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Actes de la recherche en

sciences sociales

Sportetviolence
NorbertElias

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EliasNorbert.Sportetviolence.In:Actesdelarechercheensciencessociales.Vol.2,n°6,décembre1976.Lesport,l’Et
laviolence.pp.2-1 ;
doi : https://doi.org/10.3406/arss.1976.3481

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1976_num_2_6_3481

Fichierpdfgénéréle20193/
Zusammenfassung
SportundGewalt.
Die Entstehung und Entfaltung des modernen Sports sind eine Illustration der The
ZivilisationvonNorbertElias. DieWettspielederAntikegeltenallgemeinalsArchetypundMo
modernen Sports, unterscheiden sich von diesem aber in wesentlichen Zü gen. So erlaubten
Regeln des Kampfsports, wie des olympischen Kampfes, einen wesentlich höheren Grad der
Gewaltanwendung als in den entsprechenden modernen Sportarten. Das Pankration und griech
"Boxen" galten als eine Vorbereitung auf den Krieg ; sie vermittelten die Tugend
kriegführendenAristokratie.DieBrutalitätundGewaltsamkeitderantikenSpiele,diekeini
abwegigerBestandteilderantikenKultursind, wieesihrIdealbildvortauschenkönnte,weis
SozialstrukturganzGriechenlandshin,insbesondereaufdiestaatlicheOrganisationmitd
auf physische Gewalt. Die Schwäche und 1nstabilita't der institutionellen Kontrolle der Gew
antiken Stadtstaaten erhellt zecrn, don Kult der Gewalt und des körperlichen Aussehens

Abstract
SportsandViolence
The study of the genesis and spread of the modem forms of sport illustrates the theory
civilizing process developed by Norbert Elias. Commonly thought to be the archetype and mod
today' s sports, the competitive games of antiquity differ in a number of ways from mod
competitive sports. For example, the customs which governed combat " sports" like boxing
Olympicwrestlingpermittedadegreeolphysicalviolencemuchgreaterthanthattoleratedb
of the corresponding modem sports. Greek " boxing" and pancratium ( a combination of boxing and
wrestling) were considered good training for war ; the qualities they called for and that the
were those of a warrior aristocracy. Far from being an isolaled and abberant element of a
culture,asouridealizedimageofthelatterleadsustobelieve,thebrutalityandviolenceo
games reflected the overall social structure of Greece, and more precisely the level rea
organizationofstateandthedegreetowhichitheldmonopolyofphysicalviolence.Theweaknes
instability of the institutional control of violence in the ancient city-states undoubt
aspectsofthecivilizationofthatagesuchastheacceptanceofmassacresinwarandthecult
andofphysicalbeauty.

Résumé
L'étude de la genèse et de la diffusion des formes modernes de sport illustre la théorie du pro
de civilisation développée par Norbert Elias. Considérés communément comme l' archétype
modèledessportscontemporains,lesjeuxdecompétitiondel'Antiquitésedistinguentparno
traitsdescompétitionssportivesmodernes.Ainsilescoutumesquiréglaientlapratiquede
combat, comme le pugilat ou la lutte olympiques, admettaient un degré de violence phys
beaucoup plus élevé que le niveau toléré par les règlements des sports contemporain
correspondent. Lepancraceetla"boxe"grecsétaientconsidéréscommeunepréparationàlaguerre
;lesvertusqu'ilsmettaientenoeuvreetqu'ilsreprésentaientétaientcellesd'unearist
Loin d' être un élément isolé et aberrant de la culture antique, comme tend à le faire croir
idéalequenousnousfaisonsdecelle-ci,labrutalitéetlaviolencedesjeuxdel'Antiquitéren
structuresocialed'ensembledelaGrèce et, plusprécisément,auniveauatteintparl'organis
l' Etat et par le degré de monopolisation de la violence physique qui lui correspond. La faib
l'instabilité du contrôle institutionnel de la violence dans les cités-états antiques
d'autres traits de civilisation, comme la tolérance à l'égard des massacres guerriers ou le c
force et de l'apparence physique.
sportet uiolence

NORBERT ELIAS

"sport" fut luiaussi largementadoptépar lesautres


pays. Comme lemontrede manière significative la
chronologiedu processus de diffusionetd'adoption,
le "sport" -le fait social comme lemot-, demeura
toutd'abord étrangerdanslesautres pays. Ainsi en
Allemagneen 180, un écrivain aristocrate et anglo-
mane pouvait encoreaffirmer : "sport" est
intraduisiblecomme "gentleman" .3)( En 184, un autre
allemand disaitdu mot sport"
" : . " . . nous n'avonspas de
les
plus
et
boxe,
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adopté
football"
anglais,
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l'manière
"soccer"
été
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sont
football,
do
lutte,
fait
; le
au
temps
aussi
vers
que
la
,) mot pour celaetsommes quasiment contraints de
l'introduire dansnotrelangage" .4)( La diffusiondu mot
anglaiscomme expression ayant un sensévidentpour
lesAllemands continuaà se fairelentement jusqu'aux
années1850 et s'accéléra en suivant lesprogrès de
l'activité sportive elle-même ; finalement,au 20e
siècle, "sport" devient un mot allemand à part
entière .5)(

3)( Prince Pueckler-Muskau, Lettres d'un défunt, Briefe


( eines
)1( II n'estpaspossible d'analyserici lesraisons pour lesquellesVerstorbenen,Stuttgart ,1836) lettre du 9 octobre10.&
lefootballanglaisdu type "soccer" a faitl'objet d'une diffusion
et d'une adaptation quasimondialealorsque ladiffusiondu type 4)( J.G. Kohl, citéin F. Kluge, EtymologischesWörterbuch der
"rugger" a été beaucoupplus limitée.Mais il peutêtreutilede deutschen Sprache, 17e éd., Berlin,de Gruyter, 1957, article
sur
signaler que desproblèmescomme celui-cipeuventfournirun lesport.
grand nombre d'indications et servird'épreuvepour desaspects 5)( En France, le Laroussedu XIXe siècleindiquait"Sport,
particuliers d'une théoriesociologique du sport. s. m. sport
( - mot anglaisformé du vieux françaisdesport,
:

2)( "II estbien connu que l'Angleterre plaisir, divertissement)


fut leberceauet lamère "gâtent lalangueévidemment d'" après ce dictionnaire, de telsmots
mais il n'existepas de douanepour
;

spirituelle du sport.. Il sembleque lestermestechniques lesprohiberà lafrontière". P.( Larousse,Grand dictionnaire


anglaisse rapportant à ce domaine pourraient devenirle bien
commun de toutes universel
lesnations,de lamême manière que lestermes également du XDCu siècle, Paris, 1875, tome 14, p. .103) Furent
techniques en matièrede musique". A.B. Stiven,Englands comme dans laimportés
italiens d'Angleterreen France, danslesfaits
Einflussauf den deutschen Wortschatz, Marburg, Zeulenroda, langue, "turf, "jockey11, "steeple-chase'1, "match",
1936, p. 72. "sweepstake"et "boxe".
Sportetviolence3

Comme le montrentde nombreux indicateurs ,6)( le variante canadienne du football"rugby" ou "rugger", rival
type de loisir "mondain" ou aristocratique que désignait anglaisdu "soccer", certaines grandesuniversités américaines
principalement letermede "sport" en Angleterre s'écartèrent des règlesde celui-ci. Le termede "football"
demeura associé à cettemanière différentede jouerqui évolua
même, danslapremière moitiédu 19e siècle,s'étendit progressivement versdes règlespropresaux Etats-Unis,la
aux autres pays où il fut adoptépar lesélites variante "FootballAssociation" étantconnuepurementet
nationalesavantque despratiques pluspopulaires comme le simplementsouslenom de "soccer" à( l'inverse desétats
football acquièrentlescaractéristiques d'un "sport", d'Amérique latine où l'usagede "fútbol" et " futebol" se
soient perçuescomme telles en Angleterre,et se maintint pour laforme "soccer".)
répandentsouscette forme à l'étrangercomme passe-
temps pour laclasse ouvrièreou laclasse moyenne.
Il estsignificatif autantpour notrecompréhensionde Spécificité
du sport
moderne
l'évolution dessociétés européennesque pour celle
du sportlui-même, que lescoursesde chevaux, la On pourrait donnerde nombreux exemplesde cette
boxe, lachasseau renardetdespasse-tempsdu diffusiondu sportetdestermesqui luisontassociés.
même genre aient été lespremierstypes de "sports" En première analyse, ces quelques indications
à se diffuseretque ladiffusiondesjeuxde balle suffisentà délimiter le problème : comment expliquer
etdes"sports" en généraldansl'acception laplus qu'une forme anglaise de passe-tempsappelée"sport"
moderne du terme, n'aitcommencé que dans la aitpu servirde modèle, principalement aux 19e et
seconde moitié du 19e siècle.La transformation en football 20e siècles,pour un développement desloisirs à
d'un jeupopulaire anglaisaux multiples
variantes est l'échelle mondiale? Des passe-tempsde ce type
caractérisée par une évolution assezlongueversune correspondent évidemmentà desbesoinsde loisirs
régulation etune uniformitéplusgrandesqui aboutit, spécifiquesqui se font sentirdansde nombreux pays
vers1863, à une codification à un niveauplusou durantcettepériode. Pourquoiapparaissent-d'ils abord
moins national 7)( en Angleterre? Quelles sontlescaractéristiques de
lastructure et de l'évolution de lasociétéanglaise
qui peuventexpliquerledéveloppement de ces
Au fur et à mesureque lejeuse répandait,le termede activitésde loisirs dotéesde propriétés particulières que
"football", associé dans la plupartdes cas, mais pas toujours au nous désignonspar "sport" ? Quelles sontces
type anglais de footballsoccer)
( , s'introduisait, souventaprès des propriétés ? Et qu'est-cequi distingue cetteforme nouvelle
modifications appropriées,danslesautres langues.En France,
il conservasa forme originale; en Allemagne, il fut transformé de passe-tempsdespasse-tempstraditionnels ?
sansgrandedifficultéen "Fussball" ; en Espagne, il devint
"fútbol" avecdes dérivéscaractéristiques comme "futbolero" et A première vue, on peuttrèsbien imaginerque cet
"futbolista"au ; Portugal,"futebol", aux Pays-Bas, "voetball". ensemblede questions reposesur, une supposition
Aux Etats-Unis,leterme "football", un moment associéà la fausse. Il sembleévidentque lessociétés
forme anglaise du jeusoccer)
( , changeade sensen même temps contemporainesne sontni lespremières, ni lesseules à
que lejeului-même changeaitde forme ; sousl'influenced'une trouver plaisir dans le sport. Ne jouait-on pas au
"football" en Angleterre etdansd'autres pays européens
au Moyen-Age ? Les courtisans de Louis XIV n'avaient-
ilspas leurscourtsde "tennis", ne s'adonnaient-ils
pas à leurjeude Paume ? On songe surtout aux Grecs
de l'Antiquité,grandspionniers de 1' "athlétisme"et
6)( Déjà, sous Louis XVI, lescoursesde chevauxet lesparis des autres "sports" ; n'organisaient-pas ils sur une
étaient en coursde réglementation,conformément aux modèles grande échelle,comme nous, desjeuxde compétition
anglais.La mode disparutdurantlaRévolution,mais reprit avec locauxet entreétats? La renaissance desJeux
lerétablissement d'une classe supérieure plus ou moins Olympiques n'apporte-t-elle pas une preuvesuffisante que le
aristocratique. Un jockey-clubfut fondé à Parisen 183. En Allemagne "sport" n'estpas quelquechosede nouveau? Mais
comme en France, destermesanglaisappartenant au langage
dessportsde type aristocratique furentempruntésdès le 18e pour savoirsi letype de jeuxde compétitionqui s'est
siècle. développéen Angleterre sousle nom de "sport" au
18e etau 19e siècles estun phénomène relativement
7)( Le premierclubde footballallemandjouantselonlesrègles nouveauou la renaissance d'une pratique ancienne
anglaises fut fondé, de manière assezcaractéristique, à Hanovre inexplicablement disparue,il faut au moins se demander
en 187. Aux Pays-Bas, le premierclub fut fondé en 1879-0, brièvementsi lesjeuxde compétition de laGrèce
en Italie vers1890. En 1892, le premiermatch de footballentre anciennepossédaient réellement les caractères de ce
une équipe françaisele ( StadeFrançais) et une équipe anglaise que nous considérons
Rosslyn
( Park) fut jouéà Parissouslesauspicesde aujourd' hui
comme du sport"
" .
l'ambassadeur anglaisLord Dufferin il ( estprobableque ce match fut Il en va aujourd'hui du mot "sport", qui recouvredes
disputé suivant lesrèglesdu "rugger" -ou "rugby"- plutôtque cellesjeuxde compétition de toutes sortes,comme du terme
du "soccer".) Indicateur de l'accroissement du nombre de clubs d' "industrie": ilestemployé, souvent de manière
dans chaquepays, des Fédérationsde footballfurent fondées en abusive,à lafois dansun senslargeet dansun sens
Suisseen 1895, en Allemagneen 190 etau Portugalen 1906.
Rien qu'aux Pays Bas, on recenseen 190- vingt-cinqclubs strict. Au senslarge, il renvoie,comme le terme
de football.A partirde 1908, le footballfigura régulièrement, industrie"
" ,aussi bien aux activités spécifiques des
avec quelques interruptions, aux Jeux Olympiques. sociétés tribales pré-étatique s, qu'à celles des socié-
tésétatiques pré -industrielles ou desEtats-nations sportdurantl'ère victorienne en Angleterre.Le
industriels. Lorsqu'onutilise ainsile terme "industrie", rétablissement desJeux Olympiques à Athènesen 1896
on n'ignore pas pour autant son sensstrict ; on sait couronnale renouveau athlétique du 19e siècle.A
bienque le "processusd'industrialisation" des19e et l'aubedu 20e siècle,l'intérêt portéaux sports
20e siècles estnouveauet que lesmodes spécifiques compétitifsatteignait un sommet, et en dépitde deux
de production etde travail qui se sontdéveloppésdans guerresmondiales etde nombreux conflitsmineurs,
lapérioderécentesousle nom d' "industrie"présentent cetintérêtcontinuede croître".
des structures uniquesqu'on peutdéterminersociologi-
quementavecune précisionconsidérable et distinguer Comme on peutle constater, ce résumé expose un
nettement desautres modes de production.Le terme certain nombre de faits bien établis ; ilfait
de "sport" renvoieaussi bienaux jeuxde compétition occasionnellement allusion à une explication, telle l'impulsion
et aux exercices physiquesde toutes lessociétés qu'au communiquée au sport par l' initiative de Thomas
type particulier de jeux de compétition apparu, avecle Arnold. Mais il n'estguère faitpour ouvrirlesyeux
mot, en Angleterre.A proposde ce processus -qu'on du lecteur sur lesnombreux problèmes non résolus
pourrait nommer la"sportification" desjeuxde que masque l'évidence du discours.Comment expliquer,
compétitionsi le mot ne sonnait aussi mal- ilfaut se par exemple, la"brutalité" desjeuxqui accompagnaient
demander si l'on peut trouver dansl'évolution récente les fêtes religieuses du Moyen Age si l'on considère
de lastructure et de l'organisation desactivités de que les fêtes religieuses de l' Antiquité, à Olympie et
loisir que nousappelons"sports" destendances aussi ailleurs, étaient moins brutales, et par là, plus
uniquesque celles qui caractérisent lastructure et proches de celles du e
9 1 et du e
0 2 siècles ? Et comment
l'organisation du travail dansle processus prouver que ces dernières étaient moins brutales,
d'industrialisation. comment détermineravecun degré de précision
suffisantlesvariations de la"brutalité"? Comment
expliquer"le grand développement du sport", "le renouveau
Il estfacilede mal Interpréter ce genrede question.A partir athlétique du e
9 1 siècle" ? La différenceentreles
de la conceptionhiérarchique des rapportsentretravail et loisir jeuxde compétition en vogue avantle 18e sièclequ' ( on
qui prévautactuellement la
( valeurdu travail étanttoujours songe aux tournois,aux innombrables jeuxpopulaires
considéréecomme supérieure)on estfacilementconduità supposer du Moyen-Age, jamaissupprimés, impossibles à
que toutetransformation desactivités de loisir etdes jeuxde interdire) et ceux qui apparurent à l' époque de la
compétitionsurvenuedanslesdeux centsdernières années, a "révolution industrielle" tient-elle seulement à un plusou
été 1' "effet" dontla "cause" fut l'industrialisation. L'attente
implicitede relations causales de ce genre clôtle débatavantqu'il moins haut degré de brutalité"
" ? Le mouvement
ne soitréellement ouvert,alorsqu'on pourrait,par exemple, "sportif" des19e et 20e siècles est-ilune autre
envisager l'hypothèseque l'industrialisation et la transformation "Renaissance"une , inexplicable "reviviscence"de
en sportsde certaines activités de loisir sontdes évolutions quelque chosequi exista dans l'
Antiquité, disparut durant
partielles interdépendantes à l'intérieur d'une transformation le Moyen Age et, pour desraisons inconnues,
d'ensembleet récentedes sociétés étatiques ; c'estseulement réapparut à notreépoque ? Les jeuxde compétitionde
en cessant d'assignerlestatut de "causes" aux changements
survenus danslesdomaineset danslessphèresd'activités qui l'Antiquité témoignaient-ils comme lesnôtresd'une
occupentune position dominantedans l'échelle des valeurs de la sensibilité relativement forte, interdisant que les
sociétécontemporaine que l'on peutespérerclarifier le adversaires s'infligentmutuellement desblessures graves
problème. pour leplaisir du public ? Ou bienlatendance à
présenterlemouvement sportifmoderne comme l'héritier
de l'Antiquité n'est-elle qu'une de ces légendes
idéologiquesqui servent à renforcerl'unitéd'un mouvement
.L'extraitsuivant,tirede l'article sur l'athlétisme de pleinde tensions etde tendances conflictuelles et à
laplusrécenteéditionde 1' EncyclopaediaBritannica , rehausser son attrait etson prestige? Une étude
peutêtreconsidérécomme un bon résumé de la concrètedesconditions particulières qui expliquent la
formulationconventionnelle de la question."Les genèse et lesprogrès du mouvement sportif
documents historiques lesplusancienssur l'athlétisme contemporain montrerait sansdouteque lesjeuxde compétition
sontceux desJeux Olympiques 80( av. J.C.) .)( du type "sportif", comme lesEtats -nationsindustriels
supprimessur ordrede l'empereurThéodoreen 394. danslesquels ilss'inscrivent, présentent certaines
L'histoire de l'athlétisme entrela chutede Rome au caractéristiques uniques.
5e siècleet le 19e sièclerestetrèsfloue. Les fêtes
religieuses au Moyen Age s'accompagnaient souvent
de jeuxde balleassezrudesentrevilles ou Le degré de violence légitime
corporationsrivales.Ils préfigurèrentlesgrandssportsà
spectacle du 20e siècle: football,baseball,tennis,
football américain, etc. L'avènementde larévolution En approfondissant un peu, on voitaisémentque les
industrielle au milieudu 18e siècle, l'introduction jeuxde compétition de l'Antiquité classique, que l'on
ultérieure dessportsparmi lesactivités régulières présentesouventcomme le paradigmedu sport, se
en dehorsdeshoraires d'étudedanslesPublic distinguent par nombre de traits de nos compétitions
Schoolspar Thomas Arnold vers ( 1830) apportaune sportives et se sontdéveloppésdansdes conditions
stimulation qui aboutit au grand développement du trèsdifférentes.Bienque la plupartdestextesmo-
Sportetviolence5

dernestendent à minimiserlesdifférenceset à que le nôtreestl'obstacle principal à lacompréhension


soulignerlessimilitudes, nous imposantainsiune vue desdifférencesde développement historique, dontla
déformée de notresociétécomme de lasociétégrecque comparaison entrelesjeuxde compétitionancienset
etde ce qui leslie, l'ethos desparticipants, les contemporains fournitun exemple. Dans le cas des
critèressuivant lesquels ilsétaient jugés, lesrèglesdes
anciens Grecs, on estdansl'incapacité de concilier la
compétitions etlesperformanceselles-mêmesétaient hautevaleurhumaine traditionnellement accordéeà
trèsdifférents. Dans lamesureoù nousavons leursréalisations en philosophie,danslessciences,
tendance à considérer lescompétitions de l'Antiquité comme
lesartsetlapoésie, et la"barbarie", donttémoigne
l'incarnation de l'idéal du sportcontemporain et à nos yeux lafaiblesse de leurrépulsion pour les
surtoutoù nous nousattendons à trouver confirmationde
violencesphysiques. C'estprécisémentlacompréhension
cette hypothèsedanslestextesanciens,nous inclinons incorrecte de lanatureréelle du processus de
à négligerlesindications contradictoires ou à lescivilisation,latendance prédominanteà employer des
traiter systématiquement comme desmentionsde cas termes comme "civilisé"et "non-civilisé", expression de
exceptionnels. Il suffiraici de souligner un traitqui
jugementsde valeurethnocentriques, absolus et
illustre particulièrement bienlesdifférencesde ultimesqui conduisent à descontradictions apparemment
structureentrelesjeuxde compétition de l'Antiquité sansissuecomme celle-ci.Parceque nous avonsété
classiqueet ceux des 19e et20e siècles.Les règlesdes nous-mêmes éduquésconformément à l'organisation
rencontres athlétiques "dures", comme laboxe ou la sociale etau contrôle spécifique desinstruments de
lutte,toléraient dansl'Antiquité un degré de violence
violence propresaux Etats-nations industrielsde notre
physique bienplusélevéque celuiqui estadmis par temps, et selondesnormes particulières de sclf-
lesrèglesbeaucoupplusdétaillées etdifférenciées
controlen ce qui concernelespulsions de violence,
des sportscontemporains correspondants ; surtout,
nousmesuronsautomatiquement lestransgressions
celles-ci ne sontpas descoutumesmais des règles avecces critères,qu'elles se produisent dansnotre
écrites,explicitement soumisesà descritiques raison-
sociétéou dansd'autres,parvenues à desstades
nées età des corrections. Loin d'être un fait isolé,
différents de développement.Une sensibilité accentuée
le degré supérieurde violence physiquedesjeuxde vis-à-vis desactesde violence,dessentiments de
l'Antiquité renvoie,lui-même, aux formes spécifiques répugnanceau spectacle d'une violence qui dépasse
d'organisation de la sociétégrecque, et le niveautolérédanslavie réelle,dessentiments
particulièrementau stadede développement atteint par ce que nous
de culpabilité vis-à-vis de nos propresinfractions,la
appelonsaujourd'hui l'organisation étatique etpar le
"mauvaiseconscience", sontautant d'indicateurs des
degré de monopolisation de laviolence physiquequi lui
défenseset desprotections que nousprocure
estattaché.Une monopolisation et un contrôle l'intériorisation
de ces critères.Néanmoins, en périodede
relativementforts, stables etimpersonnels de laviolence sont
violencepermanentedanslesaffairesinternationales, ces
destraits structurels centrauxde nos Etats-nations ;
défensesintériorisées contrelespulsions de violence
en comparaison,lamonopolisation etle contrôle restent inévitablement instables et fragiles.Ellessont
institutionnels de laviolence physique danslesCités-étatscontinuellement soumisesà despressions sociales
de laGrèce restaient rudimentaires. On peuts'attendre
contradictoires : d'une partcelles qui encouragent un
à ce que laformationde l'Etatetlaformationde la hautdegré de self-control danslesrelations humaines
consciencemoraleindividuelle, le niveaude la à l'intérieur d'une seuleetmôme sociétéétatique et
violence physique admise, etle seuil de répugnanceà de l'autre celles qui favorisent l'affaiblissement de ce
employer ou à contempler celle-ci contrôle
diffèrentsousdesrapports etmême l'entraînement à laviolence dans
spécifiques aux différentsstades du développement des
lesrelations entrelesétats.Les premièresexpliquent
sociétés ; il estfrappantde voir à quelpointle cas le niveaurelativement élevéde la sécurité physique,
de laGrèce classique confirme ces hypothèses, mais non, biensûr, psychologique,dontprofitent les
conformément au modèle que fournitlathéoriedes citoyensdesEtats-nations dans nos sociétés ; elles
processusde civilisation S)( . entrent constammenten conflitaveclesexigencesqui
leursontimposéesen l'absence de toute
Le sentiment que l'on diminuelavaleurhumaine d'une monopolisation effectiveetde toutcontrôle de laviolence
autresociétéquandon admetque le niveaude violence physique dans lesrelations entrelesEtats;d'où un
physique qui y était toléréétait
supérieur etque le dédoublementde lamoralitéetune scission de laconscience.
sentiment de répulsion au spectaclede gens se blessant
ou même se tuantlesuns lesautres était plusfaible
Sansdoute, des contradictions de ce genre peuvent
s'observerà de nombreux stades du développement des
sociétés;au stadetribal,lecontrôle de laviolence à
l'intérieur des groupes sociauxestpresquetoujours
pluspuissant qu'entrelesgroupes; il n'en allait
certainement pas de même pour lesCités-états grecques;
8)( NoEli'if, Über den ProzessderZivilisation .Suhrkamp. dansleurcas, ladifférenceentrelesdeux niveaux
1976 1ère
( éd. , Bale, ;193) traduction
françaiseLa civilisation étaitrelativement faible, comparée à ce qu'on observe
desmoeurs, Paris, Calman-Levy, 1973, etLa dynamique de
:

aujourd' hui.
Nombre d'indicessuggèrentque la
l'Occident , Paris, Calman-Levy, 1975. disparitéentre,d'une part, leniveaude lasécurité physi-
que, du contrôlesocial etindividuel despulsions
violentes et de laconscience atteintaujourd'hui à l'intérieur
desEtatset, d'autrepart, leniveaude sécurité Les jeuxd'Olympie etlTethos
de laguerre
physique etde régulation sociale des sentiments -et par
intermittence- desactesviolents danslesrelations
entre Etats, estaujourd'hui plus grandeque jamais. Ainsi, lesniveauxhabituels de violence employés et
Môme s'ilpeutparaîtreassezfaibleà ceux qui y vivent, autorisés au coursdesjeuxde compétitiondans des
toutporteà croireque leniveaude sécurité physique sociétés parvenues à desstades différentsde
esten temps ordinaire plus élevédanslesEtats -nations développementjettent une lueursurun problème bienplus
industriels lesplusavancésque dans lessociétés moins vasteetplus fondamental.Soitl'exemple de lalutte
développées ; mais en môme temps l'insécurité dans les telle qu'elleestpratiquée de nos joursetdans
relations entreEtatsn'a guère décru. Au stadeactuel l'Antiquité. Aujourd'hui,ce sport, dirigépar une
du développement social lesconflitsviolents entreEtats Fédération internationale de lutte dontle siège esten Suisse,
sontaussiincontrôlables que jamaispour ceux qui y esthautement organiséet réglementé. Suivantle
sontengagés; c'estpourquoilesnormes du règlement olympique de janvier 1967, l'étranglement,le
comportement civilisé sontrelativement faibleset semi-étranglement,et souscertaines conditions,le
l'intériorisationdestaboussociauxrelatifs à laviolence physique, double-nelson figurentparmi lesprisesdéloyales en
laformationde laconscience,sontsousce rapport lutte libre; lescoups de poing, lescoups de pied, les
momentanéesetpeu solides. Que lesconflitsetles coupsde têtesonttousinterdits. Les rencontres, ne
tensions au seindesEtats-nations industriels soient dépassant pas neuf minutes, divisées en troispériodes
devenus, sauf exception,moins violents eten quelque de troisminuteschacuneavecdeux pausesd'une
sorteplusfacilesà maîtriserrésulte d'un minute, sontcontrôlées par un arbitre,troisjugeset
développement non planifiéetne tientcertainement pas au un chronométreur.En dépitde cetteréglementation
mérite des générations présentes,même si celles-ci ont trèsétroite,lalutteapparaîtaujourd'hui ä beaucoup
tendance à considérer qu'ilen va bien ainsiet à juger comme une desformes de sportslesmoins raffinées,
lesgénérations passées dontle seuilde répulsionface lesplus "brutales"Pratiquée . comme un sportde
à laviolence physique étaitplus élevépar
( exemple spectacle par desprofessionnels, une version
danslesrelations entrelesdirigeants etlesdirigés) légèrement plusrude, quoiquepré-arrangée, estencore
comme sil'abaissement de leurpropre seuilde extrêmement populaire.Mais lescatcheurs s'infligent
répulsion étaitun accomplissement personnel. rarement des blessures graves; selontoute
vraisemblance, lepublicn'apprécierait ni lesfractures
Le niveaude violence physique observédanslesjeux osseusesni lesflotsde sang; si lesprotagonistes donnent
de compétitiondu passéestsouvent jugé de cette vraimentl'impression de se fairemal, c'estl'artifice
manière; nous omettonsfréquemment de distinguer entre que lesspectateurs semblentaimer .9)(
latransgression des règlesdu contrôle de laviolence
en usagedansnotresociétéet lesactes en apparence Parmi lescompétitions des Jeux Olympiques antiques,
semblables,réalisés dansd'autres sociétés le pancrace, sortede lutteau solétait l'unedesplus
conformément à leursnormes etau niveaude violence qu'elles populaires.Le niveaude violence légitimeautorisé
admettent.Notreréflexe émotionnel immédiatnousa- dansle combat était trèsdifférentde celuiqu'admetla
mène souventà jugerdes sociétés ayantdescritères lutte librecontemporaine.Ainsi, Léontiskos de Messè-
de contrôle de laviolence etdesniveauxde répulsion ne qui remportadeux fois lacouronneolympique durant
différents, comme si lesmembres de ces sociétés é- lapremière moitiédu cinquièmesiècleav. ( J.C.,)
taient libresde choisirentrecescritères etles obtintsesvictoires non pas en renversant ses
nôtres, etoptaient pour la"mauvaise" solution; etnous adversaires mais en leurbrisant lesdoigts.Arrachionde Phi-
éprouvons, à leurégard, lamême impressionde galie, deux fois vainqueur olympique au pancrace, fut
supériorité moraleque nous ressentons dansnotre étrangléen 564 lorsde sa troisième tentative pour
propre sociétéà l'égarddescriminelsdontla conduite obtenirla couronneolympique; mais comme il avait
nousparait"non civilisée" ou "barbare". Nous réussi, avantd'être tué, à briserlesorteils de son
considéronsleuradhésionà desnormes sociales qui adversaireque la douleuravait contraintà l'abandon,les
autorisent desformes de violence que nos propres juges couronnèrent son cadavre;sescompatriotes lui
sociétés condamnentcomme un défautde caractère, érigèrentpar lasuiteune statue sur la placedu marché
comme un signe de leurinfériorité humaine. En règle de leurville,10)( C'étaitlà, semble-t-il, une pratique
générale, nousne nous demandonspas, eten
conséquence, nous ne savonspas quelssontleschangements
qui affectentle niveaudu contrôle de laviolence,les
normes sociales qui larégissent ou lessentiments )9( Voir G. P. Stone, "American Sports: Play andDisplay", et
qui luisontassociés ni pourquoices changementsse "Wrestling : The GreatAmerican PassionPlay", réédités in Eric
produisent. Dunning ed. ( ,) The Sociologyof Sport, Londres, Frank Cassand
Co, 197, où on trouvera
uneanalysestimulante etoriginalede la
lutte moderneprofessionnellecomme genrede farce.
10)( H. Foerster,Die Sieger in den Olympischen Spielen,
Zwickau, 189.
Sportetviolence7

habituelle. Si un homme était tué au coursd'une Traditionnelles, non-écrites,peu différenciées,les


compétitionde l'une desgrandesfêtes, ilétait sacré règles du pancraceétaient probablement souplesdans
vainqueur;mais le survivant n'était
pas puni, sauf par la leurapplication; ily avait un juge, mais pas de
pertede lacouronne-une pertetrèsimportante-; chronométreur,aucunelimitede temps : lecombatdurait
autantque l'on sache, aucunemarque sociale infamante jusqu'àce qu'un desopposants abandonne;si la
n'étaitattachée à son acte. Etretué, ou être traditioninterdisait,
semble-t-il, de mordre l'adversaire
gravement blesséetparfoishandicapépour lavie était un etde luiarracherlesyeux, ledommage était
risqueque le lutteur de pancracedevait prendre. On probablementaccompliavantque le jugeaitpu repousser
peutmesurerladifférenceentrelalutte en tantque le contrevenant emporté par lafureur du combat.
sportetlalutte comme "agôn" au moyen de la
descriptionsuivante : Les anciensJeux Olympiques durèrent plusde mille
ans etil se peutque lesnormes de violence aient
"Au pancrace, lesconcurrents luttaient
avectoutes lesparties variédurantcettepériode. Mais quelles qu'aientpu
du corps, aveclesmains, lescoudes, lesgenoux, lecou, la êtrecesvariations, toutau long de l'Antiquitéle
tête: à Sparte, ilsemployaientaussilespieds. Les pancraüas-
tespouvaients'arracher lesyeux.. ilspouvaient aussifaire seuilde sensibilitéau spectacledesblessures graves
tomber leuradversaire, luifairedes prisesaux pieds, au nez etdesmeurtressurvenus au coursd'un combat, et,
ou aux oreilles,luidisloquerlesdoigtset luifairedes étran- en conséquence,1' ethosde laluttedansson ensemble,

3 3 h(9«

glements. Si un homme réussissait à faire tomber son étaient trèsdifférentsde ceux qui caractérisent le
adversaire, ilétaitautorisé à s'asseoir sur luiet à le frapper à la type de combat que nousdéfinissons aujourd'huicomme
tête, à lafigure ou aux oreilles; ilpouvaitaussi luidonner des du "sport". Soitencorel'exemple de laboxe. Comme
coups de pied et lepiétiner.Il va sansdireque lesconcurrents lalutte du type pancrace, elleétait dansl'Antiquité
de ce combatbrutalrecevaient parfoislesblessures lesplus
effroyableset qu'iln'étaitpas rareque deshommes soient tués. bien moins réglementéeetdépendait par conséquent
Le pancracedes éphèbes Spartiates étaitprobablement leplus dansune plusgrande mesure de laforce physiquedes
brutalde tous; Pausanias nous rapporteque lescombattants adversaires, de leurrage spontanée de combattreet
luttaient avec lesdentset lesongles, se mordaientet de leurendurance.Comme on ne distinguait pas
s'arrachaientlesyeux" .13)( différentescatégories de boxeurs, on ne cherchait pas
à opposerlesadversaires en fonctionde leurpoids;
on distinguait seulemententrelesgarçons etles
hommes. Les boxeurs ne luttaientpas seulement avec
1)( F. Mezoe, Geschichteder Olympischen Spiele, Munich, 1930, leurs poings : comme dans presque toutesles
pp. 10-; citéin L. Drees, Olympia Gods, Artistsand Athletes,
London, PallMall Press, 1968, p. 83 paru
( en allemand,sousle anciennes formes de boxe, lesjambesjouaient un rôle
:

titre : Olympia, Stuttgart, Kohlhammer, 19G7.) offensif; le coup de pied danslestibias de l'adversaire
étaitune chosenormale.12)( On entouraitseulement tantque sport. Comme c'estle caspour tousles
la main et lapartiesupérieure desdoigtsavecdes "agôn" grecs en général, 1' ethosdu pancracedérivait
lanièresde cuir assujettiesà l'avant-bras
; on pouvait bien plus directement que celuidesrencontres
ainsiserrer lespoings ou déplierlesdoigtset jeter sportivesde 1' ethosdu combatd'une aristocratie
lesonglesau corps ou à laface de l'adversaire;avec guerrière. Il fautreplacer1' ethosdescompétitions sportives
danslatradition d'un pays qui, plusqu'aucunautre
pays européen, organisa de manière originalela
guerre maritime, se dotad'une organisation navaletrès
différentede celle de laguerre surterre( 14) etdont
lesgrandspropriétaires fonciers, l'aristocratie
et la
gentry développèrent un codedu comportementqui, à
ladifférencede celuiqu'adoptèrent laplupartdes
autresclasses supérieures d'Europe, n'étaitpas
directementinspirépar le code de l'honneuren usagechez
de terre.
Illustration non autorisée à la diffusion formes d'entraînement etde
danslesCités-états grecques, et à
boxe anglaise des 18e et 19e
grecqueétait considérée comme un
guerretoutautant qu'aux jeux.
que latechnique du pancrace
aux citoyensgrecs pendant
qui tournaen mêlée générale,
quicombattirent à mainsnues
quand leursépées et leursjavelots
A l'époqueoù ilécrit, sous
guerresn'étaient plus faites par des
mais par lessoldats
La différenceentrela
laconduite de laguerred'une part
traditionnelle desjeuxde
s'était accentuée; le grec
versl'âge classique avecune
Certes,lestechniques de la
jeuxn'étaient peut-êtrepas aussi
qu'il le dit, même au temps des
mais larelation était bien plusé-
techniques de combat sportives et
lui-même estpeut-êtreerroné; ce n'estpas lestechniques de combatguerrières contemporaines
seulementdanslesformes, mais aussipar le but et par desEtats-nations industriels. Philostrate n'était
1' ethosque ce genre de combatdiffère de la boxe en probablementpas loinde lavéritélorsqu'il écrivait qu'on
considérait autrefois lesjeuxde compétitioncomme
une préparation à laguerre,etlaguerrecomme un
exerciceen vue de lacompétition.16)( L'ethosdes
jeuxde compétition desgrandesfêtes grecques
reflétaitencoreceluidesancêtres héroïquestelque le
représentait l'épopée homérique etqu'il se perpétuait
dansune certaine mesure de générationen génération,
comme instrument d'éducation pour lajeunesse. Par
nombre de sescaractéristiques, il se rapprochait de
12)( Philostrate, Sur lagymnastiquePéri
( Gymnastikès),
première moitiédu troisièmesiècleaprèsJ.C., chapitreII édition
(
avectraduction françaisepar C. Daremberg, Paris, F. Didot,
.185)
13)( Philostraterapporteque leslanières de peau de porc étaient
interdites parce qu'on pensait que lesblessures faitesavec elles
étaient tropdouloureuses ; en outreon ne devaitpas, d'après lui, 14)( Cf. N. Elias, "Studiesin theGenesisof theNaval
frapper avecle pouce. Il ne faudrait donc pas s'imaginerque les Profession", British
Journalof Sociology, 1 ,4)( dec. 1950.
règlescoutumièresdesjeuxde compétitionantiques ne tenaient
aucun compte des participants. Mais des règlescomme celles-ci, 15)( Philostrate, op. cit., chap. 1 .
conservées par une tradition orale,étaient loind'empôcher les
blessures graves. 16)( Ibid., chap. 43.
Sport etviolence
9

V ethosde laparade, qui réglait lesrivalités de statut Les peintures des vasesgrecsmontrentfréquemment
etde pouvoirentreélites noblesdansun grand desboxeursdansune posturetraditionnelle, si
nombre de sociétés.Au jeucomme à laguerre, la proches l'un de l'autre que chacuna un pied près du pied
pratiquedu combatétait centréesur une représentation de son adversaire ou dessus.Il y avait peu d'espace
ostentatoire desvertus guerrières,moyen de recevoir pour le jeude jambesqui permetaux boxeurs
lesélogeset leshonneurslesplushautsà l'intérieur modernes de bouger rapidement,de gauche à droite,ou
du groupe, ou de lesprocurerà son groupe, sa pa- d'arrièreen avant: dansle code desguerriers,
rentèle ou sacité. S'il était glorieuxde vaincre,il reculer était un signe de lâcheté, esquiver lescoups de
ne l'était pas moins d'être vaincu, comme Hectorle l'adversaire en s'écartant de sa ligneétait déshonorant.
fut par Achille,pourvu qu'on aitlutté autant qu'on ait Comme lesguerriers au corps à corps, lesboxeurs
pu jusqu'ce à que l'on soitestropié,blesséou tuéet devaient tenirfermement et ne pas céder. Un bon
qu'on ne puisselutter davantage: victoire ou défaite boxeur avait une défenseimpénétrableetpouvait en
étaient danslamain desDieux. Ce qui était infamant fatiguantson adversaire gagner sansêtreblessé; mais si
ethonteux, c'était d'abandonner la victoire sansune le combat duraittroplongtemps, un jugepouvait
démonstration suffisante de bravoureetd'endurance. demander aux adversaires d'encaisser etde donnercoup
C'estdanslalignede cetethosguerrierqu'un pour coup sansse défendrejusqu'àce que l'un d'eux
garçon ou un homme tué dans une desrencontres soithors de combat. Ainsice type agonistique de boxe
olympiques de lutte ou de boxe était souventsacré mettait l'accent surle pointculminant,lemoment
vainqueurà lagloirede son clanetde saCitéet que le décisif, celuide lavictoire ou de ladéfaite, considéré
survivant -le "meurtrier"- n'était jamaispuni ni comme lapartielaplusimportante etlaplus
stigmatisé. significativede larencontre,plusimportante que lejeului-
même, qui était autant une épreuve d' endurance
Les jeuxgrecs n'obéissaient guère à l'esprit de physique etde force musculaire pure que d'adresse.
"loyauté". Il faut rapprocherl'histoire de l'ethosanglais Oreilles enflées, dentscassées,nez écrasésétaient chose
de laloyauté, dontlesoriginessontnon militaires, fréquente, comme les blessures graves aux yeux et
de latransformation spécifiquesurvenue dansla même au crâne. Témoin l'histoire qui nousest
naturedesplaisirs etdessensations procuréspar les parvenue de ces deux boxeursqui acceptèrent d'échanger
jeuxde compétition: le plaisir tropbref qu'offrent coup pour coup. Le premierportaun coup à latêtede
le résultat etle dénouementdu combat sportiffut son adversaire qui survécut; quandil abaissa sa
prolongéet étenduaux sensations qu'on peut retirer de garde, celui-cilefrappa souslescôtesaveclesdoigts
ce qui était à l'origineun prélude, laparticipation ou étendus,luiouvrit le flanc avecsesonglesdurs,
l'assistance aux péripéties etaux tensions du jeului- luiarrachalesentrailles etle tua ( .18)
même. Cette attention nouvelle portéeau plaisir et
à l'excitation que procurelejeuen tantque teln'est
pas sansliensavecle plaisir de parierqui, en
Angleterre,jouaun rôleconsidérable à lafois dans "De touslesconcoursolympiques, celuiqui nous estleplus
latransformation en sportsdesformes lesplus étrangerestlaboxe : quelqu'effort que nous tentions,il nous
"grossières" de compétitionetdansledéveloppement d'un estimpossible de comprendrecomment un peupleaussicultivé
et au goûtesthétique aussiraffiné pouvaitprendreplaisir à ce
ethosde laloyauté. Les gentilshommes qui assistaientspectacle barbaredans lequeldeux hommes se frappaientl'un
à une compétitionoù leursfils, leursserviteurs ou des l'autreà latêteavecleurspoings lourdement gantés.)(
professionnels célèbresétaient engagés, aimaient parier jusqu'àce que l'un desadversaires s'avouâtvaincuou soitmis
de l'argentpour ajouter à l'excitationcauséepar le horsd'étatde poursuivre lecombat. Pratiquée non seulement
jeu, celui-ciétantdéjàtempéré par lescontraintes du sous lesRomains, mais aussi sous les Grecs, cetteforme de
rencontre n'avaitrien d'un sport; c'étaitune affaire
processus de civilisation. Mais laperspective de gagner mortellementsérieuse .)( Plusd'un concurrent olympique perditsa
leparine pouvait ajouter à l'émotiondu spectacle que vie sur lestade'. Cettecritique,formulée en 182 par Adolf
si leschancesinitiales étaient plusou moins équitable- Boetticher, un des premiersspécialistes desjeuxolympiques,
ment partagées entrelesdeux camps, touten offrant reste valableaujourd'hui.Comme leurscollèguesde lalutte
un minimum de prévisibilité. Toutcecirequiert un et du pancrace, lesboxeurs étaient décidésà vaincreà tout
prix" .19)(
degré d'organisation plusélevéque celuiqu'avaient
atteint lesCités-états de laGrèce ancienne.
Si lesfaitsne sontpas douteux, il n'en va pas du tout
"[A OlympieJ iln'y avait pas de ring de boxe, lesrencontres de même de leurinterprétation. Cette citation
étantdisputées sur un terrain ouvertà l'intérieurdu stade.La représenteun exemple quasiparadigmatique de
partieviséeétaitlatêteet la figure .)( Le combatdurait l'incompréhension à laquelle
s'exposentceux qui font un usage
jusqu'àce que l'un desdeux concurrents ne soitplusen état
de se défendre ou reconnaisse sadéfaite. Il pouvaitlefaire
soiten levant l'index, soiten étendant deux doigtsversson
adversaire".17)(

18)( Ibid.
17)( L. Drees, op. cit., p. 82. 19)( Ibid., p. 81.
10

PUGILISTES

Il n'y a aucuneraisonde supposerque, dans une sociétédonnée,


lestraits auxquelsnous accordons,en tantqu'observateur
extérieur, lamême valeurqu'( ellesoitpositive ou négative), sont
lesseulsà êtreinterdépendants. On peuttrouver danstoute
société des relations
objectivesd'interdépendanceentredesaspects
auxquelsun observateur ou lesindigùneseux-mêmes attachent
des valeurs opposées. La beautéde l'artgrec et la relative
brutalitédes jeuxde compétitionantiques en sontun exemple : loin
du
incontrôlé
physique
l'en
production)
l'
représente
par
fonctionnelles
une
répugnance
sociétés
organisation
organisation
obstacle
particulier
développement
stade
rapport
position
laenet
prédominance
humaines,
de
et
.20)(àprésence
et
le
l'àla
développement
élevée
C". le
implicite
utilisent
contrôle
de
la
est
compréhension
La
contrôle
perception
celui
des
également
sculpture
indépendamment
dans
decomme
sociétés
des
de
types
qu'
des
l'leur
la
elles
échelle
interprétations
social
des
violence
grecque
particuliers
moyens
une
étalon
des
aussi
propre
ont
interdépendances
de
bonne
qui
sociétés
atteint
de
pour
valeurs
important
"économiques"
est
physique
classique
seuil
leur
illustration
le
de
toutes
hétéro-
dans
que
de
leur
structure,
de
violence
aspect
que
( occupe
notre
les
nomes
etde
de d'êtreincompatibles,ellessontdeux manifestations étroitement
licesd'un même niveaude développement,d'une même structure
sociale.

La grèce antique
etlaculture
du corps

temps, à l'inverse desformes de violence physique L'apparition de lasculpture grecquedanssa forme ar-
que comportentlesjeuxgrecs comme le pancrace.Du chai'queet le réalismeidéaliste de lapériode
fait que l'on accordeà l'une une valeurfortement classiquerestent
incompréhensibles si l'on ne prend pas en
positiveetaux autresune valeurfortementnégative, compte le rôlejouédanslesCités-états grecquespar
ceux qui acceptent que leurcompréhensionsoitguidée l'apparence physique en tantque déterminant du
par desjugementsde valeurs préconçus se trouvent prestige social
desdirigeants. Dans cettesociété,il
affrontésà un problème insoluble etces faitsleur n'étaitguère possible à un homme au corps faibleou dit-
paraissentinconciliables. forme d'atteindre ou de conserver une positionsociale
ou un pouvoirpolitique importants;laforce physique,
labeautéphysique, l'équilibre etl'endurance jouaient
danslasociété grecqueun rôlebeaucoupplusgrand
dansladétermination de laposition socialed'un
homme qu'ilsne le font danslanôtre. Qu'un homme
20)( Pour une explication
de ce termeetsur leproblème de physiquementhandicapépuisseatteindre ou conserver une
l'objectivité
en sociologie,voirN. Elias: "Problems of Invo- position de commandement ou un pouvoiretun rang
lvmentand Detachment", British Journalof Sociology, 1 ,3)( social élevésestun phénomène relativement récent
sept. 1976. dansledéveloppement dessociétés ce
( donton n'a pas
Sportetviolence1

HOPLITES

ractéristique morale; il se rapportait aux activités du


l'apparence
toujours conscience)
physique ont
Parce
. une que
importance
l'imagesecondaire,
"corporelle"
par, guerrieretdu gentilhomme, danslesquelles "l'image
rapportentreautres à 1' "intelligence" ou au corporelle"les , qualités de combattant fort ethabile
"caractère moral", suivant l'échelle desvaleurs qui jouaient un rôledominant. Ce même idéaltrouvait sa
détermine, danslessociétés comme lesnôtres,le traduction danslessculptures comme danslesjeux
classementdeshommes et l'image d'ensembleque nousnous de compétition;de nombreux champions olympiques
faisonsd'eux, nousperdonslaclef qui nous avaient leurstatue à Olympie etparfoismême,
permettraitde comprendrelesautres sociétés et en comme on l'a vu, dansleurpropre ville.21)(
particulierlasociétégrecque. On saisira mieux la
dif érence si l'on songe que dansnos sociétés l'apparence Le fait que laposition socialedesathlètes fût très
physique continueà jouerun rôletrèsimportantetpeut- différentede ce qu'elleestdansnotresociétén'est
êtrecroissant dansladétermination de l'image sociale qu'un autreaspect de ce traitdisünetifde lasociété
desindividus quand ils'agitdesfemmes, alorsque grecque. L'équivalent du sport, la"culture"du corps
pour leshommes, l'apparence physique et n'étaitpas aussispécialisée qu'aujourd'hui.Dans les
particulièrementlaforce etlabeautécorporelles ne jouent
pas sociétés contemporaines, un boxeur estun spécialiste;
un trèsgrand rôledansce domaine bien ( que la il nous suffitd'appliquerleterme moderne aux
télévisionpuisseavoirun effet en lamatière). Le fait "boxeurs" célèbresde l'Antiquité pour qu'il évoque
qu'une desnations lesplus puissantes de notretemps dansnotreesprit une image conforme à laréalité que
aitélu un homme paralyséà lafonctionsuprême est
sousce rapportsympto ma tique.
Il en allait autrementdanslesCités-états grecques.
Dès l'enfance, lesindividus faibles ou difformes étaient 21)( Ce n'estpas ici le lieud'analyserlescausesde lavague
élimines;on laissait mourir lesenfantschétifs; un de sécularisation qui se révèleentreautres chosespar le
adulte incapablede se battrecomptaitpeu. Il était passage du stylearchaïqueplutôtsolennel,plus empreintde crainte
trèsrarequ'un homme infirme, souffrantou trèsâ- respectueuse, et peut-êtreplus expressifdont
( laMéduse du
gé parvintou se maintînt à la tête desaffaires fronton du templed'Artémis à Corcyre du 6e siècleavantJ.C. est
publiques.On traduit souventpar "vertu" le mot un bon exemple) au réalismeidéalisant de lapériodeclassique
"arètè" qui étaitl'une desexpression de l'idéalde la qui représente lesDieux et lesHéros comme desguerriers bien
proportionnés,jeunesou vieux, aux corpsexpressifsmais aux
sociétégrecqueclassique. Mais en faitce mot ne visagesun peu videsmême lorsque l'incrustation
desyeux et la
renvoyaitpas, comme le faitle terme"vertu", à une couleuront été préservéescomme ( pour l'aurigede Delphes).
12

nous connaissons. En fait, leshommes qui faisaient


lapreuvede leurforce physique, de leuragilité,de
leurcourageetde leurenduranceen triomphant dans
lesgrandesfêtes avaient de trèsgrandeschances
d'obtenirune position sociale etpolitique élevéedans L'autreOedvpe
leursociéténatale,s'ilsn'en occupaient déjàune.
Le plus souvent,lesparticipants desjeuxde
compétitiond'Olympie étaient probablement issusde
"bonnes familles", des élites relativement fortunéesde
leurville d'origine, des milieuxde propriétaires
terriens,peut-êtredesfamillespaysanneslesplus
aisées. La participation à cesjeuxdemandait un
entraînementlong etdifficileque seulslesgens
relativementfortunéspouvaient se permettre;un jeuneathlète
prometteur mais pauvrepouvaittrouverun riche
patron ou un entraîneur professionnel capablede luia-
vancerl'argentnécessaire; s'ilremportait une
victoireà Olympie, ilapportait lacélébrité à safamille
et à sa ville etavait de bonneschancesde devenir
un membre de sa classe dirigeante. Le lutteur leplus
fameux de l'Antiquité classique fut probablement Milon
de Crotone,qui remportaun nombre considérable de
victoires à Olympie etdanslesautres jeuxpanhellé-
niques. C'était un homme d'une force prodigieuse qui dit
des
La
grecques
entre
autres,
étatique
probablement
moins,
ne
d'
magàfils,
on
roi
légendes
le
et
confla
pouvoir
côté
grecque,
un
va
devenir
anciens,
communauté
troupe,
santé
son
courroux
jalousie
iquement
igautres,
uration
l
lamesure
vieillir
qu'
peut
futur
du
fréquence
contrôle
rôle
fils,
procédait
égard
' père
Freud,
vieillissant,
fils,
étrangers
société
du
sociale
-dans
il
et
père,
la
en
éprouvées
quand
grecques
de
une
manquer
père.
plus
aussi
dépendaient
et
de
font
exerce
ne
relation
on
faible
héritier
devait

se
de
ce
le
prendre
l
entière,
fils
des
de
interprétation
voit
tel
et
la
influence
' imagination
avec
grecque,
plaçant
particulière
jeune
le
récit
vigoureux.
souvent
les
la
référence
Mais
important.
Cl)
vigueur
la
s'
mythe
montrent
persécutions
sur
que
de
force
tant
fréquemment
affaiblir
qu'
par
. est
que
,individus
qui
peut
violence
laquelle
si
remarquer
roi.
devait
légendaire.
la
un
réellement
le
la
d'
qu'
du
un
au
le
la
une
Freud
d'était
forme
physique
l'que
du
monopolisation
côté
montre
très
Oedipe
on
meurtre
point
vieux
àil
indicateur
crainte
Dans
De
que
Alors
dudes
être
que
roi
classe
est
se
physique.
erronée,
physiquement,
valides
nombreuses
les
ldu
bien,
d'
remplacé
être
en
groupe-
organisation
' de
les
le
la
une
place
de
conflits
reflète,
roi
ou
la
préservé
fait
Du
se
et
que
légendes
tableau.
enfant,
rituel
et
jeune
son
élevé
vue
temps
du
ou
légende
du
rapporte
comme
jalousie
jouent
, d'le
côté
lapère
ou
de
du
entre
d'
chef,
une
du
Dans
par
une
père
et
avec
fils,
du
du
On
par
va
la
du
le
devintproverbiale en son temps; mais il estconnu
aussicomme l'un des meilleurs disciples de Pythagore
etcomme un chef de l'armée de sa ville natale lors
de labataille victorieuse qu'ellemena contreles
Sybariteset qui s'achevapar un furieux massacre
collectif de cesderniers.Inversement,deshommes qui de
nos jours¡¿ont célèbressurtout par leursréalisations
intellectuelles étaient égalementréputésà leurépoque
pour leursexploits de guerrieretd'athlète.Eschyle,
SocrateetDémosthène passèrent par ladure écoledu
combat d'hoplite;Platonavait à son actifdesvictoires
dansplusieurs jeuxathlétiques. Ainsi, l'idéalisationdu
guerrierdanslasculpture grecque, lareprésentation
desDieux conformément à l'idéal d'apparencephysique
du guerrieraristocratique et1' ethosguerrierdesjeux
de compétition n'étaient pas seulement compatibles;
c'était desmanifestations étroitement liées,
caractéristiques de laposition sociale,du stylede vieetdes
idéauxdes mêmes groupes sociaux. Loin d'amoindrir
leplaisir que nous procurel'artgrec, la
con ais ance de ces relations objectives le renforcerait plutôt.

Sensibilité
à laviolence
etcivilisation 1)( "Dans lescommunautésagraires primitives
, les
enfantsroyaux étaient en danger permanentdu fait
qu'ilsreprésentaient une menace potentielle vis-à-
En comparantle niveaude violencecaractéristique visde lapossession du trônepar leroi, ou de l
desjeuxde laGrèce classique, ou encorelestournois ambition
' d'une belle1mère
é pour sespropresfils. Peu
et lesjeuxpopulaires du Moyen Age et celuiqui de princes, dans lesmythes et lesl':gfndcr. grecs,
furentélevésà lamaison. Certains furentenvoyés
caractérise lessportsde compétition actuels,on met en au Centaure Chironmais la plupartétaient
évidenceune ligneparticulière du processus de abandonnés, avec lespreuvesde leurorigine, pour être
élevéspar des étrangers.Le roi Latosabandonnason
civilisation.L'étude d'un aspectparticulier,ici le degré de filsOedipe de peur d'être tuépar lui. Zeus fut ê-
civilisation qui se manifestedanslesjeuxantiques, levépar des nourrices et éduqué en secret parceque
son père, Chronos,le percevait comme une menace et
demeure inappropriée etincomplètesi on ne lareliepas essayait de letuer. Zeus lui-même, toutcomme Jahvé,
à celle desautres aspectsde lasociété;bref, le craignait que l'homme puisseapprendreà partager
son savoirmagique, et punitle jeuneProméthée, qui
niveaude civilisation desjeuxde compétitionet ses osadéroberlefeu du cielet le donneraux hommes".
variations restentincompréhensiblessi on ne les E.M. Hooker, "The Goddessof the GoldenImage", in
rapproche pas au moins du niveaude violence socialement G.T.W. Hooker éd. ( ,) "Parthenosand Parthenon",
Greeceand Rome, supplémentau volume X, Oxford,
toléré, du niveauetde l'organisation atteints par le con- ClarendonPress, l'JG'á, p. 18.
Sportetviolence13

trôlede laviolence et, corrélativement, de la


Composantedesrelations complexes entre formation de laconscience danslessociétés considérées.
père etfils, processus particulier dont Soitun autreexemple. Au 19e siècle,lemassacre
nous trouvons desreflets dans les massif despeuplesvaincuspar lesnazisa provoqué
légendes grecquesetdansbiend'autres,cette une répulsion quasimondiale;son souvenir a flétri
escalade de rivalité etde jalousie l'image internationale de l'Allemagne. Le choc fut
mutuelles n a' sansdoutepas le même rôledans
une société où lesparents de sexe d'autantplusimportantque beaucoupde gens avaient vécu
masculin eux-mêmes ne se menacentpluslesuns dansl'illusion qu'au 20e sièclede telles atrocités ne
lesautres etoù l'Etat a monopoliséle pouvaient plusse produire.Ayant implicitement admis
droitd'employer laviolence physiqueet que leshommes étaient devenusplus"civilisés", que
dansune société où lespères pouvaient le fait qu'ilsfussentdevenus"moralementmeilleurs"
tuerou exposerleursenfants.Des était inscrit dansleurnature,ilstiraient orgueil
recherches plussystématiques permettraient de d'être moins sauvages que leursancêtres ou que les
déterminer dansquelle mesure les
sentimentsde rivalité etde jalousie du filsà autrespeuplessansjamaisse poserleproblème que
l'égarddu père, tels que Freud lesa posaitleurpropre comportement, relativement plus
observéschez sespatients, sontaussi une civilisé: pourquoieux-mêmes, dansleurcomportementet
réaction aux sentiments du père à légard
' leurssentiments,étaient -ils devenusun peu plus
du fils. Si l'on considère leslégendes civilisés ? L'épisodenazi estvenu pour ainsidirerappeler
grecques y etprincipalement lemythe que lesrestrictions relatives à laviolence ne sontni
d'Oedipe lui-même, on ne peutguère douter le signe d'une supériorité de naturedes"nations
de lexistence
' de sentiments symétriques
etréciproques.Cette légendene peut civilisées"ni , une caractéristique éternellede leur
servircomplètementcomme modèle théorique constitutionraciale ou ethnique,mais un aspect d'un type
que sil'on prend en compte lerôlejoué particulier de développement socialqui a entraînéun
par ladynamique de cette configuration, contrôlesocial plusaffiné etplus stable desinstruments
par laréciprocité de sentiments entreun de laviolence et une formationcorrespondante de la
filsdont laforce ne cessede croîtreet conscience.A l'évidence,cetteforme de développement
un père qui s affaiblit.
' Dans lessociétés social peut se renverser.
où laforce et lapuissance physiquejouent
un rôlebienplusimportant qu'ajourd'hui
tantà l'intérieur qu'à l'extérieur de la
famille, cette configuration a une Ce qui ne veutpas direqu'ilsoitabsurdede penserque les
significationtrèsforteetqui n'estpas comportementset lessentiments humains qui résultent de cette
seulementinconsciente. De ce pointde vue la évolution sont"meilleurs"que ceux qui leurcorrespondent aux
légended'Oedipeapparaîtcomme un mythe stades antérieurs de développement ; au contraire,une
destiné à menacer lesfilsd'êtrepunis connaissancepluslargedesfaitsfournitune meilleure base, et en
par lesDieux s'ils tuentleurpère .2)( vérité laseulequi soitsûrepour desjugementsde valeurde ce
Ainsi, ces légendespeuventnous aiderà genre. Fautede cetteconnaissance, nousne pouvonssavoir,
comprendreun type de relations humaines par exemple, sinotreself-control individuelde laviolence
qui correspondà un stade donné du physique ne s'accompagnepas d'anomalies psychologiques qui, elles,
développementsocial,alors que lorganisation
' pourraient paraîtretrèsbarbares à une époque plus civilisée.
que nous appelonsaujourd'hui "Etat" était En outre,si l'on considère qu'une forme pluscivilisée de
encoredans lenfance ' etque laforce comportementset de sentiments est"meilleure"qu'une forme moins
physique d'un individu,sa capacité à assurer civilisée, si l'on estimeque l'humanitéa faitun progrès en
sa surviegrâce à sapropre puissance de adoptant nos proprescritères de répulsionface à desnormesde
lutte,étaient un déterminant essentiel de violence qui étaient monnaiecourante autrefois,on ne peut
touslestypes de relations humaines, y expliquerpourquoiune évolution non planifiéeaboutità quelque
compris entrepère etfils. choseque l'on considèrecomme un progrès. Touslesjugements
relatifs aux normes de comportementscivilisés sontdes
jugementscomparatifs.On ne peutpas direde manière absolue
"nous sommes civilisés, ilsne sontpas civilisés"mais , on peut
:

dire: "les normes des comportementset des sentiments d'une


sociétéA sontplus civilisés,ceux d'une sociétéB lesont
moins", pourvuqu'on aitmis au pointdesindicateurs clairset
des instruments pour mesurerl'évolution.La comparaisonentre
lescompétitions agonistiques grecqueset lescompétitions
sportivescontemporaines en fournitun exemple, lesnormes de
répulsionface aux massacres massifsen fournissent un autre.
2)( Biensûr, l élément
' marquantdanslalégende
n est' certainement pas, en premier lieu, lemeurtre
du vieux, roi par etpour lejeuneroi, mais la Comme le montre lacomparaison aveclesattitudes
transgression du taboude l inceste,
' de l interdiction
' des
rapportsdu filsavecsa mère qui estun interdit d'autrefois,le sentiment quasiuniverselde répugnance
socialbienplusancienque celuirelatif au meurtredu à l'égarddu génocidequi s'estrévélérécemment
père. De ce pointde vue, lemythe d'Oedipe symbolise
évidemment un stadeantérieur,relativement tardif indique que lessociétés humainesontsubi un processus
dansledéveloppement d'une société danslaquelleni de civilisation, aussilimitésetaussiinstables que
lemeurtredu ¿eune filsni celuidu vieuxpère soient seseffets. Dans l'Antiquité
grecque et romaine,
n'étaientun crime.
le massacrede toutelapopulation mâle d'une cité
14

vaincueetconquise,etla mise en esclavage des coup plusélevéque danslesEtats-nations


femmes et desenfantsinspirent lapitié, mais ne contemporains. Le fait que leurspoètesmontraient davantagede
suscitentaucunecondamnation générale. Bien que compassion que d'indignation moraleestun bon
lacunaires, nos sources montrentque descasde tueries indicateurde cettedifférence. Homère, déjà, regrettait
massives se produisirent avecrégularité duranttoute qu'Achille,danssadouleuret sa fureur, tuâtet
cettepériode.2)( Le massacreintégral desennemis brûlât sur lebûcherfunérairede Patrocle non seulement
était parfoisdû, pour une part, à lafureurd'une desmoutons, desvaches etdeschevaux mais aussi
armée longtempsmenacée ou frustrée;témoin le douze jeunes noblesTroyens. Mais lepoètene portait
massacre par lescitoyensde Crotone de touslesSybarites pas là non plusde jugementdu hautde sa droiture et
surlesquels ilspouvaient mettrelamain. Parfois, le de sa supériorité moralesetne condamnait pas son
"génocide" était un actepréméditévisantà anéantir la héros pour avoircommis l'atrocité barbared'un
puissance militaire d'un étatrival, comme danslecas "sacrifice humain"; lesreprochesdu poèteà Achillen'ont pas
d'Argos, dontlapuissance militairefut plusou moins lacoloration émotionnelle de l'indignationmorale, et
annihilée par l'élimination complète, sur ordredu ne jettent aucuneombre sur ce que nous appelonsle
général spartiate Cléomène, de tousleshommes en état "caractère"de son héros, sur savaleuren tantqu'être
de porterlesarmes. Le massacre de lapopulation humain. Dans leurdouleur etdansleurfureur, lesgens
mâle de Milo ordonné par l'Assembléedescitoyens font desactions mauvaises -"kaka erga"-; lebarde
d'Athènesen 415 av. J.C., que Thucydide décritavec hoche latête, mais ne faitpas appelà laconscience de
force, résultait d'une configuration trèscomparableà sesauditeurs : ilne leurdemandepas de considérer
cellequi amena l'occupation russede la Achillecomme un réprouvédu pointde vue moral,
Tchécoslovaquie en 1968; lesAthéniens considéraient Milo qui avait comme un "caractère négatif". Il faitappelà leur
une importancestratégique particulièrepour eux dans compassion, illeurfait comprendrelapassionqui
leurlutte contreSparte, comme une partie de leur s'empare même du meilleur,même du héros, dansles
empire. Devantlarésistance deshabitants , ilstuèrent moments de tension;lavaleurhumaine de celui-ci, en
leshommes, vendirent lesfemmes etlesenfants tantque nobleet que guerriern'estpas mise en doute;
comme esclaves et colonisèrent l'le
î avecdescolons le "sacrifice humain" n'avaitpas pour lesanciens
athéniens. Certains Grecs considéraient laguerrecomme grecs laconnotation d'horreurqu'elle a pour les
le mode normalde relations entreCités-états; elle nations"civilisées" du 20e siècle23( .) Tous lesécoliers
pouvait êtreinterrompue par destraités de durée grecs desclasses cultivées avaiEntconnaissance de la
limitée. Les Dieux, par labouchede leursprêtres, et colèred'Achille, des sacrifices etdesjeuxqui
lesécrivains pouvaient sansdoutedésapprouver ce accompagnèrentlesfunérailles de Patrocle.Les jeux
genre de massacre;maisleniveaude "répugnance morale" olympiques étaient leshéritiers directs de ces compétitions
à l'égardde ce que nous appelons"génocide" et, plus funérairesancestrales ;c'estlà une filiation très
généralement,leniveaudesinterdits intériorisés différente de celledescompétitions sportives
relatifsà laviolence physique, étaient certainement plus contemporaines.
bas, lessentiments de culpabilité etde honteassociés
à cesinterdits plusfaiblesqu'ilsne lesontdans les
Etats -nationsindustriels relativement Autantqu'on le sache, leniveaunormalde passionet
développésdu
20e siècle;peut-êtreétaient-ils de violence
entièrement absents. deshéroset desdieux homériques, ou,
autrement dit, leniveaunormalde développement et
d'intériorisation du self-control, de la"conscience",
Ce n'estpas qu'on manquât de compassionpour les n'était pas trèséloignéde celuiqui fut atteint à
victimes;si lesgrandsdramaturges athéniens,surtout Athènes durantlapériodeclassique. Les ruines, lesivm-
EuripidedansLes Troyennes, exprimèrentce sentiment pleset lessculptures des hérosetdesdieux grecs
avecun réalismedesplusintenses,c'estjustement ontcontribuéà constituer l'image desanciensgrecs
parce qu'iln'était pas voilépar de larépugnanceou de comme un peupletoujours modéré, équilibreet
l'indignation morale. La ventecomme esclaves des harmonieux. Le terme"classique"lui-même dansdes
femmes desvaincus,laséparation des mères etdes expressions comme "Antiquitéclassique" évoqueun idéal
enfants, l'exécution des enfantsmâles, etplusieurs autres de beautéharmonieuse et d'équilibreque les
thèmesde violence ou de guerre, avaienttrès générations ultérieuresn'ont aucunespoird'égaler. Contre
probablement une résonancebienplusgrandepour un public cetteconception nousne pouvonsmontrerici avecla
athénien, étantdonné lecontextede sa vie, que pour un précisionconvenable laplaceoccupée par la Grèce
public contemporain.Toutcompte fait, leniveau classique dansledéveloppement de la"conscience",
d'insécurité physiquedanslessociétés de l'Antiquité
était descontrôles intériorisés relatifsà laviolence ou aux
autres sphèresde lavie; on se contentera de direque

2)( P. Ducrey, Le traitementdesprisonniers de guerredans la


Grèce antique,Ecole Françaised'Athènes, Travaux etMémoires, 23)( F. Schwenn, Die Menschenopferbei den Griechenund Bomern,
Fase. XVin, Paris, E. de Boccard, 1968. Giessen,A. Töpelmann, 195.
Sportetviolence15

laGrèce elle-même représente encore1' "aube de la desDieux grecs, lacritique de leurarbitraire et de


conscience", une étapependantlaquelle la leurférocité. Si l'on a en têtele stadeparticulier du
transformation d'une conscience assurant lamaîtrisede soi, processus de civilisation que représente lasociété
symbolisée par lesimages collectives d'êtresextérieurs grecqueà l'époquedesCités-états indépendants, on
surhumains,de dieux-démons impérieux ou menaçants comprend plusfacilementcomment -comparé au nôtre-
indiquant plusou moins arbitrairement aux hommes ce le caractère violemmentpassionné desanciens Grecs
qu'ilfaut faireetne pas faire, en une voix intérieure dansl'action était parfaitement compatible avec
relativement impersonnelle etindividualisée parlant l'harmonie corporelle,l'équilibre, lagrâce
selonlesprincipessociauxgénéraux du juste etde aristocratique et lafierté du mouvement que reflètela
l'injuste,du bon etdu mauvais, était encorel'exception sculpturegrecque.
plutôtque larègle. La "daimonion" de Socrateestpeut-
être, danslasociétégrecqueclassique, ce qui
s'approche leplusde notretype de formationde la Enfin, il n'estsansdoutepas inutile d'attirer
conscience, mais cette"voix intérieure" elle-même, si l'attentionsur un autreaspect des relations entrele niveau
hautement individualiséequ'ellesoit, conserveen de violence contenu dans la forme grecque desjeux
quelque sortelecaractère d'un génie tutélaire. En outre, de compétition et de la guerre et les autres
ledegré d'intériorisation etd'individualisation des caractéristiques structurales de lasociétégrecque. Même à
normes etdes contrôlessociauxque nous trouvons chez Athènes la protection de lavie descitoyensn'était pas
Socratepar ( l'intermédiaire de Platon)était sans assurée de la même façon qu' aujourd' hui
comme
aucun doute un phénomène toutà fait exceptionnel à l'affaire exclusive de l'Etat;ce qui esttrèscaractéristique
cetteépoque. Il esttrèssignificatif que legrec du stade atteint par l'organisation étatique à cette
classiquene possèdepas de mot spécialisé pour nommer époque. Lorsquequelqu'unétait tuéou estropié par un
laconscience;on traduit parfoispar "conscience"un concitoyenc'était habituellement, même à l'époque
certain nombre de mots comme "synesis", "cuthymia", classique, un motif pour que sesparents le vengentet
"eusebia", etc., mais à y regarderde plusprès on règlent les comptes; le groupe familial jouait un rôle
s'aperçoit bientôtqu'aucund'eux n'estspécifiqueet bien plusimportantqu'aujourd'hui danslaprotection
que chacuncouvreun spectre beaucouppluslarge de l'individu contrelaviolence;ce qui impliqueque
renvoyantentreautres aux notionsde "piété" etde touthomme normalementconstitué devait êtreprêt à
"révérence enverslesDieux". L'outillage intellectuel de la défendrelesmembres de sa familleou, si celase
Grèce anciennene disposepas d'un conceptunique présentait, à se battre pour aiderou venger un parent.
aussi nettement spécialisé que le conceptmoderne de Même à l'intérieur d' une Cité-état,leniveau
"conscience", qui dénoteune autorité intérieure général de violence physique etd'insécurité était
impérieuse, souventtyrannique,à laquelle on ne peut relativement élevé, ce qui contribue à expliquer pourquoile
échapper, qui faitpartiede l'individu etguide sa niveau de répulsion à l'
égard des douleurs ou des
conduite, qui punitladésobéissance des "affres" etdes blessuresqu'on infligeait à autrui,ou de leurspectacle
"morsures" du sentiment de culpabilité, et qui agit était plusbas et que lessentiments de culpabilité
par soi, sansqu'on puisseluiattribuer une relatifs aux actes de violence étaient moins
provenance, ne recevant son pouvoiret son autorité d'aucune profondément ancrésdanslesindividus : dansune société
force extérieure,humaine ou surhumaine, à la ainsi organisée, ils auraient été un sérieuxhandicap.
différence de la"peur desDieux" ou de la"honte". Le
faitque ce conceptne soitpas encoreconstitué dans
lasociétégrecquepeutêtreconsidérécomme un Traduction de l'expériencesociale commune à touslesgens de
indice certain de ce que laformationde laconscience l'époque, quelques sentences de Démocritepeuventpeut-être
n'y avait pas encoreatteint un stade d'intériorisation, aider à mieux comprendrecesdifférences. Ellesmontrentque
"bien" et "mal" ne peuventexprimer exactement la même chose
d'individualisation etde relative autonomie dansune sociétéoù toutindividudoit, pour survivre,assurer
comparable à celuiauquel elleestparvenuedanslanôtre. sa propredéfenseet cellede sesparents et dans une société
comme lanôtre, etelles en indiquent la raison.LorsqueDémocrite
C'estlà un desindicesqui permettent de comprendre ditqu'ilestjuste,conformément aux règlescoutumières,de
leniveausupérieurde violence qu'enfermentlesjeux tuertoutechosevivante qui a causéune blessure et que c'est
de compétitionantiques etleniveauinférieurde un tortde ne pas latuer, ils'exprime en termesà la fois
humains et sociaux. Il ne faitpas appelaux dieux, ni à la
répulsionà l'égardde laviolence de lasociétégrecque droitureou à lasainteté comme
( c'estle casdans le dialoguede
en général. Il montre que dansle cadresocial de la Socrateavec Protagoras rapportépar Platon), ni non plus,
Cité-état grecque, lesindividus étaient bien plus comme on peut levoir, à la protection descoursde justice, des
fortementdépendants desautres,de forcesetde institutions de l'Etat etdes gouvernements: leshommes
sanctionsextérieures, qu'ilspouvaient moins que nous devaientalors,beaucoupplusque nous, comptersur eux-mêmes
compter surdesbarrières intériorisées et sureux- pour assurer leursimplesurviephysique .24)(
mêmes pour contrôler leurspulsions violentes et
infléchirleurspassions.Il fautcependant ajouter qu'ils
étaient ou
( du moins que leursélites étaient bien
) plus
capables de se contenir individuellement que ne
l'étaient leursancêtres de lapériodepré-classique, 24)( La manière dontE.A. Havelocks'efforce de rendrelesens
desreprésentations me ces de fragments pour un lecteur contemporainde langueanglaise,
comme en témoignentl'évolution semble plutôtréussie,dans ( l'originalanglais,cesfragments
a( suivre)
16

Pour certains êtresvivants,larègle concernant lefaitde les


tuerou de ne pas lestuerestainsi: si l'on tueceux qui
agissentcontrelajustice et qui veulent
agir contrela justice,il
n'y a pas de châtimentà encourir,et fairecelava plusdans
lesensdu bien-êtreque ne pas le faire fragment
( 257 de
Démocrite dansl'éditionDiels-Kranz, chapitre .68)
Il estnécessaire de tuertoutêtrequi, contrejustice, causeun
dommage ; celaestabsolu.Et celuiqui agitainsiaccrortra la Dérèglementetdésordre
mesurede sa participation à la satisfaction,
au droit, à la
force, à lapropriétédans touteorganisation sociale fragment
( .258) danslesjeux
La justice consisteà accomplirce qui faitbesoin, injusü 1' ce à au Moyen-Age
ne pas accomplirce qui faitbesoin, mais à s'en détourner
f( ragment .256)
Il estnécessaire de venger, autantque possible,lesvictimes
d'une injustice etde ne pas renoncerà cela.Un telacteest De nombreux documentsmontrentque lesjeuxde
juste etbon, un actecontraire estinjuste et mauvais balle pratiqués au Moyen-Age par lemenu peuple,
f( ragment .261) formes ancestrales du football,du handball,du
cricket, du tennisetd autres ' jeuxsportifsde notre
temps, étaient jouésavecbeaucoupde laisser-aller
du
( moins selonnos conceptions) .
vers1480-5 - "Certainsnomment jeude football
lejeuqui lesréunitpour se récréerensemble.
La genèsede l'Etat
etl'invention
du sport Dans lejeurural, lesjeunes gens poussent une
balleénorme, non pas en lalançanten l'air,mais
en lacognantviolemmenteten lafaisantrouler
sur lesol, etcelanon pas à lamain, mais au pied.
L'héritagedessociétés étatiquesde laGrèce ancienne C'estun jeu, dis-je, assezabominable,et, à mon
a eu un impact si profond sur lessociétés étatiques avisau moins, plusvulgaire,plusindigneetplus
européennes apparues par lasuite qu'ilestdifficile , méprisableque toutautresortede jeu, un jeuse
terminantrarementsansquelqueperte, accident ou
même au 20e siècle,de se faire une idéeclaire de la préjudice pour lesjoueurs eux-mêmes" i)
( .
position relativequ'elles occupentdansl'ordre
séquentieldu développement des sociétés ; difficultéqui, en 1532 - "Le football n'estriend'autrequ'une
retour,met en lumière certains aspects complexesde fureur bestiale, d'une extrême violence,d'où
proviennentdesblessures, et en conséquence,la
ce développement lui-même. C'estprobablement à rancoeuret la malicerestent forcément en ceux qui
traversle modèle classique du développement de la pensée ont été blessés ; c'estpourquoiilméritel'oubli
scientifique qu'on saisit lemieux laforme particulière éternel".2)(
de cetteévolution d'ensemble. Le schéma de 158 - "On pourrait l'appeler une sortede combat
développement à long termequi rend compte de l'histoire de ce entreamis plutôtquun ' jeuou une récréation,une
domainediffère de manièresignificative de la pratique sanglante etmeurtrièreplutôtqu'un
représentationd'un progrès unilinéaire et continuqui estsou- sportentrecompagnons ou un passe-temps. Car
certainsrestent à attendre leuradversaire pour le
renverser et leplaquersur le nez, que ce soit
surdes pierres dures, dansun creux ou sur une
bosse, dans une vallée ou sur une colline,ou en
quelquelieuque ce soit,peu importe, pourvu
qu'ilspuissent lefairetomber. Et celuiqui joue
suite
( note24) lemieux de cette façon estconsidéré , luiet
sontcitésdans latraduction d'E.A. Havelock, in The Liberal personned'autre,comme un fameux compagnon. Si bien
Temper in Greek Politics,New Haven and London, Yale que parfoisilsontlecou brisé, parfoislesbras,
University Press, 1964, pp. 127-8, note du traducteur)n , montre parfoisune articulation déboîtée, parfoisune
autre, parfoisilsontlenez qui pisselesang,
aussi, plusclairement peut-ôtreque beaucoupd'autresauteurs,que parfois lesyeux qui sortent de latête. Et même si
l'importanceque PlatonetAristote accordentä l'autorité centrale quelqu'uns'en sortdu mieux possible,ilne s'en
de l'Etatcomme solution préalable aux problèmespolitiques est tirepas sainet sauf; on y estsiviolemment
souventconsidérée à tortcomme caractéristique de laGrèce meurtriqu on ' en meurt ou qu on ' en réchappetrès
ancienneen général, alorsqu'en faitcetteimportanceest,toutau difficilement.Et ce n'estpas étonnant,car ils
plus, caractéristique desdernières Cites-Etats grecques ont desrusespour coincerleuradversaire entre
indépendanteset peut-ctrede ladernièrephasede leurdéveloppement. deux et luibriserlapoitrine de leurscoudes,
Mais jene suispas d'accordavecE.A. Havelocklorsqu'il luibourrerlescôtesde coups de poings etde
qualifie de "libéraux" lesenseignements desphilosophes comme
Démocrite ; le libéralisme en tantque philosophie politique
suppose une organisation étatique
trèsfortementdéveloppéemême
s'ilviseà prévenirles interférences excessives desparticuliers.
D'autrepart, laconfianceen soide l'individu,dontDémocrite
se faitledéfenseur, estcaractéristique d'un stadede l)
( H.A. Knox etS. Leslieed. ( ,) ïhe
' Miraclesof
développementdans lequell'individu et sa párentele ne peuventcomptersur Henry VT, Cambridge UniversityPress, liJ2Z, cité
par F.F. Magoun, Historyof Footballfrom the
laprotection d'une organisation d'Etatsuffisammentefficaceet Beginnings to 187, Cologne, Bochim-Langendreer, 1938.
impersonnelle. L'idée que leshommes ont le droitet le devoirde
se venger et de tuerleursennemispersonnels n'estpas vraiment Co) Th. E'lyot, The Governour, London, T. Berthelet,
une idée "libérale".
Sport etviolence17

soupsde pieds, l attraper


' par lahancheetle ventassociée,de nos jours,à l'idéede développement
plaquersur lenez etcentautres expédients social.Si l'on examine l'évolution d'ensemblede la
meurtrierssemblables qui font naîtreenvie, malice, penséescientifique, de l'Antiquité aux Temps
rancoeur,douleur,haine, colère, hostilité, que
eais-je encore; etparfoisdescombats, des Modernes, on observedanslaGrèce classique et
querelles,des disputes,des noises,des meurtres, hellénistiqueune pousséebrève etintense de "dé-mythologisa-
deshomicides, et une grandeeffusionde sang ; tion" corrélative d'innovations etde découvertes
voilàce
jour" Z)( . que lexpérience
' nous enseignechaque scientifiques etd'un développement de l'outillage conceptuel.
Probablement limitéà de trèspetites élites,ce
1602 - "Accompagné de nombreux dangers, dont phénomène fut suividanslessociétés ultérieures de Rome et
certainséchoient aux joueurs.Pour preuvede cela,
quandce jeule ( hurling'
' ) se termine, vous les de l'ancienne Europe par une longuepériodede "re-
voyez rentrer chez eux, comme d'une bataille mythologisation" opérantà un nouveauniveau,
rangée, avecdestêtessanglantes, des os briséset accompagnée de progrès scientifiques occasionnels et
déboîtés, et descoups de natureà raccourcir leurs relativementlimités par rapportau niveauatteint par laGrèce
jours." 4( )
antique ; en conséquence,ce qui restait de l'héritage
Cette manière de jouer à laballe ne se bornait pas scientifique de celle-cietce qui fut plustard
à l Angleterre
' ; on mentionnedesjeuxsemblables redécouvert avant
( toutlestravauxd'Aristote)remplit , la
danslesdocumentsmédiévaux de nombreux pays. Il fonction de modèle autorisé,dotéd'un fort prestige,au
se peutqu'ilsaient différé danslesdétails, mais
pas danslamanière de jouer,ni danslabrutalité, môme titreque lesautres autorités reconnues par
l absence
' de contrainte et laviolence . Ainsi, en l'Eglise: on pouvait vénérerce patrimoine,mais on ne
France, lepluspopulaire des "jeux de force" était pouvait guère espérerl'égalerou le surpasser.A cette
un jeude balle appelé"la soûle"du ( latin solea,
sandale)-ou "choule", comme on leprononçaiten périodede mythologisation succédaun nouveausursaut
Normandie ; comme en Angleterre,c'était une sorte de dé -mythologisation qui, entrepris pour une partau
de duelentregroupes. On peuttrouverdesexemples moyen de l'héritage de l'Antiquité fut toutd'abord
semblables dansdes sourcesallemandes, conçu comme le recommencementde celle-ci,sa
néerlandaises etautres.Jusqu'au 16e et peut-êtrejusqu'au
17e siècle,lesjeuxet lespasse-tempsde plein "renaissance"; à l'origine, la scienceetlaphilosophie
airanglaisne différaient guère par leurcaractère antiques étaientconsidérées comme une autorité,
généraldes jeuxetdesfestivités des pays l'Antiquité comme un modèle Lehrmeister)
( 25)(
européens. On y jouait selondesconventions locales vénérableet insurpassable : c'estseulement peu à peu que
non écrites,en observant relativement peu de
contraintes eten donnantlibrecoursà laviolence lesgens réussirent à dépasser le mouvementde dé-
physique. Dans de nombreux cas, lejeuopposait mythologisation de l'Antiquité et surtout à prendre
touslesjeunes gens valides par villages,par conscience de ce que l'Antiquité avait cesséd'être le
régions, par groupesd'âge ou selond'autres modèle suprême , qu'ilsétaient désormaisindépendants
divisions.Les jeuxperpétuaient souslaforme d'un a-
musement violent leshainesentregroupes et pouvaient,dansleursdécouvertes scientifiques,
ethniques, lesanimositês entrelocalités , lestensions allerbienau delàdu niveauatteint par lesAnciens.
entregénérations ou, à l'intérieur d'une même Ainsi, un courtmouvement tournéversl'innovation et
communauté, entregroupesde statuts différents .
Renforçant lestensions sociales déjàexistantes, à ladécouverte séculières danslesdomainesdu savoir
son tourrenforcéepar elles, l excitation
' du jeu et de lapenséelutsuivid'une longue périodede
pouvait aller parfoisjusqu'des à blessures graves pensée essentiellement mágico -mythique, fondée sur un
etmême jusqu'àlamort desparticipants. apprentissage livresque transmisen languelatine sous
Le caractère de cesjeuxestsymptomatiquede le contrôle d'une autorité centrale assezefficace ; il
certainescaractéristiques fondamentales des sociétés fut suivià son tourpar un mouvementnouveauetplus
médiévalesoù l insécurité ' des individus,lesimple pousséde découverte pratique donton ne peutencore
dangerphysiquede mort etde blessures était mesurerlaforce et ladurée.
extrêmement grand comparés à ce qui se passedansles
sociétés industrielles étatiques contemporaines.
Les gens du commun à qui l on ' interdisait, dansde
nombreux cas, de posséder des armes, se battaient a Ce schéma bien connu soulèveun grand nombre de
mains nues, avecleurspiedsou avecdesbâtonsou questions qu'iln'estpas nécessaire de résoudreici ; il
des couteaux; desformes de sporttelles que la faut néanmoinssouligner que lafiliation
de nombreux
lutte ou laboxe doivent beaucoupaux manièresde autres aspectsdes sociétésen questionrelèved'un
se battre populaires. Au sommet de lasociété,les
guerriers propriétaires terriens se servaient de schéma trèssemblable,même s'iln'estjamais
leursarmes et leurcombat sérieuxétait un peu plus totalementidentique.Le processusd'urbanisation,
la
réglementé. Mais, même s'ils le considéraient comme croissancedesmarchés et l'extension de leursaires,etle
une distraction, ou comme on dirait aujourd'hui, développement corrélatif
d'organisations
étatiques
comme un sport, ilsavaient des chancesde s
estropier
' ou même de se tuer.La répulsion à tuer, la urbainescouvrant des territoires
de plusen plusvastes
sensibilité relativement forteaux dommages corpo- qui culminentaveclaRome impériale,furentsuivis,

6'( ) Ph. Stubbes, The Anatomy of Abuses, London,


R. Jones, 158.
4)( R. Carew, The Survey cf Cornwall,London, B. Lau, 25)( En allemanddans letexteoriginalnote
( du traducteur).
1769 1ère
( ed., .1602)
18

reisqui sontmaintenant presquegénéralesdansles surtout dans lesrégionsoccidentales de l'Empire,


sociétés industrielles et qui sontcaractéristiques d'une désintégration du contrôlecentral de l'élut,
de laformationde la conscience dansde telles d'une division croissante de la puissance militaireet
sociétés,n'auraient guère pu se développerà un
moment du développement social où laprotection du pouvoir, du déclindu commerce à grande distance
contre lesdommages corporels ou lamort violente que etde la décadencedesinstallations urbaines;
lesautorités centrales étaient en mesurede tendance qui fut interrompueet suiviepar un mouvement
procureraux individus était faible. inversede commercialisation, d'intégration,
Exaspérés par l'excitation violente à laquelle le d'urbanisation etde renforcementde l'état ; relativementinstable
peuples'abandonnait sansraisonseloneux, c'( est- à sesdébuts, limité, et, à de raresexceptions près, de
à-dire du pointde vue des autorités étatiques) les courtedurée, ce mouvementintéressa par la suitedes
roiset lesprincesne cessaient -en Angleterre , en territoires de plus en plusvastes,despopulations de
France etdansd'autres pays parvenusau même stade
de développement-de publierdesdécretscontre plus en plusnombreuseset aboutit à laformation
nombre de jeuxappréciéspar lepeuple. Sans penseren d'organisations étatiquesdontle degré de stabilité et la
termesgénéraux de monopoledu pouvoirphysique, capacité d'intégrationdépassent de loinceux des
lesroiset lesprincesmédiévaux travaillaient organisationsétatiques de l'Antiquité.
souventà l élaborer,
' même si l organisation
' et les
moyens dontilsdisposaient leurinterdisaient de
l'établir. La plupartd'entreeux réclamaient sans Les étudescomparatives desprocessus de formationde
douteledroitde rappeler à l ordre
' etsi l'état sontencoreà un staderudimentaire.Plus
néces aire de punirceux de leurssujets qui en blessaient particulièrement, on ne saitpas encorerésoudreun
ou qui en tuaient d'autres sansleurpermission.
Mais ilsétaient rarementaase?,fortspour demander problème qui estd'une importancecruciale pour comprendre
descomptesaux noblespuissants et, comme on peut lesdifférencesentrelescaractéristiques structurelles
levoir, ilsne possédaient pas lesmoyens d'états parvenusà des stades différentsde
institutionnels nécessaires pour interdire lesamusements développement social,ainsique l'inculcation de normes de
violents desgens du commun ; que lesêditsse
soient répétés, générationaprès génération,en sensibilité à l'égard de laviolence physique : pourquoila
témoigne. Soitquelques exemples, entrebeaucoup désintégration de l'étatesclavagiste romain d'occident
d'autres. fut-ellesuivie,peu de temps après, d'un nouveau
En 134, un décretd'EdouardII montre que les mouvement d'intégration liéà l'apparition d'états qui ne
citoyens de Londrespratiquaient lejeudanslesrues reposaientpas sur le travail servile ? Phénomène qui n'est
de leurville,provoquant beaucoupde bruitetde pas sansrapportavecl'affaiblissement du commerce à
désordre; leroi prohibacette rage ou "rageries longuedistance qui contraignitlespropriétaires terriens
de grossespelotes"en ( françaisdansletexte)et
interdit aux citoyens"de se mêler de lancerdes à recourirà l'offre de travail locale 2( .6) Le
pierres,de jouerau loggats ' ' , aux anneaux, au christianismen' empocha pas lapartieorientale de l'Kmpirc
ballonau piedou à lamain, ou à d autres ' vainsjeux romain d'utiliser letravail servile jusqu'àce que là
sansvaleurs"b( ) . Sous Henri VII, en 1496, fut
publiéeune ordonnanceinterdisant aux "artisans , aussi,semble-t-il, lemarché se tarisse. Les
laboureurs etserviteurs de pratiquer toutjeu scrupulesreligieuxn'empêchèrent pas non plusles
illégalà toutmoment saufà Noël". Henri VIII et membres dessociétés européennes de se livrerau
Elisabetharrêtèrent l un' et l autre' des loiscontrele
"football". JacquesPremier interdit aux héritiers commerce desesclaves ou d'employer le travail servile
présomptifsde pratiquer lejeuqui estdécritdans quand l'occasion se présenta,comme dans le casdu
leBasilikon Boroncomme "répondantplusau désir Brésil ou desUSA. Il ne fautpas oublier que les
d'estropier lespratiquants d'icelui que de les états utilisateurs du travail servile se caractérisent
rendreadroits"Dans . son Book of Sports, il
définit une fois de plus lesjeuxillégaux, sanseffet par un besoinconstant de guerres, de piraterie et
durable,bienque lespassages essentiels en aient d'autres formes de violence physiqueouverte,
été lusen chaire.Tout comme lesGeorges, les conditionsnormalesde la constitution et du maintiende
derniersStuarts édictèrent des loissupplémentaires leurforce de travail.
contreles¿eux de balleetlesautres jeuxviolents.
On peuttrouveren France une sériecomparabled'ê-
dits.Les jeuxy étaient aussiviolents qu'en Situéedans ce contextepluslarge, laquestion
Angleterreet, pas plusqu'en Angleterre,lepeupledes essentielle
que nous avonsformulée ici apparaîtplus
villes etdes villages ne lesabandonnaparceque
lesrois, lesprincesetleursagentsmenaçaientde clairement. Les jeuxde compétition
apparusen Angleterre
punir lesparticipants etlefaisaient parfois souslaforme de sportetleurdiffusionultérieure
réellement.Les tentatives desautorités pour supprimer sont-ils simplement, comme le suggère parfois
lespasse-tempspopulaires ne cessèrent de se l'appellation des"Jeux Olympiques" contemporains,une
répéter, au moins jusqu'àlaRévolution.
renaissance desjeuxde l'Antiquité
?Le développement
des jeux de compétitionde l'Antiquité jusqu'ànos jours

é)( Loggats : jeuanglaisancien, dans lequelles


joueurs jettent des morceaux de hoir, sur un piquet
plantédans le sol; quoite, : jeuconsistant à es- 26)( L'explicationlaplus plausible du développementd'une
s ayev d enfi 1er distance des anneauxde cordeou traditionde travail
libredanslessociétéseuropéennespost-romaines
de métal ,n> un p ieu. Cf. Webster's , Tnivd. résidesansdoutedanslatransformation desconditions sociales
'

ternational Dio ti LJpfingfi. d'apparition


et de développement
des agglomérationsurbaines.
pany , Jßi
1' note
( traducteur)
.
Sportetviolence19

ne suit-il pas au contraire un plan grossièrement lesstructures paraissentaux contemporains totalement


semblableà celuiqu'on rencontre dansle développement différentes,voireincompatibles et opposées? Ces
d'autres domaines? Ne peut-on discernerdansle fonctions ont-elles
changé au coursdes 19e et20e siècles ?
développementdesjeuxde laGrèce ancienne une poussée Le contrôle de laviolence physique s'est-ilaffaibli, le
limitéede civilisation suivied'une lenterégression seuilde sensibilité à l'égardde celle-cis'est-il élevé?
atteignant son pointculminantau débutde l'âge féodal, Ou bien est-ceseulement une illusiond'optiquedue à
puis, à nouveau, d'une évolution lenteversun notreconnaissance insuffisantedesnormes du passé ?
accroissementde lasensibilité
à l'égard de laviolence
physique, pas seulement dansdescercles restreints
mais Telssontquelques-uns desproblèmesqui se présentent
dansl'ensemblede lasociété,qui s'accéléra et, à lorsqu'onanalyselesjeuxde compétition en prenanten
terme, dépassa largementlesnormes de l'Antiquité? compte leniveaudu contrôle de laviolence etle seuil
Les normes de loyautéetde contrôle de laviolence correspondant de lasensibilité. L'intérêtde ce genre
desjeuxauxquelsnous donnonsle nom de "sports", d'étudecomparative apparaîtra sansdoutede plusen
ne témoignent-elles pas d'un niveaude lasensibilité plusà mesurequ'on réalisera que le type hautement
publiqueà l'égardde laviolence physique bienplus spécifiquede contrôle de laviolence caractéristiquede
élevéque celuide laGrèce antique,sansparlerde laforme de jeuxappelée"sport" ne peutêtrecompris
celuides"sièclesbarbares"etdu hautMoyen Age ? isolément.Il existeactuellement une tendance
crois ante à autonomiser lasociologie du sportcomme si le
Cette mise en perspective à long termepermet de sportexistait indépendammentdesautres aspects de la
mieux saisir leproblème de lasociogenèse du sport. société.Comme letravail,l'industrie, lascienceet
Il nousfaudradéterminerlescaractéristiques de nombreux autres objets de spécialités sociologiques,
particulièresdu processus de formationde l'état anglais
et, le sporta certes un certain degré d'autonomie;mais
corrélativement, de laformationde laconscience danslaréalité,en tantque manifestation
danslesmilieuxconcernéspar latransformation des représentative des sociétés contemporaines, il n'a qu'une
jeuxde compétition traditionnels. Allant
plusloin,nous autonomie relative par rapportaux autres manifestationsde
pourronsaussi nous demanderquelssontlesaspects celles-ci alors
( que lasociologie du sporttendde plus
de laconfiguration généraledesétats etde leur en plusà êtretraitée par sesreprésentants comme
développement qui expliquent,spécialement au 19e et au une spécialité sociologique absolument autonome). Pour
20e siècles,ladiffusionet l'unification du sport,ou au mettreau jourlesrelations entrelastructure etla
moins de certaines espècesde sports,d'abord en l'onctionsociales du sportet celles desautres aspects
Europe et maintenant dansle monde entier.De même de lasociété,il fautadopterune perspective à long
qu'on ne peutexpliquerledéveloppement des Jeux terme - la perspective du développement-etcesser
Olympiques dansl'Antiquité sanscomprendrela de traiter le sportsimplementcomme un faitdont
structurede la"koiné" etcelle desrelations entreles l'existence va de soi; il faut se demandercomment et
Cités -étatsdu monde grécophone qui entraient en pourquoipareilphénomène s'estproduit.L'objetde cet
compétitionà l'occasion de ces jeuxtraditionnels ou article n'estpas de résoudremais de poserle
d'autresjeuxdu même genre, de même on ne peut problème, en montrantque, bien que lesjeuxde compétition
expliquer ledéveloppement desJeux Olympiques du 20e soient communs à de nombreusessociétés,laformé
siècle sanscomprendrelamultiplication desjeuxsportifs particulière de ce que l'on appelle "sport" est
pratiqués selonlesmêmes règlesdanspresquetousles caractéristique d'un développement social récent. On ne voit
pays du monde. De quelles fonctionssociales générales pas comment lasociologie du sportpourrait progresser
le sportdut-ils'acquitter pour que destypes de sports sans
' fairede la genèsede celui-ci, aussibien que de
aussinombreux puissent s'implanterdansdespays dont son développement etde sadiffusiondanslessociétés
contemporaines, un de sesproblèmescentraux.

traduction
J. etAJ)efrance
20

POST-SCRIPTUM

Comme le suggère sa conclusion,ce textene prend toutesa signification


que si on le replace danslathéorie du processus de civilisation développée
par NorbertElias.1)( Pour expliquercomment lesportestapparuet
comment une forme de passe-tempspropre à lagentry a pu s'imposeraux
classesetaux cultures lespluslointaines comme à l'ensemble de lasociété
anglaise,ilfaut prendreen compte à lafois lestraits distinctifs du sport
anglaisetlesparticularités de l'Angleterre de lasecondemoitiédu 18e siècle,
laposition privilégiée d'une "bourgeoisieagrarienne"2)( pluspuissante et
plus sûred'elle-même que lesautres élitesnationales, lesrelations que le
prestige de sesmanièresentretenait avecl'avanceindustrielle et la
domination économiquedu pays, lescorrespondances et lesdécalages entreles
transformations structurales de l'Angleterre et lestransformations
ultérieuresdes sociétés réceptrices, etc. C'estdireque l'étuded'un objet aussi
marginalen l'état actuel de lahiérarchie dessujets historiques ou
sociologiquespeutêtreun bon moyen "d'aborder, à partird'un problème très
particulier,bon nombre de questions moins spécifiques dontlasignification
dépasse ledomaineproprementditdu sport; par exemple laquestion de savoir
quelles sontlespropriétés que doitavoirun produitsocial pour que sa
transplantation soitpossible,même si ces caractéristiques correspondent au
développementet à lastructure spécifiquesde lasociété dontilestissuet si
la structure du milieud'emprunt diffère de celle du milieud'origine" .3)( La
méthode suivie par NorbertEliasmontre comment l'analysedétaillée
d'indicateurshistoriques pertinents, ici lestransformations despasse-temps
anciens, permetde voir à l'oeuvreetde saisir sousune forme concrètedes
processus généraux et lesconcepts abstraits qui leurcorrespondent, comme
laformationde l'Etatetlamonopolisation de laviolence physique. Elle
conduit à lacritique descatégories etdesconcepts traditionnellement utilisés
pour décrirelesrelations que lesdifférentesmanifestations de 1' ethos
-évolutiondes moeurs, dessystèmesde croyance, de lasensibilité, de
l'affectivité etde l'humeur collectives, formationde la"conscience" ou,( comme di-

1)(
Cf. N. Elias, Über den Prozessder Zivilisation , op. cit.
2)( Cf. E.P. Thompson, "Modes de dominationet révolutions en Angleterre", Actesde
larechercheen sciences sociales,2-3, 1976, p. 13-5.
3)( Cettecitation,etcelles qui suivent,sontextraites d'un ouvrageinéditque N. Elias
a bien voulunous communiquer etd'où sonttirésaussilescommentairessur lesjeux
du Moyen -Age.
Sportetviolence
21

raient leshistoriens français, des"mentalités"- ) entretiennent entreelles


et aveclastructure sociale."Les formes de croyancesreligieuses ne sont
pas lesseules manifestations possibles de laconscience; lesnormes de
conduiteincluses danslespasse-temps, etparticulièrement visibles dansles
sportsen sontune autre.La conscience ' puritaine'a servià expliquer
presque toutce qui estanglais, en particulier toutes sortes de propriétés des
classes moyennes etpopulaires anglaises ; ce recoursabusifestétroitement
liéà l'hypothèseselonlaquelle laconscience prend naissance à partirdes
croyancesreligieuses ; ilserait sansdoutepluscorrectde direque
l'évolutiondescroyancesreligieuses estparallèle à celle de laconscience.En
outre, nombre d'élémentsmontrentque leschangementsrelatifs aux croyances,
aux pratiques religieuses et à laformationde laconscience ne peuventêtre
expliquésen termede transformation de cettesphère'
' particulière de la
sociétéà laquelle on fait référencelorsqu'onparlede capitalisme'
' ; pas plus
que lestransformations de la prétendue sphère
' économique' ne peuvent
s'expliquerpar référenceaux transformations de lasphère
' religieuse' ".
L'inventiondu sport, et surtout sa diffusionquasiuniverselle, s'expliquent sans
doutepar larencontre entreun étatparticulier de la "culture"dominante
d'une nationdominanteet leseffetsinduits par un processus généralde
renforcementdu pouvoirétatique. "Le sport, peut-on direprovisoirement, est
une forme de combatqui donne du plaisir sanschoquerlaconscience.)(
La progression du contrôle de l'Etatet saconséquence,le renforcementdu
contrôle desusagesillégitimes de la violence et l'intensification corrélative
de la répulsion à l'égard de celle-ciont aussiéliminéde lavie quotidienne
danslesEtats -nationsindustriels une bonne partiede ce qui était autrefois,
de touteévidence, une sourcepuissante de sensations agréables.La
souf rance physiquea diminué, mais il en a été de même du plaisir etde lajoie de
vivre: avec le perfectionnement du contrôle de l'Etat, la vie devintmoins
dangereuse,mais aussiplus monotone. Comme le montrerait une analyse
plusdétaillée, le sportestune de ces inventions sociales extraordinaires qui
vont à l'encontre d'une telle évolution.Il dépouille lasensation agréabledu
combatphysique de nombre de sesdangersetde ce qui répugne à une
sensibilitédontlescritères ne cessent de s'affiner, mais en même temps il
préserveune bonne partdu plaisir du combat". C'est, on levoit, toute
l'évolution socialequ' il fautprendreen compte pour comprendrece phénomène en
apparencemineur qu'estle sport, comme exercicecontrôléde laviolence.
On comprend qu'une telle conception de l'histoire sociale s'accommode aussi
mal d'une "histoire sansstructure"caractérisée
, par "le hautdéveloppement
destechniques de collecte etde contrôle desdocumentsetpar l'absence de
toutusageconséquent etrigoureuxde modèles" que desfaussesprudences
d'une sociologie qui inclineà fairedu refus de lasynthèsele garantet la
condition suffisante de sa scientificité.

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