Sie sind auf Seite 1von 16

Actes de la recherche en

sciences sociales

La loi des grands nombres


Mesure de l'audience et représentation politique du public
Monsieur Patrick Champagne

Citer ce document / Cite this document :

Champagne Patrick. La loi des grands nombres. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994.
L’emprise du journalisme. pp. 10-22;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1994.3357

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1994_num_101_1_3357

Fichier pdf généré le 22/03/2019


Zusammenfassung
Das Gesetz der großen Zahl
Messung von Einschaltziffern und politische Vertretung des Publikums
Vor allem die Banalisierung der Praxis politischer Meinungsumfragen erklärt, daß wir uns über diese
Befragungen, die tendenziell die Logik eines politischen Systems grundlegend ändern, obwohl sie
dessen bloße Verbesserung anzustreben vorgeben, kaum noch wundern. Die bedeutsamere
Manipulation ereignet sich indes nicht dort, wo sie gewöhnlich erwartet wird, son-dern beruht schon
einfach in der Befragung einer Personengruppe, weil man wissen will, und dann bekanntmacht, was
sie denken. Die eigentlichen politischen Wirkungen, die durch Meinungsumfragen erzielt werden, sind
fast im Reinzustand faßbar, wenn man den Fall der Einschaltziffer-Erhebungen großer audiovisueller
Medien betrachtet. Die Geschichte der im Lauf der Jahre nacheinander beim Fernsehen in Betrieb
genommenen Systeme läßt erkennen, daß die einfache Messung der Zuschauerzahlen in Wirklichkeit
eine wahre politische Vertretung des Publikums beinhaltet. Dieser Zusammenhang wird an dem
unterschwelligen Legitimitätskonflikt deutlich, der sich innerhalb des Fernsehens selbst zwischen
Produzenten sogenannter « gehobener » « kultureller » Sendungen (solche, die den
Fernsehzuschauer « geistig bereichern ») und denjenigen zu entwickeln beginnt, die Sendungen von
Spielen (also solche, die ihn « unterhalten » sollen) produzieren und eine immer größere Masse von
Zuschauern fur sich verbuchen können. Indem sie die Aufmerksamkeit ausschließlich auf die Leistung
der Meßinstrumente lenken, tendieren die technischen Diskussionen über die Gültigkeit von Umfragen
dazu zu verschleiern, und daher zu verhindern zu sehen, dafê in Wirklichkeit dahintersteckt, ein neues
Prinzip universeller Legitimität durchzusetzen, das unmittelbar auf Zuschauerzahlen, auf direkter
Volkszustimmung und auf Beifallsmefëgeräten beruht. Reihe von Wandlungen ausgesetzt, deren
sichtbarster Effekt zweifellos das Auftauchen eines neuen intellektuellen Stils ist, bei dem die
Zugänglichkeit durch das große Publikum im Vordergrund steht. Der mondänen Seite der Philosophie,
die sich offen, bei Gefahr, als solche entlarvt zu werden, nicht zeigen kann, kommt die Vervielfachung
von Instanzen, Rollen und Zwischensituationen, in denen die Gegensätze weiter nebeneinander
bestehen bleiben, zugute. Und wenn dabei die Rolle der Medien, worauf zahlreiche Indizien
(Ausweiten des Themas, pathetischer Ton usw.) hinweisen, ausschlaggebend zu sein scheint, kann
man doch nicht übersehen, daß die eigentlichen Bedingungen für deren Erfolg in den internen
EntwicklungsMerkmalen des Fäches selbst zu suchen sind. Diejenigen Agenten, die am meisten an
die Bewahrung einer angesehenen, durch Konkurrenz aber bedrohten Form eines « humanistischen »
kulturellen Kapitals gebunden sind, scheinen keine andere Wahl zu haben, als die verkrampfte
Verteidigung einer schulischer Orthodoxie einerseits, oder aber das Erfinden einer, insbe-sondere auf
Aktualitätsthemen hin orientierten, profanen Philosophie. Da in beiden Fällen die Verewigung der, einer
Geisteselite gewährten, kulturellen Privilegien auf dem Spiel steht, ist nicht verwunderlich, daß
Bündnisse und Verbindungen zwischen der akademischen Welt und dem Journalismus zu einer
Vervielfachung tendieren.

Résumé
La loi des grands nombres
Mesure de l'audience et représentation politique du public
La banalisation de la pratique du sondage politique explique en grande partie le fait que l'on ne
s'étonne plus guère aujourd'hui de ces enquêtes qui tendent pourtant à modifier profondément la
logique d'un système politique qu'elles prétendent seulement améliorer. La manipulation majeure n'est
pas là où on l'attend habituellement mais réside dans le simple fait de choisir d'interroger un groupe
d'individus pour savoir, et faire savoir, ce qu'ils pensent. On peut saisir, presque à l'état pur, les effets
proprement politiques qui sont exercés par les sondages d'opinion en prenant le cas des sondages
d'audience des grands médias audiovisuels. L'histoire des dispositifs successifs qui furent mis en place
à la télévision permet de voir que la simple mesure de l'audience engage en fait une véritable
représentation politique du public. On peut le voir dans le sourd conflit de légitimité qui commence à se
développer au sein même de la télévision entre les producteurs d'émissions « culturelles » dites « de
qualité » (ceux qui « enrichissent spirituellement » le téléspectateur) et ceux qui produisent des
émissions de jeux (ceux qui le « divertissent ») et mobilisent des foules de plus en plus nombreuses.
Les discussions techniques sur la validité des sondages, en focalisant l'attention sur la performance
empêchent de voir que ce que l'on impose en réalité, c'est un nouveau principe de légitimité universel fondé
sur l'audience, sur l'approbation populaire, sur l'applaudimètre.

Abstract
The Law of Numbers
Measurement of Audience and Political Representation of the Public
The ever-growing use of political opinion polls is the main reason why little surprise is now expressed at
these surveys which nonetheless tend to modify radically the logic of a political system which they claim
only to improve. The principal manipulation is not where it is generally expected but rather in the simple fact
of choosing to question a group of individuals in order to learn, and make known, what they think. The
specifically political effects exerted by opinion polls can be grasped, almost in the pure state, if one takes
the case of the audience surveys of the broadcasting media. The history of the successive devices used in
the case of television shows that simple measurement of the audience in fact implies nothing less than a
political representation of the public. This can be seen in the covert war of legitimacy which is beginning to
develop within television itself, between the producers of «cultural» programmes, described as «quality»
programmes (those which « spiritually enrich » the viewer) and the producers of game shows (programmes
that «entertain» the viewer), attracting ever larger audiences. Technical discussions about the validity of
surveys, by focusing attention on the accuracy of the measuring instruments (audiometer or controlled
sample), tend to act as a screen, masking the fact that what is really being imposed is a universal principle
of legitimacy based on audience, popular approval, the « applause meter ».
Patrick Champagne

LA LOI

Mesure de
DESPaudience
GRANDS
et représentation politique
NOMBRES
du public

es sondages d'audience des grands médias fidèle que celle qui était donnée par le seul courrier
audiovisuels, et notamment de la télévision, sont spontané. Elle eut un faible taux de réponses, malgré une forte
apparemment des sondages simples, non politiques, qui ne mobilisation, parce que les gens interrogés ne croyaient pas
alors que ce type d'enquête, inhabituel à l'époque, puisse
prétendent pas saisir des opinions, mais seulement la servir à quelque chose, mais aussi parce que les enquêteurs
présence des téléspectateurs devant l'une ou l'autre des mobilisés (essentiellement des personnels de la radio ou des
chaînes de télévision. La mesure des audiences peut services publics) n'y croyaient pas non plus l'opinion de
apparaître comme une sorte d'équivalent, pour ces ces enquêtes anonymes, disaient-ils, qui n'ont même pas le

:
médias à consommation « immatérielle » que sont les courage de donner leur nom, n'est que l'opinion fluctuante
radios et la télévision, de ce qu'est le tirage pour la presse et fantaisiste de gens incompétents, et ne doit donc pas être
prise en considération. En outre, ils se demandaient s'il était
écrite (ou plus exactement les enquêtes de lecture faites bien nécessaire d'aller chercher ces opinions inconsistantes
par le Centre d'étude des supports de publicité). Ce type alors que la Radio Télévision Française disposait d'un corps
de sondage ne pose donc pas les problèmes classiques de représentants compétents (c'est-à-dire eux-mêmes) qui
que les instituts rencontrent généralement lors de la étaient prêts à donner la leur. Ce service, significativement,
passation des questionnaires d'opinion (effet d'imposition connaîtra peu de changement jusqu'en 1964 il n'aura que
deux directeurs, Roger Veillé (jusqu'en 1950), un jeune
:

des problèmes, questions mal comprises, etc.). Il s'agit de


résoudre des problèmes purement techniques qui professeur de philosophie, et surtout un journaliste, Jean Oulif,
qui y restera vingt-deux ans, cette stabilité, comme certains
consistent seulement à se donner les moyens de saisir, avec un l'ont noté, prouvant au moins que la question de l'audience
maximum de précision, les présences devant les écrans n'était pas alors un enjeu important. Autour d'eux, ces
de télévision et, si possible, de les identifier. Si la mesure responsables constituèrent seulement une petite équipe d'«
des audiences et leur publication dans les médias est enquêteurs maison», recrutés au hasard de rencontres, sans
devenue banale aujourd'hui et semble répondre à une formation particulière (plus littéraire cependant que
curiosité légitime, il n'en a pas toujours été ainsi. scientifique), qui étaient simplement censés « avoir des idées » sur
ce que devait être une « bonne radio de service public »
L'histoire sociale des dispositifs successifs qui furent mis en
.

place à la radio puis à la télévision montre que la simple


mesure d'audience engage en fait une véritable 1 - Les développements qui suivent reposent sur un ensemble de
représentation politique du public. travaux menés depuis quelques années sur l'histoire des sondages
d'audience, notamment sur les articles de Cécile Meadel, « De la
formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la
Créé à la fin de la guerre, le Service des relations avec les télévision dans les années cinquante », Réseaux (Communication
auditeurs et téléspectateurs, qui était chargé de s'occuper de la technologie société), janvier 1990, n° 39, p. 37-55, de Jérôme Bourdon, « A la
tâche traditionnelle du courrier des auditeurs, réalise, dès recherche du public ou vers l'indice exterminateur. Une histoire de la
1946 pour la radio, le premier sondage d'audience afin mesure d'audience à la télévision française», Culture technique, 1992,
p. 40 sq., ainsi que sur divers articles de Michel Souchon. On s'est aussi
d'établir un lien plus étroit avec le public1. Cette première appuyé sur le n° 22 des Dossiers de l'audiovisuel (novembre-décembre
enquête, qui s'inspirait des sondages faits aux États-Unis et en 1988) établi par Régine Chaniac et intitulé «Télévision la mesure de
Angleterre, espérait recueillir une image des auditeurs plus l'audience ». Je remercie Guy Pineau pour son aide.
:
La loi des grands nombres

Le public des réalisateurs alors à la politique, à savoir une abstraction, un public


idéalisé. C'est pour ce public que, à cette époque, les
Lorsque, un peu plus tard, le problème de l'audience réalisateurs de télévision conçoivent leurs émissions. Les
s'est posé pour la télévision, les responsables de la RTF jeux télévisés, par exemple, mettent alors en vedette des
furent également hostiles aux simples sondages personnages étonnants par leur érudition et non pas,
d'audience, perçus comme purement «commerciaux», comme aujourd'hui, des gens ordinaires, à l'image du
incapables de livrer autre chose que les réactions public qui les regarde. D'ailleurs, les sondages visent
immédiates des téléspectateurs et ne permettant donc pas de alors moins à connaître la composition précise du public
saisir, selon eux, des réactions « profondes » et « qu'à créer une sorte de climat de confiance on veut

:
réfléchies». Jusqu'au début des années 60, les enquêtes de montrer au public qu'on le consulte, mais surtout on veut
type quantitatif n'enregistrent que les comportements à aider les téléspectateurs à donner à la télévision sa
l'égard de « la télévision » en général, les enquêtes plus « vraie » place (un instrument de « distraction » et d' «
qualitatives ne retenant que les opinions individuelles les enrichissement spirituel »), et fournir accessoirement
plus saillantes. Dans les synthèses qui sont faites quelques repères aux responsables.
périodiquement, on n'accorde pas le même poids à toutes les Les responsables de la télévision ne s'intéressent
opinions recueillies, les remarques jugées « pertinentes » guère aux sondages parce que le système de production
ou «amusantes», c'est-à-dire celles qui frappent ou des émissions télévisées ne dépend pas de l'audience. De
sortent de l'ordinaire, étant mises en valeur. Il s'agit en fait de fait, jusqu'en 1964, les sondages ont peu d'effets sur ceux
donner une idée de « l'état d'esprit de la population » à qui font la télévision. Faire des sondages d'audience
l'égard de cet appareil nouveau et encore peu diffusé permanents aurait eu peu de sens, puisque la télévision était
qu'est alors la télévision, un peu à la façon dont, en alors financée exclusivement par la redevance et ne
politique, les Renseignements généraux, avant les sondages comportait qu'une seule chaîne (l'audience dépend
d'opinion, faisaient leurs rapports. principalement de l'heure de passage des émissions), le nombre
de récepteurs étant par ailleurs peu important (en 1957,
Outre les sondages par courrier (1 000 questionnaires sont 6% seulement des ménages ont la télévision). Les
alors envoyés chaque mois), on procède à partir de 1954 à programmes sont dans les mains de réalisateurs, souvent dits
des sondages par téléphone (10 enquêtrices appellent une « de gauche » , qui sont animés par un fort volontarisme
dizaine de personnes chaque soir en région parisienne) afin
de connaître les comportements des auditeurs (les heures culturel analogue à celui que Jean Vilar avait imposé pour
d'écoute, les relations avec le voisinage, etc.), leurs goûts le théâtre ou encore à celui qui inspirait les Maisons de la
(quelles sont les émissions qu'ils aiment ou détestent) et leur culture créées par André Malraux. Ils veulent faire
opinion sur la télévision en général. Si l'on essaie découvrir « la culture » à un « peuple » qui est symbolisé non pas
maladroitement de mesurer le nombre de gens « ayant vu » une comme aujourd'hui par une concierge, une ménagère de
émission, c'est surtout 1'« indice de satisfaction» (les personnes province ou la célèbre « Mme Michu » des instituts de
interrogées donnent une note aux émissions qu'elles ont sondage (c'est-à-dire par le « petit peuple •>), mais par la
vues) qui est retenu par les responsables de la RTF pour
juger de la «valeur» des programmes, ou du moins de leur mythique figure de ces ouvriers du Nord de la France et
adéquation par rapport aux attentes supposées du public. de ces prolétaires avides de s'instruire. Cette vision
«exigeante » était comme appelée par la logique même de la
Ces enquêtes maison sont évidemment considérées diffusion des récepteurs de télévision dans la population,
par les professionnels de 1TFOP ou de l'INSEE comme puisque, pour des raisons économiques, elle n'eut pas
techniquement très contestables tirage des sondés sans d'emblée un public populaire, les premiers
:

réelle représentativité (on interroge surtout Paris, et téléspectateurs appartenant aux classes aisées et aux fractions
souvent par téléphone), catégories ad hoc variant au gré des supérieures de la classe ouvrière.
sondages et empêchant de comparer et de stabiliser les Les retours et appréciations sur les programmes
résultats, absence de tris ou de croisements entre les diffusés dont les réalisateurs et les responsables de la
variables, etc. En fait, à travers la manière de faire ces télévision pouvaient avoir connaissance étaient alors
enquêtes et le refus de fabriquer des sous-groupes et des essentiellement de trois ordres en premier lieu, l'opinion des
:

catégories de population se lit la force d'une pairs (c'est-à-dire les autres réalisateurs de télévision et
représentation proprement politique du téléspectateur. Le public est leur entourage proche), auxquels il faut ajouter les
perçu comme un tout indivisible ; on sait pour lui ce qu'il critiques de télévision, qui faisaient alors leurs articles sur
veut, à savoir s'élever culturellement et socialement. Les les émissions après leur diffusion; en deuxième lieu,
« auditeurs » sont, à la RTF, ce que les « citoyens » sont l'opinion des responsables politiques en place, qui pen-
12 Patrick Champagne

saient avoir leur mot à dire sur le contenu des relles » dites « de qualité » (comme Jean-Marie Drot ou
informations parce qu'ils s'estimaient être les garants des valeurs Jean-Claude Bringuier par exemple) qui, selon les
morales (en particulier celles qui touchaient à la religion expressions de l'époque, «enrichissent spirituellement» le
et à la sexualité) ; enfin, le courrier des téléspectateurs, téléspectateur, aux producteurs d'émissions de jeux
que l'on savait être relativement atypique et excessif par populaires (comme Guy Lux) qui mobilisent des foules de plus
rapport aux opinions majoritaires, mais qui pouvait être en plus nombreuses, « divertissent » le public, enrichissent
invoqué à l'appui de telle ou telle décision prise par les matériellement les candidats (et, plus tard, les chaînes de
responsables de la télévision. Ces diverses opinions télévision elles-mêmes). Cette opposition s'est d'autant
concurrentes sur les programmes de télévision plus facilement instaurée que la télévision, d'un point de
permettaient un certain jeu au niveau des réalisateurs. Si le vue technique, s'y prêtait. S'adressant potentiellement à
contrôle politique n'était pas absent de la télévision, il ne tous, la télévision a été en effet très vite l'objet d'une lutte
s'exerçait dans toute sa rigueur que sur les émissions dont l'enjeu était d'imposer une définition de ce que doit
ouvertement politiques (les Journaux télévisés et les être « la » télévision 3.
magazines de reportage), laissant par contre une relative La création, en 1964, d'une deuxième chaîne de
autonomie sur la majeure partie des programmes. Ce télévision, loin de favoriser une diversification des émissions
système était en fait très ouvert les producteurs pouvaient proposées ou des chaînes, va surtout intensifier ce conflit.
:

tourner la censure en faisant de la politique, de façon On observe en effet une première rupture, sensible dès
souvent plus efficace, en dehors des émissions dites 1966, dans la représentation du public et, par là, dans les
« politiques », notamment sous le couvert d'émissions émissions qui sont diffusées. Les responsables des
traitant de problèmes de société ou d'émissions culturelles programmes vont abandonner la vision traditionnelle et
(comme la série « La caméra explore le temps » ou littéraire de la volonté populaire (en matière de télévision),
l'adaptation du roman paysan d'Eugène Le Roy, Jacquou le celle qui est définie par des agents qui se sentent investis
croquant qui eut un grand retentissement dans la ou autorisés à dire ce que veut « le peuple » en ce
paysan erie en crise des années 60) 2. domaine, ou plus exactement, ce qu'il ne peut pas ne pas
La télévision publique a ainsi longtemps bénéficié vouloir. Cette conception, qui est source de conflits
d'une relative autonomie culturelle, les réalisateurs permanents et insolubles entre différents porte-parole auto-
concevant des œuvres non exclusivement fabriquées en désignés qui s'estiment également légitimés à dire ce que
fonction d'un public préexistant que, de toute façon, ils veut « le peuple » dans ce domaine de grande
connaissaient alors très mal (le flou en ce domaine n'étant consommation culturelle, va progressivement régresser au profit
pas nécessairement négatif)- Cependant, le décalage d'une nouvelle représentation du public qui repose
entre les œuvres proposées et les attentes des fractions explicitement sur une vision politique, celle de la «libre
les plus nombreuses d'un public de plus en plus vaste et concurrence » les téléspectateurs ne sont plus
:

culturellement hétérogène était parfois trop important considérés, pour reprendre les expressions du ministre de
pour que certains ne manifestent pas alors, par des coups l'Information de l'époque, comme des «administrés culturels»,
de téléphone à la télévision ou par un abondant courrier
aux journaux spécialisés, leur désapprobation (que l'on 2 - En 1971, une circulaire du Conseil d'administration de l'ORTF
pense par exemple aux émissions de Jean-Christophe imposa fermement la « séparation des genres » afin, précisément, de
Averty ou aux Shaâdoks) limiter ces débordements non contrôlés de la politique dans des
émissions littéraires ou historiques. C'est également à cette époque que la
.

tentative de libéralisation de l'information télévisée engagée par le


gouvernement Chaban-Delmas fut freinée par le président Pompidou qui,
Les deux principes de légitimité au cours d'une conférence de presse, rappela que les journalistes de
l'ORTF n'étaient pas des journalistes « comme les autres » parce qu'ils
étaient « la voix de la France »
.

Dès le début des années 60, avec la diffusion 3 - C'est là une des différences essentielles avec le livre ou la presse
croissante des postes de télévision et, de ce fait, le écrite d'aujourd'hui. Ces supports ont depuis longtemps des publics
diversifiés qui ont décidé de les acheter et sont donc par avance et par
changement des caractéristiques sociales et culturelles des définition relativement ajustés aux attentes de ceux qui les lisent. Il n'y a
téléspectateurs, un sourd conflit de légitimité va se plus, comme aux origines de l'imprimerie, de débat visant à définir ce
développer au sein même de la télévision et éclater, à la fin que doit être « Le Livre » ou « Le Journal » (c'est-à-dire ce que doivent
être tous les livres et les journaux). L'imprimerie a d'abord été utilisée
des années 60, avec la création de nouvelles chaînes pour reproduire en grand nombre bibles et livres savants les premiers
publiques et, surtout, avec l'introduction de la publicité éditeurs de livres populaires qui l'utilisèrent comme source de profits
;

comme mode de financement complémentaire des suscitèrent les mêmes réactions négatives que la télévision aujourd'hui.
Voir, par exemple, Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L'Apparition du
programmes. Il oppose les producteurs d'émissions « livre, Paris, Albin Michel, coll. «L'évolution de l'humanité», 1958.
La loi des grands nombres 13

mais comme des « consommateurs adultes » qui « votent » Cette évolution s'amplifie dans les années 70. On
en choisissant les programmes qu'ils aiment4. assiste, durant cette période, à la diffusion généralisée des
A ces considérations explicitement politiques s'ajoute récepteurs de télévision (elle est pratiquement dans tous
une transformation du financement de la télévision. En les foyers en 1974, le taux d'équipement étant à cette date
1968, alors que le taux d'équipement des foyers est passé de 82 %) et à la mise en place, en 1974, d'une réforme
à 62 %, la publicité est, en effet, introduite sur la première qui, en faisant éclater la télévision en trois chaînes
chaîne ainsi que des préoccupations nouvelles de type autonomes, engendre une dépendance de plus en plus
financier on peut calculer désormais par exemple le grande de cette industrie culturelle à l'égard des
:

coût d'une émission par téléspectateur. Les taux annonceurs. Le Centre des études d'opinion (CSO), qui
d'audience, encore secrets, sont utilisés, dans une logique remplace alors le Service des études de marché, reste placé
largement politique, pour gérer les conflits entre les sous le contrôle du Premier ministre parce que la loi fait
réalisateurs et les directeurs de chaîne, les responsables pouvant dépendre la répartition de la redevance entre les chaînes
de plus en plus invoquer, comme argument légitime, de d'un système complexe prenant en compte la « qualité »
« mauvais » sondages d'audience (signifiant par là, par un mais aussi l'audience des programmes.
glissement de sens, que l'émission est « mauvaise »)• Avoir A partir de 1974, l'influence du « taux d'audience » ne
de « bons sondages » tend à devenir un élément cesse de se renforcer. D'une part du point de vue de la
d'appréciation important, qui a sa légitimité propre, surtout gestion financière, dans la mesure où les annonceurs sont
depuis que, en 1971, la publicité a été également de plus en plus présents à la télévision et veulent connaître
introduite sur la deuxième chaîne. On observe un changement le plus précisément possible le public qui regarde moins
significatif dans les enquêtes on ne demande plus ce les programmes de télévision que les écrans publicitaires.
:

que les téléspectateurs « aiment » ou « veulent » en général Mais les annonceurs restent encore dans une position
mais, plus prosaïquement, ce qu'ils ont regardé et s'ils ont relativement dominée par rapport aux diffuseurs (la
ou non aimé ce qu'ils ont vu. Le public est ainsi mis en demande d'« écrans publicitaires» est encore largement
position de juge de la valeur des programmes diffusés et supérieure à l'offre), et doivent alors se contenter des
tend à devenir indissociablement un enjeu économique enquêtes ponctuelles du CESP (trois par an). D'autre part,
et un principe de légitimation nouveau c'est désormais les chaînes de télévision ont été placées dans une
:

« le peuple » qui, en choisissant entre des programmes situation de compétition de plus en plus vive qui est
concurrents, décide (au moins apparemment) de ce qui exacerbée par la pratique des sondages comme en politique, à
:

doit passer à la télévision 5. la même époque, les chaînes tendent à être placées dans la
logique de la compétition sportive (cf. les courbes de
La position nouvelle qui est ainsi occupée par le public clans
l'économie générale du fonctionnement de la télévision popularité, les sondages préélectoraux, etc.). Les chaînes,
modifie du même coup le traitement dont il est l'objet. Il comme les hommes politiques, mesurent désormais leur
devient un objet d'études intéressées et, avec l'introduction de « notoriété » et leur prestige en pourcentages d'audience et
la publicité, un enjeu économique majeur. Chaque directeur rivalisent pour occuper la première place ou pour
de chaîne veut désormais connaître ses courbes d'audience. améliorer leur « score » Malgré les consignes de secret, la presse
Chacun se pose des problèmes de choix de programmation
.

écrite parvient souvent à se procurer les chiffres


et s'inquiète de savoir s'il a battu ou non la chaîne
concurrente. Dès 1964, le Sendee des relations avec les auditeurs est d'audience. Dès 1976, un grand quotidien populaire, France-
remplacé par le Service des études de marché (cette Soir, donne en dernière page un indice d'audience et de
nouvelle appellation est significative), tandis que le Centre des satisfaction (sur un échantillon ne concernant que la
études des supports de publicité (CESP), qui depuis 1957 région parisienne) qui, bien que critiqué par les
faisait des études pour la presse écrite, est chargé désormais profes ionnels du sondage, n'est pas sans effets sur les responsables
de faire trois vagues d'enquêtes par an sur les audiences de de la télévision. Avec l'apparition des chaînes privées,
radio et de télévision que l'on veut connaître avec exactitude
étant donné les enjeux qu'elles représentent. Dès 1966, la après 1986, Le Monde, à son tour, publie durant quelques
télévision met en place un système permanent de mesure de années ces sondages d'audience quotidiens des chaînes.
l'audience (200 entretiens à domicile sont faits chaque matin
sur les émissions de la veille et une synthèse est rédigée
avant 18 heures pour le directeur général) et, en 1967, est 4 - Ce même ministre était déjà venu expliquer, dès 1963, lors de la
présentation d'une nouvelle formule du «Journal télévisé», que celle-ci
créé le Service des études (qui succède au Service des études avait été mise au point à partir de sondages permettant de savoir ce que
de marché) qui va produire une quantité de plus en plus voulaient les téléspectateurs.
importante de données chiffrées sur les audiences résultats 5 - On voit notamment ces programmes dans lesquels les
:

quotidiens, rapports mensuels, rapport annuel, nombreuses téléspectateurs doivent téléphoner pour choisir, parmi différents feuilletons...
études sur des sujets spécifiques, etc. américains, celui quïls veulent voir.
14 Patrick Champagne

Le public comme «part de marché» afin de limiter les interférences trop directes des
annonceurs sur le contenu des émissions. C'est pourquoi ils
Au cours des années 80, qui sont marquées par n'avaient pas besoin de connaître, minute par minute,
l'introduction, en 1983, de la publicité sur la troisième chaîne et l'audience de chaque émission, l'appréciation globale de
par la multiplication, à partir de 1986, des chaînes chaque chaîne (1'« image» de chaque chaîne) étant
commerciales (Canal Plus, la 5, M6, TF1 privatisée), les suffisante. Avec la multiplication des écrans publicitaires (20%
représentations dominantes du public vont être celles des du temps d'antenne est aujourd'hui consacré à la
annonceurs et aussi des responsables de la télévision publicité), le rapport de force s'est inversé le prix des écrans

:
publique qui cherchent un outil de connaissance du publicitaires tend à baisser, alors que la réalisation des
public leur permettant d'être plus « performants » du point émissions est de plus en plus coûteuse. Malgré la
de vue économique. Toutes les chaînes sont désormais redevance, les chaînes publiques sont de plus en plus
en concurrence et cherchent à drainer des recettes dépendantes des recettes des annonceurs toutes les chaînes

:
publicitaires. Le langage de la publicité ou de l'entreprise doivent, aujourd'hui, impérativement «faire de
investit largement le fonctionnement de toutes les l'audience » pour vendre leurs espaces publicitaires. Ce sont
télévisions par exemple, on ne parle plus d'« émissions », mais elles qui, aujourd'hui, démarchent les annonceurs, ces
de « produits » ou de « concepts d'émission » (souvent
:

derniers imposant plus que par le passé leurs conditions

:
importés ou copiés d'émissions des télévisions ils contestent les chiffres d'audience, négocient les prix
commerciales américaines). On fait de plus en plus appel à des et leur emplacement en fonction des émissions, etc.
« boîtes de production » privées qui réalisent un nombre En 1987, une nouvelle « amélioration »> est proposée
croissant d'émissions. L'Audimat, installé dès 1982, n'est dans la mesure de l'audience grâce à un

:
que l'instrument technologique de cette représentation bouton-pous oir, chaque membre du foyer peut indiquer
nouvelle du public comme source de revenus. individuellement sa présence. Ce système, qui est actuellement
installé, est censé garantir une parfaite transparence de la
Grâce à un boîtier qui est installé dans 600 foyers et qui mesure d'audience 6, qui est devenue un instrument
envoie par le réseau téléphonique des informations, traitées majeur de régulation de l'ensemble de l'audiovisuel. Si
instantanément par ordinateur, sur le fonctionnement du elle permet de fixer les prix de vente des espaces pour
téléviseur, les diverses parties intéressées disposent chaque
matin d'un graphique qui indique, minute par minute, le les chaînes commerciales qui doivent être en équilibre
pourcentage de récepteurs allumés la veille pour chaque financier (le « coût par téléspectateur » des émissions est
chaîne. Cette mesure d'audience dite «passive» (les devenu un instrument de gestion systématique de ces
téléspectateurs n'interviennent pas) et « objective » (on chaînes), elle constitue également un instrument
enregistre seulement si la télévision marche, et si oui sur quelle d'évaluation pour les chaînes publiques, qui restent en
chaîne, sans s'occuper de ce que les gens pensent des concurrence, entre elles et avec les chaînes privées, pour les
programmes) rompt avec les enquêtes d'appréciation, mais recettes publicitaires. En 1988, l'État a retiré sa
aussi avec les enquêtes postales qui ne peuvent livrer leurs
résultats qu'après coup, souvent plusieurs semaines après participation de Médiamétrie au profit des annonceurs (pour un
les émissions. Désormais, les annonceurs et les diffuseurs tiers du capital), qui font ainsi leur entrée dans cette
peuvent voir exactement sur quoi les gens « zappent » et instance stratégique d'un point de vue économique.
analyser les transferts d'audience selon les caractéristiques
du public. Les chaînes acceptent aujourd'hui de payer des sommes
considérables pour connaître en détail leurs publics et leur
En 1985, sous la pression des annonceurs qui veulent audience, le prix, par an et par chaîne nationale, de
définir eux-mêmes l'instrument de mesure des audiences l'abonnement à Médiamétrie étant, pour donner un ordre de
grandeur, de 10 millions de francs en 1989, ce qui est sans
et se plaignent de ce qu'ils appellent ironiquement la commune mesure avec le modeste budget du petit Service des
«dictature des diffuseurs» est créée Médiamétrie, une
société de droit privé à capitaux exclusivement publics
qui remplace le CSO. En 1986, le panel de Médiamétrie
passe à 1 000 foyers tandis que la Sofres-Nielsen propose 6 - En 1992, 2 300 foyers étaient connectés avec une fiabilité estimée par
un système concurrent pour mesurer l'audience Médiamétrie à plus de 90%. D'autres systèmes sont actuellement à
l'étude afin de supprimer le bouton poussoir lui-même. Mais cette
individuelle de la télévision (200 foyers de la région parisienne frénésie intéressée de tout savoir et de tout enregistrer du comportement
sont associés au Minitel et doivent remplir un carnet du téléspectateur n'est pas sans poser parfois des problèmes
d'écoute électronique). Jusqu'alors, l'offre d'espace déontologiques aux professionnels eux-mêmes (caméra incorporée aux
téléviseurs, appareil qui enregistre les présences par infrarouges, bracelets
publicitaire, qui était contingentée, était proposée à l'année émetteurs portés par les « panelistes », etc.).
La loi des grands nombres 15

relations avec les auditeurs des années 50. Mais les penses, etc.) sont utilisées durant les émissions afin de
ressources générées par la publicité sont également sans fixer les téléspectateurs devant leur écran et les
commune mesure (8 milliards environ en 1988). empêcher de zapper. Les tentatives actuelles qui essaient de
L'enregistrement de plus en plus précis de tout ce qui peut s'installer coupler directement la mesure des audiences avec la
devant le poste de télévision (Médiamétrie comptabilise
aussi les amis de passage et, depuis janvier 1993, les enfants consommation des ménages (on demande aux « pane-
à partir de quatre ans, contre six ans auparavant) est listes » d'enregistrer chaque jour tous leurs achats en
inséparable des enjeux économiques considérables qui sont utilisant un crayon à laser sur le code-barre des produits 7)
engagés dans le fonctionnement de l'audiovisuel. La trahissent la représentation exclusivement économique
télévision tend à devenir une énorme machine à faire de l'argent, du public de la télévision. On ne veut connaître que le
comme le montre notamment le fait que certaines chaînes consommateur concret de télévision (pour les
sont cotées en bourse. Il suffit, pour s'en convaincre, de diffuseurs), et le consommateur potentiel de biens
considérer globalement les sommes engagées depuis une
trentaine d'années. Le budget de la télévision publique a été économiques (pour les annonceurs). « N'oubliez pas que, moi,
en constante augmentation, passant de 315 millions de ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe devant les
francs en 1959 à 13,285 milliards de francs en 1986. En 1980, écrans publicitaires», déclare par exemple un
avec 5 milliards de francs de ressources globales, les trois annonceur. «Nous vendons des paires d'yeux et d'oreilles»,
chaînes du service public diffusaient 10 600 heures de peut renchérir un responsable de régie publicitaire, de
programmes. En 1990, les ressources des deux chaînes façon provocatrice, comme pour condamner
publiques et des trois chaînes privées représentaient environ implicitement, comme dépassée, la télévision à prétention
15 milliards de francs pour un volume de programmes de
38 500 heures, ce qui, compte tenu de l'augmentation culturelle, rappelant que son seul souci est d'optimiser le
générale des prix (78 %), correspond en fait à un abaissement de remplissage des écrans publicitaires de sa chaîne. Les
55% des ressources disponibles par heure de programme. responsables de la programmation cherchent désormais
Les recettes publicitaires représentaient, en 1992, 42 % des à « optimiser l'audience » à tous les moments de la
recettes de France 2 et 19% des recettes de France 3- TF1 journée en construisant des grilles de programmes « qui
annonçait, pour 1992, 6,244 milliards de francs de recettes fonctionnent bien», c'est-à-dire qui permettent
publicitaires et 1,078 milliard de recettes diversifiées d'augmenter la durée de l'écoute et le nombre de ceux qui la
(édition, disques, vidéo, télé-achat, etc.). regardent8.
La télévision, y compris les chaînes de service public,
La logique du marché économique tend ainsi à est devenue une industrie culturelle standardisée. Parce
l'emporter sur la logique proprement culturelle, mais qu'elle engage dans son fonctionnement des fonds
aussi sur la manipulation politique directe. Si le pouvoir financiers de plus en plus importants, les émissions doivent
politique en place peut encore agir indirectement sur la avoir une rentabilité économique à court terme et tendent
nomination des responsables des chaînes, il ne peut à être conçues à partir des attentes immédiates supposées
plus guère intervenir, comme il le faisait autrefois, sur le du public (déduites notamment des taux d'audience
contenu des émissions les leaders politiques doivent constatés antérieurement). Les responsables de chaînes
:

aussi être « médiatiques » pour être invités à la télévision sont peu enclins aux productions risquées et poussent à
parce que les producteurs d'émissions politiques la fabrication de produits ad hoc, à haut rendement
doivent, eux aussi, comme pour n'importe quelle émission financier, mais dont la durée de vie est souvent éphémère. Le
de variétés, faire de l'audience. Le critère principal de calcul de l'audience d'une émission donnée en « part de
jugement qui tend à s'imposer et à décider du maintien marché » (pourcentage de téléspectateurs regardant, à un
ou non des émissions est celui des taux d'audience. Les moment donné, une chaîne par rapport à l'ensemble de
producteurs parlent de la «dictature de l'Audimat», la population regardant la télévision à cette même heure),
comme les hommes politiques parlaient quelques et non en nombre absolu de téléspectateurs, s'est imposé
années plus tôt, en politique, de la « dictature des à l'ensemble des chaînes on ne cherche pas à maximiser
:

sondages». Les émissions sont présentées à la presse la taille du public qui peut regarder une émission (ce qui
spécialisée en « avant-première » plusieurs jours avant leur
passage à l'antenne, afin que les journaux de télévision
puissent attirer un maximum de téléspectateurs. Les / - II s'agit du système appelé Single Source qui est déjà testé par Arbi-
chaînes multiplient les « bandes-annonces » des tron et Médiamétrie (associée, dans cette opération, à son homologue
émissions à venir, séquences soigneusement préparées par allemand GFK).
des professionnels pour susciter la curiosité et l'envie de 8 - Dans Tune des chaînes privées, on décide du maintien ou non d'une
émission selon qu'elle se situe au-dessus ou au-dessous de la part de
les regarder. Diverses techniques (les jeux, les faux sus- marché moyenne réalisée par la chaîne.
16 Patrick Champagne

La politique vue par un sondeur

On a reproduit ci-dessous., sans commentaires, de Le journaliste : Vous n 'allez pas dire vous aussi la
larges extraits d'une conversation matinale, sur « Ripoux-blique » !
Europe 1 (en avril 1991), entre un journaliste et un Le sondeur: Non pas la Ripoux-blique, mais la
sondeur venu pour présenter son Dictionnaire de nécessité pour le président de la République qui vient de
l'opinion 1990 (Paris, Romillat, 1991). Us passent perdre 4 points dans notre dernier baromètre à IPSOS-
rapidement en revue une actualité alors caractérisée par la Le Point de faire quelque chose s'il veut continuer son
fin de la guerre du Golfe, quelques entrées du mandat tranquillement. (...1 II est nécessaire que les
dictionnaire servant de prétexte à la discussion. Ces propos chefs d'État qui sont les « n° 1 » dans chacun des pays
de café donnent une bonne idée de la vision naïve de utilisent le crédit qu'ils ont eu sur la guerre pour agir et
la politique que mettent en œuvre dans leurs enquêtes changer les gouvernements.
des sondeurs très immergés dans l'actualité la plus Le journaliste : Pourquoi les chefs d'État et de
superficielle et prompts à constituer en phénomène de gouvernement qui ont été engagé dans la guerre du Golfe
société les choses les plus insignifiantes : par exemple, baissent-ils dans les sondages ? Vous dites que François
l'éphémère « kakimania -, ou l'explication pour le Mitterrand a perdu 4 points, Bush en a perdu 14, John
moins sommaire des manifestations lycéennes de 1990 Major en a perdu, il a des difficultés. A quoi ça tient ?
par V" anomie » (qui, d'ailleurs, doit moins ici ci Dur- Le sondeur: Ça tient au fait que, à l'intérieur, ils ne
kheim qu'à sa relecture par R'. K. Merton, dont les font pas suffisamment de choses en termes d'action
Éléments de méthode sociologique font panie des lectures pour satisfaire le besoin d'action qu'ils ont donné à leur
obligées de tout étudiant de Sciences-Po de Paris). peuple pendant la conduite de la guerre qu'ils ont eue
Réponses de sens commun à des questions de sens précédemment.
commun, les sondeurs sont de plainpied avec les
journalistes dont ils partagent la doxa (la « ripoux-blique ». Le journaliste : Ah oui. Il faut qu'il fasse à l'intérieur
les «affaires», la «fin des idéologies», etc.). Leur ce qu 'ils faisaient ou donnaient l'impression défaire à
science, qui consiste surtout à faire des effets de l'extérieur.
science avec des mots savants et avec des chiffres, Le sondeur: 11 est très probable qu'il y a en France
cache mal une posture normative qui est celle du aujourd'hui la possibilité, pour M. Mitterrand, s'il le
conseiller du prince (- il est nécessaire que les chefs désire, d'engager un mode de gouvernement, j'allais
d'Etat... », si le président «veut continuer dire «à la Mendès France», avec un calendrier, avec
tranquil ement son mandat. »). des jours donnés pour faire quelque chose alors que
la méthode Rocard est beaucoup plus lente, beaucoup
..

Le journaliste : Votre dictionnaire va de A ci Z. Si plus souple, et ne donne pas de résultats rapides, f. .].
.

vous terminez par «Zapping », vous commencez bien [Il y a uni besoin précis, calendé, d'action. S'il est pris
avec A comme «Affaires» [il s'agit des Affaires en compte par le chef de l'État, les Français se
politiques!. réconcilieront avec la politique.
Le sondeur: Effectivement. La guerre est finie ¡il Le journaliste : II y a un risque très sérieux?
s'agit de la guerre du Golfe] et les ■ Affaires » Le sondeur: l\ n'y a pas de risque de Mai 68 parce
reprennent. I...J Si on veut réconcilier les Français avec la qu'il n'y a plus d'idéologies, mais il y a un risque de
politique, il est nécessaire de nettoyer toute une série pourrissement et il n'y a pas de niveau zéro de la
de choses. I...I Les Français, qui ont vécu la guerre politique. Après zéro, il y a double zéro, triple zéro. Il n'y a
avec attention, avec espoir, avec: optimisme, qui se pas de fond. I...J On a vu dans la guerre du Golfe que
sont réconciliés avec les chefs d'Etat pendant la les Français pouvaient se recentrer sur toute une série
guerre, sont en train à nouveau de s'éloigner de la de choses. La guerre du Golfe a été l'occasion, par
politique parce que l'immoralité revient. Il est: donc- exemple, pour les jeunes de penser autre chose de
nécessaire d'agir, sauf à ce que MM. Mitterrand, Major l'armée, pour les Français de penser autre chose de
en Angleterre ou Bush perdent des points en l'Amérique. Cette embellie, si elle n'est pas cultivée, va
popularité, en image et en crédibilité. ramener les Français à des choses très molles, la molle
La loi des grands nombres 17

bouffe, le mauvais argent, toute une série de choses nous font tomber, ce sont les experts. Depuis la chute
qui ne sont pas des buts collectifs de la société. du mur de Berlin, nous vivons la faillite de l'expertise.
(...] Il n'y a plus aucun expert qui ne se trompe. [. .]

.
Le journaliste : Si on lit bien votre dictionnaire en Le journaliste : Les Français souffrent dcniomie.
75 mots, quel portrait vous faites de nous? Vous dites Qu'est-ce que ça veut dire'1'
que nous sommes « kaki maniaques ». Le sondeur: Ah! l'anomie, c'est un vieux mot de la
Le sondeur: La « kakimania ». c'est l'un des mots sociologie qui a été inventé par Emile Durkheim, qui
nouveaux, des mots clés de l'année 1990. (/était le fait est le pape, le créateur, si j'ose dire, de la sociologie.
qu'on a vu à la télévision des militaires en retraite, C'est la contradiction que vivent les gens entre les buts
qu'on voyait présenter toute une série de choses sur la qu'ils se donnent et les moyens de les obtenir. Par
guerre, et la kakimania, c'est l'utilisation, par les exemple, les lycéens sont d'accord pour que 80%
médias, des militaires pour nous commenter... I....1 d'une classe d'âge ait le baccalauréat et savent qu'ils
C'est-à-dire, ces monstres qui nous gouvernent et qui n'y arriveront pas, donc ils manifestent.

serait un calcul pertinent du point de vue de la diffusion comme tel parce que, en tant que citoyen, nous y tenons
culturelle), mais principalement à maximiser les recettes - et des découpages préconstruits de la réalité sociale
que l'on peut attendre des écrans publicitaires accrochés (comme «les Français»), Bref, c'est faire un découpage
à l'émission9. de la réalité et attribuer une parole à ces groupes plus ou
moins réels que la politique doit produire ou inventer
pour accomplir ses fins propres. La contribution
Une politisation cachée spécifique des sondeurs réside dans le fait qu'ils donnent un
peu plus d'existence politique à ces groupes
Cette transformation progressive de la représentation préconstitués en leur donnant une réalité statistique et par là
du public de télévision n'est pas sans analogie avec celle apparemment scientifique. C'est ainsi par exemple qu'un
qui s'est produite au même moment en politique avec énoncé aussi banal que « 69 % des lycéens ne
les sondages d'opinion. Elle s'est accompagnée d'un s'intéressent pas à la politique, révèle un sondage CSA-Phos-
changement dans la manière de faire de la télévision qui pbore» (Libération du 26 février 1993) contribue surtout à
n'est pas sans évoquer ceux qui, durant la même faire exister un peu plus la catégorie spontanée « lycéens »
période, ont affecté le métier d'homme politique à dont toutes les analyses sociologiques démontrent
mesure que la politique était médiatisée et passait de l'irréalité, renforçant ainsi les fonctions politiques eminentes
plus en plus par la télévision. Ce que la pratique des que permet l'amalgame des situations très diverses qui
sondages ou de l'Audimat impose de surcroît, c'est un sont subsumées sous ce mot10. Il en est de même, dans
nouveau principe de légitimité universel fondé sur les sondages portant sur l'engagement de la France lors
l'audience, sur l'approbation populaire ou sur l'applau- de la guerre du Golfe, en 1991, de la distinction faite
dimètre. alors, parmi la population qui résidait en France, entre
Alors que l'on cherche la manipulation qu'exercent les «l'opinion des Français» et «l'opinion des musulmans».
sondages d'opinion dans les questions, dans les Et ainsi de suite.
intentions cachées du commanditaire du sondage ou, plus La rapidité croissante des techniques de mesure qui
subtilement, dans l'interprétation qui peut être faite des permet de disposer presque instantanément des résultats
réponses, l'essentiel est déjà joué avant même la a eu, sur la télévision, des effets analogues à ceux que
rédaction du questionnaire. En effet, choisir d'interroger un
groupe d'individus pour savoir, et faire savoir, ce qu'ils
font et/ou ce qu'ils pensent (ou sont censés faire et 9 - Cela explique notamment le fait que les émissions dites ■< culturelles >■
penser), c'est donner une existence sociale à ce groupe, le sont programmées tard le soir sur les chaînes publiques et en pleine nuit
sur les chaînes privées. Une pièce de Shakespeare ferait plus d'audience
constituer en un être doté d'une personnalité et d'un à 20 h 30 qu'à 22 heures, mais mobiliserait relativement moins de
vouloir propres (ou, du moins, contribuer à le renforcer s'il téléspectateurs qu'une émission de variétés ou un film grand public, par
existe déjà socialement et politiquement). Faire un exemple, et rapporterait donc moins en termes de recettes publicitaires.
10 - Voir par exemple Pierre Bourdieu et Patrick Champagne, «Les
sondage d'« opinion publique», c'est se laisser imposer exclus de l'intérieur», La Misère du monde, Paris. Éd. du Seuil. 1993,
subrepticement un concept indigène - qui n'est pas perçu p. 597-603.
18 Patrick Champagne

l'on a pu constater en politique11. Les vagues d'enquêtes nombre de gens qui l'approuvent. Ceux qui ne sont pas
réalisées par le CESP étaient encore, jusqu'au début des capables de « faire de l'audience » sont d'emblée exclus,
années 80, un regard sur le passé. L'Audimat intègre le ou mieux, s'excluent d'eux-mêmes. Aujourd'hui, c'est
comportement des téléspectateurs aux émissions et au toute l'entreprise de production de biens culturels qui
jugement que l'on peut porter sur elles, exerçant par là tend à être soumise à la « loi de la majorité ».
un puissant effet de verdict, à la fois indiscutable, parce Les producteurs culturels de ces médias sont placés
que immédiat et surtout parce que « objectif » au sens de dans une position proche de celle qu'occupent les
collectif, et anonyme par opposition à « individuel » et hommes politiques les présentateurs des journaux

:
«subjectif». Les courbes d'audience sont analysées en télévisés, par exemple, sollicitent en permanence les
détail tous les jours par l'ensemble des professionnels suffrages des téléspectateurs. La politisation du champ de
intéressés à la télévision les annonceurs qui veulent production des biens culturels réside moins dans la
:

rentabiliser au mieux leurs investissements, les responsables décision, effectivement politique, de placer l'ensemble du
des régies qui veulent remplir leurs écrans publicitaires, fonctionnement de la télévision dans une logique
les programmateurs des chaînes et les producteurs qui commerciale 13 que dans la logique même du libéralisme
recherchent des recettes afin de payer leurs émissions économique, qui impose et traduit indissociablement une
peuvent repérer non seulement le type d'émission qui certaine vision politique du monde social située aux
attire ou fait fuir le «grand public», mais, à l'intérieur antipodes de la logique du champ de production des biens
même de chaque émission, ce qui entraîne un culturels.
relâchement de l'attention (tel chanteur, tel débat, etc.). S'il n'est pas faux de dire que la recherche de
L'Audimat conduit, comme les cotes de popularité et les l'audience obéit à une logique proprement économique,
sondages préélectoraux en politique, à fixer l'attention sur il convient d'ajouter qu'elle n'est si bien acceptée par
les courbes, qui deviennent une fin en soi. ceux qui font les programmes que parce qu'elle s'accorde
S'il est vrai que le téléspectateur exerce, en regardant plus ou moins inconsciemment avec une représentation
certains programmes, une sorte de droit de vote politique du public la télévision est globalement perçue
:

permanent, on ne peut que suivre Michel Souchon lorsqu'il comme instrument de démocratisation qui doit donc
remarque qu'il s'agit là d'une sorte de droit de vote « démocratiquement » plaire au plus grand nombre
censitaire à l'envers puisque les milieux populaires qui sont, possible de téléspectateurs. La télévision n'est en soi qu'un
étant donné le type de programme qui est diffusé sur la moyen de diffusion qui aurait pu faire l'objet d'usages
quasi-totalité des chaînes, de gros consommateurs de sociaux beaucoup plus diversifiés 14. Si la logique de
télévision, « votent » quatre à cinq fois plus que les autres l'audience maximale a investi l'instrument dans sa quasi-
milieux sociaux 12. totalité, c'est entre autres parce que l'État s'est en partie
Paradoxalement, la télévision s'est politisée un peu
plus que dans le passé. En dépit du sentiment 11 - Sur l'usage des sondages dans les débats politiques à la télévision
indiscutable de libération éprouvé par la plupart des journalistes voir Patrick Champagne, <• Qui a gagné ? Analyse interne et analyse
de télévision, qui sont désormais largement à l'abri des externe des débats politiques à la télévision», Mots, n°20, septembre
pressions exercées directement par le pouvoir politique 1989, p. 5-22.
en place, ce média est beaucoup plus investi par la 12 - Les inactifs (femmes au foyer, jeunes, retraités) représentent 53%
du public de la télévision et la regardent en moyenne, comme les
logique politique qu'à l'époque où régnait la censure ouvriers non qualifiés trois à quatre heures par jour alors que les cadres
politique. L'absence de contraintes politiques ouvertes ne ne la regardent en moyenne que 1 h 50 par jour.
signifie pas pour autant l'absence de toutes contraintes. 13 - Plutôt que, comme c'est le cas par exemple pour la recherche
Les contraintes politiques ont pris la forme d'impératifs fondamentale ou la musique contemporaine ou encore la radio publique
par exemple, dans une logique de mécénat public.
économiques symbolisés entre autres par le rappel à 14 - D'autres modes de fonctionnement étaient possibles qui ont été, au
l'ordre que représente l'affichage quotidien, dans les moins provisoirement, comme rejetés dans l'utopie. Notamment, au lieu
locaux de certaines chaînes, des « scores » des émissions de cette recherche par toutes les chaînes de l'audience maximale, c'est-
à-dire des mêmes publics, on aurait pu envisager une différenciation
de la veille. Forme transfigurée et euphémisée du des programmes par la multiplication des chaînes spécialisées (chaînes
pouvoir politique, le pouvoir économique est en fait, ici, éducative, culturelle, sportive, professionnelle, etc.), cette
beaucoup plus efficace, puisqu'il passe par les dif érenciation renvoyant nécessairement à des publics distincts, de taille et de
composition variables. Mais un tel fonctionnement impliquerait une
mécanismes anonymes du marché et met, dans la tête même certaine distance à l'égard des considérations économiques à court terme et
de chaque producteur de télévision, actuel ou potentiel, entendues stricto sensu les émissions éducatives, par exemple,
constituent des investissements rentables, mais ne sont pas prises en compte
-.

comme principe régulateur et critère de jugement dans cette comptabilité à courte vue parce qu'elles ne le sont qu'à long
dominant, celui qui mesure la valeur de toutes choses au terme seulement.
La loi des grands nombres 19

économiquement désengagé de cette entreprise de de la politique, en particulier dans le monde de la culture,


diffusion culturelle effectivement très coûteuse 15. qui connaissait alors le développement important d'une
Les animateurs ou producteurs d'émissions populaires littérature et d'une presse populaires. Nombre de débats
peuvent, plus que par le passé, et de manière plus sur la télévision présentent une structure analogue à celle
indiscutable, invoquer comme principe de légitimité le nombre qui organisait les débats sur l'irruption de la presse
de téléspectateurs qui les regardent et, par là, les populaire à la fin du XIXe siècle21. Flaubert, témoin perspicace
approuvent et, subsidiairement l'argent qu'ils rapportent à la de cette transformation majeure, dénonçait la nouvelle
chaîne 16. La raison du plus grand nombre tend à devenir « tyrannie sacerdotale » exercée par le suffrage universel

:
la meilleure, même dans les espaces sociaux qui, « L'infaillibilité du suffrage universel, écrit-il dans une de
historiquement, se sont constitués contre l'opinion commune ses lettres à Louise Collet, est prête à devenir un dogme
ou ordinaire 17. Le critère de qualité intrinsèque de ce type qui va succéder à celui de l'infaillibilité du pape. La force
d'émissions, qui prête nécessairement à discussion étant du bras, du nombre, le respect de la foule a succédé à
donnée la dispersion culturelle du public, est remplacé, l'autorité du nom, au droit divin, à la suprématie de l'Esprit 22. »
comme en politique, par un critère statistique La logique du nombre tend à devenir un principe de
apparemment plus simple à mesurer et surtout plus en affinité avec jugement universel. Ceux qui critiquent Arte le font au
la logique économico-politique qui a investi ces médias. regard des seuls indices d'audience, qu'ils jugent
L'instauration, par décision politique, d'une chaîne à ridiculement faibles par rapport à ceux des chaînes populaires
visée culturelle comme La Sept, convertie depuis (alors qu'ils sont en réalité très élevés par rapport aux
septembre 1992 en Arte, constitue à cet égard une véritable programmes diffusés) et sur le supposé caractère abscons
expérimentation sociale qui permet de voir les propriétés et ennuyeux des émissions 23.
spécifiques de cet espace public singulier que les usages
sociaux de la télévision ont construit. Le zapping peut 15 — Cela ne signifie pas que les chaînes privées soient gratuites pour le
mettre momentanément en présence des émissions et un téléspectateur il les paie, de façon moins visible qu'avec la redevance,
public qui ne dispose pas du capital culturel nécessaire à travers la publicité qui est intégrée dans le prix des produits qu'il
:

achète en tant que consommateur.


pour se les approprier. Le discours élitiste des intellectuels
qui fustigent la télévision « abêtissante », celle des jeux, des 16 — Sur ce point, voir le livre de Sabine Chalvon-Demersay et
Dominique Pasquier, Drôles de stars. La télévision des animateurs, Paris,
sitcoms et des feuilletons, fait couple avec les réactions de Aubier, 1990. Pour ne prendre qu'un seul exemple, un producteur de
dérision et de rejet (sous forme notamment de « reality-show » déclarait récemment « Chacune de mes émissions fait
entre dix et quinze millions de téléspectateurs. J'en ai actuellement six
:

plaisanteries rituelles dissimulant à peine un anti-intellectualisme par mois, sans compter les reportages. J'approche donc les 100 millions
rampant) qu'une chaîne comme Arte suscite en de téléspectateurs par mois. Donc, par an, je pèse un milliard de
permanence, notamment de la part de ceux qui peuvent téléspectateurs », Interview, février 1993.
17 - Notamment le champ intellectuel. Sur ce point, voir P. Bourdieu,
s'exprimer dans les grands médias ou qui y travaillent. Ces Les Règles de l'art, Paris, Éd. du Seuil, 1992.
réactions de rejet réciproques sont en soi banales et ne font 18 — Voir par exemple Dario Gamboni, «Méprises et mépris. Éléments
que traduire l'inadéquation, qui peut s'instaurer dans les pour une étude de l'iconoclasme contemporain », Actes de la recherche
sociétés socialement et culturellement différenciées, entre en sciences sociales, 1983, n°49, p. 2-28.
un public et un bien culturel 18. Au-delà des fausses 19 - Pour un exemple parmi d'autres, voir Dominique Woltern, L'Éloge
du grand public, Paris, Flammarion, 1990.
alternatives (« culture de masse » contre « ghetto culturel ») que 20 - C'est une philosophie analogue qui est au principe de tous les
certains entretiennent et qui font les discussions sans fin palmarès par sondage que font réaliser les journaux. Voir P. Bourdieu, « Le
pour colloques sur la télévision 19, la transformation sans hit-parade des intellectuels français, ou qui sera juge de la légitimité des
juges? », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52-53, juin 1984,
doute la plus importante que la télévision a engendrée est p. 95-100.
l'affaiblissement de la coupure entre la culture savante et la 21 —Voir par exemple Thomas Ferenczi, L'Invention du journalisme en
culture de grande consommation. La publication quasi France. Naissance de la presse moderne à la fin du XIXe siècle, Paris,
quotidienne, dans la presse, des scores réalisés par les Pion, 1993, notamment p. 213 sq.
émissions contribue à faire tomber les frontières entre les 22 — Gustave Flaubert, Correspondance, II, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 90.
genres, mélangeant dans un même palmarès, qui 23 - L'Audimat a pour objectif de compter le nombre de gens qui sont
privilégie l'audience numérique instantanée, documentaires, susceptibles de voir les spots publicitaires (pour en fixer les tarifs) plus
magazines d'information, émissions de jeux, émissions que les émissions elles-mêmes. Or, la qualité intrinsèque d'une
émission peut la rendre rediffusable, ce qui peut faire à moyen terme une
culturelles, météo, résultats du loto, émissions «coquines», audience cumulée bien supérieure à celle des émissions très liées à
etc. 20. Durant la seconde moitié du xrxe siècle, l'actualité, sans grande valeur interne, qui peuvent faire en une seule
fois une forte audience (la seule qui est prise en compte et publiée)
l'instauration du suffrage universel avaient eu des effets analogues, mais ne sont guère rediffusables. Or, la logique économique tend à ne
la logique politique exerçant déjà ses effets au-delà même (re)connaître que les produits à rendement immédiat.
20 Patrick Champagne

Balladur, forcément. . .
Il n'est sans doute pas excessif de dire que les grands pour la plupart des Français un spectacle. En définitive,
médias nationaux et les sondeurs contribuent à les téléspectateurs se sont prononcés moins sur la réalité
soumettre aujourd'hui la vie politique à une sorte d'Audimat et les enjeux politiques du conflit que sur le feuilleton
politique et que c'est cela qu'ils appellent, sans toujours télévisé qui en a été tiré.
vraiment le savoir, «opinion publique ■>. En effet, ce que Le rôle des journalistes, quoique moins visible, n'est
mesurent les sondeurs est, en grande partie, le résultat pas moins important en dehors de ces périodes
des stratégies de communication menées à travers la exceptionnelles. Ils contribuent autant à la formation de cette
presse et les médias à grande diffusion. On comprend, opinion potir sondage, comme on peut Je voir, par
dans ces conditions, que les journalistes soient devenus, exemple, dans la récente désignation, en mars 1993, par
plus que par le passé, des acteurs à part entière de ce le président de la République. d'Edouard Balladur
nouveau jeu et que leur poids fonctionnel dans le champ comme Premier ministre. Il n'est guère surprenant de
politique se soit considérablement accru, comme Tont constater que François Mitterrand nommera en fait le
bien perçu non seulement les hommes politiques, mais leader désigné par le parti vainqueur des élections ni
aussi les téléspectateurs ordinaires. C'est ainsi par même qu'il présentera cette nomination, qui lui est
exemple que. il y a quelques mois, un groupe de largement imposée, comme un choix libre (j'ai choisi le
grévistes des usines Chausson faisait irruption en direct dans plus capable et le plus compétent, dira-t-il en
le journal de 13 heures de France 2 parce que. tentaient- substance,). Il est par contre plus étonnant de voir les
ils d'expliquer dans la confusion, leur cause n'était pas sondeurs conforter l'idée que ce choix serait en fait celui du
soutenue par les journalistes (c'est-à-dire n'avait pas été peuple lui-même.
évoquée dans le journal télévisé bien qu'une équipe ait Si, de fait, tous les sondages réalisés à cette époque
fait un rapide reportage). Surpris, le présentateur, indiquaient bien Edouard Balladur comme « meilleur
demanda alors aux grévistes, comme pour rejeter sur eux la Premier-ministrable». c'est que. depuis plusieurs mois,
responsabilité du silence des médias, s'ils avaient un travail de communication très sophistiqué avait fait la
téléphoné à la rédaction, s'ils avaient essayé de les « promotion de cet homme politique plutôt réservé et peu
sensibiliser à leur cause >-, s'ils avaient fait le nécessaire pour «médiatique». Ne pouvant, semble-t-il, assurer lui-
que l'on parle d'eux à l'antenne (ce qu'ils étaient en train même une seconde cohabitation, mais ne souhaitant
de faire, mais d'une façon non prévue), entérinant ainsi pas pour autant laisser ce poste stratégique sans
implicitement l'idée que la politique est bien devenue successeur potentiel, Jacques Chirac avait poussé comme futur
aujourd'hui une affaire de communication. Premier ministre cet homme politique proche de lui qui
Dans les situations exceptionnelles, comme lors de avait été, en 1986, le théoricien de la «cohabitation» et
la guerre du Golfe, il est aisé de voir la relation qui dont les manières «convenables- devaient permettre
existe entre le travail de communication et les variations l'instauration d'une forme de cohabitation plus réussie
de «l'opinion» enregistrées parles sondeurs. Le soutien que la première.
massif en faveur de l'intervention militaire contre l'Irak Sans qu'il soit possible ni nécessaire d'être exhaustif,
qui apparaissait dans les sondages s'expliquait en on peut toutefois retracer quelques moments importants
grande partie par le fait, que la quasi-totalité de la classe de la campagne de promotion. En septembre 1.992, à
politique soutenait alors cette politique, qu'il existait un cinq mois des élections législatives, Balladur publie un
large accord, parmi le personnel politique, toutes ouvrage politique, Le Dictionnaire de la réforme, dans
tendances confondues, pour faire en sorte que. dans cette lequel il présente son programme. Il fait la couverture
crise majeure, l'opinion soit «derrière le Président», les du Figaro Magazine des octobre 1992. Au cours du long
polémiques qui risquaient de «diviser l'opinion» étant entretien qu'il accorde à ce journal (« Balladur: voici ce
mises provisoirement en suspens tandis que les rares que nous ferons»), il répond au journaliste qui lui dit.
organisations qui militaient en faveur de la paix étaient -Imaginons - l'hypothèse n'est pas complètement
vigoureusement dénoncées. Les journalistes ont eu absurde - que vous soyez Premier ministre dans cinq
clairement conscience du rôle qu'ils avaient joué dans la mois. » » Vous formulez une hypothèse d'école, mais
..
:

fabrication de cette sorte d'opinion d'Etat en donnant je vais vous répondre. >-. On le désigne encore, le plus
..

notamment du conflit une image fortement manipulée souvent, comme « ancien ministre des Finances de
par le pouvoir et conçue pour que « l'opinion publique
j

Jacques Chirac*. La campagne en direction des médias


nationale» réagisse favorablement à ce qui fut surtout
;

va s'intensifier. Les commentateurs politiques, qui


|
La loi des grands nombres 21

croient sans doute livrer une information encore secrète, Fin février, Le Point fait sa couverture sur « Balladur

:
parlent de plus en plus de Balladur comme du Premier le Premier ministre favori des Français- (20-26 février).
ministre «virtuel ». Celui-ci donne un grand entretien au Le titre manifeste un glissement significatif ce ne sont

:
journal Le Monde dès le 9 janvier, la veille de son plus les politiques et les commentateurs qui désignent
passage à «L'heure de vérité» sur France 2. Fin janvier. La Balladur comme Premier ministre, mais -les Français»,
Figaro Magazine publie, «en exclusivité», la veille de comme le révèle un sondage d'opinion. La campagne
son passage à « 7 sur 7 » sur TF1. un long document (« Le médiatique menée depuis cinq mois a porté ses fruits, il
véritable état de la France »), la rédaction précisant qu'il est possible désormais de faire croire que Balladur a été
«pourrait devenir Premier ministre en mars prochain». désigné par -le peuple». L'article en page intérieure
Se comportant de plus en plus comme un futur chef de confirme ce renversement de perspective: «Tous les
gouvernement, il multiplie les prises de position, sondages (dont celui, cette semaine, du IJoint) font
pieusement répercutées par les médias, sur les grands sujets d'Edouard Balladur le "'bon" futur Premier ministre de
de l'actualité (sur le chômage, la situation en Mitterrand. ■ A la veille des élections, c'est L 'Express qui
Yougoslavie, la crise monétaire, etc.), tandis que les hommes consacre quatre pleines pages au «portrait intime de
politiques de l'opposition qui se déclarent favorables à Balladur» afin d'en savoir plus sur ce « Premier ministre
sa nomination en cas de victoire se font de plus en plus "virtuel'" de l'après-mars» (11-17 mars). La veille du
nombreux. Les hebdomadaires politiques (Le Point. second tour du scrutin électoral, un journaliste d'un
L'Express et Le Nouvel Observateur) consacrent articles quotidien du soir écrit - Dans l'avion qui le conduit, ce

:
de fond et échos indiscrets à ce sujet. Alors que le mardi après midi, à Rennes. M. Balladur se plongerait-il
dernier numéro de janvier du Nouvel Observateur consacre déjà dans les affres de la composition d'un
quatre pleines pages au portait «du moins dérangeant gouvernement dont l'opinion publique, avant même le président
des Premier-ministrables de la cohabitation qui de la République, semble lui avoir implicitement confié
s'annonce», un journaliste de L'Express remarque: la direction?» ( Le Monde du 25 mars 1993)- Comment,
«Hier, les campagnes débutaient avant l'heure. après la nette victoire électorale du RPR, le président
Aujourd'hui, les résultats sont donnés avant Je vote la aurait-il pu ne pas désigner un Premier ministre qui était
:

droite a gagné et le RPR arrive en tête. La dictature des ainsi non pas proposé par les états majors de partis,
sondages vient d'enfanter le démocratie virtuelle. Grâce mais apparemment, plébiscité par les Français?
à quoi Balladur est nommé Premier ministre virtuel de la «Balladur, forcément... ■> titrèrent sans se concerter Libération
France. Et les ministres virtuels font chez lui et Le Quotidien de Paris au lendemain de la nomination
antichambre» {L'Express du 28 jan vier- 3 février). Dès le attendue. Le même jour, sortait en librairie un livre
début du mois de février, le baromètre Sofres pour le consacré à la biographie d'Edouard Balladur par une
Figaro Magazine enregistre une progression de 9 points journaliste de la télévision qui, avec beaucoup d'à
en un mois de Balladur. Durant le mois de février, la propos, avait à peine anticipé sur le destin national qui
campagne s'accentue dans tous les médias. attendait l'ancien ministre des Finances.

L'opinion d'Etat secret, les sondeurs occupent en fait dans nos systèmes
politiques la même position que tous ces responsables
L'histoire des sondages d'audience, c'est-à-dire de politiques des régimes autoritaires qu'ils dénoncent avec
:

sondages qui sont en soi peu contestables la même assurance et, pour certains, avec la même
techniquement, montre que cette opération apparemment simple intolérance, ils prétendent dire avec leurs sondages « ce que
est le résultat d'un travail de construction qui trouve ses pense le peuple » et revendiquent eux aussi le monopole
fondements dans la philosophie implicite inscrite dans le de la parole populaire légitime au nom de la fausse
vote 24. Cette pratique tend à réguler le fonctionnement science qu'ils ont fabriquée.
d'un nombre croissant d'espaces sociaux qui sont comme
investis par la logique du marché. Loin de constituer un
«progrès pour la démocratie», comme le répètent les
politologues pour justifier leur entreprise, les sondages 24 - Pour une analyse fine de l'invention du vote et de la philosophie
politique sur laquelle il repose, voir A. Garrigou. Le Vote et la Vertu.
sont en fait l'expression d'une vision particulièrement Comment les Français sont devenus électeurs, Paris. Presses de la
conservatrice. Par une de ces ruses dont l'histoire a le Fondation nationale des sciences politiques. 1992.
22 Patrick Champagne

Les politologues croient voir, dans la mise en place autonome que les sondeurs ont, ces dernières années,
d'instituts de sondage dans les pays de l'Est, depuis réduite fortement. Avec la complicité, objective mais
l'effondrement des régimes communistes, comme une sorte active, du milieu journalistique qui multiplie les sondages
de confirmation de la justesse de leur position politico- prétendant dire scientifiquement « ce que veulent les
scientifique, alors qu'en réalité ils assistent seulement à Français», les politologues ont monopolisé le discours
l'installation dans ces pays d'un nouvel instrument de légitime sur «l'opinion publique». Dire ce que pense
lutte politique plus ajusté au nouvel état du champ « l'opinion publique » n'appartient pas, comme dans les
politique, l'analyse de la pratique des sondages d'opinion en régimes de type totalitaire, à un seul acteur. La
Russie aujourd'hui montrant que, en fait, ce type manipulation est désormais ouverte à tous les agents du champ
d'enquête, loin de mettre un terme à la manipulation politique politique chacun, par des stratégies de communication

:
ancienne, ne fait, si l'on peut dire, que la « démocratiser ». diverses, en particulier à travers les médias de grande
Les sociologues russes qui, en URSS, dans les années diffusion, également plus ouverts dans les régimes
60, critiquaient, non sans risques pour leur carrière, la démocratiques, peut essayer, avec plus ou moins de succès, de
notion d'« opinion publique» alors admise dans le Parti et peser sur la population des téléspectateurs, les sondeurs
préconisaient la mise en place d'enquêtes d'opinion ne faisant qu'enregistrer les vainqueurs du moment de
comme en Occident, occupent en fait la même position cette entreprise généralisée de mystification politique.
scientifique que les sociologues qui, dans les régimes La pratique du sondage d'opinion a ouvert en fait la
démocratiques, critiquent ces mêmes sondages. C'est que voie à une démagogie rationnelle. A travers les médias, et
l'enquête d'opinion représentait en régime communiste le notamment la télévision, les professionnels de la politique,
progrès politique préalable et nécessaire à tout progrès qui sont en concurrence, cherchent à agir sur les profanes
scientifique ultérieur, puisque c'était toucher aux dogmes pour leur faire dire ce qu'ils ont envie d'entendre, utilisant
qui s'opposaient à toute enquête scientifique en ce pour cela de plus en plus fréquemment les services de
domaine. C'était, entre autres, contribuer à mettre un terme spécialistes en communication. L'« opinion publique » est sans
au monopole politique des autorités officielles en doute aujourd'hui plus manipulée que jamais. Mais il s'agit
rappelant qu'il existe des opinions divergentes et abandonner d'une manipulation collective à laquelle participent tous
les jugements de valeur qui conduisaient alors à distinguer les agents du champ politique et dont le résultat final, «
les opinions « vraies » parce que politiquement justes et les objectivement » mesuré par les instituts, échappe à chacun.
opinions « fausses » parce que jugées déviantes 25. Dans la C'est pourquoi cette manipulation sans manipulateur
Russie d'aujourd'hui, les sondages d'opinion publique ont identifiable n'apparaît pas comme telle. Alors qu'un réel
perdu leur vertu critique et remplissent les mêmes progrès passerait sans doute par une réflexion sur la notion
fonctions que dans les pays démocratiques occidentaux. même d'« opinion publique», celle-ci est devenue une
S'il peut exister une analyse scientifique de la sorte de trophée que se disputent les professionnels de la
production de ce qu'on appelle les opinions, il n'existe pas, par politique pour trancher les conflits internes d'un jeu qui se
contre, de mesure scientifique de «l'opinion publique». joue dans un cercle toujours plus limité de spécialistes.
On n'a jamais fait de la science simplement en accolant Paradoxalement, la pratique des sondages d'opinion qui est
des chiffres à des prénotions. Et « l'opinion publique » en censée ouvrir le champ politique en informant sur les
est une. La seule analyse scientifique possible est souhaits de la population tend en fait à exercer un effet de
l'établissement des lois de construction de cette prénotion et fermeture. La plupart des questions posées par les instituts
des fonctions politiques et sociales qu'elle remplit. Le visent moins à connaître un peu mieux la population qu'à
champ des agents en lutte pour définir «l'opinion lui demander ce qu'elle pense des « performances
publique » et interpréter ce qu'elle est censée dire est médiatiques » de ceux qui les gouvernent, les sondages étant
longtemps resté relativement ouvert et concurrentiel, essentiellement utilisés par les hommes politiques pour gérer
étant donné le flou politique de la notion. L'opinion des leur carrière et pour alimenter leurs luttes internes.
élus, des journalistes politiques, celle qui s'exprimait dans Comment les agents de ce champ pourraient-ils s'apercevoir
les pétitions et les démonstrations de rue, etc. ont été, que ce qu'ils entendent dans les sondages, loin d'être la
jusqu'à la première moitié du xxe siècle, autant «voix du peuple», n'est que leurs propres propos qui, à
d'expressions également légitimes de la volonté populaire, la travers les médias, leur reviennent comme en écho ?
marge de jeu qui était laissée aux professionnels de la
politique rendant possible ce qu'on pourrait appeler une 25 — Voir par exemple l'article « L'opinion publique » (P. Bourdieu,
certaine intellectualisation de la vie politique. C'est P. Champagne et B. Grouchine), in 50 idées qui ébranlèrent le monde.
Dictionnaire de la Glasnost. Paris-Moscou, Payot-Éd. du Progrès, 1989,
précisément cette marge de réflexion et d'action relativement p. 204-209.

Das könnte Ihnen auch gefallen