedid était élu pour son troisième mandat présidentiel.
Recomposition ou ravalement?
233
L'électrochoc d'octobre a été trop violent pour que la majorité des dirigeants algériens n'ait
pas conscience de l'impossibilité de revenir au statu quo ante sans voir le régime tout
entier menacé. Mais, en juin 1989, l'application de plusieurs des mesures prévues pour
"démocratiser la vie politique" se faisait toujours attendre. A l'Assemblée siégeaient encore
des députés sélectionnés par le Parti unique et la loi sur le code électoral autorisant la
liberté de candidature aux élections des assemblées populaires, n'avaient pas passé le cap
du Conseil des ministres. C'est seulement le 2 juillet que les députés adoptaient, après de
vives controverses, la loi introduisant le multipartisme.
234
Pourquoi ce piétinement au printemps 1989? Sous couvert d'une idéologie qui sert avant
tout à couvrir des stratégies personnelles, la classe dirigeante s'est déchirée à nouveau: la
hiérarchie de l'État, du secteur public et le FLN, qui n'entendent pas perdre leurs
privilèges, sont repassés à l'offensive et le chef de l'État a dû accepter que le congrès
extraordinaire du FLN soit retardé à fin octobre 1989... En attendant, l'UGTA (Union
générale des travailleurs algériens), syndicat unique et allié de la "vieille garde", se plaçait
résolument, le 28 mars, à contre-courant des réformes économiques et politiques en
s'élevant contre le "plurisyndicalisme" et en défendant l'"option socialiste". En mars
toujours, l'armée se retirait du Comité central du FLN, officiellement pour se "placer au-
dessus du débat politique", plus probablement pour se mettre en réserve et laisser les
"politiques" faire la preuve de leur capacité - ou non - à diriger le pays et à appliquer les
réformes indispensables.
235
Près d'un an après le séisme d'octobre, la "démocratie chadlienne" restait en fait imposée
par un homme et son petit groupe de conseillers, n'ayant pas de discours capable de
rassurer les différentes classes sociales ni de leur offrir des perspectives. La bourgeoisie
n'ayant pas confiance, les classes populaires se sentant délaissées et les relais intellectuels
lui faisant défaut, aucune force sociale ou politique n'était encore venue animer
véritablement le processus lancé par Chadli.
236
Dès lors, la timide "ouverture" amorcée apparaissait bien fragile et exposée à tous les
dangers. Une situation d'autant plus grave que les problèmes sociaux, culturels,
économiques et financiers demeuraient aigus en dépit des prêts consentis par la France - 7
milliards FF - et par le FMI - 350 milliards de dollars. Si la lutte pour le pouvoir et le
maintien des privilèges devaient demeurer les motivations premières de ses dirigeants, on
voyait mal comment l'Algérie pourrait prendre des mesures rétablissant la confiance et
répondre aux problèmes, notamment économiques, d'une société qui pose désormais ses
revendications.
237
José Garçon
238
L'Algérie a reconduit pour 1988 la politique de rigueur qui lui avait permis, l'année
précédente, de maîtriser une situation financière très dégradée. Représentant 98% des
recettes d'exportation, les revenus tirés des ventes d'hydrocarbures se sont stabilisés à 8,45
milliards de dollars en 1987, ce qui était mieux qu'en 1986 (7,65 milliards de dollars). Ce
progrès a autorisé un élargissement du programme général des importations. Mais les
autorités refusant toujours un rééchelonnement de la dette extérieure, le service de cette
dernière a atteint, en 1987 et 1988, 55% de la valeur des recettes d'exportations, une charge
extrêmement lourde. L'objectif est donc demeuré inchangé: accroître par tous les moyens
la production afin d'entretenir une croissance si possible égale à l'expansion
démographique (3,1%).
239
Dans une période de baisse des coûts des énergies alternatives, la cherté des opérations de
liquéfaction, transport et regazéification handicape la commercialisation du GNL (gaz
naturel liquéfié), principale richesse du pays, et compromet ainsi l'amortissement des
énormes investissements opérés - à crédit - durant les années soixante-dix. Pour
sauvegarder et améliorer ses parts de marché en Europe, face à la concurrence
norvégienne et soviétique, et reconquérir sa clientèle nord-américaine, tout en maintenant
ses prétentions sur les prix, la Sonatrach (Société nationale des hydrocarbures) s'est
engagée dans une série de négociations délicates. Si elle n'a pu faire triompher son point de
vue face à ses clients traditionnels - (Gaz de France, Enagas [Espagne], Distrigaz
[Belgique]) -, en revanche, la société algérienne a amélioré ses débouchés en plaçant à long
terme auprès de la Turquie, des États-Unis et de la Grèce un total de 8,6 milliards de
mètres cubes de GNL par an et, auprès de la Libye, 3,5 milliards de mètres cubes par an de
gaz naturel livrés par gazoduc.
Privatisation rampante
240
241
Mise en route à titre expérimental dès octobre 1987, la réorganisation des Domaines
agricoles socialistes (DAS) vise à redonner une dimension humaine à l'acte de production
agricole en permettant un retour aux petites exploitations, sans pour autant procéder à une
privatisation avouée. Pour ce faire, droit de propriété et jouissance sont dissociés. Les DAS,
dont beaucoup demeuraient déficitaires au terme de la campagne 1987, sont redivisés en
exploitations agricoles collectives (EAC). Celles-ci sont attribuées à un collectif incluant au
moins trois fellahs (paysans) qui, rassemblés par affinités, peuvent appartenir à la même
famille. Chaque producteur, moyennant une redevance à l'État, aura des droits réels de
jouissance illimitée, cessibles ou transmissibles après une période de cinq ans. L'État
exerce son droit de propriété en faisant obligation au collectif d'exploiter la terre, de
préserver son indivision ainsi que sa vocation agricole. Ce démantèlement de l'agriculture
collectivisée instaurée depuis 1963 sur 2,4 millions d'hectares qui avaient appartenu à des
colons français, devait être achevé en juin 1988.
242
Le renouveau du secteur public industriel est également recherché par l'octroi d'une large
autonomie de gestion. Selon la réforme engagée, l'État doit rester propriétaire et unique
actionnaire du capital, mais il ne gère plus. La tutelle du ministère de l'Industrie étant
abolie, le directeur général nommé par le conseil d'administration reçoit tous les pouvoirs
de gestion ; mais en contrepartie, sa responsabilité civile et pénale est pleinement engagée.
Les entreprises publiques, auxquelles est consenti un dernier apurement de leur passif,
seront désormais financées par les banques et non plus par l'État. Un calendrier de
transformation des entreprises nationales (500) et locales (1 500) en "entreprises
publiques économiques" a été adopté: 1988 est une année de préparation à la réforme, qui
sera d'abord testée sur un échantillon d'entreprises, puis progressivement étendue. En une
période où l'investissement privé se concrétise difficilement, la chute des investissements
publics ne permet pas non plus de résorber une demande d'emplois croissante et, pour la
première fois, en 1988, un traitement social du chômage a été mis en place en faveur de
cent mille jeunes de seize à vingt-quatre ans affectés à un "travail d'utilité publique".
243
Les grèves étudiantes en novembre 1987 avaient d'ailleurs attiré l'attention sur la jeunesse.
Tout en retirant des projets de réforme contestés, le président Chadli Bendjedid avait alors
concentré entre les mains de M. Benamar l'ensemble des responsabilités ministérielles en
matière d'éducation et de formation, à l'exception de l'enseignement supérieur, confié à M.
Belkaïd. Cela, en attendant un bilan demandé par le Comité central du parti unique FLN
(Front de libération nationale) sur l'appareil éducatif dont la qualité est jugée insuffisante.
L'exemple tunisien
244
L'ardeur du président Chadli à vaincre les réticences suscitées par une réforme à laquelle
est associé son nom est motivée par l'urgence à engager le pays sur la voie d'une économie
productive. S'il nie que soit remise en cause l'option socialiste, et refuse un débat politique
au grand jour, le chef de l'État n'ignore pas pour autant qu'un citoyen dont on sollicite
l'effort en période d'austérité attend certaines compensations. La nomination en juin 1987
de Hedi Khediri, homme de confiance du président et qui se veut un ministre de l'Intérieur
ouvert, allait dans ce sens. Son premier acte a été de faire voter une loi sur les associations
beaucoup plus libérale. Les initiatives de la Ligue algérienne des droits de l'homme, et les
verdicts jugés modérés à l'issue des procès respectifs des opposants benbellistes et
intégristes (groupe Bouali) ont dénoté un souci de préserver la paix sociale en détendant
l'atmosphère. Mais cette politique a des limites: "oui" à un élargissement des discussions
au sein du FLN, susceptibles de créer des habitudes démocratiques, mais "non" au
multipartisme qui "chez nous, aurait vite fait de dégénérer en anarchie", a prévenu le chef
de l'État.
245
Le "confort" qu'offre le parti unique aux dirigeants risque cependant d'être ruiné à terme
par l'exemple de la Tunisie. La coopération développée depuis 1983 met fréquemment en
contact les élites et la jeunesse des deux États et elle ne peut manquer d'exercer une
influence si le président tunisien Zine Ben Ali réussit à redonner de la substance aux partis
politiques et aux corps intermédiaires de son pays.
246
247
248
Nicole Grimaud
249
A l'approche de son vingt-cinquième anniversaire (juillet 1987), l'État algérien traverse une
période cruciale. La dévalorisation du pétrole et du dollar survenue en 1986 a eu des
incidences désastreuses, privant le pays de 40% de ses recettes en devises (7,65 milliards
de dollars en 1986 au lieu de 12,7 milliards en 1985). L'Algérie a régressé: sa croissance
économique de 2,9% a été prise de vitesse par son expansion démographique de 3,2%
250
251
Diverses techniques ont été utilisées pour boucler les comptes: collecte de l'épargne privée,
déficit budgétaire (14 milliards de dinars en 1986, 12 milliards prévus pour 1987),
utilisation des réserves en devises, pratique des arriérés de paiement. Enfin, depuis la
baisse du pétrole en 1983, l'Algérie est revenue sur le marché international des capitaux ;
elle y a emprunté 1,3 milliard de dollars en 1986, d'où une dette extérieure totale d'environ
20 milliards de dollars. Les remboursements connaîtront ainsi une nouvelle hausse à
partir de 1988, tandis que la stabilisation du prix du baril à 18 dollars - objectif que s'est
fixé l'OPEP en décembre 1986 - reste aléatoire... Alors, où trouver de nouvelles ressources?
252
253
Cependant, jamais les inconvénients d'une telle dépendance envers les hydrocarbures
(98% des exportations) n'ont été ressentis aussi lourdement. Il n'y a plus désormais
d'échappatoire possible à la transformation des structures et des mentalités déjà mise à
l'ordre du jour au congrès du Front de libération nationale (FLN) en juin 1980...
254
Pour diriger le passage d'une économie de rente à une économie productive, le président
Chadli Bendjedid, depuis le remaniement gouvernemental de février 1986, s'est entouré de
gestionnaires expérimentés. Adoptant le précepte chinois "que le chat soit blanc ou noir,
l'important est qu'il attrape des souris", le gouvernement a privilégié les critères
d'efficacité. Son but immédiat a été d'augmenter la production de richesses afin de
satisfaire la demande interne et de dégager un surplus exportable à des prix compétitifs.
Redressement agricole
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257
Les gains de productivité concernent surtout l'industrie où les entreprises tournent à 70%
de leur capacité. La priorité y a été donnée aux "investissements dits de valorisation du
potentiel existant". En 1986 sont apparus les premiers cercles de qualité et, pour assainir le
secteur public, on n'a pas hésité à licencier les sureffectifs ni à fermer les unités
déficitaires. La restructuration des sociétés nationales ayant produit des résultats mitigés,
la rentabilité a été recherchée dans l'autonomie de gestion qui, excluant le contrôle
bureaucratique a priori, ne trouve ses limites que dans le respect de la planification.
258
Si le réalisme économique prôné par le président Chadli est crédité d'un large consensus au
sommet de l'État, des résistances de fait se sont manifestées au sein de l'administration et
du FLN englués dans la routine de vingt-cinq ans d'État-Providence et de centralisation. Le
débat entre tenants des réformes pragmatiques et champions de l'orthodoxie socialiste
s'est perpétué avec pour chefs de file les rédactions des hebdomadaires Algérie-
Actualité et Révolution africaine, organe du FLN ; il ne peut masquer l'urgence d'un
réajustement structurel, malgré le coût social à payer.
259
Pression démographique
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Le gouvernement dispose d'une courte marge de manoeuvre, pris en tenaille qu'il est entre
deux contraintes, l'une financière, l'autre démographique (23,7 millions d'habitants dont
75% de moins de trente ans) qui se traduit par une demande croissante d'emplois (146 000
postes de travail par an et déjà 18% de chômage) et d'éducation (6 millions de jeunes à
l'école), sans oublier la crise du logement. En novembre 1986, les émeutes étudiantes de
Constantine et de Sétif (quatre morts, de nombreux blessés, cent quatre-vingt-six
incarcérations) ont été une manifestation de l'effervescence et de l'inquiétude populaires
devant la dégradation des conditions de vie. Désireux d'éviter une exploitation politique du
mécontentement, le pouvoir, qui a liquidé en janvier 1987 le maquis intégriste dirigé par
Mustafa Bouiali, a assigné à résidence dans le Sud, pendant plusieurs mois, des membres
d'une opposition, d'ailleurs très disséminée, notamment des adhérents de la Ligue
algérienne des droits de l'homme et des sympathisants d'Ahmed Ben Bella. La presse
qu'inspire ce dernier, avec Aït Ahmed, et qui s'était acquis une certaine audience au sein de
l'immigration algérienne, a été interdite en France en décembre 1986 et à nouveau en mars
1987, comme étant "de nature à porter atteinte aux intérêts diplomatiques de la France".
261
Après avoir sévi, et afin de créer une certaine détente, le président Chadli a décidé en mars
1987 la levée des mesures d'assignation à résidence dans le Sud et, en avril, la libération
des cent quatre-vingt-six condamnés lors des émeutes de Sétif et de Constantine. Dans le
même temps, il a suscité la création d'une autre Ligue des droits de l'homme, concurrente
de la précédente, qui a reçu aussitôt l'agrément officiel.
262
Quant à la diplomatie algérienne, elle a essentiellement été accaparée par des tentatives de
réconciliation entre frères ennemis: entre l'Iran et l'Irak, le Tchad et la Libye, la Tunisie et
la Libye, L'OLP et la Libye d'une part, la Syrie de l'autre. Ces entreprises méritoires mais
ingrates ont été conduites avec des succès divers, mais l'Algérie a vu sa principale
initiative, lancée en avril 1986, aboutir à de substantiels progrès dans le processus de
réunification de la Résistance palestinienne, couronnés par la réunion à Alger du Conseil
national palestinien le 20 avril. En outre, avec une extrême discrétion, l'Algérie a mis son
entregent au service de la libération des otages français détenus au Liban.
263
Nicole Grimaud
264
"C'est la crise": l'année 1986, qui annonçait un second souffle pour le régime du président
Chadli Bendjedid avec l'adoption de la nouvelle Charte nationale, a commencé dans un
climat pessimiste. 98% de ses recettes d'exportation provenant des hydrocarbures,
l'Algérie se trouve frappée de plein fouet par la dégringolade des prix du pétrole (-50% en
six mois) et l'érosion parallèle de la monnaie américaine, utilisée pour les transactions
pétrolières, alors que le coût des biens d'équipement importés est resté à peu près stable.
Ses revenus en devises, qui, selon les chiffres officiels, s'étaient maintenus en 1985 aux
alentours de 12,8 milliards de dollars, pourraient tomber à seulement 8 ou 9 milliards.
265
Car la baisse des tarifs pétroliers a une incidence directe sur ceux du gaz, dont l'Algérie
possède des réserves qui la placent au quatrième rang mondial. En raison d'une stratégie
commerciale fondée sur des accords à long terme et des prix élevés, elle a perdu
progressivement tous ses clients sur le marché américain et elle devait renégocier en 1986,
avec ses partenaires belge, italien et français, dans des conditions peu favorables ; pour ce
pays de 23 millions d'habitants dont les besoins croissent au rythme d'une démographie
"galopante", les temps difficiles de "après-pétrole" sont arrivés plus tôt que prévu.
266
Dès la fin février 1986, le gouvernement a décidé d'informer ses concitoyens de la situation
et d'opérer des compressions budgétaires (-20% sur le programme d'importations, -26%
sur les équipements). Et à partir du mois d'avril, les autorités algériennes ont commencé à
expulser quelque 20 000 Maliens et Nigériens qui s'étaient installés illégalement dans le
Sud saharien et devenaient un fardeau économique.
267
Dans ce contexte difficile, les dirigeants algériens ont gardé au moins deux motifs de
satisfaction. D'abord la nette amélioration des performances de l'agriculture, grâce à l'aide
accordée par l'État aux petits paysans, à la restructuration des domaines autogérés, au
relèvement des prix offerts aux producteurs et à des pluies régulières. La récolte de
céréales a ainsi atteint en 1985 le niveau exceptionnel de 30 millions de quintaux (dont
16,4 de blé) contre 16 millions l'année précédente, tandis que la production de pommes de
terre a doublé en l'espace de deux ans (on en espérait 10,5 millions de quintaux en 1986).
Ces progrès ont allégé d'autant la facture des importations alimentaires, lesquelles
couvrent 60% des besoins. L'autre indice de bonne santé économique est le niveau de la
dette, maintenu - grâce à une gestion très prudente - autour de 17 milliards de dollars.
268
L'Algérie peut donc se permettre d'emprunter pour affronter cette mauvaise passe. Mais
ses dirigeants semblent hésiter à la fois sur l'ampleur de la crise et sur la stratégie à
adopter: si l'austérité (et non la simple rigueur) se révèle indispensable, qui va-t-elle
toucher en priorité parmi les secteurs de l'État et dans la population? Et peut-on sans
risque remettre brutalement en cause les alliances nouées avec les couches populaires sur
la base d'un partage de la rente des hydrocarbures? On a vu affleurer dans la presse
(suivant qu'elle est plus proche du Parti ou de la Présidence) un débat sur la crise qui
paraît recouper assez exactement les discussions parfois très polémiques auxquelles on a
assisté en 1985 à propos de la Charte nationale.
269
Le président Chadli avait annoncé, début 1985, que ce document de base du socialisme
algérien, adopté par référendum le 27 juin 1976 à l'issue d'un large débat populaire, serait
"enrichi" à la lumière des dix années écoulées. Soumise fin décembre à un Congrès
extraordinaire du Front de libération nationale (FLN), puis approuvée le 16 janvier 1986
par une écrasante majorité d'électeurs, la seconde mouture est le résultat d'un compromis
plus malaisé que prévu entre les forces qui composent l'assise traditionnelle du régime (le
Parti, la technocratie et l'armée), elles-mêmes partagées entre les défenseurs de "l'héritage"
du président Boumediene et les partisans de réformes économiques audacieuses à la
manière chinoise.
270
271
La Charte met aussi l'accent sur le contrôle de la croissance démographique: avec un taux
de 3,2% par an, il fallait déjà scolariser, en 1985, près de 6 millions d'enfants et
d'adolescents. Dans ce domaine, la rupture est nette avec les idées natalistes professées il y
a dix ans dans la foulée d'un tiers mondisme militant.
272
Au lieu du remaniement en profondeur auquel on s'attendait après le plébiscite de la
Charte, le président Chadli a seulement procédé à des changements "techniques" au sein
du gouvernement et à la tête du Parti, sans toucher aux postes clés: certains compromis
ont sans doute été nécessaires en raison des incertitudes économiques.
Montée de la contestation
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275
276
L'unité du Maghreb reste par ailleurs la ligne directrice d'une diplomatie plus
"pragmatique" que par le passé, et préoccupée avant tout de la stabilité de la région. Prise
au dépourvu en 1984 par le traité maroco-libyen, l'Algérie a réussi, après une période de
flottement, à renouer avec son turbulent voisin libyen. Le président Chadli et le colonel
Kadhafi se sont rencontrés fin janvier 1986 à In Amenas, dans le désert algérien, afin de
dissiper les malentendus. Alger a offert de dynamiser la coopération, tout en différant
l'échéance d'une "fusion" politique que la Libye a déjà sollicitée à plusieurs reprises.
277
Car les Algériens ne veulent surtout pas compromettre leurs bonnes relations avec la
Tunisie, qu'ils s'efforcent de protéger contre les menaces libyennes, et où ils défendent des
intérêts vitaux (le gazoduc algéro-italien passe en territoire tunisien). Ils persistent aussi à
rechercher une entente avec le Maroc dans l'espoir de régler enfin le conflit du Sahara
occidental, à condition que Rabat fasse un geste envers le Front Polisario, qui revendique
depuis treize ans cette ancienne colonie espagnole. En avril 1986, le royaume chérifien a
accepté d'ouvrir à New York, sous l'égide des Nations unies, des conversations
préliminaires en vue d'établir un cessez-le-feu et d'organiser un référendum ; mais il
persistait dans son refus officiel de nouer des contacts directs avec le Polisario.
278
L'autre point saillant de la politique étrangère algérienne a été, à la fin mars 1986, la visite
du président Chadli à Moscou, destinée à équilibrer, suivant les principes d'un strict non-
alignement, celle qu'il avait effectuée un an auparavant à Washington.
279
Ce "retour à Moscou" ne semble pas avoir remis en cause la politique de dialogue avec
l'Ouest et les États-Unis, dont les raids aériens contre la Libye ont cependant soulevé un
tollé dans la presse et au sein du FLN, alors que le gouvernement adoptait une attitude
nettement plus modérée. De tels contrastes indiquent que la "chadlisation" du régime n'est
pas encore achevée et que le chef de l'État pourrait avoir besoin d'un troisième mandat
pour mener à bien les réformes dans lesquelles il s'est engagé.
280
Joëlle Stolz
281
Il aura fallu près de sept ans à Chadli Bendjedid, réélu à la présidence le 12 janvier 1984,
pour achever de consolider son pouvoir, grâce à un style politique nouveau. A ce titre,
l'année 1984 et le début de 1985 ont marqué une étape importante. Les intentions de la
classe dirigeante algérienne sont apparues plus clairement, notamment dans les premiers
mois de 1985:
282
- 1er janvier 1985: le second Plan quinquennal 1985-1989 est entré en vigueur. Axé
essentiellement sur le développement de l'agriculture, il a confirmé l'ouverture vers le
secteur privé.
283
- Février 1985: le président algérien a annoncé son intention de faire amender la Charte
nationale, le document idéologique de référence du FLN (Front de libération nationale),
intention qu'il a confirmée, fin avril, devant les membres du Comité central du parti
unique algérien.
284
- 16 avril 1985: Chadli Bendjedid est allé à Washington pour une visite officielle de six
jours, la première effectuée aux États-Unis par un chef d'État algérien.
285
De ces trois événements, celui qui a le plus frappé l'opinion algérienne a été sans conteste
l'annonce de l'amendement de la Charte. Adoptée par referendum le 27 juin 1976, à l'issue
d'un débat national ouvert à tous les courants de pensée, le texte de base de la Révolution
algérienne définissait le socialisme comme "une option irréversible", et consacrait le FLN
comme parti unique. En décidant "d'enrichir" le document "à la lumière des expériences
acquises durant la dernière décennie et des nouvelles données des années quatre-vingt",
Chadli Bendjedid a ébranlé le plus ancré des dogmes de l'Algérie indépendante. Une
commission nationale devait être chargée de cette opération "d'enrichissement" dont le
chef de l'État n'a pas exclu qu'elle puisse porter sur des aspects fondamentaux ; auquel cas,
la question serait soumise à referendum.
286
Un débat national devait avoir lieu à ce sujet en août 1985. Chadli a précisé: "Nous
expliquerons le sens de l'enrichissement pour que ce sujet ne soit pas exploité par certains
éléments tendancieux...", faisant allusion aux opposants réels ou potentiels qui pourraient
saisir cette occasion pour crier à la remise en cause des options socialistes, voire à
l'infitah (politique de libéralisation à outrance comme celle pratiquée en Égypte au temps
du président Anouar el-Sadate). Cette éventualité paraissait toutefois peu probable, du fait
du ralliement de la majeure partie des exilés politiques.
287
288
Parmi ceux, peu nombreux, qui ont refusé de répondre à l'appel du chef de l'État algérien,
le plus actif, le premier président Ahmed Ben Bella, même s'il a bénéficié d'importants
soutiens de l'étranger, est resté plus isolé que jamais. Enfin, la politique d'apaisement s'est
également manifestée en faveur des milieux intégristes dont les troupes de choc ont eu
droit, en avril 1985, à un verdict remarquablement modéré, tout comme les militants
berbéristes dont sept ont été relaxés lors du procès de février 1985.
289
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Certes, les statistiques 1985 de la Banque mondiale révélaient un PNB par habitant de 2
350 dollars en 1982, plaçant l'Algérie au troisième rang des pays d'Afrique ; selon les
statistiques officielles algériennes, le revenu annuel moyen par habitant est passé de 3 596
dinars (5 980 francs) en 1979, à 5 493 dinars (9 155 francs) en 1984. Pourtant, ces chiffres
n'effacent pas la dure réalité d'un taux de chômage officiellement évalué à 16,9% pour
1984, qui a frappé de plein fouet les citadins (45% de la population). Le sous-emploi, la
poussée démographique, l'habitat et l'insuffisance de production agricole ont atteint la cote
d'alerte. Et, lorsque le Premier ministre Abdelhamid Brahimi s'est félicité, dans une
interview à Ech Chaab, en avril 1985, de ce que la production industrielle avait augmenté
de 17% entre 1980 et 1984, au même moment, l'organe du FLN, Révolution africaine,
publiait un dossier explosif sur l'inflation (6,5% en 1984) qui soulignait les "inégalités
criantes" du système en s'appuyant sur une enquête de l'Office national des statistiques
menée en 1980. Ce dossier dénonçait le goût de luxe des couches aisées de la population et
faisait remarquer que ce sont "les jeunes de 25 à 35 ans (60% de la population) qui
pâtissent le plus de la situation en voyant leurs perspectives d'avenir bouchées".
Priorité à l'agriculture
291
292
Très largement renforcé depuis le départ à la retraite anticipée d'une masse considérable
d'anciens officiers de l'armée ou de cadres issus du mouvement de libération nationale, le
secteur privé pourrait constituer une force importante dans le pays. Fin 1984, 1 200 projets
privés attendaient le feu vert du ministère des Finances, tandis que près de 3 000
Algériens avaient accédé, à la même époque, à la propriété agricole. Tout comme pour les
plans de développement précédents, le financement du Plan 1985-1989 repose sur les
recettes pétrolières et les crédits extérieurs. Dans son bilan 1984, le Fonds monétaire
international (FMI) s'est félicité de la politique économique algérienne. La baisse de la
production de pétrole a été compensée par l'accroissement régulier des ventes de gaz
naturel. Le service de la dette extérieure ne représentait que 9,4% des recettes
d'exportation. Autre motif de satisfaction pour le FMI, les sacro-saints prix des produits
céréaliers ont été révisés en hausse de 10%.
293
294
Ce come back sur Alger après dix-sept ans d'une présence américaine discrète a été facilité
par l'image favorable dont jouit le président Bendjedid à la Maison Blanche - où il est
apprécié comme un "pragmatique modéré" - mais aussi par le rôle qu'a joué l'Algérie dans
la libération des otages de l'ambassade américaine de Téhéran en janvier 1981. Les
Algériens sont restés les seuls parmi les pays musulmans à entretenir de bonnes relations
avec l'Iran, sans altérer pour autant leurs rapports avec Bagdad. Ils ont également adopté
une position intermédiaire au Proche-Orient, où Alger a été un élément modérateur entre
Syriens et Palestiniens. Le roi Hussein de Jordanie, au cours de son séjour en Algérie,
début 1985, a exposé en détail les termes de son accord avec Yasser Arafat. Les Algériens
ne l'ont pas formellement rejeté.
295
296
Ces signes d'ouverture se sont exprimés parallèlement à une politique active au sein des
non-alignés et de l'OUA. L'admission de la République arabe sahraouie démocratique
(RASD) à l'organisation panafricaine ayant été acquise lors du XXeSommet d'Addis Abeba
en novembre 1984, Alger a centré l'essentiel de son action sur la tragique détérioration de
la situation économique du continent africain. Cependant, le problème du Sahara
occidental n'était pas résolu en 1985, le Maroc occupant toujours la partie vitale de
l'ancienne colonie espagnole. Chadli Bendjedid a d'ailleurs profité de son voyage aux États-
Unis pour sensibiliser la Maison Blanche au risque que faisait courir le conflit à l'ensemble
de la région, et à la nécessité de mettre fin au monopole marocain dans le dialogue avec
Washington. Cette démarche, encouragée par l'irritation américaine consécutive au traité
d'union maroco-lybien du 13 août 1984, a aussi été motivée par l'évolution d'une position
française jugée trop ouvertement pro-marocaine. L'Algérie est restée très ferme sur la
question du Sahara occidental, estimant que le principe du droit à l'autodétermination et à
l'indépendance tout comme celui de l'intangibilité des frontières issues de la colonisation
constituent le plus petit dénominateur commun de l'unité africaine.
297
Kamel Djaïder
298
Il n'est plus permis d'en douter: au terme d'une transition de cinq ans, l'Algérie a
définitivement tourné en 1983 la page du Boumediénisme pour entrer dans l'ère du
"chadlisme". Le colonel Chadli Bendjedid, 54 ans, a été réélu chef de l'État pour cinq ans le
12 janvier 1984, avec 95,36% des suffrages. Secrétaire général du parti FLN, ministre de la
Défense, soutenu par l'armée qui l'avait choisi en 1978 pour succéder à Boumediène, il
dirige le pays avec fermeté et a désormais les moyens de faire prévaloir ses vues. Le
Ve Congrès du FLN réuni du 19 au 22 décembre 1983 a approuvé ses orientations et a
débouché sur un profond renouvellement du Comité central, instance suprême du parti.
299
Les plus proches collaborateurs de Boumediène, ceux que l'on appelait volontiers les
"barons", en ont été définitivement écartés. C'est le cas de M. Bouteflika, qui dirigea
pendant quinze ans, de 1964 à 1979, la diplomatie algérienne, de M. Abdenelam, "père de
l'industrialisation", de M. Tayebi Barbi qui avait fait du ministère de l'Agriculture un fief
où il régnait sans partage, ou encore de MM. Benchérif, ancien commandant en chef de la
gendarmerie et Draïa, ex-chef de la police. Les uns et les autres avaient été "suspendus" du
Comité central après enquête de la commission de discipline. La gestion passée de
plusieurs d'entre eux a en effet été mise en cause par la Cour des comptes dans le cadre de
la "campagne d'assainissement" lancée par le chef de l'État pour lutter contre le laxisme et
la corruption. M. Bouteflika a ainsi été condamné le 14 mai 1983 à reverser au Trésor
algérien plusieurs centaines de milliers de francs suisses qu'il aurait détournés. Rejetant
vivement les accusations portées contre lui, l'ancien ministre qui vit en exil en Europe a
dénoncé un jugement par lui assimilé à une "manoeuvre politique".
300
Plus significative encore est l'élimination du Comité central du colonel Mohamed Salah
Yahiaoui, chef de file des progressistes à qui Boumediène avait confié la tâche de rénover le
parti et les organisations de masse. Disposant de soutiens dans l'armée, il était apparu
comme le rival le plus sérieux du colonel Chadli Bendjedid dans la course à la succession et
lors du Congrès de janvier 1979, ce dernier avait dû composer avec lui et lui abandonner la
direction du FLN. Ce bicéphalisme avait pris fin en mai 1980 lorsque l'armée, lasse des
désordres fomentés par les étudiants arabisants puis par les Kabyles, s'était prononcée
pour l'octroi de pleins pouvoirs au chef de l'État. Celui-ci avait alors remplacé M. Yahiaoui
par un apparatchik, M. Messaadia, qui s'est employé avec succès à reprendre en main le
parti et les organisations de masse. Mais M. Yahiaoui, qui dispose de nombreuses amitiés
en raison de son intégrité et de son prestigieux passé de maquisard, était resté membre à
part entière du CC.
301
302
303
S'il n'est pas question d'une libéralisation économique comparable à celle mise en oeuvre
par Sadate en Égypte, les dirigeants ont poursuivi en 1983 leurs efforts pour rentabiliser
l'appareil de production installé à grands frais par Boumediène. La déconcentration et la
décentralisation ont fait de notables progrès: le 16 décembre 1983, l'Assemblée populaire
nationale a adopté un projet de loi créant 17 nouvelles willayas (départements), ce qui
porte leur nombre à 48, et élevant le nombre des communes à 1 540 contre 704. Le
nouveau découpage territorial sera effectif en 1985 en même temps que démarrera le
nouveau plan quinquennal 1985-1989.
304
Les quatre cents entreprises industrielles nées de l'éclatement des quelques soixante-dix
sociétés nationales qui formaient l'épine dorsale de l'économie algérienne sont devenues
opérationnelles. Le secteur agricole a été lui aussi réaménagé. Ainsi les domaines autogérés
et les coopératives de la révolution agraire (CAPRA) ont été regroupés au sein d'un même
secteur. A la fin de septembre 1983, on dénombrait 3 400 "domaines agricoles socialistes",
couvrant une superficie de 2 766 200 hectares. Dans chacun d'entre eux a été nommé un
ingénieur agricole, un comptable et un chef de parc. Une aide importante a été accordée
aux agriculteurs privés qui se vont vus distribuer 15 000 tracteurs et 70 000 moto-pompes.
Les opérations de restructuration et de remembrement ont été parfois l'occasion de
restituer des terres à leurs anciens propriétaires. La privatisation est désormais envisagée à
moyen terme pour tous les domaines qui continueraient à accumuler les déficits.
L'agriculture reste le souci premier des dirigeants. En raison d'une sécheresse persistante,
la production de céréales d'hiver est tombée en 1983 à 12 millions de quintaux, contre 22
millions en 1980. Seules les productions maraîchères ont progressé. Le quart environ des
recettes tirées du pétrole et du gaz a été consacré en 1983 à l'achat à l'étranger de denrées
alimentaires.
305
De façon générale, les responsables, tout en restant globalement fidèles au choix socialiste,
entendent se montrer réalistes et refusent tout dogmatisme. L'entreprise privée est
réhabilitée à condition d'être "non exploiteuse" et de s'insérer harmonieusement dans la
planification générale. Si le monopole d'importation de l'État est maintenu, des mesures
ont été prises en décembre 1983 pour permettre aux petites et moyennes entreprises
d'importer des équipements dont la valeur est inférieure à 100 000 dinars (168 000 F). Les
contraintes qui freinaient l'investissement privé dans le secteur immobilier ont été en
partie levées.
306
L'action engagée dès 1979 pour rétablir les équilibres économiques fondamentaux, rompus
durant la période précédente, s'est poursuivie. L'accent a été mis sur l'implantation de
petites unités industrielles décentralisées, sur l'amélioration des voies de communication,
notamment ferroviaires, sur le développement de l'appareil de distribution et des moyens
de stockage, sur la construction de logements afin de répondre à des besoins sociaux sans
cesse croissants en raison de l'élévation du niveau de vie (les revenus des ménages auraient
augmenté de 5% en 1983) et de l'expansion démographique.
307
Les investissements sont financés pour l'essentiel par les recettes tirées de l'exportation
des hydrocarbures dont la vente représente 97% des revenus de l'Algérie. Elles se sont
élevées en 1983 à 55 milliards de dinars (11,3 milliards de dollars) contre 59,6 en 1982.
L'Algérie a su compenser la chute des cours du brut et la baisse de sa production de pétrole
par une habile politique de diversification: le condensat, le gaz naturel, les produits
raffinés et dérivés représentent désormais les trois quarts des ventes à l'étranger. La mise
en service, le 18 mai 1983, du gazoduc acheminant en Italie, via la Tunisie et la Sicile, le gaz
naturel d'Hassi-R'Mel va accentuer cette évolution puisque de 2,6 milliards de m3 en 1983,
les livraisons ainsi effectuées doivent atteindre 12,5 milliards de m3 en 1986.
308
Dans l'ensemble, l'économie algérienne est saine grâce à une gestion prudente. La balance
commerciale des biens et des services n'a été en 1983 que faiblement déficitaire. La dette
extérieure reste importante et a lourdement pesé sur l'exercice 1983, puisque l'Algérie a
remboursé 4,2 milliards de dollars, soit 30% environ de ses exportations. Mais elle doit
désormais baisser et les remboursements prévus pour 1984 n'étaient que de 3 milliards de
dollars. L'Algérie, qui n'avait presque pas eu recours aux capitaux extérieurs depuis 1980, a
donc facilement trouvé des prêteurs pour couvrir les deux emprunts lancés en 1983: l'un de
700 millions de dollars pour la Sonatrach en mai et l'autre de 800 millions de dollars pour
la Banque nationale d'Algérie (BNA) en décembre.
309
Le chiffre officiel de créations d'emplois (151 000) est satisfaisant et l'inflation s'est
maintenue en 1983 comme en 1982 aux alentours de 13% (le chiffre officiel est de 5,7). Le
PNB aurait augmenté en prix courants de 7 à 8%, mais en valeur réelle de 0,1% seulement.
310
311
La politique de "bon voisinage positif" menée par le président Chadli Bendjedid s'est
également développée avec succès en direction du Niger, du Mali et de la Mauritanie. Cette
dernière coopère étroitement avec l'Algérie et a signé à son tour le 13 décembre 1983 le
traité de fraternité et de concorde algéro-tunisien, ouvert en principe à tous les pays
maghrébins. Ainsi, s'est constitué un axe Nouakchott-Alger-Tunis, qui s'est substitué à
l'axe Alger-Tripoli. Les relations algéro-libyennes se sont en effet d'autant plus dégradées
que le colonel Kadhafi s'est rapproché du Maroc et a cessé son aide au Polisario en échange
de la neutralité chérifienne dans l'affaire tchadienne.
312
La politique de rapprochement avec la France a été marquée par une date historique dans
les relations entre les deux pays, longtemps frappées du sceau de la défiance. En se rendant
en visite officielle à Paris du 7 au 10 septembre 1983, le président algérien a scellé la
réconciliation entre l'ancienne métropole et l'ancienne colonie. Les échanges économiques
se sont développés de façon considérable dans la foulée de l'accord gazier du 3 février
1982, au point que la France, qui a retrouvé sa place de premier client et de premier
fournisseur de l'Algérie a enregistré en 1983 un déficit commercial de 100 millions de
francs. La coopération s'est également développée dans le domaine militaire avec la
signature en juillet 1983 d'un accord cadre. La concertation politique entre les présidents
Chadli Bendjedid et Mitterrand a été constante, notamment à propos du Proche-Orient et
du Tchad. Ce rapprochement franco-algérien s'est accompagné d'une ouverture vers
l'Occident, particulièrement vers l'Europe. Après sa visite à Paris, le chef de l'État algérien
s'est rendu à Rome. Les relations politiques se sont développées avec la Grande-Bretagne,
la Belgique, l'Espagne. Le roi Juan Carlos est ainsi venu en visite officielle à Alger le 20 mai
1983. Alger a même réservé un accueil cordial le 14 septembre 1983 au vice-président
américain Georges Bush. Les responsables algériens, toujours attachés aux principes du
non-alignement, ont ainsi poursuivi leur politique de recentrage et ont pris quelques
distances avec Moscou. Cependant, même s'ils s'attachent à diversifier leurs armements
jusque-là exclusivement achetés en URSS et à réduire le nombre de conseillers militaires
soviétiques en se tournant vers l'Occident, ils n'en veillent pas moins à garder de bonnes
relations avec l'URSS et les pays de l'Est.
313
1983 a donc été une année charnière marquée dans tous les domaines par des décisions
importantes. Sur le plan strictement politique, le régime a réussi, au prix de quelques
dizaines d'arrestations, à maintenir dans des limites raisonnables la contestation
islamique. Il se garde de l'attaquer de front et se situe sur son terrain en prônant un islam
moderniste et progressiste: est-ce pour ne pas prêter le flanc à la critique des intégristes?
Le 29 mai 1984, un nouveau Code de la famille était enfin promulgué, corrigeant quelque
peu les inégalités entre les sexes et accordant à la femme certains droits jusqu'alors
réservés aux hommes (ainsi, par exemple, la femme pourra choisir son époux et en
divorcer plus facilement). Le premier projet avait été vivement contesté, surtout par des
femmes, dont certaines n'avaient pas hésité à manifester dans la rue.
314
Force est de constater que cette politique prudente dans tous les domaines a épargné à
l'Algérie les terribles secousses qu'ont connues ses voisins en janvier 1984 à la suite
d'importantes augmentations des produits de première nécessité. Des mesures de même
nature ont été prises en Algérie le 31 juillet 1983, mais les hausses ont été modérées,
s'échelonnant de 10 à 30%. Et elles ont été compensées par une augmentation de 10% du
salaire minimum porté à 1 100 dinars par mois (1 850 F environ) et par un relèvement de
tous les salaires inférieurs à 2 000 dinars, mesure qui a touché quelque 2 400 000
travailleurs.
315
Daniel Junqua
316
C'est au nom du Grand Maghreb que le président Chadli Bendjedid, sollicité depuis son
élection le 7 février 1979, a finalement accepté de rencontrer le roi Hassan II le 26 février
1983 dans le village socialiste Akid Lotfi, à la frontière des deux pays. Leur tête-à-tête
marque un jalon important dans l'évolution de la politique algérienne sur le double plan
intérieur et extérieur.
317
Sur le plan intérieur, elle est le reflet subtil d'une modification du rapport de forces: à
moins d'un an de l'échéance de son mandat présidentiel, le colonel Chadli qui avait été
imposé par l'armée et dont tout laisse supposer qu'il sera à nouveau le candidat unique du
FLN à la tête du Parti et de l'État, a réussi à neutraliser ses adversaires les plus coriaces et à
devenir le vrai "patron". Il a ainsi fait prévaloir sa politique pragmatique sur celle des
"idéologues". Sur le plan extérieur, elle illustre les infléchissements apportés, depuis la
mort de Boumediène, à la diplomatie algérienne dans le sens du réalisme: dans le même
temps, elle confirme la volonté du Dr Ahmed Taleb Ibrahimi, nommé ministre des Affaires
étrangères en mai 1982, de redéployer cette diplomatie après qu'elle eut adopté un "profil
bas" pendant quelques années.
318
Peu après son élection, le président Chadli avait fait savoir à tous ses voisins arabes,
africains et européens, que l'Algérie souhaitait établir avec eux de bonnes relations pour
"garantir la paix et la stabilité dans la région" et consacrer ainsi l'essentiel de ses efforts au
développement intérieur et au bien-être des Algériens. Or, occupé à consolider son pouvoir
et à constituer son équipe, ce n'est qu'à partir du deuxième semestre 1982 et au début de
1983 qu'il a réussi à réaliser concrètement cette politique.
319
320
Une fois conclu l'accord sur le gaz prévoyant la livraison de 9,15 milliards de m3 par an à la
France, Alger intensifie ses relations avec Paris en signant une Convention organisant la
coopération bilatérale (21 juin 1982) et trois accords sectoriels sur l'habitat (30 juin), les
transports (6 novembre) et l'agriculture (11 janvier 1983). Les rapports avec l'Espagne sont
assainis à l'occasion de diverses visites, dont celle du roi Juan Carlos à Alger au printemps.
Enfin, le gazoduc Algérie-Tunisie-Italie (inauguré le 18 mai), qui constitue une première
mondiale, est présenté comme un exemple de coopération inter-maghrébine et arabo-
européenne.
321
Ce gazoduc, qui permettra en effet de livrer à l'Italie 12,5 milliards de m3 en 1986 (2,6 en
1983), a des retombées non négligeables pour la Tunisie: il lui revient 5,25% des quantités
exportées, en nature ou en espèces, représentant 21,4 millions de dollars en 1983 et plus de
100 millions en 1986. Cette inauguration a été précédée et suivie de diverses mesures qui
auraient été inconcevables quelques années plus tôt: signature d'un traité de fraternité et
de concorde ouvert aux autres États du Maghreb, convention de bornage des frontières
(mars 1983), lancement de plusieurs projets économiques mixtes (cimenterie, usine de
moteurs diesel, etc.), mise en place d'instituts pour former en commun des douaniers et
des agents du fisc, etc.
322
Parallèlement, l'Algérie conclut avec le Niger (5 janvier 1982) et le Mali (8 mai) des accords
pour le bornage des frontières et en négocie un autre avec la Mauritanie. En même temps,
elle rejette les revendications territoriales de la Libye qui refuse de reconnaître le traité
international signé en 1956 entre Paris et Tripoli et déposé à l'ONU sous prétexte qu'il a été
conclu entre une puissance coloniale et le régime monarchique. Elle lui a aussi adressé une
mise en garde aux termes de laquelle elle s'opposera, au besoin par les armes, à toute
tentative de déstabilisation du Niger et du Mali en vue de constituer les "États-Unis du
Sahara" dont a rêvé le colonel Kadhafi, ou pour toute autre raison.
323
L'Algérie a toujours soutenu que le conflit saharien n'oppose que le Front Polisario au
Maroc et que sa solution devrait précéder la relance de l'édification maghrébine. Or, la
rencontre avec Hassan II a renversé l'ordre des facteurs. Ce faisant, la diplomatie
algérienne visait plusieurs objectifs. En normalisant ses rapports avec Rabat et en faisant
tomber la tension, Alger souhaite arrêter la pénétration américaine dans la région et éviter
que celle-ci ne devienne un enjeu de la guerre froide entre l'Est et l'Ouest. Elle espère aussi
que l'idéal maghrébin séduira suffisamment la jeunesse pour la mobiliser et la mettre à
l'abri de la vague intégriste qui a déjà fait des ravages et qui menace au premier chef les
options modernistes de l'Algérie et de la Tunisie.
324
Contrairement à Boumediène - encore qu'il ait évolué à la fin de sa vie - le président Chadli
estime que Hassan II est "garant" de la stabilité au Maroc et qu'une négociation sera plus
facile avec lui qu'avec une éventuelle junte militaire. L'Algérie espère aussi que le royaume
en proie à de graves difficultés financières, sera sensible aux retombées du gazoduc
Algérie-Maroc-Espagne, de l'exploitation en commun du fer de Gara-Djebilet, des
avantages de la coopération maghrébine, et se montrera plus souple dans la recherche
d'une solution qui sauvegarde les droits des Sahraouis.
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Les orientations fixées précédemment ont été maintenues: tout en réaffirmant son
attachement au socialisme, le pouvoir a encouragé les petites et moyennes entreprises
privées, autorisé certains producteurs agricoles à commercialiser directement leurs
produits et a laissé ouvrir quelques brèches dans le monopole du commerce extérieur pour
faciliter la vie quotidienne. Les toutes puissantes sociétés nationales, dont la Sonatrach,
véritable État dans l'État, ont été découpées en 330 entreprises de taille moyenne, plus
faciles à gérer.
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Le principal point noir demeure l'agriculture, malgré les mesures adoptées dans le cadre
du plan quinquennal qui s'achèvera en 1984. Les produits alimentaires représentaient en
1982 environ 20% des importations avec, notamment, 30 millions de quintaux de céréales,
50 000 tonnes de viande et 1 200 millions d'oeufs de consommation.
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Paul Balta
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Les anniversaires sont propices aux bilans. Vingt ans après l'indépendance, l'Algérie
semble pourtant encore rebelle à une appréciation tranchée: le pays paraît toujours
écartelé entre des voies contradictoires, des "modèles" opposés, toujours en quête de
nouveaux équilibres internes. L'année 1981 a cependant confirmé un certain nombre de
tendances qui, dans les domaines économique et culturel, en politique intérieure comme
en politique extérieure, dessinent un peu plus nettement le visage de l'Algérie du président
Chadli.
331
Celui-ci a incontestablement renforcé son autorité. Cela s'est notamment traduit par une
reprise en main du FLN et des organisations qui lui sont liées (syndicat ouvrier, Union de
la jeunesse, Union des femmes...). Les années 1977 à 1980 avaient été marquées par une
relative revitalisation de ces structures et un large renouvellement de leurs cadres. De
nombreux militants indépendants du FLN avaient trouvé là l'occasion de prendre des
responsabilités. Désormais, cela ne sera plus possible. En effet, l'article 120 des statuts du
FLN rend obligatoire l'affiliation au parti unique pour exercer des responsabilités dans les
organisations de masse. Cette clause a provoqué de nombreuses mises à l'écart,
notamment au sein de la centrale syndicale (UGTA) et de l'Union de la jeunesse. Les
militants du PAGS (communiste) sont particulièrement visés par cette mesure qui recentre
l'organisation de la vie politique sur le FLN.
332
333
Parallèlement, l'État algérien s'est efforcé de mieux valoriser ses exportations gazières. Les
négociations engagées - depuis longtemps - avec la France ont finalement permis d'aboutir
à une quasi-indexation du prix du gaz vendu sur les prix pétroliers. Le gouvernement
français affirmant vouloir changer les rapports Nord/Sud, l'occasion était belle d'exiger
qu'il commence par prouver sa volonté de changement en donnant l'exemple dans sa
coopération avec l'Algérie. L'accord laborieusement conclu à la fin de l'année 1981 esquisse
dans les faits un type de relations relativement nouveau, dans la mesure où la
revalorisation du prix du gaz est liée au financement de projets de développement.
334
Sur le plan intérieur, la montée de l'esprit religieux dans de très larges couches de la
population reste une des caractéristiques de la période actuelle. Le développement
spectaculaire des réseaux à connotation intégriste - qu'on assimile trop rapidement aux
"Frères musulmans" - n'est pas le seul aspect de ce mouvement, même s'il est souvent le
plus remarqué à cause de nombreuses manifestations d'intolérance ou d'agressivité. On
assiste en effet à un véritable "retour du religieux", enraciné profondément dans les
milieux populaires. Pour l'État, dont l'islam est la religion officielle, la question est de
savoir comment il est possible de canaliser et de contrôler cette dynamique dans le cadre
du projet moderniste qu'il met en œuvre depuis vingt ans.
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Serge Cordellier
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Trois années ont séparé la fin du plan quadriennal 1973-1977 de l'adoption du plan 1980-
1984: ce retard est significatif des hésitations ayant marqué l'élaboration d'un plan qui
apparaît comme une révision de la politique suivie jusque-là. Un bilan critique a été dressé
de l'industrialisation engagée il y a une dizaine d'années: si les investissements massifs
dans l'industrie lourde (sidérurgie, hydrocarbures) ont permis au pays de se doter d'une
base économique, ils n'ont pas apporté de véritable solution aux principaux problèmes
sociaux (faible création d'emplois nouveaux, retards et insuffisances dans la production
des biens de consommation, abandon de l'agriculture). En outre, la politique menée a mis
le pays dans une situation de dépendance profonde à l'égard des pays industrialisés
(endettement, assistance technologique, déséquilibres commerciaux).
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Réaliste, le nouveau plan - adopté par un congrès extraordinaire du parti unique, le FLN -
traduit la volonté d'en finir avec la fuite en avant des nouveaux investissements et de
réunir les conditions d'une plus grande maîtrise et d'un meilleur fonctionnement des
équipements existants.
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Sur le plan politique, le président Chadli avait placé son entrée en fonction sous le signe de
la libéralisation: le symbole le plus spectaculaire de cette ouverture a sans doute été la
libération définitive de l'ancien président Ben Bella (1962-1965). C'est dans ce contexte
nouveau, favorisant davantage l'expression des aspirations populaires, que la population
de Kabylie a manifesté spectaculairement sa volonté de voir la culture berbère reconnue et
développée. Ces manifestations, dans lesquelles on aurait tort de ne voir qu'une querelle
linguistique, se sont déroulées dans un climat très tendu. Les autorités ont alterné la
fermeté et la conciliation. Un certain nombre de dispositions visant à renforcer l'autorité
de l'État et les pouvoirs du président Chadli ont été prises à la suite de ces événements.
342
Serge Cordellier