Analyse – Le Monde augmentent. Quand l'offre est abondante, les prix Nigeria ou en Iran ont perturbé le marché.
erturbé le marché. Du Petroleum, les réserves pétrolières ont doublé !
Pétrole : l'heure du
doute, par Daniel Cohen
En cinq ans, le prix du pétrole a été
multiplié par cinq. Au printemps 2003, il cotait 25
dollars le baril. Au printemps 2005, il atteignait
50 dollars le baril. Début juillet de cette année, il
touchait le seuil historique de 145 dollars. Les
paris allaient bon train : le baril allait-il dépasser
200 dollars ? Comme pris de vertige, le baril a
pourtant marqué le pas au cours de l'été. Même
les menaces de l'armée russe sur le pipeline
Bakou-Tbilissi-Ceyhan n'y ont rien fait. Le doute
s'est installé. Comment va-t-il être levé ?
Pour expliquer la hausse à marche
forcée du baril, il est habituel d'accuser la
demande insatiable des nouveaux pays émergents,
de la Chine notamment. Pourtant, en 2005, la
Chine était déjà là, et ses perspectives de
croissance connues. Pourquoi les marchés n'ont-
ils pas anticipé plus tôt ? De 2005 à 2008, la
demande chinoise a certes augmenté : elle est
passée, selon l'Agence internationale de l'énergie,
de 6,7 millions à 7,9 millions de barils par jour.
C'est une hausse importante dans
l'absolu, mais qui ne représente au bout du
compte qu'un pour cent de la demande mondiale.
Dans le cas indien, la hausse est deux fois plus
faible. Dire que les marchés valorisent
"rationnellement" la rareté du pétrole aujourd'hui
ne revient-il pas à admettre qu'ils ne le faisaient
pas en 2005 ? Que s'est-il passé de nouveau, en si
peu de temps ?
Comprendre le prix du pétrole est
ordinairement fait en comparant deux termes :
l'offre et la demande, comme sur n'importe quel
marché. Quand la demande augmente, les prix
baissent. Ce schéma est toutefois totalement
perturbé lorsque les producteurs constituent un
cartel. Ils peuvent artificiellement réduire l'offre
disponible, de manière à augmenter les prix. C'est
ce qui s'est passé en 1973, quand l'OPEP a
quadruplé le prix du baril, imposant des quotas de
production à ses membres pour maintenir
artificiellement le marché en situation de pénurie.
Cette hausse du prix a toutefois produit deux
effets contraires. Du côté de l'offre, tout d'abord,
de nouveaux pays exportateurs ont fait leur
apparition. Déjouant les quotas imposés par le
cartel de l'OPEP, ils ont augmenté l'offre et fait
baisser les prix. Du côté de la demande ensuite,
les consommateurs ont fait des efforts nouveaux
pour économiser le pétrole, contribuant à leur tour
à faire baisser les prix.
Ces deux effets, en retour, ont
provoqué, du milieu des années 1980 à la fin des
années 1990, un contre-choc. En 1999, le pétrole
n'atteignait plus que 10 dollars le baril. Le marché
était passé d'un extrême à l'autre. A 10 dollars le
baril, il devenait difficile, sauf aux producteurs du
Moyen-Orient, de produire sans pertes. Une
nouvelle correction, à la hausse, devenait
inéluctable. Passée la seconde guerre du Golfe,
une nouvelle zone de confort a été définie par les
principaux producteurs, située entre 20 et 30
dollars. C'est un cours qui était considéré comme
assez haut pour rentabiliser l'offre, assez bas pour
ne pas étouffer la demande.
Deux facteurs ont pourtant cassé
l'équilibre prévu. Du côté de l'offre, il est apparu
que les années de pétrole bon marché avaient
abîmé l'outil de production. Les investissements
s'étaient ralentis, les capacités de raffinage
devenaient insuffisantes pour les pétroles de
moins bonne qualité. L'instabilité des pays
producteurs s'est par ailleurs accrue : les
incertitudes en Irak, bien sûr, mais aussi au
côté de la demande, et contrairement aux pays
industrialisés après le premier choc pétrolier, les
pays émergents ne semblaient pas capables de
réduire leur demande, malgré la hausse des prix.
Le seuil de 80 dollars le baril était franchi, en
septembre 2007. Selon les experts, c'est un chiffre
qui est suffisant pour faire sortir de terre tout le
pétrole de la planète. On pouvait croire qu'un pic
était atteint.
POUR LA DERNIÈRE FOIS
C'est à ce moment que l'onde de choc
de la crise financière de l'été 2007 a commencé à
produire ses effets. Elle a en effet mis en œuvre
une dynamique que les analyses classiques, en
termes d'offre et de demande, ne prennent pas en
compte. Car le pétrole n'est pas une marchandise
comme les autres. C'est un actif non renouvelable.
Ce qui est vendu aujourd'hui ne le sera plus
demain. Un producteur qui sait son stock
épuisable peut donc arbitrer entre deux
possibilités. Il peut le vendre aujourd'hui et placer
sur les marchés financiers les ressources
générées, ou décider de laisser l'huile en sous-sol
et d'attendre le moment opportun pour le vendre
plus tard, plus cher. La crise financière rend cette
deuxième option plus intéressante. Extraire le
pétrole n'est plus rentable quand la Bourse
s'effondre. Pour maintenir l'incitation à produire,
il faut alors que les prix augmentent.
Le fait que le pétrole soit une ressource
non renouvelable semble aller de soi. Energie
fossile, elle est par nature même non
reproductible. Les choses sont pourtant plus
complexes. Au fur et à mesure que la production
épuise les sous-sols connus, d'autres réserves sont
découvertes. Comme le marcheur qui n'atteint
jamais l'horizon, le monde ne semble jamais
réduire le montant de ressources disponibles. De
1980 à aujourd'hui, selon les données de British
Pourtant, en ce domaine aussi, le doute est
aujourd'hui de rigueur. Depuis la découverte des
sables bitumineux canadiens, en 1999, les
découvertes de nouvelles réserves s'essoufflent.
L'horizon se fige. Dans quarante ans ou cinquante
ans (peut-être), il n'y aura plus de pétrole, au sens
où on l'entend aujourd'hui.
Le piège qui s'est refermé sur
l'économie mondiale a donc été le suivant. La
crise financière a accru le prix du baril, lequel a
augmenté l'inflation mondiale, laquelle a aggravé
davantage la situation des marchés financiers...
C'est cette boucle qui est peut-être en train de se
dénouer. Quand les marchés financiers auront
atteint leur point bas, et que leur hausse
redeviendra possible, le prix du baril pourra
baisser.
Est-ce à dire un arrêt définitif du cycle
haussier ? Ce serait trop simple. Deux
mécanismes de sens contraire vont en effet être à
l'œuvre. Dans un premier temps, du fait
notamment des investissements nouveaux, l'offre
va augmenter et les prix baisser. Mais le temps
qui passe rapprochera aussi de la date fatidique
(2050 ?) où le monde devra avoir appris à vivre
sans pétrole. A mesure que la baisse des réserves
deviendra patente, les prix recommenceront à
croître. Baisse puis hausse ? Ce ne serait pas une
première, même si, dans le cas du pétrole, ce
pourrait être la dernière fois aussi.
Daniel Cohen est professeur à l'Ecole normale
supérieure, éditorialiste associé
Article paru dans l'édition du 28.08.08