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Anami 0003-4398 2008 Num 120 261 7207
Anami 0003-4398 2008 Num 120 261 7207
archéologique, historique et
philologique de la France
méridionale
Aillet Cyrille. Anthroponymie, migrations, frontières : notes sur la « situation mozarabe » dans le Nord-Ouest ibérique
(IXe-XIe siècle). In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome
120, N°261, 2008. Minorités religieuses. pp. 5-32;
doi : 10.3406/anami.2008.7207
http://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2008_num_120_261_7207
Resumen
Antroponimía, migraciones, fronteras : algunas notas sobre la «situación mozárabe » en el
noroeste ibérico (siglos IX-XI).
En el transcurso de los siglos IX a XI, algunas regiones del norte de la península ibérica (Galicia,
Mondego, Bierzo, León, cuenca del Duero, alto valle del Ebro, Vall d’Àger…) se singularizan por
la presencia de une antroponimía arabigorromanica cuya difusión se puede observar entre las
poblaciones cristianas. Por medio de un análisis de los diversos componentes del reino de León,
este artículo estudia la índole y el origen de ese fenómeno de confluencia linguística. Este estudio
se funda en la evaluación de dos factores explicativos : la « frontera » como espacio de
aculturación y las migraciones como difusoras de una aculturación que se había dado
previamente en al-Andalus en las poblaciones llamadas « mozárabe » . Para determinar el peso
real y la correlación de esos dos factores, conviene hacer primero una cartografía de la
onomástica « arabizada » en territorio cristiano, fijar su cronología y subrayar sus características
formales.
Résumé
Au cours des IXe-XIe siècles, certaines régions du nord de la péninsule Ibérique (Galice,
Mondego, Bierzo, Léon, bassin du Duero, haute vallée de l’Èbre, Vall d’Àger…) se singularisent
par l’usage d’une anthroponymie arabo-romane dont on peut observer la diffusion parmi les
populations chrétiennes. À travers une analyse centrée sur le royaume de Léon en ses diverses
composantes, cet article revient sur la nature et l’origine de ce phénomène de confluence
linguistique. Cette étude repose sur l’évaluation de deux facteurs explicatifs : la « frontière » en
tant qu’espace d’acculturation, et les migrations en tant que vecteurs de diffusion d’une
acculturation qui se serait préalablement réalisée en al-Andalus parmi les populations dites «
mozarabes ». Pour déterminer le poids réel et la corrélation de ces deux facteurs, il convient au
préalable de dresser une cartographie de l’onomastique « arabisée » en territoire chrétien, d’en
fixer la chronologie et d’en souligner les caractéristiques formelles.
Abstract
Anthroponymy, Migrations and Frontiers : Notes on the « Mozarabic Situation » in the
Northeastern part of the Iberic Peninsula (9th-11th centuries).
From the ninth to the eleventh century, some regions in the north of the Iberic peninsula (Galicia,
Mondego, Bierzo, Leon, the Duero River basin, the upper valley of the Ebro, the « Vall d’Àger »
…) were set apart by the use of Arab-Romanic anthroponymy whose diffusion can be observed
among Christian populations. By means of an analysis centered on the Kingdom of Leon in its
different elements, this article reconsiders the nature and the origin of this phenomenon of
linguistic convergence. This study is based on the evaluation of two explaining factors : the «
frontier » as a zone of acculturation and migrations as vectors of diffusion of an acculturation that
may have been first realized in Al-Andaluz among Mozarabic populations. In order to determine the real
weight and the correlation of these two factors, it is necessary to map out « arabized » onamastics in
Christian territory, then to date it and to underline its formal characteristics.
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Cyrille AILLET*
ANTHROPONYMIE, MIGRATIONS,
FRONTIÈRES : NOTES
SUR LA « SITUATION MOZARABE »
DANS LE NORD-OUEST IBÉRIQUE
(IXe-XIe SIÈCLE)
Cyrille Aillet est maître de conférences en histoire des mondes musulmans médié-
vaux à l’Université Lumière-Lyon 2, CIHAM-UMR 5648.
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Duero, dont Zamora constitue la clef d’accès. Selon les calculs de Pascual
Martínez Sopena, la proportion des personnages signalés par un nom à conso-
nance arabe dans cette documentation entre 876 et 1200 atteint la proportion de
15% du total, soit à peine moins que les « noms religieux chrétiens » (17%). Le
fonds onomastique arabo-roman aurait donc sérieusement concurrencé les
modèles germano-wisigothique et latin, qui représenteraient respectivement 25
et 27 % des noms attestés5. À l’est de la capitale, les vallées de l’Esla et du Cea
– où se trouvent les monastères de San Miguel de Escalada6, Sahagún, Eslonza
et Ardón – se signalent aussi par la présence d’une onomastique hybride 7.
Selon nos calculs, la documentation du monastère de Sahagún comprend ainsi,
entre 857 et l’an mil, 218 anthroponymes arabisés, soit 7,3 % du total8.
Troisième espace de fixation des noms arabisés : le Bierzo, autour d’Astorga,
du lac de Sanabria et des monastères de San Martín de Castañeda et Peñalba.
Le cartulaire du monastère de San Pedro de Montes contient ainsi quatre-vingt-
cinq noms arabisés, représentant 8 % des personnes recensées au XIe siècle, et
10 % au XIIe siècle9. Celui d’Astorga mentionne également de nombreux petits
propriétaires libres qui portent des noms arabisés. Les premiers apparaissent en
87710 : Ebraheme11, Kacemene12, Haceme13, Esoabene14. Dans une charte datée
de 878, un témoin sur six en moyenne porte un nom d’origine arabe : Taref,
Alef, Mutarrafe, Alvalit, Abderahana, Aiza, Ababdella, Huleima, Corexe15.
Le phénomène prend une ampleur encore plus considérable dans la région de
la Beira, entre le Mondego et le Duero, un espace encadré par les villes de
Coimbra au sud et de Porto au nord. Les cartulaires de Santa Cruz de Coimbra
et de Lorvão sont des mines pour qui s’intéresse à l’onomastique arabo-
romane. La proportion de noms arabisés atteint des pics sur les terres du
23. IBN HAYYAN, Muqtabis VII, éd. AL-HAJJI ‘A.‘A., Beyrouth, Dar at-Thaqâfa, al-Maktabat al-
Andalusiyya, 1983, p. 63-64 ; trad. GARCIA GOMEZ (E.), Anales palatinos del califa de Córdoba al-
Hakam II, por ‘Îsâ Ibn Ahmad al-Râzî, Madrid, 1967, p. 80.
24. UBIETO ARTETA (A.) éd., Cartulario de Albelda, Textos medievales 1, Valence, 1960.
25. DURAN GUDIOL (A.) éd., Colección diplomática de la catedral de Huesca, Saragosse, 1965.
26. MANZANO (E.), La frontera de al-Andalus, p. 101 et 106.
27. Dans les textes arabes chrétiens d’al-Andalus, on trouve le latin Petrus transcrit sous la
forme Batrû.
28. BENET I CLARÀ (A.), « Els mossàrabs a Catalunya. El cas de la Vall D’Àger », Catalunya
romànica, t. XVII, La Noguera, Barcelone, Enciclopèdia catalana, 1994, p. 28-31 (le document y
est transcrit et traduit, avec une reproduction de l’original, p. 30).
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– un latin très imprégné par les formes dialectales – pour les transactions
importantes, elle avait incorporé quelques noms d’origine arabe, eux aussi
déformés par le filtre dialectal.
29. On peut le vérifier par exemple à la lumière des travaux de DOLSET (H.), Frontière et
pouvoir en Catalogne médiévale. L’aristocratie dans l’ouest du comté de Barcelone (début Xe-
milieu XIIe siècle), thèse inédite sous la direction de Benoît Cursente, Université Toulouse-Le
Mirail, 2004.
30. LARREA (J.J), VIADER (R.), « Aprisions et presuras au début du IXe siècle : pour une étude
des formes d’appropriation du territoire dans la Tarraconaise du haut Moyen Âge », De la
Tarraconaise à la Marche Supérieure d’al-Andalus (IVe-XIe siècle). Les habitats ruraux, SÉNAC
(Ph.) éd., Toulouse, CNRS-Université de Toulouse-Le Mirail, Collection « Méridiennes », Série
« Études Médiévales Ibériques », 2006, p. 183-200.
31. Cf infra.
32. Cf infra.
33. ZIMMERMAN (M.), Écrire et lire en Catalogne (IXe-XIIe siècle), Madrid, Bibliothèque de la
Casa de Velázquez 23, 2003.
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37. AUGUSTO RODRIGUES (M.), AVELINO DE JESUS DA COSTA (C.) dir., Livro Preto. Cartulário
da Sé de Coimbra, Coimbra, Arquivo da Universidade de Coimbra, 1999, n° 454, p. 616-617.
38. Ibid., n° 454, p. 616-617.
39. HITCHCOCK (R.), « Arabic proper names ».
40. AGUILAR (V.), « Onomástica de origen árabe en el reino de León (siglo X) », p. 355.
41. AUGUSTO RODRIGUES (M.), AVELINO DE JESUS DA COSTA (C.) dir., Livro Preto.
42. DURAN GUDIOL (A.) éd., Colección diplomática de la catedral de Huesca.
43. AGUILAR (V.), « Onomástica de origen árabe en el reino de León (siglo X) », p. 355-356.
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connu pour la Beira, reconquise sur les musulmans par Ferdinand I en 106444,
mais on le constate aussi dans le reste de la documentation du nord-ouest
ibérique. L’effacement de cette vogue du nom arabisé ne provient pas forcé-
ment d’une politique concertée, mais traduit les changements politiques et
idéologiques intervenus dans le nord de la péninsule Ibérique à cette époque :
dans un contexte de durcissement de la lutte contre l’Islam, la réforme grégo-
rienne impose un certain alignement culturel sur les critères de l’Église
romaine. Un nouveau répertoire de noms de baptême s’impose alors, qui
chasse les anciens usages encore attestés dans certaines régions où le contact
avec les référents de la culture andalouse avaient été intenses.
47. NEF (A.), « Anthroponymie et jarâ’id de Sicile : une approche renouvelée de la structure
sociale des communautés arabo-musulmanes de l’île sous les Normands », L’anthroponymie,
document de l’histoire sociale, p. 123-142.
48. SUBLET (J.), Le voile du nom, Paris, 1991.
49. AGUILAR SEBASTIAN (V.) RODRIGUEZ MEDIANO (F.), « Antroponimia de origen árabe »,
p. 542.
50. Karta de venditionis de Vilella, PMH IV, n°229, p. 143 ; Alia karta de venditionis de Villela,
PMH IV, n° 230, p. 143 ; Testamentum de Boton de venditionis, PMH IV, n° 240, p. 149.
51. On peut proposer la restitution suivante, qui demeure hypothétique : Yahya Ibn Farah Ibn
‘Abbâd al-Ghassânî.
52. Que l’on peut tenter de restituer ainsi : Abd Allâh Ibn Mas‘ûd al-Qaysî.
53. Tentative de restitution : Marwân Ibn Farah al-Lakhmî (ou al-Lahmî).
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Alamavi54. Non seulement les noms sont parfaitement arabes, mais les nisba-s
peuvent se référer à des origines tribales arabes prestigieuses si l’on accepte
d’y voir des références aux Ghassânides, aux Qaysites, voire aux Lakhmides55.
Ces trois chartes mettent en tout cas en exergue les différences de fonction-
nement entre le système onomastique arabo-musulman et l’éventail local des
noms chrétiens arabisés. Ces derniers, quand ils ne sont pas réduits à un ism
d’origine arabe, restent identifiables par leur structure et par l’emploi d’un
répertoire mixte associant des emprunts aux stocks onomastiques roman et
arabe. Le stock des noms arabisés de Sahagún jusqu’à l’an mil comprend ainsi
20% de noms composites associant un nom roman à un nom arabisé : Abdella56
Iben Taion, Abol Feta 57 Iben December, Iscam Recaredez 58, Zuleman 59
Pilotiz... La transmission du nom se fait d’ailleurs de manière apparemment
indifférente, le père portant un nom roman et donnant un nom arabisé à son
fils, ou bien l’inverse. La transmission du nom semble donc se caractériser par
un certain éclectisme.
Il est vrai que cette « immigration mozarabe » est bien attestée par les
sources latines du nord. Vingt-sept mentions textuelles rappellent la présence
ou l’arrivée des Hispani, c’est-à-dire des chrétiens venus d’al-Andalus72, dans
le nord entre le VIIIe et le milieu du XIIe siècle. Il peut s’agir de la simple
mention de l’origine d’un personnage, ou bien de récits plus étendus rappelant
l’exil d’abbés ou d’évêques qui jouèrent un rôle dans la « restauration » de la
vie ecclésiastique des régions dépeuplées de la frontière. Le déroulement est
toujours sensiblement le même : victimes de « l’oppression sarrasine »,
déracinés, ces étrangers arrivent sur des terres vierges de toute occupation
humaine, de toute structure, de tout ordre établi, dont les cités ont été livrées au
désert. Comme l’avait remarqué Pierre David en son temps, l’association des
thèmes du dépeuplement et du repeuplement, de la destruction et de la restau-
ration illustre en fait la « thèse juridique » et idéologique de la monarchie
asturo-léonaise73. Celle-ci consiste à présenter le monarque comme le restaura-
teur de l’ordre visigothique. Magnanime, il accueille l’exilé et lui concède les
68. DIAZ-JIMÉNEZ (J.E.), « Inmigración mozárabe » ; GOMEZ MORENO (M.), Iglesias mozárabes ;
SANCHEZ ALBORNOZ (Cl.), Despoblación y repoblación.
69. MINGUEZ (J.M.) , « Innovación y pervivencia en la colonización del valle del Duero »,
Despoblación y colonización del valle del Duero, siglos VIII-XX, IV Congreso de Estudios medie-
vales, Fundación Sánchez Albornoz, León, 1995, p. 45-81.
70. RUIZ ASENCIO (J.M.) éd., Colección documental del archivo de la catedral de León, t. III,
FEHL 43, n° 806, p. 399-400.
71. URVOY (D.), « Les aspects symboliques du vocable « mozarabe ». Essai de réinterpréta-
tion », Studia Islamica 78, 1993, p. 117-153.
72. Le terme hispanus se réfère en effet principalement, dans la documentation du nord, aux
habitants de l’Hispania ou Spania, partie de la Péninsule occupée par les Arabes. Cette nuance
perdure jusqu’au XIIIe siècle.
73. DAVID (P.), Études historiques sur la Galice et le Portugal du VIe au XIIe siècle, Lisbonne-
Paris, 1947.
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74. GOMEZ MORENO (M.), Iglesias mozárabes ; SANCHEZ ALBORNOZ (Cl.), Despoblación y
repoblación ; LEVI-PROVENÇAL (E.), L’Espagne musulmane au Xe siècle, institutions et vie sociale,
Paris, 1932, rééd. Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, p. 214-226.
75. GOMEZ MORENO (M.), Iglesias mozárabes, p. 76.
76. Ibid., p. 141.
77. Ibid., p. 169.
78. VAZQUEZ DE PARGA (L.), « Los documentos sobre las presuras del obispo Odoario de
Lugo », Hispania 41, 1950, p. 649-653 ; ONEGA LOPEZ (J.R.), Odoario el Africano (la colonización
de Galicia en el s. VIII), La Corogne, 1986.
79. LUCAS ÁLVAREZ (M.), El Tumbo de San Julián de Samos (siglos VIII-XII), Santiago de
Compostela, 1986.
80. FLORIANO (A.C.), Diplomática española del período astur, Oviedo, 1949, t. II, n° 165,
p. 269-277.
81. Il serait trop long de tous les citer. Rien que pour l’abbé Argericus, initiateur de la série :
LUCAS ÁLVAREZ (M.), El Tumbo de San Julián, n° 41 (853), p. 135-137 ; n° 3 (856), p. 64-66; doc.
S-2 (922), p. 443-447 ; n° 34 (931), p. 123-125; n° 35 (934), p. 125-128 ; n° 172 (1080), p. 342-
344.
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82. BONNAZ (Y.), Chroniques asturiennes (fin IXe siècle), Paris, CNRS, 1987, p. 55.
83. RODRIGUEZ GONZALEZ (A.) éd, El tumbo del monasterio de San Martín de Castañeda, León,
Centre de Estudios e Investigación « San Isidoro «, 1973, p. 4-5.
84. CDCA, vol. I ; RODRIGUEZ GONZALEZ (M.C.), DURANY CASTILLO (M.), « El sistema antro-
ponímico en el Bierzo », p. 71-81.
85. CDCA, vol. I, n°48 et 55.
86. IBN HAYYAN, Muqtabis V, éd. p. 466-468, trad. p. 350-351.
87. DIAZ-JIMÉNEZ (J.E.), « Inmigración mozárabe », p. 131.
88. GOMEZ MORENO (M.), Iglesias mozárabes, p. 141-142.
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C’est d’autant plus probable que l’on constate une certaine similitude entre
l’onomastique arabo-romane des terres du nord et les usages des populations
chrétiennes ou d’origine autochtone en al-Andalus au cours des IXe-Xe siècles.
En effet, les chrétiens d’al-Andalus adoptent à partir du IXe siècle des noms
mixtes associant à un répertoire latin ou roman des références à l’anthropo-
nymie arabe. La documentation est trop maigre pour qu’on en tire une étude
réellement satisfaisante sur le plan quantitatif, mais l’échantillon des noms
disponibles abonde dans ce sens. L’anthroponymie chrétienne témoigne de
trois tendances : la conservation d’un nom latin91, l’hybridation du nom92 ou
l’adoption d’un nom parfaitement arabisé 93. Comme dans le nord de la
Péninsule, d’une génération à l’autre on alterne noms arabes et noms romans94.
Comme dans le nord, les noms théophores et bibliques semblent également
répandus.
L’arabisation du nom ne se manifeste chez les chrétiens d’al-Andalus qu’à
partir du IXe siècle et répond à un phénomène d’acculturation. En effet, le
répertoire du nom arabe ne se diffuse qu’au moment où la langue arabe
s’impose à l’ensemble de la société en tant que principal vecteur de la culture
95. KASSIS (H.), « The mozarabs », dans MENOCAL (M.R.), SCHEINDLIN (R.P.), SELLS (M.) éd.,
The literature of al-Andalus, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 420-431 ; URVOY
(M.Th.), « La culture et la littérature arabe des chrétiens d’al-Andalus », Bulletin de Littérature
Ecclésiastique 92 (1991), p. 259-275 ; VAN KONINGVSELD (P.S), « Christian arabic literature from
medieval Spain : an attempt at periodization », dans KHALIL SAMIR (S.), NIELSEN (J.S), Christian
arabic apologetics during the abbasid period (750-1258), Leyde, Brill, 1994, article IX, p. 203-
224.
96. URVOY (M.Th.), Le Psautier mozarabe de Hafs le Goth, Toulouse, Presses Universitaires du
Mirail, 1994.
97. Notamment dans le célèbre passage du Muqtabis III où il distingue, au sein de la population,
les différents groupes à l’origine de la fitna : IBN HAYYAN, Muqtabis III, éd. ANTUÑA (M.), p. 51.
98. OLIVER PÉREZ (D.), « Una nueva interpretación de “Árabe”, “Muladí” y “Mawla” como
voces representativas de grupos sociales », Proyección histórica de España en sus tres culturas :
Castilla y León, América y el Mediterráneo, Valladolid, 1993, p. 143-155 ; FIERRO (M.), « Cuatro
preguntas en torno a Ibn Hafsûn », Al-Qantara 16, 1995, p. 220-257 ; FIERRO (M.), « Mawâlî and
muwalladûn in al-Andalus (second/eighth-fourth/tenth centuries) », dans BERNARD (M.), NAWAS
(J.) éd., Patronate and Patronage in Early and Classical Islam, Leyde, Brill, 2005, p. 195-245.
99. IBN HAYYAN, Muqtabis III, éd. ANTUÑA (M.), p. 75.
100. Peut-être issu du prénom Rodolphe dans l’une de ses variantes.
101. IBN HAYYAN, Muqtabis III, éd. ANTUÑA (M.), p. 15-16.
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Cette hypothèse implique toutefois que l’on identifie toute personne portant
un nom arabo-roman à un immigré chrétien venu d’al-Andalus, mais aussi que
l’on considère que le nom renvoie à une arabisation linguistique dont on
constate effectivement les prémices dans la culture écrite des chrétiens d’al-
Andalus de la seconde moitié du IXe siècle. Les sources nous permettent-elles
de constater, dans le nord-ouest péninsulaire au cours du haut Moyen Âge, une
pratique effective de l’arabe ?
Les mentions textuelles d’une telle pratique n’existent pas, hormis dans un
récit consigné par un auteur sévillan nommé al-Muwa‘înî vers 559/1164 110.
Lors d’une expédition dans la région de Porto, le souverain ‘abbâdide al-
Mu‘tadid (1042-1069) se serait emparé d’une forteresse dont la majorité des
défenseurs chrétiens parlait l’arabe et se prétendait d’origine arabe. Notre
analyse de ce texte a toutefois démontré qu’il était difficile d’y voir un
document sur la frontière, tant il obéissait à une série de topoï littéraires dont le
111. AILLET (C.), « Aux marges de l’Islam : le château des Deux Frères et le dernier des
Ghassanides », dans DESWARTE (Th.) et SÉNAC (Ph.) dir., Guerre, pouvoirs et idéologies dans
l’Espagne chrétienne autour de l’an mil, Brepols, 2005, p. 25-35.
112. AL-MAS‘UDI, Murûj al-dhahab wa ma‘âdhin al-jawhar, trad. BARBIER DE MEYNARD et
PAVET DE COURTEILLE, revue et corrigée par PELLAT (Ch.), Les Prairies d’or, Paris, 1965, t. II, p.
343-346 ; éd. PELLAT (Ch.), Beyrouth, 1966, t. II, p. 145-150 ; BARCELO (M.), « Una nota entorn
del « Llibre dels reis francs « regalat pel bispe Gotmar de Girona, l’any 384/940, a al-Hakam, a
Còrdova », Homenatge a Lluís Batlle i Prats, Annals de l’Institut d’Estudis Gironins 25-1, 1979-
1980, p. 127-136.
113. GOMEZ-MORENO (M.), Iglesias mozárabes, p. 115.
114. BALAGUER (F.), « Notas documentales sobre los mozárabes oscenses », Estudios de Edad
Media de la Corona de Aragón 2, 1946, p. 14-16.
115. LACARRA (J.M.), « Documentos para el estudio de la reconquista y repoblación del Valle
del Ebro », Estudios de Edad Media de la Corona de Aragón, Sección de Zaragoza, Saragosse,
1946, II, doc 1, p. 471 (6 juillet 1086).
116. À propos de la circulation de manuscrits dans la Péninsule : DIAZ Y DIAZ (M.C.), « La
circulation des manuscrits dans la péninsule Ibérique du VIIIe au IX e siècle », Cahiers de
Civilisation Médiévale, 1969, p. 219-241 et p. 383-392 et DIAZ Y DIAZ (M.C.), Manuscritos visigó-
ticos del sur de la península : ensayo de distribución regional, Séville, Secretariado de
Publicaciones de la Universidad de Sevilla, 1995 (abrégé MVSP). Le seul ouvrage qui propose une
analyse d’ensemble des manuscrits latins annotés en arabe est VAN KONINGSVELD (P.S.), The
Latin-Arabic glossary of the Leiden University Library. A contribution to the study of Mozarabic
manuscripts and literature, Leyde, Leiden New Rhine Publishers, 1976.
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117. DIAZ Y DIAZ (M.C.), MVSP, p. 125-127 ; BEER (R.), Die Handschriften des Klosters Santa
María de Ripoll, I, Vienne, 1907-1908, p. 34, traduction catalane BARNILS I GIOLS (P.), « Los
manuscrits del monastir de Santa María de Ripoll », Real Academia de Buenas Letras de
Barcelona, Año IX, n°36, 1909, p. 161-164 ; MILLÀS VALLICROSA (J.M.), « El manuscrit mossà-
rabic n°49 del fons de Ripoll », Butlleti de la Biblioteca de Catalunya, 7, 1927, p. 337-338 ; ID.,
« Valoración de la cultura románica en la época de Santa María de Ripoll », Pirineos, I, 1945, p.
76-77 ; ID., Assaig d’història de les idees físiques i matemàtiques a la Catalunya medieval,
Barcelone, 2e édition 1983, p. 91-92 ; SAMSO (J.), « Cultura científica àrab i cultura científica
llatina a la Catalunya altmedieval : el monestir de Ripoll i el naixement de la ciencia catalana »,
Symposium internacional sobre els orígens de Catalunya (segles VIII-XI), vol. I, Barcelone, 1991,
p. 265-266 ; P UIGVERT I P LANAGUMÀ (G.), Astronomia i astrologia al monestir de Ripoll,
Barcelona, Universitat Autònoma de Barcelona, 2000, p. 54-55.
118. Les deux meilleures études sont : CUSTODIO LOPEZ (A.), « Las glosas marginales árabes del
Codex visigothicus legionensis », Codex biblicus legionensis. Veinte estudios, León, 1999, p. 303-
318 et RAMIREZ (J.M.), « Las glosas marginales árabes del Codex Visigothicus Legionensis de la
Vulgata », Scripta Theologica 2, Pampelune, 1970, p. 303-339.
119. Madrid, Biblioteca Nacional, Vitr. 13.1, Biblia Hispalensis.
120. CUSTODIO LOPEZ (A.), « Las glosas marginales ».
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121. MENTRÉ (M.), La peinture mozarabe : un art chrétien hispanique autour de l’an 1000,
Paris, Desclée de Brouwer, 1995.
122. DIAZ Y DIAZ (M.C.), MVSP ; MILLARES CARLO (A.), Corpus de códices visigóticos (abrégé
CCV), éd. revue par DIAZ Y DIAZ (M.C.), MUNDO (A.) et alii, Las Palmas de Gran Canaria,
Gobierno de Canarias – Universidad de Educación a Distancia, 1999, 2 vol.
123. Madrid, Biblioteca nacional, ms. 1872 ; MARTINEZ DIEZ (G.), La colección canónica hispá-
nica, I Estudio, Madrid-Barcelone, 1966, p. 128-130 ; VAN KONINGSVELD (P.S.), The Latin-Arabic
Glossary, p. 46 ; DIAZ Y DIAZ (M.C.), MVSP, p. 108-109 ; MILLARES CARLO (A.), CCV, n°157, p.
106-107.
124. Tolède, Biblioteca capitular, ms. 11.4. On a peu écrit sur ce manuscrit : GOMEZ MORENO
(M.), Iglesias mozárabes, p. 378-384 ; MILLARES CARLO (A.), Los códices visigóticos de la
catedral de Toledo, Madrid, 1934, p. 49-50 ; VAN KONINGSVELD (P.S.), The Latin-Arabic Glossary,
p. 48. J’en ai proposé une première analyse : AILLET (C.), « Recherches sur le christianisme arabisé
(IXe-XIIe siècles) : les manuscrits hispaniques annotés en arabe », AILLET (C.), PENELAS (M.),
ROISSE (Ph.), ¿Existe una identidad mozárabe? Historia, lengua y cultura de los cristianos en al-
andalus (ss. IX-XII), Madrid, collection de la Casa de Velázquez vol. 101, 2008, p. 91-134.
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XIIe-XIIIe siècles. Elles nous documentent sur les pratiques linguistiques d’un
groupe de chrétiens arabisés installés en Léon. La mention du commanditaire
peut nous servir d’indice pour une identification plus précise, à condition de
déterminer de quel Dulcidius il s’agit, car plusieurs personnages portent ce
nom dans la documentation léonaise.
Tous les spécialistes de la question ont cru reconnaître en lui le prêtre
Dulcidius, envoyé à Cordoue en 883, d’où il aurait rapporté les reliques
d’Euloge et de Léocritia si l’on en croit le récit de la translatio à Oviedo en
884125. Mais il s’agit probablement ici d’un autre personnage, à savoir l’évêque
Dulcidius de Zamora, qui occupa cette charge entre 914 et 956126. La ville fut
conquise par Alphonse III en 892-893 puis restaurée et repeuplée grâce à un
afflux de chrétiens venus de Tolède. La domination chrétienne sur la ville ne se
stabilisa qu’après la tentative de reconquête menée par le prédicateur Ibn al-
Qitt au tout début du Xe siècle127. Quelques années plus tard, la documentation
de Celanova, de Sahagún et de Léon mentionne un certain Atila, qui semble
avoir été le premier évêque en titre128. Dulcidius est donc probablement le
second évêque de Zamora, une ville marquée par le contact avec l’Islam et la
présence d’une communauté chrétienne originaire des territoires islamiques. La
région, l’époque et le milieu concordent avec ce que nous savons du manuscrit.
Zamora ou ses environs accueillaient en tout cas au Xe siècle des clercs ou
des moines instruits dans les deux langues, arabe et latin. Leurs bibliothèques
devaient rassembler, à côté des références patristiques habituelles, quelques
ouvrages en arabe, notamment des Bibles traduites dans cette langue, dont ils
tirèrent certaines des traductions marginales du codex de Dulcidius. Il devait
s’agir d’une communauté suffisamment importante pour que le système de
notes en arabe constitue une sorte de guide du lecteur à usage interne, un
lecteur habitué à lire et penser en arabe.
125. España Sagrada t. X, p. 457; Acta Sanctorum, 11 mars (Mars II, p. 89).
126. AILLET (C.), « Recherches sur le christianisme arabisé (IXe-XIIe siècles) ».
127. IBN HAYYAN, Muqtabis III, éd. ANTUÑA (M.), p. 109 et 133-139.
128. Colección documental del archivo de la catedral de León, éd. SAEZ (E.), t. I, acte n° 39.
129. Tiré de Abû Sulaymân.
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Abomuza130, quand elle ne se fond pas dans la voyelle suivante (Abomar131), car
la condensation est de règle (Abzecri, Abozan132). La vocalisation suit des
règles calquées sur la pratique orale, que l’on retrouve d’ailleurs encore
aujourd’hui dans les parlers arabes : Zecri, Omar, Naccer, Hamer,
Habdelmelek133...
La fidélité de la transcription phonétique dans les chartes, malgré les varia-
tions que l’on peut constater entre les diverses occurrences du même nom,
laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une traduction de l’arabe vers le latin, mais
de la consignation naturelle d’un répertoire familier aux scribes, sans doute
parce qu’il était largement diffusé dans les usages courants de la langue verna-
culaire. C’est sans doute le vecteur de la langue vernaculaire « romane » qui a
servi à introduire dans la langue écrite « latine » ce bagage linguistique arabo-
roman, passage facilité par l’extrême porosité entre les deux registres de langue
dans les cartulaires locaux jusqu’au XIe siècle.
138. ESTEPA DIAZ (C.) dir., Estructura social de la ciudad de León, p. 157.
139. G OMEZ M ORENO (M.), Iglesias mozárabes ; M ENTRÉ (M.), La peinture mozarabe ;
FONTAINE (J.), L’art mozarabe, t. II de L’art préroman hispanique, Paris, Zodiaque, La Nuit des
Temps, 1977.
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