Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
Piotet Françoise. Coopération et contrainte. A propos des modèles d'Aoki. In: Revue française de sociologie, 1992, 33-4.
Organisations, firmes et réseaux. pp. 591-607;
doi : 10.2307/3322227
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1992_num_33_4_5625
Taking up works of theorists of the contingency, Aoki describes the different capacities of hierarchical
and cooperative models to adapt to varying economic environments. Without actually managing to
overstep the deterministic character of the contingency movement, Aoki puts forward a theorization of
the cooperative model which greatly contributes to enterprise sociology. One of the openings gained
through this new view is that of being able to show the existence within « sociation » of two classic
ideals : the hierarchical model and the cooperative model. This view also makes it possible to identify
the prerequisites of the cooperative model and the difficulties which arise from the co-existence of
these two models within the same social system.
Resumen
Françoise Piotet : Coopéración y obligación. A propósito de los modelos de Aoki.
Retomando por su cuenta los trabajos de los teóricos de la contingencia, Aoki describe las diferentes
capacidades de adaptación de los modelos jerárquicos y cooperativos de unos medios económicos
diferentes. Sin llegar a exceder el carácter determinista del curso de la contingencia ; no obstante,
Aoki propone una teoría del modelo cooperativo que constituye una contribution mayor a la sociologia
de la empresa. Entre otras cosas, este aporte permite demostrar la existencia en el seno de « la
sociación » de dos idéales tipos : el modelo jerárquico y el modelo cooperativo. Igualmente, ello
permite identificar los prerequeridos del modelo cooperativo y la dificultad de coexistir en el seno de un
mismo sistema social.
Zusammenfassung
Françoise Piotet : Zusammenarbeit und Zwang. Zu Aokimodellen.
Aoki übernimmt die Arbeiten der Kontingenztheoretiker und beschreibt die verschiedenen
Anpassungsfähigkeiten der Hierarchie- und Zusammenarbeitsmodellen an verschiedene
wirtschaftliche Umfelde. Ohne damit die deterministische Eigenschaft des Kontingenzstroms
überwinden zu Konnen, schlagt Aoki jedoch eine Theorisierung des Zusammenarbeitsmodelles vor,
die einen wesentlichen Beitrag zur Unternehmenssoziologie liefert. Dieser Beitrag erlaubt unter
anderem aufzuzeigen, das es zwei Idealtypen inmitten der « Sozierung » gibt : das hierarchische und
das kooperative Modell. Damit konnen ebenfalls die Voraussetzungen des Zusammenarbeitsmodells
und die Schwierigkeit der beiden Modelle in ihrer Koexistenz inmitten des selben sozialen Systems
identifiziert werden.
Résumé
En reprenant à son compte les travaux des théoriciens de la contingence, Aoki décrit les capacités
d'adaptation différentes des modèles hiérarchique et coopératif à des environnements économiques
différents. Sans parvenir à dépasser le caractère déterministe du courant de la contingence, Aoki
propose cependant une théorisation du modèle coopératif qui constitue une contribution majeure à la
sociologie de l'entreprise. Cet apport permet, entre autres, de démontrer l'existence au sein de « la
sociation » de deux idéaux-types : le modèle hiérarchique et le modèle coopératif. Il permet également
d'identifier les prérequis du modèle coopératif et la difficulté des deux modèles à coexister au sein d'un
même système social.
R. franc, sociol. XXXIII, 1992, 591-607
NOTE CRITIQUE
Coopération et contrainte
RÉSUMÉ
En reprenant à son compte les travaux des théoriciens de la contingence, Aoki
décrit les capacités d'adaptation différentes des modèles hiérarchique et coopératif à
des environnements économiques différents. Sans parvenir à dépasser le caractère
déterministe du courant de la contingence, Aoki propose cependant une théorisation du
modèle coopératif qui constitue une contribution majeure à la sociologie de
l'entreprise. Cet apport permet, entre autres, de démontrer l'existence au sein de «la socia-
tion » de deux idéaux-types : le modèle hiérarchique et le modèle coopératif. Il permet
également d'identifier les prérequis du modèle coopératif et la difficulté des deux
modèles à coexister au sein d'un même système social.
591
Revue française de sociologie
Les travaux comparatifs que conduit depuis plusieurs années Aoki (1)
sur les entreprises japonaises et américaines l'ont amené à identifier, sous
forme de faits stylisés selon le vocabulaire des économistes ou d'idéaux-
types pour adopter celui des sociologues, deux modèles contrastés
d'organisation : le modèle «A» et le modèle «J» dont les formes sont
antithétiques. Le modèle «A» qui représente la firme américaine se
caractérise par une organisation reposant essentiellement sur «une séparation
hiérarchique des tâches et des fonctions», dont les références demeurent
très tayloriennes. Pour illustrer ce point, Aoki propose trois exemples : la
programmation de la production dans l'industrie automobile, le contrôle
de qualité dans la sidérurgie et le développement d'un nouveau produit
chez un fabricant d'ordinateurs. Dans les trois cas, Aoki constate que toutes
les activités de planification, qu'il s'agisse de lancer un nouveau produit,
d'organiser le contrôle de qualité ou de programmer la production, sont
toujours confiées à «des bureaux situés au plus haut niveau hiérarchique
de chaque fonction». Il s'agit toujours d'une «planification par en haut»
dont les programmes précisent très strictement la nature et l'ordre des opé-
(1) Les citations qui suivent sont extraites de «Le management japonais...» (1991b).
593
Revue française de sociologie
(2) Voir à ce propos le débat entre P. d'Iribarne (1991) et M. Maurice, F. Sellier et J.-J.
Silvestře (1992) dans la Revue française de sociologie.
594
Françoise Piotet
Le modèle coopératif
(3) « The most inherent difficulty in the level with general purposes. » (Barnard, éd.
operation of the cooperative system is the ne- 1968, p. 233)
cessity of endoctrinating those at the lower
595
Revue française de sociologie
Le modèle coopératif que présente Aoki est plus élaboré que celui de
Barnard, il est aussi heureusement débarrassé des présupposés idéologiques
que l'on trouve chez ce dernier. Ayant caractérisé son modèle par les deux
traits déjà mentionnés de la «coopération horizontale entre fonctions» et
du «partage des informations obtenues sur place», Aoki s'attache à définir
les prérequis nécessaires au fonctionnement de son modèle. Il en mentionne
trois. « Pour que les unités opérationnelles soient impliquées dans une
coordination mutuelle de leurs tâches», il faut qu'elles soient capables, pour
reprendre ici une expression empruntée à H. Simon, «d'absorber
l'incertitude» et donc que chaque membre puisse «traiter le problème sur place»,
ce qui signifie qu'il ait «une aptitude à faire preuve de sa compétence à
son poste tout en se montrant capable de traiter de façon autonome les
problèmes qui peuvent apparaître». Plus concrètement par exemple, les
ouvriers ont le droit d'arrêter la chaîne s'ils l'estiment nécessaire et sans
en référer à quiconque. Ils doivent aussi avoir, deuxième prérequis,
complémentaire du précédent, outre une qualification spécifique, ce que les er-
gonomes nommeraient une «compétence opératoire» qui dépasse
l'expertise en intégrant la capacité à communiquer, à travailler en équipe,
à prendre des décisions individuellement et collectivement. Ceci implique
donc que les salariés aient une bonne connaissance du processus de
production, troisième prérequis, favorisé par l'organisation systématique de
la mobilité des travailleurs qui les familiarise avec des tâches variées et
renforce leur capacité à dégager et à transmettre les informations
nécessaires au bon fonctionnement du modèle «J». Il faudrait ajouter à ces
trois prérequis un quatrième qu'Aoki ne mentionne que de manière très
allusive : celui de l'organisation matérielle de la production susceptible
d'autoriser ce type de fonctionnement (4).
Un tel fonctionnement organisationnel est loin d'être spontané. Aoki
reconnaît qu'il a été facilité au Japon, au cours des deux précédentes
décennies, par la possibilité de recruter des jeunes ouvriers qualifiés et
l'homogénéité ethnique au sein des entreprises japonaises. Au-delà de ces
facteurs favorables, cette coopération ne fonctionne que parce qu'elle est
soutenue par un mécanisme puissant de stimulation: la hiérarchie des
grades distincts pour les ouvriers, les employés, les ingénieurs et les cadres
chargés du contrôle et du management. «Chaque grade correspond à un
certain niveau de salaire mais non à une fonction particulière. Ainsi, des
employés de même grade peuvent exercer des fonctions différentes. Après
l'engagement à un même niveau de départ, correspondant à un degré
d'instruction donné, les employés sont en compétition tout au long de leur
carrière pour leur montée en grade», les critères de promotion étant
l'ancienneté et le mérite, le mérite permettant de reconnaître la compétence
opératoire du salarié. Si la promotion est identique pour tous en début de
(4) Voir à cet égard la description très claire qu'en donne B. Coriat (1991), en particulier
dans les deux premiers chapitres.
596
Françoise Piotet
Dans un tel système, la fonction personnel est investie d'un rôle central
et d'un pouvoir considérable car c'est elle qui gère les incitations à la
coopération et les équilibres au sein de cette double dépendance. Elle doit
en premier lieu organiser la mobilité des salariés, élément essentiel de
l'apprentissage organisationnel et donc du bon fonctionnement des mécanismes
597
Revue française de sociologie
Le rôle de la direction
(5) M. Bauer (1990) montre bien comment la nomination en France de dirigeants extérieurs
à l'entreprise affecte cette «communauté d'intérêts».
599
Revue française de sociologie
Coopération et communauté
(6) «Une amélioration parétienne se ca- être d'aucun des agents économiques. » (Note
ractérise par un accroissement du bien-être du comité de rédaction de Problèmes écono-
social qui est obtenu sans diminuer le bien- uniques, dans Aoki, 1991b)
600
Françoise Piotet
(7) «Nous appelons "communalisation" le type pur - sur un sentiment subjectif (tra-
une relation sociale lorsque, et tant que, la ditionnel ou affectif) des participants d'ap-
disposition de l'activité sociale se fonde - partenir à une même communauté.» (Weber,
dans le cas particulier, en moyenne et dans éd. 1971, p. 41)
601
Revue française de sociologie
coopératif décrit par Aoki, modèle qui a bien peu à voir avec la
communauté selon Weber.
Enfin, si on observe sur une courte période quelques pratiques mises
en œuvre pour fonder «le sentiment subjectif des participants d'appartenir
à une même communauté», cette thèse ignore tout à fait le lien fondateur
de l'appartenance qui n'est ni traditionnel ni subjectif mais contractuel et
qui, à ce titre et quel que soit par ailleurs le sentiment des agents, peut
être brutalement rompu.
En se situant dans le courant de la contingence, Aoki montre qu'il
n'existe pas un mais deux modèles idéal-typiques d'organisation du travail
et de l'entreprise pouvant coexister au sein de la «sociation» (8). Si la
démonstration est pertinente, comme nous le pensons, elle enrichit de
manière décisive la problématique classique sans toutefois la remettre en
cause. Elle questionne par contre radicalement les applications littérales
contemporaines de cette théorie classique.
La démonstration d'Aoki soulève néanmoins de nombreuses
interrogations dont chacune ouvre de nouvelles perspectives de recherche. La
coexistence de deux modèles contrastés au sein de la «sociation» est
éminemment problématique. Elle l'est parce que chacun des modèles ainsi
théorisés repose sur une cohérence forte incluant, comme on l'observe dans
le modèle «J», un mode spécifique d'accès au pouvoir, une coalition
externe dominée, un syndicalisme d'entreprise, un marché interne du travail,
une division floue des tâches et des fonctions, alors que le modèle
bureaucratique dans sa version stylisée présente, terme à terme, des
caractéristiques inverses. Deux systèmes aussi antagonistes peuvent-ils coexister
au sein d'une même structure socio-économique? Aoki se contente de
constater que l'économie japonaise est plutôt performante dans les secteurs
caractérisés par «un environnement qui change constamment mais pas trop
fortement». En effet, si les Japonais sont très compétitifs dans certains
secteurs industriels, ils ne le sont pas du tout dans d'autres, dont ils sont
même parfois totalement absents, parce que le modèle dominant
d'organisation de l'entreprise qu'ils ont choisi est coopératif et qu'il ne peut
tendre, par ce qu'il implique, qu'à être dominant. N'est-ce pas là une
critique majeure des théories culturelles de l'entreprise qui imputent à des
faits de culture des choix organisationnels de fonctionnement qui ne leur
doivent que très peu? Mais n'est-ce pas aussi, si l'on suit jusqu'au bout
ce raisonnement que l'on pousse ici à l'extrême, le développement
inévitable d'un partage international des secteurs de production en fonction de
modèles dominants d'organisation du travail et de l'entreprise, choisis à
des moments différents de l'histoire et de l'évolution des différents pays?
(8) « Nous appelons "sociation" une rela- ment (en valeur et en finalité) ou sur une co-
tion sociale lorsque, et tant que, la disposi- ordination d'intérêts motivés de même ma-
tion de l'activité sociale se fonde sur un nière. » (Weber, éd. 1971, p. 41)
compromis d'intérêts motivés rationnelle-
602
Françoise Piotet
En choisissant ses modèles dans deux pays différents, Aoki rend visible
le problème majeur qui est ici soulevé.
La contingence revisitée
603
Revue française de sociologie
(10) Cf. Burns et Stalker (1961). La thèse qui «qualifie de mécanique et d'organique le
en est résumée dans Burns (1962). mode le plus répandu d'adaptation au marché
(11) Les citations sont empruntées à respectivement dans les sociétés américaines
Burns (1962). Dans L'économie japonaise, et japonaises » (1991a, p. 48). La référence
Aoki fait référence à un ouvrage de Kagono ne peut être plus explicite !
604
Françoise Piotet
(12) B. Coriat (1991) illustre au contraire stratégie mise en œuvre par Ohno chez Toyota,
très bien ce point à partir de l'exemple de la (13) Voir, entre autres, Satochi (1968).
605
Revue française de sociologie
tion? Cela n'est-il pas également vrai pour tous les autres salariés qui
travaillent dans un tel contexte?
Les mécanismes permettant la mise en œuvre de la coordination
horizontale sont bien décrits par Aoki. Il nous fournit par contre peu
d'informations sur les procédures d'évaluation de la compétence opératoire et
sur les critères et les indicateurs qui fondent les décisions de mobilité,
retenus pour éviter que la compétence collective ne dérive vers un
corporatisme sectoriel. «La lente formation de la compétence» incite à un effort
de recherche fondamentale sur l'apprentissage organisationnel.
L'engagement dans cette voie de quelques chercheurs (Midler, 1989-1990) augure
des développements essentiels à un approfondissement du concept de
compétence et aux modifications de l'organisation du travail qu'il suppose.
Les entreprises sont confrontées à un contexte économique qui les
contraint à réaliser ce double mouvement que Lawrence et Lorsh ont
identifié sous les termes de «différenciation» et d'« intégration». Aoki
démontre que le modèle alternatif à la bureaucratie, celui qui réalise le mieux
la synthèse de ces deux activités antinomiques, est le modèle «coopératif»
et non la «communauté». La construction d'un tel modèle implique un
système de règles dont les mécanismes d'élaboration peuvent être différents
de ceux qu'il présente. Retenons que, dans l'entreprise, la coopération ne
peut être obtenue sans incitations mais aussi sans contraintes. Gageons
simplement que le fait qu'elles soient imposées plutôt que négociées en
modifie peut-être la nature et la perception qu'en ont les salariés. L'apport
d'Aoki au renouvellement des théories de la contingence est, quant à lui,
loin d'être décisif, en particulier parce que, comme ses prédécesseurs, il
conserve une vision déterministe de l'environnement, qui ne rend pas
compte de l'action déterminante des entreprises sur son évolution.
Françoise PIOTET
CNAM, Centre de sociologie du travail et de l'entreprise
2 rue Conté, 75003 Paris
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES