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étude sur le sacré

de Ghislain R. OGANDAGA

Introduction
Bienvenue sur ce site qui se consacre à la réfutation du paradigme de
l'irrationnel explicitement en usage à propos des faits sacrés des
sociétés traditionnelles ou archaïques et plus spécialement des
sociétés africaines.
En tant que membre de ces sociétés, le recours systématique à
l'irrationnel comme explication ultime de ces faits nous est offensant
et nous semble relever d'un manque de rigueur dans la recherche.
Dans l'approche en ethnologie-anthropologie on trouve toujours de
manière explicite ou implicite la pétition de principe selon laquelle
les sociétés traditionnelles à travers leur culture n'ont pu produire
quelque chose d'intellectuellement cohérent. Cette profession de foi
explique le recours systématique à l'irrationnel comme explication
ultime des faits sacrés.
Par irrationnel, ce qui est entendu est bel et bien quelque chose
d'aberrant, d'incohérent, qui échappe à toute logique, bref, ce qui
échappe à la raison. Sous la plume d'un anthropologue, irrationnel
ou "pensée différente de la notre" est un euphémisme de "pensée
pré-logique" que l'anthropologie contemporaine fait semblant de
combattre. Il faut dire que la substitution de l'un par l'autre a été du
politiquement correcte avant l'heure. Il n'y a pas, quant au fond, une
différence entre le mot irrationnel et l'expression "pensée pré-
logique". Que l'on utilise l'un ou que l'on utilise l'autre, c'est la même
chose qui est dite. On change la forme mais le fond reste le même.
On demeure toujours en dehors de la raison, de la logique.
Traiter les cultures des autres comme des sortes de machines
productrices d'irrationnel est un préjudice grave qui n'est pas sans
conséquence sur les populations concernées surtout lorsqu'on sait
que ces populations ont subi plusieurs siècles de traite des Noirs
avec à la clé inculcation d'un complexe d'infériorité entretenu par le
colonialisme et le néo-colonialisme.
Nul n'a le droit de ramener les cultures des Autres à de simples
épiphénomènes de la pensée humaine. Le fait de produire une
culture est toujours un temps fort dans l'histoire du genre Homo.
Ainsi dire d'un peuple qu'il possède une culture, ou un pan de sa
culture, qui est aberrante, voir incohérente, en tout cas qui échappe
au rationnel, c'est inviter ce peuple à se détourner de sa culture, c'est
l'ôter de son âme, c'est une tentative d'annihilation des cultures des

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Autres. C'est un crime, et il ne devrait pas rester sans impunité.
Il est tout de même curieux qu'une science qui prétend étudier
l'Homme ait accordé et accorde toujours autant de mépris aux
productions des Autres. Mais comment a-t-on pu penser un seul
instant, malgré les bonnes intentions affichées, que les mythes sont
un bricolage de la pensée, des déchets de la psyché humaine ? La
pensée "sauvage" ne peut pas être à la fois efficiente et bricoleuse,
œuvrant avec des déchets. Nous verrons dans ce qui va suivre que les
mythes surtout cosmogoniques ne sont pas des affabulations et/ou
du bricolage, ils sont plutôt des constructions savantes.
Si on rencontrait un sage africain digne de ce nom en possession
totale de sa culture et si on lui présentait toutes ces explications
recourant à l'irrationnel, ce qui lui paraîtra être du bricolage,
incohérent et aberrant seront toutes ces explications et théories
arbitraires évoquant l'irrationnel. Il est clair qu'il ne comprendra pas
qu'on se proclame et se congratule en tant que spécialiste des faits
sacrés africains alors qu'aucun de ceux qui ont cette prétention ne se
sont jamais présentés devant un collège de sages africains pour une
évaluation de leur connaissance sur le sacré en Afrique afin d'en être
proclamé spécialiste. Mais qu'importe, tant il est vrai que ces
spécialistes pensent posséder une connaissance supérieure aux
légataires de ces cultures. A tous les coins, c'est le mépris de l'Autre
qu'on trouve dans cette approche de l'anthropologie.
Ce que les anthropologues qui étudient les faits sacrés africains
semblent essentiellement avoir fait jusque là ressemble à du
tourisme intellectuel ; se promener dans des contrées étrangères
puis se raconter et s'inventer des histoires sur les cultures des
Autres, des histoires qui les intéresse eux et qui n'apporte rien ou ne
font pas avancer les peuples concernés.
En tant que membre de ces cultures, nous ne pouvons plus laisser
dire de telles choses évoquant l'irrationnel à tour de bras. Il est de
notre devoir d'attirer l'attention sur l'essentiel, sur ce qui oriente la
réflexion vers quelque chose de fondamentale et vraie, vers quelque
chose de constructif.
Nous allons parler de culte des ancêtres et présenter des faits relatifs
à ce culte et qui vont à l'encontre d'une prétendue irrationalité. Nous
allons présenter des faits qui recoupent certaines préoccupations
actuelles dans les neurosciences et qui sont présents dans les rituels
d'initiations et dans des mythes. Nous parlerons de la structure et
des mythes où se trouve consigner la connaissance relative à la
molécule de la Vie, l'ADN, l'une des bases fondamentales du culte
des ancêtres. Nous aborderons aussi des schèmes rituels qui font
appel à des connaissances astrophysiques notamment le système de
Sirius.
Et tout ceci sera fait sans tirer les choses par les cheveux. Tout cela

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pour bien montrer qu'il n'y a pas d'irrationalité. Prôner une
quelconque irrationalité dans ce domaine, c'est qu'on est passé à
côté de l'essentiel.

1. Le Sacré : le véritable paradigme


Tel que défini par Rudolf Otto le sacré est une expérience au cours
de laquelle l'individu est confronté au Tout Autre. Un objet, un
espace... qui se situe dans notre champ visuel se trouve tout d'un
coup envahi par une présence qui déchire notre conscience, nous
foudroie, nous pétrifie et nous transperce l'âme. On ne se sent plus
être de chair et d'os, mais uniquement essence. On se sent projeté
hors du temps car l'ici et maintenant n'existe plus, on est dans un
ailleurs. L'expérience du sacré par sa force, sa puissance, est une
expérience terrifiante mais en même temps attrayante.
Après la durée, en fait brève, de l'expérience l'individu revient peu à
peu ou brusquement à lui. L'objet ou l'espace se trouve déposséder
de cette présence qui l'envahissait il y a encore quelques secondes.
Mais l'individu confronté à cette expérience est mis en demeure de la
comprendre car l'expérience crée un mal être qui ne sera apaisé
qu'avec la compréhension de l'expérience dont il a été témoin et
victime.
L'effort de compréhension du Tout Autre, mais aussi celui de
renouer le contact avec ce Tout Autre est à la base de la construction
des rituels initiatiques.
Ce que l'expérience du sacré montre parmi tant d'autres choses est
que, quelque chose qui ne fait pas partie de ce monde y a fait
irruption et s'est retiré. Par conséquent, cette chose réside dans un
autre monde, dans une autre dimension du Réel. Il faut donc
admettre l'existence de divers niveaux du Réel.
L'irruption du sacré dans notre monde n'est donc pas un fait fortuit.
L'expérience du sacré à une intentionnalité : monter à l'Homme
d'autres niveaux de vie du Réel qui échappent à notre perception
immédiate. Du point de vue du sacré, de l'expérience elle-même,du
Tout Autre, l'Homme doit s'ouvrir ou participer aux différents
niveaux de vie qui composent le Réel. Et c'est là la fonction ultime de
tout rituel d'initiation au culte des ancêtres, nous ouvrir ou nous
mettre en contact avec un pan du Réel différent de l'ici et
maintenant.
Ce qu'on doit donc rechercher dans un rituel initiatique, c'est
comment il fait accéder l'individu à cette autre dimension du Réel
qu'elle soit monde des morts, des génies ou autre... comment à
travers les gestes, ablutions, aliments, il parvient à une modification
de l'esprit et donc de la conscience qui va corréler avec un autre
niveau du Réel.

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Voir dans le sacré et de ce qui en découle un quelconque aspect
irrationnel, comme il est de coutume de le faire, relève de l'absurde
et d'un dénie de la réalité. La pluralité des niveaux du Réel ou des
univers qui se chevauchent au notre est en débat chez les
astrophysiciens. Rudolf Otto faisait justement remarquer que :
"Faute de reconnaître dans le sacré le facteur premier,
qualitativement original et irréductible, et le ressort de toute
l'évolution historique de la religion, toutes les explications
animistes, magiques et sociologiques de la genèse de la religion
s'égarent d'emblée et passe à côté du vrai problème." pp30-31
Le véritable paradigme c'est l'expérience du sacré, elle suppose :
Différents niveaux du Réel dotés d'intentionnalité.
Différents états de conscience qui correspondraient à chacun de ces
niveaux du Réel et la nécessité pour l'individu de modifier sa
conscience pour accéder à ces autres niveaux.
Elle est le préalable à la construction de rituels initiatiques parce que
le rituel est l'outil qui permet de renouer le contact avec cette autre
dimension du Réel.
Elle préside à la construction des mythes surtout cosmogoniques et
cosmologiques en faisant alterner et coïncider sacré et profane.

2. Le vice dans la recherche en anthropologie du sacré


L'anthropologie est née à la suite du contact des sociétés
occidentales avec les cultures dites exotiques, archaïques. Il fallait
connaître l'Autre, le " sauvage ", il fallait l'étudier. Au demeurant, il
semble que ce qui comptait le plus était de repérer ses modes de
fonctionnement afin de l'asservir encore plus. On pensa que ces gens
n'étaient que des presque pas Hommes, des primitifs, des gens qui
étaient au bas de l'échelle de l'évolution humaine. Au début du
20ième siècle, même à l'orée de l'anthropologie physique, il était
encore question de justifier la différence des races et d'une
prétendue différence de l'intelligence entre les races par des mesures
anthropométriques. Un revirement de situation eut lieu, l'étude des
sociétés archaïques devant se faire sans préjuger.
C'est alors qu'eut l'avènement d'une nouvelle approche de l'étude de
l'Autre. Il fallait connaître l'Autre non plus en tant que primitif ou
sauvage, mais en tant qu'être culturel. Il faut dire que l'on reste sur
sa faim quant au résultat de cette approche.
L'anthropologie devint l'étape finale d'un processus. L'étude de
l'Autre devait commencer par une ethnographie ; observation avec
recueil de donnés, description... La deuxième étape étant
l'ethnologie ; synthèse, analyse, interprétation, élaboration de
modèles. Enfin il y a l'anthropologie, étage de généralisation à partir

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du travail ethnologique. L'anthropologie doit parvenir à des
généralisations à partir des comparaisons ethnologiques. Elle vise
une meilleure compréhension de l'Homme.
Mais il y a un vice dans la recherche en ethno-anthropologie, plus
particulièrement concernant le domaine du sacré. Souvent les
chercheurs n'appartiennent pas à la culture du phénomène étudié,
leur position d'observateur implique un manque certain : celui du
vécu du phénomène. Et à partir du moment où on n'a pas soi-même
accès au vécu du phénomène étudié, on ne pourra rester qu'au
niveau superficiel. Lorsqu'on a un vécu de la chose, notamment en
rapport avec le culte des ancêtres, le recours à des explications
évoquant l'irrationnel devient sidérant.
Il existe une différence entre un sujet répondant à l'appel de ses
ancêtres pour une initiation et l'expérience d'un observateur, qui
plus est, issu d'une culture étrangère. Pour ce dernier, sa
préoccupation se limitera au niveau descriptif et à la curiosité
intellectuelle. Pour le premier lorsqu'il cherche à assumer son culte,
il y a aura une dimension totalement inaccessible au second. Il y a un
vécu qui se manifestera entre autre par des interrogations qui
mettront au premier plan sa position de sujet en tant qu'être vivant
dans le monde et confronté à une tradition ancestrale.
Il y aura le problème de la raison d'être du culte ici et maintenant, le
poids des ancêtres . Pourquoi avoir été choisi par les ancêtres et plus
précisément par tel ancêtre ? Quelles sont leurs attentes ? Pourquoi
ont-ils décidé un jour de mettre en place l'institution religieuse ? A
quelles difficultés ils répondaient, ils palliaient ? L'émergence de ces
interrogations dès les premiers signes annonçant le recours à
l'initiation et même après celles-ci constitue en soi une véritable
expérience du sacré où le profane (le corps) devient progressivement
le réceptacle du sacré. Nous avons la conviction que la réponse à ces
interrogations était apportée au sujet au fur et à mesure de son
périple initiatique, mais de telles connaissances sont aujourd'hui
quasiment perdues.
La perspective, l'approche ne peuvent pas être la même car
l'anthropologue restera toujours au niveau de la curiosité et au
niveau descriptif. Au pire il fera des interprétations fallacieuses
évoquant l'irrationnel. Le sujet confronté à sa culture tel que nous
l'avons présenté ici sera dans une recherche du sens. La différence
est monstrueuse. Ce que nous voulons dire c'est qu'il y a une
anthropologie qui ne se soucie pas du sens profond et s'oppose à une
anthropologie qui est dans la recherche du sens de plus en plus
profond et qui apporte une signification à la présence de l'être dans
le monde.
Ce qui compte, ce qui est important, c'est le pourquoi et le comment
d'une institution sacrée. En somme, le Sens. Il faut accéder au sens

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et le partager avec la communauté qui est légataire de l'institution
sacré. Et pour ce faire, il est bon de vivre soi même l'expérience du
sacré.

3. La position du chercheur africain


Faire de la recherche c'est avoir au minimum le désir de faire
avancer la connaissance dans un domaine précis car c'est chercher à
faire avancer son monde, chercher à améliorer la situation de
l'homme dans ce monde, cette situation pouvant être aussi bien
matérielle que spirituelle. Dans le domaine du sacré, la recherche
consiste à accéder à des significations méconnues ou abolies. Le
travail de l'anthropologue qui s'intéresse aux faits sacrés et qui veut
accomplir une œuvre significative doit être un travail de
restauration, de maintien, de perpétuation et de développement des
traditions ancestrales.
Nous devons accéder au sens de plus en plus profond d'un mythe,
d'un rite, d'un aspect d'un rite ou d'un mythe, mais aussi de
l'ensemble d'une institution sacrée. Ce faisant, nous apportons des
réponses aux questions existentielles du sujet confronté à sa culture,
l'engageons vers une plus grande compréhension de sa culture. Pour
l'homme moderne en rupture avec le sacré, nous lui offrons une
autre vision du monde, le sens profond d'expériences limites qui
peuvent lui paraître au premier abord dépourvu d'intérêts. Nous
orientons sa pensée et son être vers d'autres niveaux du Réel. En
somme, nous devons conduire à une meilleure compréhension du
monde.
Il va de soi que la démarche qui consiste à aller en Afrique pendant
quelques semaines s'asseoir et observer un rite, le décrire et
l'interpréter en tordant les faits pour les faire correspondre à une
théorie évoquant l'irrationnel est une entreprise nulle et gratuite
pour la connaissance. Ce qu'il faut placer au centre d'une recherche
de ce type, c'est la culture elle-même dans ses aspects originels, ses
buts, son devenir ainsi que le sujet confronté à cette culture. Nous
devons garder à l'esprit que notre travail doit aboutir à une
élucidation de la situation de l'individu en tant que sujet confronté à
sa propre culture, et mieux, une amélioration de la situation de
l'Homme tout simplement.
Ce qui nous intéresse en tant qu'Africains, ce n'est pas une sorte de
compte rendu descriptif ethnologique de tel ou tel phénomène. En
tant qu'Africain, nous connaissons déjà ces phénomènes : ou nous
en avons souvent entendu parlé, ou nous y avons été directement ou
indirectement confrontés ou nous les vivons depuis les tréfonds de
nos âmes, il est tout aussi bien possible que nous n'en ayons jamais
entendu parlé. Les aspects ethnographiques et ethnologiques ne sont
utiles pour nous qu'à des visées comparatives mais aussi pour

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montrer l'étendu d'un phénomène et sa diversité. Ces aspects sont
aussi utiles pour asseoir des démonstrations anthropologiques.
Mais il faut bien noter qu'un chercheur africain qui se limite à nous
raconter ou décrire un phénomène relatif à sa communauté,
n'accède en aucune façon à aucune connaissance nouvelle pour lui
pas plus qu'il n'aide sa communauté à une meilleure compréhension
du phénomène étudié. On aboutit ainsi à un accroissement
quantitatif d'informations et non à un nouvel apport qualitatif. On
peut dire que lorsqu'on travaille dans cette perspective on ne fait pas
de la recherche puisqu'on n'aboutit pas à aucune connaissance
nouvelle. Ce qui peut passer pour une connaissance nouvelle pour ce
type de chercheurs est quelque chose qui lui est livrée par un
informateur, donc quelque chose qui était déjà connue même si elle
ne fut partagée que par un cercle d'initiés. Et ce n'est pas parce qu'on
va procéder à des classifications en chapitres, dans des tableaux,
qu'on nous fera saisir une connaissance nouvelle, un sens qui
jusqu'alors demeurait perdu ou caché. Toute classification, toute
interprétation, toute herméneutique doit nous conduire au-delà de
la signification ethnologique fournie par l'informateur ici et
maintenant. Il ne s'agit pas d'avancer une connaissance phantasmée,
des idées farfelues mais plutôt s'approcher du sens tel qu'il fut
compris par l'Homo religiosus aux temps fort de l'élaboration de
l'institution sacrée parce que nous savons d'avance que ce sens est
aujourd'hui perdu

4. L'incohérence du vrai-faux paradigme de l'irrationnel


Il faut dire que c'est un faux procès qui a été fait aux sociétés
archaïques sur leurs créations culturelles et sur les capacités de leur
esprit. Il est utile de répéter que ceux qui se sont atteler à l'étude des
sociétés archaïques et à leurs rites et qui ont clamé et clament
toujours le caractère irrationnel de ces pratiques n'ont rien compris
à leur objet d'étude.
Il est convenu dans la littérature que l'initiation a pour fonction
d'opérer une mutation de l'esprit. Il est tout à fait incohérent de
travailler sur des rites, des initiations qui ont pour objectif une
modification de l'esprit et ne pas tenir compte du corps qui est si
sollicité au cours de ces pratiques. Il est tout aussi incohérent de ne
pas tenir compte des consommations d'hallucinogènes lorsqu'elles
ont lieu et qui pourtant modifie la personne en profondeur en
rapport avec l'objectif même poursuivit par les rites. Pire encore, il
est tout à fait inadmissible de ne pas tenir compte de la morphologie
humaine si importante dans certaines initiations au point de servir
de référent symbolique de base dans l'architecture du temple, de
même, il est incompréhensible qu'on ne tiennent pas sérieusement
compte des aspects embryologiques présents dans les rituels.

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Pour être cohérent il faut trouver quelle est la place de ces éléments
dans une approche de l'esprit. Si après avoir fait le tour on ne trouve
aucun rapport entre ces éléments et la question de l'esprit, il ne
restera plus qu'à se demander où voulaient en venir les bâtisseurs de
ces rites et non pas condamner leur oeuvre en tant que production
irrationnelle. Si par contre en faisant une revue de la question on
trouve une prise en compte de ces éléments (sollicitation du corps et
donc importance du corps, morphologie humaine du temple, aspects
embryologiques dans les rites) on devra alors conclure au caractère
très rationnel de ces rites et arrêter avec les pétitions de principes
clamant l'irrationnel mais aussi, il faudra cerner ce que les bâtisseurs
de ces rites ont appréhender de l'esprit au terme de leur réflexion et
saisir l'avantage procurer par le fait initiation.
Il se trouve que les éléments ci-dessus mentionnés sont bien pris en
compte dans la question de l'esprit, ils ont été mis en évidence par la
neurobiologie et ces éléments sont présents dans les rituels
initiatiques. Et leur présence ne relève pas du hasard.

5. L'importance de l'évènement primordial


Tout le mérite revient à ces chercheurs de la première moitié du
20ième siècle qui ont insisté sur l'importance de l'événement
primordial (entre autres Adolph Jensen) qui a engendré le
phénomène ou l'institution sacrée car il contient en lui toute la force,
toute la puissance nécessaire à sa compréhension. Il est tout à fait
futile de se limiter à des informations de l'époque contemporaine et
prétendre comprendre un phénomène sacré alors que nous savons
que les institutions fondamentales dans ce domaine sont des legs
ancestraux.
L'attitude de beaucoup de spécialistes des phénomènes sacrés
africains qui font fi de l'événement primordial est comparable à un
archéologue qui se rendrait par exemple en Égypte devant les ruines
d'un temple, recueille les données et demande aux habitants des
explications. Les réponses seront de trois ordres : ou certains vont
s'avancer dans des réponses qui n'ont aucun fondement parce
qu'elles ne les ont pas été transmises, d'autres avanceront des
connaissances évasives ou superficielles, ou alors on dira tout
simplement que les ruines ont toujours été là depuis des générations
ancestrales. Par contre notre archéologue muni de son recueil
d'informations à propos des ruines et de leur description prétendra
avoir compris ce qu'est ce temple en prenant les ruines pour ce que
le temple aurait toujours été. Pire encore, il sera considéré par ses
paires comme un spécialiste alors qu'en réalité une telle démarche
est dépourvue de tout fondement en archéologie et ne peut en aucun
cas conduire à une reconstitution du temple tel qu'il fut et ne peut
conduire à aucune spéculation sur l'utilité ou la fonction de ce

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temple.
Pourtant les spécialistes des faits sacrés africains procèdent comme
notre archéologue, ils s'intéressent aux faits uniquement que dans
leur aspect contemporain comme s'ils furent toujours ainsi alors
qu'il s'agit de faits plusieurs fois millénaires. Par ailleurs, on sait que
dans le domaine du sacré, la conservation du matériau s'accompagne
souvent d'une perte du sens premier, fondamental, et parfois même
on assiste à une détérioration du matériau.
D'où ces spécialistes tiennent-ils l'idée qu'aller en Afrique passer
quelques semaines ou mois à observer et décrire un rite leur permet
de l'interpréter et de faire croire qu'ils l'ont compris ? Le phénomène
contemporain n'est que l'aboutissement d'un phénomène initial.
Pour comprendre le phénomène contemporain il faut avoir compris
le phénomène initial. C'est en suivant l'évolution de ce dernier que
nous arrivons à comprendre comment il est devenu ce qu'il est
aujourd'hui, s'il a changé ou pas par rapport au phénomène originel.
Faire une étude sur le culte des ancêtres ou un aspect relatif au culte
des ancêtres en ne tenant pas compte de son origine et de l'un de ses
éléments de base, peut-être le plus important, qui est l'agriculture,
pas plus que du passage de l'agriculture à la théorie du culte des
ancêtres est une entreprise vaine. Dans ce cas on ne peut aboutir
qu'à des conclusions qui n'ont rien à voir avec ce culte. Et combien
de spécialistes du sacré africain ont tenu compte de cet aspect :
passage de l'agriculture à la théorie du culte des ancêtres ?

6.Le culte des ancêtres : à la recherche d'une définition


Dans l'état actuel des connaissances, toute définition du culte des
ancêtres ne peut être que provisoire. Il va de soit que celle que nous
proposons ici est incomplète mais elle a le mérite de coller aux faits,
nous l'avons élaboré après-coup. Elle paraîtra évidente lorsque le
lecteur aura pris connaissances des fondements biologiques.
Le culte des ancêtres est la conquête de la Vie, de sa signification et
des responsabilités à prendre en tant qu'être vivant dans le monde.
Le culte des ancêtres est une apologie de la vie toujours triomphante,
de la vie qui vainc la mort. A travers la vénération des ancêtres, il est
question pour les vivants de se reconnaître en tant qu'ils sont la
continuité de l'ancêtre et en tant qu'ils sont porteurs et supports de
la même essence que l'ancêtre responsable de la lignée, du clan, de
l'ethnie, de la race, de l'espèce. Le culte des ancêtres c'est la Vie, c'est
cette même flamme qui se transmet de génération en génération et
que les dernières générations ont pour charge de perpétuer.
Le culte des ancêtres se révèle être aussi l'exaltation de cette force
que libère le mort. C'est encore une apologie de la vie toujours

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triomphante, ici, cette victoire se manifeste par l'élection d'un
descendant en tant que support de la force vitale de l'ancêtre en vue
de sauvegarder, de maintenir, de perpétuer la tradition ancestrale et
de participer à la perpétuation de la Vie et à l'amélioration des
conditions de vie.

7. L'évènement primordial : le phénomène agraire


L'origine du culte des ancêtres est un moment grave. Le culte des
ancêtres est né à la suite de la découverte de l'agriculture, il en est
une conséquence. Il est donc extrêmement lié au phénomène
agraire. Et l'invention de l'agriculture à eu lieu à une époque d'une
grande explosion de la créativité humaine qui a d'ailleurs précédé
l'invention du phénomène agraire. Aux origines de l'agriculture et du
culte des ancêtres il y a un meurtre, ou peut-être tout simplement
une mort. Il faut donc essayer de comprendre ce qui s'est passé.
C'est au mésolithique que s'est fait la découverte de l'agriculture qui
amorça une profonde révolution. Au début, avant même le
mésolithique, il fut essentiellement question de végéculture ou
culture des tubercules puis par la suite au néolithique, de
céréaliculture ou culture des céréales. Comment s'est fait la
découverte de l'agriculture ? Est-elle uniquement le résultat d'un
long vécu selon le rythme de la vie végétale ou s'agit-il d'une
inférence faite à partir d'autres choses ? Que s'était-il passé chez les
Hommes néolithiques pour que la révolution agraire ait tant de
répercussion dans leur vie ?
Pour la compréhension du phénomène agraire et de ce qu'il opère
comme révolution, Adolph Jensen est parti du constat de la mise à
mort présente aussi bien dans les mythes que dans les rites. Les uns
présentent l'origine de l'agriculture à partir d'une divinité qui fut
tuée, morcelée, démembrée, inhumée, et à partir de laquelle ont jailli
les plantes agricoles. Les autres actualisent cette mise à mort. Ici et
là, au cours des semailles, des sacrifices humains ont été pratiqués.
On tuait un homme, une femme, un enfant, on répandait le sang
dans les sillons, on enterrait un morceau de chair dans les champs...
II y a donc eu chez les agriculteurs un acte de mise à mort.
Qu'est-ce qui a poussé ces Hommes à tuer leurs semblables de
manière volontaire et où l'acte était perçu comme créateur de formes
culturelles, permettant de connaître la nature ultime du monde et où
sa répétition était une rénovation des choses, permettant de
transmettre aux nouvelles générations cet acquis ?
Ce que l'on sait, c'est que la pensée mythique revient toujours sur ce
qui s'est passé la première fois, à l'acte créateur estimant à juste titre
que c'est lui qui apporte sur un fait donné le témoignage le plus
vivant. Pour Jensen, c'est au plus ancien stade agricole qu'il faut

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chercher la raison de la mise à mort, acte qui peut révéler l'origine
surtout du caractère sacral de l'agriculture.
Pour Grant Allen, l'agriculture n'a été possible qu'à partir du
moment où il y a eu défrichement de la terre et la seule occasion de
ce défrichement pour les " primitifs " a été les enterrements. En
outre, depuis le paléolithique, les inhumations s'accompagnaient de
dépôts d'outils, d'animaux, de plantes comestibles. Sous l'action de
la putréfaction du cadavre et des offrandes, des libations fréquentes
au-dessus des tombes, les plantes agricoles ont émergé.
Lorsque cela se fit pour la première fois, on conclut que ce mort, du
fond de sa tombe avait entraîné la croissance des plantes.
Cette production agricole devint une gratification du défunt et
même, l'incarnation du défunt lui-même. La renaissance du mort
s'était fait à travers les plantes, en celles-ci résidait l'esprit du défunt.
Lorsque les effets de cette première récolte ont commencé à
décroître, la nécessité d'immoler une victime fit son apparition car
avec son inhumation accompagnée de plantes comestibles, on
répétait l'acte créateur :
"Chaque victime nouvelle devait avoir les mêmes qualités et mêmes
pouvoirs que les victimes précédentes ; elle devait être assimilée à
l'être humain qui, le premier, du fond de sa tombe, amena la
croissance des plantes bienfaisantes." Goblet d'Aviéla, p.12.
L'hypothèse de Grant Allen est plausible mais n'a pas été confirmée,
elle est peut être trop belle pour être vraie. En tout cas, elle rend
compte de l'inextricable lien qui existe entre l'agriculture et le culte
des ancêtres de même qu'elle valide les constructions mythiques et
les rites de mise à mort dans l'après coup, à posteriori.
Dans l'état actuel des connaissances tout ce que l'on peut dire de
manière certaine c'est qu'avec l'agriculture, l'Homme néolithique a
accédé au fait que les semences dans la terre perdaient à jamais leurs
formes en se putréfiant. La naissance de la plante nouvelle passait
par un hiatus, une dissolution des formes accompagnée d'une
réduction en eau, la vie nouvelle passait par une nécessaire mort de
la semence. L'Homme néolithique a homologué le drame de la
semence végétale à sa propre mort et en cela il rompait avec
l'Homme paléolithique sur plusieurs points. D'abord parce qu'il n'y
avait plus place pour la parthénogenèse et parce que le chasseur-
cueilleur du paléolithique en tuant l'animal, attribuait la
responsabilité de l'acte à la divinité. L'agriculteur du néolithique,
saisissant mieux que les paléolithiques ce qu'est la vie, a pris ses
responsabilités en tant qu'être vivant dans le monde et les a
assumées :
"Quand l'homme a eu conscience de son mode d'être dans le monde,
et des responsabilités liées à cet être dans le monde, une décision a

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été prise,... La conception de ces peuples, c'est que la plante
alimentaire est le résultat d'un meurtre primordial. Un être divin a
été tué, morcelé, et les morceaux de son corps ont donné naissance
à des plantes inconnues jusqu'alors, surtout à des tubercules, qui
depuis ce temps constituent la principale nourriture des humains.
D'où le sacrifice humain, le cannibalisme, et d'autres rites, parfois
cruels. L'homme n'a pas seulement appris que sa condition veut
qu'il doive tuer pour vivre, il a assumé la responsabilité de la
végétation, de sa pérennité, il a pour cela assumé le sacrifice
humain et le cannibalisme... ... il ne s'agit pas d'un comportement
animal mais d'un acte humain, que c'est l'homme, en tant qu'être
libre de prendre une décision dans le monde, qui a décidé de tuer et
de manger son prochain..." Mircéa Eliade : l'épreuve du labyrinthe,
pp. 138-140
Sa vision du monde accusait donc de profondes modifications. Sur le
plan humain, le sperme et le sang devenaient l'essence de la vie et
exprimaient sa sacralité. Avec l'assomption du sperme, la
fécondation était désormais inférée de manière claire à
l'accouplement. Cette inférence et d'autres montraient que rien ou
presque rien n'était donné dans la nature comme produit fini.
Pour la chasse, l'animal était donné dans la nature, il " suffisait "
seulement d'aller le chercher. Pour la cueillette, la nourriture
végétale était également donné dans la nature et mieux que la
chasse, il suffisait vraiment d'aller la chercher. Avec l'agriculture ce
n'était plus le cas, elle nécessitait des actes, du travail. Pour obtenir
quelque chose, il fallait désormais une participation active de
l'individu. Le cultivateur était obligé d'élaborer ses projets plusieurs
mois avant leur application, d'exécuter dans un ordre précis, une
série d'activités complexe en vue d'un résultat lointain et surtout au
début, jamais certain : la récolte. En se souciant du succès de sa
récolte, le cultivateur néolithique a prospecté le temps, a fait
l'expérience du temps cosmique, circulaire et cyclique. Tous ces
éléments qui ont fait irruption dans la conscience du cultivateur
n'ont pas été vains. En élaborant la structure de ses rites, le
cultivateur y a consigné ses peines, ses angoisses, ses incertitudes, et
ses espérances.
C'est par ces consignes que nous savons aussi que la révolution
agraire a eu un impact sur la vie spirituelle des néolithiques, nous
savons également que la connaissance empirique de la semence qui
perd ses formes dans la terre a été très révélatrice. Après la
dissolution des formes et la réduction en eau, il était clair qu'au sein
de cet état chaotique s'organisait quelque chose, une force qui, à
l'aide des travaux agricoles faisait germer les nouvelles plantes. Ce
que l'agriculture révélait, ce en quoi elle opérait une révolution était
la prise de conscience, la valorisation et l'exaltation de cette force, de
cette puissance qui fait croître, qui engendre la Vie. A travers les

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multiples rites de la moisson, ce n'était pas la plante elle-même qui
était vénérée, mais cette force dont la plante n'était que l'expression
merveilleuse. On peut dire que ce que l'Homme néolithique a vu, ce
qu'il a compris et appris du drame des semences, la leçon qu'il en a
tiré, est l'existence de cette force, de cette puissance qui animait la
plante et par extrapolation toute la végétation et le cosmos.
Ces considérations qui sont au centre de ce que révélait l'agriculture
et présentées comme telles ne nous expliquent pas le lien
fondamental entre ancêtres et descendants : point pivot du culte des
ancêtres. En d'autres termes, ces considérations ne nous permettent
pas de saisir le passage de l'agriculture à la théorie du culte des
ancêtres.
Nous allons nous intéresser à deux mythes où les agriculteurs ont
consigné ce qu'ils ont compris de la semence en putréfaction et qui
permettront de déceler le passage de l'agriculture à la théorie du
culte des ancêtres. Il s'agit des mythes de l'Ogdoade et des mythes du
démembrement de l'être anthropomorphe.

8.Les fondements biologiques


Pour bien comprendre les fondements biologiques du culte des
ancêtres, il nous faut insister sur un type de mythe : les mythes de
l'Ogdoade où se trouve consigner cette connaissance. Il nous faut
pour cela remonter à l'Egypte ancienne.
Khéménou était une ville de moyenne Egypte et ce nom signifiait la "
Ville des Huit " (Serge Sauneron, George Posner). En langue copte il
est devenu Shmoun qui a donné en Arabe Ashmounein, ville actuelle
de l'Egypte. A l'époque des pharaons et peut être même avant,
Khéménou a été l'un des grands centre religieux. Cette ville est plus
connue dans la littérature sous le nom de Hermopolis et elle devait
son nom originel de Khéménou, la " Ville des Huit ", a une démiurgie
collective de huit dieux qui étaient présents lors de l'émergence de la
ville des eaux chaotiques comme tertre primordial. La cosmogonie
de type hermopolitaine sous l'égide de huit dieux primordiaux est
appelée Ogdoade. Souvent cette Ogdoade se transforme en
Ennéade : une cosmogonie orchestrée par neuf dieux. Sur le plan
historique, c'est à Hermopolis que la cosmogonie des Huit est
attestée pour la première fois, cette ville a été probablement le centre
de diffusion de ces mythes.
L'Ogdoade égyptienne raconte qu'à l'origine il y avait un œuf qui
contenait le souffle de vie universel. On ignore si l'œuf avait été
produit par les Huit dieux ou si ces derniers y étaient contenus. Mais
les Huit sont des dieux autogènes, soit qu'ils ont produit l'œuf soit
qu'ils sont issus de l'œuf. Dans tous les cas les Huit sont liés à l'œuf
et à son contenu : au souffle de vie universel.

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Au commencement il y avait donc l'Ogdoade, les Huit dieux
primordiaux et l'œuf. La dénomination des Huit est en soi l'histoire
d'une genèse, une cosmogonie. Les Huit sont à la base quatre dieux
mâles qui ont chacun un double féminin, il s'agit de quatre couples
de divinités représentant les force génésiques élémentaires. Il y a :
● Noun et Naunet : l'eau primitive
● Heh et Hehet : l'infinité spatiale
● Kek et Keket : les ténèbres
● Amon et Amaunet : l'indétermination spatiale, le vide...
Ce sont les éléments du chaos précosmogonique, les forces
génésiques, obscures, d'un monde inorganique mais en devenir. Les
Égyptiens les ont personnifiés en tant qu'être ayant l'aspect de
grenouilles et de serpents. Les commentateurs des textes égyptiens
n'ont pas manqué d'associer cette personnification aux bêtes
rampantes des eaux boueuses qui évoquent l'obscurité lourde,
humide et infinie des instants précosmogoniques (Serge Sauneron,
George Posner). Au sein de cette infinité ténébreuse ou de l'oeuf, les
Huit avaient émis une lumière qui fit jaillir le soleil. D'autres
versions raconte l'émergence de l'astre à partir d'un lotus. Si aux
dieux primordiaux on ajoute le soleil, on passe alors d'une Ogdoade
à une Ennéade.
Les prêtres de Memphis ont élaboré aussi une cosmogonie où
intervient les Huit (Serge Sauneron). Elle se centre sur le dieu Ptah-
Ta-Tenen et les Huit sont clairement identifiés à ses hypostases.
L'Ogdoade memphite comprend : " Ptah qui est sur le grand trône ",
Noun et Naunet, Ptah l'ancien, quatre autres divinités dont les noms
sont perdus.
Ce que l'on peut retenir de l'Ogdoade égyptienne c'est que les Huit
sous leur représentation animale sont associés à l'eau et aux forces
génésiques. Si on considère que les Huit étaient contenus dans
l'oeuf, ils sont alors associés au souffle de vie universel. Lorsque
l'Ogdoade-Ennéade est incarnée par le dieu Ptah, on nous fait
comprendre que ce dernier a attribué la vie et a fait exister les dieux,
il est ce dont toute chose est issue. L'Ogdoade égyptienne reste
attacher à l'idée de vie, de la genèse du vivant. L'Ogdoade est
présente dans tout ce qui existe depuis le monde minéral, végétal,
jusqu'au monde animal.
La cosmogonie Dogon propose aussi une Ogdoade (Marcel Griaule/
Germaine Dieterlen : Le renard pâle). Le point de départ est à la fois
un oeuf et un végétal, le Põ, la plus petite des graines. Les premières
ébauches de la création se font sous la responsabilité du dieu Amma.
A l'origine le Põ pilu était une spirale qui commença d'abord par
enrouler dans ses spires les Paroles d'Amma puis par s'enrouler sur

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elle-même autour de son germe. Amma plaça un par un les éléments
de la création dans la graine. Mais les premières choses qu'il avait
créées n'avaient pas de noms, ces derniers furent mis d'abord dans la
graine qui, à travers son tournoiement, a effectué la liaison d'une
chose avec la chose suivante. Les noms formaient une sorte
d'enveloppe mince, comme une peau. En tournant, cette peau est
devenue comme un tuyau dans lequel les choses étaient en chapelet
et enroulées en spirale. C'est à ce moment qu'Amma leur donna
leurs noms. Pour toutes les choses, Amma n'avait choisi que quatre
noms qui sur le plan de la Parole, du Verbe, correspondent aux
quatre graphies et éléments en gestation dans son sein. Les quatre
noms étaient la Parole, le Verbe.
En mettant les noms dans le Põ, l'intention d'Amma était de
répandre le Verbe dans l'univers et particulièrement sur la terre.
Dans le sein d'Amma, le Põ s'étendit jusqu'à atteindre ses limites.
L'assise d'Amma tenait le Põ serré comme un ressort qui finit par se
détendre, le Põ éclata. Le germe s'enroula sur la graine et la fit
tourner sur elle-même. La spirale se déroula dans l'autre sens et
Amma fit sortir les Huit paroles du Põ qu'il distribua dans l'univers.
Le Põ pilu était mâle et femelle. Les deux graines furent avalées par
le démiurge Nommo qui par ailleurs devra être sacrifié. Ces
premières ébauches de la création se passaient dans l'espace
intersidéral. Pour que les Huit Paroles arrivent sur terre, elles furent
déversées dans une arche.
Sur cette arche se trouvaient d'abord le démiurge ressuscité et les
Huit ancêtres avatars de la Parole et formés de quatre pairs de
jumeaux. L'Ogdoade-Ennéade Dogon se composait de :
Nommo
Amma Sérou et go sa
Lébé Sérou et ya sa
Binou Sérou et ya sa
Dyongou Sérou et ya sa
Les Huit sont aussi perçu ici comme une hypostase du démiurge et
toute l'Ennéade est la figuration de ce génie ressuscité. Le Nommo
lui-même en tant que père est la tête, Amma Sérou la poitrine, Lébé
Sérou l'abdomen, Binou Sérou les bras toujours vivants, Dyongou
Sérou le nombril et le sexe, les quatre jumelles sont les quatre
membres. Sur l'arche se trouvaient aussi tous les animaux et tous les
végétaux. Certains animaux en raison de leurs liens avec certaines
parties du corps et certains principes spirituels du démiurge sont
devenus des interdits totémiques. Parmi ces animaux on trouve le
crocodile noir et le silure qui représentent les deux bras, le varan
d'eau et le varan de terre qui représentent les deux jambes, l'antilope
valu et l'oiseau donu sont en rapport avec les principes spirituels de

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corps rampants.
Ainsi chargée, l'arche est-elle descendue sur terre. Pour amorcer
cette descente, elle fut suspendue à une chaîne de cuivre ou de fer
dont les anneaux symbolisaient les ancêtres se tenant par la main.
Cette chaîne par laquelle descendait l'arche est aussi comparée à un
lien fait de deux cordes jumelées, jalonnées d'une série de nœuds.
Ces nœuds sont appelés " nœuds du grand Amma " ou " nœuds qui
ne cassent pas la corde des (descendants) du sein ". Ils symbolisent
la continuité des générations. L'arche est le lien serré, quasi
indissoluble, établit par Amma entre les ancêtres et leurs
descendants.
"L'arche était suspendue à une chaîne de cuivre ou de fer dont les
anneaux symbolisaient les ancêtres se tenant par la main. Ce
support est aussi comparé à un lien fait de deux cordes jumélées,
jalonnées d'une série de nœuds dit " nœuds du grand Amma " ou "
nœuds qui ne cassent pas de la corde (des descendants) du sein "
(c'est-à-dire des générations). A lui seul, chaque nœud représente à
la fois l'arche et la corde la descente, ceci " pour qu'on oublie pas la
descente de l'arche ", qui est le lien serré, quasi indissoluble, établi
par Amma entre les ancêtres et leurs descendants."
(Griaule/Dieterlen, ibid, p.423-424)
Pendant la descente, cette arche se balançait et dessinait une double
hélice qui réalisait le mouvement même de la vie, du tourbillon qui
animait la première graine. Ce mouvement était entretenu par le
souffle des ancêtres qui semblait passer par une tuyère et qui était
comme une respiration tourbillonnante faisant promouvoir l'hélice
de la descente.
"En même temps qu'elle se balançait, l'arche, suspendue au bout de
la chaîne, pivotait sur elle-même dans une sorte de va et vient. Elle
dessinait ainsi en descendant une double hélice, réalisant le
mouvement même de la vie, du tourbillon qui animait la première
graine. Ce mouvement était entretenu par les souffle des ancêtres,
comme s'il passait par une tuyère. La tuyère a la forme même de
cette respiration tourbillonnante, dite " vent tournant ", laquelle
promouvait " l'hélice de la descente ". " Le trou de la tuyère est le
grand chemin de la respiration des ancêtres descendus d'en haut.
C'est leur souffle qui aidait à tourner pour aller et descendre vers le
bas " . (Griaule/Dieterlen,ibid, p.434)
Arriver sur terre, l'arche heurta d'abord le sol puis se retrouva dans
l'eau qui est le lieu de prédilection des Huit ancêtres primordiaux.
Dans une autre version (Marcel Griaule : Dieu d'eau) il est dit que le
démiurge Nommo contenant des Huit sous la forme d'un couple
primordial est associé à l'eau, il est présent dans toute eau, il est
l'eau.
Les cosmogonies de l'Ogdoade se retrouvent en Afrique dans la

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boucle du Niger chez des peuples voisins des Dogon. Ils se
rencontrent aussi dans la zone centrale notamment chez l'ethnie
Téké où la ressemblance avec le mythe Dogon est assez frappante (A.
Masson Detourbet). Les mythes de l'Ogdoade quelque soit le lieu en
Afrique semblent être issus d'un centre unique :
Hermopolis. Le sens profond, premier, de ce type de mythes aurait
été le même partout là où il se rencontre. C'est dire que le sens
profond octroyé par l'Ogdoade Dogon, la plus élaborée qui nous soit
parvenue, est valable pour les autres.
Ce que l'on peut dire pour l'instant c'est qu'à travers les Huit, et à
l'instar des anciens égyptiens, les Dogon y ont vu les bases même de
la vie. Celle-ci est dans l'eau et peut même être confondue avec elle.
Mais les Dogon révèlent plus de choses, la vie est définie comme un
mouvement : mouvement hélicoïdal d'une double hélice en torsade
animée par quatre ancêtres principaux affublés chacun d'un double.
L'arche et le support sur lequel elle descendait représentent la
continuité des générations, le lien serré, indissoluble entre les
ancêtres et leurs descendants. Ce mouvement qui exprime la vie est
ce qui était à l'oeuvre dans la plus petite des graines, le Põ pilu, et
par extrapolation dans toute graine. Les mythes de l'Ogdoade sont
donc liés au fait agraire, aux leçons tirées de la semence végétale. Ces
mythes nous permettront de comprendre la démarche empruntée
par les néolithiques pour passer de l'agriculture à la théorie du culte
des ancêtres. On peut déjà signaler que les mythes de l'Ogdoade sont
d'une importance capitale, ils constituent à eux seuls une véritable
révolution, un problème épistémologique majeur.
Quelle connaissance relative à la vie ces gens ont consignés dans ces
mythes de l'Ogdoade ?
Il faut dire que le culte des ancêtres est aussi vieux que la monarchie
et la première fois que la royauté est attestée dans l'histoire de
l'humanité, c'est en Égypte ancienne (et probablement en Nubie
aussi) qu'on la rencontre aux alentours de 3000 ans B-C. Le culte
des ancêtres y apparaît déjà sous sa forme achevée. La monarchie,
notamment à travers la succession royale, a été la première
application pratique sur le plan religieux et social des leçons tirées
de la semence végétale. C'est dire que le culte des ancêtres sous sa
forme actuelle est vieux d'au moins 5000 ans.
Quelles connaissances ces Hommes néolithiques, de l'époque
protohistorique ont-ils consigné dans les mythes de l'Ogdoade ?
Pourquoi ont-ils considéré les Huit comme la genèse du vivant,
comme des ancêtres primordiaux ? Pourquoi ont-ils défini la Vie
comme un mouvement hélicoïdal d'une double hélice en torsade ?
S'agit-il d'élucubrations, de simples spéculations sur ce qu'est la Vie
de la part des gens qui ont vécu il y a plus de 5000 ans ? Ou s'agit-il
plutôt d'une réflexion savamment orchestrée ?

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En 1928, un chercheur du nom de Griffith avait démontré l'existence
d'un support chimique de l'hérédité. Dans la même lignée mais en
1953 deux autres chercheurs, Watson et Crick, ont expliqué pour la
première fois la structure de ce support chimique. Celui-ci est une
molécule appelée ADN (acide désoxyribo nucléique). La molécule
d'ADN est une double hélice constituée de deux brins enroulés en
torsade. Chaque brin est constitué entre autre d'une succession de
quatre bases qui sont : l'adénine, la tymine, la guanine et la cytosine.
Chacune des bases d'un brin s'associe de manière spécifique aux
bases de l'autre brin. Les quatre bases s'associant deux à deux
forment quatre couples, donc Huit bases. Ces associations sont :
— Adénine – Tymine
— Cytosine – Guanine
— Tymine – Adénine
— Guanine - Cytosine
La molécule d'ADN est le noyau de toute cellule, la genèse du vivant,
le support de la vie. Elle contient les informations nécessaires pour
sa réalisation, c'est par elle que se transmet la vie de génération en
génération. On peut résumer la molécule d'ADN, molécule de la Vie,
comme un mouvement hélicoïdal d'une double hélice en torsade
animée par quatre couple de bases. N'est-ce pas là la principale
connaissance consignée dans les mythes de l'Ogdoade ?
Pour rappel, nous signalons que toutes ces cosmogonies ont assimilé
les Huit à la vie. Ces derniers sont à l'origine quatre divinités ou
ancêtres primordiaux qui en raison de la règle de gémelliparité sont
devenus Huit. Les Huit sont présents dans l'univers, dans tout ce qui
se meut et pousse sur terre. Dans la cosmogonie Dogon au moment
de l'élaboration des premières ébauches de la création, le Dieu
Amma avait créé quatre choses auxquelles il avait donné quatre
noms. Ces choses étaient mises en chapelet dans une sorte de tuyère.
Lorsque la graine éclata, Huit choses symbole de la Parole en
sortirent. Le support dans lequel était contenu les Huit dessinait un
mouvement hélicoïdal d'une double hélice en torsade. Ce
mouvement et ce qu'il contenait symbolisaient la vie, la continuité
des générations, représentait le lien serré et indissoluble entre
ancêtres et descendants.
D'un côté comme de l'autre, le support de la Vie est un mouvement
hélicoïdal d'une double hélice en torsade. La science contemporaine
parle de brins, la cosmogonie Dogon parle de tuyères. Dans les uns
on trouve entre autre un enchaînement de quatre bases, dans les
autres on trouve une enfilade de quatre choses en chapelet. Les
quatre bases en raison de leur associations forment une structure
qui comporte Huit bases. Les quatre ancêtres ou divinités
primordiales en raison de la gémelliparité deviennent Huit. La

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molécule d'ADN est le support de l'hérédité, le support de la vie et de
sa transmission à travers les générations, le lien entre ascendants et
descendants. L'Ogdoade et le mouvement qu'il imprime symbolisent
la continuité des générations, le lien serré, indissoluble entre
ancêtres et descendants. Il n'y a pas de doute, il y a une identité
formelle et conceptuelle entre l'ADN et l'Ogdoade.
De toute évidence, ceux qui ont élaboré le culte des ancêtres et
particulièrement les mythes de l'Ogdoade ont accédé à la
connaissance suprême de ce qu'est réellement la Vie. Les mythes de
l'Ogdoade se révèlent être le lieu où ont été consigné une partie des
investigations des peuples néolithiques et protohistoriques sur ce
qu'ils ont compris à partir de la semence végétale. Ces peuples ont
aussi eu l'intelligence d'utiliser la structure de base de ce qu'est la
Vie comme schème, comme modèle exemplaire des rites et de
l'organisation sociale. L'Ogdoade est une duplication de la structure
de l'ADN.
On a pensé pendant longtemps et on pense toujours que l'Homme
religieux des sociétés archaïques est cet imbécile heureux vivant
depuis la nuit des temps et projetant vaille que vaille les possibles les
plus fantaisistes. Il existe des peuples issus des civilisations
néolithiques qui véhiculent souvent de manière latente la culture qui
s'y réfère. Dans l'histoire de l'humanité, ce moment d'une
importance toute spéciale a vu se réaliser une explosion de la
créativité. Nous ignorons encore ce qui a été exactement le moteur
de la révolution néolithique mais il y a un paradoxe à vouloir voir
dans les pratiques rituelles actuelle issues de ces néolithiques des
fourvoiements de l'esprit humain alors que ce sont ces mêmes
néolithiques qui ont fourni les bases de la culture contemporaine.
Ont-ils été inconséquents dans leur démarche, cohérents par
moment et incrédule à d'autres surtout à propos du sacré ?
Le lien serré, indissoluble entre ascendants et descendants est la Vie
à travers sa transmission, c'est-à-dire de ce mouvement hélicoïdal
d'une double hélice en torsade animé par les Huit. Ce qui a intéressé
à la base ceux qui ont élaboré le culte des ancêtres est ce mouvement
: la Vie.
On comprend alors pourquoi le lien entre ascendants et descendants
dans le culte des ancêtres est si important :
"Mourir sans descendance est le plus grand de tous les malheurs
pour un être humain vivant... Car c'est là, aux yeux de l'Africain,
l'échec absolu, la catastrophe sans appel, qui condamne non
seulement celui qui meurt ainsi sans enfant en vie, mais aussi tous
les ancêtres de sa race qui l'ont précédé en ce monde, à se voir
pendant toute l'éternité frustrés de ce qui fut la raison même de
leur existence : se perpétuer en se reproduisant, subsister au cours
des temps à travers la chaîne des vivants qui s'engendre les uns les

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autres. Ainsi donc tout est concentré sur le précieux exister des
hommes-vivants en qui se perpétue l'existant des vivants transmis
par les ancêtres." J. Jahn
Prise de conscience tragique car la Vie, la Culture n'étaient pas
données mais se révélaient bien comme des incessantes auto-
constitutions. Aux efforts accomplis pendant le paléolithique,
venaient s'ajouter ceux de la révolution néolithique qui engageait
l'individu plus que jamais.
Par cet engagement l'Homme religieux s'était senti comme le
résultat de décisions prises au commencement notamment celle
d'appréhender le réel et lui donner une signification. L'émergence
dans la conscience du cosmos : ciel, terre, végétation..., l'avait
conduit à prospecter son environnement afin de se le rendre
habitable et compréhensible. Avec l'irruption de la mort dans cette
conscience, l'Homme avait fait preuve de courage car, se rendant
compte qu'il est un être d'aventure, un mortel né pour ne vivre qu'un
laps de temps, cet Homme n'a pas abdiqué devant son destin. Il lui
fallait sortir ou démeurer dans sa crise, il avait fait le choix d'en
sortir en faisant face à la réalité et en se l'apprivoisant. Une telle
décision a traversé le temps, s'est précisée au néolithique et a permis
sans cesse à l'Homme de s'accepter en tant qu'être d'aventure et en
même temps de transcender cette réalité.
La réflexion de l'Homo religiosus néolithique a été d'une porté
théorique et pratique très importante. Saisissant que ce qu'il
considérait comme la vie avait une origine céleste, était répandue
dans l'univers et émanait de quelque chose d'unique, il a ainsi réalisé
son origine céleste, son appartenance et sa participation structurelle
à l'ensemble du cosmos ; il était constitué de la même essence que le
reste de l'univers, essence qui était présente dans le germe
primordial. L'Homo saisissait également la porté de sa présence en
tant qu'être vivant dans le monde, car il y avait des responsabilité à
prendre. Si la Vie avait une origine céleste, était descendue sur terre,
a eu pour véhicule la matière minérale, végétale et animale, elle
n'était pas parvenu jusque là à travers ses différents supports à
prendre conscience d'elle-même.
Réalisant ce qu'est la Vie de son point de vue, réalisant également
que lui l'Homme pas plus que la matière minérale, végétale et
animale, n'était la Vie mais son contenant, le témoin de sa
manifestation, les efforts ont convergé vers cette chose : la Vie. Il ne
fallait plus que celle-ci évolue au gré du hasard. L'Homme assumait
désormais la responsabilité de la Vie, dans tous les domaines, il lui
assignait une direction. Elle devait perdurer, se maintenir, se
perpétuer de génération en génération.
Mais il ne faut pas croire que le corps, le contenant de la vie, a été
laissé pour compte.

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9. Les fondements neurobiologiques
Il y a un aspect neurobiologique qui a été pris en compte par ceux
qui ont élaboré le culte des ancêtres. Pour mettre en évidence cet
aspect il nous faut apporter certaines précisions. Dire notamment
quelle est la fonction de l'initiation, dire quelques mots sur le type de
mythes où se trouve consigner cette connaissance, parler du temple
et des rapports avec ce type de mythes, des séquences rituelles en
rapport avec les mythes et le temple, des données neurobiologiques
empruntés à Gérald M. Edelman et à Antonio R. Damasio qui nous
ferons saisir les aspects neurobiologiques de l'initiation. On va le
voir, ces données étaient connues par ceux qui ont élaboré
l'initiation au culte des ancêtres.
L'initiation telle qu'on la rencontre dans la littérature consiste à
opérer une mutation de l'esprit. Cette fonction attribuée à l'initiation
est incomplète au regard du mythe et de se qui se passe pendant
l'initiation. Il ne saurait y avoir une mutation de l'esprit sans prise en
compte importante du corps. Il y a donc mutation à la fois et du
corps et de l'esprit.
Il serait trop long ici pour raconter le détail de ces mythes. Ils sont
appelés mythes de démembrement de l'être anthropomorphe ou du
géant anthropomorphe. Ils présentent aux origines, avant
l'avènement définitif du monde, un être qui totalise en lui l'ensemble
de la création future. A la suite de rivalités entre divinités, cet être
est tué, démembré, les différentes parties de son corps vont être
utilisées pour l'édification du monde. Les étoiles, les montagnes, le
ciel, les nuages, les étendues d'eau... seront constitués à partir des
éléments démembré du géant. L'étape finale ou décisive est toujours
une consolidation des éléments auparavant épars. Et l'univers
devient l'être anthropomorphe démembré et reconstitué.
Le même type de mythes existent mais à l'échelle humaine. Ce sont
les mythes du type Osiris qui est tué, démembré, reconstitué et par
la suite opère une nouvelle naissance. Non pas une naissance en tant
qu'être de chair et d'os, mais une naissance spécifique à la modalité
de l'esprit.
Le temple chez les agriculteurs qui est une image réduite du monde,
est par conséquent une figuration de l'être anthropomorphe. Le
temple résume les phases de démembrement reconstitution du
mythe car le temple dan son architecture représente des éléments du
corps humain : tête, tronc, membres, peau, squelette, poumons,
coeur et l'ensemble des viscères.(voir R. A. Schwaller : le temple
dans l'homme, Marcel Griaule : Dieu d'eau, Otto Gollnhofer/Roger
silence : le symbolisme...)
Dans un temple comme celui de Louxor en Egypte qui est également

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la figuration par excellence d'une morphologie humaine, on trouve
dans les bas reliefs des peintures évoquant une embryologie et un
développement post-natal : conception, façonnement du corps et du
ka (développement, formation corps-esprit), naissance, croissance,
maturité et couronnement du pharaon. Il ne s'agit pas là de faits
isolés, les aspects obstétriques dans les initiations ont souvent été
soulignés dans la littérature.
En dehors de l'Egypte ancienne et à l'époque contemporaine on
rencontre encore des rites qui évoquent de manière explicite une
embryologie. Dans l'initiation au culte Bwiti il y a un rite qui consiste
à se diriger vers le temple dans une procession serpente au sein de la
quelle un enfant porte sur son dos la figuration d'un poisson réalisé
avec des végétaux et on entonne un chant qui nomme deux
animaux : la mangouste grise et les athérures. Il faut préciser que ce
rite est précédé par un autre qui fait état de l'accouplement du
couple primordial. L'explication du rite avec l'enfant porteur de
poisson est la suivante :
"Le symbolisme de ce rite tend, d'une part, à évoquer et présentifier
certains stades de l'état fœtal des postulants et, d'autre part, à
établir une correspondance entre cet état et celui de la
déstructuration de la conscience habituelle des récipiendaires, dû à
l'Iboga. Le poisson porté par l'enfant est le foetus ; la mangouste
grise est l'enfant au dernier stade de la gestation, les athérures sont
les néophytes qui ont vu le Bwete ; le terrier est le sein de la mère."
(Otto Gollnhofer et Roger Sillans, p. 235)
Ce rite est suivi par d'autres qui figurent la naissance de l'enfant, la
coupure du cordon ombilical...
D'autre part, toute initiation au culte des ancêtres comporte toujours
à un moment ou à un autre une séquence portant sur le corps suivi
ou s'accompagnant d'une réclusion dans le temple. Cette altération
de la perception habituelle du corps peut se faire à l'aide d'épreuves
douloureuses portant sur le corps, d'un couché à même le sol
pendant plusieurs jours, d'une destruction temporaire de la
conscience.
Mais alors, qu'est-ce qui explique ce recours aux aspects
embryologiques, à la figuration du temple en tant que morphologie
humaine ? Et c'est là tout l'objet de notre propos, au lieu de faire
appel à chaque fois à l'épouvantail de service qu'est l'irrationnel on
ferait mieux dans de tel cas de se poser les vrais questions et
chercher à y répondre.
Qu'est-ce qu'un lieu qui a pour fonction d'abriter une mutation de
l'esprit (le temple) a à voir avec la morphologie humaine ? Pourquoi
ce recours à des aspects embryologiques et développementaux alors
qu'on ne cherche qu'à opérer une mutation de l'esprit ?

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Au lieu de rester dans sa tour d'ivoire (en l'occurrence dans le
domaine de l'anthropologie du sacré), il faut jeter un coup d'oeil
dans les sciences qui s'intéressent à l'esprit et voir si elles peuvent
nous apporter des éléments de réponse. Il se trouve que parmi ces
sciences, la neurobiologie nous est d'un grand secours.
Pour Gérald M. Edelman, l'esprit dépend de certaines formes
particulières d'organisation biologique de la matière. C'est au cours
de l'évolution que les corps en sont venus à posséder des esprits.
C'est dire que l'esprit a pris corps, qu'il s'est incarné à un moment
donné de l'évolution. L'existence et le fonctionnement de cet esprit
dépendent d'une conscience qui est apparue à l'issu d'une sélection
naturelle.
Les étapes qui ont conduit et conduisent toujours à une morphologie
capable d'incarner l'esprit se retrouvent au niveau phylogénétique et
ontogénétique. Au cours de l'évolution des hominidés, l'acquisition
de la bipédie avait occasionné des modifications sur l'allure générale
du corps, sur l'anatomie et surtout au niveau de la base du crâne. Il y
a eu apparition de régions spéciales du cerveau liées au langage,
apparition de capacités conceptuelles, du langage articulé... Au cours
de cette évolution, il y a eu un accroissement et une modification
morphologique du cerveau. Ce sont ces nouvelles morphologies du
corps et du cerveau qui ont rendu possible l'incarnation de l'esprit.
L'Homme, par la morphologie de son corps et de son cerveau est le
seul être doté d'un esprit capable d'opérations spécifiques et
supérieures.
Au niveau ontogénétique, la mise en place de la morphologie du
cerveau et du corps s'ébauche dès le stade embryonnaire par la
rencontre d'un spermatozoïde et d'un ovule et grâce aussi en grande
partie à des facteurs génétiques. La formation du cerveau se fait à
travers des mouvements de cellules qui se divisent, migrent,
meurent et adhèrent les unes aux autres. Les neurobiologistes
accordent une grande importance à la connectivité des systèmes
neuronaux car c'est par elle qu'ils rendent compte de l'existence de
l'esprit. La morphologie plénière du cerveau est acquise après les
premières années de la vie, celle du corps à la maturité.
Mais ce n'est pas parce qu'on possède un corps et un cerveau
morphologiquement humain qu'on peut prétendre bénéficier
obligatoirement des opérations de l'esprit. Le moi conscient humain
se construit à travers les interactions socio-culturelles.
Ce qui ressort c'est qu'au niveau ontogénétique, l'incarnation de
l'esprit commence au stade embryologique et développemental par
la mise en place d'une morphologie nécessaire, se poursuit après la
naissance par l'achèvement du cerveau, par la croissance
anatomique jusqu'à la maturité et par les interactions socio-
culturelles.

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Et comment ne pas rapprocher ce point de vue neurobiologique de
l'incarnation de l'esprit à la conception du temple chez les
agriculteurs et de ces rites faisant appel à des notions
embryologiques et développementaux justement afin d'opérer une
mutation de l'esprit ?
Le temple, dont l'exemple le plus éloquent est celui de Louxor, figure
à la fois un corps humain et les différentes étapes de sa croissance.
D'autre part, une grande importance a été accordée à la tête et à
certains organes du cerveau. Au niveau des bas-reliefs on trouve la
figuration de la conception de l'enfant roi, de sa gestation, sa
naissance et sa croissance jusqu'à la proclamation de sa divinité. On
comprend que les rites dans la typologie agraire mettent en parallèle
la morphologie du temple à travers ses différentes phases de
construction et l'incarnation de l'esprit chez l'individu à travers les
différentes étapes de sa croissance.
L'homologation qu'on rencontre dans les initiations et les funérailles
entre la naissance au mode de l'esprit et la naissance obstétrique
n'est pas un emprunt puéril à des concepts biologiques et
physiologiques. Cet emprunt est rendu nécessaire par le fait que
l'incarnation de l'esprit commence dès le stade fœtal et se poursuit à
la naissance. Pour assurer la mutation de l'esprit, certaines
initiations et mêmes des funérailles utilisent clairement le même
modèle que l'incarnation de l'esprit : ils évoquent une conception,
une gestation fœtale, une naissance et une croissance de l'individu.
L'esprit dépendant d'une certaine organisation biologique de la
matière et le temple étant un lieu de naissance au mode de l'esprit,
celui-ci ne pouvait que figurer une morphologie humaine.
Le parallélisme morphologie du temple-morphologie de l'individu et
l'homologation entre naissance au mode de l'esprit et naissance
obstétrique nous montre que les anciens avaient bien compris que
c'est un corps biologiquement complexe comme celui de l'être
humain qui génère l'esprit. On se rend compte que les données
actuelles des neurosciences sur l'incarnation de l'esprit étaient déjà
acquises par ceux qui ont mis en place le culte des ancêtres.
Pour rendre compte de ce lien corps-esprit, Antonio R. Damasio
énonce du point de vue neurobiologique, une profonde interaction
entre l'esprit et le corps où la modification de l'un entraînerait
nécessairement la modification de l'autre. Il y aurait aussi et surtout
une préséance du corps sur les phénomènes mentaux, c'est par
l'intermédiaire du corps que se fait l'interaction entre un organisme
et l'environnement.
Pour assurer la survie du corps le mieux possible le cerveau a eu
pour solution à chaque fois qu'il y a interaction avec l'environnement
de représenter mentalement cet environnement en modifiant les
représentations fondamentales du corps. Du point de vue

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anatomique, cette représentation est tributaire du système somato-
sensoriel et surtout somato-moteur et elle est basée sur la
construction d'un schéma corporel comportant tête, tronc, membres,
viscères, contour du corps ou peau. La carte dynamique de ce
schéma serait dépendante de plusieurs régions du cerveau
(hémisphére droit, cortex, tronc cérébral, hypothalamus)
interconnectées.
Cette activité de connexion est due à des circuits neuraux qui
élaborent en permanence une représentation de l'organisme
reflétant sa perturbation provoquée par la perception de stimuli
issus de l'environnement physique et du milieu socioculturel, mais
aussi une représentation de l'organisme basée sur son action sur cet
environnement. C'est dire qu'au cours d'une interaction entre un
organisme et un environnement, il y a échange d'informations
partant de l'environnement au corps, du corps au cerveau et du
cerveau à nouveau vers le corps. A travers ces échanges, le corps est
contraint de se modifier activement de façon à ce que l'interaction
avec l'environnement puisse prendre place dans les meilleures
conditions possibles. Cette interaction permet à l'organisme de
maintenir son homéostasie, son état d'équilibre fonctionnel.
On se doute bien que lors de la mise en déroute de l'état habituel du
corps au cours de la réclusion initiatique, le corps doit envoyer au
cerveau des informations incohérentes pour la construction du
schéma corporel normal et fonctionnel. Des hypothèses d'Antonio R.
Damasio on en déduit que, pendant cette mise en déroute de la
perception habituelle du corps, l'organisme dans son intégralité
(corps et cerveau) cherche à maintenir son état d'équilibre
fonctionnel. Pour ce faire, il interagit avec l'environnement. Mais
l'environnement immédiat du néophyte, le seul en fait qui soit
significativement soumis à sa perception est le temple. Le néophyte
a à représenter mentalement, via le corps, le temple.
Or le temple, à travers sa structure est un corps, la figuration d'un
individu où se déploie une tête, un tronc, des membres, les viscères,
le contour du corps ou la peau. En d'autres termes, ce qui est donné
à voir au néophyte en mal de corps est un autre corps qui est le
temple, en fait, un homologue de la carte dynamique de la
représentation du schéma corporel lorsque l'activité neurale parvient
à interconnecter les différentes régions du cerveau qui concourent à
l'élaboration de cette représentation. Mais ici, avant même que
l'activité neurale se mette à l'œuvre pour élaborer cette
représentation, elle est déjà fournie en tant qu'environnement.
Le corps du néophyte placé dans le temple et forcément en
interaction avec celui-ci reçoit des informations de ce dernier et les
transmet au cerveau. Lorsque la représentation est ébauchée, elle
devient structurellement identique au temple. Le corps émoussé du

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néophyte pris entre la représentation mentale du schéma corporel et
le temple, ne peut que s'ajuster par rapport à ces organisations et
assurer son homéostasie, son état d'équilibre fonctionnel en
adoptant une organisation similaire où il y aura place pour une
perception adéquate du corps. Mais cette réorganisation de la
perception du corps ne peut se faire que grâce à une activité neurale
de plusieurs régions du cerveau.
Ce qu'il y a à retenir est que cette réorganisation, cette mutation du
corps qui a des bases neurales et chimiques entraîne du point de vue
neurobiologique une réorganisation, une mutation de l'esprit.
L'Homo religiosus néolithique ne s'était donc pas trompé ! En
élaborant un mythe cosmogonique où l'accession à un nouveau
mode de vie passait par un démembrement, une réorganisation du
corps, les néolithiques y ont inscrit le témoignage de leur
connaissance du lien corps-esprit en ce sens que pour opérer une
naissance au mode de l'esprit il faut agir sur le corps.
Le fait initiation dans un contexte de culte des ancêtres qui est une
modification de l'esprit s'accompagnant d'une réorganisation du
corps n'est pas une illusion, de simples supputations. Ces mutations
de l'esprit et du corps ont sûrement pour siège, entre autres, une
prodigieuse activité neurale et chimique qui peut être soumise à une
étude systématique.
Cette intrication profonde corps-esprit que les néolithiques avaient
saisie laisse apparaître des dimensions insoupçonnées qui révèlent la
perspicacité de l'Homo religiosus. Si l'esprit est imbriqué au corps, il
est évident qu'un problème se posait au moment de la mort. Cessait-
il d'exister ? Pour l'Homme religieux néolithique l' " esprit "
continuait une existence indépendamment du corps et la grande
difficulté à laquelle ces Hommes se sont heurtés a été de mettre en
place des rites qui assuraient cette survie. Il fallait gérer le moment
d'incertitude, de trouble que représentait le temps de la
désagrégation du cadavre, d'où la nécessité des rites de deuils pour
faire franchir cette étape et pour assurer la survie de l'esprit.
C'est bien parce qu'elles ont perçu cette intrication profonde que les
traditions religieuses des sociétés archaïques affirment que l'âme
n'accède au mode de l'ancestralité que lorsque la putréfaction du
cadavre est achevée. Et malgré l'extinction des fonctions vitales, la
disparition des chairs, certaines de ces traditions n'ont toujours pas
pu concevoir la renaissance du mort sans un support matériel ; d'où
les reconstitutions de squelettes dans les mythes et les traitements
des os, base matérielle minimale du défunt. C'est aussi à cause de
cette intrication qu'on a eu recours aux masques, statues et momies.
Il ne s'agissait pas seulement d'une simple lutte contre la
putréfaction du mort en lui conservant une forme matérielle, les
rites d'animation nous montrent qu'il s'agissait aussi et surtout

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d'accorder un support matériel à la force vitale libérée par le défunt.
Il semble que pour l'Homme religieux la survie, le développement de
l' " esprit " dans l'étape posthume nécessite au début un support
matériel stable. N'était-ce pas pour cette raison qu'au cours de la
succession royale on prétendait que le pharaon défunt au moment
critique de son accès dans l'au-delà était soutenu par la force vitale
de son fils ? N'était-ce pas encore pour cette raison que dans de
nombreuses sociétés archaïques on octroyait à chaque défunt une
effigie ? Et le culte des masques à visée collective n'implique-t-il pas
que chaque mort de la communauté a la possibilité d'y prendre
appui pour amorcer son accès dans l'au-delà ?
S'il y a homologation entre rites funéraires et rites initiatiques, entre
ce que le mort et le néophyte opèrent pour accéder au mode de
l'esprit, l'intrication corps-esprit fait apparaître une différence
majeure entre les deux. L'un accède au mode de l'ancestralité
indépendamment de tout support matériel biologique. L'autre opère
une naissance au mode de l'esprit grâce à son corps. Les destins ne
sont pas les mêmes. L'individu doté d'un corps continue à enrichir
son esprit du fait qu'il est un être vivant dans le monde et y participe
irrécusablement, ce qui n'est plus le cas du mort. Mais cette
différence s'amenuise lorsqu'on entrevoit une perspective plus
importante qui est que la vie au mode de l'ancestralité suppose
comme préalable une vie vécue dans un support matériel
biologiquement complexe qui génère l'esprit et lui a servi de support.
C'est ici que se justifient les deux axes du culte des ancêtres : la
nécessité de perpétuer biologiquement l'espèce et la gestion de la
force vitale libérée par le mort, le second aspect ne pouvant exister
sans le premier et tous les deux participent au maintien, à la
perpétuité de la vie.
Il est évident que la participation plénière à certains niveaux de vie
du réel, notamment celui qui échoit à notre perception immédiate,
nécessite un support matériel et que l'ancestralité en dehors des rites
suppose non seulement une vie vécue dans un support matériel mais
aussi la maturité d'un esprit généré par un corps biologiquement
complexe. Est-ce pour cette raison que dans l'antiquité on trouve
très peu d'inhumations d'enfants ? Est-ce pour la même raison que
dans les sociétés traditionnelles les enfants ne bénéficient pas de la
totalité des rites, notamment des rites de deuils ? On saisit le risque,
le danger, la gravité d'une mort à la fleur de l'âge. S'impose alors à la
réflexion la précarité de la vie, l'importance du corps biologiquement
complexe, fragile et qui pourtant génère la vie consciente :
"L'une des variantes de l'erreur de Descartes est de ne pas voir que
l'esprit humain est incorporé dans un organisme biologiquement
complexe, mais unique en son genre, fini et fragile ; elle empêche
donc de voir la tragédie que représente la prise de conscience de

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cette fragilité, cette finitude et cette unicité. Et lorsque les êtres
humains sont incapables d'apercevoir la tragédie fondamentale de
l'existence consciente, ils sont moins enclins à chercher à l'adoucir,
et peuvent, de ce fait, avoir moins de respect pour la valeur de la
vie." (Damasio, p.314)

10. Les fondements astronomiques


On rencontre ici et là en Afrique, mais aussi ailleurs, un rite
particulier qui consiste en une procession serpente qui se dirige vers
le temple ou vers le lieu qui fait office de temple et se termine à
l'entrée du temple par un mouvement spiralé (spirale involutive) en
tournant sur soi dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. Ce
rite se rencontre en Afrique de l'Ouest notamment chez les Dogon et
les peuples voisins, en Afrique centrale notamment au Gabon dans
des cultes comme le Bwiti, en Afrique australe avec des rites comme
le Domba ou danse du python qui se déroule... Que le même schème
soit si répandu et se rencontre toujours dans le même contexte
initiatique, cela veut dire qu'il a une origine unique et s'est diffusé.
Ici il y a de manière évidente et dans la plupart des cas conservation
du même matériau et peut-être perte du sens originel, du vrai sens.
Quelle est donc le sens de cette procession ? Pourquoi faut-il qu'elle
soit serpente ? Pourquoi se termine t-elle par un mouvement de type
spiralé ?
Il faut signaler que le symbolisme des trajectoires serpentiforme et
spiraliforme est très vieux. On le trouve déjà dès le paléolithique
supérieur gravé sur des objets. Le sens de ce symbolisme qui a
prévalu à cette époque des chasseurs-cueilleurs ne peut plus être le
même avec les agriculteurs.
Ce que l'on peut dire de prime abord c'est que le temple étant une
image réduite du monde et un lieu de naissance au mode de l'esprit,
il est aussi un lieu des origines. Se diriger vers le temple, c'est opérer
un retour vers le lieu des origines : origine de l'univers, de la vie, de
la naissance au mode de l'esprit. Mais pourquoi se retour aux
origines se fait-il par une procession serpente avec à son terme un
mouvement spiralé ?
Pour le comprendre, commençons par faire une distinction entre
temps profane et temps sacré. Il y a deux sortes de temps, le temps
sacré et le temps profane. Le premier est le temps des fêtes
religieuses vécu notamment pendant le rituel initiatique. Le second
est le temps où s'inscrit tous les actes non intégrés dans un cadre
religieux. A l'aide des rites, on peut passer du temps profane au
temps sacré dans la mesure où ce dernier est réversible, récupérable,
en ce sens que c'est un temps mythique primordial rendu présent ici
et maintenant pendant le rituel. Du fait que ce temps est rendu

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présent, il ne s'agit pas pendant la fête de le commémorer, mais de
l'actualiser. Participer à une fête religieuse c'est quitter le temps
profane, la durée temporelle ordinaire, pour réintégrer le temps
mythique créé et sanctifié par les dieux lors de leur gesta. En
d'autres termes, on retrouve dans la fête religieuse ou dans le rituel
initiatique la première apparition du temps sacré telle qu'elle s'est
effectuée à l'origine. Mais que s'était-il passé aux origines ?
In illo tempore, les dieux avaient montré l'apogée de leur puissance
par le truchement de la cosmogonie qui est la suprême manifestation
divine, le geste exemplaire de force, de surabondance et de
créativité. C'est l'instant prodigieux où une réalité a été créée, où elle
s'est pour la première fois pleinement manifestée. C'est surtout
l'instant où est apparu la plus vaste réalité. Et si le temps sacré est
celui où les dieux se sont manifestés et ont créé, il est évident que la
plus complète manifestation et la plus gigantesque création est la
création du monde.
L'Homo religiosus étant un assoiffé de réel, il s'efforce par tous les
moyens de s'installer à la source de cette réalité primordiale, de
rejoindre périodiquement ce temps originel car, il y a pour lui la
nécessité de se régénérer périodiquement par l'annulation du temps
profane.
La procession du début du rituel qui se dirige vers le temple joue ici
la différence entre temps sacré et temps profane. Les déplacements
sinueux marque le temps profane. Au cours d'une cérémonie sacrée,
cette procession serpente qui se dirige vers le temple marque
l'abolition symbolique et à rebours du temps écoulé depuis la
création du monde. On part de l'époque contemporaine et on
récapitule à l'envers le temps. Le mouvement spiraliforme qui
termine la procession serpente marque le moment crucial de
l'apparition du monde, son passage du virtuel au formel et donc il
marque aussi la séparation entre temps sacré et temps profane.
Après la procession serpente, après le mouvement de type spiralé
(spirale involutive), on réintègre le chaos primordial celui du temps
sacré ou le temps des instants précosmogonique et cosmogonique.
Puisqu'il y a retour aux origines par l'intermédiaire du rituel, quelle
est l'utilité de cette pratique ? Si les rites procèdent à leur début à un
retour aux origines, ce n'est que pour permettre au néophyte de
mieux opérer une nouvelle naissance par répétition de l'événement
exemplaire. Quel est cet événement ?
En fait d'origines et d'événements exemplaires, il s'agit de la création
du monde et cela nous le savions déjà. L'Homo religiosus a donc
homologué le renouvellement initiatique de sa personne avec un
renouvellement symbolique du monde. Après la procession vers le
temple qui plonge les officiants et le néophyte dans le temps pré
cosmogonique, après le séjour dans le temple ou ce qui fait office de

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temple et au terme de l'initiation, on fera sortir du temple un être
nouveau qui va s'engager dans le devenir tout comme le monde avait
surgit du chaos primordial pour s'engager dans le devenir.
Nous comprenons bien l'utilité symbolique de cette procession, mais
cela ne nous explique pas sa forme serpentiforme ni sa fin
spiraliforme. Puisqu'il est question des origines du monde, que
savons nous de ces origines et quels rapport l'aspect serpentiforme
entretient t-il avec le temps profane ?
En 1950, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen publiaient un article
surprenant : " Un système soudanais de Sirius " . Dès l'introduction
les auteurs avertissent : "Les documents recueillis n'ont donné lieu
de notre part à aucune hypothèse ou recherche d'origine. Ils ont été
simplement mis en ordre en ce sens que les dire des quatre
principaux informateurs ont été fondus en un même exposé. La
question n'a pas été tranchée, ni même posée, de savoir comment
des hommes ne disposant d'aucun instrument connaissent les
mouvements et certaines caractéristiques d'astres pratiquement
invisibles. Il a semblé plus opportun dans cette circonstance d'une
spéciale importance de donner les documents bruts." p.274
En effet les Dogon, peuple de montagnards et analphabètes,
connaissent jusque dans le détail le système de Sirius ainsi que ses
compagnons invisibles à l'œil nu qui sont au nombre de 3. Pour les
Dogon, le monde a été créé à partir d'un mouvement spiralé ou
tourbillon.
Au centre de notre galaxie se trouve l'étoile Sirius qu'ils appellent
Sigui tolo. Mais ce qui intéresse les Dogon au premier chef, c'est le
principal compagnon invisible de Sirius qu'ils appellent Digitaria.
Celle-ci effectue une rotation complète autour de Sirius à peu près
tous les 59 ans. Bien qu'étant invisible, ils connaissent ses
caractéristiques. Son noyau éjectait des germes selon un mouvement
conique. L'orbite de Digitaria est au centre du monde, c'est elle qui
ordonne la position de Sirius dont la trajectoire est serpente.
A la fête du Sigui, fête du renouvellement du monde, est actuée cette
trajectoire serpente de l'étoile Sirius : "ainsi le système de Sirius est-
il liés aux pratiques de renouvellement de la personne et par
conséquent -selon la mentalité des Noirs- aux cérémonies de
renouvellement du monde." p.28
Mais le renouvellement du monde, sa régénération, suppose un
retour aux origines, une abolition de l'année et du temps écoulé. Ce
renouvellement sur le plan astronomique se fait lors de
l'accomplissement de la rotation totale de Digitaria autour de Sirius.
Lorsque cette rotation s'accomplie, il y a un recommencement du
cycle dans une sorte de chassé-croisé qui produit la sinuosité du
déplacement des astres lorsque la trajectoire des deux étoiles est
représentée sur une surface plane et dans une perspective mobile.

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Des connaissances des Dogon et de leurs pratiques rituelles on
retiendra que : la création du monde se fait à partir d'un mouvement
spiralé dont on sait par ailleurs que notre galaxie a conservé la
forme, Sirius la principale étoile de la galaxie (elle était l'étoile la
plus brillante du ciel) a une trajectoire serpente actuée par les rites
du renouvellement de la personne et du monde. Sur une surface
plane, la translation de l'étoile double autour de Sirius qui
représente la rotation totale est de forme ovale.
Il faut bien noter que les connaissances Dogon relatives au système
de Sirius ont été corroborées par l'astronomie est l'astrophysique
moderne. L'existence de l'étoile double de Sirius ou sirius B
(Digitaria chez les Dogon) a été confirmé depuis longtemps, le
deuxième compagnon appelé sirius C vient à peine d'être confirmé
en 1995 (La Recherche) . Pour le troisième compagnon, l'astronomie
moderne n'en souffle pas un seul mot. Griaule avec l'aide des Dogon
a retrouvé la date de la première célébration de la fête du Sigui qui
actualise la trajectoire serpente de Sirius et donc suppose déjà une
connaissance du système, cette date est : 1er juin de l'an 2000 avant
notre ère(Griaule in Le symbolisme cosmique...).
Mais que l'on nous comprenne bien, nous ne disons pas que le rite
Dogon s'est diffusé à travers l'Afrique. Nous disons qu'il y a un rite
qui comporte une procession serpente avec à son terme un
mouvement spiraliforme qui a été élaboré aux origines du culte des
ancêtres et qui s'est diffusé un peu partout en Afrique et même
ailleurs (en Corse par exemple, voir Sylvia Mancini). Il se trouve que
chez les autres peuples on a conservé le matériau et que le sens
originel n'est plus à l'ordre du jour alors que chez les Dogon on a
conservé ce sens profond. L'existence du même schème ici et là et
toujours dans le même contexte suppose une origine unique, et au
début, un sens unique. Ce sens est celui octroyé par les Dogons qui le
possèdent eux, depuis 2000 ans avant notre ère, donc proche du
moment de l'élaboration du culte des ancêtres.
L'événement exemplaire semble donc être la création réelle de
l'univers et surtout de notre galaxie. Le parcours à rebours jusqu'aux
origines de cette création lors d'un rite d'initiation ou de
renouvellement du monde a une forme sperpentiforme parce qu'il
actualise la trajectoire du système de Sirius (Sirius A et B) et parce
que aussi la rotation complète de l'étoile double autour de l'étoile
principale durait 59 ans, période qui était considérée dans l'antiquité
comme correspondant à la grande année ou année cosmique. La
trajectoire serpente marque bien le temps, le devenir, un temps pour
ainsi dire à l'échelle cosmique, un temps profane. Il est donc d'un
bon usage d'actuée à rebours une procession serpente pour marquer
l'abolition de ce temps. Par contre, le mouvement spiraliforme est
une actualisation à l'envers de la spirale de la création,
essentiellement de la création de notre galaxie qui a conservé cette

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forme en spirale.
Cet emprunt à un système astronomique s'explique dans la mesure
où une forme, du fait même qu'elle existe s'affaiblit et s'use. Pour
reprendre de la vigueur, il lui faut être réabsorbé dans l'amorphe,
dans le chaos primordial. Et dans la mesure où le néophyte doit
passer par une mort-renaissance, cette perspective rituelle se
justifie.
Ainsi le retour aux origines dans les rites actualisant les
déplacements sinueux est avant tout un retour symbolique aux
origines de la galaxie, de l'univers. Le rite, en tant que réintégration
dans le chaos primordial n'est pas une élucubration de l'esprit, des
balbutiements d'une humanité encore au berceau. Cette
réintégration calquée sur l'envers de la création trouve pleinement
son sens lorsqu'on se situe dans une optique initiatique. En effet,
pendant l'initiation, la procession se dirige vers le temple, lieu des
origines, non seulement de l'univers mais aussi de la vie dans tous
ses aspects car c'est aussi de cet endroit que va se faire pour le
néophyte la naissance au mode de l'esprit.

Conclusion
Notre objectif ici n'était pas de faire un exposé exhaustif sur le culte
des ancêtres dans ses tenants et ses aboutissants mais juste attirer
l'attention sur des aspects importants nécessaire à sa compréhension
et à son étude.
Ces aspects nous révèlent que l'Homo religiosus qui a élaboré le
culte des ancêtres n'est pas cet idiot qu'on veut bien nous faire
croire. Ceux qui ont élaboré ce culte il y a au moins 5000 ans
possédaient des connaissances de biologie moléculaire, de
neurobiologie de l'esprit et de la conscience, de données
astronomiques et astrophysique.
La nécessité de cette masse de connaissance répondait à un besoin :
sonder le Réel et l'appréhender dans sa totalité afin de créer des
structures ou des systèmes qui puissent accorder à l'Homme sa
véritable place dans l'univers car pour l'Homo religiosus il y a un lien
entre l'Homme et l'univers. Il fallait trouver ce lien, et les données
que nous possédons montrent que ce lien avait été trouvé.
Les sociétés traditionnelles ou archaïques ont élaboré une
conception globale qui rend compte de la situation de l'Homme dans
le monde en l'insérant dans tout le Réel.
Notons que cette connaissance n'a pas été fragmentée dans un type
de spécialisation positiviste. Elle a été unifiée pour la gestion du
sacré parce que l'expérience du sacré elle-même implique l'être
biologique, spirituel, et nous interpelle sur les structures du Réel.

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Il y a beaucoup de choses à découvrir sur le culte des ancêtres et
donc beaucoup de choses à apprendre. Ce qu'il faut avoir à l'esprit
c'est que les sociétés traditionnelles ont toujours prôné le principe de
la double connaissance. Il y a une connaissance superficielle qui était
distillée au niveau du peuple et une connaissance profonde partagée
seulement par des cercles d'initiés. La connaissance qui s'est souvent
propagée et a été conservée est souvent celle là qui était destinée au
grand nombre, c'est-à-dire une connaissance superficielle. Il ne faut
pas s'en contenter car le culte des ancêtres repose sur quelque chose
de fondamental en rapport avec la structure de ce Monde et la place
de l'Homme dans ce monde.
Enfin, et c'est le plus important, qu'on arrête avec ces tons
paternalistes et condescendants voulant nous faire croire que les
créations de nos ancêtres ne sont que des velléités de gens qui
étaient complètement à côté des vrai questions, qu'on arrête avec ces
tentatives d'annihilation des cultures des Autres.
Ghislain R. Ogandaga

Bibliographie
Damasio (Antonio R.) : L'erreur de Descartes. La raison des émotions. Paris. Odile Jacob.
1995.
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Goblet d'Aviella : Les rites de la moisson et les commencements de l'agriculture, in :
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