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et Heidegger » (2005)
Revista si recomandarile Vox Philosophiae - Articole de filozofie
www.filozofie.eu
(2005)
Nous utilisons implicitement les mots « réalité » et « réel » plusieurs fois chaque jour, cependant
nous les entendons chaque fois différemment. Néanmoins la dissémination foncière de ces mots,
fondamentaux pour notre compréhension du monde, a été léguée aux théories philosophiques
comme faisant partie des traits à partir desquels celles-ci se distinguent les unes des autres. Pour
cela, nous croyons pouvoir expliciter une différence inhérente à la phénoménologie contemporaine,
cette différence pouvant apparaître entre la description des vécus réels du sujet et l’explicitation des
existentiaux quotidiens du Dasein. L’enjeu est donc de montrer que cette différence est née, non
seulement à partir des positions explicites de Husserl et Heidegger, mais qu’elle a commencé aussi
avec une vision implicite du « réel » et de la « réalité » (lesquels, dans la phénoménologie, ne
renvoient plus à une transcendance « objective » d’un « monde extérieur »). Si la question
phénoménologique par excellence est celle de la possibilité de frayer l’ouverture la plus adéquate à
la donation des choses ou des étants, il devient par conséquent nécessaire de voir comment la
modalité d’ouvrir les choses (pour le sujet ou le Dasein) change nécessairement leur « réalité ». Dès
lors, cette dualité irréductible entre la phénoménologie husserlienne et la phénoménologie
heideggérienne peut-elle nous faire distinguer deux formes différentes du couple « réel - réalité » ?
Comment s'établit donc la distinction entre ces deux types d’accès qui sont présupposés par les
méthodes phénoménologiques susdites ? Quels sont les liens internes qui définissent le caractère
« réel » de la donation de l’horizon mondain ou ontique de la phénoménalité ?
La célèbre formule husserlienne du « retour aux choses elles-mêmes » est à même de définir la
meilleure possibilité qu’a la pensée (théorique) d’accéder à ce qu’on a l’habitude d’appeler « réel »
ou, de façon plus abstraite, « réalité ». Mais l’évidence et la simplicité que cette formule paraît
contenir se dissolvent quand nous envisageons d’interroger ce que sont « les choses » et ce qui peut
nous donner leur « mêmeté » (Selblichkeit). Car celle-ci présuppose précisément la permanence et
la stabilité imposées pour la pensée des « choses », lesquelles ne peuvent se solidifier pour notre
vue et nos vécus, au niveau perceptif, que par l’intermédiaire des « esquisses » perceptives qui sont
précisément la matière non-intentionnelle de la cogitatio[1]. Cette solidification est donc soumise à
une intention de connaître, comme présupposition de la prééminence de l’unité idéelle des
« choses », prééminence qui est antérieure à tout remplissement de la certitude réelle et perceptive
des choses. Mais cette prééminence ne signifie pas une indépendance de l’unité signifiante des
Pourtant, « les choses mêmes » ne peuvent être elles-mêmes « expérimentées ». Car l’intuition
L’intuition sensible perd sa force, surtout quand il faut envisager les objets non perceptifs, idéaux.
L’intuition « correspondant » aux vécus de la connaissance en général, par exemple d’un jugement
portant sur un axiome mathématique, n’est nullement un état de choses perceptif. Nous ne pouvons
L’idéalité des formations discursives, qui est pour Husserl l’objet propre de la critique de la
connaissance rendue possible par la phénoménologie, ouvre pour la conscience le domaine de ce
qui lui est transcendant. Mais l’idéalité « ne plane pas en l'air »[8], parce que l'évidence lui fournit
sa consistance. Et l’évidence, en tant que mouvement de recouvrement d’une présomption intuitive
par son remplissement, impose le travail d’élucidation des catégories de signification et d’objet.
L’évidence, comme « vécu de la vérité », peut rendre possible l’adéquation en tant que condition
nécessaire de toute vérité. L’adéquation, présupposée par toute expression, est par conséquent
toujours partielle et variable. Elle devient presque impossible quand sont visés des phénomènes
idéaux, si l’on conserve les restrictions imposées par le concept « très étroit » de perception
considérée comme sens interne et/ou externe[9]. Cela parce que l’être de l’expression prédicative et
attributive qui donne la forme catégoriale n’est ni un objet, ni quelque chose qui est adhèrent à
celui-ci, ni quelque caractère réel ou perceptif lui appartenant, ni même une forme matérielle de
l’intuition. L’élargissement du concept de perception fait de celle-ci « l'appréhension d'états de
choses tout entiers et finalement même l'évidence apriorique de lois (en tant que vues « intuitives
») »[10]. Nous cherchons donc en vain les corrélats objectifs des formes catégoriales dans la sphère
des objets « réels » c’est-à-dire « des objets d'une perception sensible possible »[11].
Les intuitions sensibles spécifiques à la perception étroite ne peuvent donc remplir les formes
catégoriales, lesquelles imposent la prise en considération d’un autre type d’intuition : l’intuition
catégoriale. Pourtant, même si le sens interne ne peut être le domaine de la réflexion qui engendre
les catégories logiques et l’être de la copule (comme chez Locke), les vécus perceptifs qui visent
des objets sensibles sont analogues aux actes de donation des états de choses catégoriaux. Par
exemple, la copule intervient dans l'énoncé prédicatif comme moment de signification mais le
« EST lui-même n'y intervient pas, il n'est que signifié, c'est-à-dire visé signitivement dans le petit
Par conséquent, si le réel (l’objet sensible) est toujours accessible par l’intermédiaire des vécus
perceptifs, l’état de choses réel sera présumé et perçu par des intuitions de jugements (catégoriaux).
Les remplissements des jugements eux-mêmes, et non pas la réflexion après coup sur l’essence de
ceux-ci, se trouvent à l’origine des formes catégoriales comme celles d’ « état de choses » et
« d'être » (de la copule)[14]. La question concernant le remplissement des formes catégoriales elles-
mêmes nous impose donc le dépassement des conceptions étroites des concepts de « perception »,
d’« objet » et même d’« imagination ». De façon analogue avec la manière dont un énoncé de
perception fidèle peut trouver le remplissement de sa perception sensible avec un objet perçu, une
forme catégoriale non perceptible présuppose une perception suprasensible (catégoriale) en tant
qu’acte remplissant face à un objet catégorial qui est mis lui-même sous nos yeux. Les corrélats
intentionnels des perceptions catégoriales sont donc eux-mêmes des « objets »[15]. La différence
qui persiste entre les objets simplement imaginés et les objets perceptifs ou catégoriaux qui rendent
possible le remplissement des perceptions, survient du fait que ces derniers apparaissent comme
« réels » (c’est-à-dire comme « donnés eux-mêmes »). La chose réelle présuppose donc l’apparition
en personne, sans exclure toutefois que nous la tenions pour existante. Ces caractéristiques de la
« mêmeté » des « choses mêmes », c’est-à-dire de leur caractère « réel », imposent une distinction
fondamentale pour la détermination du réel comme réel, celle entre, d’une part, la donation des
« choses mêmes » (réelles) tenues pour existantes sur le mode positionnel (en tant que présomption
de l'existence de la chose à travers l'image ou le symbole) et, d’autre part, sur le mode non
positionnel, en tant que « pure » imagination ou fiction, sans présomption d'existence[16]. Et parce
que, dans le mode positionnel, les concepts de « perception » et d’« objet » ont été élargis du niveau
sensible jusqu’au niveau catégorial, similairement, le concept d’« imagination » doit lui aussi subir
une extension correspondante. Les concepts élargis d’« objet », « perception » et « imagination »
rendent par conséquent possible la compréhension des autres types d’actes, nommés catégoriaux,
différents des actes sensibles. Mais les actes catégoriaux ne sont pas fondés dans les perceptions
singulières qui sont simplement leurs parties. La perception catégoriale n’est qu’une vision plus
ample des mêmes perceptions singulières, qui n’est pas ajoutée artificiellement et par l’abstraction
rétrospective de celles-ci, mais elle est imposée par la donation réelle des choses mêmes.
Les objets sensibles de la perception étroite ne nécessitent pas l'appareil des actes fondateurs
ou fondés, contrairement aux objets catégoriaux. Cela parce que l’unité de perception des objets
sensibles sera toujours spontanée, en tant que fusion immédiate des intentions partielles et sans
intervention d'intentions d'actes nouveaux. La nouvelle objectivité présupposée par les objets
catégoriaux, se fonde donc dans l’objectivité sensible et dans ses actes fondateurs. Mais le fait que
les objets catégoriaux soient aperçus dans des actes fondés ne leur enlève pas le fait d’être des
objets réels qui se donnent d’eux-mêmes. Pourtant, dans les Recherches logiques, c’est dans les
actes fondateurs, c’est-à-dire sensibles, que s’origine leur caractère réel en tant que tel. Celui-ci est
ultérieurement délégué aux actes fondés qui seuls peuvent rendre possible le remplissement des
intuitions catégoriales. Mais la perception catégoriale est fondée « au sens où l'on dit qu'un tout est
fondé par ses parties ; mais non pas au sens, ici déterminant pour nous, d'après lequel l'acte fondé
doit produire un nouveau caractère d'acte qui repose sur les caractères d'actes sous-jacents et n'est
pas pensable sans eux »[19]. Par conséquent, comme nous venons de le voir, si les objets ne sont
pas sensibles (c’est-à-dire engendrant des actes fondateurs) mais catégoriaux (fondés par les actes
fondateurs), la structure spécifique du remplissement est conservée même à ce deuxième niveau. La
connaissance, structurée en fonction de la perception qu’elle utilise, étroite (sensible) ou élargie
(catégoriale), aura donc toujours comme base l'évidence première de la chose individuelle perçue.
Celle-ci, si elle est réelle (c’est-à-dire donnée «en personne ») peut devenir « remplissante », même
si elle n’est jamais totalement connaissable. Le caractère de la chose d’être donné « en personne »
définit donc, dans les Recherches logiques, le réel.
L’attitude réflexive vise par conséquent à objectiver l’essence de la connaissance, à élucider le sens
de sa relation à l’objet et celui de la validité objective de cette relation (sa capacité propre à
atteindre l'objet). Pourtant la réduction (épochè) que doit pratiquer la critique de la connaissance,
n’a rien à voir avec le doute cartésien, car, contrairement à celui-ci, la critique se prend elle-même
comme point d’appui et comme première connaissance fondant toute démarche ultérieure. Dès lors,
si la critique de la connaissance peut être elle-même la première connaissance, tout ce qui est
soumis au regard du phénoménologue est, par ce fait même, réellement donné c’est-à-dire qu’il est
une donnée absolue[25]. La sphère de la présence absolue des vécus est, par conséquent,
Le trait réel de la donation apparaît donc, dans L’Idée de la Phénoménologie, élevé au niveau
auquel les Recherches logiques plaçaient seulement les formes catégoriales. Cette ascension du
regard phénoménologique se fait grâce à l’épochè, mise entre parenthèses de tous les jugements
concernant l’existence du monde, qui ne doit plus être présupposée (ni niée, ni affirmée). C’est à
cause de la réduction transcendantale que va s’imposer chez Husserl la distinction forte entre le
concept de réalité (Realität), celui de réel (Reel) et celui de réa-lité (Wirklichkeit). La réalité
(Realität) est le monde en tant qu’il est pris en considération par l’attitude naturelle, où les choses
sont senties d’une manière immédiate et où l’horizon mondain dans lequel elles sont incluses est
posé comme stable (c’est-à-dire comme pré- et post-existant indépendamment de celui qui y vit). Le
réel (Reel) est la marque de la donation des choses mêmes. Or, dans les Recherches logiques un tel
réel se vérifiait par le « remplissement » alors que, dans l’Idée de la phénoménologie, il devient le
L’accès théorique aux choses, que la phénoménologie transcendantale peut rendre possible, impose
donc la consolidation des phénomènes par l’arrêt du flux des vécus au moyen de la réduction
phénoménologique. Celle-ci, qui était implicite dans les Recherches logiques, trouve son
aboutissement ultime dans le rejet de l’attitude naturelle face au réel. Le caractère hylétique de ce
flux est donc interprété et informé à l’aide de la description intentionnelle. L’intentionnalité est la
Les trois concepts husserliens essentiels pour notre problématique, « la réalité » (Realität), « le
réel » (Reel) et « la réa-lité » (Wirklichkeit), souffrent des glissements de sens dans les Ideen face à
l’Idee de la phenomenologie. La réalité (Realität) désigne ce qui est posé comme réel mondain dans
l'attitude naturelle et qui est réduit après l’épochè. Le réel (Reel) est, ici aussi, la marque de la
donation des choses mêmes. Cependant celles-ci ne sont plus posées comme transcendantes mais
elles sont envisagées en tant que moments réels (reellen) et non intentionnels (hylétiques) du flux
des vécus absolus[35]. La « matière sensuelle » opposée à la « morphe intentionnelle », se donne
comme matière à l'égard de formations intentionnelles ou de la donation de sens (dans des
formations fondatrices ou fondées). La corrélation noético-noématique, qui contient la distinction
forme – matière, rejette la « thèse du monde » de l’attitude naturelle, qui opposait fortement
conscience et réalité. Quant à la réa-lité (Wirklichkeit), elle devient ici la relation que le noème
entretient à son objet[36]. Après cette trop courte esquisse du complexe problématique du réel et de
la réalité dans trois ouvrages fondamentaux de Husserl il nous faut à présent passer au moment
heideggérien.
« Les choses mêmes » clarifiées par la phénoménologie sont dépendantes d’un regard qui les
constitue elles mêmes comme choses. Leur connaissance phénoménologique impose par conséquent
une élucidation des manières de les regarder, utilisées pour leur mise en perspective, manières qui
constituent les choses en tant que telles. Mais Heidegger, pour renforcer ce qu’il appelle la
« phénoménologie herméneutique », impose une équivalence entre voir, interpréter et comprendre.
A cause de cette équivalence, ce qui se donne à voir, à interpréter et à la compréhension, l’horizon
mondain, ne peut pas être réduit par la célèbre épochè, sans être explicité quant à son origine. Cela
parce que l’origine de toute donation et constitution « objective » se trouve toujours dans le voir
d’une monde quotidien. Ce regard, avant la montée intentionnelle au niveau de la « conscience
pure » husserlienne, présuppose toujours en tant que condition de possibilité un niveau
préthéoretique comme expérience de la vie même.
Toutes les approches théorétiques de la réalité, que celles-ci se rapportent à « quelque chose de type
objectif » ou à des « objectités logico-formelles », se fondent dans cette expérience de la vie (dans
l’horizon « mondain » et même « prémondain ») accessible à la compréhension par une « intuition
herméneutique »[37]. Le caractère herméneutique greffé sur l’intuition husserlienne nous fait
considérer l’explicitation implicite préthéorétique (donc pré-intentionnelle) comme nécessaire
précisément pour la fixation dans le champ perceptif du perçu (déjà partiellement compris et
explicité). Cette structure anticipative de la compréhension des phénomènes sera définie dans Être
et Temps comme pré-structure de la compréhension. Ce fait d'anticiper se fonde premièrement dans
l’expérimentation prémondaine du monde, qui part des histoires antérieures de la compréhension
constituant l’être-dans-le-monde actuel pour se projeter vers ses possibilités futures. Cette venue
compréhensive est donnée par les compréhensions antérieures (la pré-acquisition) qui offrent une
conceptualité déjà instituée (la pré-conception), qui, à son tour, doit être mise en adéquation avec la
direction déjà visée (la pré-vision) vers laquelle se dirigera ultérieurement l’interprétation. La réa-
lité (Wirklichkeit) sera donc toujours explicitée comme monde à partir du mode compréhensif de la
quotidienneté.
Husserl posait l’« immanence transcendante » du moi pur opérant la réduction comme point d’appui
pour ouvrir à l’intentionnalité universelle du monde, accessible seulement pour l’attitude
phénoménologique transcendantale. Heidegger, dans Ontologie. Hermeneutik der Faktizität (1923),
nie le moi pur comme centre des vécus réels du monde, en considérant ceux-ci comme auto-centrés.
Ce n’est plus le moi qui rassemble les intentionnalités rayonnantes d’un flux de vécus réels, mais
ceux-ci ne peuvent être centrés que après-coup dans un moi. Les vécus ne doivent ni être pensés par
référence au moi ni comme s’oubliant eux-mêmes face à leur « objet ». Chaque vécu (Er-lebnis) en
étant lui-même collé intentionnellement sur l’événement quotidien qui l’a provoqué, doit être pensé
comme étant lui-même un « événement » (Er-eignis) pour la compréhension qui le subit. Car si les
vécus n’avaient que des caractéristiques objectives, ils auraient été des occurrences ne pouvant
apparaître à la compréhension que brutalement, en commençant et en s’arrêtant brusquement, sans
anticipations ni traces. Dès lors, si aucune anticipation même transcendantale, n’est plus possible
pour les vécus, la résistance d’une facticité du monde se trouve réduite à une construction
phantasmatique créée par un soliloque.
Le « mondain » se caractérise, d’une part, par son imprévisibilité et sa résistance, et, d’autre part,
par une familiarité et une stabilité qui lui sont conférées par ce qui à déjà été « expérimenté », pensé
ou vécu en tant que mondain. Cette stabilité appartient au monde ambiant qui ancre le déploiement
de notre existence quotidienne. Les significations précédent donc toute factualité présupposée brute
du monde et pas inversement. Et parce que nous nous trouvons toujours dans le flux de notre propre
vie, la présupposition d’un monde en soi, en tant que « Nature » (la somme de tous les faits bruts
possibles), est seulement une extrapolation théorétique réalisée dans le mouvement de l’explication
scientifique.
Heidegger offre par conséquent à la vie même une capacité d’expression pré-réflexive propre, en
tant que significativité du monde ambiant perpétuellement actualisante. Et ce monde ambiant n’a du
sens pour nous que grâce au souci qui imprègne chaque rencontre concrète des choses avec un
« sens vital », qui ne doit pas être confondu avec les significations « logiques » ou « qualitatives »,
A cause de cela le vrai scandale de la philosophie ne réside dans le fait que ce type de preuves
répondraient à certains nécessites inhérentes à la philosophie, mais dans le fait qu’elles sont encore
demandées et cherchées[43]. Mais si ces preuves sont inutiles philosophiquement, aussi absurde est
l’affirmation da la nécessité d’un simple de croyance dans le monde extérieur (telle qu’on la
rencontre chez Dilthey). Cela parce que le monde, ne pouvant être expérimenté dans certaines
modalités de la croyance ou garanti par certaines connaissances, est toujours déjà là, antérieurement
à toute croyance[44]. Mais cette évidence de la préexistence du monde face au Dasein, de type
ontico-existentielle, devient une vraie énigme quand elle est regardée dans l’horizon ontologico-
Heidegger rejette aussi l’idée de la résistance du monde en tant qu’origine des traces de la réalité,
qui apparaît dans la théorie de Dilthey et qui est présupposée également par la théorie
« en soi », car celui-ci ne peut devenir intelligible que par une interprétation radicale du Dasein[49].
Husserl a privilégié dans Logique formelle et logique transcendantale[50], l’ « incarnation
perceptive » (Leibhaftigkeit) des choses comme étant la modalité la plus originaire de la donation
des choses mêmes. Mais pour Heidegger, cette donation, même si elle est authentique du point de
vue phénoménologique, est dérivée d’un mode de donation plus originaire : l’ouverture du monde
en tant qu’être-au-monde. Parce que l’« incarnation perceptive » présente les traits d’une
« significativité déficiente »[51] perdant la significativité qui plonge le Dasein dans le tissu serré
des renvois constituant le monde ambiant. Même si Heidegger critique le phénomène de la
résistance (Widerständigkeit) et celui de l’« incarnation perceptive » (Leibhaftigkeit), il le fait dans
le but explicite de trouver une base phénoménale pour l’interprétation de la donation phénoménale
de l’Etre lui-même. Mais il nous faut nous en tenir au phénomène de la réalité (Realität) en
l’entendant comme être de l’étant intramondain sous-la-main (équivalent pour Heidegger à la res),
qui présuppose l’analyse de l’intramondaneité du Dasein (donc de son être-au-monde). Et l’être-au-
monde est toujours solidaire avec la totalité structurale du Dasein comme souci. Le Dasein,
[3] GA 20,47-48.
[5] « toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance; tout ce
qui s'offre à nous dans « l'intuition » de façon originaire (dans sa réalité corporelle pour ainsi dire)
doit être simplement reçu pour ce qu'il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans
lesquelles il se donne alors ». (Souligné par Husserl) Edmund Husserl, Ideen I, § 24, [44]
[7] Dans les cas des phénomènes idéaux l’« intention significative porte à son tour, non pas sur
un objet qu'il faut se représenter intuitivement, mais, bien plutôt, sur un objet général qu'il s'agit
simplement d'illustrer par une intuition. Et lorsque la nouvelle intention se remplit adéquatement au
moyen d'une intuition sous-jacente, elle prouve la possibilité objective ou encore la possibilité ou «
réalité» (Realität) du général. » Edmund Husserl, Recherches logiques Éléments d'une élucidation
phénoménologique de la connaissance, Presses Universitaires de France, 1963. La pagination
utilisée est celle de la 2e édition allemande : Logische Untersuchungen. Zweiter Band: Elemente
einer Phänomenologischen Aufklärung der Erkenntnis, Halle/Salle, Max Niemeyer, 1921, p. 134.
[10] Ibid.
[13] « de même qu'un concept quelconque (une idée, une unité spécifique) ne peut « naître »,
c'est-à-dire ne peut nous être donné lui-même qu'en vertu d'un acte qui nous mette sous les yeux,
tout au moins imaginativement, une chose singulière quelconque qui lui corresponde, de même le
concept d'être ne peut surgir que si un être quelconque est placé réellement ou imaginativement
sous nos yeux. Si nous considérons l'être comme un être prédicatif, un état de choses quelconque
doit donc nous être donné, et cela naturellement au moyen d'un acte qui le donne - l'analogon de
l'intuition sensible ordinaire. » (Souligné par Husserl) Ibid, p. 141.
[18] « Or, tout acte simple de perception, que ce soit pour lui seul ou conjointement avec
d'autres actes, peut jouer le rôle d'acte fondamental pour des actes nouveaux qui tantôt l'incluent,
tantôt le présupposent seulement et qui, dans leur nouveau mode de conscience, engendrent en
même temps une nouvelle conscience d'objectivité (Objektivitätsbewusstsein) qui présuppose
essentiellement la forme primitive » (Souligné par Husserl) Ibid, p. 140.
[21] „Dans la perception par exemple, une chose se trouve devant nos yeux; elle est là au
milieu des autres choses, animées et inanimées, douées de psychisme et sans psychisme, c'est-à-dire
au milieu d'un monde”, Ibid, p. 17.
[22] Ibid.
[25] « Tout vécu intellectuel et tout vécu en général, au moment où il s'accomplit, peut devenir
objet d'une vue el saisie pure, el dans cette vue il est une donné absolue. Il est donné comme un être,
comme un « ceci-là », dont c'est un non-sens de mettre en doute l'existence ». Ibid, p. 31.
[29] « Nous n'étudions alors rien et ne parlons alors en rien des phénomènes psychologiques,
de certains événements appartenant à ce que nous appelons l'être réel [les réalités de la réa-lité]
(realen Wirklichkeit) (puisque son existence reste entièrement en question), mais nous parlons de ce
qui existe et vaut, que quelque chose comme un être objectif existe ou non, que poser de telles
transcendances soit légitime ou non ». Ibid, p. 45.
[40] Martin Heidegger, GA 20 „Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs” (1925), p. 294.
[41] „Das Zusammenvorhandensein von Physichem und Psychischem ist ontisch und ontologisch
völlig verschieden vom Phänomen des In-der-Welt-seins“ Martin Heidegger, GA 2 Sein und Zeit
(1927), éd. par F.-W. von Herrmann, 1977, p. 204;
[43] „besteht nicht darin, daß dieser Beweis bislang noch aussteht, sondern darin das solche
Beweise immer wieder erwartet und versucht werden“. Ibidem, p.205.
[48] GA 20 Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs, 298 ; conforme Jean Greisch, Ontologie
et Temporalité. Esquisse d’une interprétation intégrale de « Sein und Zeit », PUF, 1994, p. 246.
[50] Edmund Husserl, Logique formelle et logique transcendantale. Essai d’une critique de la
raison logique, PUF, 1984, § 59.
[52] „Allerdings nur solange Dasein ist, das heißt die ontische Möglichkeit von Seinsveständnis,
„gibt es“ Sein“ Ibidem, p. 212.
[53] „die Substanz des Menschen ist die Existenz“ Ibidem, p. 212