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Catherine
Delorme
Le Chemin
de Dieu
Albin Michel
<Cl Éditions Albin Michel, 1979
22, rue Huyghens. 75014 Paris
ISBN 2-226-00856-X
«J'ai préparé pour mes serviteurs les Justes ce
que l'œil n'a point vu, ce que l 'oreille n'a pas
entendu, ce qui n'est encore monté au cœur d'au
cun Homme. »
Coran.
Première partie
ORI GI NES
Grand-p ère
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LE C HEM I N DE D I EU
La leçon burles q ue
12
OR I G I N E S
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Le réveillon
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OR I G I N E S
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LE CHEMIN D E D I EU
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O R I G I N ES
le préfet n ' hési ta plus : i l fal l a i t arrêter l 'au teur de cette pro
vocation, coûte que coûte.
Grand- père i gnorai t tout de la menace qui pesa i t sur l u i .
Ce mati n - là , i l s ' était rend u à la carrière, comme à l ' ac
cou tumée. Le trava i l ne manquait pas. Le soleil était v i f. A
un momen t , s ' étant redressé pour essuyer la sueur de son
fron t , il posa son regard sur le chemi n d ' accès, qui se trouva i t
en contrebas. C e q u ' i l aperçut le fit sursau ter : d e u x gen
darmes à cheva l , armés de fus i l s , s 'approchaien t . I l comprit
aussi tôt qu ' i l s venaient l ' arrêter.
En priso n , l u i , Leonardo M a l tese ? Jama i s ! Plutôt la mort !
Le rocher sur lequel i l se tena i t s ' avança i t au- dessus du
vide d ' une hauteur de soi xante mètres enviro n , et s 'étranglait
à son point d ' attache.
Sans perdre un instant, grand - père se lai ssa gl i sser de son
poste d ' observa t i o n , ficha ses bâtons de dynamite à l ' en d roit
le p l us fragi le, y m i t le feu ; puis, remo n tant sur le rocher,
s'y coucha.
Il se pro d u i s i t alors un p hénomène i n exp l i cable : au l i eu
d ' être réd u i t en b o u i l l i e par l ' explosion et l ' effondremen t des
énormes blocs d e pierre, comme il l 'ava i t escompté, il se
retrouva au bas de la carrière, touj ours couché sur le rocher,
i n demne, seulement u n peu étourd i .
Les gendarmes mettaient pied à terre a u moment o ù i l se
releva i t . I l s ' élança dro i t devant l u i . « I l faut l 'arrêter coûte
que coûte », ava i t d i t le préfe t . Obéissant aux con s i gnes,
les pandores firent feu . Tout en co n ti n uant sa course, gra n d
père leur criai t :
- S i vous croyez m ' arrêter avec vos noyaux d ' o l ive, vous
vous trompez ! Mais les gendarmes aj ustaien t leur tir. B i entôt,
un « noyau d ' o live », puis deux, puis trois, le traversèrent de
part en part . Il perd a i t son sang, trébuchait sur le chem i n ,
haleta i t ; rien pourtant ne semb lait l ' a rrêter. D a n s cet état,
i l parvint j usqu'à un banc de la petite place proche de sa mai
s o n . Auss i tô t , des voisins vi nrent à son secours et le transpor
tèrent sur son l i t , o ù , ava n t de rendre le dern ier souffi e, il
eut encore un rire moqueur, un spasme de défi : « M ' arrê
ter avec leurs noyaux d ' ol ive ! »
Vendetta sicilienne
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OR I G I N ES
Ma petite enfance
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LE C HEMIN DE D I EU
ALGER
LA CANTERRA
La Canterra
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LE C H EM I N DE D IEU
u n e saveur encore plus forte. Peu t - être ces souven irs , sem
blables aux flaco ns de vin vieux, se so n t - i l s ainsi parfa i tem e n t
décan tés . . .
Bouche d'or
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LE C HEM I N DE D IEU
La funambule
et même cap tiva n t . Quand elle en eut term iné de ses recom
mandations, elle me prit par la main et ferma la porte de
l 'appartemen t . Nous descendîmes les trois étages en si lence,
et lorsque nous fûmes au rez - d e - chaussée, elle m 'in t i ma de
rester d i ssimulée dans un reco i n j usqu'à ce qu'elle frappe
dans les mains. Là - dessus, elle sortit dans la rue . Il deva i t
être neuf heures et demie enviro n ; par petits groupes des
enfants j ouaient encore çà et là, d 'autres se raco n taient des
h i stoi res. Usa n t d e son autorité habituelle, elle les i nt erpella .
En quel ques instan t s i l s furent tous rassemblés autour d ' elle.
De ma cachette, j ' entendis ce d i scours : « Mes ch ers ami s ,
vous allez assister c e s o i r à un spectacle u n ique, extraord i
naire. M iss Katie de Paris, l a célèbre dan seuse d e corde, va
maintenant exécuter devant vous ses plus beaux numéros !
Mais auparavant, j e dois vous avert ir que ch aque spectateur
devra payer sa place par un don à la mesure de ses moyens.
Nous accepterons tout ce que vous pourrez apporter : des
pièces de mon naie, des objets, des rubans, des morceaux de
tissu, des jouets. J e vous lai sse quelq ues in stan ts, le temps
de rentrer chez vous et de rassembler vos dons. Nous com
mencerons notre grand spectacle d è s la co llecte terminée.
Pressons ! Pressons ! »
Touj ours dans mon co i n , j ' attendais l ' ordre de ma sœur.
Quelques minutes passèren t encore, puis j 'entendis le
signa l , les coups frappés dans les mains. Je bondis aussi tôt
dans la rue, al tière et gracieuse, mon balancier à la mai n .
J e saluai l ' assistance de quelques gestes d e théâtre que je
voulais inspirés par ceux de la fu nambule du c i rque .
Mes sourires peu t - être, mais surtout mon acco utrement
extravagant, mon vi sage fardé et la superbe ai grette de mes
cheveux, m 'attirèrent l 'admi ration de tous, et la tête me tour
nait en entendan t les exclamati ons laudatives et les applau
d i ssement s . Désormais assurée de la sympa thie de mon
public, je commençai mes prouesses, suivant à la lettre les
i n s t ructions de ma sœur. Prouesses qui recueillaient viva t s
e t fé l icitations d ' une assistance médusée par l e s habiles expl i
ca t i o n s de Ti na, qui suppléa i t l ' absence d e musique par une
faconde de sal timbanque.
A L GER
Camina la natte
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LE C HEM I N DE D I EU
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LE C HEM I N DE D I EU
Notre-Dame d 'Afrique
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LE C HEM I N DE D I EU
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A L G ER
Le chef d 'orchestre
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LE CHEMIN D E DIEU
Les fées
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LE C H EM I N DE D I EU
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Le chapeau à la pleureuse
Reine de quartier
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LE C HEMIN DE D IEU
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LE CHEMIN DE D I EU
Guerre de q uartier
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ALGER
une centaine de garçons âgés de quinze à d i x - h u i t a n s . Quelle
ne fut pas ma s tupéfacti o n de découvrir ma sœur Tina parmi
quelques fi l les ! Tout comme les autres, elle é ta i t armée, elle
aussi, d ' u n bâton.
Un bâto n ! Comment Tina, qui ne sorta i t presque jamais,
avait-elle adh éré à ce mouvement ? P i s même : comment
ava i t - elle seulement appris ce qui se tramai t , alors qu'elle
n ' en tretenait aucune relation avec les enfants du quartier ?
Je restais tremblante au bord du tro t toir.
Il s'agissait - je l 'appris peu après - d ' une guerre de quar
tier. Partagée en tre mon désir d e suivre de près les opérations
et mon souci d ' obéir à ma mère , j e résolus de courir j usqu'à
la maison avec l ' espoir que ma mère accep terai t de me voir
ressortir.
Il n'en fu t rien . Quand ma sœur rentra, deux heures plus
tar d , les cheveux en désordre, une égrat ignure sur le nez, la
robe déchirée, j e lus dans ses yeux u n regard de triomp h e .
No tre bande en avai t rencontré u n e au tre sur l e s hauteurs
de Bab - e l - Oued, et l 'affrontement s'était déroulé à coups de
bâton. Quelle étrange lumière rayonnait autour du vi sage
de Tina ! Quel air de victoire ! Quelle excitation ! Quelle
métamorp hose !
A la lettre, je ne reco n naissais pas ma sœur. En elle, j e
découvrais u n e autre personne dont j e n ' avais j amais soup
çonné l ' existe nce. J ' avoue que j 'eus d u mal à comprendre
une dual i té aussi troublante . Quoi ? deux na tures aussi
opposées pouvaient coexister dans u n seul et même être ?
Beau sujet de réflexi o n . . .
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LE C HEM I N DE D IEU
Tina et moi
rat i o n .
Là- dessus, m a sœur se recule u n peu , i n c l i ne la tête, m e
con temple avec une m o u e d u b i tative. Avant q u e j 'aie le temps
de me redresser, elle décide de parfaire son œuvre en me
coupant les cheveux. E t coupe que j e te coupe ! M a p l us belle
parure, l ' unique obj e t de la fierté de mes parents, mes longs
cheveux châtains e t o nd ulés sont mai n tenant à terre.
Est-ce u n désastre ? Une métamorph ose ? Face au m i roir,
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LE C H EM I N DE D IEU
,
J
contempler le ciel, la n u i t , envahie par la cert itude
A I M AIS
Le grain de sénevé
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LE C H EM IN DE DIEU
Premiers déchirements
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ALGER
O RAN
L ' arrivée à Oran
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Le tremblement de terre
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LE C H EM I N DE D IEU
La guérison
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LE CHEMIN DE DIEU
u n bro u i ll ard , ma tête devenait de plus en plus l o urde, au
point que j e dus la soutenir de mes bras cro isés, sur le dossier
de la chaise. Les paupières closes, j e me senta i s envahie par
une somnolence c o ntre laquelle j e ne pouvais réagir.
Alors, je me trouvai souda i n transportée dans la splendeur
d'un monde céleste.
Une processi o n d ' ê tres paradi s iaques gravi tait au sommet
d ' u n arc - e n - ci e l , dont les couleu rs admirables étaient aussi
brillan tes que celles qui les habillaien t . I ls tenaien t des i n s
truments de musique, lyres e t ci thares d ' or, dont i l s j ouaien t ,
et chantaient d e s louanges au Seigneur de tous les mondes.
I ls sembl a i e n t appartenir à l ' espace, éthérés et si légers que
des ailes les auraient alourd i s . Mon esprit me révélait que
cette vision merveilleu se était celle d'un ciel s i tué sept étages
au - dessus de la terre. Puis, tout à coup, je me sent i s tomber
lourdemen t et aussi vite q u ' une p ierre dans la profondeur
ténébreuse d ' u n puits. J 'appris alors que j e me trouva i s au
sep tième é tage sous la terre, en enfer.
Une mare de boue aussi noire que de l ' encre épaisse éta i t
au f o n d d e c e p u i ts et, tout a u tour, d e s êtres semblables à
des plantes de bourb ier s 'agi taient , muets, aveugles, tentant
e n vai n de se détacher de cette matière pétrie de blas
phèmes e t de malédictions. Cette vision m ' i nsp ira une telle
h orreur que, ne pouvant la supporter, j e revins à m o i aussitôt
e t rouvris les yeux.
Le regard i nterrogateur d u personnage m ' i ncita à lui con fier
ce que j ' avais vu . I l a l l a i t me d ire quelque chose, quand mon
père entra . J e me retirai dans ma chambre pour les lai sser
seul s .
La table tournante
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ORAN
D an s l ' obscurité, j ' apercevai s nos voi s i n s i n s ta l l és sur leur
terrasse. Ils se taisaie n t . N o u s - mêmes, nous avions laissé
o uverte la porte de n o tre appartement , comme étaient
grandes ouvertes toutes les fenêtres , dans l ' esp o i r que se
créer a i t ainsi u n courant d ' a i r .
L'atmosp hère était s i étouffante q u ' i l nous é t a i t impossible
d ' e n treprendre quoi que ce fût , n i même d 'aller nous cou
cher. U n e sorte d 'excitation nerveuse, vra isemblablement
due à l ' é lectricité de la n u i t , nous maintenait évei l lées, ma
mère, Tina e t mo i , en dép i t de notre accablement .
Tou t à coup , o n frappa a u batta n t entrebâ i l l é : c'était
M me Lafo n t . Ses deux fi l l es l 'accompagnai e n t . E l l es non
p l u s n e pouvaient pas trouver le repos. Auss i , pour passer
u n m o ment, venaient- elles nous proposer de participer à
u ne expérience de spiritisme au moyen d ' u ne tab le tour
nante.
Aussi tôt, T i n a , exc i tée a u ta n t q u ' in triguée, u s a d e s e s d o n s
d e persuasion auprès d e notre mère qui s e m o n trai t p l u s q u e
réservée, e t fit tant et s i bien q u e , celle-ci ayan t accepté, o n
apporta u n guér i d o n au m i l ieu d u salo n .
J e regardais ces préparatifs avec curiosité. Mme Lafont, ses
fi l l es et Tina s'assi rent autour de la table, mains à p l a t sur
le p l a teau e n u n e ronde continue. Ma mère et m o i , nous
nous tenions à d i s tance de ce cercle , attentives et scep tiques .
C'était la première foi s q u ' i l m ' é ta i t donné d'assister à une
telle séance. L'obscurité demandée par Mme Lafo n t aj outait
au mystère de cette pratique q u i , de surcroît , réclamait le
s ilence.
Un frisson me parcouru t , lorsque l ' o ffi ciante s ' adressa à
voix basse au guérid o n . Je fus assez surprise de la vo i r parler
à ce meuble comme à une personne. « Pra t iques ab surdes »,
me d i sais-j e à part m o i ; et, s i je n' avais pas con n u M me Lafo n t
comme u n e femme sensée, j ' aurais certainement pensé qu 'elle
était fol l e .
Après q u 'elle e u t demandé à p l u s ieurs repri ses : « Espri t ,
e s - t u l à ? S i t u e s l à , frappe un c o u p . . . », j e v i s la table se
soulever sur un p i ed et retomber sur les deux autres à peti tes
saccades rageuses e t répétées. Peu après, mue par je n e sais
LE CHEMIN DE DIEU
quelle force, elle se souleva de nouveau, puis, rou l a n t d ' un
p ied sur l'autre, elle p ivo ta avec vivacité et se dirigea vers la
terrasse à une tel le vi tesse que les officiantes eurent toutes les
peines du monde à la suivre en gardant leurs m a i n s sur le
plateau .
Dans le salon, i l restait quatre chaises renversées . . . S i quel
qu'un m'eût relaté ces faits, j e ne l ' aurais pas cru . Tout ce
que je venais de voir étai t à la fois effrayant et i nvra i sem
blable.
Mais ce n'éta i t pas tout . A leur retour de la terrasse où el les
avaie n t abandonné le guéri don, Tina, toute pâle, chancela,
fit u n pas encore et tomba évanouie. Lorsque j e la vis à terre,
immobile et comme morte, je fus submergée par la peur
qui grandissait en moi depuis le début de cette expérience,
et c'est dans une sorte de brouil lard angoi ssé que je regardai
ma mère s'affairer, Tina reprendre ses esprits avan t de s ' e n
tendre i n terdire de recommencer.
Madame Lubian
M me UBIAN,
L u n e a m i e de maman, v i n t l u i ren d re visite.
M aman était sortie, aussi s'assi t-elle auprès de moi,
décidée à l 'attendre j usqu'à son retour. Elle prit sur l a table
u n j ournal de mode et regarda les gravures . Après q uelques
i n s tants, j e sentis ma tête lourde et la reposai sur ma main,
les yeux clos.
M me Lubian me crut endorm i e et ne s'occupa pas de m o i .
J e ne dormais p a s , b i e n au contraire . J e m e sentais tran s
p ortée e n esprit d a n s u n e autre ville. J 'é tais à Bel - Abbès, ville
inconnue de m o i , où j e n ' é tais j amais al lée.
Je pénétrai dans une chambre dont la porte était entrou
verte . Derrière cette porte se trouvai t un l i t assez large,
recouvert d ' u n couvre - l i t au crochet, en fil blanc. Au cen tre
ORAN
de la p ièce, u ne table ronde sur laquelle était posé u n vase
b l eu . E n tre cette table et un buffe t ancien, sorte de vai ssel ier,
dans un fau te u i l de bois à haut dossier était assise une viei l le
dame au visage fatigué. Elle portait u n châle tricoté de laine
n o ire e t tend a i t l a main vers une tasse de tisane qu ' u ne jeune
fille lui o ffrai t . J e sus que cette dame étai t la maman de
Mme Lubian, qu'elle souffrai t d ' un e mauvaise bronch i te,
mais q u e s o n é tat s'était beaucoup amél ioré . Elle pensait
écrire la b o n ne nouvelle à sa fi l l e .
Lorsque j e revins à m o i et rouvri s l es yeux, je fis part d e
m a v i s i o n à M m e L u b i a n , e n n ' ometta n t aucun déta i l . E l le
resta s tupéfa i te , ne p ouvant comprendre ce ph énomène.
Elle était seule à connaître la maladie de sa mère ; elle n 'en
avai t parlé à personne. Au moment où j ' avais paru m 'e n
d o rmir, e l l e p e n s a i t précisément à elle. D 'autre part, elle
sava i t pertinemment que j e n'étais j amais al lée à Bel - Abbès .
J ' e n avai s fa i t cependant une description exacte, de même
que de la chambre de sa mère . Lorsque maman revin t ,
elle l u i racon ta ma v i s i o n , t o u t émue devan t un t e l événe
ment.
Le lendemain l u i parvenait une lettre de s a mère, où elle
l ' i nformait de sa guériso n .
Le désir égoïste
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LE CHEMIN DE DIEU
Rapideme n t , j ' avais gagné la sympa thie de mes condisciples
mai s elles ne m ' i n téressaient guère. J e les jugea is trop jeunes,
i ncapables de m ' apprendre ce que je désirais con naître . Par
chance , i l y ava i t , dans la classe d u brevet, deux sœurs, res
pect ivemen t âgées de d i x - sept et d i x - h u i t a n s , à q u i , dès les
premiers jours, j 'avais p l u . J e vouais à ces jeunes fi l les une
admiration d 'autant plus vive qu'el les me semblaient réu n i r
l e s quali tés q u e je recherchais vainemen t chez l e s éco l i ères
de m o n âge .
Quelle n ' é ta i t pas ma fierté d ' avoir gagné leur am i t ié !
E l l es me dispensaient, dans cette période d i ffi c i l e de ma vie
où je n ' é tais plus u ne enfant sans être encore une jeune fille,
l ' harm o n i e de leur beauté j o i n te à une exquise d o uceur. El les
rassemblaient en elles des qualités dont j ' avais souvent rêvé.
66
ORAN
Or, j e d o i s o uvrir ICI u ne parenthèse : i l y ava i t d eux
domai nes dans lesquels j ' étais toujours la première, le dessin
et l a rédac t i o n française et en fi n d ' an née scolaire les seuls
prix q u e j e remportais étaient ceux - l à . Ainsi, la première
fois q u e j ' eus un d evo ir de rédaction à faire chez moi, je fus
grat i fiée des reproches de M11e Fel l i n i . En effet, l orsq u ' e l l e en
prit connai ssance, elle fut persuadée q u ' i l était en fai t l ' œuvre
d ' u ne grande perso n ne de ma fam i l l e . M aman ava i t dû i n ter
ven i r et a ffirmer péremp toirement que j ' étais le seul auteur
de cette compo s i t i o n . Par la s u i te M11e Fel l i n i eut souve n t
l ' occa s i o n d e constater ma réelle virtuosité en la matière.
J e pris donc mon cahier et j 'entrepris la lecture de m o n
devo ir q u i ava i t p o u r t itre « Les cerises de B iscaye n . Cela
commença i t p ar une p h rase que j ' a imais beaucoup : « U n
jeune centenai re assis à l ' ombre des bois . . . n
Je ne pus p oursu ivre ; ma voix était complètemen t étouffée
par les éclats d e rire de trente élèves . J 'étais si abasourd ie, et
mon visage d eva i t exprimer un tel désarro i , que les rires en
fusèren t d e plus belle. L ' i ns t i tutrice d u t user de son autorité
et frapper dans ses mains pour i mposer le si lence. Puis elle
vint près d e m o i :
- M ademoisel l e Catherine M a l tese, savez -vous ce que
signifie le mot centenaire ?
D éc o ntenancée, j ' hési ta i s à répo ndre ; mais, encouragée par
son b ienvei l la n t sourire , j e lui dis :
- C ' es t u n m i l i ta ire roma i n . . .
- Vous avez d o n c confondu cen tenaire e t cen turion, m e d i t -
elle.
Ma confus i o n était à son comble. Les rires redoub laie nt.
Jeanne d 'Arc
Le phare
S
'
m ' arrivait de me trouver en présence d ' u n e perso n n e
IL
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OR A N
la côte. J ' imagi nais alors être u n p hare éclaira n t la nuit, aver
tissant des dangers les navires en détresse, ou bien aussi être
la petite l u m ière d ' une chaumière, gu ide et refuge du voya
geur égaré dans la forêt .
A u cours d e s j o urs, ces p ensées s e précisèrent, m ' inspiran t
un d é s i r qui devi n t u n e v o l o n té : être, s u r le p l a n spirituel,
semb l ab l e à ce p h are, à cet te chaum ière éclairée. Ce désir
ardent d evi n t une prière que j ' adressai à D ieu durant tou tes
les a n nées de ma vie.
N oël à Oran
Ma vo i x d o n n a i t à p l e i n . P u i s , du fortissimo, je passais à
l' andante :
69
LE CHEMIN DE DIEU
Et le chœur tri omphant de reprendre :
71
LE CHEMIN DE DIEU
El les le trouvèrent très beau , et s ' empressèrent de le cacher
dans un l i vre , de cra i n te que la d i rectrice ou une i n s t i tutrice
ne l 'aperçût. Cela aura i t fai t scandale. La n u d i té est i n dé
cente et doit être cach ée. La d écouvr i r est impud ique et
méri te un châtiment sévère. Quant à m o i , j 'a d m i ra i s la beau té,
la découvrant et la respectant sous toutes ses formes. Seule
la lai deur est impud i q ue et d o i t ê tre d i s si m ulée. Cependant
la véritable lai deur est dans la façon d e penser, de sen t i r .
De même la véri tab l e pudeur n ' est p a s p hysique, m a i s sp i
rituelle. J e pensais a i n s i pendant toute m a j eunesse. J e deva i s
comprendre p l u s tard c e s problèmes p l u s p rofon dément ,
en saisir le sens, comme un trésor caché de la métap hysiq ue.
Je co n t i nuai donc à fa i re mes « des s i n s coch ons » . I l s
étaient d i fférents d e s peti tes fées que j e dessi n a i s à l a Can
terra , mais pour m o i , n ues ou h a b i l lées, les femmes étaient
toujours des fées .
72
La mort
73
LE CHEMIN DE DIEU
J ' avai s entendu parler de la mort et i l m ' était souvent arrivé
de voir des cadavres d ' a n imaux. M ais je n'ava is jamais asso
cié cette i dée de la mort et du cadavre i nerte aux personnes de
mon en tourage.
Ce que j e voyais m e bouleversai t . Me tournant vers le l i t ,
j e demandai à s a mère : « Qu 'es t - i l arrivé à Louise ? n
La malheureuse comprit aussitôt que je venais de voir la
mort pour la premi ère foi s . I ncapable de me répondre, elle
appela de la main u ne dame q u i , ayant entendu ma questi o n ,
me répondit tristement : « Notre ch ère petite a cessé d e
vivre. »
Je rép liquai : << M ai s pourquoi, comment cela peut - i l arri
ver, est-ce un cas particul ier ?
- N o n , soup ira - t - el le, chacun de nous doit mourir u n
jour. E n c e m o n d e la vie n ' est pas éternelle . . n
.
Le détachement
L
' I RRUPTION de la m o r t d a n s l e jard i n enchanté de mon
e n fance m ' avai t révélé une au tre face, inconnue, de la
vie, qui m 'apparaissait alors dans sa réal i té totale. J e déco u
vra is le travai l de forces antagonistes, l ' une créa trice, l 'autre
destructrice. I l n ' y ava i t p l us de sécurité pour moi dans ce
monde à double face .
I l me semblait avo i r été victime d ' une odieuse mysti fica
t i o n , d ' u ne s i n i stre perfid ie. J ' imagi nais ma mère chérie à
la p lace de ma petite camarade Louise. Cette seule pen sée me
bouleversa, et j e me révoltai : « N o n , j e ne me lai sserai pas
surprendre par la traîtrise de la vie ! J e préviendra i , en la
devançant la douleur de son coup . n J e résolus de pleurer,
74
ORAN
tous les soirs après la prière , l a mort de ma mère . A i n s i ,
q u a n d surviendrai t l ' h eure i néluctab le de la sépara t i o n , elle
me trouverait invul nérab le.
Tou t au long des a n nées qui suivirent, j e suivis cette
méth o d e de détachement, q u i ne m ' avait été ensei gnée par
aucun l ivre ni aucun maître.
Le refuge
75
LE C HEM I N DE D I EU
La caricature
ous les samed i s , l ' abbé G u i l laume nous faisait un cours
T d ' i nstruction rel igieuse, devan t les tro is classes supé
rieures réu nies . J ' étais assise au dernier rang, dans la ra ngée
la plus élo ignée de l ' abbé.
ORAN
Les élèves l ' écou taien t dans le p l us complet s i lence, avec
gra nde a t te n t i o n . J e l 'entendais à peine, sa voix ne formait
q u ' u n b ru i t de fon d pour moi, tant j 'étais occupée à dessi
ner sur mon cah i er tou tes sortes de motifs . J 'aperçus alors la
di rectri ce, M me M uret , debout à côté de l ' abbé, et qui lui
parlai t . Leurs profils se détach aient avec net teté sur le mur
blanc.
Le con traste e n tre la laideur de la d i rectrice et la beauté
de l ' ecclésiastique é ta i t si frappant q u ' i l me suggéra une idée,
pas très orth odoxe, i l faut bien l ' avouer.
Mme M uret p ossédait u n append i ce nasal exagérément
proém i nent et rubico n d , prolongé d ' une énorme verru e .
E t cette verrue é t a i t ferti le, plantée d ' u ne touffe de poils
lo ngs, raides et n o irs. E n haut de la tête, elle portait un
ch igno n , de c h i c h i s postiches. Son cou , très long et très
maigre, éta i t cercl é d ' u n col haut et baleiné. Lorsqu 'elle
bougea i t la tète, les poils de sa verrue frémi ssaien t , son
ch ignon semblait vouloir rompre ses amarres et les baleines
de son col se go ndolaient : j 'avais l ' impress ion que sa
tête tout entière allait s 'éparp i ller en p ièces détachées .
Après l 'avo i r b i e n observée, je me mis à la dessi ner avec tan t
d'applica t i o n que j e perd is toute notion de l ieu et de temps.
Le cours était term iné, lorsque soudai n ma voisine m 'avert i t
du coude. J e relevai la tète préc i p i tamment, m a i s i l était
trop tard . La d irectrice, qui ne m ' aimait pas , vena it vers m o i .
M 1 1 e F i l i p i la devança, m e p r i t la feu i l l e des mains, y jeta rap i
dement u n coup d ' œ i l . J e vis sur son vi sage une expression
à l a fois terrifiée et amusée . Elle ten ta vai nement de fa i re
di sparaître la feu i l le, mais M me M uret l u i ordonna sèchement
de la lui remettre . L 'abbé s ' étai t avancé derrière la d i rec
trice. Qua n d cel le - ci leva la feuille pour mieux la regarder,
il put voir derrière son dos le fameux dess i n . I l représentait
les deux profils de la d i rectrice et de l 'abbé en tra i n de s'em
brasser sur la bouche. L'abbé sort i t son mouchoir de sa sou
tane et s ' essuya l e front : i l transpira i t . Mme M uret était figée
d ' h orreur. M 1 1 e F i l i p i ne sava i t quelle con tenance prendre tant
elle éta i t embarrassée . Toutes les élèves debout me regar
daient i n triguées . L ' i nstant étai t drama tique. J ' étais dépassée
77
LE CHEMIN DE DIEU
par les conséquences de mon acte et m'a ttenda i s au p i re .
Mme M uret désigna une de mes compagnes .
- Vou s , mademoiselle Claire , vous co nnaissez la maison de
Catherine Mal tese. Vous aurez l ' o b l i geance de d i re à son père
que sa fille est retenue au pain sec pour co ndu i te inqua l i
fiable. D i te s - l u i également d e veni r à l ' i ns t i t u t i o n , car j e veux
lui parler.
Elle me sai s i t alors par le poignet.
Au pain sec
L é ta i t m i d i .
La d i rectrice ferma l ' école et, accompagnée
I de sa fille, élève dans la classe du brevet supérieur, m ' e n
traîna de force chez elle. Elle h a b i t a i t en face de l ' école, a u
quatrième étage d ' u n grand i mmeub le. J ' essayai à plusieurs
reprises de m ' arracher à son étrei nte, mais Mme M uret m ' i n
crusta i t ses o ngles dans le po i gnet s i profondément q u ' i l s y
laissèrent des traces sanglantes. J ' ava i s beau ruer comme une
cavale en furie, tous mes efforts furent va i n s .
Lorsq u'on parv i n t chez e l l e , e l l e s 'affaira , aidée d e s a fil le ,
a u x prépara t i fs du déj eu ner. Elles le prirent toutes deux d a n s
la s a l l e à manger, la porte grande ouverte. Mme Muret me
lai ssa debout dans le couloir, de façon à pouvoir me surve i l
ler et surtout à m ' i nfl iger le supp l i ce d ' assi ster à leur repa s ,
e n me laissant l 'estomac vide. E l le s e contenta d e me donner
un croûton de pain rassi s , que je jetai violemment à terre en
lui lançant un Hot d ' i nvectives du meil leur vocabula ire d e
Bab - e l - Oued. Ce q u i me soulagea et me vengea , car je l a vis
pâlir et trembler d ' i n d i gnati o n . Elle s ' approcha de moi , leva
une main menaça n te, mais parvi n t à se maî tri ser à temps .
Elle grommela q uelque chose entre ses lèvres , puis regagna
sa p lace à tab le, et poursu i v i t son repas. J 'étais dans un état
de fureur i n descrip ti b l e . Cette femme m ' i nfl i gea it un traite-
ORAN
ment que j e j ugeais offensant pour ma d ignité d ' art iste. Le
châtiment était h ors de proportion avec la faute, qui n ' étai t
somme toute q u ' u n d iverti ssement. Je ne pouvais rester en
place. J 'essayais d ' o uvrir les portes, sans qu'elles me vo ient,
mais elles étaient tou tes fermées à clef. J e voulais à tout prix
trouver une i ssue pour sortir. J 'é tais dans un tel état que j e
m e serai s précip itée d a n s la rue d ' une fenêtre du quatrième
étage. Leur repas term iné, elle me fit descendre avec elle
pour l ' ouverture de l 'école, me fit asseo ir dans la troisième
rangée d ' une classe vide, pri t elle-même p lace sur l 'es trade,
et se mit à écrire devan t un pupi tre. J ' avais les yeux tuméfiés
par les larmes et le visage congestionné, en feu .
D e temps à au tre, elle redressa i t l a tête, m 'adressai t une
semonce. Elle termi nai t celle qui devai t être la dernière par
des expressions extrêmement péj oratives quand mon père
entra et en tend i t ses derniers mots, qui le plongèrent dans
une froide colère. I l s 'avança vers moi pour me prendre la
main et me faire sortir de l ' éco le. Il aperçu t alors mon po i
gnet ensanglanté e t m o n visage tuméfié, méconnaissa9le.
I nd igné, i l se tourna alors vers la d i rectrice et lui déclara :
- Je vai s aussi tô t p orter p l a i n te contre vou s , et soyez cer
ta ine que votre i nstitution rel igieuse sera fermée.
Et i l m'entraîna dehors, en marcha n t si vite que je dus
presque courir pour le su ivre . Lorsqu ' o n arriva à la maison,
maman fu t effrayée de me voir dans u n état s i lamen table.
Elle me plo ngea le visage dans une cuvette d 'eau fraîche, et
me donna à manger. E l l e en treprit ensuite de détourner mon
père de so n proj e t .
Premier amour
79
LE C HEM I N DE D I EU
80
O RA N
Bonheur
81
Gérard
M ES yeux n ' étaient pas assez grands pour mon cœu r trop
avide d ' amour et de beauté. J ' aurais voulu embrasser
d ' u n seul regard l ' i n fi n i tude de tant de perfect i o n , la saisir
tout entière, sans rien en perdre. E n désirant tout prendre,
je désirais en même temps tout d o n ner. Quelle avarice, et
quel le généro s i té !
Je me senta i s si petite pour de s i grandes ch oses . Revo ir
Gérard , après le tourment de l 'attente, était devenu l ' objet
principal de mes pensées et le ressort de mes activi tés .
I l y avai t mai n tenant deux semaines que je le co nnaissa i s .
J e le voyais t o u s l e s j ours, et chaque fo i s j e savourai s u n
bonheur nouveau . Déj à , j ' appréhendais de le v o i r d i spa
raître aussitôt termi n ées les réparations de sa voiture . J ' ava i s
surpris quelques bribes de conversa t i o n s entre M . P o n s et
l u i : il était ques tion de pièces défectueuses q u ' i l convenai t de
remp lacer. Pièces qui étaient i n trouvables à Oran, et ava ient
été commandées dans leur pays d ' origi ne. Leur achem i ne
ment vers l ' Algérie al lait prendre quelque temps. E n atten
dant, M. Pons s'occupai t de tout remettre en état.
Gérard éta i t u n bon client. Fils uni que d'un riche vit icul
teur, héri t ier d ' u ne vieille famille bourguignonne, i l sava it res
ter réservé tout en étant fa m i l i er. I l ava i t cette a i sance simple
des perso n nes b ien nées , qui ne s ' acqu iert pas, car elle est
naturelle. Elle le faisait apprécier par les gen s de tou tes co n d i
t i o n s . I l tra i ta i t M . Pons comme u n vieil am i . E n retour, ce
dernier l u i donnait des consei ls, à la fois comme un père à
son fi l s , et comme un bon artisan à son appren t i .
Cette rencontre ava i t totalement m o d i fié mon comporte
ment domestique, et ma mère ne fu t pas la moins surprise
en découvrant que je m ' i n téressais désormai s à la vie de la
O RAN
A l'abri du monde
Le feu de la terre
86
ORAN
Sotte comme i l n 'est pas perm i s , j e me plaisais à imiter
Gérard e t , à sa s u i te, je b uvais coupe sur coupe.
Il fal l u t partir. Le temps avai t passé et j e deva i s être ren
trée ava n t la n u i t . Or, ce q u i se produisit alors, j e sais que ce
n'est pas i m p u table à l 'alcoo l . Souvent, en effe t, j ' eus l ' occa
sion d e cons ta ter, au long de mes années de mariage, que j e
supporta i s l ' a lcool auta n t , sinon mieux, q u ' u n homme.
Jamais i l n ' obscurci t mes facul tés cérébrales ; bien au
contraire, el les paraissaient décupler sous ! ' effe t de la b o i s
son . A i n s i e n fu t - i l c e soir- là.
Parvenu dans u n endro i t isolé, Gérard arrêta sa voi ture.
Un court i ns t a n t , il parut hésitan t . Souda i n , i l poussa une
sorte de j uro n , avan t de se j eter sur moi avec la violence d ' u n
désir trop l ongtemps réprimé. S e s lèvres couraient sur mes
joues, le l o n g de mon cou et, quand sa bouche rencontra la
mienne, e n trouverte comme un frui t mûr, i l la savoura, puis
la dévora .
N o n , je n ' étais pas grisée par le champagne. Ma tête resta it
fro i d e . Seulement voi l à : les volcans de la S icile faisaient
éru p t i o n dans m a chair et dans mon sang. Gérard ne put rés i s
ter l o ngtemps. S o n amour fu t plus fo r t q u e s a crai nte. Pour
moi, il était plus fort que la mort.
'AVAIS
J
retiré l e pantalon de sat i n b l a n c et mon li nge d e
corps ensangl a n té ; j e l e s roulais en b o u l e et me prépara is
à les j eter dans u n coi n de rue, quand, brusquemen t , Gérard
me les arracha des mains. I l les repl i a avec un soin méticuleux,
y compris l a b louse du costume de Pierro t , la calotte et le
masque, les glis sa dans le grand sac dont i l retira ma robe
que je m ' empressai de revêtir.
- Pourquoi veux - tu garder ce l i n ge ? Tu as loué ce costume,
LE CHEMIN DE DIEU
mais t u ne pourras le rendre ainsi souillé, l u i d i s -j e , i ncapable
de comprendre son comportement .
- Ce qui te semb le souillé, me répliqua - t - i l , e s t pour moi
le plus propre. Ce que tu voulais j eter est pour moi l e bien le
plus précieux, e t j e veux le conserver en souve n i r d ' un moment
qui vaut toute une vie !
Je sen t i s comb ien son amour éta i t fort . Cela me réconfort a .
I l m e reco n d u i s i t j usque chez moi e t repart i e . Ava n t de
monter, je levai les yeux vers les fenêtres de no tre apparte
ment : i l n ' y avai t pas de lum ière. Tou tes mes cra in tes é t a i e n t
apai sées ; m a mère e t ma sœur n ' étaien t pas e ncore ren t rées .
Départ de Gérard
ÉMOIN de nos renco n tres , M . Pons ava i t pu su ivre dès le
T début l 'évolution de nos relations, à Gérard e t à moi
même et en prévoi r l ' issue. Aussi ne fut - i l pas surpris lorsque
Gérard le mit au courant des fa i ts du Mardi gra s . Mais quand
i l en vint à avouer son i n tention de me demander en mariage,
M. Pons trouva à l u i répondre par des arguments pérem p
t o i res : Catherine, d i t - i l , est encore t rop j eu n e . E l l e n e sera
en âge de se marier que dans trois ou q u a t re a n s . Au plu s
tôt ! De plus, M . Mal tese ne ren trera du M aroc q u ' après avo ir
achevé les travaux q u ' i l y a e n trepri s . Ce qui peut deman der
un certai n temps. Quant à Mme M a l t ese, elle ne saura i t
prendre u n e décision aussi importante d e sa propre i n i t i a t i ve.
M . Pons deva i t aj ou ter m i l l e autres choses. B a i s s a n t la vo ix,
i l confia à Gérard que, s ' éta n t entretenu avec ma mère au
sujet des longues absences de mon père, elle lui ava i t appris
q u ' i l étai t coutumier du fait, q u ' i l était b o hème et n omade
de nature et q u ' i l ne pouvai t pas rester l o n gtemps dans un
même endro i t . Qua n t à elle, elle passai t l e plus clair de sa
vie à l 'attendre. Toutefois, son bonh eur à le retrouver é t a i t
88
ORA N
Révolte
E
J
supportais ce suppl ice durant deux an nées lorsque,
aya n t a t tei n t l a l i m i te de ma rési stance, j e me révo ltai
contre D ieu et le ren iai .
C 'é ta i t la fin pour m o i . J 'avais perdu tout ce q u i éta i t ma
raison d 'être et décidai de qui tter ce monde, qui étai t devenu
pour moi u n e n fer, après avo i r été un para d i s . J e sa isis un
flacon de d i gital i ne, remède que prenait mama n , et allai
m ' enfermer dans ma chambre . Je savais que ce médicament
éta i t un p o i s o n m ortel s i on l ' absorba i t en grande quantité.
Le flacon était p l ei n . J e le portai à mes lèvres, avec l ' i n tention
de le vider, quand j e reçus u n coup sec sur le po ignet : ma
main l aissa tomb er le flacon q u i se brisa et le l i quide se
répand i t sur le sol . J e restai pétrifiée de terreur : qui donc
m'ava i t donné ce coup ? J ' étais seule dans la chambre.
89
LE CHEMIN DE DIEU
go
Délire
La prophétie
91
LE CHEMIN DE DIEU
l ' obscuri té complète. Je me remémorais l ' arrivée à O ra n , ma
tris tesse, l ' angoisse et la prém o n i t i o n du m a l heur qui
vena i t de se réal i ser. Soudai n , en face de moi, sur la porte
d ' en trée fermée, u n point lum ineux, sci n t i l lant comme une
étoile, attira mon regard . Sa lumière s ' agrandit len temen t et
sa voix me parl a . Je l ' entendais dans l es battements de mon
cœur, dans la pulsation du sang dans mes artères . Elle p ro
phétisai t . Elle m ' énuméra i t une longue série d ' épreuves que
j 'aurais à surmonter. Elle m ' exhorta i t part icul ièrement à la
patience, avec la fermeté d ' u n ordre. Je ne puis que don ner
ici un bref résumé de cette prophétie : « Tu verras ce q u i est
le plus élevé dans ton esprit foulé à terre et sou i l lé dans la
boue. L ' amour et la généro sité qui débordent de ton cœur
attirero nt sur toi la h a i ne et la jalousie. Tes sent i ments et tes
actes les plus l o uables sero n t dénaturés, deviendront b lâ
mables . T u n'obtiendras q u e le contrai re d e t e s p l u s ch ers
désirs , et toute douceur se changera pour toi en amertume.
Supporte ces dou leurs avec patience, avec pati ence, avec
patience. n
Après un court s i lence, une vision m ' apparut : j ' étais assise
sur un siège, mais qui ava i t la signification d ' u n trô n e . Se
fa isant douce, encourageante, l a voix reprit : <c Ce sera le
prix de ton endurance, quand le temps sera ven u . n
La descente de lit
93
LE CHEMIN DE DIEU
de l i t j e dormais comme une bienheureuse. E l l e s ' empressa
d ' al ler trouver maman pour la mettre au coura n t . N o t re
mère s'en émut au point de se précipiter aussitôt dans la
chambre. Sans doute se souvenai t - e l l e qu'à l 'âge de trois
ans j 'avais fai l l i trépasser à la suite d'un refro i d i sseme n t . Et,
me trouva n t tel le que Tina m 'ava i t décri te, elle me secoua si
fort que j e me réveillai sur- le-champ. J ' eus dro i t au sermo n
et a u x menaces ; m a i s maman, qui me con naissa i t b i e n ,
sava i t que j e m e serai s fa i t battre à mort plutô t q u e de ren o n
cer à c e que m a vo l o n té m ' ordonnai t . Aussi abandonna
t-elle l ' espoir de me convai ncre pour se rendre dans la cu isine
où elle me prépara u n petit déj eu ner, café fum a n t et p a i n
beurré . C ' es t ainsi q u e j e dorm i s , pendant t o u t e la guerre,
sur la descen te de l i t . J ' e n ai gardé j usqu'à ce j our u n e
aversion pour l e s l its trop m o u s et trop dou i l lets . . .
Le champ d e courses
94
ORA N
L 'aube
95
Le filleul de guerre
COMME tou tes les élèves de l ' i ns t i t u t i o nj eanne- d ' Arc, j 'avais
mon fil leul de guerre. Agé de vingt - q uatre ans, i l se
nommai t j u l ien d ' Herbéco urt.
Nous correspond ions dep u i s près de deux ans ; nous
échangio n s des photos ; bref, j e rêvai s u n peu . En vérité,
je m'acharnais à essayer d ' o u b l ier Gérard . Et puis, vo ici
que, par u ne lettre, i l m ' a n n o nça i t q u ' i l vena it me vo ir
à l 'occasi o n d' une perm i s s i o n . Tout son programme éta i t
tracé : dès son arrivée, i l se rendra i t c h ez sa s œ u r , à Ora n . L à ,
i l attendra i t que j e l u i fasse signe ; et i l s e réj o u i ssait à l ' i dée de
pouvo i r enfin rencontrer sa cc marrai n e ».
Deux sema i nes plus tard , i l se prése n tai t à la maison.
J e me tenais auprès de ma mère et de ma sœur, lorsq u ' i l
apparu t . Aussitôt, i l pro d u i s i t s u r el les u n e i mpression que
je ressen t i s favorable à voir seulement l eurs sourires, leurs
réactions a i mables et la douceur de leur mai n t i e n .
C e j u l ien d ' H erbécourt était gra n d , d i s t i n gué, d ' u n vi sage
agréable. D irai -je q u ' i l ava i t cc la m i ne avenante » ? En tout
cas, ma réaction ne l u i fu t p o i n t favorab l e . J e lui vis de la
mo l lesse dans les atti tudes, un manque de fermeté dans le
regard, et le t imbre de sa vo i x me dép l u t . Pour d i re les
ch oses s i m plement, je n 'é ta i s pas déçue : cet homme me lais
sa i t i n d i fférente. É vi dem ment, i l ne tarda pas à s'en aperce
vo i r en dép i t du soin q u e je m i s à me mo n trer i n téressée
et atten t ive. Mais l 'écart q u ' i l y ava i t en tre ma fro ideur p o l i e
et l ' impression forte q u ' i l fa i sa i t sur ma mère et sur ma sœur
deva i t rap i dement l 'écl a i rer sur des sentiments que j ' ava i s
affectés d a n s mes lettres et que j ' étais i n capable de ressentir
en sa présence.
Mais à tout malheur correspond un b i e n . Pendant les vi ngt
96
ORAN
Le mariage
97
LE CHEMIN DE DIEU
vais en tourée par la tendre s o l l i c i tude de l ' h omme plus
âgé envers sa jeune épouse.
J ' adm irais mon compagno n , j e l e respecta i s et j e l ' estimais
plus que tout être au monde. Grâce à lui, j ' a l l a i s pouvo i r
réa l i ser la m u l t i p l ici té comp lexe de m a personnal i té et plus
tard, son u n i té principielle.
Qua trième partie
LA C O RS E
Inquiétude
101
LE C H EM I N DE D I EU
1 02
LA CORSE
J e parvi ns a i ns i à mai n tenir nos rapports à u n n iveau de res
pect réciproque qui devai t d u rer jusqu'à l a fin de sa vie.
Le pari
1 03
LE C H EM I N DE D I EU
Scandale
1 04
LA CORSE
Cela d urait depuis u n certain temps quand, au cours d ' une
récep t i o n réunissant l ' é l i te de la ville, le p oète J ean Maquis,
pers o n nage d ' une grande notoriété, d o n t la compagn ie étai t
recherchée, fit la lecture à h a u te voix d ' u n poème tout à mon
h o n neur. Ce fu t une sorte de garantie, me donnant dro i t de
cité, suivi d ' u n cessez - l e - feu provisoire .
Le nid de verdure
Le serpent
1 05
LE CHEMIN DE DIEU
I l s s'étaient habitués à ma présence. I ls picoraient çà et l à ,
avec d e s tril les j oyeux, l e s miettes de pain que j e l e u r appor
tais. J ' avais appris q uelques n o tes de leurs chants et quand
je les siffl otais, ils répondaient aussitôt, comme pour m ' e n
courager à poursuivre le c h a n t .
U n après - m i d i , au cours d ' u ne de ces méditations, i m m o
bile, l e s ai les de mon esprit dép loyées dans u n a u - delà
éthéré, j e fus ramenée au sol par u n siffl ement semblable à
celui d ' un souffl et de forge. En l ' entenda n t , j ' ava is senti mes
cheveux se héris ser, mais j 'étais restée immobile, dominant
le prem ier mouvement de frayeur qui ava it été de fu ir, pen
sant q u ' i l y ava i t derrière mon dos u n gran d serpent prêt à
m ' attaquer .
J e n ' avais pas e u beso i n de m e retourner pour avoir la
cert itude qu 'aucune bête de nature terrestre ne siffl a it der
rière m o i .
J e savais quel e n nemi venait de s e manifester, en essayant
de m 'écarter de ce n i d de verdure dans lequel j 'ava is le pri
vilège d ' échapper à son empire .
Mais i l m 'ava i t trouvée contrôlant mes moyens de défense :
j ' étais restée assise, impassib le, maî tresse des lieux.
Blâmes
1 06
LA C O RSE
Le livre
1 07
LE C HE M I N DE D IEU
Prise de conscience
J
E regagnai ma chambre, posai ma lampe sur le guér i d o n ,
et rangeai la bouteil le de pétro le o b l i geamment prêtée.
Cela fai t , j e m ' i nstallai dans mon lit avec des coussins non
sans avo ir, au préalable, ouvert la fenêtre à cause de la chaleur
de l 'été. Au début du livre, j e ne fis que parcourir les pages,
selon mon habi tude. Puis la lecture devint plus appli quée à
mesure qu'elle m ' i n téressait davan tage . Vers deux heures du
mati n , la lampe allait s'éteindre . J e dus me lever pour la rem
plir. Une heure après , je sentis le sommeil appesan t i r mes
paupières et, malgré tous mes efforts pour rester évei l lée,
j 'allais finir par y succomber.
C 'est alors que ma consoence me fust igea : << Quel les
1 08
LA CORSE
préten tions peux- tu encore garder ? Te vo ilà i ncapable de
résister - ne sera i t - ce q u ' au sommei l ! Comment pourra i s - tu
endurer les tortures de ces martyrs ? Quelle sincérité peu t - i l y
avo ir dans une fo i qui n'est pas agissan te ? n
J 'avais fa i t u n réel effort pour rester éveil lée si tard . Néa n
moins, malgré la fa tigue, h um i l iée par l e s blâmes de m a
conscience, je repris le livre, dont j ' avais à peine l u la moitié,
et je me j urai à moi - même de ne m ' endormir q u ' u ne fois le
li vre term iné.
1 09
La commun1on
1 10
LA C ORS E
quer cet état de grâce dont vous avez été comblée. Votre
combat a dépassé le b u t de la confession n, d i t - i l avec un
soupir plein de sagacité.
I l inclina la tête pensivement et reprit d ' une vo ix ferme,
assurée : « J e vous le répète, cette voix qui vous parle, est celle
de votre cœur, elle est celle de la véri té. Suivez - la désorma is,
elle vous guidera dans le chemin d u bien. n
Cette p h rase term ina notre entretien. Cela se passa i t en
1 9 2 1 à Ajaccio . Je n ' avais que vingt ans. I l m 'arrive parfo is
de me souvenir avec une certai ne émotion reco nnaissante de
ces paro les du révérend père .
L 'écrin
111
LE CHEMIN DE DIEU
dans la v1tnne un superbe écrin de cuir rouge et de satin
blanc. C ' étai t u n o nglier en argent : la plus ravissante ch ose
que j ' avais vue depuis lo ngtemps . Je fus prise d ' un désir subit
de l ' avoir en ma possessio n .
J e ne p u s m ' empêcher d ' en trer dans le magas in e t d ' en
demander le prix. I l éta i t h ors de proportion avec mon
modes te budget .
Je ne pus tou tefo is me rési gner à y renoncer, et réfléch is
plus ieurs j ou rs, cherchant un moyen de réunir la somme
exorb i tante. J ' avai s calculé qu 'en économisant tous les j ours
sur les frais du ménage, je pouvais réu n i r la somme nécessaire
en tro is mois. J ' avais la certi tude que l 'écrin restera it en
vitrine j usqu'à ce que je puisse l ' acheter. J 'accomplis un véri
tab le exp l o i t , n 'aya n t jamais pu depuis mon enfance avo ir de
l 'argent sans éprouver aussitôt le besoin de m ' en débarrasser.
Cette tendance déplorable à la pro d i ga l i té aurait pu causer
de sérieuses perturbations budgé taires ; mais, dès les débuts
de notre mariage, Ivan y avai t remédié : il me donnait chaque
sema ine, au l ieu de chaque mois, ce qui était nécessaire à
l ' en tretien de la maiso n . C ' éta i t pour l u i p lutôt un suj et de
plaisanteries que d 'e n n u i s .
Car d i sa i t - i l : « T u e s a u s s i satisfa i te avec beaucoup q u ' avec
peu . n
Les tro i s mois passés, je pus enfin m ' offrir le coûteux et
ravissant obj e t . J 'é tais fière et satisfa i te . I l me semblait que
j 'étais devenue p l us importante.
Une foi s entrée dans ma chambre, j e défis le paquet, ouvris
l ' écrin e t cherchai un endro i t où le poser. I l n'y avait dans la
pièce aucun meuble qui fût d i gne de sa présence. J e dus me
résigner à le placer sur la p auvre commode, auprès du l i t ,
entre la vieille armoire e t la fenêtre. J e reculai pour mieux
j u ger de l 'effet. Le pourpre du cuir, la bla ncheur sati née, la
dél ica tesse des i n s truments d ' argent, tout le luxe raffi n é de
l ' onglier, semb lait défier orgueilleusement la chambre. Le
con traste é ta i t désastreux, insoutenab l e . J ' eus du mal à répri
mer un fou rire, de même qu ' u n cri de colère. J ' étais
consciente de la méd iocrité de la situation, de la fu t i l i té de
l 'obj et , et de la van i té de son achat. J e déplorais le mauvais
112
LA C ORS E
J
E passais mes vacances à S orèze avec mon beau- père et
ma belle- sœur Yvonne. Celle-ci compta i t parmi ses rela
tions la veuve d ' u n o fficier supérieur, qui ava i t deux fi l s .
L'aîné, âgé de dix- neuf ans, à la suite d ' une déception amou-
reuse, avait perdu la fo i e n D ieu . Pour la mère, croyante
et pratiquante, qui ava i t vei l l é particul ièrement à donner à
ses fi ls une éducation chrétienne, cet état de choses ava i t eu
l ' effe t déprimant d ' u n désastre. Elle se confia à ma belle- sœur,
qui, i n formée de mes aptitudes en cette matière, pensa que
je pourrais peu t - être réussir, là où d 'au tres plus autori
sés avaient échoué.
Le cas m ' i n téressai t ; j e réso l u s malgré les d i ffi cu l tés d 'e m
ployer t o u s l e s moyens en mon pouvoir. L ' a t o u t s u r lequel j e
comptais le plus é t a i t la force de mon a m o u r p o u r D ie u . Le
seco nd moyen , q u i co ntribuait pour u n e large part à mes
réussites, était le d o n des langues : j e parlais à chacun selon
le mode qui co nvenait à sa nature. J e devais le trois ième à la
dialectique p l a to n icienne. Ayan t étudié les œuvres de Platon
1 13
LE C HEM I N DE D I EU
plus particul ièrement, je m 'étais famil iari sée avec ses procé
dés d u d iscours e t du d ialogue.
Le soir, au cours de la promenade h a b i tuelle, j ' avais usé de
tous mes atouts, sans résu l ta t évident. Nous étions sur le
chem i n d u retour, la n u i t éta i t obscure, sans étoiles et sans
l u ne , quand souda i n , i nsp irée, j e m ' écriai en leva n t la main
vers l e ciel : « Regardez, D ieu est l à ! » Et le ciel s'ouvrit à
cet instant même : u n e large déch irure écarta les ténèbres et
l a issa passer une clarté plus rayonnante que la lum ière
solaire.
Il m ' avai t saisi les mains, i ncapable de prono ncer u n mot.
Je me demandai si nous étions les seuls à avo ir eu cette vision .
Mais les autres revenaient vers nous, poussant des exclama
tions. Arrivés près de nous, devan t notre attitude et no tre
silence concentré, ils comprire n t . « C'est m i raculeux ! »
répétaient- i l s , profondément i mpressionnés.
La grâce venai t d 'assister la charité. Elle venait d ' ouvrir un
cœur fermé par la douleur et le doute, en lui faisant u n don
mervei lleux, le d o n de la foi véritabl e . Celle qui ne s'acqu iert
pas , et que l ' o n ne peu t plus perdre lorsqu'elle vous est
donnée.
Espoir
1 14
LA C ORSE
J ' y avais vécu des h eures riches d ' expériences, et j 'y avais
acquis cette maîtrise de soi sans laquel le la vie en société sera i t
i mpossible. L a perspective de retourner en Afrique du Nord,
où j 'avais passé mon enfance et ma j eunesse j u squ'à l ' a n née
de mon mariage, me causait un plaisir anticipé ; j 'attendais
ce moment avec impatience, tendue dans l ' e spérance d ' u n
aven ir que je sentais riche de promesses .
Ci nqu ième partie
S FAX
Sfax
1 19
LE CHEMIN DE DIEU
Le muezzin
1 20
SFAX
Le p o i n t culminant de ma promenade était la grande mos
q uée. Elle était entourée d ' une sorte de podium sur lequel se
trouvaient des étalages de flacons d ' essences de toutes sortes,
de parfums orientaux, des petites b oî tes rondes et des étuis
de fards e t de baume.
Les marchands, deva n t leurs étalages , semb laient des
figures des Mille et une nuits, avec leur petite barbe noire,
leur regard vif, leur sourire engagean t et leur turban blanc ou
j aune dont u n pan retombai t sur u n côté de l ' orei l le .
J e levai l e s yeux vers le m inare t . U n e s i l h o uette blanche se
détachait entre ses créneaux sur l ' azur pâle du ciel. C ' é ta i t
c e l l e du muezzin . S a v o i x ardente vibra i t d a n s l 'air, rem p l i s
s a n t l ' espace de s o n appel ferven t à la prière. D è s que j e l 'en
tendais, j e m ' arrêtais figée, dans une raideur comparable à
celle d ' u n m i l i ta ire lors du salut au drapea u . Cette i nvoca
t i o n du nom d ' A l la h le D i eu très H au t , dans l 'appel à la
prière, délivrai t les musulmans des a t taches de ce monde, les
ramenai t vers leur Seigneur. Aucun son - fû t - i l le plus har
monieux et provî n t - i l d u meil leur i nstrument -, ne me sem
b l a i t capable d 'émouvoir davantage le cœur d ' u n véri table
croyan t , que cette voix humaine. Elle purifiait l ' atmosphère
et la terre sur laquelle elle descendait comrµe une m iséricorde
D ivine. J ' étais é to nnée de vo i r les gens c ircu ler dans tous les
sens autour de m o i . Sauf quelques rares personnes qui
entraient hâtivement par la porte grande o uverte de la mos
quée, tou tes les au tres me semb laient sourdes, ou préoccu
pées par des soucis matériels, ou i n d i fférentes .
M oulay Abdelkader
E
n ' arrivai s pas à connaître les raisons p art iculières qui
J me faisaient rechercher une participation à la vie d u
monde arabe. J 'étais cependant parvenue à connaître et défi -
121
LE CHEMIN DE DIEU
n i r celle q u i me semblait primord iale : l ' Arabe, h omme ou
femme, q u i s u i t l a trad i ti o n i s lami que, en o uvran t o u fer
mant une porte, i nvoque chaque foi s le nom d ' A l la h . Sa vie
tout e n ti ère est a i n s i consacrée à D ieu .
En Tun isie, après le Nom D iv i n entendu tout au l o n g des
rues de la méd i na , une autre i nvoca t i o n écl a ta i t dans une
exclamat i o n soudaine, chaque fo i s que menaça i t un danger
imminent, un accident ou un sembl a n t de péril , c ' é ta i t le nom
du s u l ta n des saints, M o ulay Abdel kader J i lal i , le patron de
B agdad . L 'effet produ i t par cette i nvocation éta i t i mmé
d ia t : le coup qui deva i t frapper ou b lesser éta i t dévié de son
trajet, le p ied qui glissait ou trébuc h a i t s ' affermi s sa i t au bord
de la chute. Dans tous l es cas s i m i laires, l ' i nvoca t i o n ne m a n
q u a i t j a m a i s d 'apporter son secours provident i e l .
Lalla Fatma
1 22
SFAX
insta n t ava nt de bo ire cette eau qui éta i t presque glacée . Elle
me fi t ensui te une tasse de café que j e bus avec plaisir. J e pas
sai ainsi p l us d ' u ne heure en sa compagn ie. J e ne connais
sais que très peu d ' arabe d ialectal tunisien, mais i l nous suffi
sa i t d ' u n m o t , d ' un geste, d'un regard , d'un sourire pour
nous comprendre ; j e sus ainsi qu'elle ava it so ixante ans,
qu'elle était veuve, que ses sept fils vivaient avec elle, sauf
l 'aîné, marié et père de deux enfa n t s . Elle appri t à son tour
tout ce q u ' e l l e désirait connaître de m o i .
Lorsque j e me levai p o u r partir, e l l e me fit promet tre de
reven i r la voir, ce que j e fis de bon cœur : j ' ava is enfin trouvé
une a m i e .
Le thé
1 23
LE C HEM I N DE D IEU
le t h é . »
I l s s 'écartèrent avec u ne sorte d 'effroi respectueux, et me
laissèrent fai re .
'AVAIS
J
pris l ' habitude d 'al ler chez Lalla Fatma presque
tous les j ours. E l l e rest a i t seu le l ' après - m i d i , s'occupant
de l 'entretien de la maison . E l l e avai t fort à faire et ne res tait
jamais i nactive. J e m ' i n téressais à tout ce qu'elle faisai t et à tout
1 24
SFAX
1 25
LE CHEMIN DE DIEU
violents q u ' i l aura i t pu la démolir ; j e me dépêch ai de lui
ouvrir et lui rep rochai sa co nduite brutale en le menaçanr de
t'en faire part . J ' espérais ainsi q u ' i l sera it honteux, mais il
m ' a repoussée brusquement et s ' est mis à t ' i nj urier en te trai
tant de tous les noms. Je l u i ai jeté tout ce qui se trouvait à
portée de ma main et je lui ai d i t q u ' i l éta i t p i re q u ' u ne bête
sauvage !
Lalla Fa tma ro ulait des yeux furibonds et serra it les poi ngs
en se rappelant la scène. Elle se tut enfin, sa col ère ca lmée.
J e l 'avais écou tée en si lence ; j 'étais accablée. J e réfléch i s
s a i s à mon étrange destin qui semblait m ' avo ir vouée à la
méd isa nce dès mon jeune âge. Après l 'A lgérie, la Corse,
c'était maintenant la Tunisie. Un dégoût me soulevait
l 'âme, le monde m'apparaissait semblable à ces beaux fruits
appétissants dans lesquels, lorsq u ' o n les ouvre, on découvre
que le cœur est rongé par un ver. J ' aurais voulu rej eter ce
monde et ses créa tures , ainsi q u ' o n écarte un fru it corrompu .
Soudai n , dans l 'excès d e m a révo lte, e n un écla ir, l e souve
nir presque étei n t de la Voix prophétique frappa ma mémoire ;
parmi la longue l i s te des épreuves, il en était une donc la
répétition m'avai t frappée : « Tes bo n nes actions seront blâ
mées comme si el les étaient mauva ises . Le bien que tu feras
se retou rnera en mal contre to i . n
Justice éclatante
ÔT
AUSSI T revenue chez moi, j ' oubliai la prop hétie et ses
i nj o nctions à l a patience. J e voulais à tout prix un acte
de j ustice éclata n t , un témoignage divi n .
J e m e jetai la face co ntre terre, les bras en cro ix, e t frappai
violemment le sol de la main en i nvoquant le D i eu de J u s
tice. Alors l a voi x m 'ordonna : c c Lève - toi et retourne
SFAX
l à - bas, tu verras ce qui va arriver. n J ' en tendis au même i n s
tant un martèlement sur le sol, semblable à celui d ' u n corps
d 'armée s 'élançant vers l ' ennem i . S u ivant l ' ordre reçu , j e me
relevai et partis vers la co l l i ne .
J e trouvai Lalla Fatma debout, s 'apprêtant à servir le repas
du soir. Les fils, revenus de leur trava i l , se lavaient les mains
e t gagnaient leur place autour de la tab l e . Ahmed était
occupé à laver sa chéchia avec de l ' essence ; i l la fro ttait et
essuya i t ensu ite ses mains sur ses cuisses, imbibant chaque
fo is son pan tal on d 'essence.
Pensant q u ' i l ava i t mal choisi le moment de faire ce trava i l ,
j ' allais pénétrer d a n s la chambre où i l s étaient, lorsq u ' i l
m ' i n terpella du dehors : c c Regarde, M essaouda ! n I l bra n
d i ssait s a chéchia d ' une main et frotta i t de l ' au tre une a l l u
m ette, dans un geste i nsensé absolument i n compréhensible.
Il fut aussitôt trans formé en une torche vivante et, avan t que
nous soyo ns revenus de no tre stupéfact i o n , i l ava i t d i sparu
comme une flèche vers la porte de l ' h u i lerie.
La Clémence divine vou l u t qu'à cet in stant deux h ommes
fussent assis près de la porte sur une couverture. I l s rattra
pèrent Ahmed, s'en emparèren t et l 'e nveloppèren t dans leur
couverture pour étouffer les flammes . Ils le ramenèrent dans
la chambre, le soutenant chacun sous u n bras, car il tremblait
de frayeur et pouva i t à peine se ten ir sur ses j ambes .
Je me trouvais en face de l u i lorsqu ' i l fu t assi s . I l détourna
la tête, ne pouvant supporter mon regard . I l semblait
conscient et h o n teux de sa faute, ayant compris la leçon et
subi le châtiment . L' expressi o n d ' une co ntrition sincère
emplissait son visage.
Le voyant a i n s i , ma colère ava i t di s paru ; j e désirais
réparer ses effe ts e t j e vo ulais le guérir, après lui avo ir par
donné.
En tre l e s lambeaux du pantal o n , la c h a i r d e s cui sses appa
raissait gonflée de grosses cloques . J e priai Lal l a Fatma de
m'apporter une assiette avec un peu d ' h ui l e . J 'y trempai mes
mains et les passai à pl usieurs reprises le long des cuisses de
son fils, en priant le Sei gneur de M iséricorde de guérir les
b l essures .
LE C H EM I N DE D IE U
Ali
Réactions
1 29
Neutral ité
Calomnie
L'adieu
pulmo naire dont l ' i ssue prévisible deva i t être fa tale à brève
échéance. I l me conseilla d 'al ler rendre visite à la fam i lle
éplorée . Iva n n 'était au coura n t de rien , car j e n ' avai s pas
j ugé opportun de lui faire savo ir ce qui s 'é tai t passé : i l n 'au
rai t pu supporter de m 'avoir lai ssée subir impunément une
i nj ure aussi grave. Ne pouvant prévo i r ses réactions ni leurs
conséquences dans le cas où je l ' au rais i n formé, j 'avais pré
féré garder le s i lence.
I va n part i t pour son service, j e restai seule avec ma cons
cience ; la chari té chrétienne m ' ordonnait de pardonner ce qui
était déj à fa i t . Mais j e ne pouvais m ' exposer encore une fois
à voir leur porte se refermer à mon nez. J e ne reverrais ces
gens et n ' irais chez eux qu ' à la con d i t i o n q u ' i l s m ' en prient et
fassent amende h onorable. D ans le cas contraire, je resterais
chez moi et m ' abstiendrais de toute visite, l 'essentiel étant
d 'avo ir pardonné.
Le lendemain matin, Marie- Clai re et sa mère se présen
tèrent chez m o i . Cel le - c i , éclatant en sanglots, m ' appri t que
J ea n - Lo u i s ne pouva i t pas mourir tant que j e ne lui aurais
pas pardonné son odieux mensonge. Il l 'avai t priée de me
supp l ier de venir à son chevet , afin q u ' i l pût impl orer mon
pardon et mourir en paix. La pauvre femme me prit al ors la
main et la porta à ses lèvres. Son émotion étai t à son comb le.
Sans plus a ttendre, j e partis en leur compagn ie.
A mon entrée dans sa chambre, J ea n - Louis sen t i t ma pré
sence et ouvrit les yeux . Son âme me salua d ' u n regard et
parla de la sorte à la mienne. Toutes deux se comprenaient
parfai temen t . Leur entretien dépassa i t toute expression. A la
fi n , j ' inclinai doucement la tête, puis posai ma main sur son
fro n t : un sourire i neffable éclaira alors son visage, et il
ferma les yeux .
Rédemption
Cinquante francs
1 33
LE C H EM I N DE D IEU
1 34
Le Hajj en rêve
1 35
LE CHEMIN D E D I EU
La ressemblance
137
LE CHEMIN DE DIEU
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LE CHEMIN DE DIEU
d ' u ne de ses poches u n pe t i t morceau de bois de santal q u ' i l
posa s u r la bra i se d ' u n canoun . E t , s a n s doute p o u r l ' i m
prégner d e s o n parfum, i l t i n t l e chapelet suspen du au- dessus
de la fumée odorante tand i s q u ' i l réc i t a i t une pri ère à voix
basse. L ' opéra t i o n term inée, il me rem i t le chapelet en me
fa isant les recommandations su ivantes :
- Aujourd ' h u i tu feras de gra ndes ablutions, tu changeras
tout ton l i nge a i n s i que cel u i de ton l i t . Tu prendras soin
de te garder en état de pureté parfa i te j u squ'au moment de
t ' endormir. Tu met tras alors le chapelet sous ton oreil ler.
Si la Fédia que tu as fai te est agréée par D ieu, tu auras un
rêve dans la n u i t . Dans ce cas tu reviendras dema i n m ' en
fa i re part, et je t'en ferai l ' i n terpréta t i o n , s ' i l plaît à D i eu.
Mon émo tion éta i t s i profo n de que j e ne pouvais rien d i re.
Je le saluai et part i s , pressée de ren trer chez moi .
Le rêve
1 40
S FAX
j ' étais dans une mosquée. I l n ' y ava i t perso n ne. Sachant que
l ' accès en était i n terd i t aux non- musulma n s , j e m ' aplatissais
con tre le mur comme pour me soustra ire aux regard s . Une
galerie avec des co l o nnes de marbre s' ouvra it deva nt m o i .
Je releva i la tête ; j e v i s alors, s u r un tapis dépl oyé d a n s l ' a i r
à quatre mètres du sol, M oh ammed , ! ' Envoyé de D i e u . C 'était
bien l u i ! J 'en eus imméd i a tement la certitude. Tout mon être
le reco n naissa i t . C'était bien son visage qui se trouva i l au
plus pro fond secret de mon cœur, comme la perl e la plus
rare dans son écri n . L ' éclat insoutenable de cette vision m e
fi t détourner le regard et me cacher la tête en tre l e s m a i n s .
J e m e sentais ind igne d ' u n tel privilège, honteuse de ma
cond ition misérable. J ' aurais vou l u que la terre s' ouvre sous
mes pieds pour y d i spara î tre. Lorsque j ' osai enfin relever la
tête, j e le co n templai . I l était couvert d ' u n mant eau qui
donnait à sa s i l h ouette la forme d ' u n tria ngle a l l ongé au
sommet duquel apparaissait son visage, tel un j oyau merve i l
leux. L a perfection de s e s traits était mise e n val eur par l e
contraste h armonieux de la b l ancheur nacrée de son tei n t ,
la raseur p u d i q u e de s e s pommettes, le rubis de ses lèvres,
le noir de jais de ses yeux, de l 'arc de ses sourci ls et de sa
barbe. Cette beauté était idéale, surhumaine.
Il se pencha et, tendant son bras vers moi, il m ' invita à
prendre place auprès de l u i . Je me trouvai aussitôt tra n s
po rtée s u r le t a p i s , debout à sa d ro i te. Mais la condition
mi sérable qui était l a mienne a uparavan t éta it totalement
et miraculeusement tra n s formée. J ' étais devenue resp lendis
sante, revêtue d ' une robe magnifique ent ièrement incrus tée
de pierres précieuses comme le ma nteau qui le recouvra it et
le tapis sur lequel nous étions.
Au fo nd de la mosquée, dans la galerie en face de nous,
se trouva it une sorte de scène de théâtre deva nt laquelle
tomba it un grand rideau fai t de p l usieurs épaisseurs de voile
blanc.
Le privi lège
1 43
LE C HEMIN DE D IEU
j ' étais certai ne q u ' i l n ' avai t j amais vu perso n ne fa ire l e d h i kr,
m 'étant indi rectement e t d is crètement renseign ée à ce suj et .
D ' a i l leurs, j ' avai s c o n s taté q u ' i l s ' i nterrompa i t a u s s i t ô t q u ' i l
sentait quelq u ' u n approcher.
J e ne savais comment i n terpréter son étrange comporte
ment. Sans doute fal l a i t - i l que cela se passe seulement en tre
nous et reste un mystère.
I l se produisit un événement p l u s é trange encore, quelque
temps plus tard . Nous étions restés seul s dans la c h ambre,
H ei ra éta n t occupée à la c u i s i n e . I l était assis près de m o i ,
si lencieux, l ' air préoccup é . Soudai n , bien assuré q u e per
sonne ne viendra i t nous surprendre , il se l eva, me prit la
main et, cah i n -caha, m 'e ntraîn a vers la soupente au fo n d
de la pièce. I l souleva l e crochet q u i e n ferma i t la p orte et me
fit pénétrer à l ' i n térieur. Il y ava i t des j arres d ' h u i l e et de
farine, des sacs de provisions et quelques ustensi les de cuisine.
Il parcou ra i t cet espace é troi t e n ahanant et, m e m o n tran t un
point dans l a dem i - obscurité : « A h - Ah - M ohammed n ;
i l répétai t ces mots dans u n e i n ti m i té , un plaisir secret q u ' i l
vou l a i t absolument m e faire partager .
Lorsque je dus q u i t ter Sfax u n a n p l u s tard , i l é ta i t touj ours
en vie et en bonne santé. A l ' h eure actuel le, son souven i r me
troub l e encore, et j e ne puis parvenir à i n terpréter exactement
son cas, lequel peu t ê tre envisagé sous d i fférents aspects,
cel u i d ' u n cas pathologique, o u encore d ' u n p o i n t de vue
supranormal à la manière des « P l us q u ' h u m a i n s » de
Th . S tu rgeon.
L'auto rouge
T "fN jour, à l ' heure du déj eu n er, Ivan m ' a nn o nça que
U nous devions partir le lendemain mati n à d i x h eures
pour Sousse. J 'accuei l l i s cette n o uvel l e avec p l a i s i r ; je ne
1 44
S FAX
con naissais pas encore cette v i l l e et nous aurions une voi ture
à n o tre d i s p o s i t i o n . N o u s pourrions a i nsi fa i re une prome
nade agréable en même temps q u ' Jva n réglera i t des ques
t i o n s de service . Nous seri o n s accompagnés de deux autres
médec i n s , un civi l et l ' autre, un l i eutenant adj o i n t à I va n
d o nt la femme, u n e a m i e , deva i t se j o i n d re à n o u s a u cas
où e l l e po urra i t confier sa p e t i te fille de deux ans aux bons
soins de sa voisi ne.
La d i s tance étant de deux cent cinqua n te kil omètres al ler
et retour, nous ne pourri o n s ren trer que le soir. Je deva i s
m ' occuper d e s prépara t i fs .
Dans la n u i t q u i précéda c e voyage , j e fi s u n rêve : j 'arrivais
au moment d u départ au l ieu d u rendez-vous. Les vo itures
dévo l ues à n o tre groupe é ta i e n t s ta t i o n n ées, a ttendant leurs
occupants. I l y en ava i t tro i s ; la première, noire ; la seconde,
grise ; la derni ère, rouge. Iva n et son adj o i n t prena ient la
premi ère v o i t u re ; la femme de l ' adj o i n t et moi, la seco nde,
et l e médec i n civi l , la dern ière. La première part it en ava nt
et d i sparu t rap i deme n t ; nous nous trouvio n s au mi l ieu, la
voi ture ro uge derrière n o u s . E l l e vo u l u t souda i n nous dépa s
ser ; e l l e h eurta violemment la borne à n o tre ga uche, fit u n
tête- à - q ueue qui n o u s b o uscula d a n s le fossé longeant l a
ro ute à dro i t e . N otre chauffeur réussit à empêcher no tre vo i
ture de s e renverser, à la m a i n tenir m al gré les violents cahots
qui la secouaient en tous sens . M me B . , absolument terrorisée,
poussait des cris de désesp o i r ; e l l e se lamentait sur le son de
sa fil lette q u ' e l le laissera i t o rp h e l i n e .
Quant à m o i , je cra i gnais que l ' a ffo l ement de l a pauvre
femme ne fasse perdre le con trôle à n o tre chauffe ur. Je posai
mes mains sur ses épau les e t l e priai ca lmement de garder son
sang- fro i d et de maintenir sol idement l e vol ant . Rassuré, il
parvi n t enfin, après de pénib les efforts, à ramener la vo iture
sur la rou t e .
J e me réve i l l a i à c e m o m e n t , impress i o n née par m o n rêve .
Ma première réacti o n , q u e j e su ivi s immédia tement, fu t
d 'a l l er à l ' égl ise me confesser et commun ier. U ne heure
après, j 'ava i s rej o i n t le grou p e q u i n 'a t tendait que moi pour
partir. J e leur fis part de mon rêve et d e la cau se de mon
1 45
L E C H E M I N D E D I EU
147
Le message
A mesure que j ' avançais dans l 'étude des rel i gions, j ' ava i s
de plus en p l us l a convi ction q u e l a connai ssance des
problèmes supérieurs, élaboration de l ' i n tell igence, établ is
sait des relations p l us ou moins approxi mat ives en tre les
causes et les effe ts . La connaissance ensei gnée par les l i vres
était cel l e de la let tre, alors que je cherchais cel l e de l ' espri t .
J e sentais a u p l us profond d e moi l a véri té comme u n « tré
sor caché » , mais j e ne savais pas par quel moyen parvenir à
la découvrir.
J e me trouva is arrêtée au cen tre du carrefour des religions ,
en tre le j udaïsme, le C h ristian i sme, le Boud d h i sm e et l ' I s
lam. Ces voies d i ffé ren tes m ' apparaissaient comme a u t a nt
de membres d ' u n même corps q u ' i l m 'aura i t semblé ampu ter
en sépara nt une voie des autres pour l 'adopter.
Cependant, cet état statio n naire ne pouva i t durer plus
longtemps. J ' ava is la forte impression d ' être arr i vée à la fin
d ' une période probatoire, préalable à l 'acco m p l i ssement
d ' une nouvelle modal i té de l ' être. Il me fallait u n signe d'en
haut qui me fît sortir de ma perplexité. D e toute l 'ardeur de
mon âme j e priai D i eu toutes les nuits avant de m ' endor
mir, espérant obtenir de sa miséricorde la lum ière d ' une cer
ti tude qui dissipera i t l ' obscuri té du doute.
Mes prières ne tardèrent pas à être exaucées . J e fis u n rêve :
je me voyais debout sur la co l l ine, regardant le paysage envi
ronnant, quand un personnage s 'avança vers moi . C ' é t a i t un
pèleri n ; i l porta i t une besace sur le dos, des sandales de corde
aux pieds ; i l s 'appuyai t sur u n bâto n . Il éta i t vêtu d ' une
tunique de laine rayée qui tomba i t j usqu ' à ses genoux. Sa
tête éta i t en tourée d ' u n turban jaune. Son visage ava i t le
type caucasien, des pommettes sa i l lantes, des yeux légère-
SFAX
ment étirés vers les tempes, l ' iris pail leté d ' or, la scléro t i que
d'un b l eu d ' azur. Il éta i t recouvert de la tête aux pieds par la
poussière du voyage.
Il ava it p lanté son bâton en terre et s ' appuya i t dessus, arrêté
deva n t m o i , son regard rivé au mien. I l me transmit ce mes
sage par une commu nication d i recte d ' espri t à esprit :
- J e viens d'où tu sais, envoyé par qui tu sa i s , pour te d i re
q u ' o n est satisfait de to i . Tu es engagée dans la bonne vo ie,
pro t égée ; va en sécurité.
Le message transmis, le messager d i sparut à mes regard s .
Le rêve était term iné.
Le messager
'ÉTAIS
J
si heureuse d 'avo ir fait ce rêve que, lorsque j e me
réve i l l a i , j 'éprouvai le beso in de fa ire partager mon
bonheur à mon amie Lalla Fatma.
Aussitôt après avoi r pris mon petit déj euner, je partis la
retrouver sur la co l l i n e . J e la rencon trai au moment où elle
s'ap prêtait à po rter son pain au four. Elle le tena it sur une
planche a u - dessus de la tête. J e lui fis le récit de mon rêve en
lui décrivan t le messager dans les m o i ndres déta i l s ; j ' in si stai
dava nt age sur la descri ption physique du person nage p l u
t ô t que sur l a nature du message.
J ' acheva i s à peine de tracer son portra i t , lorsq u ' i l surgi t
d eva n t nous, dans la réa l i té ! Or, nous nous t ro uvions da ns
un endro i t qui dominait le chem i n , et il était impossible à
qui que ce soit de parvenir j u squ'à nous sans qu'on l 'aperçû t
de l o i n .
L a vision d u rêve semb lait être sortie des l imites d e l ' état
on iri que e n faisant irru p t i o n dans l 'état de vei l le, et se co nfir
mait en se parach eva n t . Lalla Fatma é ta i t troublée, pro c h e de
la panique.
1 49
LE CHEMIN DE DIEU
- C'est cel ui que tu viens de me décrire, d i sa i t son regard .
- C'est bien l u i , répondait le m i e n .
Tout se passa d ' u ne manière absolument i dent ique à cel le
du rêve. Penda n t que je l ' observa i s , pour im primer son
image dans ma mémoire, je remarq uai une légère d i fférence
concernant la poussière du voyage : au l i eu d ' être de la co u
leur d e l a terre, c'était u n e poudre d ' o r très fi n e q u i le reco u
vra i t de l a tête a u x p ieds. Cela donnait à cet être l ' aspect
précieux, authenti que, de certa ines sculpt ures pati nées par le
temps.
Cela pour le messager ; quant au message, i l dépa ssa i t
tout c e q u e j ' ava is espéré par s o n ampleur généreus e e t
s a préc i s i o n . J ' étais comblée . Pas u n m o t n e fu t pro n o n cé,
tout se passa dans u n si lence riche d ' i n telligence. Le temps
semblait aboli ; je me demandai soudain si nous é t i o n s seu les,
Lalla Fatma et moi, à voir le perso n nage. Mais les femmes du
douar accouraient déj à vers l u i pour lui demander sa bara k a .
L e soleil éta i t arden t ; un p a n de m u r proj etait s o n ombre
sur le so l . Le messager se dirigea vers elle et s'ass i t . D e t o u s
côtés du douar l u i parvenaient d e s o ffrandes de nourri ture
et de boisson, et aussi de parfums. Il ne toucha à rien . I l
bén it les enfants, les malades, exauça les vœux secret s des
âmes et enfin se leva et tourna son vi sage ra d i eux vers m o i .
I l d isparu t a i nsi q u ' i l était apparu .
Cet événement est parmi les p l u s extraord i n a i res de ma
vie. La coïncidence du plan psych ique et du plan con cret est
un p hénomène ex trêmement rare e t i noubliable.
Le géomancien
La clef du g
D ANS les dern iers temps de mon séj our à Sfax, une nuit,
j ' étais seule dans ma chambre, la lum ière éteinte, les
yeux fermés . J e ne parvenais pas à m 'endormir, lorsque
souda i n , blanc sur noir, de la grandeur de dix cen timètres
enviro n , m 'apparut le nombre dix- h u i t .
Pendant q u e j e le voyais, éto n née, m e demandant c e que
cette vision signifiait, une voix i n térieure me donna un
S FAX
GAB S I
En sommeil
1 57
LE C H E M I N DE DIEU
Approches de la Kabbale
1 59
LE CHEMIN DE DIEU
La figure idéale
Deuil
1 60
GABSI
Panique
E
J
m ' étais i nstal lée à Casablanca, boulevard d 'Anfa . L ' a p
partement d e quatre gran des p ièces , trop vaste pour une
femme seu l e , me faisait ressentir péniblement l ' absence
d ' Iva n , à laquelle il me semblait ne pouvoir jamais m ' habi
tuer. Au fil des j o urs, mes aspirations spirituelles commen
çaient à sortir d e leur engourd i ssement et devenaient de plus
en plus exi gea n tes. Je ne savais comment les satisfa i re ; mes
lectures ne me su ffi saient p l u s . Elles n ' étaient qu 'une prépa
ration i n d i spensable, mais insuffisante pour l 'acquisition de
la connai ssance qui éta i t l ' objet de ma quête. J ' éprouvais
u n dés ir ardent d e trouver u n guide éclairé, u n maître, pour
me diriger dans la voie. M ai s o ù , et comment le trouver ?
Je n ' étais venue dans cette ville, durant les années passées
161
LE C HEM I N DE D I EU
dans le bled, que tous les deux ou tro is mois enviro n , pour y
faire des emplettes, e t j e ne connaissais d 'au tres personnes que
des commerça n t s .
D u bled , j 'avai s heureusement ramené deux jeunes fil les
qui m ' étaient très attachées, et qui s' occupaient des t ravaux
ménagers . L ' u ne ava i t un cou s i n , Al i , étudiant en fa cu l té,
qui venait la voir souvent . J e le gardais chaque fo i s à dîner
avec nous. C'était u n garçon i n tell igent et sympathique.
J 'aimais m ' en tretenir avec lui de la rel igion islamique, mais
i l ne pouva i t pas répo ndre à toutes mes ques tions .
I l me l 'avoua avec h umi l i té, un soir, pendant le dîner
quand, soudai n , i nspiré , i l s ' exclama : cc Gabsi ! lui seul peut
vous comprendre ! - Qu i est Gabsi ? » , demandai -j e i n tri
guée . I l me d i t tout ce q u ' i l savai t de l u i . C ' était peu de chose,
mais j ' en avais retenu l 'essentiel : Gabsi était cel ui que je
cherchais. Il me fallait absolument le connaître. Ali prom i t
de fa i re t o u t s o n possible pour satisfaire mon désir. Le dîner
terminé, nous a l lâmes voir un film h i ndou. Arrivés au ci néma,
Ali nous laissa seules, Amina et moi, pour al ler prendre les
p l aces. Pendant que nous a ttend ions, j e regardais les gen s
q u i n o u s entouraient lorsque soudai n , j e reçus u n c h o c : la
vision d ' u ne tête émergean t au- dessus des autr.::- s . U n e tête
q u ' o n ne pouva i t j amais oubl ier dès lors qu'on l ' ava i t vue .
Elle réunissait au type arabe la forme et les traits du Bouddha .
Ce mélange en une seule figure produisait un effe t saisissant ,
extraord i naire. Quand son regard cro isa le mien, j ' en fu s
bouleversée. Ali revi n t a l ors, et nous gagnâmes nos p laces .
Tandis que je m ' asseyai s , je revis l ' h omme, de l ' au t re côté
de la salle, qui nous observa i t avec un i n térêt évi dent . J e ne
pouvais suivre le film : mes pensées, mon imagina tion t ra
va i l laient i n tensément. J e vou lais savo ir q u i était ce pers o n
nage et j e désirais surtout le connaître . L a séance terminée, la
salle commença à se vider. L ' inconnu régla sa marche de
façon à se trouver auprès de nous. C ' est a l ors qu'Ali l ' aperçut
et, tout heureux, i l me saisit le bras pour me le p résen ter :
c'était Gabsi ! Ce qui se passa en moi à cet instant fu t impré
visible, car j e m ' arrachai à l ' étreinte d ' A l i et m 'enfu i s en
courant, en pleine panique.
Espoir
E
J
me trouvai s à la société t héosop h ique pour la réu n i o n
h ebdomadaire. U ne dame, assise auprès de m o i , m ' avait
prise pour confidente . Cela dura i t depuis un long moment :
excédée par son bavardage, je so ngeais à me lever et à partir,
quand le timbre de la porte d ' e ntrée vibra d ' une telle façon
q ue j e le ressentis jusque dans mon cœur.
I mmédiatement j 'eus la certitude que c'était Gabsi ! Et
c'était lui effectivement. I l entra, j ' entend i s son pas, et
quel q u ' u n le salua par son nom. Il n'y ava i t q u ' u n seul
s iège d i sponible : il se trouvai t à ma dro i te. Il y pri t p l ace. A
ma gauche se ten a i t la dame qui m 'ava it impat ientée. Au
moment où Gabsi entra, je tournais le dos à la porte. I l n ' ava i t
pu vo ir mon visage, n i par co nséquent me reco nnaître . J 'étais
cependant certaine q u ' i l sava i t qui j ' éta i s .
Cette fo is encore, l a panique m ' enva h i ssa i t , me poussait
à fuir, mais j e n ' aurais pu l e faire sans causer de scandale.
J e restais clouée à ma p lace, para i ssant absorbée par les
propos de ma voi s i ne . Il m 'aura i t été absolument impossible
de me retourner. J e vou lais cacher mon visage, d i s s i mu l er
mon désarro i , peut - être par faiblesse ou par pudeur. J e
n 'aurais pu affron ter le regard de Gab s i . Je l e s e n t a i s i mm o
bile, s i lencieux.
Sa présence remp l i ssait l ' espace, devenait i mposante, écra
sante. J ' étais vaguement consciente q u ' u n événement cap i
tal s e déroulait dans une sphère supérieure q u i dépassa i t
mes facu l tés i n tellectuel les . U n moment après , i l se fit un
bru i t de chaises déplacées . Tout le monde se leva et commença
à sortir. Je suivis les au tres j usque dans la rue comme une auto
mate, sans rien voir autour de m o i . Il était sept heures d u
soir et n o u s étions en h iver. L a nuit était tombée depu is
GABSI
Ibn Arabi
1 66
GABSI
Scep ticisme
Le Coran
,
J
AVAIS dû reno ncer à l ire en français le Cora n , i ncapab le
que j ' étais d 'en sai s i r l e sens véri tab le. Le l i vre m 'était
resté l ettre morte durant de nombreuses années. J e l ' ava is dit
à Gabsi dès l e début de nos relat i o n s . Or il y ava i t , sur un des
rayon s de ma b i b l i othèque, une traduction de quelques
soura tes du Coran par le or Mardru s . Un so ir, Gabsi qui tta
l e fa u teui l qu' i l occupa i t en face de m o i , se d i rigea dro i t vers
la b i b l i o th èque, saisit ce l ivre d ' u n geste assuré et, revenu à
sa p lace, i l l ' ouvr i t au h asard ; puis, me regardant fixement,
il commença à l ire à voix haute la sourate c c Ar Rahman » , le
1 68
GABS 1
1 69
LE C H EM I N DE D I EU
1 70
Le savant talmudiste
N 'a - t - i l pas une chevelure et une barbe abonda n tes, d ' u n roux
fo ncé ? Ne porte - t - i l pas des lunettes aux verres épais, fumés,
en raison d ' une vue fa tiguée et d ' yeux, bleus, très myopes ? »
Elias s 'écria, au comble de la stupéfaction :
- Comment le connai ssez-vous ? C ' est absolument impos
sible !
Je lui d i s alors comment j e passais mes n u i ts en vei l lant,
et lui racontai ma prière et la vision . Il me co nfirma que l e
person nage ava it effectivement passé la n u i t e n prière à la
synagogue, car c'était la vei l l e d u Yom Kipp our.
Les manuscri ts
E
J
racontai à Gabsi l ' événemen t concern a n t le savant tal
mudiste, mais i l en avai t déj à été i n formé par le jeune
Elias, et i l avait o b tenu sa promesse qu' i l lui ferait connaître
ce personnage aussitôt que cela l u i serai t possible. Deux
j ours après , al ors que nous achevions d e d éj euner, le j eune
h omme vint nous prévenir que le savant se t rouva i t dans le
vo isi nage et q u ' i l nous invitait à boire le thé en sa compagn i e .
O n n o u s fit entrer d a n s u n s a l o n et pre n d re place sur un
d ivan, en face du personnage . J e le reconnus imméd iatemen t .
I l étai t bien tel que j e l ' ava is vu dans m a visi o n . Après les
prél i m inaires d ' usage et la cérémonie du thé, Gabsi posa une
ques tion au sava n t . Il s ' étai t exprimé en arabe. J e ne l ' enten
d i s qu'à peine et ne pus sa isir le sens de sa ques t i o n . Mais j e
devinais q u ' i l s'agissait d ' un passage de la B ib l e d o n t l ' i n ter
prétation présentait quelques d i fficultés. Cerre question m i t
le sava n t d a n s l 'embarras. I l se tourna a l ors d e mon c ô t é et
répo n d i t :
- I n terrogez la dame qui est auprès de vous, car sa vision
est d ' une grande pénétra t i o n .
Ayant d i t ces mots, i l s e l eva et nous p r i a d e le suivre . I l
nous fit en trer successivement dans trois gran des pièces d o n t
l es murs étaient couverts de l ivres d e tou tes d i mens i o n s . I l en
prit un très gra n d , recouvert de cuir noir, et l ' ouvrit pour
nous mo n trer l ' écri ture hébraïque.
- C ' est un manuscri t très a ncien . Sa va leur est i n est imab le,
ainsi que la plupart des livres qui occup e n t les étagères les
plus hau tes . I ls proviennent de fa m i l les rési d a n t dans diverses
régio n s d u Maroc et qui descendent des j u i fs expulsés d ' Es
pagne, i l y a des siècles. J e dois les emporter en Pa lestine . . .
Son visage ava it u ne express 1 0 n d e sa tisfaction e t d ' assu-
GABSI
Le choix
J ' avai s enfin compri s ; je me trouvais bien dans l ' o bli ga tion
de faire un choix. J e me levai spontanémen t , m 'agenouillai
devan t Gabsi et l u i bai sai la mai n . Mon choix était défi n i t i L
I ls s e levèren t et sortirent l ' un derrière l 'autre, l a tête basse.
La Nefs
ensuite à sa place véri tab le, celle de sa vassalité devant l ' es
pri t .
J ' eus aussitôt la conviction que la réaction pro d u i te e n moi
éta i t cel l e de ma < < Nefs » , cabrée comme un animal sous le
fo uet. J ' eus alors la certi tude que Gabsi possédait parfa i te
ment la tech ni que de cette science particul ière du dressage de
la < < Nefs » . J e m 'écriai enthous iasmée :
- C ' est très bien, contin uez a i n s i , je vous ai derai m o i
mème. J 'avais fra nchi l e cap . Un sourire imperceptible déten
d i t son vi sage . Je le devinais à la fo is étonné et satisfa i t . A
part ir de ce momen t, tout devi n t clair, faci le ; rien ne pou
va i t me reb u ter. Plus les obstacles se dressaient sur le par
cours, p l us j e sentais ma vo lonté et mes forces s ' accroître pour
les surmo nter.
René Guénon
E
J
n ' ava is plus aucune raison de faire partie de la société
théosop h i que. Un soir, à l ' i ssue de la réunion h ebdoma
da ire, je déci dai de ne pas y retourner le mercredi suiva n t .
En passan t deva n t la b i b l i o thèque, d o n t la porte était
ouverte, j ' eus la curi o s i té d 'en trer pour voir les ouvrages .
Par un effet de la provi d ence, mon regard tomba sur un nou
veau l ivre d o n t l e ti tre et le nom de l ' au teur m'attirèrent. J 'en
pris note et le trouvai l e l endema i n chez mon l ibraire h a b i
tuel .
Je ne m'endormis cette nu i t - là qu'après l ' avo ir parcouru
LE C H E M I N D E DIEU
Émulation
1 76
GABSI
Le silence
1 78
GABSI
L 'obstacle au Tawakkoul
1 79
LE C H EM I N D E DIEU
1 80
GABSI
le m o u t o n à sa tante. I l poussa un soupir de soulagement et
me fél i ci ta : cc Vous avez franchi le pal ier du Tawakkoul , l ' a p
p u i s u r D ieu . » I l me q uitta c a r i l éta i t pressé et le temps
était l i m i té pour s' acqui tter de tout ce q u ' i l avai t à faire.
Pendant son absence, j e reçus la visite d ' une amie à qui j ' ava is
prêté une assez forte somme, i l y avai t presque u n an de cela ,
c e que j ' avais comp lètement o u b l i é . Elle éta i t venue me la
ren d re e n s ' excusant du retard . J ' en i nformai Gabsi quand il
rev i n t : c c Ce n ' est que le déb u t » , d i t - i l avec assurance.
La v1 s 1 o n du réel
La Kabbale
'AVAIS
J
retrouvé d a n s m a bibl iothèque l e s li vres s u r l a K a b
b a l e auxquels j e n 'ava is plus touché d e p u i s p l u s de sept
ans. Pour facili ter mes étu des , je dus p rendre des lcc,·ons
d ' hébreu et, grâce à la compétence de m o n p ro fesseur, je
pus, après deux mois, l ire les deux p remi ers chap i t res de
la Genèse . Je cessai mes leço ns lorsque j ' eus acq u i s les n o t i o n s
ind ispensables me permettant de poursu ivre m es trava ux
avec plus d' effi cacité . j 'avais appris la valeur des lettres, leurs
étroits rappons avec les nombres, et je me l ivra is à toutes
sortes d ' opérations sur les noms divi n s . Mon désir d ' accro ître
ma connaissance dans ce domaine devena it de plus en plus
fort et me donnait le courage d ' a ffro nt er les dangers auxquels
je m ' exposais avec une détermination bien a rrêtée.
Passé un certain temps, une inspira t i o n me fit délai s ser ces
travaux et j e me mis à dessiner certa i nes fi gures. E l l es m e sem
blaient d ' u ne s i m p l icité enfant i ne . Sans doute pour les ren d re
plus évoca trices, je les découpais avec des ci seaux . Quel fu t
al ors mon étonnement lorsque je con stata i s q u e ces figu res ,
auxquel les je n 'avai s accordé aucune i mp o rt a n ce , étaient d ' an
ciens symboles chrétien s . J e me souvenais les avo i r vus au cours
1 86
GABSI
t 88
GABSI
1 89
LE CHEMIN DE DIEU
dans une grande mercerie où j ' avais l ' h a b i tude de faire cette
sorte d ' achat. Je ne trouvai aucune ven d euse à qui m ' adresser ;
je vis le patro n , seu l , assis d errière sa caisse. I l se leva et
s'avança vers moi pour me servir. Ce n ' était pas la première
foi s que j e le voyais : c'était u n israél i t e , u n h omme sérieux,
marié, riche et b i en plus j eu ne que m o i . I l n ' y ava i t rien dans
mon aspect, ni dans mon comportement, qui fû t suscep tible
de provoquer chez cet h omme un désir si impétueux de faire
plus ample connai ssance avec m o i , a i n s i q u ' i l m ' e n pria tout
à coup avec une insistance absolument anorm a l e . J ' essayai
poliment, ensuite fermemen t , de l u i fa i re enten dre ra ison,
mais tous mes efforts furent va i n s . J e déposai ce que j e devais
à la caisse et sortis sans me retourner, mais à peine avais-j e
fa i t quelques pas que j 'e n t e n d i s le ri d eau d u magasin se
refermer lourdemen t . J e me h â tai de ren trer c h ez m o i , me ren
dant compte combien l ' o p i n i o n de Gabsi à mon égard était
justi fiée : ma présence était vraiment perturbatrice, cela était
indéniable.
J e marchais très vite, évi tant d e me retourner par cra inte de
l e voi r derrière moi ; j ' arrivai enfin dans m o n appartement et
j e m ' empressai de fermer le verrou d e la porte. Gabsi m ' en
demanda la raiso n ; je le mis au coura n t . A peine avais-j e ter
m i né que le timbre de la porte vibra à deux reprises. Gabsi
alla ouvrir : c'éta i t l u i , le patro n d e la mercerie. J e l ' enten
dais de ma chambre, i l parl a i t préc i p i tammen t , d e façon
décousue, irresponsable. Il m ' avai t vue e ntrer, il vou l a i t abso
lument savo ir qui j ' étais, me co n naître, rester en ma compa
gnie. Le comportement de Gabsi révéla sa compétence dans
de pareils cas . Il répond i t avec l ' assurance et la correct ion qui
co nvenaient, de sorte que le brave h o mme, recouvrant enfin
son équili bre, se confo n d i t e n excuses et s ' e n a l l a .
C e t i ncident renfo rça l ' o p i n i o n d e G a b s i en c e qui me
concerna i t , et il fut décidé que j e n e sort irais p l u s d e chez
moi j usqu'à ce q u ' i l le j ugeât à pro p o s . E nfin , une n u i t , je ter
mi nai la figure après trois m o i s de travai l . I l était quat re
heures du mat in ; j 'appelai Gabsi pour la l u i m o n trer. Ayant
observé tous ses détails, i l me posa une q ues tion ina t tendue
sur certa i ns aspects planétaires que j ' i gnorais absol umen t ;
1 90
GABSI
1. La Sage.
GABSI
Si Salmi
1 93
LE CHEMIN DE D I EU
1 94
CABS!
APRÈ S LE D É PART
D E GAB S I
La conclusion
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LE C H EM I N D E D I E U
Le sommet de la montagne
zoo
A P R È S L E D É P A RT D E G A B S I
20 1
LE CHEMIN DE DIEU
Chez le Cadi
202
A P R È S L E D É P A RT D E C A B S !
A Marrakech
J
'ÉTAIS en trée en relation avec un jeune i sraél i te q u i faisait
des travaux sur l a K abbale et s ' i n téressait aussi au sou
fisme, dans sa recherche sincère d e la connaissance. I l é ta i t
marié à une femme de santé déli ca te et observai t scrupuleu
sement les o b li gations de sa rel igio n . Sa pureté éta i t aussi
admirabl e que les soins qu' i l prenait pour la préserver. Elle
éclaira i t sa physionomie et donnait à son regard la limp i d i té
d ' une source. Son éru d i t i o n était étonnante, mais i l ne s ' ar
rêtait pas à la lettre, il étai t passé au s tade de l 'expérimenta
tion. Nous avions de fréquents en tretiens e t partagions sou
vent les mêmes façons de co nsidérer certains prob lèmes .
Deva n t se rendre à M arrakech pour des raisons profess ion
nelles, i l me proposa de m ' y rendre avec lui ; j ' acceptai avec
plaisir, car il y avai t des années que je n'y étais allée. Nous
devions partir le lendemai n matin par le tra i n . J e réfléchi s
longtemps cette n u i t - l à , me remémorant t o u t c e q u e j 'avais
appris sur cette ville qui est la p orte du S u d . Les h ommes
parmi les p l us fameux de l ' I slam y étaient passés ou y avaient
séj ourné. Les cen d res d ' i n nombrables sain ts étaient mêlées
à sa terre.
Soudai n le souvenir de la prophétie faite à Sfax au sujet
d u chiffre neuf, et de sa clef que deva i t me remettre un viei l
lard , m e revint à la mémoire . I l y ava i t d i x - neuf a n s de cela
et je n 'avais jamais reno ncé à l ' espoir de la voir un j our se
réa l i ser. Peut- être allais-j e avoir cette chance.
Il était onze h eures l orsque le tra i n entra en gare de
M arrakech . Mon j eune ami me laissa seule ainsi q u ' i l en avait
été convenu, me donnant rendez-vous à cinq heures de
l 'après - m i d i pour décider de no tre départ, pour le soir même
ou pour le lendemain mati n .
Après avo ir flâné en ville e t déjeuné dans un petit restau
ran t plein d 'ombre relativement fraîche, j e n ' avais qu'un
désir, celui de me reposer, car la chaleur é ta i t écrasante.
Ayant déniché u n h ôtel dans une ruel l e proche du l i eu de
notre rendez-vous et trouvé u ne chambre à ma convenance,
je m ' endormis et ne me réve i l la i qu'à quatre heures . Le
temps de me relever, de boi re un verre de thé à la menthe,
j ' allai retrouver mon ami à cinq h eures préci ses. J e lui d i s
mon désir de passer la n u i t à M arrakech et de ne repartir
que le lendemain matin pour Casab lanca . Il accepta avec
empressemen t , étant i nvité à d îner chez un membre de sa
fam i l le.
2 06
APRÈS LE DÉPART DE GABSI
207
LE C H E M I N D E D I EU
208
A P R È S LE D É PA RT D E G A B S I
2 09
LE C H E M I N D E D I EU
2 10
A P R È S L E D É P A RT D E G A B S I
2l l
LE CHEMIN DE DIEU
212
A P R È S LE D É PA RT D E G A B S I
avec une él oquence parfa i te que seul peut comprendre l ' ac
teur devenu en même temps spectateur .
La convocation
ment .
une convocation du commissariat de mon arrondisse
2 13
LE C H EM I N DE D I E U
mais l ' aboutissement d ' une studieuse recherche et d ' étu des sur
les rel igion s . Pour des raisons mul t iples, il ne m ' a pas écé
possible de réal i ser ce désir d urant cette lo ngue péri ode. A
présen t , j 'ai la l iberté de mes actes et la certi tude de ma voca
tion . J e manquerais de loyauté en con serva n t l ' apparte
nance à une rel igion alors que j ' en pratique une au tre.
Cel le-ci m'a donné toutes les possib i l i tés d ' ordre éso térique
et i n i t ia tique qui me conviennent, et que je n'ai pas trouvées
dans la rel igion à laquelle j 'étais attach ée par m o n origine.
Cependant, je puis vous assurer, mo nsieur, que ce cha nge
ment d ' orientation ne saurai t me faire perdre consci ence
de mes obl igations envers ma nati o n ; mon i n tégrité dans
l ' ordre spiri tuel reste ma sauvegarde dans le temporel .
I l m 'avai t écoutée avec i n térêt sans m ' i nterrompre et,
quand j ' eus terminé, i l y eut une pause pendant laquelle il
parut absorbé par u n grave problème. Son attitude embar
rassée provoquait o s tensib lemen t une questi o n que je ne
manquai pas de lui poser. I l s'y attenda i t , et me d o n na les
raisons suivantes :
- En ce moment où je me tro uve en votre présence, je ne
sais que faire pour préserver ma femme. Elle est obsédée par
le dés i r de se précipiter par la fenêtre, du haut d ' un c i n
qu ième étage. Elle a accouché d ' un garçon e c , d e p u i s l o r s , sa
raison est perturbée.
Cette fois, mes d o u ces faisaient place à la certi tude, car
ce genre de co nfidences n 'est pas celui auquel on peut s ' a t
tendre de la part d ' u n t e l person nage, en de pare i l s c a s et l i eu.
I l obéissait à des in structions et son objectif étai t de me pous
ser à renoncer à ma décision en se servant d ' u ne a l l égorie
classique, mais généralement mal i n terprétée. Aussi rép l i
qua i -j e , dès q u ' i l eut achevé :
- J e suppose, monsieur, que vous vous êtes mépris sur les
véri tab les i n tentions de votre femme. Elle veut peu t - être
su ivre la parole de l ' Éva ngi l e : cel ui q u i s ' abaisse sera élevé .
La d escente d o i t précéder la montée et le point d ' arrivée est
le même que cel ui du départ suivan t . Le processus se repro
duit ainsi à chaque n iveau . Soyez sans i nquiétude pour votre
femme ! Au revo ir, monsieur.
H u i t ième partie
LA QUÊTE
La q uête
218
L A QU Ê T E
E
J
marchais comme une automate, h ébétée p a r l a chaleur
et l a soif, quand j e me rendis compte soudainement que
j e l o n geais u n mur, lequel semblait être l 'ence i n te d'un
pala i s .
J 'arrivai d evant un p orta i l , h élas fermé ! J e frappai à
plus ieurs reprises, désolée de voir des h eures p récieuses
s'écouler vainement, avec l ' espoir malgré tout de m e trou
ver enfin à l a bonne porte. U n jeune h o mme au tei n t foncé, à
la mise so ignée, ouvr i t ; voyant une Européenne, i l s ' enquit
de m a recherch e . L ' ayant i nformé, i l m 'appri t que j e me
trouvais effectivement c h ez le Cheikh Abd- e l - H ayy E l K i tan i ,
s o n père, lequel était absent pour quelques j ours. Néa n
m o i n s , i l se fer a i t u n p l a i s i r de me recevoir p o u r b oire le t h é
en m a compagni e . J e l 'assurai q u e c e p l a i s i r serait réciproque
et l e su ivis dans un très vaste salon ; il m ' i nvita à m ' asseoir
dans un fauteuil confortable. U n serviteur, obéissant à ses
ordre s , rev i n t , apportant un magnifique plateau sur lequel
se trouvai t le thé prêt à être serv i .
A ce moment, u n j eune h omme a u tei n t clair, élégamment
vêtu de blanc, e n tra, vint s ' asseoir près d e nous. C ' étai t le
secon d fil s d u Cheikh . Celui - ci me fit subir un véri tab le
i n terrogatoire. Lorsqu ' i l eut été amplement i nformé de
mon i d en ti té , d e ma cond ition sociale, des motifs de ma
q uête s p i r i tuelle, il me d emanda brusquement si je connais
sais le sens d u mot « soufisme n.
J e lui rép o n d i s tout ce que j e savais, q u ' i l provena i t du mot
« souf n ( laine) d 'après certains, ou de « safa » (pureté)
2 19
LE C H EM I N DE D IEU
déclara d ' u n ton d octe q ue j ' étais dans l ' erreur sans m e d o n
n e r aucune exp l icat i o n . Je considérai alors l 'entretien ter
m i né et pris congé après l es avo ir remerciés tous l es deux de
leur aimable accueil .
J ' étais réconfortée p hysiquement, mais j e n'avais rien
trouvé d e ce que je voulais. Cependant, je ne perdais pas
courage et j ' espérai s encore.
Dif-Allâh
( H ôte de Dieu)
2 20
LA QU Ê T E
Le maître de céans
221
LE C HEM I N DE D I EU
l ' avaient poussé à m 'amener chez elle, cel le-ci me fit aussitôt
étendre sur un d ivan , puis elle m i t une bou i l l o i re sur l e feu
afin de me donner un bain de pieds.
J ' ava is gl i ssé u n b i l let dans la main d u garçon pour q u ' i l
apporte de q u o i apai ser la fai m q u i tira i l l a i t m o n estomac.
E n a ttendant, j e m ' abandonnais au réconfort d ' un e détente
comp lète de tout mon être physique et spirituel . La j eune
femme insis ta pour me laver les p ieds ; elle s'y app l i q ua avec
recueil lement comme si elle accompl issait un acte rituel . U n
moment après , le frère, de retour, apporta i t de q u o i fa ire des
broch ettes , des pains encore chauds, des o l ives appét i ssantes
et des œufs .
Lorsque l a j eune femme eut tout préparé et servi sur l a petite
table, son mari entra. I l s ' arrêta surpris quand i l m 'aperçut,
essayant de comprendre par quel concours de circo nstances
cette é trangère était chez l u i . I l tourna son regard vers son
épouse pour l ' i n terroger, mais elle le devança e t lui rapporta
ce que lui ava i t appris son frère.
La p hysionomie de l ' h omme s ' éclaira alors d ' u n sourire
satisfa i t et i l me déclara :
- Ma maison t 'appartient et nous sommes tes serv i teurs .
Sa sincéri té était évidente. L'émotion me contra ctait la
gorge et je restai sans voi x . I l ava i t compris et, sans i n s i s ter,
avec une dél icatesse de sentiments et de d iscré t i o n , il prit
p lace à table, agissa n t envers moi comme si j e fa isa i s part i e de
sa famille.
Il n ' était qu'un modeste artisan en passementerie, son ga in
suffisa i t à peine à assurer son exi stence et cel l e de sa fa m i l l e ,
mais s a pauvreté étai t revêtue du man teau d e l ' h o n nêteté q u i
la rendait p l u s impressionnante p a r sa d i g n i té que le va in
éclat d ' u ne richesse superficielle.
Tandis qu'il me parla i t , j e découvris que le vrai sens d e ses
mots n ' était pas celui de l ' expression verbale, mais dans la
s ignification contraire. I l semblai t empl oyer u n langage codé
qui, sans m 'être fami l ier, ne m ' étai t cependant pas i n co n n u .
I l m e d i sa i t , par exemple, comb ien il regrettait l ' ab sence d e
son mei l l eur a m i q u i aurait p u m e donner t o u s l e s renseigne
ments qu'il me fal l a i t .
222
LA QU Ê T E
I NITIATI O N
Le Cheikh Tadili
233
LE C H E M I N D E D I E U
Le Chérif El Moktani
234
I N ITIAT I O N
La table du Ramadan
1. Descendants du Prophète.
2 35
LE C H E M I N DE DIEU
1. Prière du couchant.
2. Soupe spéciale du Ramadan.
I N I T I A T I ON
qui avai t l ieu au salon, préparée par le C h érif. Tous ses gestes
étaient ordon nés avec con centra t i o n , comme dans un rituel.
j e trouvais cet h omme adm irable et appréciai s son compor
tement exemp laire .
Les vei l lées s e passaient pour nous en pra tiques suréro
gatoires qui d uraient j usqu'à une heure avant l ' aube. Alors,
ceux qui d ormaient se réveil laient et la famille réun i e autour
de la tab le prenait une dernière collati o n , soit de pain perdu
saupoudré de sucre, soit de sortes de crêpes grêlées 1 enduites
de miel , tout en buva n t du thé à la men the. Puis tout le
monde allait se coucher après avoir accompli les prières du
mati n 2 .
La procession
1. Baghrir.
z. Le < c fajr » et le < c sobh » .
3. Faqira (féminin d e faqir ) : disciple.
23 7
LE C H E M I N D E D I E U
La pluie
239
LE C H E M I N D E DIEU
El I h tifal
24 1
LE C H EM I N D E D I E U
2 43
LE CHEMIN D E DI EU
M ârifa et Haqî q ah
2 44
I N ITIATI O N
245
LE C H EM I N DE D I EU
LA
cal , «
musique de Wagner a touj ours exercé s u r m o i u n p o u
v o i r i neffabl e . Ayant appris l ' ex i s tence d ' u n groupe mus i
Les Amis de Bayreuth » , j e désirai en faire partie, mais
ne savai s commen t m'y faire accep ter. U ne circonsta nce for
t u i te m ' amena à rencontrer l a présidente, à laquel l e j e fis part
du p l a i s ir que j ' aurais à adhérer à son groupe. E l l e m ' assura
que ce p laisir sera i t réciproque, et m ' i nv i ta à la séance du
mercredi s u ivant .
I N ITIATI O N
Premiers fruits
247
LE CHEMIN DE DIEU
249
LE C H E M I N D E D I E U
Le Cheikh de Meknès
Retrouvailles
2 53
LE C H EM I N DE D IEU
2 54
I N ITIATI O N
2 55
LE C H E M I N DE DIEU
La pluie de dattes
25 7
LE CHEMIN DE DIEU
u n ciel étoilé, chemi na n t sans b u t p réc i s , q u a n d j ' aperçus à
ma d ro i te u ne sorte de chaum ière compren a n t un étage . I l y
a va i t u ne fenêtre où bri l l a i t u n e l u m i ère c h a u d e et i n t i m e . J e
com p r i s a u s s i t ô t q ue ! ' E n fa n t Jésus ven a i t d e n a i t re e t que
c'éta i t la n u i t de N o ë l . Poursuiva n t ma marche, j e finis par
m ' a rrêter en tre deux troncs d ' arbre . J e levai la t ête e t v i s
q u e c ' ét a i e n t des p a l m i ers très élancés . I l s e p ro d u i s i t a l ors,
a u - dessus de leur f a î t e , u n souffl e tourb i l l o n na n t qui les fit
se pench er l ' u n vers l ' a utre, secou a n t e t e n t remêlant l eurs
palmes, s i b i e n q ue l eurs régimes se réu n i re n t en un seu l . J e
reçus à cet i ns t a n t u ne averse d e d a t te s , tel l e u n e p l u i e de
bénéd i c t i o n s . . .
Vi ngt - si x a ns après avo i r f a i t ce rêve, j e découvre sa p l é
n i t u d e men1e i l leuse.
Le merveilleux trésor
La patrie perdue
2 59
LE CHFMIN DE DIEU
2 60
I N ITIATIO N
Le Roûth M ohamadi
M O STAGAN EM
La lettre providentielle
'ENTRETENAIS
J
u n e co rrespondance avec un frère dans l a
Voie, u n Français musulman d e la Tariqa Al laouia d e
M o s taganem . Quelque temps après l ' I h ti fa l 1 , j e reçus une
l e t tre de l u i , dans laquelle il me donnait des déta i l s i n téres
sants sur certains faits, et sur ses é tats d ' espri t . Il dorma i t près
des cel l u l es réservées à la retrai te. La n u i t , quand le si l ence
é ta i t propice au somme i l , il l u i arriva i t d ' en tendre la voix
d ' un faq i r faisant l e dh ikr du Nom Suprême dans sa cel l u l e .
I l éprouva i t alors des sentiments contradictoires , ou complé
m e n ta ires , de regret e t d ' espoir.
- J ' a i l ' impression de ramper, alors que j e voudrais courir,
me co n fia i t - i l , puis il s ' excusait de n ' avoir pu s ' empêcher
de m o ntrer une de m es lettres ( ce l l e dans laquel l e j ' expri
mais l e désir de j our en j our p l us pressan t de faire la retrai te)
à u n des faqirs les plus avancés de la Tariqa qui en ava i t
auss i t ô t fai t part au C h e i kh .
- Ce manque de d i scrétion de ma part , avoua i t - i l , dû à
une i n tention louab l e , vous a valu l ' i nv i tation du Cheikh .
I l sera h eureux de vous recevoir si vous venez à la Zaouia.
J 'espère que cel a vous décidera, concluai t - i l .
L a v i s i o n , à Mazaga n , l ors de l ' I h t i fa l , d u jeune homme
1 . L ' I htifal est une fête donnée pour l'inauguration d'une Zaouia ou
pour u n anniversaire.
2 69
LE CHEM 1N D E· D 1 EU
'2 7 0
L ' arrivée à Mostaganem
'2 7 1
LE C HEMIN DE D IEU
272
M O STAGANEM
Le Maj doub
�
L A
tot.
anse prit fin vers cinq h eures, la foule s e d i spersa aussi
'2 73
LE C H E M I N D E DIEU
Présentation
1 . L e fou d e Dieu.
2. la Vie de Mahomet, Pion 1 9 2 9 . L 'Éioge du vin, Vega 1 9 3 1 . La Vie des
saints musulmans .
2 74
M O STA G A N E M
'2 7 5
LE CHEMIN D E DIEU
Le corps démembré
La tempête
E
J
m ' apprêtais à regagner ma chambre l orsque l 'averse me
surpri t . J ' attend is u n instant, espéran t q u ' e l le ne durerai t
pas , mais, a u l ieu de cesser, e l l e tombait de p l us e n plus fort ;
cel a pouva i t conti nuer d uran t toute la n u i t .
Je sortis en coura n t p o u r regagner ma chambre . J ' arrivai
ruissela n te de la tête aux pieds ; je dus auss itôt changer mes
vêtements et l ' opéra t i o n n 'était pas faci l e . Je tremblais et mes
dents s ' en trechoqua i e n t . Un air glacial s ' engouffrai t par les
ouvertures sans vi tres en haut du mur.
Je n'avais j amais eu s i fro i d . Ne sachant comment me
277
LE C HEM I N DE D I EU
Déroute
D irectives
2 79
LE CHEMIN DE DIEU
prendre l e petit déj eu ner e n ma compagn ie. J ' avais l ' i mp res
sion que l e Cheikh me tena i t e n observa t i o n . Nos ent retiens
- M odakara t - d ura ient parfo i s une heure ; jamais cette
ques t i o n esse n t i e l l e n e fu t abordée .
U n après - m i d i , Ben D imrad v i n t me présen ter t ro i s foqaras ;
c'étaient des moqaddami n , le premier de M ascara , le second
de S i d i bel Abbès, le troisièm e de Tlemce n . Ma présence à la
Zaouia l es ava i t i n trigués . I l s question nèrent Ben D i m rad ;
ce dernier l eur fo u r n i t des exp l i cat i o n s qui durent sans doute
l es satisfai re, car ils m ' i nvi tèrent à passer quelques j o u rs dans
l eurs v i l l es respectives . Je dus refuser, obj ectan t que l a ra ison
de mon voyage é ta i t la retrai te, p u i s l 'a cco m p l i ssement de
mon vœu à Abû M e dyan .
A u moment d u repas , j e v i s arriver Ben D i mrad e t les
mêmes moqad dam i n , qui s ' i n st a l l èren t à ma table. I l s avaient
eu un entretien avec l e C h e i kh , d ' o ù il résu l t a i t q u ' i l m ' au
torisait à faire l a retraite, e n m ' isolant dans ma chambre,
auss itôt mon retour au M aroc . Auparava n t , je deva is rester
une semaine environ dans l a Zaouia de Tlem cen o ù j e rece
vrais tou tes l es i n s tructio ns nécessaires, et acco m p l i r éga l e
ment mon vœu à Abû M e d ya n .
J e compris, à la manière d o n t i l s parlaient, que l e fa it
d ' emporter la retrai t e avec m o i - c ' étaient exactement les
termes qu'ils emp l oyaient - deva i t avoir bien p l u s d ' impor
tance q u ' i l ne paraissai t . Touj ours es t - i l que j ' appro uvai
l eur décis i o n , acceptant de partir en l eur compagnie l e l e n
dema i n mati n , n e ch ercha n t pas à comprendre, tant j ' étais
heureuse. Confia n te dans les d irectives qui m 'étaient don nées,
j e me contentais de l es su ivre, sachant q u ' e l les me fera ient
parvenir au but.
Avant de m ' endormir cette n u i t - l à , la dern ière que je
passais à l a Zaouia, j e pensais a u Cheikh et j e s o u h a i ta i s de
tout cœur qu'il me fît présent de trois objets personnels, b i en
déterminés. J ' éprouvai s s u b i tement le bes o i n impérieux de
savoi r s i l ' u nion spirituelle e ntre l e Cheikh et m o i s 'avérait
complète. Pour e n avo ir l a cer t i tude, il me fallait u ne preuve
concrète, que seul le don des troi s objets pouva i t m ' appor
ter. Je m 'endorm i s sur cet espo ir.
2 80
M O STA G A N E M
Le souhait réalisé
Le regardant et le regardé
286
M O STA G A N E M
Période transitoire
'
J
ALLAIS e n fi n pouvo ir accomplir ce vœu .
Le mokkaddem et les foqaras m 'avaient réservé un accueil
aussi chaleureux et généreux que celui de M ostaganem ; cha
cu n , personnel lement, m ' i nvitai t , soit à déj eu ner, soit à dî ner
chez l u i . Je passai ainsi six j ours à festoyer chez l es uns et
chez les autres .
Duran t les vei l l ées dans la petite Zaouia qui m 'ava i t été
réservée pour me serv i r de logemen t , des foqaras, parm i l es
plus compétents, m'en tretenaient à tour de rôle sur les diffé
ren tes manières de pratiquer le d h i kr du Nom Suprême ;
i l s me co n s e i l laient aussi sur d iverses au tres questions
concernant l a retraite. Lorsque cet ensei gnement prépara
toire fu t j ugé suffisant, il fa l l u t m ' acqui tter de mon vœu à
Abû Medya n .
LE CHEMIN D E DIEU
LA RÉAL I SATI O N
Dernière étape
LES cond i tions req uises pour fa i re une retra i te éta ien L aussi
faci les à trouver autrefois qu 'el les sont d i ffici les à réu n i r
auj ourd ' h u i . E l les dépendent surtout du mode d ' ex i st e n ce,
déterm i né l u i - même par des circonsta nces de l ieu et d ' époque.
Il m ' é ta i t impossible de fermer ma port e dans !a j o urnée. J e
n e le pouva i s q u ' à partir de neuf h eures d u s o i r , cer
taine a l ors de ne plus être dérangée. Ayant donné les consignes
en conséquence, je m ' enfermai un lundi dans ma chambre,
préparée pour ce momen t cap i tal . Le dhikr éta i t le n om
d 'Allah - I s m ' D h a t - nom de ! ' Essence. I l d i fféra i t a b s o l u
m e n t d e s d h i krs que j ' avais pra t i q ués j u sque- l à . A u t a n t
ceux - là é t a i e n t agréab les, a u t a n t cel u i - ci é t a i t rébarba t i l. J e
ne sava i s comment le maîtriser. I l sortai t de ma p o i t r i n e e t
s' arrêta i t dans m a gorge q u a n d je v o u l a i s le pousser sur m e s
lèvres . C e l a me donna i t l ' impression d ' êt re très ma ladro i L e e t
incapab le. Cepen d a n t , l o i n de me décourager, j ' é t a i s au
contraire sti mu lée par la d i fficulté et de plus en p l u s dét er
m i née à la surmonter.
Cette prem ière n u i t de l u t te avec l e d h i k r se t erm ina à
l 'aube, sans au tre apport que cel u i d ' avoir ren fo rcé dava n
tage m a déterm i n a t i o n .
'AVAIS
J
eu l ' occasion, durant mon séjour à la Za ouia de
M ostaganem, d ' entendre une sorte de râ le p ro l o n g(� ,
q u i ava i t p ro d u i t sur moi une impress i o n fu nèbre ; i l m ' avait
292
LA R É A L I SATI O N
Tout disparaît . . .
2 93
LE CHEMIN D E DIEU
2 94
. . . Sauf Sa Face
Fana fi Llâh
2 95
LE C H EMIN DE DIEU
Confirmation
E
J
restai d a n s l ' i ncertitude pendant p l u s d ' u n m o i s . Lors
q u ' u n j o u r vers m i d i , un faq i r du Cheikh Bel Habib de
M eknès v i n t de sa part m ' i nvi ter à déj eu ner.
Le faq i r, q u i receva i t hab i tuel lement le Cheikh quand i l
éta i t de passage à Casab l anca, hab i tait u n e demeure confor
tab l e . A mon arrivée, on me fit pénétrer dans une pièce très
vaste autour de l aque l l e une cinquantaine de foqaras étaient
attab lés. Le Cheikh était dans u n angle avec deux foqaras, et
m ' a ttendai t . Il me fit prendre p lace auprès de lui et aussitôt
l'on commen ça à déjeuner.
J e fus a l ors en proie B. u n appét i t a normal . J e ne mangeai s
pas, j ' e ng l o u t issais l i t téralement, vidant presque à m o i seule
un p la t ap rès l 'a u tre, sans aucune pudeur, avec une exi
gence cyrnque.
Le C h e ik h , au l ieu d'en être offu squé, et de me réprimander
pour m o n comportement extravagan t , semblait au contraire
le trouver normal et compréhensible 1 .
Le repas term i né, le Cheikh se l eva et qui tta la sa l le en me
faisant signe de l 'accompagner. J ' en trai à sa s u i te dans l a
pièce q u i l u i é ta i t réservée. I l enleva s a djel laba, la sacoche
q u ' i l porta i t e n band o u l i ère et sa cei n ture, p u i s il s ' i nstalla
sur l e d ivan e n face de moi. Quelqu ' u n apporta un p lateau, et,
297
LE CHEMIN D E DI EU
Jalousies
2 99
LE CHEMIN DE DI EU
3 00
LA R É A L I S ATI O N
LE beso i n d ' ê tre aimé est un beso i n normal, qui fai t part ie
de la nature foncière des êtres humains. Généralement
il est rép rimé, neutralisé en quel que sorte, soit par des
comp lexes qui l e refo u l e n t , soit extériorisé d ' une tel l e
façon q u ' i l est avi l i , dénaturé . Quelquefois aussi il e s t contenu
par la barrière, ou p l u t ô t la porte de fer des conven t i o n s
sociales. T a n t et s i bien q u ' i l est devenu h o n teux . I l dissi-
30 1
LE C HEM I N DE D I EU
C e l a se passai t e n i 9 5 2 .
D e n o m breux événements a l la i e n t s e partager m o n e x i s
tence. Tout d 'abord , l a dépo s i t i o n de M ohamed V, en
a o û t i 953. J ' a i d i t , à l ' occa s i o n de m o n e n t rée d a n s l ' I sl a m ,
q u e m e s s e n ti m e n t s d e Fra n ça is e n ' ava i e n t e n rien cha n gé .
C ' es t d o n c e n patriote e t e n m u s u l m a n e que j e j ugea i s cet t e
dépo s i t i o n extrêmem e n t o utragean t e e t que, sans cra i n d re
l e s sarcasmes de la co l o n ie européenne, je déc i d a i de q u i tter
l e M a roc e t d e n'y reve n i r qu'au retour d u ro i . Cela m e
per m i t d e rej o i nd re G a b s i à P a r i s e t d ' at t e n d re a up rès d e
l u i q u e cesse c e t t e fo l i e po l i t iq u e .
L e ro i res tauré, j e rev i n s s u r c e t t e terre sacrée et bén i e . L e
temps pa ssa . Ce q u i est u n e m a n i ère de d i re q u e j e co n t i
n u a i , par l a p rière e t par l a m éd i t a t i o n , cc trava i l s p i ri tuel
i n te n s e auquel m ' ava i t d o n né accès l a nuit d e ma réa l i sa t i o n .
D e Casabla nca , j 'a l l a i m ' i n st a l l e r à Rab a t , où m ' at tenda i t
u n e d e s j o i es l e s p l u s fo rtes q u ' i l m ' e û t é t é d o n n é d e vivre .
Un j o u r, je fus conviée à a s s i s ter à u n e réu n i o n solen n e l l e
d a ns u n e Zao u i a derkao uya . J ' étais habit uée à a s s i ster à ces
sortes d e réu n i o n , à Casab l a nca . J ' étais t o uj o urs la seule
fe m m e a u m i l ieu des fo qa ra s e t des maîtres . M a i s quelle ne
fu t pas mon é m o t i o n lorsq u ' u n représ e n t a n t d e l ' a u t o r i té
rel i gieuse trad i t i o n n e l l e s u n n i te , me prena n t par la m a i n ,
m e présenta à deux o u tro i s m i l le foqaras en m e proc l a m a n t
LE CHEMIN DE DIEU
Paris, Le 23 juin 1 9 7 9
TAB LE
1. O R I G I NES 9
Grand-père . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
La leçon burlesque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Le réveil lon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Les noyaux d ' O l ive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Vendetta sicilienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Ma petite enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
I l . ALGER . . . . . . . . . . . . . • ... .. .. . .. .. .. . . . .. . .. .. . . 21
La Canterra :
La Canterra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Les melons d' Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Bouche d'or . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
La funambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Cami na l a natte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Les bohémiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Notre- Dame d'Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Le chef d'orchestre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Les fées . . . . . . . . . . . . . . . ......... ....... ... .... 36
Le petit J ésus en sucre . . . ..... .. .. .... .......... 38
Le chapeau à la p leureuse .... .. .. .. ..... ... .... 40
Bab-El- Oued :
Reine de quartier 41
LE CHEMIN DE DIEU
Guerre de quartier . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .
Tina et moi . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .
Le grain de sénevé . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .
O ù commence et où finit le ciel . . . . . . . . . . . . . . . . .
Premiers déchirements . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .
I I I . O RA N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
L'arrivée à O ran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le tremblement de terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La guérison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le paradis et l'enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La table tournante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Madame Lubian . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le désir égoïste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.
L, ms t 1' t u t ion
" J eanne- d'Arc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jeanne d'Arc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le phare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Noël à Oran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le dessin cochon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L 'œil du cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le détachemen t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le refuge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La caricature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Au pain sec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Premier amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Gérard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A l 'abri du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le feu de la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Départ de Gérard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Révol te . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je vois Dieu en rêve
310
TA B L E
Délire . . . . . . . . . . . .
. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
La prophétie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
La descente de l i t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
L e champ d e courses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
L'aube . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Le filleul de guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Le mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
I V . LA CORSE . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
I nquiétude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Le pari . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 03
Scandale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 04
Le nid de verdure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 05
Le serpent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 05
Blâmes . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 06
Le l ivre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 07
Prise de conscience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 08
Les chiens de l 'enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 09
La communion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 10
L'écrin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Le ciel s'ouvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 13
Espoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 14
V . S FAX
Sfax 1 19
Le muezzin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 20
Moulay Abdelkader . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Lall a Fatma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 122
Le thé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 23
Le ver dans le frui t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 24
Justice éclatante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 26
Ali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 28
Réactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 29
Neutrali té . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Calomnie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
L'adieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Rédemption 1 33
31 1
LE CHEMIN DE DIEU
Cinquante francs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Hajj en rêve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La ressemblance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La Fédia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le rêve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le privilège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lhachmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L'auto rouge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le messager . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le géomancien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La clef du 9 . . . . . . . . . . . · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
V I . GABSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 55
En sommeil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Approches de la Kabbale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
La figure idéale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 60
Deuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 60
Panique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
Espoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 63
Gabsi l e Maître . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 64
Ibn Arabi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 66
Scept i ci sme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Le Coran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 68
Réponse à ma question et à ma prière . . . . . . . . . . . . 1 69
Le savan t talmudi ste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Les manuscrits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
Le choix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 73
La Nefs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 74
René Guénon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 75
Émulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 76
Le silence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
L'effe t du dhikr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 78
L'obstacle au Tawakkoul 1 79
La vision du réel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Lalla Fa t ima Zohra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 83
L'oncle de Gabsi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 84
La Kabbale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 86
312
TABLE
La conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 99
Le sommet de la montagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Chez le C a d i . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
M ohammed E l Alami . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 04
A M arrakech . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 05
L'étrange vieillard à la clef . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 06
Les deux témoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 09
La réception chez le Cadi Zernouri . . . . . . . . . . . . . . . 2 1o
Jument b lanche et étalon noir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
La convocation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
V I I I . LA QU ÊTE
La quête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Chez Abd-el- Hayy El Kitani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Dif-Allàh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
L e maître de céans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Le jalon sur le chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 23
Paul M ounier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Une compagne agréable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
Obstruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
I X . I N ITIATIO N . . . • . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . • . . . • . . . . . . 2 29
Le Cheikh Tadi l i . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 1
Le Chérif El M oktani . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 34
La table du Ramadan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
La procession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 7
La pluie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
El Ihtifal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 1
Màrifa et Haqîqah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
Les A m i s d e Bayreuth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
LE CHEMIN DE DIEU
X . M O STAGANEM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
La lettre providentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 69
L'arrivée à M ostaganem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 1
X I . LA RÉALISATI O N 2 89
Confirmat i o n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
Jalousies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298
Le véhicule du Cheikh Tad i l i . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
J 'étais un trésor caché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 1
Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 05
La composition
el / 'impression de ce livre ont été effectuées
par L 'imprimerie Floch à Mayenne
pour Les Éditions A lbin M ichel