Actes de la recherche en

sciences sociales

Plaisantes perspectives
Invention du paysage et abolition du paysan
Monsieur Raymond Williams

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Williams Raymond. Plaisantes perspectives. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 17-18, novembre 1977. La
paysannerie, une classe objet. pp. 29-36;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1977.2574

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_17_1_2574

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Zusammenfassung
Fröhliche Perspektiven. Die Erf indung der Landwirtschaft und die Zerstörung des Bauern.
In der Analyse der «Erfindung» des natürlichen Parks im 18. Jahrhundert in England als ein
Entwicklungsstadium des sozialen Images des Landes zeigt Raymond Williams dass diese ästhetische
Erfindung nicht aus einer internen Kunstgeschichte heraus verstanden werden kann, sondern im
Zusammenhang mit den Anschauungen der aufgeklärten Landbourgeoisie gesehen werden muss, die
eine kapitalistische Landreform und eine Rationalisierung der landwirtschaftlichen Produktion
durchführte. Diese Art der Landschaftsgestaltung, die vordergründig in Widerspruch zu einer
produktiven Tätigkeit steht (Kult des «Natürlichen», Suche abgerundeter Linien), gehört aber zutiefst
derselben Philosophie an (Beherrschung der Natur, Rationalität). Aber sie drückt diese Werte in der
Schöpfung eines Universums aus, dem jede Verbindung und Bezugnahme zur produktiven Arbeit und
zu Produzenten fehlt. Die «natürliche» Landschaft ist eine spezifische Art, die sozialen Beziehungen
zwischen einer Landbourgeoisie und den unterschiedlichen Schichten der Bauernschaft zu verdecken,
die durch die Umwandlungen (insbesondere die «enclosures») gekennzeichnet sind, die die
aufgeklärte Landwirtschaft dieser Bourgeoisie mit sich bringt.

Abstract
Pleasant Perspectives. The Invention of Landscape and the Elimination of the Peasant.
In this article Raymond Williams studies the «invention» of the country-house landscape garden in
England in the eighteenth century as a moment in the development of the social image of the
countryside . He shows that the proper way to examine this aesthetic innovation is not by internal art-
historical analysis, but by reference to the perceptual categories of an enlightened agrarian bourgeoisie
engaged in carrying out a capitalist transformation of the countryside, especially through the
rationalization of farming. Consequently, while seemingly opposed to the productive exploitation of
resources (by its cuit of the «natural» and its preference for the curved line), this form of land-scaping
is profoundly influenced by the same philosophy, with its emphasis on mastery of nature and
rationality. But it expresses these values by the creation of a world freed from all trace of productive
labor and of all reference to producers. The «natural» landscape is a way of obscuring the social
relationships between an agrarian bourgeoisie and the various levels of the peasantry affected by the
transformations (notably enclosures) required by the enlightened agronomy of this bourgeoisie.

Résumé
Etudiant l'«invention» du parc naturel en Angleterre au dix-huitième siècle comme un moment dans le
développement de l'image sociale de la campagne, Raymond Williams montre que cette innovation
esthétique n'est pas justiciable d'une histoire artistique interne, mais doit se comprendre par référence
aux catégories de perception d'une bourgeoisie agrarienne éclairée qui met en oeuvre une
transformation capitaliste de la campagne, et une rationalisation de l'exploitation agricole. Si bien que,
opposée en apparence à l'exploitation productive (culte du «naturel», recherche de la ligne courbe)
cette forme d'aménagement du paysage participe profondément de la même philosophie (maîtrise de
la nature, rationalité). Mais elle exprime ces valeurs en créant un univers débarrassé de toute trace de
travail productif, et de toute référence aux producteurs. Le paysage «naturel» est une manière
d'occulter les rapports sociaux entre une bourgeoisie agrarienne et les diverses couches de paysans
affectées par des transformations (enclosures notamment) qu'implique l'agronomie éclairée de cette
bourgeoisie.
raymond

Williams

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Le jardin à la rivière,
Parc de Paulton, Romsey, Harts.
Le Monastère de Ruisdael.
30
Le refus de l'opposition ordinaire entre l'histoire
interne des oeuvres et l'histoire externe
est au principe de la démarche de Raymond
Williams dans son livre sur l'évolution des images
sociales de la ville et de la campagne
(d'où est extrait le passage ci-dessous)*. En
rendant aux oeuvres leur historicité, ce parti
méthodologique permet de restituer aux genres et aux
formes littéraires leur signification sociale, de
les saisir comme expressions de modes de sensibilité
caractéristiques de classes ou de fractions de
classe déterminées, à des moments particuliers d'une
expérience historique. Il ne conduit pas pour
autant à méconnaître l'autonomie et la spécificité
des formes littéraires puisque ces visions et
ces attitudes se cristallisent dans des systèmes de
perception et de sensibilité (structures of feeling)
qui ont une inertie et une vie propres : un des
objets de l'étude historique est de déceler les moments
où ces formes de perception, arbitraires mais
partagées, se décomposent et ne vont plus de soi,
laissant apparaître à la conscience des réalités
sociales et historiques qu'elles avaient pour fonction
d'occulter ou de travestir. Ainsi, dans le cas de
«l'invention» du parc «à l'anglaise», l'analyse de
Raymond Williams suppose le refus de deux types
de positions en apparence opposées : d'un
côté, la dénonciation ostentatoirement iconoclaste
qui se contenterait de rappeler les bases
économiques et sociales de cette forme culturelle
(expropriation des paysans, accaparement de la terre
et exploitation des ouvriers agricoles) ; de
l'autre, une interprétation interne qui verrait dans le
goût pour les paysages naturels et la réaction
contre l'ordonnance régulière du jardin à la française
le simple effet d'un changement de sensibilité
(renforcé éventuellement par la réaction devant les
progrès de la révolution industrielle et
l'exaltation corrélative de la nature )Ces deux points de
vue ont en commun d'admettre la dissociation
entre la sphère de la production et la sphère de la
consommation, qui apparaît comme un des
postulats implicites sur lesquels repose la création
de parcs «naturels». Au contraire, en refusant
* The Country and the City, London, Chatto and Windus,
1973.
les oppositions immédiates que suggère
l'objet (droite/courbe ; artificiel / naturel ; monde de la
production/monde de la consommation),
Raymond Williams peut montrer que la même
philosophie rationalisa trice, la même maîtrise
technique sont à l'oeuvre dans les progrès d'une
agriculture capitaliste et dans l'aménagement de
parcs «naturels», qu'une des fonctions de la
contemplation esthétique est l'exaltation de la
sensibilité délicate qui perçoit le paysage et de la
puissance rationnelle qui a su l'ordonner (ou le
faire aménager) -abstraction faite du travail
et de l'existence des paysans. Le paysage à l'anglaise
exalte le point de vue, aux deux sens du mot, du
propriétaire. Ces déterminations multiples
s'expriment dans le double sens de «prospect» , à
la fois perspective économique, attente de gain,
promesse de rentrées d'argent, et perspective
sur un paysage, vue sur un panorama. Cette création
culturelle a donc partie liée avec une bourgeoisie
agrarienne éclairée et moderniste.
Le sentiment de la nature est une manière de
penser, sur un mode neutralisé ou dissimulé, les
rapports sociaux. Le passage de la nature comme
ordre naturel productif (univers de la pastorale
du dix -huitième siècle) à l'exaltation romantique
de la nature sauvage comme seul recours
contre l'instauration de relations intolérables entre
les hommes, processus dont l'invention du
rapport esthète au paysage «naturel» est un
moment, implique l'effacement progressif du
travail productif de transformation de la nature et une
occultation de plus en plus profonde des
rapports sociaux dont la nature est l'expression
métaphorique. Ainsi, le monde de la pastorale, par
exemple celui de Jonson, image d'une nature
libérale et féconde, d'une économie naturelle et
morale, est l'idéalisation de l'univers social du
capitalisme agrarien. Il a une fonction expressive
dans les conflits entre une ancienne bourgeoisie
agrarienne et une nouvelle bourgeoisie
marchande qui ré -investit une part de sa fortune
dans l'achat de terres (1). Les relations de
rivalité et de collaboration, entre une bourgeoisie
agrarienne ancienne et une bourgeoisie
marchande nouvelle venue sur la scène foncière
forment la itoilei de fond qui permet de ¡restituer
tout leur sens social aux thèmes poétiques et
romanesques du dix-huitième et du début du dix-
neuvième siècles. L'univers social des romans de
Jane Austen dément ainsi, dès qu'on l'examine
précisément, l'opinion reçue d'un univers
intemporel et détaché de toute histoire. Saturés de
références à la situation économique des héros, ces
romans expriment les problèmes particuliers
qui naissent de l'interpénétration d'une ancienne
bourgeoisie agrarienne et d'une nouvelle bourgeoisie
marchande qui s'établit à la terre : on ne
comprendrait pas l'importance psychologique des
pièges de l'amour et des illusions de la perception
sociale, si l'on ne voyait qu'ils renvoient aux
problèmes sociaux aigus de l'établissement et de
1— Ces remarques reprennent librement l'exposé de
Raymond Williams (décembre 1976) au séminaire de sociologie
de la culture et des modes de domination animé à l'Ecole
normale supérieure par Pierre Bourdieu.

la continuité des lignées, de Tinter -mariage entre
fractions différentes. L'interrogation morale
est la forme transposée de l'interrogation
sur l'excellence sociale en un moment historique
où le rapprochement et l'interpénétration
d'une «vieille» et d'une «nouvelle»
bourgeoisie agrarienne conduit à se poser la
question du lien entre la détention de la fortune
et la «qualité» sociale du détenteur. Ces paradoxes
sociaux, reflet d'une situation en changement,
s'expriment dans le double sens de improvement ,
amélioration et progrès agricole aussi bien que
amélioration morale (2).
L'opposition ville/campagne apparaît donc
comme une façon déguisée de penser des
transformations plus générales. Les fictions
littéraires ont une fonction de déplacement en ce
qu'elles permettent de projeter dans des paysages,
des représentations de la nature ou des
images de la ville, des rapports sociaux et de figurer
la transformation de ces rapports sociaux.
L'idéalisation de la campagne et la projection sur la
ville de tous les maux de la société moderne
permettent de ne pas poser la question de la
transformation capitaliste de la campagne, aussi profonde et
décisive que les transformations urbaines liées
à la révolution industrielle. Le mythe d'un âge d'or
ou d'une période organique peut exprimer aussi
bien les nostalgies sociales d'une aristocratie que
celles d'une couche de petits propriétaires ou
celles de paysans sans terre (3). Les notions doivent
ce caractère sur-déterminé à leur historicité (de
là le refus des méthodes fondées sur la recherche
d'archétypes, cf. The Country and the City, op.
cit. , p. 347). Ces déterminations multiples
s'inscrivent dans la polysémie des termes : on en a
cité quelques exemples (4). La critique du
langage ne consiste pas en une clarification logique ;
elle conduit à lire les sens historiques stratifiés
qui donnent à une notion sa force idéologique. En
désimpliquant et en explicitant des sens cristallisés
dans des symboles esthétiques ou dans des
concepts, l'analyse culturelle telle que la pratique
Raymond Williams dégage l'implicite social des
notions, des pratiques ou des formes (5). L'histoire
littéraire et l'histoire des idées conduisent ainsi
à une histoire du travail social de production
idéologique (6).
Jean-Claude Chamboredon
2— Exposé au séminaire de TENS.
3—Exposé au séminaire de TENS.
4— De même «settlement)) , patrie et lieu d'origine, est aussi
l'assignation à résidence, système instauré par les Poor
Laws et qui a pour fonction de priver le travailleur d'un des
moyens de résistance à l'exploitation en l'empêchant de
s'y soustraire en cherchant de meilleuresiconditions ailleurs.
5— Raymond Williams reconnaît aussi à ces formes une
fonction dans la prise de conscience elles ne sont pas
seulement mystification et écran, mais aussi médiation réelle.
:
6— Telle était l'intention de Culture and Society 1 780-
1950, New York, Doubleday and Co, 1960, histoire de
l'idéologie de la culture et exploration de l'inconscient
culturel porté par les termes de «culture», «masses», «art»,
«foule».
Plaisantes perspectives 31
Une terre qu'on travaille n'est presque jamais un
paysage. L'idée même de paysage suppose
l'existence d'un observateur séparé. Il est possible et utile
de dresser l'histoire interne de la peinture de
paysage, de la littérature sur le paysage, du jardin
anglais et de l'architecture paysagiste, mais, en
dernière analyse, il faut mettre en rapport ces
différentes histoires avec l'histoire générale de la terre
et de la société rurale. Cette méthode s'impose
d'autant plus si on veut comprendre comment
le rapport au paysage a évolué en Angleterre au
dix-huitième et dix-neuvième siècles. Nous
sommes bien pourvus en excellentes histoires
spécialisées, mais, dans leurs présupposés et parfois leurs
affirmations explicites, elles participent
généralement d'une image d'un mode d'organisation de la
terre (de sa distribution, de ses utilisations, de la
direction de son exploitation) acceptée telle quelle
et maintenue jusqu'à notre époque, qui, en
célébrant les succès de ce système, exprime un regret
nostalgique pour un mode de vie disparu.
Il est significatif aussi que l'histoire du
paysage anglais au dix-huitième siècle ne soit
habituellement présentée qu'en raccourci. A lire en effet
certaines présentations, on croirait presque -c'est
assez souvent dit explicitement-, que le propriétaire
terrien, au dix-huitième siècle, par l'entremise de
paysagistes à ses gages, et avec l'aide de poètes et
de peintres, a inventé la beauté de la nature. Et
après tout, pourquoi pas ? Dans la même veine
idéologique, c'est bien lui qui a inventé la charité,
le progrès agricole (improvement) et la politesse,
de même que les voyages dans les pays habités par
d'autres ont été des «découvertes».
Mais l'histoire est bien plus complexe en
réalité. Il s'agit de la transposition, dans des
conditions économiques et sociales particulières, d'idées
qui étaient loin d'être neuves. Pourtant, comme
toujours en des cas semblables, la transposition
dans un domaine particulier, dans un contexte
social réel, a produit des effets nouveaux et
spécifiques.
«Plaisantes perspectives» : cette expression
si typique du dix-huitième siècle doit conserver
son double sens. Car on ne doit pas croire que
l'émerveillement, les sens symboliques et le plaisir
nés de l'observation des formes et des courbes de
 32 Raymond Williams
la terre aient été inventés en s 'appliquant
uniquement à un paysage organisé en perspective. Aussi
loin que remonte notre littérature, elle nous
rapporte l'existence de tels sentiments et il ne fait pas
de doute qu'outre les écrivains, beaucoup
d'hommes ont contemplé avec un intérêt intense tous les
aspects et mouvements du monde naturel : collines,
fleuves, arbres, cieux et étoiles. Par des siècles
d'observation, les hommes en ont tiré de nombreux
types de sens, philosophiques aussi bien que
pratiques. Mais le moment vint où un nouveau type
d'observateur sentit qu'il fallait distinguer les
observations pratiques des observations esthétiques,
et en le faisant avec suffisamment d'assurance, il
pouvait refuser à tous ses prédécesseurs, ce qu'il
décrivait désormais chez lui comme «sensibilité
distinguée». L'important n'est pas tellement qu'il
ait fait cette distinction, c'est qu'il en ait éprouvé
le besoin et se soit trouvé en position de la faire et
cela précisément ressortit à l'histoire de la
séparation entre production et consommation.
L'objet véritable de l'analyse n'est donc pas
un type de nature, mais un type d'homme :
l'observateur conscient, celui qui ne se contente pas de
regarder la campagne, mais qui a conscience de le
faire comme une expérience en soi, et qui dispose
des analogies et des modèles importés d'ailleurs
pour appuyer et fonder cette expérience. Il a une
histoire longue et compliquée. Il est déjà présent,
dans un contexte particulier, chez les poètes
bucoliques et dans les premières églogues. Il est présent,
sans nul doute, chez Pétrarque qui, selon Burck-
hardt, avait escaladé le mont Ventoux pour
admirer le panorama, mais une fois parvenu au sommet,
s'était souvenu d'un exemple opposé, tiré de Saint
Augustin :
«Les hommes s'en vont admirer les montagnes élevées, les
vastes mers, les torrents grondants, l'océan et le cours des
étoiles, et ce faisant, oublient ce qu'ils sont.»
On le trouve aussi chez Aeneas Sylvius, lorsqu'il
décrit ce qu'il voit des collines d'Albe et installe sa
cour sur le mont Amiata. Depuis longtemps,
châteaux et villages fortifiés dominaient des
«perspectives» de la campagne en contrebas. Quand les
temps furent plus sûrs, on rechercha le point de
vue pour lui-même, le spectacle comme tel, non
plus le point d'observation permettant de guetter
les mouvements des ennemis ou des étrangers.
Ce qu'il est possible de dire avec certitude,
c'est que, depuis la plus haute antiquité, ce genre
de vue était aménagé par l'homme, aussi bien que
découvert par hasard. En Egypte, en Mésopotamie
et en Chine on fabriquait des paysages ; à Babylone
notamment existaient des parcs artificiels, des
avenues, des jardins, des fontaines. Fait
caractéristique, ces aménagements étaient en relation avec les
centres de pouvoir et ils ont eu une longue
postérité qui va jusqu'à Versailles et à ses imitations
modernes. Mais il existe aussi une autre postérité
moins connue, celle qui conduit aux villas privées,
puis aux maisons de campagne dans des
civilisations moins centralisées et moins spécifiquement
hiérarchiques. Mais il y a une différence sociale
significative : les villas italiennes, où une bonne
partie de la littérature néo-pastorale fut composée
étaient bâties, avec leur environnement rural et
leurs perspectives sur la campagne, en relation
directe avec les villes, car c'étaient des villégiatures
de campagne ; au contraire, en Angleterre, il
s'agissait de sièges de domaines plus dispersés dans le
pays, bien que, pour les bâtir, on recourût souvent
à des revenus de cour. Quant aux parcs, à l'origine
des bois clôturés pour constituer des réserves de
chasse, ils sont attestés en Angleterre dès le dixième
siècle au moins et leur nombre se mit à augmenter
considérablement au cours du seizième siècle,
en relation directe avec l'apparition de ces palais
ruraux. Beaucoup & enclosures et de constructions
furent faites au détriment de villages entiers et de
terres arables qui furent rayés de la carte. Les
grands propriétaires anglais au dix-huitième siècle,
utilisant les mêmes techniques, ne faisaient que
suivre l'exemple de l'abus et du vol donné par ces
générations-là.
Mais il faut encore une transition pour
passer du bois réserve de chasse au jardin anglais.
Ce passage est difficile à dater. On trouve des
exemples (Compton Wynyates et Audley End)
dès le seizième et dix-septième siècles, mais la
transformation systématique se produit
essentiellement à partir du dix-huitième siècle. Il est
possible, pour les besoins de l'analyse, de faire une
distinction entre le parc aux daims, le décor
impressionnant et le panorama aménagé, mais en réalité,
dans la plupart des exemples, ces formes étaient
mêlées, bien que dans les siècles suivants les
principales réserves de chasse eussent été déplacées de
plus en plus loin de la demeure du maître, causant
de nouveau de grands dommages à l'habitat et au
mode de subsistance paysans. C'est dans ce
contexte de consolidation foncière que l'on doit
replacer l'apparition et le développement conscient
du paysage (landscape) et ce qu'on appelle
«l'invention» du décor naturel (scenery).
La thèse centrale est bien connue : les grands
propriétaires du dix-huitième siècle, pendant leur
voyage en Europe, faisaient faire leur portrait par
Claude le Lorrain et Nicolas Poussin ; ils
apprenaient ainsi à regarder le paysage d'une manière
différente, et, revenus en Angleterre, ils voulurent
recréer ces paysages comme perspectives devant
leurs propres maisons : créer, c'est-à-dire s'attacher
les services de Brown (le paysan), Kent ou Repton.
Bien sûr, on doit remarquer un changement de
goût dans la disposition des parterres
ornementaux des jardins réguliers du dix-huitième,
d'influence française, italienne et hollandaise, on passe
:
au jardin anglais des «rénovateurs» (improvers) du
dix-huitième. Mais appeler ce changement
l'invention du «paysage» (landscape) ou du «décor
naturel» (scenery), c'est introduire la confusion dans
toute l'évolution des faits -c'est une forme
inattendue d'ethnocentrisme qui porte à croire que les
Anglais du dix-huitième siècle en imitant
consciemment les peintres italiens du dix-septième siècle,
«découvraient» le décor naturel.
L'idée anglaise de paysage fut empruntée
directement aux hollandais et il est à remarquer
que la première grande représentation artistique
de paysage qui pût s'adapter aux caractéristiques
physiques de la terre anglaise fut celle de l'école

hollandaise du dix-septième siècle de Ruisdael et
Hobbema. Cet art, par ses liens étroits avec la
«rénovation» (improvement) bourgeoise et avec
l'investigation scientifique de la nature et des
modes de perception, avait une parenté étroite avec le
courant rénovateur anglais. Quand les hommes
purent produire leur propre nature, à la fois grâce
aux moyens techniques du progrès agricole (de
nouvelles machines pour retourner la terre, des
techniques d'assèchement et d'irrigation, des
techniques de pompage pour élever l'eau) et grâce
à la compréhension des lois physiques de la lumière
et donc des points de vue et des perspectives
artificielles, il était inévitable que se modifie la
décoration de la nature qui s'offre à la vue immédiate
ses limites, ses motifs et symboles traditionnels.
:
Le paradis, à l'origine un jardin persan
entouré de murs, est déjà chez Milton
:
«a happy rural seat of various view»
(un agréable manoir, offrant des spectacles variés)
«and the flowers, 'worthy of Paradise'»
(et les fleurs, «dignes du paradis»)
«not nice Art
In Beds and curious Knots, but Nature born
Pourd forth profuse»
(non l'art gracieux des plates-bandes et des entrelacs
curieux, mais la nature comme dieu l'a faite, déversant
sa profusion) (Paradise Lost, Book IV)
Marvell, à Appleton House où il y avait un jardin
français symbolique, avait déclaré à propos des
prairies inondables
:
«They seem within the polisht Grass
A Landskip drawen in Looking-Glass»
(elles semblent parmi l'herbe luisante être un paysage
dessiné dans un miroir), (Upon Appleton House)
image intéressante, non seulement parce que les
prairies sont vues comme paysage, mais parce que
le sens de l'artifice -l'usage que le dix-septième
siècle fait du miroir et de la perspective pour
composer et embellir le paysage- est consciemment
présent. Pope, à l'avant-garde, préconisant un nouveau
style d'agencement des jardins, contre les symétries
artificielles représentées par la villa de Timon, avait
aussi une conscience d'observateur qui lui venait
tout autant de la science que de l'art :
«You look thro' a sloping Arcade of Trees, and see the Sails
on the River passing suddenly and vanishing, as thro' a
Perspective Glass.»
(le regard traverse une arcade d'arbres inclinée, et voit sur
le fleuve les voiles qui passent soudainement, et
disparais ent, comme à travers une lunette)
Son «génie du lieu» («Genius of the Place»),
apparemment mesure de la fidélité naturelle, est, si on y
regarde de plus près, une invitation à aménager et à
réaménager la nature selon un point de vue :
«Let not each beauty ev'ry where be spy'd,
Where half the skill is decently to hide.»
(que les beautés de la nature ne puissent être observées
partout/là où presque tout l'art est de bien dissimuler)
Car ce que cette nouvelle classe accomplissait, avec
de nouveaux capitaux et de nouveaux moyens
techniques et en s'attachant les nouveaux talents,
revenait en fait à soumettre la nature à ses
Plaisantes perspectives 33
seins. Si on se demande, en définitive, qui le génie
du lieu peut bien être, on découvre que c'est son
possesseur, son propriétaire, son «rénovateur».
Charles Cotton, en 1687, après avoir écrit sur les
beautés des jardins de Chatsworth, déclarait dans le
morceau de bravoure du poème :
«But that which crowns all this, and does impart
A lustre far beyond the Power of Art,
Is the Great Owner. He, whose noble mind
For such a Fortune only was designed.»
(mais ce qui couronne le tout, et lui communique un éclat
qui dépasse infiniment le pouvoir de l'art, c'est la grandeur
de son propriétaire. Celui dont l'âme noble pour une telle
fortune fut conçue .). (Poems of Charles Cotton, London,
ed. Buxton, 1958).
Le génie du lieu, c'était celui qui avait fait
construire ce lieu : ce mot socialement chargé que l'on
retrouve pendant tout le dix-huitième siècle et que
Jane Austen reprit ironiquement, dans les propos
éclairés (improving talk) d'Henry Crawford de
Mansfield Park :
«Avec les améliorations que j'ai suggérées. ..vous pouvez lui
donner plus de caractère, vous pouvez même en faire un
lieu» (Mansfield Park, ch. XXV)
L'engouement pour Claude le Lorrain et Nicolas
Poussin, les travaux en terre, les jeux d'eau et les
plantations d'arbres de Brown, Kent et Repton, les
créations de Stourhead et des Leasow s'insèrent
dans ce mouvement d'ensemble ils n'en sont que
des péripéties. Si on considère le paysage par
:
rapport à l'art, on note beaucoup d'imitations de
scènes précises : les zones de lumière, d'ombre et
d'eau, comme sur les toiles ; les bâtiments et les
bosquets qui fournissent des lignes verticales et
font ressortir certaines éléments, les panoramas
encadrés par des premiers plans d'arbres sombres,
comme dans Claude le Lorrain et Nicolas Poussin,
mais aussi dans les décors de théâtre où, à la
même époque, se développaient le manteau
d'Arlequin et les panneaux mobiles. C'est à bon droit que
l'on peut noter des similitudes et des
correspondances, et un tel degré d'imitation en dit long sur la
médiocrité culturelle de cette classe, en ce qui
concerne art et littérature véritables. Mais, considérés
en tant que tels, ils ne dépendaient pas l'un de
l'autre. Comme Cotton l'avait déjà remarqué à
Chatsworth :
«The Groves whose curled brows shade ev'ry lake
Do everywhere such waving Landskips make
As Painter's baffled Art is far above
Who waves and leaves could never yet make move.»
(les bosquets dont le front bouclé obscurcit les lacs
forment partout des paysages si ondulants, qu'ils surpassent
de loin l'art confondu du peintre, qui jamais encore ne put
faire se mouvoir vagues et feuilles)
C'est cette sorte d'assurance dans leur capacité à
transformer la nature selon un dessein convenu qui
fut la véritable invention des propriétaires. On ne
peut donc séparer les arts d'agrément des arts
productifs ; ce nouvel observateur conscient n'était
autre que le propriétaire conscient. L'aménagement
des parcs et leur transformation en paysages «arca-
diens» reposaient sur l'achèvement du système
34 Raymond Williams
Porte-parole de l'agronomie éclairée des propriétaires
terriens (improvers) (cf. The Country and the City, op.
cit. , pp. 66-67), Arthur Young livre dans ce texte les
catégories de perception qu'analyse Raymond Williams. Il
projette en effet sur un paysage découvert en France le
panorama qu'il pourrait devenir au prix d'un
aménagement qui le constituerait en nature plus vraie que nature,
débarrassée en particulier des traces du travail
productif.
Le 5 juin— (Young arrive dans la Marche.). La campagne
devient beaucoup plus belle ; traversé une vallée où les
eaux d'un petit ruisseau, retenues par une chaussée,
s'épanouissent en un lac, formant ainsi un délicieux
paysage . Ses rives ondulées et bordées de bois sont pittoresques ;
de chaque côté, les collines sont en harmonie avec le
reste. Ce terrain couvert de bruyères, l'oeil prophétique du
goût peut le transformer en une pelouse. Pour faire un
jardin de cet endroit, rien ne manque qu'un peu de soin.
Pendant seize milles, le pays est de beaucoup le
plus beau que j'aie vu en France ; beaucoup de clôtures,
beaucoup de bois ; le feuillage ombreux des châtaigniers
donne aux collines la même éclatante verdure que les prairies
irriguées (rencontrées ici pour la première fois)
fournissent aux vallées. Dans le lointain, des chaînes de
montagne forment le fond du tableau et en rehaussent
l'intérêt. La descente qui mène à Bessines offre une vue
superbe, et, à l'approche du village, on trouve un
groupement singulier de rochers, de bois et d'eau.
Traversé une montagne, couverte d'un taillis de
châtaigniers, d'où l'on découvre un horizon comme je n'en
ai jamai vu, ni en France ni en Angleterre : c'est une série de
collines et de vallées couvertes de forêts, bornées au loin
par des montagnes. Aucune trace d'habitation humaine ; ni
village, ni maison, ni hutte, pas même une fumée qui
trahisse la présence de l'homme ; un paysage américain, si
sauvage qu'on s'attend à y rencontrer le tomahawk de
l'Indien. Les routes, dans toute cette région, sont vraiment
superbes, très supérieures à tout ce que j'ai vu en France
ou ailleurs. (Arthur Young, Voyages en France
1787,1 788, 1 789, Paris, A. Colin, 1976).
d'exploitation des terres cultivées et des terres
conquises sur les pacages à l'extérieur des limites
des parcs. Là aussi, un ordre était imposé social et
économique, mais aussi physique. Les grilles
:
géométriques des adjudications d 'enclosures, avec leurs
haies et leurs routes rigoureusement droites sont
contemporaines des courbes naturelles et de la
dissémination des scènes dans le paysage de parc. Ce
sont les éléments d'un même processus s'ils sont
en apparence opposés selon les critères du goût
:
(dans un cas la terre est organisée pour la
production, dans l'autre elle est organisée pour la
consommation), ils participent pourtant de la même
logique : le panorama, la tranquillité ordonnée pour le
propriétaire, la perspective. On peut même aller
jusqu'à dire de ces paysages aménagés du dix-
huitième siècle non seulement qu'ils représentaient
le sommet de l'art agraire de la bourgeoisie, mais
que par eux, elle a réussi à créer sous ses fenêtres
et ses terrasses ce que Jonson avait imaginé dans
l'idéal à Penshurt : un paysage rural débarrassé du
travail des champs et des travailleurs ; une
perspective de bois et d'eau, (dont on trouverait
d'innombrables correspondances dans la peinture et la
poésie néo-pastorale), d'où les réalités de la production
sont bannies, les routes et les accès habilement
dissimulés par des arbres, de sorte que la
réalité même de la communication est visuellement
abolie. Granges et moulins encombrants sont
écartés loin des yeux (le bourgeois Sterling, dans le
Mariage clandestin de Colman et Garrick, avait
«transformé l'ancien lavoir en serre et la brasserie en
jardin exotique») ; de grandes allées donnant sur les
collines lointaines, sans aucun détail qui vienne
troubler la vue ; et ce paysage qu'on voit d'en haut,
de ces nouvelles élévations de terrain ; les grandes
fenêtres, les terrasses, les pelouses ; les lignes de
vision dégagées ; l'expression de la maîtrise et de la
domination. C'est l'organisation sociale que
Peacock, dans Headlong Hall, observait ironiquement :
«un bâtiment blanc, brillant, anguleux, reflété à la
perfection dans ce lac à la surface immobile, et c'est là qu'on
trouve Lord Littlebrain qui regarde par la fenêtre.»
(Headlong Hall, ch. VI)
Mais cette perspective dominatrice est aussi un
triomphe de la nature «vierge» : sa réussite tient à
cette mystification efficace et qui en impose
encore. On doit insister sur ce trait essentiel, même si
l'on n'oublie pas que dans le cadre de cette
organisation sociale, étaient possibles, pratiquées et
appréciées bien d'autres formes de perception du
paysage, fondées sur des motivations diverses. Dyer,
par exemple, partageait l'idéologie des rénovateurs
:
«Inclose, inclose, ye swains !
Why will you joy in common field ... ?
In fields.
Promiscuous held all culture languishes.»
(Elevez donc des clôtures, ô pasteurs ! En quoi les
pâturages communs vous réjouissent-ils ? Dans les terres que la
communauté tient, toute culture est médiocre.) («The
Fleece», book II, Poems of John Dyer, London, ed. E. Thomas
1903).
Mais quand il promenait ses regards depuis Gron-
gar Hill, des thèmes plus anciens lui revenaient à la
conscience :
 Plaisantes perspectives 35

«And see the rivers, how they run

Through woods and meads, in shade and sun ;
Sometimes swift, sometimes slow,
Wave succeeding wave,they go
A various journey to the deep
Like human life to endless sleep.»
(et voyez les fleuves, comme ils courent, parmi les bois et
les prés, dans l'ombre et le soleil, parfois rapides, parfois
lents, vague après vague, ils accomplissent leurs trajets
divers vers l'océan, comme la vie de l'homme vers le
sommeil éternel.) (Gongar Hill)
Chez lui, la nature n'est pas encore séparée de la
nature humaine mais, avec l'essor de la poésie de la
nature au dix-huitième siècle, l'idée d'un point de
vue séparé a fini par devenir un lieu commun ;
c'est ce moment-là que Thomson avait décrit :
«Meantime you gain the height, from whose fair brow
The bursting prospect spreads immense around.»
(Cependant, vous gagnez le sommet, et du faite
harmonieux, le paysage qui surgit se déploie immense sous vos
yeux.) (The Seasons, Spring II, in Complete Poetical Works
of James Thomson, Oxford, ed. J.L. Robertson, 1908)
C'est le genre de spectacle pour lequel Cowper
semble avoir inventé le mot «scenery» (décor naturel);
et l'essentiel, dans cette convention, c'est la cons-
science de regarder le spectacle :
Ce tableau de Gainsborough fait coexister les deux formes
«Here Ouse, slow winding through a level plain de perception de l'univers naturel dont Raymond
Of spacious meads with cattle sprinkled o'er, Williams décrit la dissociation. L'artifice de la composition
Conducts the eye along its sinuous course dont témoigne la coupure du tableau en deux (univers
Delighted. There, fast rooted in their bank, du parc/univers de la terre cultivée productive) est un
Stand, never overlook'd, our favourite elms, indice du découpage et de la distinction de catégories de
That screen the herdsman's solitary hut ; perception de la nature dans la bourgeoisie des propriétaires
While far beyond, and overthwart the stream terriens d'un côté la nature consommée comme lieu
That, as with molten glass, inlays the vale, de plaisir (chasse, repos, contemplation), de l'autre la terre
:

The sloping land recedes into the clouds ;
Displaying on its varied side the grace
Of hedge-row beauties numberless, square tow'r,
Tall spire, from which the sound of cheerfull bells
Portrait de Mr. et Mrs. Andrews de Gainsborough.
productrice (mais abstraction faite des producteurs). Il
est difficile de faire la part, dans ce rapprochement qui va à
contre-courant de la perception ordinaire, de la naïveté
(ou de la fausse naïveté) du peintre et de la vanité de petits
capitalistes qui n'ont peut-être pas les moyens d'opérer
complètement la dissociation réussie par les grands
propriétaires- JCC
.
36 Raymond Williams
Just undulates upon the list'ning ear,
Groves, heaths, and smoking villages, remote.»
(Ici l'Ouse qui serpente lentement à travers une plaine
régulière de vastes prairies parsemées de bétail, dirige l'oeil,
ravi, le long de son cours sinueux. Là, bien plantés sur leurs
rives se dressent, jamais perdus de vue, nos arbres préférés,
les ormes, qui dissimulent la cabane solitaire du gardien de
troupeau, tandis que bien au-delà et de l'autre côté de la
rivière qui, comme avec du verre fondu, incruste la vallée, les
terres inclinées reculent dans les nuages, -offrant sur leurs
flancs variés l'agrément des merveilles sans nombre des
haies, tour carrée, clocher élevé, d'où le son joyeux des
cloches ne parvient à l'oreille que comme une vague ;
bosquets, landes, villages aux toits fumants, dans le lointain.)
(The Task, book I).
C'est dans l'acte de l'observation que ce paysage
prend forme ; la rivière «dirige l'oeil» ; les terres
inclinées «offrent» leur agrément ; la rivière
«incruste» la vallée. C'est un magnifique tableau, au sens
strict. Le sentiment de possession qu'il suscite,
lorsqu'on le voit d'un poste d'observation séparé, est
l'indice d'une esthétique véritablement abstraite, et
il y a des centaines de cas de ce genre. L'ordre se
projetait dans la nature au moment même où il
se constituait. Au centre de la société, pour les
propriétaires, la conjonction était directe. Chez des
observateurs marginaux, cela devint une
convention poétique ou picturale.
Puis vint le moment où de manière
apparemment soudaine, une autre question se trouva posée
par un autre poète, parcourant lui aussi la
campagne du regard, observant son ordonnance
tranquille mais troublé par l'existence même du calme
:
«Tis calm indeed ! so calm, that it disturbs
And vexes meditation with its strange
And extreme silentness. Sea, hill and wood,
This populous village ! Sea, and hill, and wood,
With all the numberless goings on of life
Inaudible as dreams.»
(c'est assurément calme, si calme que cela gêne et trouble
la méditation avec son étrange et extrême silence. Mer,
colline, bois, ce village populeux ! Mer, colline, bois, avec
l'incessant va et vient de la vie, aussi inaudible qu'un rêve.)
(«Frost at Midnight», in Select Poetry and Prose of J.T.
Coleridge, London, ed. S. Potter, 1950).
Cette troublante méditation de Coleridge est
l'indice d'une rupture dans l'ordre des conventions.
Les relations réelles entre l'homme et la nature,
l'existence réelle de l'observateur et de ceux qu'il
ne pouvait voir que dissous dans un paysage, lui
revenaient comme un problème : celui de l'identité,
de la perception, de la nature elle-même.
(trad. M. Bozon et J-L. Fabiani)