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Résumé
REB 32 1974Francep. 253-300
P. Evieux, André de Samosate. — Dans le camp oriental qui refuse d'avaliser la destitution de Nestorius, désavoué en 430 par le
pape Célestin et par Cyrille d'Alexandrie, André de Samosate joue un grand rôle ; le chef des Antiochiens, Jean d'Antioche, le
charge, de concert avec Théodoret de Cyr, de réfuter la fameuse Lettre aux anathématismes du patriarche d'Alexandrie. Après
une présentation des faits qui précèdent le concile d'Ephèse de 431 et une analyse de la réaction orientale aux XII chapitres anti-
nestoriens de Cyrille d'Alexandrie (I), l'auteur rassemble les maigres données sur la vie d'André de Samosate avant 430 (II). Au
nom des évêques orientaux, celui-ci compose au début de l'année 431 sa réfutation des XII chapitres ou anathématismes de
Cyrille (III). Malade, André de Samosate ne se rend pas au concile d'Ephèse, où les Orientaux n'arrivent que le 26 juin 431, trois
jours après la déposition de Nestorius ; au terme de diverses péripéties, l'empereur Théodose II, par l'intermédiaire de son
envoyé Aristolaos, obtient la signature par les deux factions rivales d'un Acte d'Union (433) ; André de Samosate apporte une
contribution essentielle au rétablissement de la paix (iv). Mort vers 445, il fut le champion de l'unité de l'Eglise et contribua à la
formulation du dogme christologique qui devait triompher vingt ans plus tard au concile de Chalcédoine.
Evieux Pierre. André de Samosate. Un adversaire de Cyrille d'Alexandrie durant la crise nestorienne. In: Revue des études
byzantines, tome 32, 1974. pp. 253-300.
doi : 10.3406/rebyz.1974.1488
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1974_num_32_1_1488
ANDRÉ DE SAMOSATE
Un adversaire de Cyrille d'Alexandrie
durant la crise nestorienne*
Pierre ÉVIEUX
* Qu'on me permette de remercier ici M. G. Dagron, qui a bien voulu revoir cet
article et y apporter des corrections et des remarques précieuses.
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croire que Cyrille en soit l'auteur19. Cette lettre à Firmus de Césarée nous
permet de répondre à deux questions :
1) Apparemment, Cyrille n'a pas joint les xn chapitres aux lettres qu'il
a adressées aux Orientaux.
Au moment même où il envoyait à Nestorius la lettre aux xn chapitres,
Cyrille d'Alexandrie écrivait à Juvénal de Jérusalem20 et à Jean d'An-
tioche21. Il n'a certainement pas joint à ces lettres les xn anathématismes ;
sinon, Jean d'Antioche n'aurait aucune raison, en écrivant à Firmus, de
douter ou de feindre de douter que ces chapitres fussent de Cyrille. Par
ailleurs, il a certainement lu la lettre de Cyrille avant de recevoir le dossier
communiqué par Nestorius et comprenant, lui, les xn chapitres. Nous en
concluons que l'évêque d'Alexandrie, peut-être par peur d'effrayer les
Orientaux, assez modérés et proches de Nestorius22, a évité de leur adresser
les xii chapitres. En revanche, ses envoyés à Constantinople ont sûrement
fait connaître les chapitres aux clercs et aux moines de la cité impériale23.
2) Nestorius a transmis la lettre et les anathématismes, sans demander
expressément à Jean de les faire réfuter par André de Samosate et
Theodoret de Cyr1*.
Lenain de Tillemont le faisait déjà remarquer25, il n'est dit nulle part
que Nestorius ait prié Jean de faire réfuter les anathématismes par écrit,
« quoi qu'on le cite de Libérât ». Or, nous lisons dans le Breviarium de
Liberatus : «... L'exemplaire de cette lettre parvenant à Jean d'Antioche,
19. ACO I iv, p. 822-23 = PG 84, 58H5"6 ; cf. la lettre de Jean à Cyrille, en 432 :
ACO I rv, p. 11580-33 = ACO 1 1 7, p. 15124-25. Théodoret aura la même attitude ; cf.
sa lettre à Jean d'Antioche en préface à sa réfutation des xii chapitres : ACO 1 1 6, p. 1082
= PG 76, 389C1.
20. ACO 1 1 1, p. 96-98 = PG 77, 103-106.
21. ACO 1 1 1, p. 92-93 = PG 77, 93-97 (cf. plus haut).
22. Cf. la lettre d'Acace de Bérée à Cyrille : ACO 1 1 1, p. 99-100 = PG 77, 99-102.
23. Au clergé et au peuple de Constantinople : ACO 1 1 1, p. 11322"23 = PG 77, 124C8 ;
aux moines : ACO 1 1 5, p. 1311 = PG 77, 128ßa. Le ton de ces lettres est nettement plus
dur à l'égard de Nestorius que dans les lettres adressées aux Orientaux.
24. On a pris l'habitude de donner à la lettre 17 (Toö Σωτηρος ημών) de Cyrille à
Nestorius, le titre de lettre aux anathématismes ; par exemple Hypatius d'Ephèse, De
collatione cum Severianis habita (Mansi 8, 822B1 = ACO IV u, p. 17319·29), où l'on expli
quepourquoi le concile de Chalcédoine n'a pas entériné la lettre aux anathématismes :
en voulant condamner les blasphèmes de Nestorius qui divisent en deux natures et hypo-
stases, et affirmer une seule personne dans le Christ, on ne pouvait citer la lettre de Cyrille
et ses chapitres où il était question de deux hypostases. Cf. P. Galtier, Les anathémat
ismes de Cyrille et le concile de Chalcédoine, RSR 23, 1933, p. 45-57 ; Théodoret,
dans une lettre à Domnus d'Antioche (PG 83, 131207-8), rappelle que l'accord s'est fait
avec Cyrille, sans que l'on mentionne ses chapitres.
25. Mémoires pour servir à Vhistoire ecclésiastique des six premiers siècles (cité sous
le titre Mémoires par la suite), XIV, Paris 1709, p. 370.
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il fut choqué par les chapitres de Cyrille ; il estima que, en s 'attaquant sans
modération à Nestorius, il était tombé dans la secte d'Apollinaire. Il confia
donc à André et à Théodoret, évêques de son conseil, la mission de répliquer
par écrit aux xn chapitres qui (dans sa pensée) redonnaient vie à la doctrine
d'Apollinaire26. » La remarque de Lenain de Tillemont contredit J. Garnier
qui, dans son édition de Marius Mercator (1673), écrit : «Dès qu'il eut
reçu les lettres des deux synodes (Rome et Alexandrie), aussitôt il (Nestor
ius) en fit parvenir un exemplaire à Jean son ami, lui demandant (rogans
ut) de confier à deux évêques très savants de son conseil, André de Samosate
et Théodoret de Cyr, le soin d'écrire contre les douze anathématismes de
Cyrille27... » Nestorius n'a donc fait que transmettre la lettre aux anathé
matismes. C'est Jean d'Antioche qui a demandé à André et à Théodoret
de les réfuter.
Aussitôt les documents reçus, en effet, l'évêque d'Antioche ne reste pas
inactif. Il réagit de deux manières :
— d'une part en alertant les évêques,
— d'autre part en faisant réfuter les chapitres cyrilliens.
a) Jean d'Antioche alerte les évêques
Nous avons déjà cité la lettre de Jean à Firmus de Césarée28. Il en écrivit
bien d'autres, à de nombreux évêques29, tels Himèrios de Nicomédie,
métropolite de Bithynie, Euthérius de Tyane, métropolite de seconde
Cappadoce, Helladius de Tarse, métropolite de première Cilicie. On trouve
des traces de cette correspondance dans une lettre adressée par Euthérius
de Tyane et Helladius de Tarse au pape Sixte, au moment où la paix est
en train de se faire30. De même, bien plus tard, Théodoret fait allusion à
ces lettres de Jean31.
b) Réaction doctrinale
Jean d'Antioche ne se contente pas d'alerter les évêques ; il veut opposer
à ces chapitres de Cyrille, qu'il croit teintés d'arianisme et d'apollinarisme32,
une réponse théologique dont les arguments soient capables de redresser
les erreurs de l'Alexandrin et de convaincre les lecteurs. C'est dans ce but
que l'évêque d'Antioche s'adresse à Théodoret de Cyr et à André de Samo-
sate pour rédiger les réfutations des xn chapitres. Ces deux hommes sont
les meilleurs théologiens qu'il ait à sa disposition. Théodoret répondra en
son nom propre, André au nom des évêques orientaux33. Si, dans une
situation aussi délicate, Jean d'Antioche fait appel à André pour être
le porte-parole des évêques d'Orient, c'est que l'évêque de Samosate mérite
la confiance de tous, par sa compétence, sa sagesse et son talent.
Nous savons peu de choses sur André de Samosate. Les seuls renseigne
ments importants dont nous disposions concernent le rôle qu'il joua lors
de la crise nestorienne entre 430 et 434. Quelle fut sa vie avant 430, où
reçut-il sa formation... ? A ces questions, nous ne pouvons répondre avec
une entière certitude, même si certains documents nous permettent de for
muler quelques hypothèses. Une chose est sûre : André fut évêque de Sa
mosate, ville de la province de Syrie Euphratésienne, sur la rive droite de
l'Euphrate, dans la partie septentrionale du diocèse d'Orient34.
32. D'après les sermons et les lettres de Nestorius. Cf. aussi la lettre de Théodoret
déjà citée (PG 83, 131245-6 = Azéma, III, SC 111, p. 5019~20) : Jean d'Antioche Άπο-
λιναρίου διδασκαλίαν τα κεφάλαια ταϋτα καλέσας.
33. Comme on le verra plus loin, ce choix d'André peut être considéré comme une
preuve de son ancienneté dans l'épiscopat.
34. Samosate (l'actuelle Samsât) était l'un des principaux points de passage fortifiés
de l'Euphrate, sur la route reliant Edesse à Germanicée. Vers 450, la province de Syrie
Euphratésienne compte treize évêchés : Hiérapolis (métropole), Perrhè, Germanicée,
Samosate, Ourima, Dolichè, Zeugma, Cyr, Europos, Néocésarée, Barbalissos, Soura,
Rosafa (ou Sergiopolis). Si Hiérapolis, au centre de la province d'Euphratensis, n'est
pas à plus de quatre à cinq jours de marche d'Antioche (la route actuelle, par Bérée,
est longue d'environ 200 km), il faut au moins huit à dix jours pour se rendre d'Antioche
à Samosate : cf. le Journal de voyage d'EraÉRiE : SC 212, p. 158-163. Sur la Syrie, voir
A. H. M. Jones, The Cities of the Eastern Roman Provinces, Oxford 1937 ; V. Chapot,
La frontière de VEuphrate, Paris 1907, p. 338-339 ; R. Dussaud, Topographie historique
de la Syrie antique et médiévale, Paris 1927, p. 413-481 ; M. P. Charlesworth, Les
routes et le trafic commercial dans l'empire romain (tr. fr. G. Blumberg et P. Grimai),
Paris 1938 ; R. Devreesse, Le Patriarcat d'Antioche depuis la paix de l'Eglise jusqu'à
la conquête arabe, Paris 1944.
18
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35. Chronicon Edessenum, CSCΟ 1, 56, p. 73 [2, 56, p. 713] : Anno 740, Andreas Samo-
satae episcopus claruit. Dans la même chronique, le concile d'Ephèse eut lieu en 744.
André était donc évêque en 427-428. Mais claruit ne veut pas dire qu'il devint évêque
en 427. En effet, pour Cyrille, il est écrit (année 721 = 408!) : Alexandriae magnae epis
copus factus est. Nous ne pouvons donc retenir l'année 428 pour la consécration épisco-
pale d'André (contre E. Honigmann, Le couvent de Barsauma, CSCO 146, p. 30 n. 1.4).
36. La controversia tra Cirillo d 'Alessandria e Giovanni di Antiochia nelFepistolario
di Andrea di Samosata, Rivista degli studi orientali 29, 1954, p. 187-217.
37. Art. cit., p. 187.
38. Aujourd'hui, un peu plus de 90 km.
39. Syn. 132 [43] : ACO I iv, p. 8628.
40. Ibä fera appel à Jean d'Antioche contre Rabbûlâ d'Edesse, par l'intermédiaire
d'André. Cf. I. Ortiz de Urbina, Patrologia Syriacà2, Rome 1965, p. 97.
41. La comparaison précise que nous avons faite entre les styles de Cyrille et d'André
dans Γ Apologie des XII chapitres contre les évêques orientaux, nous permet d 'affirmer
qu'André est rompu aux exercices de la rhétorique.
42. Cf. P. Petit, Les étudiants de Libanios, Paris 1956 ; P. Canivet, Histoire d'une
entreprise apologétique au Ve siècle, Paris 1958 ; A.-J. Festugière, Antioche païenne et
chrétienne, Paris 1959.
43. Cf. P. Canivet, op. cit., p. 35-41.
44. Il est fort probable qu'il fut de famille syrienne. Cf. Théodoret et les entretiens
de sa mère avec le moine Makédonios : P. Cantvet, op. cit., p. 24-27.
ANDRÉ DE SAMOSATE 261
André et Théodoret
Les relations cordiales entre Théodoret de Cyr et André de Samosate,
dont témoigne la correspondance du Synodicon, durant les années 431-434,
peuvent nous laisser supposer que les deux évêques ont fait connaissance
en fréquentant les mêmes milieux littéraires ou religieux55. Le fait que
Théodoret appelle André maître d'orthodoxie ne nous paraît pas suffisant
pour affirmer que l'évêque de Cyr fut, à un moment, le disciple de l'évêque
de Samosate. André et Théodoret ont très bien pu se lier d'amitié lors des
synodes réunissant les évêques de la province d'Euphratensis. Leur commun
attachement à l'enseignement de Diodore de Tarse et Théodore de Mop-
sueste permet seulement de dire qu'ils sont tous deux attachés à la théologie
en honneur dans la région d'Antioche.
Nous savons que Théodoret vécut un certain temps dans un ou plusieurs
monastères56. Et, dans la correspondance du Synodicon, nous le voyons
garder une certaine nostalgie de la vie monastique. Au plus fort de la crise,
alors que l'opposition à l'union se durcit, Théodoret déclare même qu'il a
demandé à son archimandrite, venu à Cyr, de lui construire une cellule57.
Il envisageait donc de renoncer à sa charge épiscopale pour vivre tranquille
à l'ombre d'un monastère. Il n'y a pas de semblable allusion dans les écrits
d'André58.
Plusieurs documents témoignent des relations entre Théodoret de Cyr
et André de Samosate. Ce sont, pour la plupart, des lettres échangées pen
dant la crise nestorienne, de 431 à 434 :
— Lettre de Théodoret à André, écrite d'Ephèse59.
— Lettre commune de Jean d'Antioche, Alexandre de Hiérapolis,
Macaire de Laodicée, André de Samosate, Théodoret de Cyr, adressée
à Acace de Bérée60. Elle comprend les propositions d'Antioche.
— Lettre commune d'Alexandre, André et Théodoret à Helladius de
Tarse, mentionnant le synode d'Antioche et les propositions faites
en vue de la paix61.
55. On sait que l'éducation littéraire ne va pas de pair avec l'éducation religieuse,
les maîtres de rhétorique et les sophistes étant alors, la plupart du temps, des païens :
cf. P. Cantvet, op. cit., p. 37.
56. «A trois milles d'Apamée » (Lettre 119 :PG 83, 1329e = Azéma, III, SC 111,
p. 80 20). Cf. le commentaire d'Y. Azéma dans SC 111, p. 80 n. 3.
57. Syn. 155 [66] : ACO I iv, p. 10423-24.
58. Une seule fois, il songe à se retirer avec son métropolite Alexandre dans un lieu
solitaire pour y pleurer {Syn. 171 [82] : ACO I iv, p. 1183). Mais à ce moment-là, plusieurs
tiennent de tels propos, et il n'est pas du tout sûr qu'il pense à la vie monastique. En tout
cas, on ne peut déduire de cette seule phrase qu'il ait fait un séjour dans un monastère
avant d'être désigné comme évêque de Samosate.
59. Syn. 108 [20] : ACO I'iv, p. 5921 = PG 84, 613 ; autre version de cette lettre dans
ACO II v, p. 506 = Mansi 9, 293.
60. Syn. 142 [53] : ACO I IV, p. 9228.
61. Syn. 143 [54] : ACO I rv, p. 935 = PG 84, 659.
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vénérable l'ont signé. J'ai donc dû t 'écrire ceci et, d'après la réponse de ta
Sainteté, j'en aurai le cœur net73... »
— André de Samosate, au début de sa lettre à Rabbülä (en syriaque),
fait lui-même allusion à sa réfutation des chapitres74 :
« II y a quelques jours, quelqu'un de là-bas est venu nous trouver, en disant
que ta Paternité lance contre nous de nombreuses insultes, non seulement
en présence de quelques-uns, mais aussi publiquement, devant le peuple.
Il ajoutait que, en outre, dans l'église, tu as porté l'anathème contre ceux
qui ne partagent pas l'opinion de Cyrille d'Alexandrie et contre ceux qui
lisent ce que nous avons écrit pour réfuter les chapitres qu'il a composés7 5... »
— Hypatius d'Ephèse, au sujet des citations utilisées par Cyrille, déclare76 :
« Ces lettres et ces témoignages sont si faux que Cyrille n'en a mentionné
aucun ni dans les lettres qu'il écrivit à Nestorius... ni dans l'explication des
xii chapitres, lorsqu'il écrivit contre Théodoret et André qui les avaient
attaqués par écrit... ni contre le synode oriental qui, je ne sais à partir de quoi,
crut bon de reconnaître chez lui l'opinion d'Arius ou d'Apollinaire77. »
— Maxime, abbé et martyr78 :
« Saint Cyrille, dans Y Apologie contre André, qui avait repris son 3e chapitre,
dit ceci...» (suit une citation de Y Apologie contre les Orientaux)19.
Date de la réfutation
Les avis étant partagés, certains situant la réfutation et l'apologie avant
le concile d'Ephèse, d'autres après80, il nous faut citer quelques pièces
de ce dossier. Théodoret lui-même avait écrit dans la préface du
Pentalogion81 :
(( Avant que ne se tînt l'assemblée à Ephèse, nous nous sommes opposés
aux douze chapitres rapidement et ouvertement82. »
La réfutation et l'apologie des chapitres ont donc été rédigées avant
le concile. On peut cependant objecter : y a-t-il assez de temps pour placer
les réfutations et les apologies avant le début du concile, c'est-à-dire avant
le 7 juin 431 ?
Nous avons vu que Nestorius envoie à Jean d'Antioche la lettre de Cyrille
et les anathématismes, au début de décembre 43083. Cyrille arrive à Ephèse
dans les premiers jours de juin 431. Sept mois séparent ces deux dates.
C'est court, mais, étant donné la brièveté et la composition facile de ces
œuvres polémiques, ce laps de temps est néanmoins suffisant pour :
a) la communication des xii chapitres aux deux évêques André et Théo
doret (il est probable d'ailleurs que tous deux furent convoqués avec
d'autres évêques par Jean à Antioche, pour donner leur avis sur les
chapitres)
80. S'appuyant sur les lettres de Jean d'Antioche et sur le témoignage de Liberatus,
Ch. Lupus (Wolf) — d'accord avec Garnier (PL 48, 931-932 = PG 76, 313-314 : Cyrille
« ne parle point de la déposition de Nestorius » dans ses Apologies) — soutient que « les
livres d'André et Théodoret sont tout à fait achevés bien longtemps avant le Synode »
(Scholia et notae, p. 76). Lenain de Tillemont déclare au contraire que les Apologies de
Cyrille contre les Orientaux n'ont été écrites « apparemment qu'après le concile » : les
expressions de Cyrille à l'endroit de Nestorius (impiétés, inventeur de nouveaux blasphèmes)
supposent la déposition de l'évêque de Constantinople (Mémoires, XIV, p. 668 et p. 760
n. 30). Pour Baronius (Annales ecclesiastici, Rome 1588-1607, ad ann. 431, n° 183),
André, moine de Constantinople, aurait été poussé à réfuter les chapitres de Cyrille
après la fin du concile, et aurait reçu le siège de Samosate pour prix de cet ouvrage.
Garnier montre qu'il s'agit là d'une méprise de la part de Baronius, le moine auquel
écrit Théodoret étant encore moine après le rétablissement de la paix (PG 76, 313-314) ;
cf. les lettres 143 (PG 83, 1368-1369 = Azéma, III, SC 111, p. 158) et 173 (PG 83, 1487)
de Théodoret à André, moine.
81. Excerpta Theodoreti, préface et fragments : PL 48, 10674.
82. Ce texte nous apprend aussi que Théodoret écrivit après le concile un autre ouvrage
(iterum) pour réfuter les xn chapitres, plus long que le premier. Priusquam conventus
apud Ephesum celebraretur, duodecim capitulis strictim aperteque restitimus... Quia
vero se manifestum, qui ista protulit, in concilio declaravit, et plures ex his qui convenerant,
imperiti potius, nec ulla dogmatis imbuti notitia, pia haec arbitrât! sunt ; operae pretium
visum est, iterum contra niti, sermonemque distendere...
83. Nous pensons que le dossier communiqué par Cyrille à Jean ne comprenait pas
les anathématismes ; cf. plus haut, p. 257.
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cembre 430 et juin 431, on est frappé de voir le déplacement qui s'est opéré.
L'expression Théotokos n'est plus guère mise en question88. Nestorius lui-
même, attentif aux supplications de Jean d'Antioche89, accepte ce terme,
en ajoutant aussitôt, il est vrai, mère de Vhomme et mère du Christ. Après
l'intervention de Cyrille, ce sont ses xii chapitres qui sont au centre du débat.
Auparavant, rien n'opposait Cyrille et les évêques orientaux. Maintenant,
les xii chapitres, la théologie qu'ils reflètent90, l'ultimatum qui leur est
attaché, irritent les Antiochiens, qui spontanément se rangent du côté de
Nestorius. Tout les porte vers lui : la sympathie, la formation commune,
la répugnance devant la puissance de l'évêque d'Alexandrie, la peur de voir
resurgir les hérésies passées. Aussi peut-on dire que la véritable origine de
la crise qui oppose Cyrille et les évêques d'Orient, ce sont les xn chapitres,
que l'Alexandrin doit défendre contre les attaques d'André et de Théodoret.
Face aux Orientaux, Cyrille doit jouer le rôle non pas de l'accusateur mais
bien de l'accusé. Ces anathématismes ont rapproché Nestorius et les évêques
d'Orient, ce qui rend difficile le dénouement de la crise, car toute démarche
en vue de la paix impliquera l'abandon de Nestorius91.
que nous formulons pour montrer que les réfutations et les apologies peuvent se situer
entre décembre 430 et juin 431. — La durée des voyages en bateau est très variable, év
idemment ; cf. J. Rougé. Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Médit
erranée sous l'empire romain, Paris 1966. Par une lettre de Cyrille se rendant à Ephèse
{ACO 1 1 1, p. 116 = PG 77, 128-129), nous savons qu'il passa à Rhodes. A cette époque
de l'année (fin mai), un vent très favorable lui permit de faire le trajet d'Alexandrie à
Rhodes en trois jours {ACO 1 1 1, p. 11614).
88. Sauf peut-être par Alexandre de Hiérapolis ; cf. Syn. 181 [93] : ACO I rv, p. 1293a ;
Syn. 182 [94] : ACO I rv, p. 13018.
89. ACO I m, p. 44-47.
90. En particulier les expressions μία φύσις, ένωσις φυσική ou κατά φύσιν.
91. L'Acte d'Union de 433 ne fera pas mention des chapitres de Cyrille, comme le
rappelle Théodoret à Domnus d'Antioche (lettre 112 : PG 83, 1309ΰι-8, 1312e3"9 =
Azéma, III, SC 111, p. 50-54), citant la lettre de Cyrille à Acace de Bérée {ACO 1 1 7,
p. 14932-39).
1. Sacra du 19 novembre : ACO 1 1 1, p. 114-116= Mansi 4, 1113-1116. Théodose
demandait à chaque métropolite de se trouver à Ephèse pour le jour de la Pentecôte,
d'y venir avec un petit nombre d'évêques choisis {ibid.f p. 11523) et au moment fixé, sans
retard ni excuse.
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17. PG 84, 107c~ß, 108^ : ... Forsitan effectum ut... Samosatenus morbum simulaverit,
ne veniret eo, ubi nécessitas foret veritatis impugnandae.
18. ACO 1 1 3, p. 381O-39U ; cf. ACO I v, p. 369 = Mansi 5, 303 s. ; Théodoret semble
bien être à l'origine de cette profession de foi qui sera reprise par Jean d'Antioche et
Cyrille au moment de l'Union de 433. Les délégués orientaux sont : Jean d'Antioche,
Jean de Damas, Himèrios de Nicomédie, Paul d'Emèse (le remplaçant d'Acace de Bérée),
Macaire de Laodicée (porte-parole de Cyr de Tyr), Apringios de Chalcis (porte-parole
d'Alexandre d'Apamée), Théodoret de Cyr (porte-parole d'Alexandre de Hiérapolis),
Helladius de Ptolémaïs (en Phénicie) (ACO 1 1 7, p. 7740 ; ACO 1 1 3, p. 3640-378). Les
délégués cyrilliens sont : Philippe et Arcadius, légats du pape, Juvénal de Jérusalem,
Flavien de Philippes, Firmus de Césarée, Théodote d 'Ancyre, Acace de Mélitène, Evop-
tios de Ptolémaïs (Cyrénaïque) (ACO 1 1 3, p. 3330-342 = Mansi 4, 1457).
19. Sacra : ACO 1 1 7, p. 14219'33.
20. L'opposition des moines et Maximien lui-même le leur interdisent ; cf. ACO I
iv, p. 8535~36 : Lettre d'Acace de Bérée à Alexandre de Hiérapolis.
ANDRÉ DE SAMOSATE 273
21. Quelle route ont-ils prise ? Trois grandes routes traversaient alors l'Asie Mineure
d'ouest en est : 1) celle du nord, partant de Nicomédie ; une branche se dirigeait (au
nord) vers Claudiopolis (en Bithynie), Cratia, Amasia (Pont), Comana, Nicopolis et
Satala. Une autre branche allait vers le sud, vers Juliopolis, et rejoignait la route centrale
à Ancyre ; 2) la route partant de Sardes et allant sur Philadelphie, Synnade, Pessinonte
(Galatie), Ancyre, Tavium, Megalopolis ; de là une branche menait à Nicopolis et Satala,
une autre conduisait au sud, vers Mélitène ; 3) la troisième route principale, enfin, partait
d'Ephèse et traversait les villes suivantes : Tralles, Laodicée, Apamée, Antioche de Pisidie,
Iconium, Derbé, Héraclée, Faustinopolis, les portes de Cilicie, Tarse. Elle conduisait
ensuite soit à Antioche par les portes de Syrie, soit, à travers les montagnes, par Dolichè,
à Zeugma, sur l'Euphrate. — Cette reconnaissance de l'itinéraire parcouru par les évêques
orientaux revenant chez eux ne relève pas de la seule curiosité géographique. Elle a son
importance pour comprendre l'évolution de la crise durant la période post-conciliaire.
22. Jean se refuse à la reconnaître (Syn. 127 [38] : ACO I rv, p. 79-80).
23. ACO I rv, p. 8011.
24. Ces documents datent pour la plupart de l'époque où, Jean faisant la paix avec
Cyrille, les adversaires de l'Union rappellent à l'évêque d'Antioche sa fermeté antérieure
et lui reprochent son inconstance.
25. Syn. 224 [136] : ACO I iv, p. 163-164. Remarquons au passage qu'Alexandre de
Hiérapolis ne fut pas présent à ce synode de Tarse. Il attribue la déposition, faite alors, à
Jean entouré des autres évêques : d'où l'emploi du tu (deposuisti) et du vous (vobis). Lui-
même était en accord avec cette action, bien qu'il fût absent pour la signer avec les autres.
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43. Nous projetons la publication d'un article sur la théologie d'André de Samosate,
à partir de sa Réfutation des XII chapitres et de sa lettre à Rabbülä.
44. Telle est la conclusion de Luise Abramowski (art. cit., p. 58).
45. Dans YHodègos, 22 : PG 89, 292B-293S ; cf. Ch. Lupus, Scholia et notae, p. 218.
Garnier semble être le premier à avoir remarqué cet ouvrage d'André de Samosate,
cité par Anastase. Dans son édition de Marius Mercator (Opera Marii Mercatoris,
II, Paris 1673, p. 175 = PL 48, 967-970), il écrit : « Tandis que c'était sous presse, je
suis tombé par hasard sur un livre d 'Anastase le Sinaïte, qui a pour titre « Guide de route »
(Hodègos), et, tandis que je cherchais autre chose, me tombe sous les yeux le chapitre 22
où il est fait mention d'André de Samosate et où se trouve reproduit un petit fragment
d'un ouvrage concernant les anathématismes. J'ai pensé qu'il me fallait le mettre ici. »
Suit la traduction latine du fragment. On trouve le texte grec dans PG 89, 292c-293ß, et
dans l'article cité plus haut de Luise Abramowski, p. 56. Garnier, Lenain de Tillemont
(Mémoires, XIV, p. 373), l'auteur (anonyme) de l'article André de Samosate du DHGE
(2, col. 1604-1606) avaient déjà signalé l'existence de l'ouvrage dont nous parlons. Plus
récemment, Luise Abramowski (art. cit., p. 51-64), reprenant les travaux de F. Pericoli-
Ridolfini (Rivista degli studi orientait 28, 1953, p. 153-169, et 29, 1954, p. 187-217), cite
le fragment grec donné par Anastase le Sinaïte et le fait suivre de remarques judicieuses.
46. Anastase le traitera de dragon pervers (τοϋ πονηρού δράκοντος 'Ανδρέου : PG
89, 293s).
47. André cite plusieurs ouvrages de Cyrille : le De adoratione in spiritu et veritate,
le De sancta et consubstantiali Trinitate, Vad Hermiam, Y Apologie des XII chapitres contre
Théodoret, les Scholia de incarnatione Unigeniti ; ce dernier ouvrage — que Cyrille envoie,
avec d'autres, à Euloge vers 433 (ACΟ 1 1 4, p. 379~n) — fut composé après 431 (cf. Luise
Abramowski, art. cit., p. 57, après O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Literat
ur, IV, p. 52).
48. Vers la fin mars, avant le 3 avril, fête de Pâques.
ANDRÉ DE SAMOSATE 279
57. Syn. 147 [58] (ACO I iv, p. 9937-1003) : Meminit enim sanctitas tua quales epistulas
olim sanctissimis episcopis destinavimus ab Antiocheno persuasi, quando, adveniente
mirandissimo Aristolao, ejus litteris convocati convenimus et euntes ad Antiochiam
consilium fecimus et multa milia pertractantes deliberavimus, ut propter ecclesiarum
perturbationes mollem quandam propositionem et habentem vel modicum pietatis vest
igium proponeremus Aegyptio.
58. Plutôt que d'un synode, il faut peut-être parler d'un conseil. Cf. Syn. 142 [53]
(ACO I iv, p. 9229) : ex consilio episcoporum Johannis Antiochiae, Alexandri Hiérapolis,
Macarii Laodiciae, Andreae Samosatae et Theodoreti Cyrri de pace facienda.
59. Cf. lettre d'Alexandre à André (Syn. 147 [58] : ACO I iv, p. 1005-6) : sex breviter
dedimus clarissimo tribuno propositiones.
60. Syn. 143 [54] (ACO I iv, p. 93 14) : Non consen tien tes his quae contra sanctissimum
episcopum Nestorium ab eis facta sunt, sed ipsum quidem sicut habuimus, habeamus.
Cf. Syn. 151 [62] (ACO I iv, p. 10231s), où André, écrivant à Théodoret, fait allusion
à cet engagement à l'égard de Nestorius : Seit tua sanctitas quia haec et ante in locutionem
venerint, quando in Antiochiam convenimus pariter.
61. Syn. 147 [58] (ACO I iv, p. 1006) : lettre d'Alexandre à André ; de même Syn. 143
[54] (ACO I iv, p. 93) : lettre d'Alexandre, André et Théodoret, évêques, à Helladius de
Tarse. Dans ces deux dernières lettres, il est question de 6 propositions primitives ; Jean
d'Antioche, dans une lettre à Alexandre au sujet de Paul d'Emèse, parle de 10 proposi
tions ; cf. Syn. 149 [77] (ACO I iv, p. 1143"4) : Propositiones enim meas illas decent, quas
communiter composuimus, portans recessit ; mais il s'agit de propositions ultérieures.
62. Syn. 198 [100] : ACO I iv, p. 1365.
63. Les lettres suivantes mentionnent également le synode d'Antioche : a) de Théodoret
à Alexandre (Syn. 155 [66] : ACO I iv, p. 10412) : allusion aux réunions de Tarse, Chalcé-
doine, Ephèse et, après le retour, à Antioche ; b) de Théodoret à Alexandre (Syn.161 [72] :
ACO I iv, p. 1096) : Haec vero et in Antiochia et in Beroea et in Hierapoli sumus saepius
collocuti ; c) de Théodoret à Alexandre (Syn. 185 [97] : ACO I iv, p. 13414) : Antioche ; d)
d'Epiphane à Maximien de Constantinople (Syn. 293 [203] : ACO I iv, p. 22236) : Antioche.
ANDRÉ DE SAMOSATE 281
Sans doute, même s'il souligne que les anathématismes étaient dirigés
essentiellement contre Nestorius71, Cyrille ne se rétracte pas, mais il accepte
volontiers d'anathématiser les hérésies dont on l'accuse, et Acace ne s'y
trompe pas : il doit être possible de parvenir à un accord. Aussi, est-ce
avec joie qu'il communique la lettre de Cyrille à Alexandre de Hiérapolis,
à Théodoret et probablement à d'autres évêques72.
21. Syn. 155 [66] : ACO I iv, p. 1049-23. Un peu plus tard, Théodoret se verra obligé
de se défendre contre les insinuations d'Alexandre : « Je prends Dieu à témoin, sur mon
âme, que ce ne sont, jusqu'à présent, ni la convoitise d'un siège, ni l'envie d'une cité,
ni la crainte des persécutions qui m'ont poussé (à reconnaître l'orthodoxie des lettres
de Cyrille) ; mais, lisant ces lettres sans a priori et d'un esprit objectif, j'ai estimé que
leur contenu concordait avec nos positions » (Syn. 161 [72] : ACO I iv, p. 10832) ; cf.
les lettres 145 [56] et 155 [66].
22. Syn. 156 [67] : ACO I iv, p. 104.
23. Cf. lettre de Dorothée de Marcianopolis, en Mésie seconde, à Jean d'Antioche :
Syn. 167 [78] (ACO I iv, p. 11421"22).
24. Dum vero intraverit vestra sanctitas Antiochiam (Syn. 156 [67] : ACO I iv, p. 10438).
25. Maximin, dans sa lettre, paraît quelque peu indigné de se voir, avec tous les autres,
écarté de ces tractations d'Antioche ; cf. Ch. Lupus, Scholia et notae, p. 328-329.
26. Lettre à Alexandre : Syn. 157 [68] (ACO I rv, p. 105).
27. ACO I iv, p. 1059"11. Lui aussi est prêt à se retirer dans un monastère (p. 10513).
28. Syn. 161 [72] : ACO I rv, p. 109.
ANDRÉ DE SAMOSATE 287
à Cyr29, répète aux uns et aux autres que la même lettre de Cyrille à Acace
est orthodoxe30. Et lui-même se défend d'avoir trahi la piété31. Il reste
que, pour lui, même si la doctrine de Cyrille est acceptable, la communion
n'est possible qu'à certaines conditions : ne pas avoir à condamner Nesto-
rius, voir les évêques déposés recouvrer leurs sièges32.
Une allusion de Théodoret laisse entendre qu'une réunion eut lieu dans
la province d'Euphratensis (à Arbathimilas) ; une décision y a été prise :
pas de condamnation de Nestorius pour obtenir la paix, pas de communion,
sans la réintégration des évêques dépossédés de leurs sièges, « telle est la
décision prise par tous les très saints évêques de cette région réunis en
synode33 ».
Théodoret et André, qui adopte la même ligne de conduite à ce moment-
là, désirent la paix. En acceptant les propositions cyrilliennes, ils ne trahissent
pas la piété, et s'ils agissent ainsi, c'est par souci des fidèles qui leur sont
confiés34.
Jean d'Antioche, de son côté, écrit partout pour persuader les évêques
que l'union est possible33. Il fait plus : pour sortir d'une situation un peu
ambiguë, il se rend à Bérée, auprès d 'Acace, et le décide à envoyer Paul
d'Emèse à Alexandrie36. Paul, malgré son grand âge, se met en route,
emportant une lettre de Jean d'Antioche37. Celle-ci est assez mal
accueillie par Cyrille. Selon lui, elle ne contenait pas ce qu'il fallait38.
Tandis que se déroulent les discussions à Alexandrie entre Cyrille et
Paul d'Emèse (Aristolaos se trouve également sur place), des échos pessi
mistes parviennent jusqu'à André de Samosate. Quels sont les auteurs
des lettres qu'il reçoit, il ne le dit pas. Quant aux motifs de son pessimisme,
il ne veut pas les donner par lettre. Toujours est-il qu'il affirme à son mé
tropolite :
« L'Alexandrin, apparemment, ne veut rien changer à ses mauvais écrits,
ni sortir de son point de vue personnel. Voilà pourquoi, ceux qui sont partis
n'ont rien envoyé d'Egypte, en tant de temps39. »
André, néanmoins, ne perd pas tout espoir :
« Mais nous, même s'il persiste des milliers de fois dans une doctrine impie,
nous nous contentons de la lettre écrite naguère, dont les termes sont d'une
totale orthodoxie40. »
Quant à Théodoret de Cyr, il demande des éclaircissements sur ce qui se
passe : loin des routes où circulent les courriers, les informations lui par
viennent rarement41.
Les pourparlers entre Paul d'Emèse et Cyrille finissent par s'acheminer
vers une solution. Pour sa part, Paul, après avoir vainement essayé de
faire annuler la déposition de plusieurs évêques (Helladius de Tarse, Euthé-
rius de Tyane, Himèrios de Nicomédie et Dorothée de Marcianopolis)42,
accepte de reconnaître Maximien comme évêque de Constantinople et
d'anathématiser les erreurs de Nestorius, qu'il considère comme déposé
de son siège43. Cependant, Cyrille, tout en rendant la communion à Paul
d'Emèse44, ne le reconnaît pas comme seul porte-parole de tous les évêques
orientaux.
Pour obtenir l'adhésion de Jean d'Antioche et de son parti, Aristolaos,
qui commence à s'impatienter de la lenteur des négociations45, accompa-
38. Syn. 169 [80] : ACO I iv, p. 11510. Lettre à Théognoste, Charmosynos et Léonce
(Syn. 173 [85] : ACO I iv, p. 1245) : Nihil necessarium habentes. Même expression dans
la lettre à Acace de Mélitène (ACO 1 1 4, p. 2210) : à μέν έχρήν £χειν, ούκ Αχούσαν.
39. Syn. 171 [82] : ACO I iv, p. 11722-25.
40. Ibidem. Allusion à la lettre à Acace de Bérée : Syn. 145 [56].
41. Voir ses lettres à Himèrios de Nicomédie (Syn. 160 [71] : ACO I iv, p. 10719"20),
à Théosèbe de Cios (Syn. 176 [88] : ACO I iv, p. 12610), à Nestorius (Syn. 208 [120] :
ACO I iv, p. 149-150).
42. Sur ces dépositions, voir ACO 1 1 4, p. 3217~24 (lettre de Cyrille à Donat de Nico-
polis) et ACO 1 1 7, p. 15323~33 (lettre de Cyrille à Jean d'Antioche).
43. ACO 1 1 4, p. 6-7.
44. Paul prononce même deux sermons dans l'église d'Alexandrie, le 25 décembre 432
et le 1 " janvier 433 (ACOIi 4, p. 9-11 et 11-14).
45. ACO Ι ι 4, p. 3212. L'empereur l'a chargé d'aboutir rapidement à une solution ;
cf. A CO 1 1 7, p. 15515-16.
ANDRÉ DE SAMOSATE 289
46. ACO 1 1 7, p. 1543a ; Syn. 173 [85] : ACO I iv, p. 12413 ; ACO 1 1 4, p. 329-i°.
47. Il n'avait apporté que de légères modifications aux propositions cyrilliennes,
acceptées d'ailleurs par les deux clercs d'Alexandrie, Cassius et Amon (ACO Ι ι 7, p.
1556-9,26-27), egg modifications concernent les voix : ACO Ι ι 4, p. 95~8.
48. Il ajoute quelques explications dogmatiques : A CO Ι ι 4, p. 15-20 = PG77, 173-
181. La profession de foi des Orientaux adoptée par Cyrille avait été rédigée au moment
du concile d'Ephèse et envoyée à Théodose. Théodoret en était le principal artisan,
comme le rappelle Alexandre (Syn. 184 [96] : ACO I iv, p. 13337). Dans l'Acte d'Union,
elle est, bien sûr, amputée du début et de la fin qui étaient dirigés contre les chapitres
de Cyrille.
49. ACO 1 1 7, p. 173 (grec) ; ACO I m, p. 191-192 (latin).
50. ACO 1 1 4, p. 33.
51. Syn. 174 [86] : ACO I iv, p. 124-125.
52. Syn. 175 [87] : ACO I iv, p. 125-126. Ce sont Helladius de Tarse, Euthérius de
Tyane, Himèrios de Nicomédie, Dorothée de Marcianopolis.
53. Syn. 178 [90] : ACO 1 iv, p. 127.
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vain 1954, p. 28-29), qui note que Perrhè est l'évêché le plus proche du couvent de Bar-
sauma. Ce Gémellinos est le prédécesseur d'Athanase de Perrhè qui sera déposé quelques
années plus tard et remplacé par Sabinien. Au moment des troubles qui nous occupent,
un certain Zacharie aurait été mis à la tête de Samosate par Gémellinos et Rabbülä.
Plus tard, il aurait été lapidé par les Romains sur une place publique (cf. E. Honigmann,
op. cit., p. 30).
2. Sur le nom de Mésopotamie donné à la rive gauche de l'Euphrate, voir R. Devreesse,
Le Patriarcat d'Antioche, p. 290 n. 4 ; cf. le Journal de voyage d'ETHÉRiE, 17-18 : SC 21
(2e éd. 1957), p. 158-163.
3. Syn. 189 [101] : ACO I rv, p. 13632-35.
4. ACO I iv, p. 136-137.
5. Syn. 190 [102] : ACO I iv, p. 13724"26.
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avoir en vue6. La réponse d'Alexandre est encore plus dure que dans sa
lettre précédente7. Plein de sarcasme, il répète que Cyrille est hérétique
et que ceux qui ont accepté et même offert l'Acte d'Union ont trahi la
foi orthodoxe8. André le sait bien. Qu'il cesse d'adresser à Alexandre ses
monitions : c'est perdre sa peine et ses feuilles (charta)\
« En ce qui vous concerne, vous avez poursuivi, vous vous êtes dépêchés,
vous avez couru, vous avez cherché la brebis perdue. Mais elle, elle ne veut
pas qu'on la trouve9. »
Peu de temps après, André écrit aux économes d'Alexandre à Hiérapolis,
pour mettre les choses au clair. On fait courir le bruit qu'il a vu Rabbülä
d'Edesse, qui, on s'en souvient, était considéré comme un traître à la cause
des Antiochiens. Ce n'est pas vrai, mais pourquoi ne le verrait-il pas10 ?
Puis, solennellement, il proclame qu'il est en communion avec Sixte, Cyrille,
Maximien, Rabbülä et le Méliténien (Acace), ainsi qu'avec tous ceux du
Pont. Il ajoute :
« Et je confesse que le Seigneur Christ est à la fois Dieu et homme, deux
natures, une seule personne, que les choses humbles et sublimes que l'on
trouve à son sujet dans les divines Ecritures le concernent les unes en tant
qu'homme, les autres en tant que Dieu, l'unité demeurant sans confusion,
parce qu'il n'y a qu'un seul Seigneur et Christ, comme je l'ai dit. Si, à l'avenir,
il (Alexandre) veut personnellement embrasser la paix en catholique avec les
catholiques, et arracher au scandale ceux qui font naufrage à cause de nos
discordes et de nos conflits, il fera bien ; mais s'il ne le veut pas, pour moi,
bien sûr, je serai attristé de le voir dans ces dispositions, mais Dieu est le
juge de tous. Que personne donc à l'avenir ne me pose plus de questions :
6. Syn. 191 [103] (ACO I iv, p. 137-138) : pro qua re ego vinctus in lecto ad has litteras
prosilivi... non enim ita vixisti nee talia sunt quae per omnem vitam peregisti, ut despi-
ciaris a bono deo, nee sic eum coluisti, ut de te omnino non cogitet... quaeso igitur ut
neque turberis neque ab ecclesia exire disponas. Hoc enim nimis est impium et mercenarii
potius quam pastoris est opus, nee inultum tot prodere animas, sed eversionem cuncto-
rum quae prius mirabiliter operatus es, habens. Cogita vero, ut dixi, potentiam Dei et
quia ille qui et ea quae in caelo et quae in terra sunt, reconciliavit ad pacem, et membra
ecclesiae divisa conjunget et dabit tuae satisfied sanctitati, ut aliis sacerdotibus commu-
nices atque consentias, quia et nos non simpliciter nee velut si quis dicat impie ad hanc
intentionem respeximus, sed cogitantes quid expediret ecclesiis.
7. C'est la dernière pièce de cette correspondance entre l'évêque de Hiérapolis et
celui de Samosate.
8. Ailleurs (Syn. 255 [167] : ACO I rv, p. 18710), Alexandre fait allusion à une lettre
d'André lui annonçant que, dans toute la région du Pont, on prêche que Dieu est passible :
cette lettre qui est perdue doit être située avant la lettre 192 [104] et avant Zeugma.
9. Syn. 192 [104] : ACO I rv, p. 13824. Sur la brebis perdue, voir les lettres d'Alexandre
à Jean de Germanicée (Syn. 193 [105] : ACO I iv, p. 13829) et à Théodoret (Syn. 255
[167]:^COIrv,p.l86ae).
10. Syn. 194 [106] : ACO I rv, p. 139».
ANDRÉ DE SAMOSATE 295
j'ai découvert nettement ma position dès le début, et ce n'est pas une déci
sion nouvelle que j'ai prise maintenant, mais celle que j'ai adoptée dès le
commencement, aussitôt que les lettres me furent apportées11. Plût au ciel
qu'il me fût possible de joindre et d'unir à l'Eglise tous ceux qui ne donnent
pas leur assentiment, et que Dieu accordât le succès à mes efforts : je penserais
alors avoir trouvé le plus grand remède ou le plus grand soulagement pour
l'éternité12.))
Après cette dernière lettre aux économes d'Alexandre, nous ne disposons
plus de documents émanant d'André lui-même. Cependant, nous pouvons
glaner encore dans le Synodicon quelques allusions à l'évêque de Samosate.
C'est ainsi que Maximin d'Anazarbe1 3 fait part de sa confusion à Alexandre
de Hiérapolis, en apprenant la défection de Jean de Germanicée et d'André
de Samosate14. Ce même Maximin à l'issue du synode d'Anazarbe, réunis
sant les dissidents de la province de Cilicie seconde, résume les principaux
faits qui se sont produits de 431 à 434 et conclut ainsi sa lettre synodale :
« Nous, réunis maintenant dans la métropole d'Anazarbe, en raison des soucis
de l'Eglise, nous avons appris que, contrairement à ce qui avait été décidé en
commun, alors que les chapitres de Cyrille n'ont pas été rejetés par celui qui
les a exposés, quelques-uns ont reçu dans leur communion le même Cyrille,
nous qui sommes réunis (en synode), nous avons décidé de tenir Cyrille pour
condamné, comme nous l'avons tenu auparavant ; quant à ceux qui l'ont
reçu dans une communion qui ne répugne pas à souscrire à ses chapitres
hérétiques, nous les tenons pour étrangers à notre communion, jusqu'à ce
qu'ils fassent suivre d'effet ce qu'ils ont décidé en commun précédemment,
et jusqu'à ce que Cyrille anathematise ses chapitres impies et s'en tienne à la
foi des trois cent dix-huit (Pèresj rassemblés à Nicée, sans y rien ajouter ni
supprimer x 5. »
Théodoret, qui, aussitôt après avoir lu la lettre de Cyrille à Acace de
Bérée, avait reconnu l'orthodoxie de l'Alexandrin, n'acceptait toujours
11. On l'a vu, la première réaction d'André à l'annonce de l'Union n'était guère
favorable. Cependant, il est vrai qu'une fois lues les lettres et les pièces relatives à l'Union,
il a reconnu l'orthodoxie de l'évêque d'Alexandrie, même s'il refusait de souscrire à
la condamnation de Nestorius. Il semble bien que, pour la paix et l'unité de l'Eglise, il
ait finalement accepté d'anathématiser ses erreurs. Sa déclaration de communion avec
Maximien suppose la reconnaissance de la déposition de l'ancien évêque de Constanti
nople.
12. Syn. 194 [106] : ACO I rv, p. 1398-33.
13. Appelé aussi Maxime ou Maximien : métropolite de Cilicie seconde.
14. Syn. 197 [109] : ACO I iv, p. 1411.
15. Syn. 201 [113] : ACO I rv, p. 14316~25. Une lettre de Mélèce de Néocésarée (Syn.
229 [141] : ACO I rv, p. 167) au comte Néotérios donne également un résumé des événe
ments, tels que les voient les irréductibles : les démarches de paix y apparaissent comme
des manœuvres.
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episkop Kirrskij, I, Moscou 1890 ; K. Günther, op. cit., p. 10). On lit en effet (dans ACO
II 1 3, p. 741"4 : n° 76) : Φαίνεται ό ευλαβέστατος 'Αθανάσιος μηδέν αληθές διδάξας τους
άγιωτάτους και θεοφιλέστατους αρχιεπισκόπους τόν κύριον Πρόκλον και τόν κύριον
Κύριλλον, οπότε καΐ επί του μακαρίου Πανολβίου τοϋ γενομένου αύτοΰ μητροπολίτου
φίλου αύτοΰ τυγχάνοντος... Si donc Cyrille n'était pas mort à cette date (il aurait reçu
le titre de μακάριος), c'est que le synode est antérieur à cette date du 27 juin 444.
27. Théophane, Chronographie (De Boor, I, p. 101 u"13) : Ό δέ Διόσκορος καθηρε και
Θεοδώρητον και "Ιβαν καΐ Άνδρέαν και Δόμνον τον 'Αντιοχείας και άλλους ανατολικούς
επισκόπους άπόντας (meilleur que la variante Απαντάς).
28. Cf. Evagre, il, 18 : PG 862, 2561 B2 = Bidez-Parmentier, p. 7529-30. Cf. les r
emarques de Lupus (Scholia et notae, p. 219).
ANDRÉ DE SAMOSATE 299
Note additionnelle