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L’amante

captive du cheikh

Par : Ella Brooke & Jessica Brooke

Tous droits réservés.
Copyright 2015 Ella & Jessica Brooke


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Table of Contents
Chapitre Un
Chapitre Deux
Chapitre Trois
Chapitre Quatre
Chapitre Cinq
Chapitre Six
Chapitre Sept
Chapitre Huit
Chapitre Neuf

Chapitre Un
Emma James voulait échapper à l’ennui de sa vie. Elle avait l’impression de suivre un chemin
tout tracé. Après avoir terminé ses études à Dartmouth, avec les félicitations, elle rejoindrait la faculté
de droit de Harvard, comme son père et son frère aîné avant elle. Et si elle ressemblait un tant soit peu
à Bradley, son frère, elle rencontrerait l’homme de sa vie à l’université, l’épouserait à la fin de ses
études et se retrouverait avec une flopée de mouflets, non sans être devenue entre-temps l’associé
minoritaire d’un grand cabinet juridique de Washington. C’était écrit.

Après tout, le sénateur Alan James senior obtenait toujours ce qu’il voulait.

Emma était donc partie avec ses deux meilleures amies, Alexis et Parker, dans la boîte de nuit
la plus chaude de Georgetown pour avoir l’illusion d’être libre. C’était un acte de rébellion : dans
quelques semaines, elle serait engloutie par les manuels de loi et enchaînée à la librairie de la faculté
pour se préparer au semestre d’automne. Son père avait insisté pour qu’elle se familiarise avec la
discipline avant le début des cours : son expérience d’homme de loi au sénat lui avait appris que
c’était un métier difficile. Enfermée à double tour, elle finirait par se dessécher. Les loisirs, les
sorties… Tout ce qu’elle aimait subsisterait dans sa mémoire sous la forme de reliques oubliées. Ô
joie.

— C’est ta quatrième Grey Goose, la réprimanda Alexis en chassant de longues mèches de


cheveux blond miel tombées devant ses yeux.

Quand elle fronçait comme ça les sourcils, son nez d’aigle paraissait encore plus acéré.

— Il n’est que minuit. A croire que ça ne te dérange pas de sortir d’ici à quatre pattes…

Emma roula les yeux au ciel et sirota son verre de vodka tonic.

— Je ne bois pas souvent. Merde, je ne fais pas grand-chose, à part bosser.

— Je sais, et c’est pour ça que tu vas le regretter dans deux heures, répondit Alexis en buvant
une gorgée de son rhum Coca. Qu’est-ce qui te chiffonne ?

Emma soupira et balaya la foule du regard. Parker dansait déjà entre deux fils à papa en polos
aux couleurs pastel et aux cols relevés. C’était une fille grande, à la silhouette élancée et aux jambes
longues. Tout le contraire de Emma. Même si elle n’était pas non plus banale (sa mère lui avait
toujours dit qu’elle avait « un joli visage »), Emma ne correspondait pas aux canons de beauté de
Madison Avenue. Elle avait des cheveux naturellement blonds, si clairs qu’ils paraissaient presque
blancs, et des yeux bleus, mais aussi des formes généreuses. Bon, d’accord, elle était ronde, et
pulpeuse, et même voluptueuse.

Du haut de son mètre soixante, elle avait des hanches plus larges et des seins plus lourds
qu’elle n’aurait voulu. Elle ne serait jamais une beauté fatale comme Parker, qui pourrait devenir
mannequin si les études ne marchaient pas, ou comme Alexis, qui avait le chic pour mener les
garçons à la baguette. Emma avait écopé du rôle de l’intello, l’amie patiente qui aide les autres à
sortir du pétrin. Cela ne la dérangeait pas d’habitude mais, avec l’entrée en faculté de droit qui se
rapprochait, et après un énième sermon de son père, elle commençait à s’agacer de tout et n’importe
quoi.

— C’est juste que tout ne se passe peut-être pas comme je veux.

Alexis étouffa un rire moqueur :

— C’est moi qui dois me taper la fac de droit dans une université lambda. Toi, tu as de la
chance.

— Peut-être que ce n’est pas l’impression que ça me donne, marmonna Emma en lampant la
dernière gorgée de son verre et en se précipitant sur la piste de danse.

Peut-être qu’elle pourrait trouver quelqu’un pour lui changer les idées cette nuit. Elle n’avait
jamais été ce genre de fille : elle n’avait eu qu’un petit ami au lycée et un fiancé pendant une partie de
sa dernière année à Dartmouth. Kevin – le fiancé – s’était révélé être un parfait crétin, et elle l’avait
surpris dans leur appartement au lit avec quelqu’un d’autre quand elle était rentrée d’un voyage avec
un jour d’avance. Depuis lors, elle était pratiquement devenue nonne. Ce n’était pas très bon pour son
moral, mais ça faisait des merveilles sur ses relevés de notes.

Rejoignant le groupe de Parker, Emma se glissa près de son amie et se mit à danser. Voilà ce
qu’elle aimait. Le battement de la basse, la chaleur des clubbers pressés les uns contre les autres et
l’éclairage stroboscopique au-dessus d’elle. Fermant les yeux, Emma se rapprocha de Parker et suivit
avec les hanches les mouvements de son bassin. Des sifflets et des acclamations retentirent et, l’espace
de quelques instants, ce fut agréable de trouver sa place dans un groupe qui attirait tant les regards.

Quand le brouhaha retomba, Parker s’éclipsa avec les garçons, laissant Emma se déhancher
toute seule, le sang dans ses veines battant au rythme de la chanson hip-hop que hurlaient les
enceintes.

Quand elle ouvrit les yeux, ce fut parce que Alexis lui tapotait l’épaule. Ses yeux verts inquiets
fouillèrent les siens.

— Parker est rentrée avec Grant et Matt. Ma sœur vient d’appeler, elle est au Sullivan, en bas
de la rue. Tu veux y aller ?

Emma se retint de froncer les sourcils alors qu’elle suivait son amie. Elle ne s’entendait pas
vraiment avec Allison, la sœur de Alexis. Cela venait sans doute du fait que toutes deux n’étaient pas
d’accord sur la manière de se comporter en public. Quand Emma allait au restaurant, elle
commandait de la nourriture. Allison, en revanche, prenait une salade et de l’eau… et passait le reste
de la nuit à lancer des piques à Emma sur son appétit. La dernière chose dont elle avait envie cette
nuit, c’était d’avoir affaire à ce tyran.

Néanmoins, Alexis était une vraie amie, et Emma préféra trouver un prétexte pour résoudre le
problème. En faisait mine de bâiller, elle lui adressa un sourire :

— Non, vas-y, toi. J’ai promis à Maman et Papa que je viendrais pour le brunch demain matin.
Il vaut mieux que je rentre avant d’avoir la tête qui tourne.

Alexis hésita et jeta un coup d’œil à l’extérieur, par la porte de la boîte de nuit.

— On s’est garées à quelques pâtés de maisons et il fait noir.

— Et on est à Georgetown, dans le quartier des boutiques et des étudiants. Arrête de parler
comme mon père. On n’est pas au centre-ville près des squats.

— Oui, d’accord, je voulais juste être sûre que tu ne craignais rien. Mais si tu es sûre…, ajouta
son amie en mordillant sa lèvre inférieure.

— Bien sûr ! Je gère. Ce n’est pas loin, qu’est-ce qui pourrait m’arriver ? répondit Emma en
se dirigeant vers leur table pour ramasser son sac à main.

Elle jeta quelques billets sur la table pour le serveur. Il s’était montré aimable et la cage dorée
dans laquelle vivait Emma avait quelques avantages, après tout. Distribuer des gros pourboires aux
garçons fauchés obligés de supporter leurs clients imbibés, c’était la moindre des choses.

— Je t’appellerai quand je serai rentrée. Si tu n’as pas de nouvelles dans une heure, c’est qu’il
m’est arrivé quelque chose, d’accord ?

— Oui, mais on pourrait juste passer manger un bout au Sullivan. Ça ne sera pas long.

Sauf que la sœur de Alexis lui jetterait des œillades moqueuses chaque fois qu’elle porterait
une frite à sa bouche. Merci, non merci.

— Nan, je passe mon tour. Je t’appelle, insista-t-elle en prenant son amie dans ses bras.

Après tout, qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver le temps de remonter quatre pâtés de
maisons ?

***

Le premier pâté de maisons, tout se passa bien.

Il n’était pas si tard, et Emma apercevait de temps à autre des groupes d’étudiants de son âge.
Ils sortaient des bars et se rassemblaient sur les trottoirs. En revanche, quand elle s’aventura dans le
deuxième pâté de maisons, mal éclairé et plus éloigné des boîtes de nuit, Emma ne vit plus personne.
Au troisième pâté de maisons, elle remarqua quelque chose qui lui fit froid dans le dos.

Un homme la suivait. Elle n’en fut pas certaine tout de suite. Après tout, l’homme avait peut-
être tout simplement garé sa voiture dans le même parking. Sauf qu’il la suivait de près, ses pas
frappant le goudron en même temps qu’elle.

Elle sentit même son souffle chaud et malodorant sur son cou.

Quand elle s’arrêta, il s’arrêta.


Avalant sa salive avec difficulté, elle serra son sac à main contre elle et se mit à courir.

Emma espéra qu’elle avait été paranoïaque, qu’elle avait réagi sous le coup de la panique.
L’homme ne se lança pas à sa poursuite, mais ses pas s’accélérèrent. En jetant un coup d’œil par-
dessus son épaule, elle osa dévisager son poursuivant. Il marchait vite, et avec détermination. Sa peau
lui parut sombre sous les faisceaux des lampadaires épars, un teint olive et basané. Elle remarqua
surtout sa barbe. Elle était longue et épaisse et rappela à Emma les insurgés du Moyen-Orient
représentés sur les photos d’identité judiciaires.

Oh mon Dieu, qu’est-ce qui se passe ?

Quand elle atteignit le quatrième pâté de maisons, Emma courut vers sa voiture et, enfin,
l’homme s’élança derrière elle. Elle était essoufflée, de la sueur coulait sur son front, et ses
chaussures ne lui tenaient presque plus aux pieds. Alors qu’elle tournait au coin du parking, une de
ses sandales glissa et elle se débarrassa vivement de l’autre. Putain de godasses. Elle en achèterait
d’autres. Elle pourrait faire n’importe quoi plus tard, du moment que ce type ne la touchait pas.

Quand elle atteignit sa coccinelle Volkswagen, elle plongea la main dans sa pochette et
renversa son téléphone et son maquillage. Son porte-clé était énorme, une caricature de la tête de
Yoda dont ses amis ne cessaient de se moquer, mais il était facile à trouver, que ce soit dans son
appartement ou dans son sac. Dans un moment comme celui-ci, Emma s’en félicita. Elle saisit ses clés
et pressa le bouton pour ouvrir la voiture. Elle tendit la main vers la poignée, alors que son
poursuivant la rattrapait.

Il la saisit par le bras et elle hurla à pleins poumons :

— Au feu !

Elle avait appris que les gens ne se déplaçaient pas quand ils entendaient des appels au secours
plus laids et plus effrayants.

L’homme tenta de l’attirer contre lui, mais elle le repoussa – pour une fois reconnaissante de
ne pas être légère – et le déséquilibra.

— Salope ! s’écria-t-il, avant d’ajouter quelque chose de guttural et de hideux dans une langue
qu’elle ne comprit pas.

Il tendit à nouveau la main vers elle mais, cette fois, Emma était prête. D’un geste vif, elle leva
le genou et le frappa brutalement entre les jambes. Son ravisseur grogna et tomba à terre. Merci, mon
Dieu. Emma n’attendit pas. Elle ouvrit la portière et se glissa dans sa voiture. Elle ne prit même pas le
temps de refermer avant de démarrer le moteur.

— Allez, allez !

Ce fut alors qu’elle sentit la morsure électrique d’un Taser. Elle réalisa avec horreur que
l’homme n’était pas seul – et qu’ils étaient venus avec l’intention de l’enlever.

***
L’électrochoc du Taser fut assez violent pour l’assommer. Quand Emma se réveilla, elle se
trouvait allongée sur la banquette arrière d’un énorme SUV. Malheureusement, c’était un de ces
véhicules aux vitres teintées, si foncées que c’en était presque illégal. Personne ne la verrait au
travers. Le cœur battant, elle tendit la main pour tambouriner du poing contre la vitre, dans l’espoir
d’attirer l’attention des passants.

Le canon d’un pistolet se pressa contre ses côtes.

— Aïe ! s’écria-t-elle.

Elle cligna des yeux vers les quatre hommes qui l’entouraient. Les sièges du SUV avaient été
disposés de manière à se faire face, comme dans les limousines que le père de Emma utilisait pour se
rendre dans le quartier de Capitol Hill, où il travaillait. Elle eut tout le loisir de dévisager les quatre
hommes grands et baraqués qui lui renvoyèrent son regard. Tous avaient la peau sombre et des
barbes épaisses et noires.

— Que se passe-t-il ? Qui êtes-vous ?

Un homme, le plus grand des quatre, celui auquel il manquait un œil, se tourna vers elle. Il
écarta le plan de sa veste, juste assez pour révéler le Taser glissé dans une poche. C’était donc lui qui
l’avait attaquée.

— Nous travaillons pour le cheikh Munir Yassin de Yoman.

Le sang de Emma se glaça dans ses veines. Elle connaissait ce nom. En fait, tous ceux qui
regardaient les informations à la télévision connaissaient ce nom. Yassin était le nouveau chef d’un
royaume désertique. Il était arrivé au pouvoir l’année précédente : son père avait abdiqué en sa faveur
à cause de ses problèmes de cœur. Pour les Etats-Unis, il était un allié potentiel dans cette région
instable du monde, mais personne n’avait encore réussi à lui faire signer des alliances ou des traités.
« Une inconnue au milieu de l’équation », c’était ce que disait son père.

Papa sait de quoi il parle.

Il était président de la commission des services armés du sénat américain et un des plus grands
spécialistes de la guerre.

— Alors que voulez-vous de moi ?

L’homme qui l’avait suivie dans la rue lui cracha au visage mais reçut aussitôt une réprimande
sous la forme d’une gifle de la part de son compagnon borgne.

— Non, personne ne doit lui faire du mal. Ce sont les ordres du cheikh. Kashif, tu seras puni.

— Cette salope m’a fait mal.

Le borgne étouffa un rire.

— Dans ce cas, tu devrais avoir honte d’avoir été battu par une femme, surtout une civile sans
entraînement militaire. Si j’étais toi, je n’en parlerais pas au cheikh ou tu es bon pour être assigné à la
surveillance des toilettes du palais.

— Le palais ? demanda Emma. Ecoutez, je dois rentrer chez moi. Vous devez me laisser partir.
Vous ne savez pas à qui vous avez affaire.

— Vous êtes la fille du sénateur James. Nous savons très bien qui nous avons enlevée.

— Enlevée ? couina-t-elle.

Elle aurait aimé leur décocher un trait d’esprit. Tout ce qu’elle voulait, c’était faire quelque
chose d’inconsidéré, comme se jeter contre la portière et sauter du véhicule en marche. Elle devina
que, si elle bougeait, elle finirait criblée de balles.

— Si vous savez qui est mon père, alors vous savez qu’il est puissant, qu’il a beaucoup d’amis.
Ça ne va pas lui plaire.

— Nous comptons là-dessus. Vous allez nous rapporter une rançon juteuse, répondit le borgne
avec un fort accent étranger qui envoya des frissons dans la nuque de Emma.

Cela ne pouvait être vrai.

— Je ne peux pas aller à Yoman. Vous devez me laisser sortir ! s’écria-t-elle en tendant la
main vers la poignée de la portière.

L’homme le plus proche lui asséna un coup au visage avec la crosse d’une arme. Elle cracha
du sang et foudroya le borgne du regard.

— Si vous faites ça, vous aurez toute l’armée américaine au cul.

— Ou bien une belle rançon, comme l’espère notre cheikh. Vous ferez ce qu’on vous dira de
faire. Nous ne pouvons pas vous tuer, mais il y a des coups qui ne laissent pas de traces sur un corps,
salope d’Américaine. Pensez-y et faites ce qu’on vous demande.

— Je vous hais, souffla-t-elle en ravalant ses larmes.

Elle se tourna vers son reflet dans la vitre sombre. Sa mâchoire prenait déjà une teinte violette.

Au bout d’un moment, la voiture s’arrêta complètement et les hommes la firent sortir. Kashif,
celui qu’elle avait blessé, attacha ses poignets avec des menottes anti-émeutes pour limiter ses
mouvements et ses chances de s’échapper. Les liens de plastique mordirent sa peau et la firent saigner.
La douleur fut cette fois suffisante pour mouiller ses yeux de larmes. En avalant sa salive avec
difficulté, Emma se concentra sur ses pas sur le tarmac de l’aéroport. Ils devaient avoir accès à un
aérodrome privé. Reagan National ou Dulles n’aurait jamais autorisé des terroristes à se garer sur
une piste de décollage et à pousser une femme dans un putain de jet privé.

Au pied des escaliers roulants, Emma prit peur. Avant d’entrer à l’université, elle avait pris des
cours de prévention. Ils avaient abordé la question des enlèvements. Emma avait appris des gardes du
corps de son père qu’à partir du moment où les ravisseurs changeaient leur victime de place, les
chances d’être retrouvé vivant chutaient. Ajoutez à cela le fait qu’on l’emportait dans un pays
étranger, loin du pouvoir et de la portée de son père… Emma savait que monter dans cet avion, c’était
signer son arrêt de mort.

Enhardie, elle fit un pas en arrière et tenta de déguerpir.

Immédiatement, les quatre hommes la rattrapèrent. Elle hurla, se débattit, et parvint même à
mordre la main de Kashif jusqu’au sang. Cela ne suffit pas. Son acharnement serait vain : les hommes
étaient plus nombreux et la force d’un seul d’entre eux – sans parler du fait qu’ils s’y mettaient à
quatre – aurait suffi à la maîtriser.

— Fils de pute ! hurla-t-elle quand ils l’entraînèrent dans les escaliers roulants, puis dans le jet.
Laissez-moi tranquille !

Kashif et le borgne lui tenaient les jambes et un autre la soulevait par ses bras ligotés. Elle se
débattit comme une diablesse, aussi impuissante qu’un agneau prêt pour le méchoui. Elle n’avait tout
simplement aucun moyen de s’échapper.

Une fois la porte de l’avion refermée hermétiquement, la glace qui pulsait dans ses veines se
réchauffa lentement, remplacée par une insipide torpeur. Elle se résigna : elle ne serait plus secourue,
plus maintenant. Paradoxalement, en d’autres circonstances plus agréables, Emma aurait apprécié le
voyage. La cabine de l’appareil était somptueuse : du cuir souple tapissait les fauteuils et une
télévision géante trônait sur une console marquetée.

Elle avait effectué des vols dans des avions privés quelques fois, quand son père l’avait
emmenée en campagne électorale dans l’état de Caroline du Nord. Cependant, elle n’en avait jamais
vu d’aussi beau.

— Vous devriez essayer de vous détendre, dit le borgne en lui tendant un verre d’eau gazeuse.

Elle eut un reniflement dédaigneux et lui décocha un regard furibond.

— Je suis dans un avion pour Yoman, et je ne reverrai jamais ma famille, à moins qu’ils ne
trouvent le moyen de payer votre cheikh et, même s’ils payent, je ne suis pas sûre qu’il me laissera
repartir. Ne me dites pas de me détendre. Allez vous faire foutre !

— C’est un vol de quatorze heures. Prenez un verre et essayez de vous détendre. Nous
pouvons nous battre tout le long du chemin, faire de ce vol une expérience désagréable, dit-il en
pointant le doigt vers son menton violet. Ou bien nous pouvons tous nous reposer et vous donner le
temps de préparer un plan d’évasion pour notre arrivée.

— J’aime cette idée.

Il sourit.

— En plus, même si vous nous échappez, vous ne risquez pas d’aller bien loin à trente mille
pieds du sol. Buvez et reposez-vous.

Elle trempa ses lèvres dans l’eau et grimaça en la sentant amère sur sa langue. L’eau qui sortait
du robinet d’un avion ne devait pas être très bonne. Cependant, après avoir vidé son verre, elle se
sentit soudain désorientée et cotonneuse. Alors que l’avion décollait, la tête de Emma se mit à rouler
et le sang battit ses tempes. La dernière chose dont elle se souvint, ce fut du bruit du verre qui
s’échappa entre ses doigts et frappa le sol.

***

Emma reprit conscience quand un filet d’air brûlant souffla sur son visage à l’ouverture d’une
portière. Elle battit des paupières, convaincue que tout cela n’avait été qu’un rêve. Un désert s’étendait
autour d’elle. Jusqu’à l’horizon, on n’apercevait qu’immenses dunes et coucher de soleil. Des grains
de sable tourbillonnaient dans le vent et lui frappait les joues, la poussant à protéger son visage. Ce
n’était pas réel. Cela ne pouvait être réel. Pas quand un château géant se dressait au milieu du désert
torride. C’était une construction titanesque, dont les hautes tourelles s’élançaient vers le ciel pour
effleurer les nuages. Cela lui rappela Aladdin et, pendant un instant de stupidité crasse, elle s’imagina
dans le rôle de Jasmine.

Mais ceci, c’était… C’était un rêve.

Elle avait prié pour une vie d’aventure et elle n’avait pas encore cuvé sa vodka. Elle allait se
réveiller d’une minute à l’autre dans son appartement, avec une histoire de dingues à raconter à
Parker et Alexis. Les bourrasques de vent chargées de sable lui abîmaient les yeux et son menton lui
faisait mal à l’endroit où elle avait été frappée, mais tout cela n’avait aucune important : ce n’était pas
réel.

Ce le fut d’autant moins quand des bras solides la tirèrent hors de la voiture. Elle était si
fatiguée qu’elle ne prit pas la peine de lever les yeux et frotta son visage contre la poitrine de
l’homme. Même à travers ses vêtements, elle sentit la tonicité de ses muscles et la force de ses bras.
L’homme sentait extraordinairement bon. Emma, quant à elle, était en sueur. Elle répandait
probablement une odeur de chameau qui aurait galopé à travers les dunes pendant trois jours. On ne
pouvait pas en dire autant de l’étranger. Sa peau était fraîche et exhalait un parfum délicieux. Il sentait
le jasmin et le safran des indes, une odeur entêtante de musc et quelque chose de purement viril.

Elle en eut l’eau à la bouche.

Malgré tout le reste, si son rêve insensé lui offrait un homme qui sentait aussi bon et était bâti
comme ça, Emma pourrait presque s’en accommoder. Mais ce moment passé dans ses bras entre la
voiture et le château ne pouvait pas durer. Au bout de quelques minutes, elle fut déposée sur le matelas
le plus confortable de sa vie. Elle s’y enfonça avec volupté. En levant les yeux, elle eut enfin une
bonne vue du serviteur qui avait été assigné à son transport.

Ce fut alors qu’elle dut faire face à la réalité : ce n’était pas un rêve.

Jamais son imagination limitée n’aurait pu produire un spécimen masculin aussi exceptionnel.

C’était un homme grand, qui mesurait sans doute plus d’un mètre quatre-vingt, et aux larges
épaules. Il avait le teint olive, mais pas de barbe broussailleuse : la sienne était bien taillée et rasée de
près. Cette barbe avait quelque chose de délicieusement érotique, et Emma eut soudain envie de frotter
ce visage contre son ventre nu pour sentir le picotement des poils sur elle. Ses yeux étaient perçants,
d’une belle couleur noisette mêlée de paillettes dorées. Il avait également hérité d’une mâchoire
volontaire et de pommettes saillantes qui n’auraient pas démérité sur un podium à Milan ou à Paris.

— Je… Vous êtes quel genre de serviteur ?

Il éclata de rire et ce bruit réveilla en elle quelque chose d’animal et de profond, enflamma
son ventre et chatouilla d’autres parties plus intimes de son anatomie.

— Je suis votre mari. Le cheikh Munir Yassin.


Chapitre Deux
Ces mots eurent sur Emma un effet plus puissant qu’une gifle, ou que le coup d’une crosse de
pistolet sur le menton, en l’occurrence. Elle sauta du lit ou, du moins, elle essaya. Ses jambes
s’emmêlèrent dans des kilomètres de soie fine avant de toucher maladroitement le sol. Son soi-disant
mari tenta de s’approcher, et elle le repoussa, en levant les mains devant elle, grognant de frustration
quand elle découvrit qu’elle était encore attachée.

— Putain ! Ça ne se fait pas de voler les gens !

Le cheikh – elle ne daignait pas l’appeler son mari, pas même dans sa tête – s’agenouilla près
d’elle et sortit une lame affûtée. Emma sursauta et se recroquevilla, préparée au pire. Cependant, une
main étonnamment douce caressa sa joue. Elle leva vers lui un regard furieux, mais n’osa pas lui
cracher au visage, même si elle en avait envie.

— Vous avez une piètre opinion de moi, habbibi. Je ne vous ferais jamais de mal, dit-il en
ponctuant sa phrase d’un coup de canif qui trancha ses liens.

Les yeux toujours rivés sur lui, Emma frotta ses poignets, en se réjouissant de sentir à
nouveau le sang circuler, même si un fourmillement désagréable lui picorait maintenant les doigts.

— Qu’est-ce qu’une habbibi ?

— Cela signifie « ma chérie » et, avec le temps, vous comprendrez que je le pense.

— Vous ne pensez rien. Vous m’avez enlevée à ma famille et mes amis. Putain ! Vous m’avez
enlevée à toute ma vie.

— Mais j’ai fait de vous ma reine. Dans quelques semaines, nous serons officiellement mariés
et vous règnerez sur tout ce que vous voyez ici et vous n’aurez plus jamais besoin de rien.

La bile monta à la gorge de Emma et elle frissonna.

— Le borgne.

— Excusez-moi ?

— Heu, un des hommes qui m’ont enlevée, le plus grand, celui avec un œil abîmé, corrigea-t-
elle en s’empourprant.

C’était ridicule. Ils l’avaient enlevée. Ils avaient gâché sa vie. Elle ne leur devait rien, et surtout
pas le respect.

— Quoi qu’il en soit, il m’a dit que c’était pour une rançon.

— Oui, c’est ce que je leur ai dit. Je n’étais pas sûr qu’ils prendraient au sérieux mon véritable
motif. Mon père vit encore et mon demi-frère également. Je n’étais pas sûr qu’ils comprendraient ce
que je voulais et qu’ils verraient d’un bon œil mon projet d’épouser une occidentale. En revanche,
l’idée de réclamer une rançon pour adoucir le traité de paix entre Yoman et votre pays les a emballés.

— Mais je ne peux pas vous épouser !

— Si, croyez-moi, vous m’épouserez. Je sais que votre père finira par y consentir et cela
renforcera mon pouvoir. Assurez-vous seulement de rester loin de mon frère pour le moment. Kashif
est un soldat loyal, mais il n’a jamais été aimable avec les femmes.

Elle avala sa salive, en ayant l’impression de faire descendre des tessons de coquilles d’huître
dans sa gorge. Kashif ? Celui qui l’avait frappée ? Non, elle ne lui dirait jamais rien, à cet animal.

— C’est vrai qu’il n’est pas aussi raffiné ou moderne que vous, qui kidnappez votre fiancée à
des kilomètres de là !

— Hurlez-vous chaque fois que vous prenez la parole, très chère ?

— Pas de « très chère », pas de « habbibi ». Vous avez tout gâché. Je ne vous épouserai pas. Je
ne ferai rien pour vous, dit Emma en se dressant sur ses jambes.

Elle eut soudain l’impression d’être petite et minuscule.

Son estimation avait été juste et il mesurait au moins trente centimètres de plus qu’elle, si ce
n’était plus. Il la dominait de toute sa taille et elle frissonna. S’il voulait la blesser, avec sa carrure et
ses muscles, Munir n’aurait aucun mal à le faire.

En soupirant, il caressa à nouveau sa joue.

— Ha… Emma, vous comprendrez avec le temps que je vous aime et que devenir ma reine
présente bien des avantages. En revanche, ne faites pas l’erreur de croire que vous retournerez chez
vous. C’est ici votre place désormais – avec moi.

Elle n’avait pas remarqué qu’il s’était rapproché tout au long de son discours. Ses lèvres ne se
trouvaient plus qu’à quelques centimètres des siennes et, une fois encore, son parfum de jasmin et de
curcuma l’enivra – ce musc qui touchait une partie sauvage, reculée et traîtresse de son être. Emma
s’obligea à rester bien droite, se hurla en elle-même qu’il n’était qu’un kidnappeur et un lâche qui
n’avait même pas eu le courage d’expliquer ses plans à son propre père. Elle se répéta tout ce qui
pouvait l’empêcher de l’embrasser.

Elle n’aurait pas dû se donner tant de mal.

Munir se pencha et la saisit par le cou. Ses lèvres s’emparèrent des siennes avec appétit et
autorité. Emma céda à son pouvoir et laissa sa langue envahir sa bouche. Une main glissa le long de
son dos, se referma sur ses fesses et pressa son ample hanche. Elle gémit malgré elle et sentit une
partie de son être s’allumer sous la caresse de sa langue.

Le baiser ne dura qu’un instant et ce fut lui qui y mit fin.


Quand il le fit, un sourire entendu dansait sur ses lèvres.

— Habbibi, tu n’es pas aussi réticente que tu le crois.

Emma battit des paupières et son esprit la ramena brutalement à la réalité. Non, je ne suis pas
une fille facile. Je ne me laisserai pas avoir par des beaux discours et un putain de baiser. Elle prit
son élan et le gifla.

— Allez au diable.

Il éclata de rire et se frotta la joue.

— Fougueuse, comme je l’espérais. Je peux jouer à ce jeu plus longtemps que toi, Emma.
Maintenant, va dans ta chambre.

***

Munir faisait les cent pas dans sa chambre. Il avait réussi à garder son masque d’assurance et
de sexualité libérée en présence de Emma, mais il était plus facile de se détendre maintenant qu’elle
était partie. Il se consumait de désir pour la fougueuse Américaine et voulait allumer dans son âme les
mêmes feux qu’elle provoquait chez lui. Dès qu’il l’avait vue sur des images de presse parlant de son
père et de sa famille, il avait été attiré par elle. Comment ne pas l’être ? Ces courbes douces, ces
magnifiques cheveux blonds, si lumineux qu’ils paraissaient presque blancs, et ces grands yeux bleus
dans lesquels il s’était égaré pendant des jours. Non, c’était plus que cela. Son plus gros problème,
c’était qu’il voulait vraiment faire d’elle sa reine. Si elle se refusait à lui pour toujours et le haïssait, il
ne le supporterait pas.

Mais ce n’était pas cette image de lui qu’il voulait lui montrer. Comme son père avant lui,
Munir se montrerait sous un jour calme et serein. Il ferait preuve de toute l’assurance nécessaire pour
que Emma tombe amoureuse de lui. Et même si cette image ne serait qu’une façade et une
fanfaronnade, il y parviendrait. Après tout, un véritable roi savait se montrer royal et confiant en
toutes circonstances. Il avait juste besoin de s’exercer. Son père l’avait toujours fait de manière
naturelle. Même Kashif irradiait dans toute la pièce quand il rassemblait ses soldats. Munir, lui, avait
toujours eu l’impression de jouer un rôle, d’être trop doux derrière son masque. Il avait passé sa vie à
écraser cette facette de son caractère, pour devenir le chef que son père avait tant souhaité.

— Oh Allah, faites que ça marche, dit-il pour se calmer, en se tournant vers Naseem, son
garde le plus vieux et le plus estimé, qui entrait dans la chambre.

L’homme avait perdu son œil gauche en empêchant un assassin de tuer son père quelques
années avant la naissance de Munir. Le globe oculaire d’une blancheur de lait, barré d’une longue
cicatrice, lui conférait un air menaçant et avait fait de lui une sorte de figure mythique. Tout le monde
dans le royaume de Yoman savait qui était Naseem et ce qu’il avait été prêt à faire pour la famille
Yassin.

Personne ne l’emmerdait.

— Naseem, je me reposais.
— Oui, j’ai cru comprendre qu’il peut être stressant d’attendre la livraison de certains colis.

— Vous n’approuvez pas ?

— En fait, monsieur, elle a du caractère. J’aime son attitude et, très franchement, j’admire sa
façon de répondre à votre frère. En revanche, elle est américaine et, plus vite elle sera partie
retrouver le sénateur, mieux ce sera. Nous devons conclure ce traité.

Munir s’immobilisa, à la recherche des mots justes. Il savait qu’il n’aurait pas pu embarquer
les gardes et son frère dans cette aventure – après tout, la plupart du temps, ils s’en remettaient encore
à l’autorité de son père mourant – s’ils avaient eu connaissance de son véritable objectif : ils
n’auraient tout simplement pas obéi. Personne ne voulait d’une Américaine, une infidèle occidentale,
comme reine. Munir se demandait comment il allait bien pouvoir expliquer à son père qu’il n’avait
aucune intention de renvoyer Emma chez elle – jamais.

— Monseigneur ?

Il soupira et caressa distraitement un des oreillers de soie rouge posés près de lui, sur le lit.

— Vous l’appréciez vraiment ?

— Pour une Américaine, elle a du caractère.

Munir hocha la tête. C’était le seul compliment qu’il pouvait attendre.

— Et si elle restait, Naseem ?

L’homme dissimula sa surprise – ou peut-être que son œil borgne accentuait la fixité de ses
traits. Comment être sûr ?

— Alors, je dirais que c’est la décision du cheikh. Je ne peux pas vous montrer la voie,
seulement vous suivre sur le chemin que vous aurez choisi.

— Est-ce ta manière de me dire que je dois faire des erreurs pour apprendre, mon vieil ami ?

— Je pense que vous êtes sage et plus visionnaire que votre père. Si vous voyez quelque chose
chez cette fille, même si je suis moi-même sceptique, le moins que je puisse faire, c’est vous donner
une chance.

Munir secoua la tête et prit la main de son ami et conseiller.

— J’apprécie ta confiance, Naseem. Maintenant, que voulais-tu me dire ?

— Votre père vous appelle. Votre invitée l’intéresse beaucoup. Il est important pour lui que les
négociations du traité avec les Etats-Unis se passent comme prévu.

— Il veut s’assurer que Mlle James est en notre pouvoir, dit Munir dans un grondement sourd.

Il brûlait de dévoiler à son père ses véritables désirs, mais ç’aurait été une folie. Après tout,
son père n’aurait pas compris. A ses yeux, les Américains étaient indignes de confiance. Ils devaient
impérativement être dominés et maîtrisés. Munir ne partageait pas ses opinions.

— Je ne le ferais pas attendre si j’étais vous, mon cheikh. Vous aurez besoin de toute votre
bonne volonté.

— Si j’étais capable de bonne volonté, Naseem, les choses seraient bien différentes entre nous.
Tu pourrais tout aussi bien me demander de faire jaillir une oasis en plein désert.

Sur ces mots, il prit son courage à deux mains et se dirigea vers les appartements de son père.

***

L’ancien cheikh Shadid Yassin avait des goûts de luxe. Sa famille avait accumulé une fortune
en pétrodollars en régnant sur Yoman pendant plusieurs générations et le père de Munir avait
toujours pu satisfaire le moindre de ses caprices. Il se faisait notamment livrer chez lui, au moins une
fois par mois, du caviar frais, un luxe plus coûteux que de l’or dans ce désert aride. Ce goût pour les
bonnes choses, pour être honnête, avait un peu déteint sur Munir. Pas son goût pour le harem, en
revanche. Ça, c’était une prérogative de son père, du moins avant que son cœur ne lâche : le vieillard
était maintenant obligé de réduire ce genre d’activités.

Cependant, il n’y avait pas de mal à apprécier les belles choses ou les mets délicats que Munir
pouvait maintenant faire pleuvoir sur la femme qu’il aimait.

Kashif avait une toute autre personnalité. Il aimait se battre et passer ses nerfs sur ses ennemis.
Leur père admirait sa brutalité. En revanche, on n’avait jamais vu Kashif se délecter des plaisirs du
harem ou de mets délicats. Il était étonnant de voir combien deux fils pouvaient être différents l’un de
l’autre. Ils n’avaient pas la même mère, mais cela n’expliquait pas tout : selon Munir, ils avaient tout
simplement chacun hérité d’une facette de la personnalité de leur père.

Les appartements de l’ancien cheikh étaient impressionnants et équipés de la pointe de la


technologie et du luxe. Paradoxalement, même s’il détestait tout ce qui venait de l’occident, le père de
Munir était fan de westerns et passait ses vieux jours à regarder des films sur son écran de soixante-
douze pouces. Les meubles étaient tapissés du cuir le plus fin et son bureau avait été sculpté dans un
magnifique bois d’ébène. Pas que son père s’inquiétait encore de ses affaires... Non, comme ce fut le
cas aujourd’hui, Munir était toujours plus susceptible de le trouver à demi allongé dans son lit
immense, en train de manger des flocons d’avoine en regardant « Hubert, son altesse caninissime ».
Etrange de détester tant l’Amérique mais d’adorer ce qu’elle exportait.

Munir s’arrêta au bord du lit de son père et s’inclina avec déférence. Même s’il était
officiellement cheikh de Yoman depuis presque un an, rien n’effacerait jamais les trente premières
années de sa vie sous la férule de son père. Shadid devait être obéi. C’était la première règle que
Munir avait apprise, et intégrée à coups de baguette d’olivier ou de taloches.

— Père, vous avez bonne mine.

Son père prit une inspiration sifflante et retira les tubes à oxygène de son nez. Autrefois,
l’ancien cheikh avait été aussi grand que Munir. Il avait été large d’épaules comme ses deux fils et
fort. Intimidant. Aujourd’hui, son insuffisance cardiaque le dévorait. Il paraissait plus rabougri que
jamais, comme emporté par le poids de sa barbe poivre et sel. Ces derniers mois, il avait beaucoup
maigri : malgré les soupes et le pudding qu’il ingurgitait, il n’arrivait plus à prendre du poids.

C’était une triste et épuisante fin pour un homme qui prenait tant de place dans les souvenirs de
Munir.

Son père toussa à nouveau et lui décocha un regard.

— Tu vois bien que j’ai une mine affreuse.

— Je ne vois rien de cela. Le docteur fait du bon travail : vos joues ont une belle couleur rose.

— Je sais que tu mens. La fille a été enlevée ?

Il hocha la tête et s’approcha du lit de son père, une fois les courbettes terminées.

— Mlle James est au harem pour le moment. On l’habille. J’ai demandé à Naseem de contacter
le bureau de son père à Washington. Le plan prend forme.

— Tu n’as pas besoin d’habiller cette salope d’Américaine différemment. Elle peut bien porter
les mêmes vêtements jusqu’à ce que son père cède.

— Je pensais qu’il serait plus agréable pour elle de porter des vêtements propre. Elle est
couverte de son propre sang. Kashif s’est battue avec elle et il l’a frappée au menton avec la crosse de
son pistolet. Son chemisier était plein de taches. Si jamais nous avons besoin d’envoyer au sénateur
James une preuve que sa fille est vivante, eh bien ce serait mieux de la nettoyer et de la soigner avant.

— Je suppose, termina son père en tirant un dossier de sa table de nuit.

Alors qu’il feuilletait les documents, une photo de Emma s’échappa et glissa sur le sol. Munir
connaissait cette image. Le cliché avait été pris lors de la première mission de reconnaissance. La
jeune femme riait avec ses amis, à l’école. La façon dont le soleil jouait sur ses cheveux et les faisait
reluire, ç’avait été la première chose qui avait attiré l’attention de Munir. Il avait passé une éternité à
regarder cette photo.

— C’est une de ces truies américaines.

Munir serra les mâchoires et se força à prendre de longues inspirations. Il ne servait à rien de
se disputer avec son père. Il prendrait le temps de lui apprendre à voir la reine que lui-même avait vu
en Emma.

— Elle est différente de nos femmes.

— Une truie. J’ai hâte de la renvoyer chez James, pour montrer aux Américains l’étendue de
notre pouvoir.

— Oui, père, dit Munir.


Il se retira et se dirigea à nouveau vers le hall.

On avait dressé la table des festins pour Emma et lui. Il avait besoin de lui faire comprendre
qu’elle ne courait aucun danger en sa compagnie. Loin de là, merde ! Si elle le laissait faire, il la
couvrirait de richesses qu’elle n’aurait pas pu imaginer dans ses rêves les plus fous et lui donnerait
du plaisir chaque nuit avec empressement et adoration.

Tout à son rêve éveillé, Munir ne remarqua pas son frère qui remontait le hall dans l’autre
direction. Il le heurta et jura en l’aidant à se relever.

— Pardonne-moi, mon frère. J’étais distrait.

— Tu pensais à la meilleure façon de manipuler le sénateur, j’espère, grogna son frère.

Ce fut alors que Munir remarqua que Kashif boitait et qu’une méchante trace de morsure
violette s’étalait sur sa main.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il en montrant la blessure.

— Cette salope d’Américaine. Elle est un peu plus féroce que je pensais. Je m’attendais à une
guimauve. Une jouisseuse qui aime se faire plaisir, comme dit notre père.

— Crois-moi, je sais ce que dit notre père, dit Munir d’une voix sombre.

Il n’avait pas à tolérer ce genre de propos : Kashif était sous ses ordres.

— Elle a pris le dessus, poursuivit Kashif en serrant sa main blessée. Crois-moi, ça n’arrivera
plus.

— Eh bien, vu qu’elle est confinée dans le harem et sous surveillance, tu n’auras plus à la voir.
Naseem et Basheera sont capables de s’occuper de Emma.

— Tu veux dire de notre otage, mon frère ?

— De Emma. Je sais exactement ce que j’ai dit.

Son frère se pencha vers lui comme pour le dévisager et Munir fut obligé de reculer de
quelques pas, non de peur, mais parce que l’odeur fétide qui s’échappait de la bouche de Kashif était
insupportable. Sur certains points, comme par exemple l’hygiène bucco-dentaire, le monde occidental
avait tout compris.

D’accord, peut-être pas la perfide Albion, mais partout ailleurs en tous les cas.

En fait, en jetant un coup d’œil à la barbe sale et emmêlée de son frère, Munir se demanda
quand il avait pris une douche pour la dernière fois. Le frisson de la bataille et, en l’occurrence, les
affaires louches de leur père, tout ça, c’était bien joli, mais ça ne l’empêchait pas de prendre un bain,
tout de même.

— Tu es intéressant, mon frère, dit Kashif en articulant chaque mot comme une malédiction. La
fille du sénateur est un appât, rien d’autre. Quand nous aurons signé l’accord, nous n’aurons pas à
tenir notre promesse.

Il brandit sa main sous le nez de Munir pour le forcer à contempler la blessure.

— En fait, dit-il, il y a certaines choses que j’aimerais lui faire quand tout sera terminé.

C’en était trop.

Munir referma ses mains sur la gorge de son frère et le poussa contre un mur, avant que celui-
ci n’ait eu le temps d’esquissez le moindre geste. Kashif ouvrit grand la bouche à la recherche de l’air
et ses yeux écarquillés dévisagèrent Munir d’un air stupide. Enfin, il parvint à croasser quelques
mots :

— Quelle hostilité…

— Tu ferais mieux de te rappeler où est ta place et lequel de nous deux est cheikh.

Un éclair de lucidité traversa le regard de son frère, qui gloussa :

— Je vois. Cette truie américaine te plait.

Munir le repoussa violemment contre le mur.

— Je ne ressens rien pour elle, mais nous tiendrons nos promesses. Nous la retenons en otage,
nous demandons une rançon et nous la renvoyons chez elle. Je jure devant Allah que tu ne toucheras
pas à un cheveu de sa tête.

Son frère grimaça, puis Munir ressentit une douleur brutale au niveau du plexus solaire, où le
genou de Kashif venait de le heurter de plein fouet. Munir eut un hoquet de surprise et desserra son
étreinte. Aussitôt, des bras forts se refermèrent sur sa gorge.

— Lâche-moi !

— Plus tard. Je trouve juste intéressant que tu sois si doux avec elle, que tu l’aies
immédiatement emportée dans ta suite privée à la seconde où elle est arrivée. Si je ne te connaissais
pas mieux que ça, j’aurais pu penser que tu as quelque chose en tête.

— Alors tu ne comprends vraiment rien. Je ne suis pas un barbare comme toi, voilà tout.

La douleur lui transperça, cette fois, le genou et Munir s’effondra.

— Et moi, cher frère, je ne suis pas une femmelette comme toi. A ta place, je tâcherais de m’en
souvenir.

***

Emma battait des paupières devant la cavalcade de couleurs et d’étoffes qui l’entouraient. Le
harem lui faisait penser à Aladdin. Le hall principal s’épanouissait dans un espace d’au moins trente
mètre carrés, sous des arches immenses. Emma avait visité des salles de bal plus petites à Washington.
Quelques lits étaient disposés ça et là, de facture modeste, mais couverts de draps en satin de toutes les
couleurs, du violet le plus profond au jaune le plus brillant.

Au milieu se dressaient de multiples coiffeuses. Les femmes peignaient leurs cheveux ou


ajustaient leurs traits de khôl dans le miroir. Dans les coins, les jeunes filles étaient assises sur des
coussins de soie, brodaient, jouaient de la musique ou lisaient. La scène offrait un étrange contraste
entre modernité et tradition, qui ramena enfin Emma à la réalité.

Il ne s’agissait pas d’un conte de fées.

Elle était maintenant la propriété du cheikh Munir Yassin, et elle allait devoir vivre dans ce
harem, parce qu’il avait décidé de faire d’elle sa reine.

Spontanément, des larmes jaillirent de ses yeux. D’accord, elle n’avait pas voulu de son
ancienne vie, celle que son père avait préparée pour elle, mais elle ne voulait pas de celle-ci non plus.
Pas vraiment. Même si le cheikh était sublime et parlait aux recoins les plus enfouis de son âme qui
brûlaient d’un ardent désir. Oui, l’idée de vivre dans le royaume de Yoman avait quelque chose
d’excitant, plus que sa vie d’étudiante. Mais ne jamais revoir sa famille ? Ne jamais revoir Parker ou
Alexis ?

Non, elle voulait rentrer à la maison, mais elle était prisonnière de ce cauchemar façon
princesse Jasmine.

Elle hésita, plantée là, au coin de la pièce, jusqu’à ce qu’une vieille femme s’approche d’elle.
Non, « vieille », ce n’était pas le bon terme, c’était même plutôt méchant. La dame avait les tempes
grisonnantes et la peau fripée par le soleil, mais elle n’avait rien perdu de sa beauté, avec ses grands
yeux en amande et la tresse de cheveux encore noirs qui battait dans son dos. Elle portait un kaftan
ajusté, d’une couleur écarlate vibrante, cintrée à la taille par une ceinture aux sequins argentés.

La dame faisait quinze centimètres de plus qu’elle et la dominait avec une grâce que Emma
n’aurait jamais pu imitée.

Elle s’inclina, à la grande stupéfaction de Emma. Pour être honnête, après le traitement qu’elle
avait reçu aux mains de Kashif et du borgne, elle n’aurait pas été étonnée de finir dans un cachot,
battue quotidiennement jusqu’à ce que son père arrange sa libération. Au lieu de ça, on l’avait habillée
comme une princesse et installée dans des appartements magnifiques, comme si elle était déjà
devenue reine.

En signe de respect – elle aurait besoin d’alliés pour monter un plan d’évasion –, Emma
s’inclina à son tour.

— Bonjour, enchantée de faire votre connaissance.

La dame éclata d’un rire doux comme du velours.

— Ma reine, vous n’avez pas à me saluer. C’est moi qui vous montre le respect dû à votre
rang. Je suis Basheera, votre femme de chambre. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je vous
l’apporterai.

Emma battit furieusement des paupières. Elle avait dû mal entendre.

— Ma femme de chambre ?

— Oui, expliqua la dame en s’approchant et en posant une main sur l’épaule de Emma. Le
cheikh Yassin m’a tout raconté. Je sais qu’il veut faire de vous sa reine. Mon rôle est de m’assurer que
vous ne manquerez de rien. Je vais vous préparer pour le dîner de ce soir.

Emma fit la grimace.

— Pardon ? Je ne veux pas aller dîner avec ce connard arrogant. Je veux rentrer chez moi.

— Vous êtes chez vous, mademoiselle. C’est ce que j’essaye de vous dire, répondit Basheera
en la conduisant vers les coiffeuses.

Les autres filles lui adressèrent des regards venimeux, en gloussant et en murmurant entre
elles dans une langue qui devait être de l’arabe. Basheera leur cria quelque chose d’une voix sévère,
dans le même langage guttural, et elles s’égayèrent comme des mouches, non sans jeter quelques
mauvais coups d’œil à Emma par-dessus leurs épaules, comme des chattes s’apprêtant à sortir les
griffes. En se tournant à nouveau vers elle, Basheera lui sourit :

— Vous vous y habituerez.

— Je m’habituerai à quoi ?

— A la jalousie des autres. Ces filles servaient le roi, autrefois, et le frère de Munir. Elles ont
toutes essayé de séduire Munir aussi, mais il a toujours résisté.

— Vous n’allez quand même pas me dire qu’il m’attendait. Qu’il n’a jamais…

— Oh, une dame ne raconte pas ces choses-là, mais il n’est pas comme sa famille, pas le genre
à collectionner les femmes de harem en plus de son épouse. Il est fidèle. Hélas, quand il était jeune,
son père, Shadid, ne l’était pas, dit Basheera en préparant le khôl pour maquiller les yeux de Emma.

Sa voix veloutée avait pris un ton dur. Elle refusa de croiser le regard de Emma.

Il y avait un secret…

— Shadid vous a aimée ?

— Nous avions une bonne relation et, encore maintenant, pendant ses vieux jours, je suis
toujours sa favorite. Je sais que les autres peuvent être méchantes et vous devez apprendre à supporter
leurs critiques.

— Croyez-moi, répondit Emma en pensant à la sœur de Alexis. Je sais ce que c’est d’être la
cible des moqueries.
Elle soupira et pinça distraitement le gras sur ses hanches.

— J’y suis habituée.

Basheera commençait à appliquer le khôl. Emma battit des paupières quand elle sentit le
pinceau chatouiller ses cils. Son œil se mouilla de larmes.

— Vous savez, répondit-elle, les courbes d’une femme sont une arme pour gagner l’affection
d’un homme. On ne peut pas faire la danse du ventre, comme vous l’appelez en Amérique, sans
ventre.

Emma fit la grimace. Elle tâcha de ne pas pleurer quand Basheera passa à l’autre œil. Elle
n’avait jamais vraiment aimé le maquillage, après tout.

— Je ne veux pas l’impressionner. Je veux rentrer à la maison.

— Vous êtes à la maison, ma chère, et je pense que vous avez envie de l’impressionner. J’étais
là quand il vous a portée dans sa chambre depuis la voiture. J’ai vu combien son étreinte vous a faite
fondre. Vous n’avez plus qu’à lâcher prise et vous l’aimerez.

— Plutôt mourir.

— Ne dîtes pas cela : son père ou son frère pourrait s’en charger.

— Comment ça ? demanda-t-elle.

Son cœur battit plus vite contre ses côtes. Elle avait dû mal entendre. Soit on l’utiliserait pour
manipuler son père, soit on la mettrait dans le lit du cheikh Munir. Elle n’était pas en danger. Pas
vraiment. Impossible ! Seul un fou enlèverait la fille d’un sénateur pour la tuer. Ce serait la fin de
Yoman. Le vieux cheikh et son autre fils n’étaient quand même pas assez bêtes pour ne pas le savoir.

Emma avala sa salive avec difficulté, mais sa gorge resta sèche. A moins qu’ils ne se montrent
raisonnables, elle pouvait mourir d’un instant à l’autre.

— Ne leur donnez aucune raison de négocier le traité avec une autre fille de sénateur.
Kashif… On ne peut pas lui faire confiance.

Emma laissa échapper un rire sans joie, en frottant son menton endolori.

— Vous n’avez pas à me le dire deux fois. C’est un animal.

— Alors, croyez-moi quand je vous dis que Munir est très différent, dit la dame en peignant
les lèvres de Emma d’un rouge vif. Faites bonne impression, et vous trouverez peut-être ce que vous
cherchez.

— Qu’en savez-vous ?

La dame se pencha et repoussa les longues mèches blondes qui cachaient le visage de Emma.
— Je sais ces choses-là.
Chapitre Trois
Emma n’arrivait pas à croire à l’apparition qui se tenait debout de l’autre côté du miroir.
Basheera lui avait caché la vérité : cette femme devait être une sorte de sorcière et Emma était
réellement tombée dans un conte de fées. Ses cheveux se dressaient maintenant en chignon élaboré sur
sa tête. Seules quelques bouclettes s’échappaient de la masse pour former des accroche-cœurs. Les
mèches blondes paraissaient même encore plus claires, encore plus luisantes, mises en valeur par les
bijoux de tête rouges et bleus qui s’enfilaient entre les tresses. Ses yeux bleus brillaient comme des
saphirs dans leur écrin de khôl et ses lèvres cerise semblaient plus pleines. La femme de chambre
avait même réussi à habiller élégamment ses courbes, ce que Emma n’avait jamais cru possible. La
soie rose de son sarouel épousait la ligne de ses fesses. La brassière correspondante révélait quelques
centimètres de son ventre et faisait pigeonner ses seins.

Elle était belle, comme jamais auparavant.

Emma avait toujours côtoyé la beauté, celle de Alexis et celle de Parker, tout en la croyant
inatteignable. Après tout, une copine studieuse ne pouvait pas être attirante. Surtout quand cette copine
studieuse était trompée par son copain, Kevin.

Mais ornée de soie et de diamants ?

Elle avait presque l’impression d’être devenue la reine que Munir voyait en elle.

Basheera sourit en admirant son travail, puis tapa dans les mains :

— Je suis douée. Je devrais vous faire payer le relooking.

— Dites-moi la vérité : vous cachez une baguette magique quelque part ?

Basheera éclata d’un rire tintinnabulant comme des clochettes.

— Non, dit-elle en rajoutant une broche argentée dans les cheveux de Emma. Ceci était à moi
quand je suis arrivée au palais. Je vous promets qu’elle vous portera chance.

— Je ne veux pas de chance.

— Faites-moi plaisir, allez dîner et montrez-vous aimable.

— Aimable avec mon ravisseur…

— Avec votre futur mari, corrigea Basheera en la conduisant vers la porte, puis en la poussant
gentiment dans le couloir.

Emme déambula longuement dans le palais labyrinthique, en suivant les délicieuses odeurs de
nourriture, et finit par trouver la salle à manger. Ça sentait les épices, l’agneau braisé à point, les
figues et les abricots secs. Quand elle ouvrit la porte, la taille de la pièce la laissa bouche bée. Si le
harem était vaste, la salle à manger était gigantesque.

Trois harems auraient pu tenir dans cette pièce et cinquante convives auraient pu se mettre à
table sans se serrer les coudes. Peut-être même était-il possible d’installer des rallonges, comme on le
faisait parfois. Tout ce qu’elle avait reniflé dans l’air était là, disposé dans des plats en argent : pois
chiches, riz au curcuma, plusieurs bouteilles de vin. C’était un festin fabuleux.

Tout paraissait pourtant bien insipide à côté de Munir.

Il se leva quand elle ouvrit la porte et ses yeux s’écarquillèrent. Emma remarqua même qu’il
se mordit la lèvre inférieure. Malgré tout ce qui s’était passé, et tout ce qu’elle savait, elle ne put
s’empêcher d’esquisser un sourire coquin. Personne ne l’avait jamais regardée comme ça, comme si
elle était le plat principal de ce banquet, le meilleur filet mignon de la ville.

Prenant une grande inspiration et s’obligeant à faire descendre la température, Emma s’assit à
côté de lui. Il voulut lui présenter sa chaise, mais elle refusa, trop fière pour lui accorder ce plaisir.

— Je peux le faire moi-même.

Il éclata d’un rire grave et riche, et Emma se sentit fondre de désir – encore ces hormones
traîtresses.

— Tout est une bataille avec toi, habbibi. J’essayais juste de me montrer poli avec ma future
épouse.

— Vous dites cela comme si c’était une phrase tout à fait normale et raisonnable, rétorqua-t-
elle en lui accordant au moins le plaisir de lui servir des lentilles et de l’agneau.

Elle n’avait rien mangé de la journée et son ventre gargouillait. Une gorgée de vin blanc lui
humidifia la gorge et l’apaisa. Elle se sentit un peu mieux, un peu plus à sa place.

— Je dois rentrer chez moi. Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas ? Je croyais qu’il s’agissait
d’une rançon. On ne peut pas en rester là ?

Elle était en train de négocier avec son ravisseur. C’était parfaitement ridicule et elle en avait
conscience. Le syndrome de Stockholm était peut-être déjà en train de lui bouffer le cerveau. C’était à
cause de leur premier baiser. Mais elle devait essayer. Elle n’avait rien d’une reine et il devait être
cinglé pour l’imaginer dans ce rôle.

Assez flatteur, mais cinglé tout de même.

Il tendit la main et lui caressa la joue. Elle se sentit mollir. Son odeur devenait plus familière,
maintenant – ce soupçon de jasmin mêlé au parfum viril du musc. Il aurait été tellement facile de se
pencher par-dessus la table pour l’embrasser, tellement facile d’oublier les règles et les devoirs d’une
fille de sénateur.

— Doutes-tu de mon amour ?

— Vous m’avez enlevée à des milliers de kilomètres d’ici. Vous me retenez en otage dans une
forteresse dont je ne pourrais jamais m’échapper. Putain, c’est vrai, comment puis-je douter de votre
amour !?

Il retira sa main en soupirant et elle vit un regret passer dans ses yeux pailletés d’or.

— J’aurais pu choisir bien d’autres filles. Il n’y a pas qu’un seul sénateur dans le comité de ton
père et nous avons étudié toutes les familles. Mais c’est toi que j’ai choisie.

— Parce que mon père est le président, lui répliqua-t-elle avec défi, en sirotant son vin.

— Parce qu’en regardant les vidéos tournées pendant la mission de reconnaissance, j’ai vu ta
détermination et le feu qui brûlait dans tes yeux. Je t’ai vue tout faire pour obéir à ton père, tout en
ayant la dignité de suivre ton propre chemin. Je veux t’offrir plus.

Elle eut un rire sans joie et roula les yeux au ciel, ignorant la saveur piquante de l’agneau
quand elle mordit une bouchée.

— Vos sbires m’espionnaient. Cela ne veut pas dire que vous me connaissez.

— Dis-moi que j’ai tort, habbibi, dit-il en la transperçant de son regard noisette. Dis-moi que
tu ne voulais pas d’une vie différente, d’un peu mieux qu’un poste dans l’ancien bureau juridique de
ton père. Au fond de toi, ton avenir ne t’enchante pas.

— C’est différent, dit-elle à voix basse. Je veux une vie d’aventure, mais pas être prisonnière
ici.

— Tu n’es pas prisonnière, pas pour toujours. Après le mariage, nous irons voir le monde
ensemble : nous irons où tu voudras, nous ferons tout ce que tu voudras. Tu n’as qu’à demander.

— Où je voudrais, sauf à la maison.

Il se pencha et l’embrassa avec une passion aussi intense que la dernière fois, dans la chambre.
Aussitôt, les tétons de Emma se dressèrent contre sa brassière et la chaleur enflamma son ventre. Elle
laissa échapper un gémissement et, levant les mains pour les passer dans les cheveux de Munir, elle
sentit son désir grandir quand ses doigts caressèrent sa barbe courte et délicieusement rugueuse.

Munir réagit à son geste en se pressant un peu plus contre elle, emmêlant leurs deux langues.
Ils restèrent longtemps enlacés, dansant et combattant avec leurs lèvres pour prendre le pouvoir.
Emma voulut gagner cette bataille, au plus profond de son être. Il fit glisser ses mains sur son corps
et suivit du doigt la courbe de son sein gauche, jouant avec son téton dressé par-dessus la fine soie de
sa brassière. Son autre main glissa plus bas, lui chatouilla le ventre et elle se tortilla sous sa caresse.

Elle mit fin au baiser, juste assez longtemps pour lui décocher un sourire coquin.

— Tu ne devrais pas faire ça. C’est trop sensible.

Il rit doucement, en suivant du bout du doigt le contour de son téton, et elle se sentit mollir
contre lui, le corps en feu. Sa main plongea alors encore plus bas, sous l’élastique de son sarouel,
pour effleurer les poils entre ses cuisses.
Elle se pressa contre lui et l’embrassa à nouveau, mais le repoussa brusquement, comme si
elle s’était brûlée à son contact, quand une voix retentit à la porte.

— Eh bien, mon frère, j’aurais dû savoir qu’on ne pouvait pas te faire confiance, dit Kashif en
pénétrant d’un air nonchalant dans la salle à manger.

Emma eut l’impression qu’un seau d’eau glacée venait de lui tomber sur la tête. Elle s’éloigna
immédiatement, tentant de rabaisser sa brassière par-dessus la peau exposée de son ventre tout blanc.
Elle aurait préféré, finalement, que Basheera l’habille avec un kaftan. Elle se sentit trop exposée, trop
vulnérable, face au cruel animal qu’était Kashif.

— Ce n’était rien. On ne faisait rien.

— Oh, ce n’est pas ce que j’ai vu, susurra Kashif en contournant sournoisement son frère aîné.
Tout s’éclaire. Ton anxiété jusqu’à son arrivée. Je pensais que tu pensais au traité, au meilleur moyen
de manipuler ces chiens d’Américains. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y avait autre chose, mais je
comprends mieux maintenant pourquoi tu défendais cette truie.

Munir fit un pas en avant, prêt à frapper son frère, mais Emma le saisit par le bras.

— Il t’a insultée.

— Il m’a enlevée sur tes ordres, rétorqua-t-elle en lui caressant le bras pour le calmer.

La force du biceps sous ses doigts l’émerveilla.

— S’il te plait, laisse tomber. Ce dîner était une erreur.

Il tendit la main pour l’arrêter mais elle s’échappa d’entre ses bras, hors de sa portée, et
s’enfuit à toutes jambes vers le harem, effrayée par sa propre passion. Quelques minutes dans
l’étreinte de Munir, c’était une chose, mais elle ne pouvait pas se permettre de prendre ses aises ici.
Elle ne pouvait pas se permettre d’abandonner tout espoir de rentrer à la maison. C’était
inimaginable.

Et peu importait ce qu’il lui faisait ressentir. Peu importait son émotion.

Le plaisir ne pesait pas bien lourd comparé à la famille et à la maison. N’est-ce pas ?

***

— Je ne comprends pas ce qui ne va pas chez moi, dit-elle en battant des bras et en espérant
que les autres filles du harem ne lui jetaient pas des regards mauvais à la dérobée.

Merde à la fin. Emma n’était peut-être pas un canon de beauté comme elles, avec leurs longues
jambes et leurs silhouettes de magazine, mais elle était pourtant – et cela paraissait impossible – ce
que le cheikh Munir désirait. Elle avala sa salive avec difficulté, en repensant à la manière dont sa
main avait caressé son sein. Elle ne pouvait pas se permettre de tomber amoureuse de lui. Sa maison
était à des milliers de kilomètres de là. Elle tâcherait de s’en souvenir, même quand il la ferait
chavirer d’une simple caresse.
Basheera sourit et lui tendit une tasse de thé.

— Vous pensez que cela n’arrive qu’à vous ? C’est le père de l’ancienne reine – paix à son
âme – qui l’a donnée au cheikh. Elle a appris à aimer son époux, même si c’était un mariage arrangé.
Moi, je suis arrivée quand j’avais dix-huit ans, enlevée au plus noir de la nuit dans mon village natal.

— Et vous aimez toujours Shadid ?

— Les circonstances de l’union n’ont rien à voir avec les sentiments. Vous êtes sous le choc,
parce que ce que vous ressentez ne correspond pas à ce que vous avez toujours cru.

Elle hocha la tête et retira une des nombreuses broches qui retenaient ses cheveux. Non, c’était
plus que cela – plus que son dégoût à l’idée d’être un pion dans une affaire de négociations. Il l’avait
espionnée, mais il l’avait reconnue. Elle avait passé des années à se mentir à elle-même autant qu’à sa
famille et ses amis, à se convaincre qu’elle était heureuse, mais sans jamais vraiment y parvenir.
Munir avait vu au-delà de tous ses mensonges.

Et cela l’effrayait – ce lien qui existait déjà entre eux.

Que savait-il d’autre sur elle qu’elle ignorait encore ?


Chapitre Quatre
— Ton frère m’a tout raconté, dit son père entre deux inspirations sifflantes depuis son
fauteuil roulant, près du réservoir d’oxygène.

Munir baissa les yeux, à sa grande honte. Son père n’était plus le géant de son enfance, le
dictateur qui rentrait le fils prodigue dans le droit chemin à coups de fouet. Il ne lui arriverait rien.
Putain, cet homme était mourant et, dans moins d’un an, son cœur finirait pas lâcher. Les meilleurs
docteurs de Londres le lui avaient dit. Pourtant, c’était son père. Il pouvait bien essayer de se rebeller,
de ne pas se soucier de ce qu’il pensait… Au fond de lui, il aurait toujours envie de lui plaire.

Une triste partie de son être avait encore onze ans et redoutait de ne jamais pouvoir devenir le
puissant successeur dont parlait son père à longueur de journées.

Cette partie de lui avait espéré, quelques mois plus tôt, apercevoir un sourire pendant la
cérémonie du couronnement de Munir. Il n’y avait trouvé qu’une sombre résignation.

Munir garda donc la tête baissée en répondant d’une voix contrite :

— Je vous ai trompé, père.

— Je l’ai bien compris. Ce que je ne comprends pas, c’est ce qui a pu t’égarer à ce point. Ce
sont des infidèles, mon fils. Les Américains ne s’intéressent pas à notre peuple : ils nous bombardent
quotidiennement. Ils ne nous respectent pas et ne cherchent pas à comprendre nos coutumes. Et tu
prétends en prendre une dans ton harem ?

Munir avala sa salive avec difficulté pour chasser l’étrange engourdissement de sa gorge : il
avait l’impression que des épines de cactus lui obstruait le cou. Mais s’il était obligé d’avouer ses
projets à son père, alors il faudrait tout avouer, tout. Après tout, le mariage aurait bientôt lieu, après
la signature du traité. Son père finirait par savoir combien Munir était fasciné par les occidentaux.

— Elle ne fera pas partie du harem.

Une autre inspiration sifflante, puis des yeux jaunes le transpercèrent de part en part, comme
pour lire son âme. Peut-être qu’il en avait le pouvoir. Après tout, il avait toujours deviné quand Munir
lui mentait.

— Comment ça ? Dis-moi que tu ne feras pas ce que je pense, mon fils.

— Si, je vais le faire, dit-il d’une voix tremblante. Je l’aime, père.

L’ancien cheikh se dressa avec une énergie dont Munir ne l’aurait plus cru capable.

— Oh, Allah ! Dis-moi que tu ne feras pas ce que je pense.

Munir se précipita à son secours, en voyant son père tituber sans sa cane et en entendant
chacune de ses inspirations racler dans sa gorge. Les tubes à oxygène étaient tombés de son nez et,
bientôt, il perdrait connaissance.

— Père, s’il vous plait, vous vous faites du mal.

L’ancien cheikh frappa la main que son fils lui tendait. Soudain, Munir eut onze ans et la petite
tape le heurta plus profondément qu’elle n’aurait dû.

— Blasphème ! Tu ne peux pas l’épouser. Même si cela ne compromettait pas la signature du


traité… C’est une infidèle. Elle n’est pas comme nous.

Munir fit un pas vers l’arrière, fébrile. Qu’il aille au diable. Si le vieillard mourait ici et
maintenant, ce serait la meilleure chose qui puisse arriver.

— Elle est extraordinaire et je veux qu’elle soit ma reine.

— Inacceptable.

— Ce que vous voulez n’a plus d’importance, père.

— Cela a de l’importance si nous voulons convaincre ce chien de sénateur.

— Non, je veux dire que vous n’êtes plus cheikh. Vous êtes mourant et Yoman doit évoluer
pour survivre et s’enrichir.

— Comme un pays occidental, tu veux dire ? Tu crois qu’épouser cette truie d’Américaine va
changer la donne ?

Au dernier moment, Munir retint la gifle qu’il destinait à son père. Peu importait sa fureur, il
ne pouvait tout simplement pas s’en prendre à un vieillard décati. Ç’aurait été un acte de déshonneur.

— Je ne sais pas mais, ce que je sais, c’est que je ne peux pas entretenir un harem de quarante
femmes et mener à la baguette les meilleures d’entre elles, comme ma mère ou Basheera. Je sais que
je ne peux pas me permettre de ne jamais faire de compromis dès qu’il s’agit des affaires étrangères.
Et je sais au fond de moi qu’il n’existe pas dans ce monde une femme qui me rendra plus heureux que
Emma James. Alors, père, soit vous acceptez l’idée que Emma est mon seul véritable amour, ma
habbibi, soit vous rendez un service au royaume.

— Un service ? Et quel service ?

— Crevez, répondit Munir en postillonnant presque au visage de son père. Je doute que
quelqu’un vous pleure, pas après le bazar que vous m’avez laissé, et tout cela pour assouvir vos
moindres fantasmes.

— Tu veux dire que je ne te manquerai pas ? siffla le vieil homme en se rasseyant lentement
sur sa chaise.

— Vous ne m’avez rien donné à regretter.


***

Le palais était frais la nuit. C’était la première fois que Emma se retrouvait au milieu d’un
désert, mais elle savait que la température pouvait chuter la nuit – le genre d’infos « le savais-tu »
qu’on apprenait chez les Jeannettes. Sans même parler de l’absence des rayons du soleil, les
immenses murs de pierre du château rendaient l’atmosphère particulièrement frisquette. Emma était
étendue sur un matelas, entre des draps de soie orangée. Ils glissaient délicieusement sur la peau nue
de ses bras et de ses jambes. En tant que future reine, elle avait droit à une chambre particulière, loin
du harem. C’était un privilège accordé seulement à elle, à la doyenne du harem, Basheera, et à
Abdalla, qui était apparemment la mère de Kashif. Emma n’avait aucune peine à le croire : Abdalla
avait une fâcheuse tendance à plisser son gros nez d’un air méprisant.

Après tout, la belle tête de vainqueur de Kashif venait bien de quelque part…

Heureusement, ce n’était pas lui qui était devenu cheikh. D’une manière ou d’une autre,
l’ancien roi avait trouvé quelque part une femme qui avait élevé Munir et fait de lui un homme
étonnamment doux et généreux. Une partie d’elle lui pardonnait déjà son enlèvement. Peut-être était-
ce le fait d’être loin des Etats-Unis, ou la peur que lui inspirait Kashif, mais Munir lui apparaissait
maintenant comme un allié. Il la traitait avec beaucoup d’égards. Il devait, lui aussi, se sentir pris au
piège dans ce palais, écrasé par les attentes qui pesaient sur lui. Son peuple avait besoin d’un roi fort
et d’une reine. Ils avaient aussi besoin de paix et d’un peu de répit après tous ces bombardements. Des
« victimes collatérales », disait-on en Amérique, où l’on se souciait peu de savoir où atterrissaient les
bombes lâchées sur la frontière de Omaï.

Emma savait ce que c’était : le devoir, les attentes de la famille, si écrasantes qu’elle vous
broyaient de l’intérieur. Il lisait peut-être en elle comme dans un livre ouvert, mais elle aussi
commençait à le deviner.

En soupirant, elle s’étira entre les draps et tâcha de dormir. De minute en minute, il devenait
plus facile de se reposer, de se détendre, d’imaginer qu’elle était chez elle dans cet étrange palais.
C’était perturbant d’y penser, mais ça n’en était pas moins vrai.

***

— Tu es belle, ma habbibi, ronronna Munir dans un délicieux grondement.

Son odeur embaumait la chambre, celle du musc et de sa virilité puissante, soulignée par un
soupçon de sueur et la note de jasmin qui le suivait partout.

Elle battit des paupières et tira le drap sur ses seins. Dans la nuit, son kaftan l’avait démangée
et elle l’avait enlevé. Il n’y avait plus rien entre elle et Munir que la fine étoffe drapée sur sa poitrine.

— Je pensais avoir été claire : je n’ai pas envie de ça.

Il hocha la tête, mais cela ne l’empêcha pas d’entrer dans la chambre et de refermer la porte
derrière lui. Le cœur de Emma battit plus vite dans sa poitrine – pas de peur, mais de désir. Elle ne se
souvenait que trop bien du baiser qu’ils avaient partagé après qu’elle l’eut giflé, puis leur étreinte
passionnée, quelque heures plus tôt, contre la table du dîner. Sa chatte mouillait déjà d’envie. Emma
ne sut que faire. La gentille fille – non, attendez, la fille à son papa – que Emma avait été avant d’être
enlevée n’aurait jamais voulu coucher avec Munir. Non, elle se serait battue, elle aurait protesté, elle
aurait tenté de le convaincre de la laisser repartir. Elle aurait fait tout ce qu’une bonne fille américaine
était censée faire dans pareille situation.

Mais elle n’était plus cette fille-là.

Elle avait essayé, même si elle avait échoué, d’échapper à Kashif et ses sbires envoyés pour
l’enlever. Elle avait été introduite dans un harem et elle avait giflé un chef d’état. Elle était déjà plus
forte que la gamine timide qui avait dansé avec ses copines quelques nuits plus tôt.

Et sa nouvelle force intérieure lui donnait le courage de se regarder dans un miroir, de


fouiller les recoins les plus sombres de son âme et ses désirs les plus enfouis, ceux qu’elle avait tâché
d’oublier toute sa putain de vie, pour renvoyer aux autres l’image d’une fille parfaite.

Emma avait envie de lui, de tout son cœur et de tout son corps. Il la rendait folle, s’insinuait
dans ses veines et faisait battre son cœur à toute allure. Quelques baisers de lui, ce n’était plu suffisant.
S’il venait lui rendre visite dans la nuit comme ça, pour la tenter comme un démon, alors elle lui
succomberait.

Et elle se délecterait de chaque seconde.

Munir s’étendit sur l’immense lit, à côté d’elle. Son imposante stature la toisait. Certains
footballeurs de l’équipe de Harvard étaient moins charpentés que ça – tant pis pour eux. Ses sublimes
yeux noisette la dévisagèrent, dévorant chaque courbe, chaque angle de son cou et de son visage.
Quand son regard tomba sur le fin drap de soie couvrant ses seins, elle vit même danser les paillettes
d’or dans ses pupilles.

Sans réfléchir, elle leva la main et redessina du bout des doigts les contours de sa barbe. Il
gronda et tira le drap qui cachait sa poitrine.

En mordillant sa lèvre inférieure, Munir lui adressa un sourire qui creusa de petites fossettes
au milieu de ses joues. Malgré la barbe et les mâchoires solides, il eut soudain l’air beaucoup plus
jeune. C’était mignon.

— Tu as une bien étrange manière de dire non, ma princesse.

— Eh bien… Eh bien, ce n’est pas « non ». J’en ai marre de me battre, contre tout, contre moi-
même. Tu n’as pas tort. Je rêvais d’aventures, dit-elle en pointant le doigt vers le sable que
tourbillonnait derrière sa fenêtre. Je voulais plus qu’une vie d’étudiante et tu me l’as offert.

Elle esquissa un sourire lascif et glissa la main sur la jambe du pyjama qu’il portait, traçant du
bout du doigt les contours de la bosse entre ses cuisses.

— Putain, je dirais même que tu me donnes bien plus que ce qu’une femme pourrait rêver.

— Tu parles de mon palais ou de ma queue ?

Elle gloussa, enhardie et coquine, comme elle avait toujours voulue l’être. Alexis et Parker
avaient toujours été les filles fortes de leur petit groupe, celles qui savent ce qu’elles veulent et qui ne
s’en privent pas. Emma avait été la fille accoudée au bar, qui boit du soda et qui regarde – l’éternel
chauffeur qui ramène ses amies bourrées.

Elle avait maintenant l’impression d’avoir pris le volant d’une Ferrari lancée à pleine vitesse
sur une autoroute déserte.

Elle caressa sa queue à travers l’étoffe de son bas de pyjama, satisfaite de le voir fermer les
yeux et s’agiter sous ses doigts.

— Pour le moment, il n’y a que toi. Je n’ai pas envie de réfléchir. Demain, tu pourras faire ton
chef d’état et t’occuper de ton traité, et moi je serai la fille du sénateur. Mais cette nuit ? Fais-moi
l’amour, Munir.

— Je pensais que tu ne le demanderais jamais, habbibi, ronronna-t-il en retirant ses vêtements


avec une lenteur ensorcelante.

Son pyjama était bleu marine et le haut se fermait avec des boutons. Alors qu’il se
déboutonnait, lentement pour agacer Emma, elle vit peu à peu apparaître sa poitrine au teint olive. Il
avait de solides pectoraux, mais pas ridiculement démesurés comme ceux d’un culturiste. Il aurait fait
honte à Vin Diesel ou Chris Hemsworth, ça c’est sûr. La passion traversa Emma comme une vague,
inondant sa chatte de désir et d’envie. Elle passa un doigt coquin sur sa poitrine.

C’était tout ce qu’elle avait toujours voulu – ferme et chaud, la peau tendue par les muscles.
Elle se pencha pour faire courir sa langue sur ses pectoraux, savourant le goût salé de la sueur et de
son cheikh. Quand Munir jeta enfin son haut de pyjama, elle eut tout le loisir d’explorer la peau
sombre sous ses doigts. Elle caressa les tablettes de chocolat, amusée qu’il contracte ses abdos pour
l’impressionner.

— Je ne te plais pas, habbibi ? Ne suis-je pas un beau spécimen, pour un futur mari ?

— Mmm, répondit-elle en se mordant la lèvre inférieure. Tu feras l’affaire, je suppose. Peut-


être que Kashif serait mieux…

Même si ce n’était qu’une blague, sa remarque alluma une flamme dans ses yeux et il la saisit
par les poignets.

— Ne sois pas cruelle, ma princesse… Emma. Je suis là pour tout, je suis tout ce dont tu as
besoin. Laisse-moi te montrer.

— Fais de ton mieux, mon cheikh.

Munir s’humecta les lèvres et lâcha ses poignets. Avec détermination, il la repoussa sur le lit et
tira les draps qui la recouvraient. Il accorda alors à son corps une tendre attention. Tandis que ses
mains descendaient plus au sud s’enfouir entre les replis les plus intimes de son intimité, ses lèvres
trouvèrent sa clavicule. Il déposa là un baiser, puis quelques autres, qui la rendirent encore plus
humide qu’auparavant, permettant à ses doigts de caresser sa féminité avec plus d’aisance. Elle ne put
s’empêcher de se cambrer contre lui, levant les hanches, bouleversée de sentir ses mains fortes et
expérimentées la remplir. Pendant ce temps, sa bouche suivait un autre chemin. Les innocents petits
baisers du bout des lèvres étaient devenus de langoureux coups de langue. Il suçait son cou, semant
quelques suçons violets qui la firent frissonner de tout son corps. Enfin, il changea à nouveau d’idée
et redescendit pour mordiller sa clavicule.

Emma leva le cou pour être plus prés de lui, pour sentir ses dents contre sa peau, autant que sa
barbe rugueuse contre ses seins.

— Encore ! ordonna-t-elle, même si ses doigts longs et délicats la travaillaient avec une
expertise qu’elle n’avait jamais connue, explorant ses replis et ses profondeurs, avec une
détermination douce mais ferme.

— Je peux faire tout ce que tu veux, habbibi, cette nuit et tous les nuits qui suivront, dit-il en
semant des baisers le long de sa gorge.

Il donna un vif coup de langue contre un téton qui se dressa aussitôt. Son clitoris commençait
à palpiter, lui aussi. C’était comme sentir battre son cœur dans toutes les fibres de son être, chaque
centimètre de sa peau, chaque nerf.

— Je sais de quoi tu as besoin, souffla-t-il.

Elle n’eut pas le temps de lui demander à quoi il pensait, quand son poids la quitta
brusquement. Emma ouvrit les yeux, prête à se plaindre de la fin des baisers, avant de réaliser où
Munir se trouvait à présent : penché au-dessus de ses replis intimes et humides, et sur le point de lui
donner du plaisir.

— Tu n’es pas obligé, dit-elle vivement en rougissant et d’une voix incertaine. Je sais que la
plupart des hommes n’aiment pas trop ça.

— Les gamins américains avec lesquels tu es sortie ne savent pas ce qui plait à un homme, un
vrai, dit-il en prenant soin de lécher devant elle chacun de ses doigts imprégnés de ses jus féminins,
l’un après l’autre. Le vin le plus fin n’est qu’une piquette à côté du désir d’une femme. Laisse-moi
faire, ma habbibi.

Elle hocha la tête et se mordit la langue, se refusant à crier ou à alerter le reste du palais, pour
qu’ils ne sachent pas que l’Américaine avait facilement succombé aux plaisirs du cheikh.

Ce fut rapide d’abord, comme une secousse, quand la pointe de sa langue pénétra dans les
replis de sa chatte, suivant les grandes lèvres pour lécher les jus qui se trouvaient là. Il remonta alors
vers son clitoris et se mit à sucer le petit nœud nerveux et sensible. Elle palpitait déjà de tout son
corps mais, quand il la lécha, stimulant son désir, eh bien, Emma s’abandonna. Elle poussa un
gémissement de plaisir, qu’on entendit certainement jusqu’aux frontières de Omaï, et se cambra sous
le visage de son amant.

— S’il te plait…

— Ordonne-moi, habbibi. Demande-moi de te baiser.

— Baise-moi fort, dit-elle d’une voix ferme. Baise-moi, Munir.


Il ne répondit pas, mais s’exécuta, sa langue jouant avec son clitoris d’une manière qui la fit
rugir. Ses jambes se mirent à trembler. C’était comme si de la lave en fusion pulsait maintenant dans
toutes ses artères, comme si elle se consumait dans un feu. Quand son rythme s’accéléra, sa langue la
caressa avec une vitesse qui la prit par surprise et Emma se laissa aller. Son système nerveux éclata
dans un feu d’artifice de sensations et de plaisirs et elle jouit en hurlant son nom dans la nuit.

Elle mit du temps avant de redescendre sur terre et de retrouver ses capacités intellectuelles.
Le moindre geste lui parut difficile, gélifiée comme elle était, abandonnée sous forme de compote
par la langue de Munir. En roulant sur elle-même avec effort, elle lui adressa un sourire coquin.

— C’était magique.

— J’ai reçu une éducation très complète et je maîtrise bien des sujets, princesse. Je t’en
montrerai davantage.

— Si tu me sors un génie bleu et un tapis volant, rétorqua-t-elle avec caractère, je vais finir
par croire que je suis vraiment partie chez Disney.

— Ce n’est pas le cas, dit-il en repoussant les cheveux blond pâle qui tombaient devant ses
yeux. C’est moi qui ai trouvé le paradis, poursuivit-il en s’installant derrière elle, au plus près de son
corps. Tu en sauras plus demain. Tout ce que tu veux, n’importe quoi, je peux te l’offrir.

A part ma liberté.
Chapitre Cinq
Quand elle s’éveilla, Emma fut déçue et un peu effrayée de constater que Munir n’était plus
avec elle. Bien sûr, quand elle leva les yeux vers la fenêtre, elle vit qu’il faisait déjà grand jour. Munir
avait un pays à gouverner, surtout en ce moment. Ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère.

— Eh bien, je vois que les choses se passent plutôt bien, dit Basheera en entrant dans la
chambre, des vêtements jetés sur un bras et une corbeille de petits pains au miel dans l’autre main.
L’une des autres filles vous amène du jus de fruit, ma reine.

— Je ne suis même pas encore mariée !

Basheera esquissa le petit sourire entendu qui dansait souvent sur ses lèvres, ces derniers
temps.

— Peut-être bien que si, Emma. Je vous ai dit que succomber à l’amour pouvait valoir le coup.

— Mais son père, le cheikh Shadid… Il n’a jamais fait de vous sa femme.

— Il s’était déjà marié. Sa femme est décédée quand Munir avait dix ans.

Emma cligna des yeux, sans voix. Elle savait que l’ancien cheikh était mourant, mais encore
présent à Yoman : c’était ce que racontaient les journaux, sans parler de son père pendant les dîners de
famille. Emma avait simplement cru que la mère de Munir avait ses propres appartements, comme
Emma, mais plus près de l’ancien cheikh. Elle l’avait crue encore vivante, éloignée de l’énergie
bouillonnante du harem.

— Je ne savais pas.

— Je ne m’attendais pas à ce que vous le sachiez. Munir et Kashif étaient petits quand je suis
arrivée. Abdalla avait oublié ses devoirs de gouvernante du harem.

— J’imagine que Kashif est aussi oublieux que sa mère. Je le déteste vraiment.

— Vous n’êtes pas la seule, répondit Basheera en disposant les vêtements sur le divan et en lui
tendant les petits pains au miel.

Emma en ramassa un entre ses doigts et prit une bouchée. Elle ne put retenir un gémissement
de plaisir assez embarrassant. Rien ne pouvait être aussi doux que les orgasmes que Munir lui avait
fait vivre la nuit dernière – ou plutôt lui avait offerts sur un plateau d’argent. Cependant, ces délicieux
petits pains au miel et aux dates firent frétiller ses papilles. Elle pinça tristement le gras de ses hanches
à travers le drap – la seule chose qui l’empêchait de se montrer entièrement nue devant Basheera. Si
elle vivait plus longtemps dans ce palais, Emma finirait par devenir une petite boule. Elle était déjà
plus grosse que les autres filles. Il faudrait qu’elle fasse attention à ce qu’elle mangeait, ou le cheikh
se désintéresserait.
— Ils sont bons, n’est-ce pas ? Naseem a bien des talents.

— Alors comme ça, il tue pour le service du palais, enlève des femmes à Washington et, en
plus, il fait les meilleurs petits pains que j’aie jamais mangés ?

Basheera esquissa un petit sourire en coin et, en voyant pétiller quelque chose dans ses yeux,
Emma se demanda si elle et Naseem n’étaient pas un peu plus que des collègues.

— Il a bien des talents. Ne faites pas attention à ce que vous mangez ici. Dans notre culture, il
est impoli de ne pas finir un repas. N’écoutez pas ce que disent les mannequins et les actrices de votre
pays.

— Vous oubliez les étudiantes…

— Il ne faut pas les écouter non plus, poursuivit Basheera en tressant ses cheveux.

Emma remarqua que quelques fils argentés se mêlaient au rideau de ses cheveux noirs.

— A Rome, faites comme les Romains, n’est-ce pas ? Alors, à Yoman, mangez.

Emma sourit et engloutit un deuxième petit pain.

— A vos ordres, M’dame. Pas besoin de me le dire deux fois.

— Et pourtant, je doute que vous soyez une fille qui écoute les conseils. Munir ne sait pas à
quoi il s’attaque…

Emma lui adressa un sourire denté et insolent, puis se renversa sur la tête de lit.

— Je ne compte pas lui rendre la tâche facile. Je l’apprécie, et je sais qu’il a beaucoup de
pression sur les épaules, mais je n’avais rien demandé à personne. On n’enlève pas les gens comme
ça ! Il aurait pu commencer par m’offrir des fleurs et m’inviter au cinéma.

Basheera éclata d’un petit rire :

— Il était pressé et les traités de paix n’attendent pas.

— Eh bien, si je reste et que je deviens reine, je doute que mon papa soit d’accord.

L’autre femme laissa échapper un juron arabe que Emma ne comprit pas.

— Il est têtu comme d’autres personnes de ma connaissance. Rien de tout cela n’était prévu au
départ. Je pense que personne ne sait comment ça va se terminer, encore moins Munir.

— Comment ça ? demanda Emma qui léchait le miel sur ses doigts.

Elle rougit en songeant que Munir avait fait le même geste, la nuit dernière, mais pour lécher
un tout autre jus.
— Ce que je veux dire, ma reine, c’est que vous avez tous les pouvoirs ici. Faites-en bon
usage. L’avenir de nos deux pays est en jeu.

— Argh, grogna Emma en plongeant la tête dans un oreiller. Et sinon, je n’ai pas la pression,
n’est-ce pas, Basheera ?

— Pas aujourd’hui, répondit l’autre femme d’une voix plus robuste que le chêne du lit de
Emma. Aujourd’hui, vous aurez seulement besoin d’enfiler ça et de vous montrer prudente.

— Quoi ? Encore un sarouel ? Je vais faire la danse des sept voiles ?

Basheera étala sur le lit un pantalon beige, des bottes de cuir et un T-shirt.

— Non. Aujourd’hui, vous montez à cheval.

***

Munir avait toujours envié les précieux purs-sangs arabes du haras de son père. C’était une
passion que l’ancien cheikh entretenait depuis l’enfance. Il aimait les chevaux depuis qu’il s’était
enrôlé dans l’armée à l’âge de dix-huit ans, comme le voulait la coutume, surtout pour les membres
de la famille royale. Après tout, comme espérer gouverner un pays pour lequel on n’a pas versé le
sang ? En outre, l’ancien cheikh avait toujours été doué pour le dressage : il savait faire plier
n’importe quel animal rebelle.

Cependant, quand les chevaux étaient dressés, quand ils n’étaient plus des poulains, le cheikh
Shadid les couvrait de toutes les attentions : les animaux vivaient dans un environnement calme,
toilettés et pansés par les palefreniers aux petits soins. Il s’assurait de leur bonheur.

Il n’avait jamais vraiment réussi à faire la même chose avec ses fils.

Les chevaux que son père avait élevés étaient les plus véloces de Yoman, ou peut-être même de
cette partie de Moyen-Orient. Ils avaient gagné de nombreuses courses dans les environnements les
plus extrêmes du monde et leur lignée rapportait des millions. Les descendants de Secretariat, tout en
puissance et en beauté, étaient les plus prisés.

Il était en train de seller Jarid, après avoir retiré les peaux mortes et la sueur de son poil avec
une brosse, quand sa reine s’avança vers lui. Munir eut aussitôt l’impression que son pantalon avait
rétréci. La voir avait suffi à le faire bander. Il se décala légèrement, de façon à ce que son pantalon
camoufle son érection. Il l’aimait beaucoup, il était même fou amoureux de son tempérament de feu,
mais il ne voulait pas qu’elle sache qu’elle lui faisait tant d’effet. C’était effrayant. Cette personne
avait désormais tout pouvoir sur lui. Si elle finissait par le rejeter, il serait brisé.

Cependant, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que son pantalon de cheval épousait les
courbes de ses larges et ensorcelantes hanches, tout en soulignant la fermeté de ses mollets.

— Habbibi, es-tu prête à essayer ? demanda-t-il en empoignant la selle.

Il avait appris à monter de bien des manières mais, avec elle, il serait plus judicieux de
commencer à l’américaine, comme les cow-boys. Elle aurait moins de difficulté à tenir en selle.
Après tout, elle n’avait aucune expérience ! Il resta bouche bée et laissa tomber son matériel quand il
la vit se hisser sans effort sur le dos de sa monture, puis la faire marcher dans le manège, à cru, en la
dirigeant avec une simple bride.

— Je suis de Caroline du Nord, je vous prie, cher monsieur. Je passais mon temps sur les
chevaux d’une ferme voisine, avant notre déménagement à Washington. Voyons ce que tu as dans le
ventre.

Elle lui adressa de nouveau ce sourire coquin et espiègle qui allumait des feux d’artifice dans
ses yeux et rendait Munir fébrile.

Il l’avait bien cernée. Sa habbibi était une femme pleine de surprises.

***

Elle fit un galop d’essai sur les sables de la piste. Munir la suivit facilement sur un autre
cheval. La sensation de liberté était enivrante. Les bourrasques de vent qui ébouriffaient les cheveux
s’échappant de sa bombe, la bouffée d’adrénaline quand Jarib accéléra l’allure… Putain, et surtout
son cœur qui battait la chamade à chaque foulée de sa monture ! Elle n’était pas montée sur un cheval
depuis le lycée, mais elle avait toujours été douée. Elle avait même quelques prix pour le prouver. Le
dressage avait toujours été sa spécialité, la précision à l’anglaise et toutes ces choses-là, mais, le
week-end, c’était cross-country à la ferme de Louisburg.

Elle était aussi un putain de bon jockey.

Alors qu’ils chevauchaient, Munir la couvait d’un regard impressionné, comme s’il la voyait
pour la première fois. Au bout d’un moment, ce fut trop pour elle. Elle ralentit Jarib jusqu’à marcher
au pas et se retourna vers lui.

— Bon, quoi à la fin ?

— Comment cela ?

— Je veux dire, qu’est-ce que tu zyeutes ?

— Je crains de ne pas comprendre la question.

Bien sûr. Il ne connaissait probablement pas un mot d’argot ou de langage familier. Merde.

— Je veux dire : tu n’as pas à me regarder comme ça, précisa-t-elle en repoussant quelques
mèches folles glissées devant ses yeux. Je sais que je suis ronde, mais…

Il secoua la tête.

— Non, non ! Tu es tout ce que j’ai toujours voulu. Crois-moi quand je te dis que tu es belle, et
même exquise, Emma.

Elle battit des paupières. Elle l’aurait probablement embrassé, s’ils n’avaient pas été tous deux
montés sur des chevaux. Il l’appelait rarement par son prénom. Il l’avait fait exprès pour lui prouver
sa sincérité. Ce demi-dieu l’a trouvait sexy, et cela faisait fondre son cœur.

— D’accord, ça n’explique pas pourquoi tu as l’air si surpris.

— Je dois avouer que je ne savais pas que tu montais à cheval.

— Je suppose que tes dossiers ne sont pas complets.

— Ils sont basés sur ta vie à Harvard uniquement. Ta posture est impeccable, et ton assiette…
Je pensais simplement – comme dire ? – que tu étais une « fille d’intérieur ».

— J’étais une « fille coincée dans la bibliothèque », répondit-elle en caressant l’épaule de


Jabir. J’étudiais pour entrer à la fac de droit. Mais j’adore les chevaux, je les ai toujours aimés. Et
puis, je parie que je suis meilleure cavalière que toi.

Il eut un petit rire.

— Inutile de s’emballer.

— Non, c’est ce que je pense. Tu sais quoi ? On fait la course.

Munir arrêta brusquement son cheval.

— Ce n’est peut-être pas une bonne idée.

— Ah bon ? C’est un truc moyen-oriental ? Une roturière ne peut pas battre à la course le
puissant roi de Yoman ?

Munir éclata de rire – un grondement qui fit tressaillir les muscles de ses cuisses de la plus
délicieuse façon.

— Non, c’est juste que je suis très bon. J’ai battu des adolescents. Je préfère qu’on ne fasse pas
la course. Je n’ai pas envie d’humilier ma reine.

— Etrange, vu que tu m’as déjà enlevée et droguée. Un peu tard pour ne pas m’humilier.

Munir détourna le regard longtemps avant de répondre. Elle s’en voulut presque d’avoir dit
ça, mais la façon dont ils s’étaient rencontrés était inacceptable, et peu importait le plaisir qu’il lui
donnait ou les sentiments qui commençaient à naître dans son cœur.

Enfin, il la transperça de son regard noisette pénétrant, allumé de paillettes dorées et d’un
soupçon d’espièglerie.

— Il n’empêche que je ne pourrais pas me le pardonner si tu tombais.

— Ou bien tu ne veux pas admettre qu’une fille puisse te battre. Je comprends.

— Non, je…
Elle lui décocha un sourire coquin et pressa les talons dans les flancs de Jabir.

— Ecoute, le premier qui fait trois tours de piste à gagner. Si je perds, je te dirai tout ce que tu
as envie de savoir sur moi.

— Et si tu gagnes ? demanda Munir. Même si c’est impossible, car je vais te donner une leçon
d’équitation, mais imaginons – qu’est-ce que tu veux, habbibi ?

— La même chose. Je veux en savoir plus sur toi, dit-elle avant de lancer Jabir au galop en
gloussant. Ah, au fait, la course vient de commencer !

***

Munir pressa ses talons dans les flancs de son étalon et raffermit sa prise sur les rênes. Penché
comme un jockey sur l’encolure de sa monture, il la poussa vers l’avant, rattrapant Emma au passage
de leur premier tour de piste. C’était grisant. Quand il s’était mis en tête de rétablir la paix entre son
pays et l’Amérique, son temps libre s’était considérablement réduit. Il avait été forcé d’abandonner ce
qu’il aimait. Le vent battait ses cheveux et la poussée d’adrénaline à chaque virage serré… Tout cela
faisait pulser le sang dans ses veines.

Mais ce n’était rien à côté du spectacle qu’offrait sa sauvage habbibi. Sa chérie faisait la
course en tête. Ses seins rebondissaient sous sa chemise au rythme de sa monture. Ses cheveux
s’échappaient de sa bombe et volaient dans le vent. Il était soufflé de la voir si sauvage, si libérée. Elle
lui évoquait une déesse revenue à la vie : Diane chasseresse ou bien la dangereuse Kali.

Cependant, il refusait de la laisser gagner, malgré l’effet qu’elle lui faisait. Après tout, il
n’avait pas perdu une course depuis sa plus tendre enfance.

Pressant les flancs de sa monture, il fit claquer sa cravache.

— Yah, allez Madeira !

Le cheval partit ventre à terre, dans un triple galop qui fit s’entrechoquer les dents de Munir.
Ils s’approchèrent de la ligne d’arrivée. Emma fit claquer sa langue et s’allongea presque sur
l’encolure de sa monture pour se protéger du vent. Jabir, la star du haras de son père, accéléra
l’allure, jetant sur Munir et Madeira un nuage de poussière.

Son amour lui décochait déjà un sourire suffisant, ses yeux bleus pétillant avec espièglerie,
quand il mit pied à terre près d’elle. Ils attachèrent leurs chevaux et il la suivit en silence, inquiet à
l’idée de ce qu’elle pourrait lui demander. Il voulait être honnête avec elle, autant que possible. Même
s’il en savait déjà beaucoup sur elle, même s’il avait déjà deviné bien des choses à travers les
comptes-rendus de ses espions, Munir avait peur de se dévoiler à son tour. Verrait-elle ce que son
père avait vu ? Reconnaîtrait-elle en lui le petit garçon qu’il n’avait jamais cessé d’être, celui qui
jouait à être roi ?

Oh, Allah, faites qu’elle ne voie jamais l’imposteur qu’il était, assis dans le trône trop grand
de son père…

— Tu es bien silencieux, dit Emma d’une voix douce. Je crois que je t’ai battu de quelques
secondes, pas plus. Et puis, je n’avais jamais monté un cheval comme Jabir. C’est de loin le plus
rapide que je connaisse. J’ai eu l’impression de m’accrocher à un missile.

Munir sourit, fier de son étalon. Il avait lui-même monté Jabir en concourant pour la dernière
fois au nom de sa famille. Il avait laissé dans la poussière les meilleurs coursiers de Omaï.

— C’est vrai et je suis heureux pour toi. Te voir chevaucher, c’est un spectacle extraordinaire.

— Dans ce cas, qu’est-ce qui ne va pas ? dit-elle en mordillant sa lèvre inférieure.

— Ce qui ne va pas, c’est que je ne sais pas si j’ai envie de répondre à tes questions.

— Mais tu en sais déjà tellement sur moi ! Je parie que tes espions connaissaient même mes
céréales préférées et la marque de mes chaussettes !

— C’est vrai, mais cela ne veut pas dire que je te connais, toi. Ce ne sont que des aperçus de
ton âme sauvage, de ton passé et un peu de ton ambition, répondit-il en l’aidant à retirer sa bombe.

Il caressa ses cheveux. Ils étaient tellement beaux, aussi pâle et brillants que de l’or fondu.
C’était la première chose qu’il avait aimée chez elle. Elle était tellement différente des femmes de son
harem, ou même de toutes les femmes qu’il connaissait.

— Une personne ne tient pas toute entière dans un dossier.

— Mais certaines choses nous affectent tous, rétorqua-t-elle en lui prenant la main. Je sais que
nous venons juste de nous rencontrer et, encore maintenant, je ne suis pas sûre de savoir comment
tout ça va se terminer...

— Tu vas devenir ma reine.

— Un jour, je vais devoir rentrer à la maison. Tu sais bien que le traité ne marchera pas si je
reste ici. Mon père voudra déclarer la guerre. Et même si… On peut profiter du moment présent, au
moins. Putain, j’admets que j’ai bien profité de la nuit dernière.

Son accent changeait un peu quand quelque chose l’énervait ou, eh bien, lui plaisait beaucoup.
Il l’avait remarqué la nuit dernière, en lui donnant du plaisir. Quand elle avait crié son nom, il était
sorti déformé comme le cri des cow-boys à la télévision. Ce devait être l’accent de la Caroline du
Nord qui refaisait surface, de temps à autre.

— Dans ce cas, je me suis bien débrouillé.

— Tu sais très bien que tu es un dieu du sexe. Tu es beau, et puis je n’avais jamais eu un amant
aussi attentionné, ajouta-t-elle en déposant sur sa joue un baiser qui s’attarda sur les poils de sa barbe
– il avait remarqué qu’elle aimait bien sa barbe. Mais j’aurais aimé savoir pour ta mère.

Il s’immobilisa, dans l’espoir de repousser son chagrin. Sa mère était morte quand il était
enfant, emportée par une fièvre qu’elle avait contractée dans un autre pays. Quand elle était enfin
rentrée à la maison, la maladie avait déjà atteint un stade trop avancé. Même les meilleurs médecins
venus des Etats-Unis avaient été incapables de la sauver.
Quand il s’attardait sur ce souvenir, son chagrin lui mordait le cœur et le laissait tout étourdi.

— Il n’y a pas grand-chose à dire.

— Il y a beaucoup à dire. C’est pour ça que tu insistes pour que j’aie ma chambre, pour que je
me sente unique ? Si jamais on essaye, tu te contenteras d’une seule femme ? demanda-t-elle en
retirant sa main.

Loin de ses caresses, Munir se sentit soudain un peu plus seul, un peu plus froid.

— Je l’aimais et elle est tombée malade, puis elle est partie et il ne restait plus que moi, Kashif
et notre père. Après ça, il a renoncé à ses fils. Et Kashif était toujours le garçon parfait, celui qui a du
sang-froid et qui peut commander aux autres. Le guerrier. Mais il n’était pas légitime et, moi,
j’étais…

— Une déception ? demanda-t-elle.

— Peut-être, répondit-il en ravalant la bile amère qui montait dans sa gorge.

La gentillesse de sa reine n’était donc que cela. Elle ne voyait rien de spécial en lui, elle non
plus.

— Tu sais, je crois que c’est toujours difficile de répondre aux attentes d’un père. Entre nous,
je crois que je ferais une avocate merdique.

Munir cligna des yeux, brusquement tiré de ses idées noires.

— Pardon ?

— Je trouve dommage que ton père ne soit pas comme toi, gentil et attentionné, ou qu’il ne
soit pas capable de t’apprécier, ajouta-t-elle.

— Peut-être que je suis trop doux. Les traditions ont du mérite, et elles ont servi mon peuple
pendant un millier d’années.

— Et peut-être qu’il y a un moyen de mélanger ce que le Moyen-Orient et l’Occident ont de


mieux, répondit-elle en se levant pour détacher les rênes de sa monture. J’aimerais que ta mère puisse
te voir aujourd’hui. Je pense qu’elle serait très fière.

Il lui adressa un sourire éclatant, le cœur battant dans sa poitrine. Quand il se persuadait qu’il
ne pourrait pas l’aimer plus, elle faisait quelque chose d’extraordinaire et de touchant.

— J’espère que tu as raison. Je m’accroche à cette pensée quand je ne trouve plus de réponses
à mes problèmes. Emma ?

— Oui ? demanda-t-elle en montant sur Jabir.

— Qu’aurais-tu fait ? Admettons que je ne t’aie pas enlevée, et admettons que ton père te laisse
choisir… Qu’est-ce qui t’aurait rendue heureuse ?
Elle lui décocha un sourire coquin.

— Eh bien, je n’ai pas perdu cette course, Munir, et je n’ai pas à te répondre.

— Très bien, et moi je n’ai pas à t’expliquer de quelle manière nous allons pouvoir skier dans
le désert.

Les yeux de Emma s’écarquillèrent et elle fit un effort surhumain pour refermer la bouche.

— Quoi ?

— Oh, ma princesse, tu as tant à apprendre…


Chapitre Six
— Mon Dieu ! s’écria Emma en tournant plusieurs fois sur elle-même, alors qu’elle pénétrait
dans la station de sports d’hiver Ski Dubaï du Mall of the Emirates.

Rien ne semblait à sa place dans ce centre commercial. C’était l’endroit le plus vaste qu’elle ait
jamais visité. Combien de jours – ou de mois, putain – pourrait-elle passer ici avec ses amies sans
jamais retourner deux fois dans la même boutique ? C’était comme si tout ce dont elle avait jamais eu
besoin, et plus encore, se retrouvait au même endroit. Plus de sept cents magasins. Partout, les gens
s’affairaient, armés de cabas multicolores. Des mères serraient fort les mains de leurs enfants. Des
foulards exotiques, et parfois des hijabs, attiraient le regard de Emma parmi la foule. La station de ski
se trouvait en plein cœur du centre commercial. Une simple paroi vitrée la séparait de l’atmosphère
grouillante des boutiques. On entrait alors dans un tout autre monde. De fausses façades de chalets
alpins et des sapins factices toisaient les visiteurs.

Alors qu’ils s’approchaient de l’espace de location des skis, Emma poussa un cri de surprise.
Un pingouin venait de sauter d’un bassin partiellement recouvert de glace. Il atterrit aux pieds de son
soigneur et poussa trois cris pour réclamer un poisson, en guise récompense.

Elle tourna des yeux émerveillés vers son amant.

— Il y a un pingouin.

— Il y en a plusieurs, en fait. Il parait que les enfants les adorent.

— Je ne suis plus une enfant, mais wow, je ne pensais pas que ce serait comme ça.

Au-dessus de leurs têtes, des télésièges remontaient les skieurs en direction de quatre
montagnes différentes. Aussi étrange que cela puisse paraître, une tyrolienne descendait à côté d’une
des lignes de remontée mécanique. Des hommes et des femmes, leurs vêtements flottant à travers les
sangles des harnais, se laissaient emporter en hurlant.

— Ce n’est pas possible !

— Si, c’est possible. Je parie que tu pensais que nous volerions jusqu’aux Alpes, quand j’ai
parlé de ski.

Elle hocha la tête, acceptant les skis et les bâtons que lui tendait l’assistant. Bien sûr, Munir
avait apporté les siens de Yoman. Si seulement il avait choisi un sport où l’on porte moins de
vêtements…, pensa-t-elle égoïstement. Elle pouvait toujours baver devant ses entêtants yeux noisette
pailletés d’or, qu’elle devinait à travers son masque de ski, mais son corps superbe avait, lui, disparu
sous sa combinaison. Et c’était pourtant une combinaison particulièrement moulante et seyante.

Et s’il avait plutôt choisi un sport pratiqué en slip de bain ?

Bien sûr, elle était loin d’avoir un corps de plage, alors c’était peut-être pour le mieux. Tout le
monde avait l’air gros dans une combinaison de ski. Mais tout était si nouveau, si imprévisible… Elle
était descendue de l’avion dans une métropole bouillonnante d’activité et se retrouvait brusquement
dans un étrange paradis alpin. Au point où elle en était, Emma n’aurait même pas été surprise de voir
des elfes ou des bonhommes de neige surgir au détour d’une colline.

Ils avaient bien des pingouins, après tout.

Quand ils eurent terminé de se préparer, Emma chancela sur ses skis le temps d’attendre le
télésiège. Cette partie-là, ça irait. Etant débutante, elle s’imaginait déjà heurter un arbre factice ou,
pire encore, un autre skieur descendant une montagne (enfin, une fausse montagne). Mais se
pelotonner contre la poitrine solide de Munir et sentir ses bras autour de ses épaules ? Ça, elle aurait
pu le faire toute la journée.

Quand ils atteignirent le sommet, elle fut surprise de déboucher sur un plateau.

— Hein !?

— C’est la piste pour les débutants, habbibi. A moins que tu ne saches skier et que mes
dossiers ne se trompent encore une fois ? dit-il en lui décochant un sourire narquois.

Elle rougit, chassant les émotions contradictoires qui l’envahissaient. D’un côté, dès qu’il
évoquait son équipe et les hommes qui l’avaient enlevée, notamment Kashif, Emma ne pouvait retenir
une bouffée d’émotion. On aurait dit que Munir prenait tout cela à la légère, comme si quelques
blagues finiraient par effacer ce qu’elle avait vécu. Une partie d’elle lui en était reconnaissante. Son
enlèvement lui avait permis de rencontrer cet homme sexy, dominateur et pourtant si gentil qui était
devenu son amant. Son trophée. Une autre partie d’elle pensait encore à sa famille et pleurait à l’idée
de ne plus jamais revoir sa maison.

— Habbibi, ai-je dit quelque chose de mal ?

— Non, c’est juste que… c’est beaucoup pour moi, bidonna-t-elle. D’accord, je n’ai jamais
skié, mais je ne suis pas non plus une petite fille.

Emma montra du doigt un gamin qui ne devait pas avoir plus de cinq ans. Il skia sur quelques
mètres avant d’atterrir dans les bras de sa mère. Emme s’étonnait d’ailleurs de voir les femmes
arabes skier avec leurs foulards. N’était-ce pas dérangeant ? Ou même dangereux ? Elle était bien
contente que Munir accepte ses manières occidentales et ne lui dicte pas sa manière de s’habiller. Nul
doute qu’il en avait le pouvoir.

Il secoua la tête et, tournant ses skis vers la piste, dévala la pente à toute allure. En quelques
coups de bâtons, et avec un déhanchement énergique qui laissa Emma songeuse, Munir se retrouva en
bout de piste. Il se dirigea immédiatement vers le remonte-pente pour la rejoindre.

Il avait le sourire jusqu’aux oreilles. Oh, c’était donc ça…

Son propre éclat de rire la plia en deux.

— Je viens de te battre à la course, alors tu choisis un sport où je suis nulle. Je vois.


— Non, je voulais te montrer mon monde. Tant d’Américains pensent comme ton père… Ils
pensent que nous sommes des sauvages et que nous vivons sous des tentes avec des chameaux. Mon
monde est magnifique et, ça, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

— Il fait froid comme sur un iceberg. Ça, c’est sûr, dit-elle en frottant ses mains, glacées
malgré ses gants. Et puis, ce n’est pas ce que je pense de toi ou des pays voisins. J’aurais juste préféré
ne pas me faire enlever.

— Nous espérons tous que les choses se passent différemment, dit-il d’un air évasif.
Maintenant, laisse-moi te montrer comme on descend une piste. Tu vas adorer.

— Comment le sais-tu ? Et si je rentre dans quelqu’un ?

Il s’installa derrière elle et ses hanches se pressèrent contre les siennes. Emma s’empourpra en
pensant à ce qui s’était passé quelques jours plus tôt, à leur nuit d’amour, à la langue de Munir
plongée au plus profond de son intimité. Il n’avait donc pas choisi ce sport au hasard.

— Ecoute-moi bien, habbibi, tout est dans le déhanché…

S’il continuait de se frotter contre elle de cette façon, elle serait obligée d’acquiescer.

***

Munir était bien forcé d’admettre qu’il commençait à s’inquiéter : Emma s’était enfermée à
double tour dans le vestiaire de leur suite, au Grosvenor House. C’était assez ironique, en y
réfléchissant : Munir avait justement choisi cette chambre, entre tous les autres hôtels de luxe, pour sa
superficie. Quatre jours s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient fait l’amour ou, plus exactement,
depuis qu’il lui avait donné du plaisir. Munir sentait qu’ils se rapprochaient peu à peu. Ils faisaient
tomber les murs, l’un après l’autre, mais elle paraissait encore un peu nerveuse en sa présence. Il
avait toujours peur de dire ou de faire quelque chose de mal, ce qui aurait anéanti leurs progrès
balbutiants. Cette suite leur permettait d’avoir un peu d’intimité. Ils partageaient le lit, bien entendu,
mais elle avait son espace. Il voulait qu’elle se sente à l’aise, libre de se reposer de lui. Bien sûr, les
circonstances de leur rencontre n’étaient pas très conventionnelles, mais l’adoration qu’il lui portait
était réelle. C’était un élan pur et sincère qui les poussait l’un vers l’autre.

Emma avait juste besoin de s’en rendre compte.

Tout de même, ils avaient fini de dîner depuis une heure, et Munir commençait à s’inquiéter. Il
avait dû dire quelque chose de mal, ou bien elle était malade. Peut-être que les escargots n’étaient pas
à son goût. Se préparant au pire, il frappa à la porte.

— Habbibi, tu vas bien ?

— N’entre pas ! s’écria-t-elle.

Il cligna des yeux, maintenant inquiet de l’avoir embarrassée.

— As-tu besoin d’aide ? Le dîner n’était-il pas agréable ?


Elle soupira de l’autre côté de la porte.

— Ce n’est pas… C’est ridicule.

Munir tourna la poignée et passa la tête par l’entrebâillement de la porte. Si sa bien-aimée était
malade, il devait l’aider. Mais ce qu’il vit à l’intérieur du dressing le fit finalement saliver. Emme
avait revêtu les voiles traditionnels du harem. Différentes étoffes colorées s’enroulaient avec art
autour de son corps : mauves, corail, turquoise... Le voile principal était particulièrement fin, presque
transparent, et couvrait son visage, son corps, les sequins qu’il distinguait à peine à sa taille,
jusqu’aux bracelets à ses chevilles.

Des voiles, il y en avait sept.

Sept carrés de soie fine, très différents, mais composant ensemble un charmant tableau.

Même les yeux de Emma étaient mis en valeur à travers la fente du voile, soulignés d’un épais
trait de khôl, les cils redessinés au mascara. Ses pupilles semblaient encore plus bleues, comme des
saphirs étincelant dans la nuit du désert.

Elle s’empourpra et détourna le regard.

— Je sais, j’ai l’air bête. C’est juste que… Basheera m’a enseignée la danse des sept voiles, et
je pensais, eh bien, que je pourrais te montrer que je fais des efforts.

— Des efforts ? demanda-t-il.

Ne remarquait-elle pas que sa voix s’était réduite à un grondement sourd ? Et que dire de la
tente entre ses cuisses ?

— Que j’essaye de comprendre, que je m’intéresse à ta culture…, dit-elle en fronçant les


sourcils et en retroussant les lèvres d’un air délicieusement coquin. Je ne comprends toujours pas
l’enlèvement, mais je sais que les autres femmes du harem ont déjà fait la danse.

— Basheera a peut-être été trop loin. Oui, elle et d’autres femmes du harem ont dansé pour
mon père, mais je ne te demanderais jamais ça. Cela dit, habbibi, je doute qu’une autre femme puisse
rendre le spectacle aussi envoûtant que toi.

Elle rougit et, amadouée par ses compliments, sortit du vestiaire. Son sourire se fit plus
charmeur, plus audacieux, et elle passa le bout de sa langue sur ses lèvres. Posant son iPod – un
cadeau de Munir – sur une console, Emma appuya sur quelques boutons et bientôt la musique, un riff
du vieux film « Salomé », envahit la chambre de ses flûtes et de ses castagnettes.

Munir s’enfonça confortablement dans un fauteuil. Elle se contenterait d’abord de lui faire
deviner ses appâts, et il le savait. Le plus grand voile la couvrait comme un manteau. Pendant
quelques secondes, elle se déhancha, légère sur le bout de ses pieds. Enfin, elle laissa tomber le
premier voile – un éclat de lumière lavande qui tourbillonna à ses pieds sur le tapis. Sous la soie fine,
elle portait un bijou de tête, semblable à une couronne, sur lequel brillaient des diamants. Le sixième
voile était plus épais et d’une éclatante couleur dorée. Il se drapait comme une toge autour de ses
hanches. Elle tourna sur elle-même comme une toupie et, quand son épaule gauche passa devant
Munir, elle laissa le voile tomber au sol d’un coup de reins.

Encore cinq…

Les derniers voiles la couvraient de façon plus créative, plus provocante encore aux yeux de
Munir. Une brassière piquée de strass dissimulait son ample poitrine. Deux carrés de soie accrochés à
ses épaules se balançaient au rythme de sa danse. Munir fut impressionné par la maîtrise de Emma :
ils tombaient si bas qu’ils semblaient prêts à se décrocher à tout moment. Elle s’en saisit par les coins
et les agita comme des ailes. Elle dansait avec une grâce que sa chevauchée sur le dos de Jabir avait
déjà laissé deviner. Elle tourna sur elle-même comme une toupie, à une telle vitesse qu’il crut la voir
s’envoler. Le tempo de la musique se fit plus rapide, plus brusque, les percussions plus animées,
comme le battement du cœur de Munir.

Emma laissa tomber ses ailes sur le sol, dévoilant son ventre sur lequel dansaient les sequins
de sa brassière. Munir ne put s’empêcher d’humecter ses lèvres, embrassant du regard le spectacle de
sa peau pâle, de son nombril et de ses seins, dénudés pour son plaisir. Son bassin ondulait à un rythme
hypnotique.

Le troisième voile, une bande de soie beige, était enroulé autour de sa taille comme une
ceinture. En tournant sur elle-même, elle s’en défit, le drapa un instant sur ses épaules, avant de le
laisser voler jusqu’au tapis. Il ne lui restait plus que deux longs voiles accrochés à sa culotte piquée
de strass. Ils étaient plus légers que les précédents et s’envolèrent quand elle tourna à nouveau sur
elle-même. Munir sentit qu’il salivait et que sa queue réagissait brutalement à la vue de ses seins, de
son ventre et de ses cuisses.

Emma se défit des deux derniers voiles et termina sa danse renversée sur le tapis, les mains
levées vers le plafond.

Il bondit sur ses pieds et ne put s’empêcher d’applaudir avec force, même s’il était le seul
spectateur.

Elle était un don, sa déesse, si pleine de surprises.

Emma restait toute essoufflée, ses cheveux en bataille, ses lèvres délicieusement entrouvertes
pour mieux reprendre sa respiration.

— Alors, tu as vraiment aimé ?

— Non, j’applaudis par politesse, répondit-il d’un ton sarcastique.

Il lui tendit les mains et l’aida à se relever.

— Habbibi, je n’ai jamais vu les femmes du harem de mon père danser mieux que toi. En fait,
je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi érotique et merveilleux.

L’effort et la gêne enflammèrent son visage. Elle détourna ses jolis yeux bleus.

— N’exagérons rien…
Il la prit dans ses bras et la serra contre sa poitrine, puis il caressa son menton du bout de son
index.

— Mon amour, Emma, je ne te mentirais jamais. Tu es la femme la plus sensationnelle que je


connaisse. Tu es toujours prête à tout. Et je ne connais rien de plus attirant que ces belles hanches,
poursuivit-il en faisait glisser ses doigts sur son corps. Tu es faite pour la danse du ventre.

Elle secoua la tête et tapota ses courbes.

— Dans ce cas, je suppose que mon gras sert à quelque chose.

Il prit d’assaut ses lèvres, furieux contre la culture barbare qui l’avait vue grandir, contre cette
Amérique qui lui avait fait croire qu’elle n’était pas désirable. Munir se promit de passer le reste de
leur relation à lui faire apprivoiser son propre corps, à briser dans sa tête les canons de beauté
occidentaux qui prétendaient qu’une femme belle ne pouvait être que mince et plate de partout.

Comme ils étaient sots…

— Tout cela t’appartient et fait partie de toi. Et tu es tout ce que j’ai toujours voulu.

Elle lui adressa un sourire coquin et, à son grand déplaisir, s’échappa d’entre ses bras. Elle se
déhancha jusqu’à la salle de bain, comme elle l’avait fait pendant la danse des sept voiles, et
s’accouda d’un air séducteur contre la porte. Son sourire s’élargit. Sa fille de Caroline du Nord était
bien plus coquine, bien plus chipie qu’elle-même ne le savait.

De son index recourbé, elle lui fit signe de s’approcher, accompagnant l’invitation d’un
murmure sensuel :

— Tu sais, il y a un Jacuzzi de la taille d’une piscine là-dedans…

Il sourit et retira son T-shirt, ne gardant sur lui que son pantalon de coton. Il la contourna et
actionna la commande pour remplir le Jacuzzi d’eau chaude, puis se glissa dans la baignoire. Sous
ses yeux, Emma ne reprit pas sa danse, mais elle se trémoussa lentement en retirant sa brassière et sa
culotte piquées de strass, gardant seulement son bijou de tête. Elle se débarrassa même de ses colliers
et de ses bracelets de cheville, abandonnés sur les dalles de la salle de bain.

Munir attendit un peu avant de lancer les jets : le niveau de l’eau était encore trop bas et lui
arrivait aux hanches. Cependant, le spectacle était plus que distrayant. Sa habbibi dansait encore pour
lui.

***

Emma n’était pas sûre de savoir ce qui lui avait pris. Quand Basheera avait insisté pour lui
apprendre la danse des sept voiles avant son départ pour Dubaï, Emma l’avait fait pour lui faire
plaisir uniquement. Si cela pouvait la rendre heureuse et, surtout, la convaincre de cesser de
l’importuner avec ça… Même quand les voiles s’étaient retrouvés dans sa valise, elle n’avait jamais
envisagé d’essayer. Finalement, le ski avait été si romantique : les conseils patients de Munir, la
proximité de leurs deux corps, puis ce fantastique dîner… Elle avait voulu faire quelque chose pour
lui, elle aussi.
A présent, elle se tenait nue devant lui et le laissait contempler son corps comme jamais
auparavant, même quand ils avaient fait l’amour dans sa chambre, au clair de lune. Non. Sous les
néons crus de la salle de bain, il la voyait tout entière, avec ses imperfections, et c’était important. Il
devait l’accepter comme elle était. Emme regarda l’eau monter jusqu’à recouvrir son sexe en
érection, cachant le glorieux spectacle de son désir pour elle. Elle se balança au rythme d’une
mélodie qu’elle était seule à entendre, laissant courir ses mains sur ses seins.

— Tes tétons, je veux les voir se dresser pour moi, habbibi, commanda-t-il.

Elle n’eut pas besoin d’encouragements supplémentaires. Ses yeux rivés dans ceux de Munir,
Emma pinça délicatement le téton de son sein droit. Il ne fut pas difficile de le stimuler, pas quand
Munir la regardait avec ces yeux-là, en se mordillant la lèvre et en se caressant sous la surface de
l’eau. Tandis que sa main droite jouait avec son téton, elle laissa la gauche s’aventurer d’un air
séducteur sur son ventre. Ses doigts s’arrêtèrent à la limite de son joli buisson.

— Non, plus bas, dit-il. Je veux te voir te caresser.

Avalant sa salive avec gène, elle hocha la tête et plongea ses doigts dans sa toison. Munir prit
une inspiration sifflante et elle sentit son sexe mouiller. Elle écarta délicatement ses grandes lèvres,
caressant en cadence ses replis intimes. Après l’effort qu’elle avait fourni pendant la danse, ses doigts
étaient chauds. Il était agréable de les glisser là – pas aussi agréable, peut-être, que ne l’aurait été la
main solide de Munir, mais cela avait son effet.

— Plus, donne-moi plus, mon amour ! ordonna-t-il.

— Oui, mon cheikh, ronronna-t-elle sans le quitter des yeux, hypnotisée par son regard que le
désir rendait plus doré encore.

Sa main droite jouait encore avec ses seins, en suivant du bout du doigt les contours de ses
auréoles. La gauche trouva son clitoris et s’attarda sur le petit nœud de nerfs. Son désir trempait ses
doigts et elle faillit tomber à genoux quand ses jambes faiblirent.

— Oh mon Dieu ! s’écria-t-elle, fascinée par le regard que son amant posait sur elle et excitée
en pensant à l’activité qui pourrait suivre ses caresses.

Le grondement des jets la tira de son émerveillement. Elle laissa tomber ses bras le long de
son corps et jeta aux bulles un regard mauvais. Ses lèvres se retroussèrent d’un air déçu quand elle
réalisa qu’elle ne voyait plus la queue de Munir sous les vaguelettes.

— Et maintenant, que vas-tu faire, ma bien-aimée ? susurra-t-il.

Elle humecta ses lèvres et se glissa dans l’eau, avant de s’étendre sur la poitrine musclée de
Munir. Elle s’abandonna dans son étreinte. Enfin, elle se pencha et l’embrassa. Emma s’attarda sur sa
lèvre inférieure, puis mordilla ce menton solide dont Superman lui-même aurait pu se vanter. Les
poils de sa barbe lui chatouillèrent la langue et elle se mit à glousser.

— Et maintenant, mon cheikh ? Maintenant, c’est vous que je caresse.


Il sourit et effleura la pointe de ses seins, lui arrachant un gémissement de plaisir. Décidément,
les fantasmes de son imagination ne valaient pas l’original.

— L’idée me plait beaucoup, habbibi.

Elle changea de position pour être plus à l’aise, puis fit descendre ses doigts sur les muscles
de son ventre, qu’elle eut soudain très envie de lécher. Elle se pencha et sa langue trouva le relief de
ses abdominaux. Le goûter seulement fit frémir ses parties intimes. Ses doigts poursuivirent leur
descente, toujours plus au sud, en suivant la ligne de poils qui menait à son érection.

Quand elle eut atteint son sexe, elle fit rouler ses testicules entre son pouce et son index. Sa
main droite se referma sur sa queue et le bout de sa langue perça entre ses lèvres pour le goûter.
Malgré l’eau du bain, elle sentit l’arôme du musc – ce parfum viril qui définissait Munir.

Il poussa un grognement et ses yeux roulèrent vers le ciel.

— Ça ne se fait pas, d’allumer un homme comme ça, habbibi.

— Il y a bien des choses qui se font, dit-elle en enroulant sa langue autour de son gland.

A son grand plaisir, la queue frémit sous ses efforts. Ses doigts roulèrent de plus belle sous
ses testicules. Elle sentit tout son corps se tendre sous ses caresses. Elle décida alors de le soulager et
prit son sexe tout entier dans sa bouche. Son contact l’électrisa et elle le suça avec énergie. Il se
contracta sous elle. Il ne tiendrait plus longtemps.

Elle ralentit l’allure, juste un instant, malgré la fatigue de sa mâchoire, quand les doigts de
Munir caressèrent ses tétons, mais elle se reprit immédiatement, rendue folle par la parfum de sa
queue. Elle la sentit alors – cette brusque contraction, puis le déferlement de sa semence dans sa
gorge. Elle avala goulûment, avec un bonheur qu’elle n’avait jamais ressenti avec ses précédents
amants.

Non, attendez – ils n’avaient jamais vraiment été des amants.

Seulement des gamins avançant à tâtons dans le noir.

Munir était son premier véritable amant, le seul capable de la faire jouir avec tant de force.

Elle termina d’avaler et se redressa vers lui, heureuse de le laisser jouer d’une main avec son
sein et de l’autre avec les grandes lèvres de son sexe.

— Je t’aime, habbibi, souffla-t-il contre son cou. Ne l’oublie jamais.

— Je sais, dit-elle en soupirant. J’aimerais que ce soit le plus important, mais nous venons de
deux mondes très différents.

Il repoussa les mèches humides qui tombaient devant ses yeux.

— L’amour triomphe toujours, ma bien-aimée. Toujours.


***

Munir fredonnait un air en s’approchant du comptoir. Il avait laissé Emma dormir à l’étage. Il
aurait pu passer un coup de téléphone pour organiser sa surprise, mais il avait préféré descendre en
personne à l’accueil de l’hôtel, pour être bien sûr qu’elle n’entende rien. Sa habbibi se comportait
parfois comme un petit chiot, toujours curieux de tout. En se réveillant un peu plus tôt ce matin-là,
Munir en avait profité pour descendre lui chercher le meilleur petit déjeuner possible. Ils mangeraient
ensemble sur le toit. Il voulait qu’elle voie le soleil se lever sur Dubaï.

Alors qu’il attendait au comptoir que le manager s’occupe de tout, son téléphone sonna. Munir
fouilla précipitamment les poches de sa tunique, mais fronça les sourcils en voyant le nom de son
père affiché sur l’écran, au lieu de celui de sa bien-aimée. L’ancien cheikh n’était plus officiellement
au pouvoir, mais ça n’empêchait pas Munir de craindre son autorité. Il aurait été stupide de rejeter
l’appel. Avec un soupir, Munir décrocha :

— Père, qu’y a-t-il ?

— Tu as emmené notre otage en vacances à Dubaï ?

— Ce n’est pas notre otage, siffla-t-il.

Levant le doigt pour faire signe au manager de patienter, il s’éloigna dans un coin plus
tranquille.

— Mon fils, tu te ramollis. Non, je corrige, poursuivit son père. Tu as toujours été mou. Tu ne
comprends rien à la politique ou aux jeux de pouvoir. Tu tombes amoureux de notre monnaie
d’échange. J’aurais peut-être dû laisser Kashif s’occuper du traité. Tu n’as jamais été fait pour ça. Tu
n’as jamais eu les compétences de ton rang.

— Je rentre à la maison dans quelques jours. Nous en discuterons à ce moment-là et nous


trouverons la meilleure façon de négocier avec le sénateur, je vous le promets.

— Tes promesses sont bien vides. Mon fils, ce que je m’apprête à faire ne me fait pas plaisir.
Au contraire, ton échec m’attriste.

L’appel se termina sur un bip qui fit tambouriner le cœur de Munir contre sa poitrine. Il
adressa quelques mots évasifs au manager, en promettant de revenir bientôt. Il fila vers les ascenseurs
et appuya frénétiquement sur le bouton d’appel, puis sur celui du dernier étage. Mais pourquoi fallait-
il que cet ascenseur soit si lent !? Quand il fit irruption, enfin, dans sa suite, ses craintes se trouvèrent
confirmées.

La porte était entrouverte et la pièce sens dessus dessous.

Et sa habbibi était partie.


Chapitre Sept
Emma s’éveilla et s’étira. Elle laissa courir sa main de l’autre côté du lit. Malheureusement,
ses doigts ne rencontrèrent que du vide. Elle se redressa, clignant des yeux devant les premiers rayons
du soleil. De l’autre côté de la fenêtre, une lumière orangée caressait les sables du désert derrière
l’étendue des gratte-ciels. Ce spectacle ne fit que lui rappeler combien elle était loin de son pays.
C’était à la fois beau et étrange, même bouleversant, mais ce n’était pas chez elle. Un jour, peut-être,
ça le deviendrait, et cette pensait ne lui tordait plus l’estomac d’horreur. Au contraire, elle la
considéra avec calme. Le désert qui s’étendait aux pieds de Dubaï était beau et, pourtant, les dunes de
sable de Yoman étaient plus belles encore, si c’était possible.

Pour la première fois depuis son arrivée au Moyen-Orient, Emma s’imagina tout quitter pour
vivre le grand amour avec Munir. La nuit dernière, elle n’avait pas réussi à lui dire qu’elle l’aimait,
mais elle l’avait dans la peau, elle le sentait. Elle ne pouvait tout simplement plus se mentir à elle-
même.

Emma se redressa et chercha ses vêtements. Elle s’était peut-être contentée de voiles la nuit
dernière, mais c’était pour une occasion spéciale. Elle enfila une paire de jeans et un top fluide de
couleur corail. Munir reviendrait bientôt, après tout, et elle était curieuse de savoir quelle surprise il
était en train de lui préparer. En plus, elle n’avait pas encore tout visité, à Dubaï.

Moins de vingt minutes plus tard, du bruit attira son attention derrière la porte de leur suite.
Etonnée, elle quitta le divan et vint jeter un coup d’œil par l’œilleton.

— Tu as oublié ta clé, mon cheikh ? demanda-t-elle.

Un coup violent lui répondit et elle recula d’un pas. Trois coups de plus et la porte trembla sur
ses gonds avec tant de force que Emma crut la voir céder. Elle se jeta sur son téléphone portable. Elle
était sur le point d’appeler Munir à l’aide quand la serrure vola en éclats. Quatre hommes vêtus de
noir et masqués de cagoules surgirent en brandissant des fusils automatiques. Le cinquième, derrière
eux, ne portait qu’un simple treillis. Il lui adressa un sourire mauvais et bien trop familier.

— Kashif ! s’écria-t-elle en reculant dans un coin de la pièce.

Elle leva son téléphone, comme pour tenter de l’arrêter.

— Qu’est-ce que vous foutez là ?

— Ordres de mon père. On te loge de façon trop confortable, chienne d’Américaine.

Il leva sa main, sur laquelle on apercevait encore la trace violette des dents de Emma.

— Crois-moi, tout le plaisir est pour moi. Tu fais moins la maligne, maintenant, salope.

Emma secoua la tête et poussa des hurlements, quand les hommes s’avancèrent. Elle tenta de
les repousser à coups de pied mais n’atteignit jamais, à l’aveuglette, leurs jambes ou leurs bras. Ils
évitèrent sans grande difficulté ses rebuffades, la saisirent par les poignets et l’immobilisèrent. Elle se
débattit, poussant une bordée de juron, mais en vain. La suite couvrait l’intégralité du dernier étage.
Elle n’avait pas de voisins et les employés du ménage ne venaient jamais si tôt le matin. Non, elle était
seule.

Kashif la toisa d’un air menaçant. Il leva son fusil automatique et la frappa au menton d’un
coup de crosse. Elle cligna des yeux, sonnée par la douleur, cent fois plus violente que la dernière
fois – sans parler du fait que sa mâchoire ne s’était pas entièrement remise du coup précédent. Elle
lutta pour rester consciente, s’agitant entre les bras qui la traînaient, mais sa tête dodelina…

— Tu ne t’en tireras pas comme ça !

Kashif sourit, révélant une dentition abîmée. Décidément, il était aussi odieux et détestable que
son frère n’était désirable.

— On s’en tire déjà.

Là-dessus, elle perdit connaissance.

***

Quand elle se réveilla, elle avait été mise aux fers. Un bracelet métallique, épais et hideux, la
retenait enchaînée au mur. Il était si étroit et inconfortable qu’elle avait la peau toute écorchée. Le
donjon – il n’y avait pas d’autre mot pour décrire cet endroit – se réduisait à trois parois de pierre
froide et grise d’un côté, des barreaux de l’autre, entre lesquels passaient quelques rats. Des lézards
disparaissaient dans les fissures. Seule une fenêtre, percée très haut dans la pierre, laissait passer
quelques rayons de soleil, mais la lumière éclatante de Yoman ne suffisait pas à éclairer la petite
cellule.

Immédiatement, les larmes se mirent à couler. Emma sentit les battements de son cœur
s’accélérer. Elle eut la chair de poule et se recroquevilla sur elle-même, secouée de tremblements.

— Mon Dieu, Munir, où es-tu ?

— Il ne te trouvera pas ici. C’est une ancienne citadelle de notre armée. Je ne suis pas assez
stupide pour t’enfermer dans le palais.

Elle cligna des yeux dans l’obscurité, découvrant la silhouette de Kashif.

— Pourquoi vous me faites ça ? Vous ne pouvez pas me tuer, je le sais. Vous avez besoin de
moi pour négocier avec le congrès américain. Si quelque chose devait m’arriver, mon père se
débrouillerait pour déclarer la guerre à Yoman. Et, franchement, à part Munir et Basheera ? Bon
débarras, putain.

Kashif éclata de rire, entortillant autour de son index les poils de sa barbe. Elle était si longue
et emmêlée que Emma n’aurait pas été surprise de voir de la vermine en sortir. Comment pouvait-il
sortir du même patrimoine génétique que Munir ? Comment était-il possible que l’un soit un ange
vengeur et l’autre un monstre ?
— Ça n’arrivera pas. Tu joueras ton rôle, chienne d’Américaine, et tu retourneras aux Etats-
Unis, où est ta place.

— Quand j’ai essayé de vous frapper, je vous ai touché, mais j’ai surtout eu de la chance. Et je
vous ai mordu. Je ne comprends pas pourquoi vous me détestez tant.

Il secoua la tête, mais elle remarqua qu’il cachait sa main blessée derrière son dos.

— Je déteste ton pays et ton peuple, et tout ce que vous représentez. Vous êtes frivoles et
paresseux. Regarde tes bourrelets. C’est la maladie de ton pays. Les Américains se goinfrent pendant
que mon peuple souffre de la faim et de la guerre. Je ne te déteste pas, Emma. Non, ce que je déteste te
dépasse.

Elle fronça les sourcils. C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom. Le mot sonna
bizarrement sous sa langue. Il retroussa ses lèvres en le prononçant, comme s’il s’agissait en réalité
d’une plaisanterie cruelle.

— Qu’est-ce que vous détestez, dans ce cas ? croassa-t-elle.

— Je ne te déteste pas en tant que personne, je ne te connais pas. Non, je déteste tout ce que tu
représentes, l’endroit d’où tu viens, ta culture. Tu ne mérites pas le luxe que mon frère t’a offert dans
un moment d’égarement. Et tu ne mérites pas d’imaginer seulement devenir reine. Je te tuerais de mes
propres mains plutôt que de voir une infidèle sur le trône de mon pays.

— Je ne veux pas du trône. Une partie de moi aime Munir… J’aurais préféré le rencontrer en
d’autres circonstances, mais le trône de Yoman ne m’intéresse pas.

— C’est mieux ainsi, dit-il en reculant entre les ombres. Le meilleur rôle qu’on puisse
t’attribuer ici, c’est celui de la prisonnière la plus précieuse de Yoman.

Il fila sur ces mots, non sans jeter à Emma un dernier coup d’œil lascif. Elle frissonna et
ramena ses bras sur sa poitrine pour couvrir ses épaules. Il y avait quelque chose d’inquiétant et de
malsain dans ce regard. Elle redouta ce qui pourrait se passer si Kashif revenait et s’il décidait de
franchir les barreaux.

Rien ne bon n’en sortirait.

Les larmes coulèrent sur ses joues et, malgré ses efforts pour se retenir, Emma laissa
échapper quelques gémissements.

— Oh, Munir, où es-tu ?

***

— Père, il faut qu’on parle. Immédiatement ! ordonna Munir en faisant irruption dans les
appartements de l’ancien cheikh.

Le vieillard était assis sur son séant, sous la couverture de son lit. Des tuyaux en plastique le
reliaient à sa bombonne d’oxygène. Malgré sa faiblesse, il avait retrouvé ses airs hautains. Il
s’appuyait contre la tête de lit, le menton levé avec autorité. Munir reconnut en lui le géant qui l’avait
battu à chaque incartade quand il était enfant. C’était ce cruel despote qui avait organisé l’enlèvement
de Emma. Cette fois, Munir ne le laisserait pas faire. C’est lui, le cheikh, à présent.

Il n’était plus un gamin.

Et il sauverait sa habbibi.

— Mon fils, tu sembles soucieux.

— Vous savez très bien ce qui me bouleverse. Je suis rentré aussi vite que possible quand j’ai
compris que Kashif avait enlevé Emma.

— Tu avais l’intention d’épouser une femme occidentale.

— J’ai l’intention d’épouser la femme que j’aime et de faire d’elle ma reine !

Son père retira les tubes de son nez et secoua la tête.

— Et je t’ai déjà expliqué qu’elle doit se contenter de jouer son rôle. Son père signera le traité,
et Yoman sera protégé. Quand tout sera terminé, nous la mettrons dans un avion pour l’Amérique.

— Je l’aime.

— Tu es mou. Si Kashif n’avait pas été illégitime, c’est lui que j’aurais choisi pour me
succéder. Ce n’est peut-être pas trop tard. C’était une erreur d’abdiquer en ta faveur. J’ai encore de la
force.

La fureur étreignit le corps de Munir et il se jeta sur son père, sans s’embarrasser cette fois de
la politesse. Ce n’était plus le moment d’être respectueux. Il referma ses doigts sur la gorge de son
père et se réjouit de le voir écarquiller les yeux. Le vieillard pâlit de façon significative. Des gardes
surgirent dans la pièce, mais Munir secoua la tête.

— Je ne vais pas le tuer. Il n’en vaut pas la peine. De toute façon, c’est moi le cheikh de Yoman.
Tout a déjà été décidé. Cet homme n’est plus qu’une coquille vide.

— Mon fils…, gargouilla son père.

Munir serra plus fort et, peut-être pour la première fois de sa vie, son père fut obligé de se
taire.

— Non, vous me faites la leçon depuis trente ans. J’en ai marre. Maintenant vous allez
m’écouter.

Son père se contenta de hocher la tête pour l’apaiser. Trop tard.

— Tu as douze heures pour me la rendre, ou je signerai n’importe quel traité avec les
Américains, celui qui leur conviendra le mieux, mais si cela signifie faire de Yoman une colonie
américaine ou bien les laisser détruire ce palais.
Son père écarquilla les yeux d’horreur, mais Munir poursuivit :

— Et si tu ne me l’as pas rendue d’ici vingt-quatre heures, eh bien, je ne vais pas te tuer. Je ne
suis pas comme toi ou Kashif, et je ne pense pas que vouloir éviter les meurtres soit une faiblesse. Au
contraire, c’est une force. Mais je n’ai pas besoin de te tuer pour te détruire. Je me contenterai de
t’enfermer dans une chambre, sans le luxe auquel tu es habitué. Tu ne seras plus qu’un vieillard
solitaire sous oxygène, comme les personnes âgées qu’on laisse mourir dans les maisons de retraite
aux Etats-Unis. Tu comprends ? Tu pourriras dans la solitude. C’est sûrement le sort que tu réservais
à Emma.

Son père hocha la tête et prit de faibles inspirations sifflantes quand Munir le lâcha.

— Tu l’auras bientôt.

— J’y compte bien, sinon je mets Yoman à feu et à sang.

***

Basheera secoua la tête en voyant Munir entrer dans la salle à manger. Il n’avait rien avalé
depuis dix heures – soit depuis la disparition de Emma. Même s’il avait l’estomac noué par l’anxiété,
il ne put s’empêcher de se jeter sur les petits pains au miel et aux dattes. Il n’aurait pas les idées claires
s’il se goinfrait de sucre et son amie lui adressa un regard de dédain.

— Tu es un sot, Munir.

— Je n’allais pas le tuer et j’ai fini par le lâcher. Basheera, je sais que tu as encore des
sentiments pour mon père, mais ce qu’il a fait est cruel.

Elle secoua la tête.

— Shadid a été trop loin, cette fois, et je l’aime assez pour savoir le reconnaître. Il s’est
montré encore plus sot que son fils. Voilà ce que je voulais dire.

— Alors, tu savais que je ne le tuerais pas ?

— C’est ce que j’espérais quand les rumeurs ont commencé à circulé sur ce qui était en train
de se passer. J’ai toujours su qu’il y avait quelque chose de plus chez toi – une noblesse de cœur que
Yoman n’a plus connue depuis des décennies. J’espère que cela t’aidera à apporter la paix dans notre
pays troublé.

— Alors pourquoi secoues-tu la tête ? demanda-t-il en levant vers elle des yeux interrogateurs.

— Parce que tu aurais pu être plus subtil. Shadid avait besoin de comprendre qu’il n’est plus
roi. Il n’a plus aucun pouvoir et je suis fière de toi, mon enfant, poursuivit-elle en le prenant dans ses
bras.

Il répondit à son étreinte. Sa mère était morte depuis longtemps. Basheera l’avait élevé et il lui
en était reconnaissant. Les femmes de harem n’étaient pas toujours aimables. Souvent, la jalousie et
l’ambition les poussaient à s’intéresser uniquement au cheikh. Après tout, la mère de Kashif haïssait
Munir avec la même force que son fils. Elle avait toujours trouvé des excuses pour le battre quand il
était plus jeune. Basheera ne s’était jamais comportée de cette façon. Restée sans enfant, elle était
devenue la mère adoptive dont il avait eu désespérément besoin dans sa jeunesse, et il avait une dette
de cœur envers elle.

— Merci, Basheera. Ton opinion compte beaucoup pour moi.

— Alors je suis déçue de ne pas t’avoir mieux élevé. On peut être subtil dans la victoire.

— C’est-à-dire ?

— Tu n’avais pas besoin d’attendre douze heures. Et tu peux agir dès maintenant.

— Comment ça ?

Basheera sourit et porta deux doigts à ses lèvres pour siffler. Naseem entra à son tour dans la
salle à manger, officiellement pour apporter le plat principal, de l’agneau, mais Munir connaissait
assez bien Basheera pour se méfier des apparences. Cette femme avait toujours un coup d’avance. Si
les choses s’étaient déroulées différemment, elle aurait été une mère formidable pour un futur cheikh.
Avec Munir, elle y était un peu arrivée.

Le vieil homme leva à la fois sur son maître son œil valide et celui que barrait une cicatrice
laiteuse. Devant le regard interrogateur de Munir, il sourit.

— Mon seigneur, n’oubliez jamais qu’il est très utile d’avoir des espions partout.

Munir cligna des yeux, désorienté.

— Mais je n’ai pas d’espions, pas vraiment. J’ai hérité de l’équipe de mon père. C’est Kashif
qui les commande. Nous savons tous les trois qu’ils sont prêts à me trahir.

Naseem sourit, et son nez d’aigle parut encore plus acéré.

— Basheera et moi, nous vous sommes fidèles, à vous et à Emma. Elle vous fait du bien : elle
vous fait sourire et vous apaise comme jamais auparavant, mon cheikh.

— Mais vous n’êtes pas des espions, tous les deux !

— Nous gardons nos oreilles bien ouvertes, intervint Basheera. Naseem, dis à Munir ce que tu
sais.

Le sourire du vieil homme s’élargit.

— L’ancienne citadelle… C’est là-bas que nous irons chercher Emma. Dès maintenant.

***

Emma détailla d’un regard soupçonneux la bouillie grise et grumeleuse que Kashif avait
déposée à ses pieds. Elle avait faim depuis longtemps, bien avant le coucher du soleil, mais elle
n’avait pas l’intention de manger ça. Elle n’était même pas sûre de savoir ce qu’il y avait dedans.
Putain, quand elle le porta à son nez, des relents fétides lui remontèrent dans les narines. Même son
cheval sentait meilleur après de longues heures d’entraînement et de galop.

Cependant, la perspective de manger ce truc n’était rien à côté du fait que Kashif était venu en
personne lui apporter son repas, au lieu d’envoyer un de ses sbires.

Et il ne partait pas. Il s’était assis près d’elle et la fixait du regard en se léchant les lèvres.

— Je n’en veux pas, dit-elle renversant le… porridge… machin sur Kashif.

Il pâlit de rage et la gifla. Son geste vif laissa une empreinte brûlante sur sa joue.

— Munir trouve peut-être ton insolence désirable, salope, mais pas moi.

— Je me fiche de savoir si vous me trouvez désirable. Je n’ai pas envie de manger de la


bouffe pour chats.

— C’est un plat à base d’intestins d’agneau.

— Je n’en veux pas et, vous connaissant, c’est sûrement empoisonné. Tout ce que je veux, c’est
parler à Munir. Vous pouvez bien le laisser venir, non ?

— Non, il pourrait t’enlever s’il savait où tu étais. Les hommes de mon père me mangent déjà
dans la main. Munir menace de signer un traité défavorable dans six heures s’il ne te récupère pas. Un
traité qui donnerait le champ libre aux infidèles.

Elle avala sa salive avec difficulté. Si même l’ancien cheikh, le vieux Shadid, avait demandé sa
libération, alors pourquoi se trouvait-elle encore ici, avec Kashif ? Emma aurait voulu cacher son
corps pour le protéger de ses regards lubriques, mais ses fers l’en empêchaient. Il jouait un jeu
dangereux, et elle était terrifiée à l’idée d’en apprendre les règles.

— Dans ce cas, vous devez me libérer. Je pense qu’on peut trouver un arrangement. Je vais
rentrer à la maison, vous signerez le traité qui vous conviendra, et Munir…

Elle soupira et s’obligea à parler d’un ton égal :

— Eh bien, on n’a pas toujours ce que l’on veut, dans la vie.

— Moi oui. Je me fiche de ce que veut mon père ou Munir. Ce vieillard sera mort dans les six
mois et Munir peu après lui…

Le cœur de Emma se mit à battre plus vite dans sa poitrine. Non. Cela ne pouvait pas être vrai.

— Vous allez le tuer.

— Pas tout de suite : pas avant le décès de notre père. Il faut que ça ait l’air d’un accident,
comme un banal carambolage sur la route du cimetière, quand il s’y rendra pour assister aux
funérailles de notre père. Je deviendrai alors le seul héritier de la famille Yassin et mon pays pleurera
avec moi, puis se ralliera à mon courage et à mon esprit indomptable.

C’en était assez. Il ne s’en sortirait pas comme ça. Il ne menacerait pas Munir devant elle en
toute impunité.

Franchissant la distance qui les séparait, Emma se jeta sur Kashif et enfonça ses ongles dans la
peau fine de ses joues. Il poussa un hululement de douleur. Quand elle retira ses mains, elle fut
satisfaite de constater qu’il garderait des cicatrices. Toute la partie gauche de son visage ressemblait à
un steak cru.

— Allez-y, dites-moi tout. Dites-moi comme ce sera facile. Munir va venir me chercher, ou
alors mon papa vous fera tous sauter, mais vous ne serez jamais personne, Kashif. Vous ne serez
jamais qu’un mec qui rêve du trône.

— Assez ! s’écria-t-il en bondissant sur ses pieds. Tu es là et tu es ma prisonnière. Je peux


faire de toi ce que je veux, comme l’a fait Munir. A mon tour de voir ce qu’il a de si merveilleux, ton
gros cul, chienne d’Américaine.

Le sang de Emma gela dans ses veines. Elle bondit sur ses pieds, tenta de fuir, mais les
menottes étaient trop lourdes et la faim l’avait vidée de son énergie. Kashif la plaqua au sol. Elle hurla
et se débattit, même quand il bloqua ses cuisses sous ses genoux et posa une main sur ses épaules. De
l’autre, il fouilla sauvagement ses cheveux blonds.

— Non ! Arrête ! hurla-t-elle en tentant désespérément de le mordre à nouveau.

— Peut-être qu’avec un Jacuzzi et quelques mots doux, tu ne ferais pas ta prude, ma reine,
ricana-t-il.

Emma resta pétrifiée, incapable d’y croire, incapable de concevoir ce qui était sur le point de
se passer.

— Merde, Kashif, je ne pourrais jamais t’aimer ! Jamais !

— Je n’ai pas besoin de tes sentiments. Je veux juste goûter à ce qui rend mon frère si
amoureux.

Emma ferma les yeux pour empêcher ses larmes de couler.

— Munir, tu ne lui arrives même pas à la cheville, et c’est pour ça que je l’aime.

Elle garda les paupières baissées, terrifiée par la douleur que Kashif était sur le point de lui
infliger, écoeurée à l’idée seulement de ce qu’il allait lui faire.

Ce fut alors qu’une force inattendue renversa son bourreau.

Désorientée, Emma leva les yeux. Elle crut qu’elle allait pleurer. Munir était là, accompagné
de Naseem et de Basheera. Cette dernière sortit une épingle à cheveux de sa poche et s’attaqua à la
serrure des menottes. Quand Emma fut libre, Basheera ôta son châle et lui couvrit la poitrine. Emme
réalisa soudain que sa chemise était déchirée et sa poitrine exposée.
— Ce n’est rien, ma fille, nous sommes là, maintenant…, susurra Basheera dans son oreille.

Par-dessus l’épaule de sa sauveuse, Emma resta bouche bée devant la bataille qui se déroulait
sous ses yeux. Naseem et Munir combattaient tous les deux Kashif. Le demi-frère de son amant
brandissait un sabre. Quand Naseem se jeta sur lui, Kashif l’embrocha. Du sang jaillit de la blessure et
le vieil homme tomba à genoux, sa respiration sifflante. Emma poussa un cri. Elle voulut se précipiter
pour l’aider, mais Basheera la retint par l’épaule. Quand la femme du harem parla, ce fut d’une voix
tremblante :

— Non, si vous faites cela, vous allez distraire Munir. Et il doit gagner cette bataille.

— Mais Naseem a besoin d’aide !

— Il va s’en sortir. Je vous promets qu’il survivra, dit Basheera, les yeux mouillés de larmes.

Munir tournait autour de Kashif, en pas chassés, ses poings levés devant lui. Il était plus grand
que Kashif, mais pas aussi large, un peu comme un nageur. Kashif avait, lui, la musculature puissante
d’un joueur de football américain. Il avait plaqué Emma au sol et elle était bien placée pour savoir
qu’il était fort et dangereux. En plus, Kashif avait une arme.

— Mon frère, lâche ce sabre et je te permettrai d’affronter la justice avec honneur, dit Munir
en évitant de justesse un coup de lame.

— Et si je refuse ? répondit son adversaire en effleurant de la pointe de son sabre la chemise


de Munir.

Celui-ci se décala au dernier moment, mais ce n’était pas passé loin, cette fois.

— Si tu refuses, je te tuerai.

— Tu es faible, rétorqua Kashif en lui envoyant un uppercut au menton.

Munir chancela. Emma et Basheera se précipitèrent d’un même élan, mais elles hésitèrent
quand la lame de Kashif se tourna vers elles.

— Oh, vous, bande de chiennes, vous ne perdez rien pour attendre.

— Tu as donc du temps à m’accorder ! hurla Munir en heurtant son frère en plein poitrine
avant de le plaquer au sol.

Les deux frères roulèrent à terre pendant de longues minutes, chacun luttant pour prendre le
contrôle sur l’autre. Dans la mêlée, Kashif avait perdu son sabre et les deux hommes étaient
maintenant à armes égales. Aucun ne prenait l’avantage. Chaque fois que Munir parvenait à clouer
Kashif au sol, son frère se dérobait et le frappait au visage ou dans le plexus solaire. De même, dès
que Kashif prenait l’avantage, Munir parvenait toujours à lui échapper.

Mais pas cette fois. Kashif immobilisa Munir et ses grandes mains se refermèrent sur sa
gorge. Le cheikh ouvrit une grande bouche tordue, à la recherche de l’air. Ses gestes faiblirent.
— Non ! hurla Basheera. Kashif, arrête !

Il foudroya du regard la vieille femme, et Emma saisit sa chance. Elle se jeta sur le sabre et le
planta dans l’épaule de Kashif.

— Et ça, c’est pour avoir posé tes sales pattes sur moi ! grogna-t-elle en le cognant de toutes
ses forces.

Elle n’aurait peut-être pas dû faire ça…

Elle ne savait pas porter un coup et, même si Kashif cracha une dent à sa grande satisfaction,
elle se retrouva à genoux à son tour, sa main endolorie pressée contre sa poitrine.

Son intervention fut suffisante pour permettre à Munir de reprendre le dessus. Il renversa son
frère face contre terre et referma son bras sur sa gorge jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Sans
prendre une seconde de repos, il ligota les chevilles de Kashif.

Basheera courut vers Naseem et posa sa tête sur ses genoux en lui chantant une chanson douce
en arabe. Il était à peine conscient et sa blessure saignait toujours.

Munir balaya la cellule du regard pour mesurer les dégâts. Il accorda un dernier regard à son
soi-disant frère :

— Tu aurais pu rester à mes côtés, Kashif, mais regarde ce que tu as fait. Regarde !

La respiration de Kashif gargouillait étrangement, comme étranglée, mais cela ne l’empêcha


pas d’éclater de rire.

— Ce que j’ai fait, c’est beau, n’est-ce pas, mon frère ?

— Tu pourras donc profiter du spectacle pour l’éternité. Ta sentence sera de rester ici pour
toujours, le seul et dernier prisonnier de la citadelle. Tu n’auras que les rats et ta propre merde pour
seule compagnie.

Munir ramena instinctivement sa jambe vers l’arrière, comme pour donner un coup de pied
dans le visage de son frère, mais il hésita.

— Je…

— Je m’en charge, l’interrompit Emma en se faufilant à ses côtés. De la part de nous tous !
hurla-t-elle en jetant son pied vengeur dans le menton de Kashif.

Les années d’équitation avaient musclé ses jambes. Enfin, cela servait à quelque chose.

— Crève, Kashif. Ta place est en enfer.


Chapitre Huit
Basheera appela une voiture pour les déposer, elle et Naseem, à l’hôpital le plus proche. La
famille Yassin y avait une suite privée et les meilleurs docteurs s’occuperaient de la blessure du vieil
homme. Munir étreignit ses deux amis et embrassa Basheera sur la joue.

— Prends bien soin de lui. Vous deux, vous êtes mes meilleurs conseillers.

Elle sourit et serra la main de Naseem.

— Tu veux dire que nous sommes tes seuls conseillers.

— C’est possible, mais que cela ne vous empêche pas de vous reposer. Nous allons avoir
beaucoup de travail pour nettoyer ce palais.

Naseem se redressa, laissant échapper une expiration sifflante, pour regarder Munir et Emma
dans les yeux.

— Nous mettrons de l’ordre, mon cheikh et ma reine. Il y a encore bien trop de vermine dans
ce palais.

— C’est vrai, dit Emma en déposant un baiser sur sa joue barrée d’une cicatrice, mais nous y
avons aussi de précieux alliés. Prenez soin de vous, Naseem, et merci d’être venu me sauver.

Tous deux s’écartèrent et adressèrent des signes de la main à la limousine qui s’éloigna. La
blessure de Naseem n’inquiétait pas Munir. Les meilleurs docteurs s’occuperaient de lui. Ses gardes
les plus fidèles garderaient sa chambre. Bref, il ne lui arriverait rien, même si Kashif parvenait à
appeler à l’aide depuis son cachot dans la citadelle abandonnée, et c’était peu probable. Munir secoua
la tête en pensant à son frère. Tant de force et de potentiel gâchés. Munir aurait voulu que les choses
se passent différemment, mais le cœur de Kashif était noir, nourri par la haine de sa mère et par les
idées extrémistes de leur père.

Il n’y avait plus rien à faire, mis à part continuer à vivre et profiter de la femme qu’il aimait.
Munir prit la main de Emma et tous deux s’installèrent à leur tour sur la banquette arrière d’une
limousine. Son service de sécurité l’attendait, séparé du couple par une vitre pare-balles.

Emma paraissait brisée. Ses vêtements sentaient l’égout et l’eau moisie. Le maquillage qu’elle
avait appliqué sur son visage ce matin-là, à Dubaï, avait coulé autour de ses yeux. Ses cheveux étaient
emmêlés et Kashif avait dû lui arracher quelques mèches. Son T-shirt était déchiré et Munir apercevait
son soutien-gorge sous son gilet pare-balles. L’ai conditionné de la voiture la faisait frissonner, après
avoir attendu si longtemps dehors sous le soleil brûlant. Munir se doutait bien que son tremblement
était aussi en partie dû au traumatisme qu’elle avait subi aux mains de son animal de frère.

Il passa un bras autour de ses épaules et, de son autre main, caressa ses cheveux encore doux,
mais souillés. On la choierait comme jamais, au palais, Munir allait s’en assurer. Quand Basheera
reviendrait, elle lui ferait prendre un bain aux huiles parfumées. Il ferait venir les meilleurs coiffeurs
pour redonner vie et santé à ses boucles blondes.

— Je t’aime plus que ma vie, habbibi.

Elle cligna des yeux, puis fronça les sourcils.

— Tu crois que je peux en douter après ça ? Kashif a failli te tuer !

— Et tu ne l’as pas raté, ma chérie. J’avais déjà deviné ta force. Comme je le suspectais, tu
ferais une magnifique reine. Merde, tu ferais un meilleur soldat que la moitié de ma garde royale.
Mais, tout de même, dit-il d’un ton plus doux en lui caressant la joue, ce qu’il t’a fait est inacceptable.
Je ne supporterais pas d’ôter la vie, surtout celle de mon propre sang, mais je saurais imaginer
quelques monstrueuses tortures pour le calmer.

Elle esquissa un sourire sans joie pour le rassurer. Cela ne ressemblait en rien à l’expression
lumineuse d’émerveillement qu’il avait surprise sur son visage pendant leur séjour au ski.

— Achète-lui une télé et passe-lui des publicités toute la journée. Ooh, tu n’as qu’à lui mettre
en boucle « Star Wars : la Menace fantôme ». Jar Jars Binks pendant des semaines !

— Habbibi, tu es diabolique.

Emma hocha la tête et se blottit un peu plus contre lui. La chaleur de son corps était enivrante,
mais c’était bien la dernière chose dont il avait envie à cet instant-là. Bon, d’accord, ce n’était pas tout
à fait vrai. Il avait toujours envie d’elle, mais ce n’était pas le moment. Il avait surtout besoin de la
serrer dans ses bras et de s’assurer qu’elle resterait en sécurité… Malheureusement, Yoman était un
endroit dangereux, constamment sous la menace des bombes américaines, tombées par hasard de ce
côté de la frontière, ou des rebelles de la région nord, ou encore des pays voisins. Si elle devenait
reine, Emma serait une cible. Il savait maintenant qu’elle était assez forte physiquement, sans parler
du fait qu’elle était belle, mais résisterait-elle à la pression ?

— Emma, tu n’es pas obligée de m’épouser, dit-il d’une voix douce et triste.

Elle battit des paupières et leva vers lui des yeux écarquillés :

— Je sais qu’il va falloir négocier, mais il doit y avoir un autre moyen. Si je pouvais
seulement parler à Papa, lui faire comprendre que tu es un homme bon, que ton peuple souffre des
attaques… Il comprendrait. Il est attaché aux valeurs de la famille, tout comme toi.

— Alors comme ça, tu voudrais rester ?

Elle lui tendit ses lèvres et l’embrassa, non sans mordiller sa lèvre inférieure affectueusement
pour lui montrer combien elle en avait envie. Quelle sournoise petite renarde… Emma savait très
bien le rendre fou. Munir gémit sous ses caresses, mais tâcha de rester concentré.

— Je suis sérieux. Tu n’es pas obligée. Ce n’est pas de l’amour si je te retiens chez moi
comme un animal domestique. Si tu veux partir, si la vie à Yoman est trop difficile pour toi… Eh
bien, après ce que t’a fait subir Kashif, je ne pourrais pas t’en vouloir.
Elle secoua la tête et plongea son regard dans le sien. Ses yeux étaient aussi bleus et limpides
que des piscines ou des sources d’eau de montagne. Il aurait voulu s’y perdre pour toujours.

— Oh ça ? Ce n’était rien.

— Non, ne fais pas semblant.

— C’était effrayant et je vais peut-être avoir besoin d’en parler plus tard à un psy, ou même à
toi, c’est vrai, mais je me suis défendue et des personnes que j’aime m’ont porté secours. Je sais que
je peux vous faire confiance, à toi, à Basheera et à Naseem, et c’est une bonne chose. En plus, Kashif
ne fera plus de mal à personne là où il est. Je…

Elle avala sa salive avec embarras et mordilla sa lèvre inférieure. Il se tendit comme un arc à
côté d’elle, redoutant une explosion.

— Je t’aime, Munir. Je me dis que tu es peut-être mon habbibi, toi aussi, et que nous sommes
faits l’un pour l’autre.

Un bonheur immense se déversa alors dans le cœur de Munir, réchauffé comme jamais le
soleil brûlant du désert n’aurait pu le faire. Il lui donna un long baiser, joua avec sa langue. Quand il
s’écarta enfin, les yeux saphir de Emma pétillaient avec espièglerie.

— Je t’aime.

— Alors, moi aussi, je t’aime, et rien ne pourra jamais nous séparer, dit-elle en se blottissant
contre lui.

Presque immédiatement, la limousine se gara devant le palais et Emma retint un grognement


de frustration.

— Oh merde, juste au moment où je m’installais confortablement…

— Nous avons toute la nuit pour ça, habbibi, dit-il en riant.

La portière de la voiture s’ouvrit brusquement et son rire mourut sur ses lèvres.

Le sénateur Alan Jones l’attendait sur le parking. Il avait les mêmes yeux très bleus que sa
fille, mais les siens brûlaient d’une colère froide et contenue.

— Sortez de cette voiture et rendez-moi ma fille !

Munir aurait protesté, il se serait battu pour elle, si seulement le sénateur n’avait pas été
accompagné par une équipe des unités d’élite et par son propre père qui lui adressa un signe de tête
solennel. Munir s’empressa de descendre, sans lâcher le bras de Emma. Ensemble, ils affrontèrent les
regards de leurs deux pères et des militaires américains.

— Sénateur James, je peux tout vous expliquer, commença Munir.

Le sénateur détailla sa fille du regard et claqua des doigts. Deux armoires à glace aux cheveux
rasés s’approchèrent et se saisirent de Emma. Elle se débattit, mais ils l’entraînèrent avec fermeté
derrière son père.

— Papa, je peux t’expliquer. Je sais que c’est difficile à croire, mais je l’aime.

A ces mots, les narines du sénateur frémirent.

— L’ancien cheikh Shadid m’a appelé en personne pour me raconter ce que son fils avait fait.
Il m’a dit qu’il t’avait enlevée sans son accord pour servir de monnaie d’échange. Ma chérie, ce que
tu ressens, c’est ce qu’on appelle le syndrome de Stockholm. Laisse Papa s’occuper de tout ça.

— Papa, s’il te plait ! hurla-t-elle, en larmes. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Le vieux
cheikh a tout manigancé et, maintenant, il accuse Munir. S’il te plait, tu dois m’écouter.

Son père secoua la tête et s’avança vers Munir.

— Je devrais bombarder ce pays jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, pour vous punir du mal
que vous avez causé à ma famille. Nous nous sommes fait un sang d’encre : nous pensions que notre
fille était morte. Regardez-la ! Vous avez posé vos sales pattes sur elle ? s’écria-t-il.

Munir ignora les postillons que les hurlements de James déposèrent sur son visage.

— Monsieur, laissez-moi vous expliquer. Mon frère a essayé de lui faire du mal, mais nous
sommes arrivés à temps pour l’arrêter. Je suis amoureux de votre fille et je veux faire d’elle ma
reine.

Un coup le cueillit au milieu du ventre et Munir tomba à genoux, le souffle coupé. Derrière la
foule des gardes royaux et des militaires américains, il entendit son propre père ricaner.

Ce connard refusait de perdre.

— Vous êtes un être abominable. Maintenant, taisez-vous. Votre père et moi, nous allons
négocier ce traité une bonne fois pour toutes, puis je ramènerai Emma à la maison, loin de ce désert
barbare. Si vous savez ce qui est bon pour vous, vous ne poserez même pas votre regard sur elle
jusqu’à notre départ.
Chapitre Neuf
Tout lui parut insipide.

Cette pensée frappa particulièrement Emma. Rien ne semblait à sa place.

Il faisait déjà plus de trente degrés à Washington. C’était l’été, après tout, mais cela n’était rien
comparé aux cinquante degrés qu’il faisait parfois en pleine journée à Yoman. La température
paraissait si froide, ici. Même pour sortir déjeuner à Georgetown avec Parker, Alexis et Allison, elle
portait un énorme pull. Cela lui valut quelques regards étonnés dans le café… Non, c’était pire que ça.
La vie aux Etats-Unis lui semblait insipide, trop propre. Elle ne sentait rien. Le tohu-bohu de Yoman
était différent. Les épices embaumaient l’air à toute heure de la journée. Emma était allée au marché
une ou deux fois, avec Basheera. Elle avait été submergée par l’explosion des odeurs : l’agneau qui
tournait sur la broche, le curcuma, les épices, les dates fraîches et les fruits des palmiers…

Dans ce café, on devinait seulement dans l’air le parfum un peu âcre des produits ménagers.

Cela n’avait pas l’air réel. En fait, rien n’avait l’air réel quand les bras de Munir n’étaient pas
refermés sur sa taille, quand sa barbe ne frottait pas délicieusement sa joue. Un mois s’était écoulé
depuis que le père de Emma l’avait « secourue ». Emma avait retrouvé son état normal. Les mèches
de cheveux arrachées par la poigne de Kashif avaient repoussé. Ses ecchymoses avaient guéri. En fait,
c’était la première fois depuis son retour qu’elle sortait avec ses amies (ou, dans le cas de Allison,
avec une connaissance dont la présence était tolérée). Sa mère avait insisté pour la garder à la maison
jusqu’à ce qu’elle soit de nouveau présentable.

Sa mère tout craché ! Il fallait toujours qu’elle s’inquiète des apparences.

— Je n’arrive pas à y croire ! dit Alexis en ouvrant de grands yeux. Si tu étais venue manger
avec moi et Allison, rien de tout cela ne serait arrivé.

Sa jeune sœur mâchonnait une feuille de laitue. Après tout, c’était la seule chose qu’elle
acceptait de manger – de la bouffe pour lapins. Elle décocha un regard à Emma et haussa les épaules.

— Tu aurais dû venir, mais tu es tellement têtue parfois…

Emma ravala sa colère. Elle avait accepté de sortir à cause des ragots : il se racontait à
Washington qu’elle souffrait d’un violent stress post-traumatique suite à son enlèvement. Etrangler
Allison ne jouerait pas en sa faveur, même si c’était mérité. Emma mordit avec bonheur dans son
Panini, avalant goulûment les traînées de fromage. Allison secoua la tête devant le spectacle et, pour
une fois, cela ne dérangea pas Emma. Munir avait aimé ses courbes. Il lui avait dit que c’était sa
féminité.

— Ça n’aurait rien changé. Il avait envoyé des gardes entraînés. Ils m’auraient retrouvée, tôt
ou tard. Je suis là, maintenant, et je suis en vie.

Parker secoua la tête et but une gorgée de son Bellini à la pêche.


— Ça a l’air impossible ! Un enlèvement, comme ça… Ce sont des trucs qu’on entend à la télé,
ça fout la trouille. C’est juste que… ça a l’air impossible !

Emma haussa les épaules et sirota son Coca.

— C’est pourtant vrai. Et Munir était…

— Munir ? s’interrogea Allison sur un ton geignard. Tu veux dire le cheikh Yassin ?

— Nous étions proches, dit-elle en chatouillant la nappe du bout du doigt.

Elle repensa à la façon dont ses yeux noisette brillaient avec espièglerie et aux paillettes
dorées qui s’y étaient allumées quand elle lui avait donné du plaisir, dans le Jacuzzi. Elle
s’empourpra, échaudée par le souvenir. Enfin, la chaleur lui revenait, après ces jours interminables.

Mais le souvenir était vide.

Tout comme elle.

— Ne t’inquiète pas, ma puce : bien sûr que nous comprenons, dit Alexis d’une voix sirupeuse.

Du coin de l’œil, Emma vit sa soi-disant amie articuler silencieusement les mots « syndrome
de Stockholm » à l’adresse de sa sœur, Allison. Tout le monde pensait qu’elle était folle, qu’un
violent traumatisme émotionnel l’avait forcée à se croire amoureuse de Munir. Ils se trompaient.
Emma n’était plus la fille qui avait été enlevée. Maintenant, elle savait exactement ce qu’elle voulait
dans la vie et ce qu’il fallait à son bonheur. Et c’était Munir, la façon dont il la rendait heureuse, la
façon dont il la couvrait d’amour.

Voilà où était sa maison.

Pas à Georgetown, ni même à Raleigh où se trouvait le manoir de son père.

— Je ne suis pas malade et je ne suis pas folle non plus, siffla-t-elle en repoussant
brusquement son assiette. Il était extraordinaire.

— C’est un barbare, comme tous ces types qui font le djihad, dit Parker.

— Et il t’avait enlevée, tu parles d’une histoire romantique ! s’exclama Allison.

Alexis se mordit la lèvre d’un air inquiet. De toutes ses amies, c’était de loin la plus gentille et
la plus compréhensive. Pourtant, même elle ne croyait pas Emma. Plus personne ne la comprenait.

— Tu sais bien comment ils traitent les femmes, dans ces pays-là.

— C’était un parfait gentleman.

Allison roula les yeux au ciel.

— Il essayait de te baiser. Bien sûr qu’il t’a baratinée. Franchement, Emma, il faut que tu te
rendes compte que tout est dans ta tête. Tu es malade. Il a abusé de toi. Ta famille et tes amies veulent
seulement que tu ailles mieux.

Emma jeta vivement sa serviette sur la table et se leva. Les mains sur les hanches, elle
foudroya Allison du regard.

— Tu n’es pas mon amie et tu ne l’as jamais été. Je ne suis pas partie avec Alexis cette nuit-là
parce que je sais que tu n’es qu’une pétasse qui parle derrière mon dos. Au moins, maintenant, tu as le
courage de me dire en face ce que tu penses vraiment.

Les yeux de Alexis s’écarquillèrent et surprise et d’horreur.

— Elle ne voulait pas dire ça !

— Arrête de la défendre. Elle le pense toujours, siffla Emma. J’en ai ma claque de tout ça et de
vous. Vous êtes superficielles et méchantes. J’en ai marre d’être la bonne copine. Vous savez quoi ?
Ce n’est plus moi.

Sur ces mots, Emma sortit du café comme une furie.

***

Commencer à défaire ses bagages de son séjour à Yoman lui avait pris des semaines. Il y avait
quelques vêtements que Munir lui avait offerts, ainsi que des épices et d’autres petits cadeaux que
Basheera avait insisté pour lui donner. La vieille dame avait versé encore plus de larmes que Emma à
son départ. Quand cette dernière était arrivée à Washington, défaire sa valise lui avait semblé trop
difficile, trop définitif, comme admettre qu’elle ne retournerait jamais à Yoman et que tout ce qui
s’était passé n’était qu’une sorte de mirage provoqué par la chaleur du désert.

Cependant, elle était bien obligée de reconnaître, après un mois passé à supporter les tirades
de son père au téléphone, qu’elle était de nouveau chez elle à Washington.

Si un endroit si froid et isolé pouvait jamais devenir sa maison, loin des bras de Munir.

Elle ouvrit le premier paquet et sourit en découvrant les huiles de bain et les sachets de pot-
pourri. Il y avait même quelques dates et figues séchées, pour lui donner le « goût de la maison ». Sa
valise contenait surtout des jeans et des T-shirts. La dernière boîte était étonnamment légère pour sa
taille et Emma se demanda ce que Basheera avait bien pu y mettre.

Quand elle défit les attaches et tira du paquet le premier voile doré, tissé dans la soie la plus
fine, elle eut envie de pleurer. Ils étaient tous là – toute la collection de voiles, ainsi que les bijoux. Il
ne manquait que la tiare, à sa grande déception. L’un des sbires de Kashif avait marché dessus quand
ils étaient venus l’enlever ce matin-là. Sous les voiles, Emma découvrit même une photo qui les
représentait tous les deux, elle et Munir, les sourires jusqu’aux oreilles, à la station de ski.

Emma n’était même pas sûre de savoir comment le cliché était arrivé dans la boîte. Ils devaient
les vendre dans la station pour quelques dollars, mais elle ne se rappelait pas d’avoir vu Munir en
acheter un exemplaire.
— Comment est-ce possible ?

— Je pensais que tu le méritais, ronronna une voix familière.

Désorientée, Emma se retourna brusquement. Munir se tenait devant elle, resplendissant dans
un costume bien taillé qui mettait en valeur ses épaules masculines. Le cœur de Emma battit plus vite
dans sa poitrine. Cette fois, elle était peut-être vraiment devenue folle. Elle avait des visions. Munir –
ou son hallucination, putain – s’était appuyé d’un air nonchalant sur le chambranle de la porte. Ce fut
alors que le nez de Emma se réveilla. Elle devina dans l’air le parfum familier du musc mêlé à une
pointe de jasmin qui caractérisait son amant.

Folle de joie, elle sauta de son lit et courut vers lui. Quand ses bras forts se refermèrent sur
elle, elle eut encore du mal à y croire. Elle prit une grande inspiration, savourant son odeur, le
picotement de sa barbe contre ses joues et même la force de ses biceps.

— Je ne comprends pas…, balbutia-t-elle.

— Je t’ai dit que nettoyer la maison prendrait un peu de temps. J’ai parlé à mon père et je lui ai
montré tout ce que Naseem a pu trouver sur lui : tous les squelettes dans ses placards, tous les coups
de poignard dans le dos de nos plus précieux alliés. Je lui ai dit qu’il devait arrêter de comploter et
appeler ton père pour lui expliquer ce qui s’était vraiment passé, notamment avec Kashif…

— Tu veux dire ce que tu as empêché ? souffla-t-elle.

Il s’empourpra. Sa gène offrait un charmant contraste avec le teint olive de son visage.

— Oui, et ça n’a pas plu à ton père. Il ne sera sans doute jamais content.

— Je vois, dit-elle en s’affaissant d’un air découragé entre ses bras. Donc, c’est un adieu ?

— Non, habbibi, dit-il en tombant sur un genou et en lui présentant un écrin de velours.

Le cœur de Emma manqua un battement. Elle n’en crut pas ses yeux.

— Munir ?

Il ouvrit l’écrin, révélant un anneau en platine surmonté d’un énorme diamant qui lui rappela
les bijoux de l’époque victorienne.

— C’était à ma mère.

— Oh, tu n’as pas à me la donner, si c’est tout ce qui te reste d’elle.

Munir lui sourit.

— Voilà pourquoi je t’aime : ce cœur résistant et pourtant si généreux. J’ai d’autres souvenirs
d’elle, habbibi. Me feras-tu l’honneur de devenir ma femme ?

— Oui ! s’écria Emma, un peu embarrassée par son propre enthousiasme.


Mais elle avait eu l’impression de errer comme une morte-vivante depuis si longtemps… Et
tout reprenait enfin des couleurs.

— Oui, je t’épouserai, mon cheikh.

Il se releva et glissa l’anneau à son doigt. Le diamant brillait magnifiquement sur sa peau,
comme s’il avait été fait pour elle. Munir se pencha à son oreille et murmura :

— J’aimerais te voir porter cette bague. Avec seulement cette bague, mon amour.

Elle fit glisser les bretelles de sa robe d’été, s’offrant à son regard en sous-vêtements de
coton. Munir lui fit la courtoisie de l’imiter et retira ses habits jusqu’à ce qu’elle puisse pleinement
profiter de son corps d’athlète bronzé, et du spectacle de sa queue pressée contre la couture de son
boxer. Elle en eut l’eau à la bouche et la chatte toute humide à travers le coton de sa culotte. Elle ne se
souvenait que trop bien du goût de cette queue contre sa langue. En esquissant un sourire coquin et
sensuel, Emma défit l’attache de son soutien-gorge et le laissa tomber au sol.

Sa queue sembla frémir sous le boxer et elle redressa les épaules, enhardie par l’effet qu’elle
lui faisait.

— Eh bien, mon cheikh…, dit-elle en traçant du bout du doigt les contours de ses seins, puis
de son ventre. On dirait que je vous plais.

— C’est une vie bien solitaire sans toi. Rien ni personne ne me complète aussi bien, ma chérie.

Elle n’eut pas à attendre plus longtemps après ça. Elle l’avait attendu bien assez longtemps,
après tout, et elle brûlait de le sentir contre elle, autant que lui. Elle retira sa culotte et traversa d’un
air séducteur la distance qui les séparait. Elle lui tendit ses lèvres, frotta ses hanches contre sa queue,
heureuse de le sentir rigide contre sa chatte. Son propre désir l’inonda et elle faillit ployer des
genoux.

Mais elle garda sa position.

En humectant ses lèvres, elle se retourna vers le lit et s’étendit sur la couverture, avec la même
assurance qui lui avait permise d’exécuter la danse des sept voiles comme un derviche tourneur –
cette fameuse danse qui avait rendu Munir fou d’amour. Elle fit courir un doigt le long de sa cuisse.
Quand elle reprit enfin la parole, elle ronronna presque :

— Viens-là et montre-moi comme je t’ai manquée, Munir.

Son amant retira son boxer et elle dut avaler sa salive devant le spectacle de sa queue, libre et
déjà humide, dressée dans toute sa gloire. Elle aurait toute la nuit pour le goûter, comme elle l’avait
déjà fait, mais, aujourd’hui, elle voulait quelque chose de plus. Quelque chose qui scellerait leur
union.

— Donne-moi du plaisir, mon cheikh.

— Tu n’as pas besoin de demander, répondit-il en la rejoignant.


Il s’allongea sur elle. C’était merveilleux de sentir à nouveau son corps solide sur elle. Il
déposa un baiser dans son cou, mordillant sous ses lèvres la peau sensible de sa clavicule. Emma se
cambra contre lui et enfonça ses ongles dans son dos, heureuse de sentir ses dents sur elle. La bouche
de Munir s’égara alors un peu plus au sud, lécha un téton, puis l’autre. Il enroula sa langue autour de
son mamelon, qui se dressa au garde-à-vous. Il la prit ensuite par surprise en le mordillant
doucement. La douleur subtile la fit frémir et embrasa tout son corps comme un ruisseau de lave.

Elle miaula et se cambra à nouveau avec l’énergie du désespoir, cherchant à tâtons ses fesses
sous ses doigts.

— Baise-moi, Munir !

— Je vais plutôt te faire l’amour, ma princesse, répondit-il en se positionnant entre ses cuisses.

Avec une lenteur démoniaque, il se contenta d’abord d’effleurer avec sa queue ses replis
intimes et humides.

— Non, arrête, ordonna-t-elle. J’en ai besoin. J’ai besoin de toi.

Après cela, il n’y eut plus de préliminaires inutiles. Seulement la pénétration franche de sa
queue. Emma sentit ses muscles se détendre pour l’accueillir en elle, puis les coups de reins de Munir
s’accélérèrent à un rythme insatiable. Elle s’enroula toute entière autour de ses épaules et de ses
hanches, embrassant sa joue, laissant les poils courts de sa barbe frotter contre sa peau. Ils bougèrent
en cadence, en harmonie, comme un seul corps, unis par une délicieuse friction.

Enfin, il se déversa en elle, jetant sa semence au plus profond de son être. Des vagues de
plaisir la traversèrent, l’une après l’autre, pressant les muscles de son ventre contre sa queue.
Satisfaits tous les deux, ils s’effondrèrent sur la couverture, mais sans oser démêler leurs bras et leurs
jambes. Munir repoussa les mèches de cheveux blonds qui tombaient devant son visage et lui adressa
un sourire magnétique.

— Tu m’as manquée.

— Ça se voit.

— Ce n’est que le début, habbibi. Le début du reste de notre vie, et je t’aime.

Elle lui décocha un large sourire mutin. L’avenir ne lui faisait plus peur, ni même les murs
qu’elle avait cru voir autour d’elle, tous les projets de son père, toutes les attentes qui la poussaient à
vivre une vie dont elle ne voulait pas.

Non, c’étaient eux. C’étaient eux pour toujours.

Et l’idée lui plut.

Elle l’embrassa, mordillant sa lèvre, heureuse de le sentir frémir sous ses caresses.

— Je t’aime aussi.
***

Cette fois, le mariage fut américain. La première cérémonie avait été célébrée selon les
traditions de Yoman dès l’arrivée de Emma, pour apaiser les tensions avec les rebelles et pour lui
donner une légitimité. Vêtue de la robe et des voiles traditionnels, elle avait traversé la journée sans
comprendre un seul mot, guidée seulement par les gestes du mollah qui avait béni leur union.

Il était agréable de s’imprégner de la culture de son mari, mais elle ne s’était pas sentie
mariée, pas avant son mariage américain.

La première cérémonie avait été célébrée en grande pompe. Des dignitaires étaient venus de
tout le Moyen-Orient. Ils avaient mangé de l’agneau et autres mets fins pendant trois jours. Elle avait
dansé jusqu’à avoir des crampes. Aujourd’hui, c’était une autre histoire, plus intime, plus privée.
Seuls quelques personnes avaient été invitées. Le même mollah présidait la cérémonie, mais en
anglais, cette fois. Basheera et Naseem, ainsi que des cousins lointains de Munir, étaient là. Même
Alexis, qui lui avait envoyé un message d’excuse après avoir vu les images du premier mariage à la
télé, était venue.

Son amie lui avait dit que personne ne pouvait feindre comme ça le bonheur. Si Emma avait
l’air si heureuse, c’était qu’elle devait l’être.

Bien sûr, pensa-t-elle en devinant à travers la dentelle de sa robe le petit ventre qui poussait,
elle avait eu un peu d’aide pour s’épanouir aux yeux de Alexis. Elle était déjà enceinte de cinq mois et
cela se voyait. C’était bouleversant. Dans moins de quatre mois, elle allait donner naissance au futur
cheikh. Emma se réjouissait déjà à l’idée de le couvrir d’attentions, comme Munir, et d’aimer leur fils
avec la même tendresse que sa mère partie trop tôt.

Les parents autoritaires comme Shadid ne seraient plus autorisés dans la lignée Yassin.

Bien sûr, leur enfant ne manquerait de rien, mais c’était plus que ça. Ici même, à cet instant
précis, elle fit le vœu, pour leur bien à tous, de lui donner avant tout de l’amour.

Alors qu’ils dansaient, Munir la fit tourner avec élégance :

— Tu sembles troublée, mon amour.

— Ce n’est pas ça. C’est juste que… Alexis est super. Elle essaye de comprendre et je crois
même qu’elle s’entend bien avec ton cousin Farzad. Mais ce n’est pas pareil… J’aurais aimé que mes
parents soient là.

Munir ne répondit pas tout de suite et la conduisit en silence vers le balcon. Là, devant les
étoiles de la nuit désertique, se dressait une silhouette familière : les épaules carrées de son père.

— Papa ? s’exclama-t-elle en portant une main à sa bouche.

Son père se retourna. Il adressa un regard tendu et réservé à Munir mais, dès que ses yeux se
posèrent sur sa fille, épanouie par sa grossesse, il sourit largement.

— Ma puce, tu pensais vraiment que tu allais te marier sans ton père ?


Elle se précipita vers lui aussi vite que son ventre le lui permit et l’étreignit avec force.

— Oh, Papa, je croyais que tu me détestais depuis que j’ai déménagé.

— Je ne suis pas ravi, corrigea-t-il en relevant son menton, mais tu es heureuse. Alexis me l’a
dit. Elle m’a dit aussi que je devais venir. Munir m’a offert un billet d’avion en première classe. Je ne
voulais pas voir les signes, mais c’est évident, maintenant. Je ne suis pas entièrement satisfait, mais je
suis heureux de te voir heureuse. Ta mère et moi, nous voulons aussi jouer notre rôle dans la vie du
bébé.

— Où est Maman ?

— Elle n’a pas pu venir à cause des restrictions de visa, mais je vais arranger ça. Elle aura
envie de t’aider à préparer la chambre d’enfant.

Les yeux de Emma s’écarquillèrent d’horreur à l’idée que sa mère vienne mettre son nez dans
ses affaires. Elle réalisa qu’il y avait des choses bien plus effrayantes dans ce monde que les
enlèvements dans les parkings déserts ou que les trahisons d’un demi-frère ambitieux et violent. Il y
aurait toujours les grand-mères qui pensent tout savoir.

Peut-être que Basheera pourrait l’aider à modérer l’énergie de la belle du Sud qu’était sa
mère.

Peut-être.

Ou peut-être qu’ils seraient obligés de se mettre à la méditation pour supporter tout cet
enthousiasme.

Un sourire sincère éclaira son visage quand son père la conduisit sur la piste de danse. Au
dernier pas, il la salua avec élégance et la conduisit vers Munir. Son mari prit sa main et la ramena
aussitôt vers le balcon, loin de des danseurs. Elle le suivit facilement, malgré son large ventre. En se
blottissant contre lui, elle inspira avec délice le parfum de jasmin qu’elle associait maintenant à la
sécurité.

— Alors, c’est un vrai conte de fées ? demanda-t-elle en battant des paupières.

Il éclata de rire et caressa son ventre.

— C’est peut-être un peu exagéré, habbibi, mais c’est notre histoire.

Elle adressa un large sourire à leurs deux familles et aux amis qui les applaudissaient, puis
l’embrassa, savourant encore une fois ses lèvres sur les siennes comme si c’était la première fois.

Oui, c’était leur histoire et c’était parfait.

A suivre...


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