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NI INTÉGRISME, NI INTÉGRATION.
Charles-André Gilis.
L’accusation de fanatisme.
L’accusation d’intolérance.
Elle la tire de son intégrité, c’est-à-dire de son ésotérisme, sans lequel les
formes traditionnelles ne sont que des coquilles vides. Le tasawwuf
dispose seul des moyens nécessaires pour mener la « grande guerre
sainte » (al-jihâd al-akbar) qui s’impose face au monde moderne. C’est là
ce qui explique la crise générale que connaît aujourd’hui l’univers
traditionnel dans son ensemble, et qui atteint l’islâm lui-même dans
certaines de ses manifestations extérieures et réductrices. Le judaïsme
demeure vivant, mais il est étouffé, et même contrefait par la profanation
sioniste. Sa situation est la pire de toutes car, bien loin de combattre le
monde moderne, les représentants actuels de la religion judaïque
manipulent celui-ci et en tirent parti pour accomplir leurs propres
desseins. L’autre religion monothéiste est le christianisme, qui occupe une
place à part car c’est la forme traditionnelle qui avait en charge l’Occident
quand la déviation moderne s’est produite. On peut donc penser qu’une
certaine responsabilité incombe à cet égard au Catholicisme puisque c’est
le Saint-Siège romain qui a vocation à régir l’Église universelle. Nous
pensons avant tout à l’interdiction du prêt à intérêt, commune aux trois
religions monothéistes, mais selon des modalités très différentes. Dans le
judaïsme, elle s’applique uniquement aux juifs entre eux. Le peuple élu
est le seul bénéficiaire de la préservation incluse dans cet interdit. Les
juifs peuvent prêter à des non-juifs sans avoir à se préoccuper des
conséquences néfastes que la stipulation d’un intérêt peut entrainer pour
leurs emprunteurs. L’image de l’ « usurier juif », à qui le « noble chrétien
» emprunte pour pouvoir payer ses dettes est familière dans la littérature
occidentale. En revanche, dans le droit islamique dont la compétence est
universelle, puisque le message divin est adressé à l’humanité entière
(19), l’interdiction du prêt à intérêt est totale. Le cas du christianisme est
plus complexe, car son statut particulier est plus complexe. L’Église est
régie par le Saint-Esprit, non par une loi que Jésus lui aurait apportée
(20). Il résulte de cette particularité que le droit appliqué découle
uniquement de l’intuition spirituelle de ceux qui dirigent l’Église ; or cette
intuition peut varier car elle dépend de leur qualification et de leur
réalisation effective. Ceci explique pourquoi, sur une question aussi
essentielle que celle que nous évoquons ici, il y a une différence et même
une incompatibilité entre la doctrine catholique qui prévalait au moyen
âge et celle qui est enseignée aujourd’hui ; ce qui peut paraître
incompréhensible pour ceux qui suivent les législations sacrées. Au moyen
âge, le simple que d’envisager que le prêt à intérêt puisse être légitime
entraînait l’excommunication, alors qu’aujourd’hui c’est uniquement
l’usure qui est interdite, non le prêt à intérêt en lui-même. Cette évolution
est significative, car elle implique qu’un enseignement fondé sur une
connaissance ésotérique véritable a fait place à un point de vue purement
moral. L’intuition intellectuelle s’étant affaiblie au point de devenir
inopérante, les raisons profondes et l’interdiction ont cessé d’être perçues.
Or, ces raisons présentent un lien direct avec la naissance et le
développement de la déviation antitraditionnelle de l’Occident, car le prêt
à intérêt a été le moteur financier du monde moderne. René Guénon a
montré le caractère néfaste de l’altération des monnaies par Philippe le
Bel (21) et les conséquences désastreuses que celle-ci avaient eu pour
l’Occident. Le prêt à intérêt est une autre modalité de cette altération
puisqu’il a pour effet de soumettre la valeur de la monnaie à l’écoulement
du temps, qui est celui du prêt, alors que la fonction première de celle-ci
est de garantir la stabilité des échanges par référence à un principe
immuable que la monnaie représente dans le domaine temporel. Pour
avoir fait preuve d’ignorance et de faiblesse, l’Église catholique a été
sanctionnée et a perdu progressivement son propre crédit, qui s’est
effondré au cours des dernières années. Que peut-on attendre d’une
institution sacrée qui méconnaît le Droit divin au point d’avoir reconnu
l’État sioniste au mépris de toute justice, et qui en est réduite à mendier
auprès de l’Union européenne la reconnaissance de son rôle historique et
providentiel en Occident ? Seule subsiste encore la protection divine au
Saint-Siège romain, qui permet au moins de sauver les apparences.
La duperie de l’intégration.
(26) Les aspects religieux de l’intégrisme seront examinés plus loin ; cf.
infra, p. 67, 73-74.
(27) Cf. Les sept Etendards du Califat, chap.XXXVI.
Sauvegarder l’essentiel.
(28) la notion d’intégration contient l’idée fausse que l’islâm est une
religion étrangère. Seul Ordre révélé destiné à l’ensemble des hommes,
l’islâm est chez lui partout. Affirmer le contraire revient à considérer les
musulmans d’origine occidentale comme étant des étrangers dans leur
propre pays. C’est plutôt l’essence de la religion traditionnelle qui a cessé
d’avoir droit de cité en Occident. Ce que les Occidentaux veulent à tout
prix « intégrer », c’est-à-dire domestiquer, ce n’est pas l’islâm, c’est la
religion.
(29) Sur le sens de cette formule, cf. Les sept Etendards du Califat,
chap.XII.
Nécessité de l’ésotérisme.
(31) Sur ce sujet, cf. les Fusûs al-Hikâm à propos du Verbe de Nûh.
(32) Ce mystère est lié au hadîth qudsî où le Très-Haut déclare : « Le
Cœur de Mon serviteur croyant Me contient ».
Les mises au point qui précèdent montrent que le tasawwuf est une partie
essentielle de l’intégrité islamique. Il nous faut entrevoir à présent toute
l’étendue que celle-ci comporte et préciser tout d’abord que les notions de
« réalisation spirituelle » et même de « cheminement initiatique » (36)
sont insuffisantes pour en déterminer le contenu. Il faut prendre en
compte également les fonctions qui relèvent du tasarruf, c’est-à-dire du «
gouvernement ésotérique du monde ». Les plus connues sont celle du Pôle
(qutb), des deux Imâms, des quatre Awtâd et des sept Abdâl. A cet aspect
se rattache aussi l’ « assemblée des saints » (diwân al-awliyâ),
spécialement étudiée par Michel Vâlsan (37). Une difficulté peut survenir
du fait que ces fonctions représentent, au cœur de la tradition islamique,
une hiérarchie plus centrale à laquelle se rapportent des expressions
comme « Centre du monde », « Roi du monde », « Pôle suprême » ou «
Califat suprême ». Cette hiérarchie a pour mission de régir, non pas
seulement l’islâm « historique » tel qu’il est apparu à un moment donné
du cycle humain, mais bien l’ensemble de celui-ci, depuis Adam jusqu’au
Jour de la Résurrection, ce qui correspond à un autre aspect, moins connu
de la fonction du Prophète. La hiérarchie du Centre suprême doit être
prise en compte, car elle rend seule possible la réalisation par l’islâm de sa
vocation universelle, inhérente à la révélation divine faite au Sceau des
Envoyés. Les moyens opératifs de ce Centre sont ceux d’un langage
primordial qui permet de comprendre et d’interpréter, selon leur
signification véritable, l’ensemble des révélations aux « fils d’Adam ». Ce
langage est désigné dans l’enseignement ésotérique par l’expression «
langue solaire » ou « syriaque » (sûriânî). Le point délicat est que la
doctrine du Centre du Monde et la notion d’une langue primordiale autre
que l’arabe pourraient faire apparaître l’islâm comme une forme
traditionnelle semblable aux autres, ce qui entraînerait le déni de ses
privilèges cycliques. Or, c’est là une idée fausse et dangereuse, qui
alimente à la fois la rhétorique des partisans de l’intégration et celle des
intégristes. Les premiers utilisent cette doctrine pour assimiler celle de Loi
sacrée à celle d’ « exotérisme » dans une perspective marquée par les
conceptions « humanistes » et égalitaristes de la Franc-Maçonnerie
moderne. Qu’ils se réfèrent au « Roi du Monde » lorsqu’ils s’adressent à
des non-musulmans, ou au « Qutb az-zamân » (38) lorsqu’ils empruntent
le langage du tasawwuf, c’est toujours afin d’occulter la lumière
universelle du Prophète et de porter atteinte à une intégrité islamique qui
les gêne. Cette conception tendancieuse et intéressée a pour effet de
compromettre la doctrine ésotérique du Pôle suprême d’une façon qui fait,
par ailleurs, le jeu des intégristes, car ceux-ci peuvent s’en servir à leur
tour pour rejeter l’ensemble des enseignements relatifs au tasarruf, et
pour réduire l’ésotérisme islamique à la notion vague de « vie spirituelle »
de manière à la rendre compatible avec leurs visées politiques. Par là, leur
attitude rejoint, en fait, celle des partisans de l’intégration, ce qui
confirme une nouvelle fois l’affinité profonde de ces deux positions
apparemment contraires. Les intégristes s’imaginent naïvement qu’il suffit
de proclamer que Muhammad est le meilleur des prophètes, que le Coran
est le Livre révélé le plus excellent, que la religion islamique est préférable
à toute autre pour entraîner la conviction et l’adhésion des non-
musulmans. Pour être crédible, ces affirmations doivent s’accompagner de
preuves et celles-ci ne peuvent être données que par la doctrine du Centre
suprême et de la Tradition primordiale, seules à même de montrer que la
révélation contient l’ensemble des vérités présentes dans les traditions
antérieures. Selon sa signification véritable, cette doctrine n’a rien qui
puisse, ni favoriser l’intégration, ni entraîner l’opprobre des intégristes car
les fonctions qui constituent la hiérarchie de ce Centre sont des aspects de
la fonction essentielle du Prophète, des reflets et des réverbérations de sa
lumière ; c’est lui qui, depuis l’origine des temps, manifeste la présence
du Verbe divin au cœur de notre monde. L’ « Adam primordial » et le «
Pôle universel » dont la fonction est rapportée typologiquement à
Sayyidnâ Idrîs, ne sont rien d’autres que ses représentants. Par ailleurs,
comme nous l’avons vu, l’islâm « historique » a pour mission de « clore »
le cycle humain et la tradition adamique. Il constitue la communauté
médiane et médiatrice pour être le support et l’instrument du Centre
suprême à la fin des temps. A ce propos, il convient de mettre en lumière
un point qui n’a pas retenu jusqu’ici l’attention qu’il mérite, à savoir que
les saints qui font partie du Plérôme suprême (diwân al-awliyâ) cessent
d’utiliser la langue sacrée primordiale quand l’Envoyé d’Allâh est présent
parmi eux, ce qui correspond à une situation d’excellence (39). Lorsqu’ils
parlent en sa présence, ils emploient la langue arabe, afin de respecter les
convenances qui lui sont dues. En effet, l’excellence du Prophète
manifeste l’excellence de la révélation faite par le « Seigneur des mondes
» (40) et cette révélation est exprimée en langue arabe. On peut conclure,
non seulement que la doctrine du Centre suprême ne porte nullement
atteinte aux prérogatives de l’islâm, mais qu’elle est seule capable
d’assurer son rayonnement en conférant aux musulmans les clés d’une
science ésotérique et d’une connaissance universelle.
Ibn Arabî
René Guénon
Une raison plus profonde encore explique le lien entre la fonction de René
Guénon et l’intégrité islamique. Grâce à la connaissance intuitive qu’il
avait de la langue syriaque, son œuvre prolonge celle d’Ibn Arabî en
illustrant, par des études sur l’ésotérisme des révélations antérieures,
l’universalité de la science islamique. Par là, elle a contribué à mettre en
lumière la signification de cette « Religion auprès d’Allâh » qui est la
qualification coranique de l’ « islâm ». Toutefois, comme elle ne se
présentait pas explicitement au nom de la tradition islamique, beaucoup
en Occident se sont trompés, même parmi ceux qui étaient devenus
musulmans grâce à elle. Ils n’ont pas vu en quoi la fonction de René
Guénon était, aussi bien par son inspiration que par sa finalité,
éminemment islamique. Ils se sont égarés eux-mêmes et ont menés ceux
qui les suivaient dans des impasses (43). Le premier, Michel Vâlsan a
dénoncé cette erreur. Il a montré, tant dans son enseignement oral que
dans ses écrits, d’une densité et d’une élévation exceptionnelles, comment
cette fonction se reliait à celle d’Ibn Arabî ; il a opéré la synthèse entre
deux enseignements qui pouvaient, par incompréhension de leur sens réel
et de leur complémentarisme, apparaître comme divergents ; mais il n’a
pu le faire, lui aussi, qu’en menant une guerre sainte constante au sein
d’un milieu occidental hostile. En effet, la doctrine de l’intégrité islamique
n’est acceptée, ni par ceux qui utilisent René Guénon contre l’islâm, ni par
ceux qui excluent de l’enseignement d’Ibn Arabî la notion de Droit sacré.
Les uns et les autres favorisent une récupération de l’ésotérisme par
l’Occident moderne ; et ceci nous ramène à la question initiale de notre
étude, celle du rôle de l’islâm dans le monde contemporain.
(43) L’attitude de Frithjof Schuon est caractéristique de cette tendance.
Proclame !
Celui qui prend pour protecteurs Allâh, Son Envoyé et ceux qui croient…
En vérité, ceux qui se réclament d’Allâh seront, eux, les vainqueurs !
Ô vous qui croyez, ne prenez pas pour protecteurs ceux qui prennent
votre religion pour une chose légère et un jeu, parmi ceux qui ont reçu le
Livre avant vous et ceux qui couvrent la vérité d’un voile. Gardez la
crainte d’Allâh si vous êtes croyants !
(Cor.5.56-57)
Allâh a fixé par écrit : « En vérité, Moi et Mes envoyés, nous serons
vainqueurs ! » En vérité Allâh est fort, hors d’atteinte !
Tu ne trouveras jamais de gens se lier d’amitié avec ceux qui s’opposent à
Allâh et à Son Envoyé, s’ils croient en Allâh et au Jour dernier !
(Cor.58.21-22)
C’est avec al-Haqq que Nous avons fait descendre (le Coran), et c’est avec
al-Haqq qu’il est descendu !
(Cor.17.105)
Allâhumma, répands Ta grâce unitive, Ta paix et Ta bénédiction sur notre
Seigneur Muhammad qui a ouvert ce qui était fermé, qui a scellé ce qui a
précédé, qui a secouru al-Haqq au moyen d’al-Haqq, qui a guidé vers Ta
Voie droite, ainsi que Famille, selon la Vérité et le Droit (haqqa) inhérents
à Son pouvoir (éternel) et à Sa mesure immense (dans l’ordre manifesté).
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