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04/04/2022 23:23 La couleur des pensées - Évaluation et apprentissage des émotions - Éditions de l’École des hautes études en sciences

sciences soc…

Éditions
de l’École
des
hautes
études en
sciences
sociales
La couleur des pensées  | Patricia Paperman,  Ruwen Ogien

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Évaluation et
apprentissage des
émotions
Pierre Livet
p. 119-143

Résumé
As emotions are unstable notions, we try to analyze them starting from
elementary properties that they must inevitably have: a pattern with
three values (positive, negative, indifference), and the possibility to
exhibit emotions by expressions of face or to ascribe them from such
expressions. We can then bind affective emotions to a first three values
pattern, informative emotions to a second and appreciative emotions to a
third. As we can perceive variations of emotions according to these three
patterns of value, and even to superpose these three patterns, we are
sensitive to second order relationships, so that by checking if variations
of others’ expressions are bound to an aspect of our behavior by another
relationship than mimesis or association, we can ground our ascriptions
of intentionality when we ascribe evaluations of our own behavior to
others.

Um die komplexen Zustände der Emotionen erfassen zu können, ordnet


sie der Verfasser zunächst nach einer Wertskala ein, die in der Regel
anwendbar ist: positive oder negative Reaktionen sowie Indifferenz.
Dem entsprechen verschiedene Äußerungen oder Gesichtsausdrücke.
Der Autor schlägt in der Folge eine Analyse der affektiven Emotionen
nach dieser Wertskala vor, indem er zu einer Differenzierung durch
zunehmende Berücksichtigung von Ähnlichkeiten und Differenzen sowie
Variationen der Äußerungen gelangt. In einem zweiten Schritt werden
die Reaktionen anderer Personen auf Emotionen einbezogen, wie
Mimesis oder Assoziationen, was es ermöglicht, die Intentionalität der
Emotionen zu überprüfen sowie die Einschätzung der Intentionalität bei
anderen Personen oder durch andere Personen.

Texte intégral
1 L’analyse psychologique et philosophique des émotions les
aborde non pour elles-mêmes, mais à partir d’autres

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terrains  : le terrain cognitif, le domaine du normatif, ou


encore celui des «  conatifs  » (désirs, volontés, impulsions).
On se demande alors si les émotions sont proprement
cognitives, se réduisant à la combinaison d’une croyance et
d’un désir, ou si ce sont essentiellement des jugements de
valeur (Solomon, 1988) en fonction d’une propriété qui est
vraiment présente dans la situation (cette propriété peut être
soit le facteur intentionnel qui justifie le désir et la croyance,
soit la simple cause de cette croyance). Au contraire on peut
penser qu’on doit fonder les jugements éthiques dans
l’affectivité pure des émotions (Ayer, 1936 ; Stevenson, 1937,
1990 ; Gibbard, 1990). Les psychologues tentent de montrer
que la part cognitive est la plus importante, ou qu’il faut une
part appréciative (un «  appraisal  »), voire une part
«  conative  », une tendance vers, pour rendre compte des
émotions. Enfin un De Sousa (1987) veut récuser la
réputation d’irrationalité faite aux émotions, et leur trouve
une fonction nécessaire pour des êtres dotés d’une
rationalité limitée, celle de nous focaliser sur des traits
saillants de la situation. D’autres théories plus anciennes,
telle celle de Darwin, ont lié les émotions à leurs expressions,
et donc aux interactions entre individus d’une même espèce
ou d’espèces différentes, comme à des fonctions
éthologiques (maternage, nutrition, rivalité sexuelle,
prédation, défense, etc.).
2 Le problème de toutes ces approches est que, même prises
une à une, aucune n’est en elle-même unifiée. Si on part des
fonctions biologiques, on va définir un certain nombre de
fonctions primitives et on ne pourra analyser leur
sophistication et leur détournement par des êtres plus
évolués et dotés d’une culture qu’au prix de contorsions
intellectuelles. Si on part des simples expressions, on ne sait
pas comment les relier aux expériences affectives et aux
évaluations, et on doit pour cela soit supposer de manière
simpliste des dispositions innées à associer telle mimique à
tel type d’affect, soit admettre un arbitraire culturel des
mimiques. Mais cela laisse entier le problème de savoir
comment les affects sont eux-mêmes structurés et

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différenciés. Reléguer la fondation des énoncés éthiques


dans l’affectif se heurte à cette même objection  : comment
sont organisés les affects ? Insister sur la part cognitive des
émotions exige de rechercher les propriétés dispositionnelles
des situations à déclencher telle ou telle émotion, voire tel
jugement de valeur. Mais qu’est-ce que les valeurs, qu’est-ce
qu’une valuation, cela n’est pas dit. Enfin la rationalité,
même limitée, des émotions comme focalisation apparaît
bien précaire, puisque cette focalisation nous fait souvent
négliger des aspects importants, voire vitaux, d’une
situation.
3 Nous avons tenté une approche unifiée de toutes ces
questions, en opérant un double décalage par rapport aux
différentes théories : nous partons de leur point aveugle, qui
est la question de savoir comment s’organisent nos
valuations, et nous ne séparons pas les émotions de
l’apprentissage des catégories émotionnelles. L’hypothèse,
qui ne fait que développer le sens commun, est que les
émotions sont des modes de valuation des situations, mais
aussi que nous apprenons à raffiner ces évaluations dans des
interactions expressives, des dialogues d’expressions. Nos
concepts d’émotion naissent de cet apprentissage, qui nous
permet d’attribuer de l’intentionnalité – dirigée vers des
traits de la situation, mais aussi et surtout vers nous – à des
expressions et de confirmer cette attribution. Les émotions
exprimées introduisent donc l’intentionnalité dans notre
monde intersubjectif. Avant cet apprentissage intersubjectif,
nous n’avons pas accès à des catégories émotionnelles bien
spécifiées. Nous disposons seulement de structures de
valuation possibles, qui ordonnent les rapports entre trois
valeurs (0, indéterminé, 1, par exemple). Pourquoi trois
valeurs ? C’est la structure de valuation minimale nécessaire
si l’on doit admettre que les états émotionnels passent par
l’indifférence. En passant de 2 à 3 valeurs, nous avons déjà
plus qu’un embryon de classification, nous avons aussi un
embryon de modalisation. Les émotions seraient ainsi liées à
nos classifications et modalisations les plus embryonnaires,
et nos catégorisations des émotions se développeraient

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ensuite à partir de cette matrice. Cette hypothèse en est à


peine une  : toute théorie des émotions devra utiliser des
modes de valuation, et la possibilité d’une indifférence. Nous
nous plaçons simplement au point de passage obligé de
toutes les théories. Ce passage obligé, la logique le décrit, et
les fonctions psychologiques des émotions l’imposent. Nous
souhaitons seulement, au lieu de devoir analyser des
émotions plus ou moins dépendantes d’une culture,
construire une sorte de processus, de petite machine à
différencier des émotions, quel que soit leur niveau de
raffinement, et dans toute culture. Notons enfin que si ces
trivaluations sont préconceptuelles (on pourrait parler de
mode de présentation affectif, comme on parle de mode de
présentation perceptuel, par opposition au mode
conceptuel), elles vont servir de base à des constructions de
catégories d’émotions, qui peuvent donc être fort riches en
concepts. Les proto-émotions sont donc des changements à
moyen terme de nos concentrations d’hormones et de neuro-
transmetteurs, liées à des valuations de situations1. Ces
valuations ne sont pas des croyances axiologiques : elles sont
préconceptuelles, elles se bornent à organiser très
primitivement l’indétermination, la valuation positive ou
négative. On sait qu’il n’est pas possible d’identifier telle
catégorie émotionnelle avec tel changement neuro-hormonal
(expérience de Schachter-Singer2), – même si toute émotion
exige un changement neuro-hormonal. La structure de
valuation et le dialogue expressif doivent entrer en jeu pour
typifier les émotions. Les émotions exprimées ont alors pour
fonction de nous permettre d’anticiper les réactions d’autrui
dans une interaction (c’est la thèse de Darwin). Mais elles
nous servent aussi à gérer nos coordinations collectives. Là
aussi, elles nous permettent de régler les échanges
d’intentionnalité, et en particulier de développer et de
résoudre les conflits collectifs.
4 Nous disposons donc d’une contrainte structurelle : quoi que
soient les émotions, quelles que soient les expressions
qu’elles prennent dans telle ou telle culture, de quelque
façon qu’on les nomme dans tel ou tel lexique, elles doivent

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révéler des structures de valuation. Par la suite, un


apprentissage par l’échange d’expressions qui mettent en jeu
ces structures de valuation nous permet de construire des
catégories émotionnelles, qui sont des acquis culturels.
L’hypothèse la plus directe est donc de partir des structures
de valeurs que nous propose la logique, de choisir les
structures minimales nécessaires à l’expression de
valuations, et de voir si les émotions et leurs expressions ne
se laissent pas reconstruire et catégoriser à partir de ces
structures. Nous échapperons ainsi aux débats sur les
émotions innées ou culturelles. Quelles que soient les
variantes des lexiques émotionnels et des répertoires
d’expressions différenciées, ces différenciations doivent
satisfaire les contraintes des structures de valuation. Et la
communication de ces valuations dans un dialogue expressif,
donc l’apprentissage culturel des émotions et de leurs
expressions, doit les respecter aussi.
5 Cependant cette étude des émotions restera partielle, parce
qu’elle se centre sur ce qui a été jusqu’à présent négligé,
l’étude de la structure de valuation pré-axiologique des
émotions, au lieu de développer ce qu’un De Sousa (1987),
par exemple, a analysé, à savoir le contenu intentionnel de
l’émotion (quelles cibles elle vise, sous quel aspect, etc.).
Nous ne tenterons pas ici d’articuler l’aspect évaluatif et
l’aspect intentionnel, sinon en montrant que les expressions
évaluatives permettent d’introduire la reconnaissance de
visées intentionnelles chez autrui (ainsi, les valuations pré-
axiologiques pourraient-elles constituer une sorte de pré-
intentionnalité).
6 S’il fallait préciser sur quoi portent les émotions, nous
dirions qu’elles portent sur des situations (qui comprennent
des choses, des événements et des agents), et que les
propriétés de ces situations, qui sont des dispositions à
déclencher les émotions, peuvent être saisies de façon pré-
conceptuelle. Par exemple une simple variation continue
d’un paramètre qui ne joue ce rôle de paramètre que dans le
contexte d’une situation donnée peut les déclencher, ou
même encore une distribution non catégorisable de

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variations de paramètres. Ce ne sont donc pas seulement les


propriétés conceptualisables de la situation qui définissent
l’émotion. Les émotions ne se construisent et ne se
conceptualisent que les unes par rapport aux autres, en
s’appuyant sur l’architecture des structures de valuation. Les
proto-émotions sont donc préconceptuelles, puisque nous
pouvons mettre en œuvre les structures de valuation dès
qu’interviennent des variations de paramètres sensibles dans
une situation, donc avant même que nous ayons pu
organiser ces variations selon des groupes de variation
différenciés, ou selon des invariants stables au cours de ces
variations, c’est-à-dire avant que nous n’ayons pu les
catégoriser.

Les trois structures de valuation


7 Les logiciens considèrent souvent les valeurs de vérité
comme des « tokens », des jetons noir et blanc (1 ou 0) sur
lesquels on envoie les fonctions prédicatives. Mais en fait ce
qui compte, ce sont les structures d’ordre (de préférence) sur
ces valeurs. Dans la bivalence, la structure est simple, le vrai
est préféré au faux. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire
de cette structure ultra-minimale, puisque nous devons
maintenir la possibilité d’une indifférence, d’un état où
l’émotion est au point zéro. Il nous faut donc au moins la
trivalence, et cela devrait nous suffire. Notons d’abord que
nous n’avons pas besoin de définir une échelle continue de
degrés, par exemple de 0 à 1. Il nous suffit de savoir si la
variation des paramètres proto-émotionnels se fait vers le 0,
ou vers le 1, ou s’il n’y a pas de variation. Exiger une échelle
continue de degrés poserait des problèmes redoutables
quant à la transitivité de son ordre, des problèmes de mesure
d’une distance entre deux valeurs, que nous pouvons tout à
fait éluder pour décrire les émotions, ou du moins leur
catégorisation. Notons ensuite que pour donner une
approximation non continue des degrés, nous pouvons
utiliser des passages entre structures de valuation.
8 Car nous avons trois structures trivalentes possibles, selon la
place de la valeur indéterminée  : 1) F<I<V  ; 2) I<F<V  ; 3)
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F<V<I3. La première a été proposée par Lukasiewicz (1920),


la seconde par Bochvar (1930) ; la troisième a été récemment
utilisée par Calabrese (1987) et par Dubois et Prade (1994).
L’intérêt de la première est de considérer l’indéterminé
comme un intervalle entre deux extrêmes, le vrai et le faux.
L’intérêt de la seconde est de considérer l’indéterminé
comme une sorte de poubelle, et donc de se satisfaire comme
connecteurs logiques des connecteurs classiques, qui
donneront la valeur I dès qu’un de leurs facteurs aura la
valeur I. L’intérêt de la troisième structure n’est pas
directement évident, mais le devient si on songe à des
raisonnements en environnement incertain. Dès lors, il peut
être utile de déclencher des règles de décision et d’action
alors même que leurs conditions de déclenchement ne sont
pas toutes vraies, mais comportent des facteurs encore
indéterminés. Donc V*I doit donner V, et comme on choisit
toujours la valeur minimale des deux facteurs, cela revient à
dire que V est inférieur à I. Dans tous les cas, la négation de I
donne I, la négation de V donne F.
9 Nous allons légèrement enrichir ces structures en les
interprétant. La structure F<I<V peut être prise telle quelle.
Elle suppose simplement qu’entre deux valeurs, l’une
inférieure et l’autre supérieure, nous pouvons avoir une zone
d’indifférence. Il nous semble que c’est le cas du beau et du
laid  : une chose peut n’être ni belle, ni laide. En la
déformant, on peut la rendre soit laide, soit belle. De même
les expressions dont nous disposons, par exemple la position
de la bouche, nous permettent de passer d’une position
neutre (bouche à peu près horizontale) à une position
positive (coins de la bouche relevés) ou négative (coins de la
bouche abaissés). Nous pouvons nommer cette structure soit
esthétique, soit affective. Nous nous en tiendrons ici à
l’affectif, c’est-à-dire à un bon qui admet le «  ni bon ni
mauvais », un bon en minuscules.
10 La structure I<F<V, pour être interprétée, doit être conçue
de façon dynamique. Nous étions dans un état incertain et
indéterminé, sans pouvoir marquer de valeurs, et nous
obtenons des informations qui nous permettent de choisir

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une valeur parmi deux valeurs opposées. Quand nous


combinons des informations vraies ou fausses et cet état
indéterminé, notre conclusion ne peut être qu’indéterminée.
Il nous semble donc que cette structure correspond fort bien
à la démarche épistémique et que nous pouvons définir la
structure comme une structure informative. Ajoutons que,
puisque la valeur « indéterminé » précède la division en vrai
ou faux, on peut considérer que l’indéterminé est un
intervalle qui contient en lui les deux sous-intervalles du vrai
et du faux. Notre structure linéairement ordonnée s’est donc
transformée en une structure d’emboîtements, qu’il faut
épeler en deux temps  : d’abord l’intervalle englobant
indéterminé  ; ensuite, au sein de cet intervalle, la
détermination de deux sous-intervalles disjoints, vrai et
faux.
11 La structure F<V<I semble plus énigmatique, mais elle a des
interprétations très naturelles. Elle permet en effet, quand
nous avons un couple de valeurs V*I, de lui donner la valeur
minimale V. Cela veut dire, par exemple, que si nous avons
une règle d’action qui se déclenche quand deux conditions
sont réunies, et que l’une des conditions est vérifiée tandis
que l’autre reste indéterminée, nous pourrons déclencher
cependant la règle, puisque nous pouvons rabattre la valeur
« indéterminé » sur la valeur « vrai », qui est plus faible. Ce
faisant, nous révélons ainsi notre préférence pour la règle
d’action en question (nous admettons de courir le risque de
la déclencher dans l’incertitude).
12 Pour mieux comprendre le comportement de F<V<I,
considérons plusieurs propriétés. Par exemple, le bon cadre
normal est sérieux, créatif, respectueux de la hiérarchie,
capable de rayonnement dans ses relations (à en juger par
les critères demandés à l’embauche). Or un cadre sérieux est
« normalement » marié et propriétaire, un cadre créatif est
«  normalement  » célibataire et locataire, un cadre
respectueux de la hiérarchie est « normalement » réservé, un
cadre «  rayonnant  » est «  normalement  » expansif, etc.
Comme ces propriétés sont incompatibles, il est très possible
que le sous-ensemble des bons cadres normaux se réduise à

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un seul individu  ; et il se peut aussi que pour chacun des


« gros » sous-ensembles normaux définis par des propriétés
allant de pair avec une des propriétés que cet individu est le
seul à posséder en totalité, l’individu en question ne possède
pas cette propriété  : il sera sérieux mais pas marié, créatif
mais pas locataire, rayonnant mais peu disert, respectueux
de la hiérarchie mais pas réservé. Si donc, en partant de
chaque sous-ensemble normal, je pense pouvoir conclure du
sérieux au mariage, de la créativité à la location, etc., je
devrai réviser ces conclusions pourtant « normales » dans le
cas de mon individu non moins « normal », et qui pourtant
se révèle exceptionnel sur chacun de ces points. Ainsi, un
individu qui appartient à l’intervalle du Bon normal peut se
révéler un individu exceptionnel, en ce qui concerne des
propriétés pourtant normalement liées à chacune des
qualités qu’il possède en tant que Bon normal. Cet unique
individu qui est normal parce qu’il possède toutes les
propriétés de premier rang a de fortes chances d’être
anormal sur la plupart des propriétés qui découlent
normalement de chaque propriété de premier rang. Il nous
semble qu’une telle situation le fait passer de l’intervalle du
Bon normal à celui de l’Indéterminé exceptionnel. En effet, il
n’est pas simplement anormal et Mauvais sur les propriétés
de second rang. Il ne l’est que parce qu’il est Bon et unique
sur les propriétés de premier rang, et qu’il nous force à
suspendre les conclusions habituelles que nous tirons de
chacune de ces propriétés. Supposons que nous sachions
seulement de notre individu qu’il est l’unique Bon cadre
normal, nos conclusions sur ses propriétés de second rang
sont alors indéterminées. L’intervalle qui correspond à cette
situation nous semble donc bien désigner un Indéterminé
exceptionnel, au-delà du Bon normal. Nous rejoignons ainsi
la situation de notre valeur «  Indéterminé  » comme valeur
maximale. Elle peut être rabattue sur la valeur « Vrai », mais
elle la dépasse éventuellement  ; l’intervalle de la valeur
«  Indéterminé  » peut pour une partie recouvrir celui de la
valeur positive, mais il va bien au-delà. Notre Indéterminé
peut donc couvrir à la fois les cas de normalité « moyenne »,

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«  modale  », ceux qui permettent de confondre la valeur


positive et la valeur « Indéterminé » (les « gros » ensembles
modaux), et les cas d’exception, les cas singuliers qui
croisent des propriétés caractéristiques différentes, mais ne
les possèdent pas de façon limite, et qui vont au-delà de la
valeur positive. On comprend mieux alors pourquoi
l’Indéterminé peut être placé au-dessus de la valeur positive.
Notre être singulier possède toutes ces propriétés normales
sur un mode marginal, et il faut « renormaliser » les qualités
de cet être hors catégorie pour qu’on puisse vérifier chez lui
la présence de ces propriétés. Il faut le rabattre de
l’indéterminé sur le vrai.
13 Il nous semble qu’une telle structure correspond assez bien à
notre structure de valeur normative ou appréciative, qui met
l’exceptionnel au-delà du bon et du mauvais, et qui n’admet
pas de valeur intermédiaire entre bon et mauvais. Si vous
dégradez les propriétés d’un être bon, vous finissez par le
changer en un être mauvais. Dire qu’il n’est ni bon ni
mauvais, ce serait dire qu’il est hors du champ
d’appréciation normatif, que le jugement normatif n’est pas
pertinent à son égard. On retrouve alors une autre structure,
la structure où la valeur «  Indéterminé  » est englobante.
Mais vous pouvez dire qu’il est au-delà des normes, hors
catégorie. Ainsi la structure F<V<I correspond au Bon en
majuscules, un Bon qui ne peut pas être ni Bon ni Mauvais,
mais qui peut être hors catégorie.
14 Nous avons déjà parlé des individus qui exhibent la négation
d’une propriété caractéristique. Si nous revenons à
l’interprétation qui se fixe sur un singleton hors catégorie, et
si nous voulons maintenir la compatibilité de cette
interprétation avec l’interprétation «  la plupart des x, les x
normaux majoritaires  », nous devrons admettre que, s’il
existe un individu hors catégorie possédant telle propriété, il
n’existe pas d’individu hors catégorie possédant la négation
de cette propriété. Autrement dit, s’il existe un individu hors
catégorie quant au Bon, alors il n’existe pas d’individu hors
catégorie quant au Mauvais. On peut discuter cette thèse.
Elle semble nécessaire pour pouvoir lier normalité et

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indétermination, ce qui semble indispensable quand on


raisonne en incertitude. Quand on dit qu’une situation est
normale, cela ne veut pas dire qu’on sait exactement quelles
propriétés sont vraies de cette situation, mais bien plutôt
qu’on va pouvoir risquer des inférences qui partent de
l’indéterminé pour aller vers le vrai. Nous pourrions savoir
qu’un x appartient aux individus «  normaux  », sans savoir
quelle propriété caractéristique il exhibe. Nous saurions
cependant déjà que les individus qui exhiberaient la
négation de cette propriété ne seraient pas normaux. Par
ailleurs, pour ce qui est du mauvais, il nous semble que les
individus jugés les plus mauvais ne sont pas hors catégorie.
Cela voudrait dire qu’ils possèdent des propriétés
éventuellement à un degré limite et marginal par rapport
aux autres individus appartenant aux différents ensembles
«  normalement  » mauvais. Le Mauvais hors catégorie
pourrait donc être très proche d’être Bon sur bien des
propriétés. Ce n’est sûrement pas ce que nous voulons dire
quand nous disons qu’Hitler est exceptionnellement
mauvais4. Dans ce cas, nous affirmons qu’il est mauvais,
sans indétermination aucune.

Les grandes catégories d’émotions


15 Nous avons donc relié les trois structures de trivaluation
possibles au domaine esthétique et affectif, au domaine
aléthique et informatif, et au domaine normatif et évaluatif,
donc aux valeurs du beau et du laid, du vrai et du faux, et du
bien et du mal. Bien entendu il serait possible d’augmenter
le nombre de valeurs (ainsi les logiques de la « relevance  »
utilisent quatre valeurs, ce qui revient à distinguer
l’indéterminé épistémique, valeur la plus basse, et
l’indéterminé exceptionnel, valeur la plus haute, donc à
superposer la structure normative et la structure
informative  ; on aurait cinq valeurs si on superposait la
structure esthétique avec son indéterminé intermédiaire).
Mais cela ne semble pas nécessaire, puisque nous allons
pouvoir jouer sur des passages ou des transformations entre
les trois structures. En effet on voit que la structure qui pose
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l’indéterminé comme intervalle englobant permet des


passages avec les autres structures. Si cet indéterminé
déborde les deux intervalles juxtaposés vrai et faux, son
débord peut s’interpréter dans la structure du bien et du mal
comme correspondant à l’exceptionnel. De même, partant de
l’indéterminé intermédiaire de la structure du beau et du
laid, nous pouvons passer à cet indéterminé englobant, puis
revenir par sa détermination à la division du vrai et du faux5.
16 Et puisque les émotions, qui prennent sens par les
valuations qu’elles permettent, sont contraintes par ces
structures de valuation, nous devrions avoir trois sortes
d’émotions, les émotions affectives, les émotions
informatives, les émotions appréciatives. À l’intérieur des
émotions appréciatives, une sous-catégorie va se révéler
importante, et former comme une quatrième catégorie, selon
la règle bien connue des mousquetaires  : ce sera celle des
émotions « conatives ». Il va sans dire que cette présentation
qui apparaît a priori ne fait que rejoindre et organiser pour
les justifier des analyses qui sont parties de données
empiriques et ont tenté de les mettre en ordre.
17 Les émotions affectives sont des émotions qui permettent de
passer par un stade intermédiaire indéterminé, pour suivre
une évolution soit positive, soit négative. Du côté positif,
nous aurons le contentement, la joie, l’enthousiasme. Au
centre, nous aurons l’indifférence. Du côté négatif, nous
aurons l’insatisfaction, la tristesse, la douleur profonde. Les
émotions informatives, elles, partent d’une indétermination
globale pour la spécifier. Elles vont de pair avec des états
épistémiques, qui rendent vraie ou fausse telle proposition.
Mais l’aspect émotionnel de cette dimension informative ne
tient pas au vrai et au faux, il tient au passage du vrai au
faux, au passage de l’indéterminé au vrai ou au faux, ou
encore, au passage entre l’indéterminé du vrai et du faux à
celui des autres structures (l’exceptionnel ou
l’intermédiaire). On a ainsi l’émerveillement, l’étonnement,
la surprise, l’intérêt, l’ennui, la peur, la terreur, l’angoisse.
Dans les émotions appréciatives, nous allons aussi trouver
les émotions qui sont dirigées vers d’autres humains dans

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une interaction, et non pas dans une simple contemplation.


Ce sont les émotions conatives. On a ainsi le désir (en tant
qu’émotion), l’indifférence (relationnelle), la colère, ou
encore exceptionnellement la haine. Dans les émotions
appréciatives qui ont certes pour cibles des situations et des
individus, mais qui sont plus inactives, nous trouvons bien
entendu la désapprobation, le mépris, le dégoût ou,
inversement, l’approbation, l’admiration, la répulsion. Ces
listes ne prétendent évidemment pas être exhaustives. Nous
pouvons toujours déterminer de nouvelles catégories
d’émotions. Il suffit que nous puissions toujours les obtenir
en croisant les structures de valuation que nous avons mises
au jour. Et c’est d’ailleurs déjà le cas des différents degrés
d’émotions affectives, informatives ou appréciatives, que l’on
considère souvent comme des variations d’intensité. Nous ne
pensons pas qu’il soit nécessaire d’introduire dans les
émotions une dimension intensive, du moins quand nous
voulons non pas définir la qualité d’une émotion particulière
à un moment déterminé, mais catégoriser les émotions. On
obtient un équivalent suffisant de ces degrés, et plus précis,
plus signifiant, en partant d’une structure affective de
valuation, par exemple, et en utilisant ensuite un passage à
une autre structure, via l’indéterminé. Ce qui nous montre
au passage que les catégories d’émotions impliquent
toujours une dynamique, une transition d’un état
psychologique à un autre.
18 Ainsi dans l’indifférence, nous en restons à l’état
intermédiaire. Dans le contentement, nous partons d’un état
indéterminé affectivement, et donc intermédiaire, et la
variation de valuation se fait dans le sens positif. Dans la
joie, nous ne passons pas de l’état indéterminé à l’état
positif, nous restons dans l’état positif, ou bien notre
variation vers le positif se renforce. Le seul indéterminé que
nous pouvons côtoyer, ce serait donc le hors-catégorie de la
structure du Bon. Mais nous n’arrivons pas encore à ce
stade, nous en sommes seulement à cette part du hors-
catégorie qui est commune avec le bon «  normal  ». Dans
l’extase, nous avons fait ce dernier pas, et notre sentiment

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affectif positif passe à l’indéterminé hors catégorie du Bon.


On voit que nous pouvons obtenir les degrés supérieurs des
sentiments affectifs en oubliant l’indéterminé intermédiaire
de l’affectif pour en arriver à côtoyer l’indéterminé hors
catégorie du Bon. L’indéterminé global du vrai (il est vrai
que la situation a telles et telles propriétés) nous permet ce
transfert.
19 Nous pouvons descendre aussi de l’indifférence vers le
négatif. L’ennui consiste à ne pas pouvoir sortir de cette
indétermination de l’indifférence vers le positif  : les
tentatives de passer par l’indéterminé du vrai nous renvoient
à l’indéterminé affectif au lieu de nous propulser vers
l’indéterminé du Bon. L’insatisfaction est bien entendu le
symétrique négatif du contentement. La tristesse, le
symétrique négatif de la joie. Dans la douleur profonde, on
pourrait voir le symétrique négatif de l’enthousiasme. Mais,
c’est un point à discuter, car, on l’a vu, s’il y a du Bon hors
catégorie, il ne semble pas y avoir de Mal hors catégorie. Ce
qui est Mauvais possède bien les propriétés mauvaises et pas
de façon marginale. Comment donc introduire une
différence de degré dans le Mauvais ? Il nous suffit en fait de
procéder à un décalage de la structure affective du bon, de
l’indifférent, et du mal par rapport à la structure évaluative
du Bon et du Mal. Si nous mettons l’indifférent en face du
Mal, alors le mal de la structure affective devient pire que le
Mal. Le degré le plus négatif de nos émotions affectives ne
tiendrait donc pas à une évolution vers le Mauvais, mais à
une sorte de décalage vers le bas de toute la structure
affective. L’indéterminé affectif, le point zéro, est
maintenant calé sur le Mauvais, par référence à la structure
évaluative (ce qui peut se faire toujours en passant par
l’indéterminé englobant de la structure informative), et le
mal de la structure affective est donc au tréfonds du
Mauvais. Ce qui expliquerait que la douleur profonde à la
fois nous rende indifférents à des maux mineurs, et traite les
choses indifférentes ou positives comme toujours
désespérément négatives. Ce ne serait pas l’effet de quelque
drogue mentale sécrétée par la douleur, mais simplement

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une position évaluative cohérente avec la position de douleur


profonde.
20 Venons-en aux émotions informatives. La surprise semble
couvrir des émotions à structures différentes selon les
circonstances. Il y a la surprise vraiment cognitive qui tient à
ce que ce qui était cru vrai se révèle faux, ou inversement.
Mais il y a aussi la surprise qui ne contredit pas vraiment des
croyances, la surprise perceptive d’un mouvement brusque,
par exemple. Celui qui est surpris n’était pas alors dans une
« humeur » informative, mais dans une humeur affective qui
pouvait tout simplement correspondre à l’indéterminé. Il
passe à un indéterminé informatif qui se révèle un
indéterminé hors catégorie, puis est réintégré dans le cours
des événements et enregistré comme vrai, tandis qu’on
revient à l’indéterminé affectif. On a alors la surprise
soudaine. L’étonnement peut suivre ce même scénario, mais
être soit positif soit négatif, c’est-à-dire revenir à des états
affectifs positifs ou négatifs, et non pas indifférents.
L’émerveillement présuppose une surprise qui est déjà
revenue à l’enregistrement du vrai, puis à un état affectif
positif, mais il revient encore au hors-catégorie, pour revenir
au vrai, etc. Il exige qu’il reste toujours de l’indéterminé à
consommer dans ces va-et-vient, alors que la surprise a
consommé son indéterminé quand elle en revient au vrai.
L’intérêt consiste à utiliser l’indéterminé englobant de la
structure informative comme équivalent à l’indifférence de
la structure affective, ce qui fait que le passage vers le vrai,
vers la détermination, devient équivalent à un passage vers
le bon. L’ennui est l’opération inverse, qui consiste à passer
de la détermination du vrai à l’indéterminé englobant qui se
révèle indifférent : il y a donc dégradation relative, puisqu’on
est passé de la valeur supérieure de la structure informative
à la valeur intermédiaire de la structure affective.
21 Si on passe aux émotions informatives négatives, on
trouvera la peur. On est dans une indétermination
informative, et la variation va vers une détermination
affective (ou appréciative) négative. Pour avoir peur d’un
chien, il faut ne pas savoir ce qu’il va faire, et cependant

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s’attendre à ce qu’il nous crée des ennuis. Dès que nous


sommes certains de ce qui nous arrive (le chien nous a
mordu) nous ne nommons plus cela de la peur. Le fait de
savoir que le chien est dangereux ne suffit donc pas pour en
avoir peur, il faut encore, par exemple, que nous ne sachions
pas quand il attaquera et que nous nous mettions cependant
déjà dans une situation affective négative. L’angoisse est la
saisie d’une situation informative indéterminée comme
situation affectivement négative en tant que situation
indéterminée. La terreur n’est pas l’attente d’une situation
négative affective hors catégorie. Elle ne procède pas non
plus d’un décalage de l’échelle du mal affectif par rapport au
mauvais appréciatif, comme la douleur. Elle utilise plutôt la
superposition du mal effectif, de l’indéterminé informatif, et
du hors-catégorie appréciatif. Nous sommes dans une
situation mauvaise affectivement, en même temps
qu’indéterminée (nous ne pouvons pas clairement
déterminer ce qui est vrai ou faux) et, de plus, cette
indétermination est hors catégorie. Être terrorisé, ce n’est
pas considérer une situation déterminée comme mauvaise
hors-catégorie. C’est ici seulement, par le biais de
l’indétermination informative, que nous pouvons retrouver
le hors-catégorie de la structure appréciative. Une fois de
plus nous voyons que les émotions négatives intenses ne
consistent pas à retourner le Bon hors catégorie en Mauvais
hors catégorie. Dans quelle mesure ces brèves descriptions
d’émotions (ainsi que les descriptions d’expressions qui vont
suivre) valident-elles notre hypothèse ? Notre but, on l’a vu,
est simplement de construire une sorte de petite machine à
produire des catégorisations quelconques d’émotions, à
partir de ce point de passage obligé pour les émotions que
sont les valuations. Il nous suffit donc de pouvoir produire
les catégorisations des émotions connues, et qu’on ne puisse
pas trouver de contre-exemple qui ne pourrait se
reconstruire ainsi. Démontrer ce dernier point semble
inaccessible. Nous pouvons seulement corroborer notre
thèse (qui est en fait proche d’une tautologie) en montrant

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que les expressions peuvent aussi se construire de cette


manière et se relier aux émotions déjà construites.

La structuration des expressions


22 On voit sur ces exemples comment nous construisons nos
catégories émotionnelles en jouant sur les passages entre les
structures de valuation. Pour ne pas être trop long, nous
allons passer directement à l’étude des expressions, et c’est
par elles que nous aborderons les émotions appréciatives et
conatives. Si nous restons en cohérence avec notre
hypothèse que les émotions sont simplement les
développements des structures de valuation possibles, et que
ces structures de valuation s’incarnent dans les réalisations
physiologiques des émotions, ces structures doivent aussi et
avant tout s’incarner dans les expressions, qui sont les
moyens par lesquels nous pouvons transmettre nos
valuations aux autres, et interpréter celles des autres.
23 Dans notre étude des expressions (nous nous bornerons ici
aux expressions faciales), nous n’avons pas besoin de
supposer que tel ensemble d’expression de la face marque
telle émotion dans toutes les cultures. En effet, comme on
peut créer les catégories d’émotions que l’on veut, à
condition de les construire en cohérence par rapport aux
structures de valuation, il n’y a pas de raison pour que les
différentes cultures aient toutes les mêmes catégories
d’émotions, et donc les mêmes expressions. Ce qui compte,
c’est que nous utilisions notre panoplie de variations des
traits de la face de manière cohérente avec les structures de
valuation, et donc de manière cohérente avec les catégories
émotionnelles que nous avons décrites. Mais nous verrons,
dans notre étude de la reconnaissance de l’intentionnalité à
partir des expressions d’autrui, que nous pouvons en
quelque sorte superposer des expressions, puisque les
expressions sont des variations dynamiques, et qu’une
configuration de traits peut donc prendre des sens différents
si on fait varier la configuration de traits qui la précédait. Il
reste que même des «  masques  » statiques ont des

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expressions, déterminées par leurs variations par rapport à


des positions du visage au repos.
24 Les structures de valuation imposent leurs contraintes : à la
structure de valuation affective doit correspondre la
possibilité de partir d’une expression indifférente pour la
modifier positivement ou négativement. Les émotions
informatives, on l’a vu, exigent de disposer d’une marque de
passage entre l’indéterminé affectif, l’indéterminé informatif
et l’indéterminé hors catégorie. Les émotions appréciatives
récusent la possibilité d’un indéterminé affectif, et doivent
marquer l’indéterminé hors catégorie. Au sein des émotions
appréciatives, les émotions conatives, qui marquent une
impulsion motrice, parfois réfrénée, vers autrui, doivent
donc marquer cette particularité motrice. Et bien entendu
toutes les émotions (qu’elles soient affectives, informatives,
appréciatives) doivent pouvoir marquer la différence entre
positif et négatif. Comme les trois structures peuvent se
superposer via l’indéterminé de la structure informative,
redéfini selon les autres indéterminés, il est de plus probable
que les modes d’expression de l’indéterminé seront
communs entre l’indéterminé informatif et l’indéterminé
affectif – avec une différenciation pour l’indéterminé
exceptionnel qui devrait être commune aux différentes
expressions affectives, appréciatives et informatives, quand
elles s’étendent à l’indéterminé exceptionnel par
superposition avec cet indéterminé de la structure
appréciative.
25 Pour les émotions affectives, nous disposons bien sûr de la
différence entre une position à peu près horizontale des
lèvres et des sourcils, et les variations qui consistent à en
lever ou en abaisser les extrémités externes. Pour les
émotions informatives, nous disposons de l’ouverture des
yeux, du relèvement des sourcils, qui indique la sortie d’un
état indéterminé, et peut être précédé d’une tentative de
détermination, qui va au contraire avec des sourcils
légèrement froncés et le rétrécissement des yeux. Selon que
l’on passe à une attente vérifiée ou une attente falsifiée, le
plissement du front va cesser ou s’accentuer, les sourcils se

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rapprochant quand il y a falsification. L’ouverture de la


bouche nous fait passer à l’indéterminé hors catégorie, et on
la retrouve bien sûr dans les émotions appréciatives, ce qui
montre bien que l’indéterminé informatif permet de passer à
l’indéterminé exceptionnel.
26 Pour les émotions appréciatives, nous disposons de la moue
qui fait avancer les lèvres, ainsi que de la différence entre des
paupières qui se lèvent et se détendent, et des paupières qui
se tendent et se rapprochent l’une de l’autre verticalement ;
ainsi que de la modification des plis partant des ailes du nez,
qui deviennent plus tendus et plus verticaux, dans le cas
d’appréciations négatives. Dans les émotions conatives, dans
la colère et le désir, les narines sont plus ouvertes. Pour la
colère, nous disposons du serrement des mâchoires, du
rétrécissement des yeux (commun aux mimiques d’attention
et de focalisation), du rapprochement des sourcils froncés,
de la tension des paupières ; pour le désir d’une moue qui se
centre vers l’objet du désir, des yeux qui s’élargissent, alors
même que les paupières restent tendues. Bien entendu nous
pouvons combiner ces différents traits, de même que nous
combinions les différentes structures de valuation pour
rendre positives ou négatives les émotions informatives ou
appréciatives6.
27 Ainsi le contentement va bien sûr se traduire par le
relèvement des coins de la bouche, la tristesse par leur
abaissement, accompagné de celui des sourcils. L’extase, qui
utilise aussi l’indéterminé hors catégorie de la structure
appréciative, va donc agrandir les yeux. La douleur
profonde, en revanche, ne peut pas utiliser les expressions
dévolues à ce hors catégorie  ; et, puisqu’elle suppose que
l’indifférent affectif s’est décalé vers le bas de l’appréciatif,
on va avoir une moue appréciative avec les coins de la
bouche abaissés, les sourcils pouvant rester indifférents ou
s’abaisser comme dans la tristesse. La surprise se traduit par
l’ouverture des yeux (qui marque le passage de l’indéterminé
affectif à l’indéterminé informatif), puis par le haussement
des sourcils, qui va avec l’agrandissement des yeux  ; elle se
réfère enfin, par l’ouverture de la bouche, à l’indéterminé

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hors catégorie, du sein de l’indéterminé informatif.


L’étonnement va pouvoir introduire des nuances positives
ou négatives en se mixant avec les signes de joie ou de
tristesse ; l’émerveillement se manifeste simplement par les
mêmes signes qu’un étonnement positif, mais l’expression
dure bien plus longtemps. Nous pouvons d’ailleurs marquer
les alternances entre l’attitude qui tranche un indéterminé
informatif, et celle qui reconnaît la situation comme hors
catégorie, par le passage des sourcils plus froncés et des yeux
plus rétrécis, indiquant une concentration dans
l’identification, aux sourcils relevés et aux yeux élargis, puis
à la bouche ouverte, qui indique le hors catégorie. La peur
commence à abaisser ou à rétracter les coins de la bouche
ouverte, selon que c’est une peur affective ou appréciative
(c’est-à-dire plus proche du dégoût). Les sourcils et le front
sont froncés vers le haut comme dans la surprise. L’angoisse
ne semble pas avoir d’expressions différentes de la peur,
sinon qu’elle peut crisper les traits (les sourcils en
particulier), ce qui est un signe d’indétermination
informative – on cherche encore à inspecter
l’environnement-, et laisser alors la bouche fermée. La
terreur agrandit les yeux et ouvre la bouche (manifestant que
l’indétermination est hors catégorie) mais en crispant les
sourcils (indéterminé informatif)  ; elle reprend en plus
accentués les signes de la peur (situation mauvaise
affectivement, mais dans le domaine de l’informatif).
28 Les émotions appréciatives (désapprobation, dégoût,
approbation, enthousiasme) exigent de récuser l’état
d’indifférence et de marquer une position vis-à-vis d’une
situation, soit pour le Bon, soit pour le Mauvais. De plus,
nous pouvons, dans l’enthousiasme, considérer que nous
sommes passés du Bon à l’indéterminé hors catégorie. En
revanche notre dégoût pour le Mauvais exige de passer par
l’indéterminé informatif (nous ne savons pas comment le
classer) pour transformer ce hors-catégorie, devenu
inversable parce que indéterminé général, en mauvais
affectif. Aussi dans le dégoût notre moue va-t-elle non
seulement rétracter les coins des lèvres (signe d’évaluation

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négative) tout en agrandissant les yeux (signe


d’indétermination informative), mais aussi abaisser les coins
rétractés (signe du mauvais affectif), et ouvrir légèrement la
bouche (signe d’indétermination appréciative).
29 Cette analyse pourrait donner à penser qu’à chaque type
d’indéterminé, de bon ou de mauvais, correspond un signe
expressif, et qu’on a donc affaire à une sorte de code
assurant une correspondance terme à terme. Il n’en est rien :
les signes d’expressions sont toujours relatifs. Si on prend
comme signe d’indifférence affective la position neutre de la
bouche, et comme signe positif le relèvement du coin des
lèvres, alors il est possible de prendre l’ouverture de la
bouche comme passage à l’indéterminé informatif et la
rétractation des coins de la bouche comme indice négatif
appréciatif, etc. Mais on aurait pu prendre un autre point de
départ et suivre un autre cheminement. L’hypothèse à tester
est que les systèmes d’expressions, quand ils diffèrent d’une
culture à l’autre, satisfont cependant les contraintes des
structures d’évaluation (soit les émotions sont déterminées
de la même façon, et seules les expressions diffèrent ; soit les
catégories d’émotions et les expressions sont différentes,
auquel cas on doit pouvoir relier telle nouvelle catégorie
d’émotion à telles contraintes d’évaluation et donc à telles
contraintes de répartition des expressions).
30 Pour terminer, notons que l’approbation va se traduire par
une moue aux coins plutôt relevés, que l’enthousiasme va
accompagner cette moue de l’élargissement des yeux et de
l’ouverture de la bouche. Les émotions conatives, la colère et
le désir, vont se manifester par des narines ouvertes, puis
par l’opposition entre une centration de la moue, qui pointe
vers l’objet du désir et un serrement des mâchoires les
rendant plus larges, ainsi que par l’opposition entre des
sourcils détendus et des sourcils froncés. La moue serrée est
retirée par rapport à l’objet de notre colère, mais la mâchoire
est plus pointée vers lui. Les sourcils sont de plus froncés
dans la colère, accentuant l’effort d’identification. Ils ne sont
pas pour autant détendus dans le désir, car il est aussi centré
sur un objet bien identifié. Toute indétermination affective

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est exclue : la bouche ne peut plus être indifférente, puisque


la position neutre de ses coins est oblitérée par sa tension
(moue ou lèvres serrées)  ; il en est de même pour les
sourcils. Seule peut subsister l’indétermination du hors-
catégorie, qui pourra se traduire par l’élargissement des yeux
aussi bien que par l’ouverture de la bouche dans le cas du
désir. La colère, elle, lie ouverture de la bouche et
rétrécissement des yeux. Comme l’ouverture de la bouche,
qui marque l’exceptionnel, marque aussi la communauté
entre indéterminé informatif et appréciatif, on voit que pour
pouvoir marquer l’exceptionnellement mauvais (dans la
colère), il faut utiliser une expression qui est aussi
informative. C’est donc toujours en passant par
l’indéterminé informatif que le mal peut devenir
exceptionnel. Mais notre jeu d’expression a pratiqué ici une
économie, car c’est aussi le cas pour l’exceptionnel positif !

Reconnaissance d’intentionnalité et
apprentissage des catégories d’émotions
31 Si un chien vous montre les dents, vous pensez qu’il a peur
de vous ou qu’il est en colère, mais que dans tous les cas son
émotion vous vise. Il se pourrait cependant que cette
mimique n’ait pas de contenu intentionnel. Pour qu’elle en
ait un, il faudrait qu’elle se rapporte à vous (ou à un objet, ou
à une situation) à travers un certain mode de présentation,
et que changer le référent ou le mode de présentation change
le contenu. Or il est possible que le chien sente une odeur
étrangère, et qu’il ne se réfère à rien de précis par cette
odeur, ou encore qu’il se réfère bien à vous comme source de
l’odeur, mais qu’elle ne lui suggère aucun aspect (de danger)
particulier. Si bien qu’il aurait une réaction réflexe, mais
sans contenu intentionnel. Il pourrait même «  vouloir  »
montrer les dents, cela n’impliquerait pas forcément un
contenu intentionnel, si son impulsion n’est pas dépendante
de tel aspect qu’il vous prête.
32 Pour démontrer la présence d’un contenu intentionnel, il
faut donc non seulement montrer qu’un animal est sensible
à un référent, à des termes, mais qu’il est sensible à ces
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termes sous une certaine relation entre eux (ici, un mode de


présentation qu’il nous prête). Pour cela une stratégie a été
mise au point par Premack et Woodruff (1978), et
développée par Thompson (1993), à propos des chimpanzés.
Il faut que la relation (ou le mode de présentation) soit
reconnue non seulement quand elle est lisible sur les formes
de signaux de surface, mais quand les similitudes dont sont
porteurs les signaux de surface vont à l’inverse de la relation.
Ainsi quand un chimpanzé apparie les deux lettres A et A, la
mise en relation peut se réduire simplement à une
similitude, une mise en correspondance physique. Mais pour
être capable de mettre ensemble EF et CD, par exemple, il
faut qu’il parte de non-similitudes, qu’il conclue que E et F
sont différents, tout comme C et D sont différents, donc qu’il
établisse une relation de second ordre, un appariement entre
différentes paires hétérogènes. De même pour mettre
ensemble AA et EE, il faut qu’il ne s’arrête pas à la non-
similitude entre A et E, mais découvre une relation de
second ordre, un appariement des paires homogènes
différentes. Nous aurons alors toutes les raisons de penser
que notre chimpanzé est capable de se représenter des
relations. Nous pourrons dire qu’il se représente les
référents que constituent les paires EF et CD sous le mode de
présentation : « relation d’appariement de différentes paires
hétérogènes  ». En règle générale, pour démontrer la saisie
de relations, donc de modes de présentation, il faut tester la
saisie de relations de second degré, qui exigent une réponse
en sens inverse d’une relation de similitude obtenue par
simple superposition de patterns perceptifs, et dans le même
sens qu’une relation de second degré.
33 Supposons donc qu’autrui arbore une certaine expression A,
et nous aussi. Maintenant autrui change et adopte
l’expression B, alors que nous engageons un certain
comportement C. Nous maintenons l’expression A, qui
devrait, par similitude de premier rang, restaurer
l’expression A chez autrui. Mais autrui maintient son
expression B. Il résiste donc à un simple appariement des
expressions par similitude, par simple résonance entre

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expressions. Nous pouvons en faire la contre-épreuve, si


nous tentons, nous, d’aller dans le sens de l’expression
nouvelle d’autrui, d’aller de A vers B par similitude, et qu’il
accentue alors sa différence, allant de B vers B’. Comme
l’hypothèse  : «  à expressions semblables, expressions
semblables » ne marche pas, nous envisageons l’hypothèse :
«  à comportements différents, expressions différentes  ».
Nous pouvons alors faire l’hypothèse qu’il apparie
l’expression B et notre entrée dans le comportement C.
Comment tester cette hypothèse  ? En proposant un
comportement D différent qui devrait entraîner aussi un
changement d’expression.
34 Quelles sont les contraintes de cette nouvelle épreuve  ? Il
faut que nous nous montrions capables tous les deux
d’apparier deux paires homogènes différentes et d’apparier
deux paires hétérogènes différentes, cela en jouant sur les
changements d’expression et les changements de
comportement. Il nous faut en fait pouvoir lier un des
appariements au non-changement de comportement, et
l’autre au changement de comportement. Mais il faut aussi
que, dans chaque appariement, nous puissions respecter la
contrainte qui est que cet appariement ne se fait pas selon
une résonance immédiate entre expressions. Dès lors nous
pourrons rétrospectivement apparier les paires qui
correspondent au non-changement de comportement, à
savoir deux similitudes (homogènes) différentes  : la
similitude que notre expression B prétend avoir avec
l’expression B d’autrui, la similitude que présente
l’expression B’ d’autrui avec son expression B préalable,
malgré le changement. Ces deux similitudes sont différentes,
puisque mon expression B résulte d’un changement de
modalité d’expression (par exemple un passage d’un type
d’émotion à un autre) alors que l’expression B’ d’autrui
résulte simplement d’un renforcement d’une expression
demeurant dans le même style. Il faut de même que nous
puissions, en les reliant au changement de comportement,
apparier deux paires hétérogènes différentes, en l’occurrence
un changement de mon expression, et un changement

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d’expression d’autrui. Là encore, il faut respecter la


contrainte de non-résonance immédiate. Ainsi, supposons
que mon changement de comportement fasse que
l’expression d’autrui devienne positive au lieu de négative,
tout en demeurant dans un type d’expression, le type
appréciatif  ; il faudra alors que mon changement
d’expression ne mime pas ce changement-là, donc ne passe
pas de l’appréciatif négatif à l’appréciatif positif, mais
revienne par exemple de l’appréciatif négatif à l’affectif
positif.
35 Nous aurons pu ainsi non seulement réaliser un
appariement de second ordre des différentes paires
homogènes et un appariement de second ordre des
différentes paires hétérogènes, mais aussi un appariement
de troisième ordre entre ces deux appariements, puisque
nous aurons relié ces deux appariements au changement de
comportement. Une fois toutes ces conditions réunies, la
relation de troisième ordre – « à comportement qui change,
expression qui change » – est donc bien établie, et avec elle
le fait que l’expression d’autrui visait notre comportement
initial, et que son changement est corrélé à notre
changement de comportement, donc que ce comportement
était le référent visé à travers le mode de présentation
évaluatif que constitue cette expression, ce qui est une
preuve d’intentionnalité. La preuve que l’expression d’autrui
visait quelque chose, nous la trouvons dans le fait qu’elle ne
se laisse pas modifier par résonance, et qu’elle s’inscrit dans
des appariements de second ordre. La preuve que c’était
notre comportement qu’elle visait nous est donnée par la
possibilité de corréler par ce changement de comportement,
dans une relation de troisième ordre, les deux appariements
de second ordre.
36 Pour que tout cela soit possible, il faut que nous puissions
définir ce que signifie la modification d’une expression en
sens inverse d’une autre expression, et que nous puissions
faire la différence entre une modification de simple degré
dans un même type d’expression, et une modification par
changement de type d’expression  ; que nous puissions

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prétendre que l’expression est appréciative  ; et que nous


puissions identifier comme similaires (parallèles et de même
sens ou de sens contraire) les expressions d’autrui et les
nôtres. Sur ce dernier point, la neurophysiologie nous donne
quelques lumières. Rizzolati et son équipe (1992) ont montré
que le même neurone qui s’active quand un singe prend un
petit objet entre le pouce et l’index s’active de la même façon
quand ce singe voit un expérimentateur ou un autre singe
accomplir le même mouvement de pince. Nous pouvons
donc penser que les neurones moteurs ont un double rôle  :
ils sont activés dans le mouvement du sujet, ils sont aussi
activés pour interpréter la perception des autres sujets. Dès
lors il est naturel qu’en voyant des expressions et des
changements d’expression chez autrui nous puissions les
interpréter en activant les neurones moteurs qui nous
permettent de déclencher les mêmes expressions. Quant aux
deux premiers points, il nous suffit de renvoyer à notre
analyse des expressions et des structures de valuation. Nous
savons que certaines expressions (en particulier celles qui
impliquent une moue) sont appréciatives (au sens
simplement où elles sont en cohérence avec la structure qui
a cette fonction, par rapport aux deux autres structures, ce
qui ne présuppose pas l’intentionnalité d’une évaluation au
sens propre). Nous savons aussi comment définir
l’orientation de l’évolution d’une expression, par exemple de
l’indifférence vers le positif, ou vers le négatif, de
l’indéterminé affectif vers l’indéterminé informatif ou vers
l’indéterminé hors catégorie, etc., et nous disposons de trois
structures de valuation, affective, informative, appréciative,
qui permettent la différenciation entre trois types
d’expressions.
37 Il ne nous reste plus qu’à donner quelque contenu concret à
notre scénario précédent. Imaginons qu’un enfant soit
engagé dans un comportement  : il mange sa bouillie.
Expression bienveillante de la mère  : un sourire de
contentement. L’enfant se met à taper avec sa cuiller dans la
bouillie, éclaboussant son alentour. L’expression de la mère
se mue en désapprobation : moue avec rétraction du coin des

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04/04/2022 23:23 La couleur des pensées - Évaluation et apprentissage des émotions - Éditions de l’École des hautes études en sciences soc…

lèvres et froncement des sourcils. L’enfant peut tenter de


tester si cette expression est accessible par simple
similitude  : il modifie sa propre expression précédente, qui
était de contentement, en l’orientant vers l’expression de la
mère. Il ne change pas de comportement, mais passe à la
moue dite de «  bouderie  », qui est un mixte entre une
expression affective passée à l’indifférence et une expression
appréciative qui va vers la désapprobation. L’enfant a donc
fait la moitié du chemin vers l’expression de la mère, tentant
ainsi une similitude. La mère renforce alors son expression
de désapprobation, s’orientant même vers l’expression de
colère ou de dégoût, et donc refusant de faire, elle aussi, la
moitié du chemin. L’enfant change de comportement, il
cesse de taper avec sa cuiller. En même temps, il change son
expression. Au lieu de bouder, il prend une mine
«  contrite  », qui consiste à réorienter son expression en la
tirant vers la tristesse affective (c’est une moue avec les coins
de la bouche baissés, et, contrairement à la moue de
bouderie, on lève les yeux vers le partenaire au lieu de
systématiquement éviter son regard). La mère modifie alors
son expression de désapprobation non pas en suivant cette
réorientation vers l’affectif, mais en passant à une expression
d’approbation, donc en restant dans l’appréciatif. Et c’est
seulement alors qu’on peut revenir au contentement mutuel
initial.
38 Une fois que l’enfant a changé de comportement, il peut
donc interpréter rétrospectivement ce qui précédait comme
un appariement entre différentes paires reliées par
similitude. Son expression changeait du registre affectif au
registre appréciatif, et il tendait à imiter autrui. L’expression
de sa mère se renforce, mais elle reste dans le même registre.
Ainsi le comportement maintenu apparie bien deux
similitudes. Et la contrainte de non-résonance est
évidemment vérifiée, puisqu’à un changement d’expression
de l’enfant qui va dans le sens de l’expression de la mère, la
mère répond par un changement d’expression (dans le
même registre), au lieu soit de maintenir la même
expression, soit de changer en allant vers l’expression de

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l’enfant. Le comportement changé, au contraire, apparie


deux différentes paires hétérogènes  : l’expression
appréciative de la mère s’inverse du positif au négatif, et
l’expression de l’enfant passe de sa tentative appréciative
négative au registre affectif négatif. La contrainte de non-
résonance est cependant toujours satisfaite. Et bien entendu,
la relation de changement de comportement permet d’établir
la relation de troisième ordre entre ces deux appariements.
39 On peut éprouver ce scénario en imaginant les pannes, les
fausses manœuvres qui peuvent se produire, et qui feraient
échec à l’introduction et à la reconnaissance de
l’intentionnalité des expressions. L’enfant peut se mettre
tout de suite à pleurer, donc rester dans le registre affectif,
sans jamais atteindre le registre appréciatif. Il peut aussi se
mettre en colère, donc imiter la colère de sa mère, et il
revient là encore à un comportement fondé sur la similitude.
Enfin la mère peut dès le premier signe de contrition revenir
à la tendresse. Elle ne fait là encore que se mettre en
résonance avec la nouvelle tendance de l’expression de
l’enfant, qui revient de l’appréciatif vers l’affectif. Mais alors
la reconnaissance de l’intentionnalité n’est pas confirmée.
40 Notons au passage que l’étude de ce scénario nous montre
que nous sommes capables d’expressions «  superposées  »,
ou encore d’expressions de transition entre une expression
appréciative et une expression affective, par exemple. Il ne
faudrait pas en conclure que les expressions peuvent se
composer, qu’on peut construire une expression complexe
en prenant un trait d’une expression appréciative, un trait
d’une expression affective et un trait d’une expression
informative. Les expressions pas plus que les émotions ne
sont compositionnelles. Leur sens est contextuel. Une
variation infime d’abaissement du coin des lèvres et nous
voilà repartis vers l’affectif négatif, mais cela n’est valable
que si nous partions de l’indifférence. La même inclinaison
du coin des lèvres jointe à une forte moue peut simplement
manifester la colère et le dégoût au lieu de manifester la
tristesse. Ainsi des variations marginales prennent des effets
très différents selon les valeurs déjà en cours. Il en est un

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peu comme dans un système connexionniste où une


variation des poids sur les connexions entre les unités peut
avoir un sens et un effet très différents selon ce que valent
déjà les autres connexions, et où précisément on peut
«  superposer  » les différentes valeurs correspondant à
différents traitements des informations.
41 On peut se demander pourquoi nous ne nous satisfaisons
pas d’une simple « contagion » des émotions par mimétisme
des expressions, alors qu’elle semble universellement avérée.
On peut déjà catégoriser les émotions simplement en
apprenant à imiter les expressions des autres. Mais si nous
en restions là, nous ne pourrions pas différencier la
communication par mimétisme de la communication
intentionnelle. Nous nous priverions donc de la possibilité
de transformer les simples structures de valuation des
expressions en véritable évaluation intentionnelle. Nous ne
pourrions plus comprendre comment les expressions
émotionnelles nous permettent de distinguer un simple
geste « expressif », au sens où il ne vise personne, d’un geste
« ostensif » et communicationnel, et nous ne pourrions pas
comprendre comment les valuations des proto-émotions et
des émotions peuvent donner à des jugements leur
dimension évaluative, comment on peut passer des émotions
aux valeurs.
42 On voit ainsi qu’en apprenant à catégoriser les émotions
dans ces dialogues d’expression, on apprend aussi à repérer
les intentionnalités, et à construire des évaluations. Cet
apprentissage comporte donc plusieurs strates. D’une part,
nous apprenons à différencier les expressions émotionnelles
selon les trois structures de valuation. D’autre part, au fur et
à mesure que cette différenciation devient plus précise, nous
pouvons l’utiliser pour développer le dialogue évaluatif que
nous venons d’analyser, et donc pour identifier les
intentionnalités d’autrui à notre égard. Nous pouvons donc
échapper à ce qui semble une circularité entre la notion
d’intentionnalité et la notion d’apprentissage. On suppose en
effet habituellement que l’apprentissage présuppose
l’intentionnalité, puisqu’il faut pouvoir identifier un objet

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sous un aspect pour apprendre quelque chose sur cet objet


(il faut pouvoir distinguer l’aspect pertinent d’un autre
aspect non pertinent). Mais pour apprendre des structures
de valuation, nous devons simplement pouvoir édifier des
classifications ou des partitions, puis devenir capables, sur
les mêmes situations, de produire des types de partition
différents. Cela n’implique pas encore l’identification d’un
aspect, d’un mode de présentation au plein sens du terme.
Les structures de valuation en question n’ont pas encore de
«  sens  ». Mais une fois dégagées, elles permettent de
confirmer l’intentionnalité évaluative des expressions, et de
les faire porter sur tel comportement. La conjonction de
l’intentionnalité encore très diffuse des expressions et d’un
comportement précis permet donc de parvenir à une
véritable notion d’aspect ou de mode de présentation,
puisque c’est maintenant le comportement qui est visé, et
qu’on va pouvoir encore raffiner sur les propriétés de ce
comportement qui suscitent l’évaluation, tout simplement en
tentant différents changements de comportement.
43 Les expressions émotionnelles permettent donc de faire par
degrés l’apprentissage de l’intentionnalité, en éliminant
l’apparente circularité entre ces deux termes. Ce faisant,
nous apprenons aussi les catégories culturelles des
émotions : nous commençons par repérer les expressions qui
sont liées à des structures de valuation différentes, puis nous
apprenons à passer d’une structure de valuation à une autre,
et à réaliser ainsi des mélanges expressifs qui sont identifiés
comme autant de catégories émotionnelles différentes. Mais
notre vocabulaire de catégories émotionnelles est
évidemment dépendant de ces dialogues où les expressions
deviennent le véhicule d’intentionnalités et d’évaluations. Si
bien qu’en apprenant les catégories émotionnelles d’une
culture, nous apprenons aussi ses modes d’évaluation, et
finalement ses valeurs.

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Notes
1. Les changements à court terme ont une fonction informative  : ils
permettent à nos neurones de devenir les substrats de représentations ;
les changements à long terme définissent des «  humeurs  », selon par
exemple des cycles maniaco-dépressifs.
2. Les tentatives de trouver des profils hormonaux et
neurophysiologiques pour des émotions de base comme la peur et la
colère restent intéressantes. Mais quels que soient ces profils
physiologiques, ils doivent être compatibles avec cette contrainte logique
et psychologique d’un minimum de trois valuations.
3. V et F sont simplement les noms d’une valeur, et ne correspondent pas
forcément au vrai ou au faux. Nos valeurs pourraient être 0, 1 et 1/2.
4. Il semble en revanche que le personnage de Don Juan corresponde
bien à ce mauvais «  hors catégorie  » puisque, par bien des côtés, il est
sympathique, malgré la condamnation divine. Molière en fait même un
homme qui fait parler sa nature normale plutôt que de se soumettre à
des règles hypocrites. Mais nous voyons alors que ce « hors catégorie » a
bien le statut de l’Indéterminé supérieur au Bon, et non pas de l’individu
supérieurement mauvais. On pourrait dire que le personnage de Don
Juan implique le bouclage de notre structure : l’individu hors catégorie,
supérieur au bon par certains traits, est un individu mauvais par
d’autres. Mais il n’est toujours pas exceptionnellement mauvais, au sens
d’un individu qui n’aurait pas un trait de bon.
5. Nous disposons en fait de trois façons de définir un degré inférieur du
mauvais, par des passages d’une structure à l’autre  : 1) entre structure
affective et structure évaluative  : nous décalons la structure affective
(F<I<V) en mettant son indéterminé en correspondance avec le mauvais
de la structure évaluative (F<V<1)  ; 2) entre structure informative et
structure affective  : nous assimilons l’indéterminé englobant informatif
(I<F<V), mais dans sa partie qui se spécifie en mauvais, avec
l’indéterminé intermédiaire affectif (F<I<V), ce qui revient en pratique à
un décalage semblable au précédent, mais cette fois en passant de la
structure informative à la structure affective  ; 3) entre structure
évaluative et structure informative  : nous assimilons l’indéterminé hors
catégorie (F<V<I) avec l’indéterminé englobant (1<F<V), et en

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maintenant cette assimilation, nous nous portons vers la région de cet


indéterminé qui peut se spécifier en mauvais.
6. Pour le repérage des traits liés aux différentes expressions, nous nous
référons aux travaux de Ekman et Friesen (1984). On y voit qu’aucun
trait n’est propre strictement à une expression d’émotion, mais que ce
sont des regroupements à chaque fois différents de traits qui permettent
de reconnaître les émotions. Ce «  coarse coding  » ou codage distribué
est tout à fait compatible avec les structures de valuation. Ce que ces
structures exigent, c’est simplement de pouvoir déterminer l’orientation
de variations (de mauvais à indéterminé, ou de mauvais à bon, ou
d’indéterminé à faux ou vrai, etc.). Ces variations peuvent être codées de
façon distribuées par l’atténuation de l’importance de tel trait au profit
d’un autre dans un groupe de traits. Un tel codage distribué peut
d’ailleurs utiliser l’économie d’expressions que permet la superposition
des trois structures via l’indéterminé, ce qui permet d’utiliser des traits
semblables pour l’exceptionnel (emprunté à la structure appréciative)
dans les trois types d’émotions, à savoir l’ouverture des yeux et de la
bouche.

Auteur

Pierre Livet

Professeur de philosophie à
l’université de Provence.
Du même auteur

L’enquête ontologique, Éditions


de l’École des hautes études en
sciences sociales, 2000
Ontologie phénoménale et
connecteurs linéaires in
Logique, dynamique et
cognition, Éditions de la
Sorbonne, 2007
https://books.openedition.org/editionsehess/10156 35/37
04/04/2022 23:23 La couleur des pensées - Évaluation et apprentissage des émotions - Éditions de l’École des hautes études en sciences soc…

Chapitre  IX. Autorité politique,


révision et émotions in Robert
Damien, du lecteur à l’électeur,
Presses de l’enssib, 2017
Tous les textes
© Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1995

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


LIVET, Pierre. Évaluation et apprentissage des émotions In : La couleur
des pensées  : Sentiments, émotions, intentions [en ligne]. Paris  :
Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1995 (généré le
04 avril 2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/editionsehess/10156>. ISBN  :
9782713230844. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.10156.

Référence électronique du livre


PAPERMAN, Patricia (dir.) ; OGIEN, Ruwen (dir.). La couleur des
pensées : Sentiments, émotions, intentions. Nouvelle édition [en ligne].
Paris  : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1995
(généré le 04 avril 2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/editionsehess/10084>. ISBN  :
9782713230844. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.10084.
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La couleur des pensées


Sentiments, émotions, intentions

Ce chapitre est cité par


Livet, Pierre. (2002) Sociologies Émotions et rationalité morale.
DOI: 10.3917/puf.livet.2002.02.0269

https://books.openedition.org/editionsehess/10156 36/37
04/04/2022 23:23 La couleur des pensées - Évaluation et apprentissage des émotions - Éditions de l’École des hautes études en sciences soc…

Lolive, Jacques. (2006) Des forums hybrides à l’esthétisation des


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10.7202/014082ar

Ce livre est cité par


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