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'Elysée, bien plus que les médias, n'ignorait rien de la vie privée de Dominique Strauss-Kahn. Le pouvoir, alimenté
par ses relais dans la police, sait tout des secrets les plus intimes des hommes politiques, jusqu'à user des informations
graveleuses dont il dispose.
Ainsi, des proches de Nicolas Sarkozy avaient pris soin de laisser "fuiter" auprès du Monde, ces derniers mois, l'existence
d'une note, rédigée peu avant la présidentielle de 2007, par un policier de la base. Quelques lignes signalant la présence
de M. Strauss-Kahn, surpris en fâcheuse posture dans une voiture, à l'ouest de Paris, dans un haut lieu des rencontres
tarifées, à l'occasion d'un banal contrôle.
Sollicités, ni la Préfecture de police de Paris ni le ministère de l'intérieur n'ont souhaité confirmer – ou démentir –
l'existence de cette note. Trois sources différentes ont pourtant assuré au Monde que ce rapport avait existé, et qu'il avait
été porté à la connaissance de l'entourage de M.Sarkozy.
Selon l'une de ces sources, l'original de cette note a été passé au broyeur. A l'époque des faits, il fut décidé, en haut lieu,
de ne pas donner de suites à cette affaire sur le plan pénal – ou médiatique. Candidat malheureux à la primaire du PS fin
2006, DSK ne présentait pas alors le même enjeu pour le pouvoir. Et c'est en parfaite connaissance de cause que M.
Sarkozy, une fois élu, le propulsa à la tête du Fonds monétaire international (FMI).
Mais ces derniers mois, au fur et à mesure de la progression de DSK dans les sondages, des hommes de confiance de
M.Sarkozy se sont vantés devant des journalistes de "tenir" le patron du FMI, dont ils menaçaient de révéler les frasques.
C'est ainsi que cette note a refait providentiellement surface. Au même moment, le chef de l'Etat se posait en "moine
trappiste", par opposition à la réputation de coureur de jupons de DSK.
C'est un fait : M.Sarkozy, depuis 2002, connaît certains aspects de la vie privée des personnalités susceptibles de
présenter un jour un danger électoral. A son arrivée au ministère de l'intérieur, il a constitué une équipe de fidèles qui lui
doivent tout. De Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), à Claude Guéant,
ministre de l'intérieur, en passant par Alain Gardère, directeur adjoint du cabinet de ce dernier, ou Michel Gaudin, préfet de
police de Paris, cette équipe est la mieux renseignée de France.
Fin avril, DSK avait d'ailleurs identifié le danger, comme l'a rapporté Libération : son appétence pour les femmes, certes,
mais surtout les méthodes supposées de M. Guéant, à l'origine selon lui de la propagation des rumeurs sur sa vie intime.
De tout temps, la police a été l'instrument du pouvoir. Avant d'accéder à la présidence de la République, François
Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy sont tous passés par la Place Beauvau. Lors de son retour à l'intérieur, en
juin 2005, M.Sarkozy avait confié : "Je serai mieux protégé."
De fait, il en profita pour retourner l'affaire Clearstream en sa faveur, et surtout placer ses hommes aux postes clés. L'une
de ses premières mesures fut de renvoyer Gérard Dubois, un conseiller du préfet de police – chiraquien – Philippe
Massoni, accusé de s'être répandu sur la liaison de son épouse de l'époque, Cécilia, avec Richard Attias.
Il est vrai que les policiers, qu'ils appartiennent aux renseignements généraux (RG, désormais fondus dans la DCRI), à la
sécurité publique, voire à la brigade de répression du proxénétisme, reçoivent des renseignements ultrasensibles. Ainsi,
les patrons de boîtes échangistes ont pour coutume de signaler à la police – avec qui ils soignent leurs relations – la
présence de personnalités politiques dans leurs soirées.
Etablissement connu du centre de Paris où le libertinage se célèbre au quotidien, Les Chandelles ont ainsi inspiré plus
d'un "blanc" (note sans en-tête ni signature) aux RG. Les services sont aussi capables d'aller creuser des détails
incongrus : durant la campagne présidentielle de 2007, les RG planchèrent ainsi sur le coût de la garde-robe de Ségolène
RoyalJ
Les renseignements les plus "utiles" remontent naturellement à l'Elysée. C'était déjà le cas sous d'autres présidences.
Dans les années 1990, les RG enquêtèrent ainsi sur la vie privée de Bertrand Delanoë ou de Jack Lang. Des notes
blanches furent même établies. Rien n'était étayé, mais plus d'un journaliste fut bénéficiaire de drôles de "tuyaux"J
Etiqueté chiraquien, Yves Bertrand, patron des RG de 1992 à 2004, joua un rôle central dans ce dispositif. Mis en cause
pour s'être intéressé à la vie intime des politiques, il assume ses enquêtes très "privées", se voyant même "réhabilité" par
l'affaire DSK, qu'il qualifie de "victoire posthume" ! "Je ne sais rien de l'affaire du Sofitel, mais de manière générale, cela
prouve qu'il est légitime de s'intéresser à la vie privée des hommes politiques. D'ailleurs, on me commandait parfois des
enquêtes pour savoir si une personne pressentie au gouvernement avait des fragilités", dit-il.
L'un de ses principaux interlocuteurs était Claude Guéant. "Lorsqu'il était directeur de la police (1994-1998) puis du
cabinet du ministre (2002-2004), je lui rendais compte de tout. Il notait ce que je lui rapportais, y compris les éléments
privés, dans des petits cahiers", affirme-t-il.
M. Guéant avait pourtant assuré en 2008 à Mediapart : "Concernant des éléments de vie privée relatifs à des
personnalités, il n'en a jamais été question dans nos discussions." Arme de déstabilisation – ou de dissuasion – contre un
adversaire menaçant, la "police des mœurs" sert, parfois, à défendre le président.
La DCRI a ainsi mobilisé ses forces en 2010 pour savoir d'où provenaient les ragots sur le couple présidentiel. Suspectée,
Rachida Dati fut mise sous surveillance. Même les plus fidèles des sarkozystes ne sont pas à l'abri de cette mécanique
extrêmement efficace.
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