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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RES&ID_NUMPUBLIE=RES_122&ID_ARTICLE=RES_122_0273
| Lavoisier | Réseaux
2003/6 - n° 122
ISSN 0751-7971 | pages 273 à 285
Gilles KRAEMER
3. Sur les prédispositions des titres francophones à traiter les questions de nouvelles
technologies, voir KRAEMER, 2001, p. 81.
4. Correspondance électronique avec Lamine Chikhi, directeur des relations publiques au
quotidien El-Khabar.
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Sources : tableaux réalisés par l’auteur à partir de recherches sur l’internet (les adresses sont toutes
précédées des trois « w ») et arrêtés à la date du 1er octobre 2003.
5. Interview de Younes Grar, « L’internet doit être une priorité du gouvernement », 4 février
2003, www.algeria-interface.com. Voir aussi PICAGNE, 2002, p. 34-39.
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L’étude comparée de la page d’accueil de tous les sites actifs des quotidiens
algériens – page d’appel qui permet à l’internaute d’évaluer la matière que
le site est susceptible de lui offrir – distingue trois types de contenus ou
services : informationnels, communicationnels, transactionnels7.
L’information est comprise ici au sens le plus large et elle dépasse de beaucoup
l’actualité. Les sites de la presse algérienne offrent aussi, à un premier niveau de
la page d’accueil ou, plus généralement à un second niveau (en cliquant sur les
hyperliens), des contenus sur le journal lui-même ou sur son site (informations
institutionnelles), des services utiles (météo, bourses, emploi...), des services
supplémentaires liés au moyen d’accès aux informations (archives, moteur de
recherche). Sans entrer dans le détail des systèmes techniques, on peut constater
d’emblée que les difficultés liées à l’adaptation de la langue arabe aux différents
langages utilisés sur le réseau conçu à l’origine pour et dans les caractères latins,
a conduit les concepteurs de sites web des journaux arabophones à privilégier le
format pdf et à offrir à l’internaute le téléchargement de reproductions des pages
du journal papier, là où les sites francophones adoptent plus largement la
6. AMARI, 2000.
7. Pour l’analyse de contenu, croisée avec un questionnaire systématique aux webmasters,
nous avons partiellement utilisé la grille élaborée par Caroline Bringand, BRINGAND, 2001,
p. 245-260.
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Le Jeune Indépendant a opté pour une sélection serrée tenant dans la seule
page d’accueil qui recompose une page de journal avec l’information
principale au centre (et photo) et des colonnes tout autour avec des titres de
rubrique donnant une ou deux informations brèves d’importance avec des
liens hypertextes pour poursuivre la lecture. Le Matin, qui revendique d’offrir
à l’internaute un contenu plus synthétique avec les articles les plus importants
du journal du jour, se distingue depuis le début par un environnement très
inspiré des sites web occidentaux, du point de vue graphique et ergonomique.
Le vieux Moudjahid, dont le tirage est passé de 365 000 exemplaires au temps
du monopole à moins de 13 000 aujourd’hui9, apparaît sur le réseau comme
riche, bien structuré avec toutes les rubriques d’information et de services
Quelle que soit la langue ou le statut, les titres algériens sur le net se
cantonnent tous au contenu de leurs journaux sur papier. Les rares contenus
spécifiques qu’offrent les sites ne sont guère, comme les liens vers des sites
de météorologie ou de cotation des monnaies10, que des informations
présentes sous une autre forme dans le journal. Les dossiers que proposent
Le Quotidien d’Oran, L’Expression et Le Matin réunissent des articles déjà
publiés autour d’un même thème (actuellement beaucoup traitent du
nouveau bras de fer entre la presse privée et le gouvernement), tandis que
les Newsletters que proposent d’envoyer par courriel à ses abonnés InfoSoir
et Liberté reprennent la synthèse les titres du journal du jour. Il en va de
même du service des archives proposé seulement par une dizaine de sites ou
du moteur de recherche par mot-clé dont ne dispose aucun site arabophone
et seulement quelques sites francophones.
10. Le site de La Tribune est le seul à donner un tableau de cotation de monnaie d’après la
banque d’Algérie.
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journaux sur support imprimé déjà connu de leur lectorat, avec une gamme
restreinte d’offres complémentaires, là où les sites internet de presse écrite
en Europe explorent depuis le tournant du millénaire l’information en
continu, actualisée par des dossiers et des services spécialisés, ainsi que
l’interactivité11. Si seuls les sites d’Ech-Chaab et du Quotidien d’Oran ne
présentent aucune adresse électronique de webmaster sur leur page
d’accueil, tous les autres disposent d’une zone de contact plus ou moins
élargie : adresses électroniques de la rédaction ou de cadres, bordereau de
messagerie, et même signature chez El-Khabar du webmaster et de
l’infographiste par leur courriel. InfoSoir ou Liberté distinguent même
l’administrateur web du webmaster. Pour autant, aucun des webmasters
sollicités pour cette présente étude n’a répondu, ce qui montre assez que
l’interactivité n’entre pas dans leur cahier des charges12.
Des journaux en ligne qui mettent en valeur les commentaires des meilleures
plumes de leur rédaction, comme Le Matin avec pas moins de dix boutons
(édito, commentaire, chronique de Mohamed Benchicou, le directeur, de
l’écrivain Yasmina Khadra, de la journaliste sous pseudonyme qui fait
scandale Ines Chahinez, jusqu’à la caricature de Hic), n’appellent pas
forcément les internautes à réagir. Zone contact avec bordereau impersonnel
ou simple adresse électronique anonyme restent le cas de la majorité. Rares
sont les sites, comme ceux d’El-Khabar, El-Massa, La Nouvelle république,
Le Soir d’Algérie, El-Moudjahid, Le Soir d’Algérie (qui distingue dans un
bordereau les « propositions » des « suggestions ») ou L’Actualité à inviter les
internautes à « réagir aux articles sur cette adresse ». Seul à faire un effort
linguistique d’ouverture, le quotidien arabophone El-Khabar qui propose un
résumé de l’actualité en français et en anglais qui se clôt sur une invitation à
envoyer ses « commentaires ou suggestions ».
Les sites qui ont changé de version ou qui viennent juste d’investir le net
ont cependant adopté plusieurs outils de communication en ligne. Le livre
d’or (ou guest book comme l’appelle El-Moudjahid) est présent sur El-
Watan et InfoSoir, à côté parfois d’un lien sondage appelant l’internaute à
voter. Or ces rubriques sont rares et souvent décevantes. En cliquant sur le
Zone d’interactivité par excellence, les forums n’existent que sur les sites
d’InfoSoir – sur les thèmes du sport et de l’actualité – et d’El-Watan qui
décline cinq problématiques autour du séisme de mai dernier (avis de
recherche, appel à témoin pour les identifications des sinistrés, action de
solidarité, message de soutien, contacts utiles...). Seul le site d’InfoSoir
dispose d’un service de chat réservé à ses abonnés.
Enfin, l’espace transactionnel est particulièrement réduit sur les sites web de
la presse algérienne. Tous sont accessibles gratuitement, sans aucun service
payant. A l’image de la plupart des sites d’information dans le monde, ils ne
gagnent pas d’argent, comme le confirment tous les responsables de rédaction
contactés. Seuls trois sites disposent d’un bandeau ou d’un encart publicitaire
(El-Khabar, Ech-Chourouk el-youmi et La Nouvelle République). D’autres
ont prévu l’espace dédié mais, sans publicité extérieure, ils y invitent
l’annonceur potentiel (« Espace publicitaire à louer » sur El-Moudjahid,
« votre pub » sur Liberté) ou s’y font leur propre réclame (« L’Actualité : un
journal pas comme les autres, l’info pure »). De plus, les zones « partenaires »
sont inexistantes ou vides dans la grande majorité des sites. Si des contacts par
courriel sont donnés avec les services de publicité sur la plupart des journaux
en ligne, arabophones comme francophones, il est symptomatique que les
rares indications de tarifs le soient pour le passage dans le support papier. Seul
El-Watan – qui n’a cependant pas de publicité – propose des tarifs sur le web.
Les prix des emplacements sont modulés selon la consultation des pages.
Ainsi, les pages de politique sont créditées de 56 000 requêtes par semaine là
où la page d’accueil, avec 25 000 requêtes, fixerait le prix d’une publicité à
75 000 dinars algériens, soit, précise le site, « 7 500 francs français » !
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D’ailleurs, les journaux connaissent mal leurs internautes et, de l’aveu des
cadres du Matin, d’El-Khabar, de L’Expression ou du Jeune Indépendant, leurs
origines sont surtout identifiées, quand c’est possible, par leur courriel dont les
webmasters ne font pas grand cas. « Nous avons des internautes au Canada, aux
Etats-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne qui nous encouragent à aller de
l’avant et posent souvent des questions aux journalistes », témoigne Lamine
Chikhi, directeur des relations publiques du grand quotidien arabophone. Au
Matin, la rédactrice en chef technique, Khadija Chouit, revendique comme
internautes les « étrangers résidant en Algérie et les Algériens résidant à
l’étranger, notamment au Canada ou en France ». L’objectif du site web est alors
« de permettre aux nombreux Algériens qui n’ont pas accès à l’édition imprimée
du journal – notamment les expatriés – de le lire, ainsi que de suivre l’expansion
de l’internet en Algérie ». Le site d’El-Khabar, seul à proposer un résumé en
deux autres langues (anglais et français) affiche l’objectif de « donner une
dimension internationale au journal ».
Or cet argument est essentiel dans un pays qui a connu, selon les dernières
évaluations du Conseil national économique et social (CNES), données en
décembre 2002, une fuite des cerveaux de quelque 400 000 diplômés dans
la période des plus fortes violences islamistes et militaires14 (1992-1996).
Cette hémorragie de lecteurs potentiels – et parmi eux quelque 3 000
informaticiens, de nombreux médecins, scientifiques, intellectuels ou chefs
d’entreprises – correspondrait « à ce qu’ont formé les universités
algériennes pendant dix ans ». La concurrence est alors forte entre les titres
« sérieux » – publics comme privés – pour s’adresser à ces Algériens
d’Amérique, du Golfe ou d’Europe et leur offrir un lien régulier avec leur
pays d’origine. Plusieurs études suggèrent d’ailleurs une chute du lectorat
de presse « papier » en Algérie dans les mêmes années (surtout après 1994
avant de remonter en 1998) et, selon le croisement de différents critères, un
taux de lecture inférieur à ce que le revenu et l’alphabétisation par habitant
pourraient laisser présager15. Une partie du lectorat ayant fui dans des pays
occidentaux ou arabes très ouverts sur les nouvelles technologies, le recours
à l’internet s’imposait pour les principaux titres algériens. Aussi, la toile
est-elle un nouveau territoire pour la concurrence que se livrent les très
nombreux journaux, avec un indéniable effet de mode et de modernité.
« Pour une grande partie des éditeurs de presse, posséder une page web était
surtout vu comme une question de prestige pour le journal, reconnaît Lamine
Chikhi. Les choses commencent à changer, mais lentement. Les journalistes
de la rédaction ne consultent que rarement le site, estimant qu’il est loin de
répondre aux normes en vigueur. » Peu ou pas d’échanges entre la rédaction et
les personnes en charge des pages web, un webmaster généralement seul et
avec un profil exclusivement de technicien ; les journaux algériens limitent les
frais sur le net. En dépit de l’adoption par les quotidiens francophones les plus
dynamiques d’une nouvelle version de site où l’effectivité de l’interactivité
reste encore à prouver, la majorité des titres algériens présents sur le web n’a
pas encore adopté le modèle du portail – avec de nombreux autres sites
donnés en hyperliens – qui se généralise ailleurs dans les médias (télévision,
radio et presse écrite) et qui structure l’internet aujourd’hui en France ou en
Europe. Les sites web des quotidiens algériens exploitent quasi exclusivement
les informations de leurs titres imprimés et attendent – tout en élaborant des
projets de modernisation avec une « vraie équipe rédactionnelle électronique »
et un « service de médiation » comme le souhaite Le Matin – que les débits
s’améliorent sur l’internet en Algérie et que la publicité ou les services en
ligne entrent dans les mœurs.