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Drosso Férial. Le viager, essai de définition. In: Revue française de sociologie, 1993, 34-2. pp. 223-246;
http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1993_num_34_2_4242
Aquí, presentamos la primera etapa de un trabajo sobre la venta a vitalicio de bienes inmobiliarios. De
esta transacción desconocida y mal apreciada (la ausencia de datos otros que juridicos, es
significativa a este propósito), dos aspectos han retinido la atención. Por una parte, su especificidad :
el análisis de los mecanismos juridicos muestra que esta transacción une de una manera original la
respuesta a dos preguntas cruciales que conciernen a las personas de edad avanzada, a saber :
vivienda y recursos - lo que conduce a examinar el interés de una disposición colectiva de este tipo de
contrato. De otra parte, los usos sociales que se han hecho de ella asi como las representaciones que
se vinculan : ¿ quién ? ¿ dónde ? ¿ cuánto ? ¿ porqué ? ¿ al precio de que riesgos ? ¿ con desprecio
a cuáles prejuicios ? ¿ en que logica de intercambio inter-generacionales ?
Zusammenfassung
Férial Drosso : Verkauf auf Lebensrentebasis. Versuch einer Definition.
In diesem Artikel wird die erste Stufe einer Arbeit uber den Verkauf auf Lebensrentebasis von
Immobilien vorgestellt. Aus dieser unbekannten und verkannten Transaktion (bezeichnend ist, dass
ausser juristischen, keine andere Daten vorliegen) werden zwei Aspekte berücksichtigt. Einerseits ihre
Besonderheit : die Analyse der juristischen Mechanismen zeigt, dass diese Spezifizität in eigener Art
die Antwort auf zwei Kernfragen zu älteren Personen verbindet, das heisst Wohnung und Ressourcen,
was wiederum zur Prüfung des Interesses einer Kollektiveinrichtung dieser Art Vertrag führt. Der
andere Aspekt betrifft die sozialen Verwendungen dieser Transaktionen, sowie die mit ihnen
verbundenen Vorstellungen : wer ? wo ? wieviel ? warum ? mit welchem Risiko ? Trotz welcher
Vorurteile ? in welcher Generationstauschlogik ?
Abstract
Férial Drosso : Selling real estate for a life income. In view of a definition.
This represents the first stage of a study on selling real estate for a life income. As regards this type of
transaction which is not well known and frequently misunderstood (this is explained by the absence of
information, other than legal, on the subject), there are two points which have been accorded particular
attention. On the one hand, its specificity : the analysis of legal mechanisms shows how, in an original
manner, it brings together the reply to two fundamental questions concerning elderly people, which are
housing and resources - this leads us to look into the need for a collective approach to this type of
contract. On the other hand, the social practice involved and the representations which become part of
the transaction : who ? how much ? at what risk ? disregard of which considerations ? based on which
inter-generation exchange logic ?
Résumé
On présente ici la première étape d'un travail sur la vente en viager de biens immobiliers. De cette
transaction inconnue et méconnue (l'absence de données autres que juridiques est à cet égard
significative), deux aspects ont retenu l'attention. Sa spécificité d'une part : l'analyse des mécanismes
juridiques permet de montrer qu'elle lie de façon originale la réponse à deux questions cruciales
concernant les personnes âgées, à savoir logement et ressources - ce qui conduit à examiner l'intérêt
d'un aménagement collectif de ce type de contrat. D'autre part, les usages sociaux qui en sont faits
ainsi que les représentations qui s'y rattachent : qui ? où ? combien ? pourquoi ? au prix de quels
risques ? au mépris de quels préjugés ? dans quelle logique d'échanges inter-générationnels ?
R. franc, sociol. XXXIV, 1993, 223-246
Ferial DROSSO
RÉSUMÉ
On présente ici la première étape d'un travail sur la vente en viager de biens
immobiliers. De cette transaction inconnue et méconnue (l'absence de données autres
que juridiques est à cet égard significative), deux aspects ont retenu l'attention. Sa
spécificité d'une part : l'analyse des mécanismes juridiques permet de montrer qu'elle
lie de façon originale la réponse à deux questions cruciales concernant les personnes
âgées, à savoir logement et ressources - ce qui conduit à examiner l'intérêt d'un
aménagement collectif de ce type de contrat. D'autre part, les usages sociaux qui en sont
faits 'ainsi que les représentations qui s'y rattachent : qui? où? combien? pourquoi?
au prix de quels risques ? au mépris de quels préjugés ? dans quelle logique d'échanges
inter-générationnels ?
* Cet article est issu d'une communica- que des rentes viagères issues de règles
suction présentée à la 5e Conférence internatio- cessorales, de règles sur le partage et des
rénale de recherche sur l'habitat (Montréal, gles gouvernant la responsabilité délictuelle.
juillet 1992) avec l'appui du Plan Construe- (2) Curiosité d'une démographe ensei-
tion et architecture (Ministère de l'équipe- gnant dans un institut d'urbanisme et plus
ment, du logement et des transports). particulièrement intéressée par les questions
(1) Seule forme de viager à laquelle nous de logement. On verra que le problème du
nous intéressons ici. Outre les viagers immo- viager est au point de convergence de ces dif-
biliers, il existe des viagers financiers (un in- férentes préoccupations,
dividu confie un capital à une société (3) A. Gotman (1988, p. 4). Cf. égale-
moyennant le versement d'une rente), ainsi ment Arrondel et Laferrère (1992).
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mobilier représente 60% des biens transmis par héritage» (Gotman, 1988,
p. 7). Autrement dit, la vente en viager ou le rejet qu'elle provoque
réactualisent la question de l'obligation de transmettre et l'affinent : y a-t-il
bien, aujourd'hui encore, obligation de transmettre? que doit-on
transmettre? quand? à quelle fin? et, surtout, en contrepartie de quoi? de quoi
se délie-t-on en vendant en viager ? et qui se délie ? comment les enfants
perçoivent-ils cet acte ? y aurait-il une utilisation familiale du viager ? quel
sens aurait-elle? Réputée archaïque, la vente en viager ne serait-elle pas
au contraire, aujourd'hui, l'expression d'une conception très moderne des
rapports de transmission ? Autrement dit encore, la pratique du viager parle
surtout de celle qui lui est strictement opposée : la transmission par
héritage. Contre-héritage du point de vue des uns, usurpation d'héritage du
point de vue des autres, c'est encore et toujours d'héritage qu'il s'agit.
L'examen de cette transaction nous paraissait devoir être d'autant plus
fécond qu'elle porte sur un bien souvent chargé de valeur sentimentale et
qui tient une place à part dans l'économie familiale, dans les échanges et
leur cristallisation (4). Ainsi supposions-nous (et nos premières
vérifications semblent le confirmer) que les réticences liées à une vente en viager
sont d'autant plus fortes que le logement à vendre a pris le statut de maison
de famille parce qu'il a été lui-même acquis par héritage ou parce qu'il
a été un lieu de vie et de regroupement pour la famille. La jurisprudence
nous a enseigné que les souvenirs de famille font partie du patrimoine et
que, même lorsqu'ils sont dépourvus de valeur vénale, leur acquisition peut
paraître éminemment désirable (Reynaud-Chanon, 1987). En somme, nous
voulions faire jouer au viager un rôle de révélateur, ce qui explique que
nous nous y soyons intéressé tout en sachant qu'il ne concernait qu'un
nombre faible d'opérations.
A cette série d'interrogations, et en dépit de ce que leur seule
formulation peut déjà expliquer sur l'étroitesse du marché ainsi que sur son
déséquilibre, la demande l'emportant largement sur l'offre, s'ajoute une
certaine perplexité : comment se fait-il qu'un mécanisme permettant de
lier la réponse aux deux questions cruciales concernant les personnes
âgées, leur maintien au domicile et leurs ressources, ne fasse pas l'objet
d'une réflexion collective (5)? comment cela se fait-il, alors que l'on débat
des moyens de pallier la fragilisation des régimes de retraites et de financer
(4) Cf. notamment les travaux de С Bon- (Collot et al., 1977). Il faut également signa-
valet, A. Gotman, A. Laferrère, A. Pitrou et 1er le colloque « Droits et libertés » (20 mars
C. Topalov. 1987) au cours duquel des intervenants, y
(5) II y a bien eu une étude du cleirppa compris des notaires (le notariat français ne
(Centre de liaison, d'étude, d'information et peut être soupçonné de désinvolture à
Tende recherche sur les problèmes des personnes droit du patrimoine et de sa transmission) ont
âgées), testant, dans le cadre de la réforme présenté des arguments en faveur du viager
de l'aide au logement de 1977, des procé- (cf. Gérontologie et société, 1987). Par ail-
dures nouvelles dont le rachat en viager par leurs, l'enquête insee de 1992 sur « Les actifs
une collectivité locale de logements vétustés financiers », qui est en cours d'exploitation,
et leur réhabilitation par un organisme social traite pour la première fois du viager.
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les besoins accrus des personnes âgées? est-il absolument certain que les
diverses formules de viager ne puissent être exploitées dans le cadre d'une
politique sociale concernant les personnes âgées ? faut-il considérer comme
intangibles les pratiques d'accumulation patrimoniale? les personnes âgées
ne peuvent-elles retirer du très important patrimoine immobilier qu'elles
détiennent (6) que des bénéfices indirects, à savoir les soins et services
prodigués par leurs enfants en échange d'un héritage escompté? ne
peuvent-elles le consommer directement et sans intermédiaires?
D'où ce constat : d'un côté une mine de questions, de pistes de
recherche voire d'action, de l'autre le silence, silence des statistiques, silence
de la sociologie. Il explique que nous nous soyons d'emblée fixé un triple
objectif : dresser un état des lieux (qui? où? combien? pourquoi?); établir
un premier inventaire des avantages, risques, garanties, conflits liés à cette
transaction; comprendre d'où nous viennent ces images de «bons» et de
«méchants», de «victimes» et d'« aigrefins» qui surgissent dès qu'on
l'évoque, et interroger leur rôle respectif.
(6) Les retraités et les personnes âgées les résidences secondaires, alors qu'ils repré-
détiendraient 30% du marché immobilier sentent 19% de la population (cf. Thévenet,
pour les résidences principales et 32% pour 1989).
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(7) Et considéré par I'insee comme logé (8) Respectivement, l'Amicale des ren-
gratuitement. Droit d'usufruit et droit d'usage tiers viagers et l'Association nationale pour
et d'habitation sont, l'un et l'autre, des dé- la défense des intérêts des rentiers viagers
membrements du droit de propriété. Le pre- (andirv). L'une et l'autre éditent des bulle-
mier confère à son titulaire le droit d'utiliser tins périodiques.
la chose et d'en percevoir les fruits, le second (9) Nous remercions vivement Karin
en limite le bénéfice aux besoins du titulaire Santoul, chargée de travaux dirigés à l'Uni-
et de sa famille. versité de Paris I, dont l'aide sur ce point
nous a été précieuse.
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situer cette pratique dans les relations familiales : qu'est-ce qui est licite
et qu'est-ce qui ne l'est pas ? qu'est-ce qui est conflictuel ? sur quels
arguments les héritiers peuvent-ils se fonder pour tenter de faire annuler
une vente? etc. A ce stade, nous pouvons présenter un état des lieux et
quelques éléments d'analyse.
Un double contrat
Réglementé par les articles 1964 à 1983 du Code civil ainsi que par la
loi du 25 mars 1949, le contrat de vente en viager est, dans son principe,
un contrat écrit de vente par lequel un individu, appelé crédirentier,
échange un bien immobilier ou mobilier ou un capital contre une rente
que lui devra, jusqu'à sa mort, un individu appelé débirentier. Le paiement
de cette rente est effectué au moyen de versements périodiques, dits
«arrérages». En fait, débirentier et crédirentier peuvent être une ou plusieurs
personnes (11) et la rente peut être constituée sur la tête d'un tiers désigné
par le (ou les) crédirentier(s). La rente s'éteint avec le décès de celui (ou
ceux) sur la tête de qui elle est constituée.
Ce contrat en combine deux autres. En ce qu'il ressortit au contrat de
vente d'immeubles, il est onéreux et synallagmatique (12) ; en ce qu'il
ressortit au contrat de rente viagère, il est successif et aléatoire. Mais ce qui
en fait la spécifité, ce qui le fonde absolument, c'est son caractère
aléatoire : «Sans caractère aléatoire, il n'y a pas de rente viagère» (Cass. civ.,
5 mai 1982) (13).
Un contrat aléatoire
(10) Pour traiter des mécanismes juridi- (13) Ici, comme dans la suite du texte,
ques, nous nous sommes appuyé sur les ou- cette abréviation désigne un arrêt de la Cour
vrages et documents suivants : Aubry et Rau de cassation.
(1975) ; Malaurie et Aynès (1990) ; M. et С (14) La cause en droit des contrats et des
Taithe (1988); Toussaint (1989); Le Particu- obligations est une des conditions sine qua
lier (1988 et 1991). non de la validité d'un contrat : «L'obliga-
(11) C'est par commodité que dans la tion sans cause, ou sur une fausse cause, ou
suite du texte nous continuerons à en parler sur une cause illicite, ne peut avoir aucun ef-
au singulier. fet» (art. 1131 du Code civil).
(12) Le contrat synallagmatique est un (15) Prestations de l'une et l'autre par-
contrat qui crée des obligations réciproques ties, ce qu'on reçoit en échange de...
à la charge des deux parties.
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(16) Ici, comme dans la suite du texte, vendeur était imminent, et en déduit que cette
cette abréviation désigne un article du Code circonstance enlevait tout caractère aléatoire
civil. à la vente dont le prix n'était plus ni réel ni
(17) Dont le célèbre arrêt du 2 mars 1977 sérieux».
de la lère chambre civile de la Cour de cas- (18) On hésite pour ces transactions à
sation, dit «époux Desangles», annulant une parler de prix : il est arrivé que le fait de le
vente en viager car «la Cour relève (...) que mentionner dans un acte de vente ait été
l'acquéreur n'ignorait pas, le jour de la interprété comme une remise en cause du
conclusion de cette vente, que le décès du caractère aléatoire de l'opération : «Aussi
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II semble que l'on peut déjà faire apparaître d'une part le sens et
l'intérêt de cette pratique pour les deux parties, et d'autre part les points de
litiges ou de conflits potentiels.
La vente en viager permet à une personne âgée de se procurer des
revenus partiellement défiscalisés, tout en continuant à vivre chez elle. Même
un bien modeste peut lui procurer ces avantages (22). Face à elle,
l'acheteur acquiert un bien à tempérament sans pour autant recourir au crédit
bancaire (23) et le paye, s'il est occupé, un prix inférieur à celui du
marché; à ces avantages certains s'ajoute un intérêt escompté, à savoir gagner
le ou les paris inhérents à cette transaction : pari sur la plus ou moins
grande longévité de son crédirentier mais aussi sur l'abandon que ce
dernier fera de son droit d'usage et d'habitation.
Quant aux différends, ils surgissent entre le vendeur et ses héritiers ou
encore entre le vendeur et son débirentier. Les premiers sont dus au fait
que la vente en viager est une « aliénation à fonds perdus » : à la mort du
vendeur, il n'y a plus rien dans la succession, ni chose, ni rente. Cependant,
rien dans le droit n'interdit cette vente même s'il existe des héritiers
réservataires. Aussi les conflits de cet ordre se déplacent-ils pour prendre
la forme de litiges avec l'acquéreur autour de la validité du contrat : ou
bien le vendeur, sous la pression de ses enfants, tentera de revenir sur sa
décision et de faire annuler le contrat, ou bien, après sa mort, ses héritiers
plaideront en ce sens.
Les seconds, les plus fréquents, quand ils ne portent pas sur le défaut
de paiement des arrérages (24), s'alimentent principalement à deux
sources : la révision de la rente et la répartition des charges. Sur ce
(22) Cf. infra. Notons ici que les arré- son avec l'échéancier d'un crédit à 15 ou
rages ne peuvent être inférieurs aux revenus 20 ans... Chaque fois que le crédit devient
de la chose, sans quoi nous serions dans le cher, les amateurs de viager se font plus nom-
cas d'un «défaut de prix sérieux», ce qui breux», dit le directeur de l'une des trois
peut entraîner la nullité du contrat (Chambre grandes agences immobilières parisiennes
des requêtes, 1er mai 1911). spécialisées.
(23) «II court-circuite l'intermédiaire le (24) Le vendeur dispose dans ce cas de
plus onéreux qui existe en ce monde, le ban- garanties très importantes, nous y revien-
quier. Faites le compte vous-même. La rente drons.
viagère supporte sans problème la comparai-
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deuxième point qui ne concerne que les viagers occupés, notons que la
difficulté tient à la qualification du statut d'occupation du crédirentier. La
solution la plus courante consiste à se caler sur la répartition prévalant
entre nu-propriétaire et usufruitier ou bien entre propriétaire et locataire.
Autrement dit, les grosses réparations seront à la charge du débirentier et
les dépenses courantes à celle du crédirentier, il reste alors à définir les
unes et les autres. En dehors même de la répartition des charges
obligatoires, l'entretien du bien, quand le crédirentier l'occupe, peut être source
de conflits : s'il laisse à désirer et c'est souvent le cas, l'âge entraînant
un immobilisme renforcé par l'ambiguïté du statut d'occupation, l'acheteur
voit son bien se détériorer et redoute des frais importants pour le moment
où il entrera en possession de son logement.
Deux situations particulières engendrent, elles aussi, des litiges. D'une
part, la renonciation par le crédirentier à son droit d'usage et d'habitation
qui se traduit par une augmentation de la rente; dans l'appréciation de
cette augmentation interviennent l'âge du crédirentier et le délai au bout
duquel survient la renonciation : elle est d'autant plus faible que le
crédirentier est plus âgé et que la renonciation est plus tardive. D'autre part,
la revente du viager, licite (25) mais toujours délicate compte tenu du fait
que le viager suppose ou suscite des relations personnelles entre les
parties : le nouvel acquéreur doit être agréé par le crédirentier.
Telle est la traduction effective et prosaïque d'un «contrat successif» :
«Dans une vente normale, nous expliquait un notaire, les choses se
dénouent instantanément, ici ce n'est pas le cas, il y a pérennité du rapport
entre les deux parties».
Aussi paraît-il important de rappeler que, si détaillée que soit la loi
encadrant la vente en viager, la liberté contractuelle est ici très grande,
aux réserves déjà évoquées près : « Les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites» (art. 1134, alinéa 1).
Autrement dit, il est possible de mettre au point des contrats adaptés à des
situations très spécifiques et prévoyant toutes les éventualités sus-mention-
nées. En conséquence, leur rédaction revêt une importance capitale. Est-ce
la raison pour laquelle l'un des directeurs d'agence contactés dit avoir
renoncé à faire du viager: «C'est trop long, trop compliqué»? C'est en
tout cas ce qui explique que toutes les agences spécialisées se vendent
sur leurs compétences juridiques et leur «service après-vente» et que le
président de l'Amicale des rentiers- viagers, un avocat, déclare faire de
«l'assistance ménagère».
Au demeurant, les relations entre crédirentier et débirentier ne sont pas
toujours conflictuelles. Si le vendeur est seul, si l'acheteur éprouve quelque
sentiment de culpabilité ou de sympathie à son égard, s'il a lui-même de
jeunes enfants, il arrive que se mette en place un simulacre de relations
(25) « Le bien vendu en viager peut être librement revendu sauf convention contraire
reconnue valable.» (Cour d'appel de Saint-Nazaire, 21 oct. 1957)
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Un petit marché
Si rares, et parfois contradictoires, que soient les informations sur la
pratique qui nous occupe, on peut établir certains points.
Avec la vente en viager de biens immobiliers, nous avons
indéniablement affaire à un marché de très faible importance (28).
Cinq agences dans la capitale, dont trois vraiment importantes, autant
dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur se partagent l'essentiel des
transactions. Il faut y ajouter un volant d'opérations directement traitées
par les notaires, surtout en province ou quand l'acheteur est un parent du
vendeur.
C'est un marché où le rôle des intermédiaires est considérable compte
tenu des parties qu'il met en présence et surtout du caractère alimentaire
que revêt ce contrat dans la plupart des cas. La négociation est souvent
très longue, les atermoiements fréquents, témoignant d'enjeux qui, pour
(26) Cf. note 18. On peut, à ce propos, tuées entre particuliers (loi n° 63-699 du 13
s'interroger sur le mode de détermination de juil. 1963, art. 4).
la rente à l'époque où la démographie n'avait (28) 1,1 % en 1984 et 0,7 % en 1988 des
pas encore mis de rationalité dans ce contrat « propriétaires récents » ont acquis leur loge-
(rappelons qu'en France il existait déjà dans ment en viager (sources : insee, enquêtes
l'Ancien Droit). «Logement», 1984 et 1988, dans Taffin,
(27) Doivent être regardées comme des 1991, p. 8).
dettes d'aliments les rentes viagères consti-
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(29) Cf. G. de Maupassant (éd. 1986), revenu n'était plus à elle (...) Cela m'a donné
nous y reviendrons; et J. Austin (éd. 1982, une telle horreur des viagers (...)"».
pp. 13-14) : « (...) "Mais alors, si Mrs Dash- (30) Cf. le film de P. Tchernia, Le viager.
wood vit cinquante ans, nous serons entière- (31) II s'agit notamment de Г «hypo-
ment liés pour tout ce temps ?" "Cinquante thèque inversée » pratiquée au Canada et de
ans ! ma chère Fanny, il faut bien en rabattre dispositifs tels que les Home income plans,
la moitié." "Certainement pas. Vous pouvez Home reversion schemes, Rolled up interest
remarquer que les gens vivent toujours éter- loan schemes en Grande-Bretagne. Dans tous
nellement quand ils ont des annuités à tou- les cas, le principe est le même : la personne
cher (...) J'ai une grande expérience des âgée tire profit du capital que représente son
ennuis que donnent ces annuités (...) Ma mère logement pour accroître ses ressources tout
en avait trois à servir à de vieux serviteurs en conservant la possibilité d'y vivre. Sur les
hors d'âge (...) Ma mère en était malade, son dispositifs ayant cours en Grande-Bretagne,
cf. Mullings (1992).
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(32) Aujourd'hui, la liberté de tester ne moine d'une personne dont elle peut disposer
peut évidemment s'appliquer qu'à la quotité librement par donation ou testament, en
prédisponible, à savoir à la portion du patri- sence d'héritiers réservataires.
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(33) Ces calculs ont été faits sur la base C'est l'aspect moral à ne pas négliger ! La
d'un taux de capitalisation de 3,5 %. question qui précède est particulièrement
(34) Un projet de loi accroissant les grave "sentimentalement", si le crédirentier
droits du conjoint survivant est à l'étude ; les a des enfants ou des petits-enfants» (p. 177) ;
problèmes de succession dans les familles « Recommandations au débirentier : (...) Ne
dites recomposées renforcent ce mouvement. pas accepter un viager de la part de gens,
(35) Cf. également M. et C. Taithe temporairement peut-être, en mauvaise intel-
(1988): « Recommandations au crédirentier : ligence avec leurs enfants (aspect moral)»
(...) N'y a-t-il pas un être cher qui accepterait (p. 179).
de servir la rente aux mêmes conditions ?
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(36) Nous serions, quant à nous, tenté (37) Précisons que le vendeur en viager
plutôt de rapprocher ce dernier du bail à nour- doit nécessairement être une personne physi-
riture. Le bail à nourriture est l'échange d'un que, conséquence logique de la définition de
capital ou d'un bien contre l'obligation d'en- ce contrat : une personne morale n'est pas
tretien «tant en bonne santé qu'en maladie susceptible de décéder,
et jusqu'à la mort».
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lui, une stratégie patrimoniale (c'est ainsi qu'il faut comprendre ses achats
multiples), même s'il entend occuper ou faire occuper, un jour, son bien.
Il joue donc avec les échéances, pour lui la durée est essentielle. Elle
importe aussi au vendeur qui peut avoir des objectifs différents à horizons
divers. Vendre son logement en viager en s'en réservant l'usufruit, c'est-
à-dire en se réservant la possibilité de le quitter et de le louer, c'est pouvoir
à court terme accroître son autonomie financière, à moyen terme se payer
des soins légers à domicile, à long terme couvrir tout ou partie des frais
d'un séjour en institution. Ajoutons que le vendeur fait lui aussi un pari,
celui de vivre assez longtemps pour profiter de sa vente et ne pas avoir
tout simplement fait un cadeau à un étranger. Paradoxal aussi le fait que
ce marché soit déséquilibré sans que les rationalités économiques
expliquent que la demande l'emporte à ce point sur l'offre et alors que la
population des vendeurs potentiels paraît a priori plus large que celle des
acheteurs potentiels. Certes, c'est un marché sur lequel pèse fortement le
poids de représentations négatives, mais celles-ci concernent autant
l'acheteur que le vendeur. La question qui se pose désormais est celle de
la part que peut avoir la législation dans ce déséquilibre et plus précisément
dans la rétention de l'offre. Répondrait-il à une asymétrie des risques?
N'oublions pas, en effet, que nous avons affaire à un contrat aléatoire.
(38) Le Code civil a délaissé la réglemen- Le rapprochement des deux contrats est tel-
tation de ce contrat, et son appellation se lement légitime qu'on a vu un preneur, en
trouve seulement dans les lois fiscales. Il échange d'un immeuble, s'engager envers le
obéit aux règles générales des conventions : bailleur, à son choix, à lui servir une rente
«En principe (...), la doctrine majoritaire ap- viagère ou à le soigner (...) et que, dans cer-
plique au bail à nourriture les règles de la tains cas, le bail à nourriture peut être con-
rente viagère, en raison du but commun des verti en rente viagère » (Béraud, 1958).
deux opérations et de leur caractère aléatoire.
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avec plaisir que toute la faveur de la loi est à celui des contractants qui
stipule pour l'aisance et la prolongation de la vie, toute sa sévérité pour
celui qui caresse l'espérance et calcule la proximité de la mort» (39).
Quelles sont donc les garanties dont bénéficie le crédirentier et sur quoi
portent-elles? Elles concernent, d'abord, le non-paiement de la rente. La
première d'entre elles, le privilège du vendeur, lui permettra de faire saisir
et vendre en justice le bien et de faire prélever sur le produit de la vente
la somme nécessaire au paiement des arrérages. La seconde, l'action
résolutoire, permet, si une une clause a été insérée à cet effet dans le contrat,
de faire annuler la vente. Même un retard d'un mois dans le paiement des
arrérages peut entraîner l'action résolutoire, sur laquelle le juge n'a pas
de liberté d'appréciation : il est tenu de l'accueillir quand elle est requise.
Le crédirentier pourra conserver tout ou partie des arrérages et du bouquet,
ou bien en vertu d'une clause incluse dans le contrat ou bien au titre de
dommages et intérêts.
De même, le crédirentier dispose de garanties en cas de revente du
viager. Dans cette éventualité, le premier acquéreur pourra être totalement
dégagé de ses obligations ; le plus souvent, cependant, le crédirentier
continuera à avoir comme débiteur de la rente son propre acquéreur et
bénéficiera des mêmes garanties (privilège du vendeur et éventuellement action
résolutoire) (40).
Sans doute faut-il également attribuer à ce souci le fait que, sauf
convention expresse contraire, la constitution de la rente viagère est définitive :
«Le constituant ne peut se libérer du paiement de la rente en offrant de
rembourser le capital et en renonçant à la répétition des arrérages payés.
Il est tenu de servir la rente pendant toute la vie de la personne ou des
personnes sur la tête desquelles la rente a été constituée, quelle que soit
la durée de la vie de ces personnes et quelque onéreux qu'ait pu devenir
le service de cette rente» (art. 1979).
Nous ne reviendrons ni sur la liberté d'indexation des rentes, ni sur la
révision judiciaire. Encore que l'on sorte ici de la logique du contrat
alimentaire, ajoutons que la fiscalité, elle-même, bénéficie au crédirentier :
« Les rentes viagères constituées à titre onéreux ne sont considérées comme
un revenu, pour l'application de l'impôt sur le revenu dû par le crédirentier,
que pour une fraction de leur montant. Cette fraction est déterminée for-
faitairement d'après l'âge du crédirentier lors de l'entrée en jouissance de
la rente» (art. 1581-6 du Code général des impôts) (41). C'est parce qu'une
fraction de la rente est représentative du capital aliéné et que ce capital
est lui-même imposable que la rente viagère jouit de dispositions avanta-
(39) Extraits d'un discours prononcé par (41) Cette fraction est fixée à 70% si, à
le tribun Duveyrier (Recueil complet des tra- la date considérée, l'intéressé était âgé de
vaux préparatoires du Code civil, p. 562). moins de 50 ans, 50% s'il était âgé de 50 à
(40) C'est la formule que recommandent 59 ans, 40% s'il était âgé de 60 à 69 ans et
notaires et agents immobiliers. 30 % s'il était âgé de plus de 69 ans.
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Le soupçon
(42) «II ne peut pas déduire de son re- tion de la résidence principale. Si l'acquéreur
venu global la rente viagère qu'il verse. S'il a conclu un viager occupé, il ne peut pas
déoccupe le bien acheté en viager, il ne peut duire les rentes versées de ses revenus fon-
pas bénéficier, pour les rentes qu'il verse au ciers, à la différence des intérêts d'un
vendeur, de la réduction d'impôts pour les in- emprunt contracté pour un investissement lo-
térêts d'emprunt applicable en cas d'acquisi- catif. » (Le Particulier, 1991, p. 42)
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Anciens et modernes
(46) Insee Première, n° 169 (novembre 1991), d'une part, et le projet de loi de finances
pour 1992, d'autre part.
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(47) 98 % des plus de 60 ans et 87 % des parents aux petits-enfants, qui entrent dans
plus de 80 ans (Recensement général de la l'âge adulte. Au demeurant, une proportion
population, 1990). importante de personnes âgées n'a pas d'en-
(48) 65 % des plus de 60 ans, contre fants (cf. Cribier, 1988). Or, le désir de trans-
54,4 % pour l'ensemble des ménages fran- mettre à ses descendants ou la crainte de ne
çais, possèdent leur résidence principale (Re- pas le faire restent les premières raisons in-
censement général de la population, 1990). voquées contre le viager.
(49) Une pratique de plus en plus cou- (50) R. Moulias, introduction au colloque
rante consiste à faire sauter l'héritage d'une «Droits et libertés» (cf. Gérontologie et so-
génération : les parents transmettent immé- ciété ).
diatement par donation l'héritage des grands-
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Le problème, tel que nous venons d'en proposer une formulation, nous
paraît bien posé en ce qu'il l'est à partir des ressources propres de la
personne âgée. En effet, d'une part, les travaux sur les échanges intra-
familiaux (51) montrent que, si les flux existent aussi bien dans le sens
ascendant que descendant, la nature de ces flux est différente : des parents
vers les enfants circulent aide financière et services, des enfants vers les
parents services et soutien affectif. D'autre part, il faut savoir (Thévenet,
1989) que l'aide sociale en France est subsidiaire par rapport à l'aide de
la famille (52) et surtout qu'elle a un caractère d'avance, c'est-à-dire
qu'elle est récupérable au décès du bénéficiaire ; ce qui implique une prise
d'hypothèque légale sur les biens immobiliers des personnes âgées et
même, dans certains cas, la mise en tutelle ou en curatelle de la personne
âgée avec vente de ses biens. Autrement dit, la pratique des échanges
familiaux, d'une part, et la loi, d'autre part, imposent aux personnes âgées
d'être autonomes financièrement. A ce titre, le viager peut retenir
l'attention des pouvoirs publics et concourir à la mise en place de mesures
destinées aux personnes âgées. S'appuyant sur un mécanisme institué et sur
un parc immobilier qui, même modeste, existe, le viager peut ainsi
constituer une réponse spécifique à des besoins spécifiques en évitant le recours
au logement dit adapté.
*
* *
(51) Cf. notamment ceux d'Agnès Pitrou. (53) Faut-il rappeler que le démembre-
(52) Cette aide dénommée «obligation ment du droit de Propriété, exceptionnel au-
alimentaire » est instituée par le Code civil Jourd'hui, était devenu la règle sous l'Ancien
(art. 205 sq.). Est considéré comme aliment Ré8ime et 4u>l1 n У avait Pres4ue aucune P»-
tout ce qui est nécessaire à la vie et pas seu- tie du so1 4ui ne fût possédée en vertu de
lement la nourriture. baux perpétuels ou de longue durée.
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Férial DROSSO
IUP, Université Paris-Val de Marne
Avenue du Général de Gaulle, 94010 Créteil Cedex
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