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Bourdieu Pierre. Genèse et structure du champ religieux. In: Revue française de sociologie, 1971, 12-3. pp. 295-334;
doi : 10.2307/3320234
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1971_num_12_3_1994
Resumen
Pierre Bourdieu : Génesis y estructura del campo religioso.
Se halla dominada la sociología de la religión (y más generalmente la de las ideologies) por la
oposición entre la tradición que trata la religión como instrumento de communicación y de
conocimiento, es decir como sistema estructurado y estructurante, y la tradición que insiste en las
funciones póliticas de la ideologia religiosa. En realidad, es precisamente porque cumple una función
logica, imponiendo sus estructuras al pensamiento, que la religion desempeña el papel politico de
eternización de las estructuras, es decir de absolutización del relativo y de legitimación del arbitrario y,
con eso, de domesticación de los dominados.
Zusammenfassung
Pierre Bourdieu : Entstehung und Struktur des religiosen Gebietes.
Die Soziologie der Religion und — allgemein gesehen die Soziologie der Ideologien — wird beherrscht
vom Gegensatz einerseits zwischen der Tradition, die die Religion als ein Kommunikations — und
Wissensinstrument ansieht — das heisst, als ein strukturiertes und strukturierendes System — und
anderseits der Tradition, die die politischen Funktionen der religiosen Ideologie unter- streicht. In
Wirklichkeit erfüllt die Religion nur insofern eine politische Funktion der Verewigung der Strukturen —
das heisst die Absolutisierung des Relativen und die Legitimation des Willkurlichen und dadurch die
Zähmung der Beherrschten — als sie eine logische Funktion erfüllt, indem sie dem Denken ihre
Strukturen auferlegt.
резюме
Pierre Bourdieu : « Генеза и структура социологии религии ».
Социология религии (и вообще всех идеологий) подчинена противоречию между традицией
которая видит в религии средство сообщения и познания, т. е. структурной и структирующей
системы и традицией, которая ставит ударение на политические функции религиозной
идеологии. В действительности, это только когда религия исполняет свою логическую функцию
заставить живую мысль принять свои структуры, что она принимает на себя политические
функции увековечивания структур, делая абсолютным релативное, легальным арбитральное и
таким образом приручая господствуемых.
R. franç. Sociol., XII, 1971, 295-334
PIERRE BOURDIEU
Genèse et structure
du challlp religieux
(1) HUMBOLDT (W. von). Einleitung zum Kawi-Werk, VI, 60, cité par E. Cassirer,
in « Sprache und Mythos >>, Studien der Bibliothek Warburg, Leipzig, VI, 1925,
reproduit in Wesen und Wirkung des Symbolbegriffs, Darmstadt, Wissenschaft
liche Buchgesellschaft, 1965, p. 80.
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(2) CASSIRER (E.). Philosophie deT symbolischen Formen, Berlin, Bruno Cassirer,
1923-1929 (trad. à paraître aux Ed. de Minuit); « Structuralism in Modern Linguis
tics », W oTd, I, (1945), pp. 99-120. Cassirer qui avait écrit, en 1922, un essai intitulé
« Die Begriffsform im mythischen Denken», (Studien der Bibliothek WaTburg, Leip
zig, I, 1922), reprend à son compte les thèses fondamentales de l'Ecole durkheimienne
(«le caractère fondamentalement social du mythe est indiscutable » - An Essay on
Man, New York, Doubleday and Co, 1956, - 1 re éd., Yale University Press, 1944,
p. 107) et emploie le concept même de « forme de classification » comme un équiva
lent de sa notion de « forme symbolique» (The Myth of the State, New York, Dou
bleday and Co, 1955, 1 re éd., Yale University Press, 1946, p. 16).
(3) Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Alcan, p. 25. Dans la
suite de l'article les initiales F.E.V.R. feront référence à cet ouvrage.
(4) « Ainsi renouvelée, la théorie de la connaissance semble donc appelée à
réunir les avantages contraires des deux théories rivales, sans en avoir les incon
vénients. Elle conserve tous les principes essentiels de l'apriorisme; mais en même
temps elle s'inspire de cet esprit de positivité auquel l'apriorisme s'efforçait de satis
faire» (F.E.V.R., p. 27).
(5) LÉVI-STRAUSS (Cl.) La Pensée sauvage, Paris, Pion, 1962, pp. 48-99; DURKHEIM
(E.) et MAuss (M.). « De quelques formes primitives de classification. Contribution
à l'étude des représentations collectives», i n MAuss (M.), ŒuvTes, Paris, Ed. de
Minuit, 1969, t. II, pp. 13-195.
(6) «Aussi suis-je particulièrement reconnaissant à M. Ricœur d'avoir souligné
la parenté qui pouvait exister entre mon entreprise et celle du kantisme. Il s'agit,
en somme, d'une transposition de la recherche kantienne au domaine ethnologique,
avec cette différence qu'au lieu d'utiliser l'introspection ou de réfléchir sur l'état
de la science dans la société particulière où le philosophe se trouve placé, on se
transporte aux limites : par la recherche de ce qu'il peut y avoir de commun entre
l'humanité qui nous apparaît plus éloignée, et la manière dont notre propre esprit
travaille; en essayant, donc, de dégager des propriétés fondamentales et contrai
gnantes pour tout esprit, quel qu'il soit». Cl. LÉVI-STRAUSS. « Réponses à quelques
questions ». EspTit, (11), nov., 1963, pp. 628-653.
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(10) LÉVI- STRAUSS (Cl.) . Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 229. Les
textes admirables que Lévi-Strauss consacre au problème de l'efficacité symbolique
(op. cit., ch. IX et X, pp. 183-226) restent comme isolés dans l'œuvre, le plus
significatif pour notre propos étant le chapitre de Tristes Tropiques intitulé << La
leçon d'écriture » : « C'est une étrange chose que l'écriture. Il semblerait que son
apparition n'eût pu manquer de déterminer des changements profonds dans les
conditions d'existence de l'humanité; et que ces transformations dussent être sur
tout de nature intellectuelle. (...) Il faut admettre que la fonction primaire de la
communication écrite est de faciliter l'asservissement. L'emploi de l'écriture à
des fins désintéressées, en vue d'en tirer des satisfactions intellectuelles et esthé
tiques, est un résultat secondaire si même il ne se réduit pas le plus souvent à un
moyen pour renforcer, dissimuler ou justifier l'autre » (Lévi-Strauss (Cl.) , Tristes
Tropiques, Paris, Plon, 1955, pp. 317-318, souligné par moi).
(11) « Afin que tout aille bien pour toi et que tu vives longtemps sur la terre »
(selon les termes de la promesse faite à ceux qui honorent leurs parents) (M.
WEBER, Wirtschaft und Gesellschaft, Cologne-Berlin, Kiepenheuer und Witsch, 1964,
T. I, p. 317. Cité dans la suite de l'article par W. u. G.)
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relative que la tradition marxiste accorde, sans en tirer toutes les consé
quences, à la religion (12), conduisant du même coup au cœur du système
de production de l'idéologie religieuse, c'est-à-dire au principe le plus
spécifique (mais non ultime) de l'alchimie idéologique par laquelle s'opère
la transfiguration des rapports sociaux en rapports surnaturels, donc ins
crits dans la nature des choses et par là justifiés.
Arrivé à ce point, il suffit de reformuler la question durkheimienne des
«fonctions sociales» que la religion remplit pour le «corps social» dans
son ensemble sous la forme de la question des fonctions politiques que
la religion remplit, pour les différentes classes sociales d'une formation
sociale déterminée, en vertu de son efficacité proprement symbolique, pour
être conduit à la racine commune des deux traditions partielles et mutuel
lement exclusives : si l'on prend au sérieux à la fois l'hypothèse durkhei
mienne de la genèse sociale des schèmes de pensée, de perception, d'appré
ciation et d'action et le fait de la division en classes, on est nécessairement
conduit à l'hypothèse qu'il existe une correspondance entre les structures
sociales (à proprement parler, les structures du pouvoir) et les structures
mentales, correspondance qui s'établit par l'intermédiaire de la structure
des systèmes symboliques, langue, religion, art, etc. ; ou, plus précisément,
que la religion contribue à l'imposition (dissimulée) des principes de
structuration de la perception et de la pensée du monde et en particulier
du monde social dans la mesure où elle impose un système de pratiques
et de représentations dont la structure, objectivement fondée sur un
principe de division politique, se présente comme la structure naturelle
surnaturelle du cosmos.
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les droits de tous les prêtres sans contredire l'instauration d'un monopole
du culte de Jahveh à Jérusalem.
(19) RADIN (P.) , Primitive Religion, its Nature and Origine, New York, Dover
Publications, 1957, 1 re éd. 1937.
(20) Cf. A. W. H. .ADKINS, Merit and Responsability, A Study in Greek Values,
Oxford, Clarendon Press, 1960, (particulièrement le chap. V) et surtout E. R. DoDDS,
The Greeks and the Irrational, Boston , Beacon Press, 1957, i re éd., 1951.
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plus cachée par laquelle s'exerce l'effet de consécration : les schèmes
de pensée et de perception qui sont constitutifs de la problématique
religieuse ne peuvent produire l'obj ectivité qu'ils produisent qu'en pro
duisant la méconnaissance des limites de la connaissance qu'ils rendent
possible (i.e. l'adhésion immédiate, sur le mode de la croyance, au
monde de la tradition vécu comme «monde naturel ») et de l'arbitraire
de la problématique, système de questions qui n'est pas mis en question.
Ainsi, on ne peut sans contradiction assigner à la fois à la religiosité
populaire une fonction mystificatrice de déplacement des conflits poli
tiques et voir dans certains types de mouvements religieux, comme les
hérésies médiévales, une forme déguisée de la lutte des classes, à moins
de prendre en compte, ce qu'Engels ne fait pas, l'effet de connaissance
méconnaissance, i.e. tout ce qui découle du fait que la lutte des classes
ne peut s'accomplir, à un moment donné du temps, qu'en prenant la
forme et en empruntant le langage (et non le « déguisement ») de la
guerre de religion. Bref, les guerres de religion ne sont ni les «violentes
querelles théologiques» que l'on y voit la plupart du temps ni les conflits
d' « intérêts matériels de classe » qu'Engels y découvre et elles sont les
deux choses à la fois parce que les catégories de pensée théologiques
sont ce qui rend impossible de penser et de mener la lutte des classes
en tant que telle en permettant de la penser et de la mener en tant que
guerre de religion. De même que, dans le domaine pratique, l'alchimie
religieuse fait << de nécessité vertu», ou, selon le mot de William James,
<< rend facile et heureux ce qui est inévitable», de même, dans le domaine
gnoséologique, elle fait «de nécessité raison» en transformant les bar
rières sociales qui définissent l' << impensable» en limites logiques, éter
nelles et nécessaires. Ainsi par exemple, il serait facile de montrer que,
comme le suggère Paul Radin, la représentation de la relation entre
l'homme et les puissances surnaturelles que proposent les différentes reli
gions ne peut dépasser les limites imposées par la logique régissant
l'échange de biens dans le groupe ou la classe considéré (35) : tout se
passe comme si la représentation «eucharistique» du sacrifice, à peu près
totalement inconnue des sociétés primitives, où les échanges obéissent à
la loi du don et du contre-don, et même des classes paysannes qui,
comme l'observe Weber, tendent à obéir, dans leurs relations avec le
dieu et avec le prêtre, à « une morale strictement formaliste du do
ut des », ne pouvait se développer que lorsque les structures de l'échange
économique viennent à se transformer, en particulier avec le dévelop
pement du commerce et de l'artisanat urbain, qui, en instaurant la rela
tion avec le client, rend possible la conception d'une moralisation calcu
latrice des relations entre l'homme et la divinité. Et l'on sait l'efiet de
consécration que peut exercer en retour, non seulement dans le domaine
pratique mais aussi dans le domaine théorique, la transfiguration reli
gieuse de l'ethos ascétique de la classe bourgeoise naissante en une
éthique religieuse de l'ascèse dans le siècle.
2.2. Du fait que l'intérêt religieux dans ce qu'il a de pertinent pour
la sociologie, i.e. l'intérêt qu'un groupe ou une classe trouve dans un type
déterminé de pratique ou de croyance religieuse et, en particulier, dans
la production, la reproduction, la diffusion et la consommation d'un type
déterminé de biens de salut (parmi lesquels le message religieux lui-
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36) NIEBUHR (R.) , Moral Man and Immoral Society, New York, Charles Scribners'
Sons, 1932, p. 62.
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(40) FINKLESTEIN (L.) , The Pharisees : The Sociological Background of their Faith,
New York, Harper and Bros., 1949; 2 vol.
(41) Cf. LÉVI-STRAUSS (Cl.) , Anthropologie structurale, op. cit., ch. IX et X, pp. 183-
226.
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tiques (ou, dans le langage << indigène», << temporels») {42). Aussi faut-il
peut-être réserver le nom de charisme pour désigner les propriétés
symboliques {avec, au premier chef, l'efficacité symbolique) qui adviennent
aux agents religieux dans la mesure où ils adhèrent à l'idéologie du cha
risme, i.e. le pouvoir symbolique que leur confère le fait de croire en leur
propre pouvoir symbolique : s'il faut refuser au charisme le statut d'une
théorie sociologique de la prophétie, il reste que toute théorie de la pro
phétie doit faire une place au charisme comme idéologie professionnelle
du prophète qui est la condition de l'efficacité spécifique de la prophétie,
dans la mesure où elle soutient la foi du prophète en sa propre << mission »
en même temps qu'elle lui fournit les principes de son éthique profession
nelle, à savoir le refus proclamé de tous les intérêts temporels. Et l'idéo
logie de la révélation, de l'inspiration ou de la mission n'est la forme par
excellence de l'idéologie charismatique que parce que la conviction du
prophète contribue à l'opération de renversement et de transfiguration
que réalise le discours prophétique en imposant une représentation de la
genèse du discours prophétique qui fait descendre du ciel ce qu'il y
projette depuis la terre. Mais cela ne signifie pas seulement que celui qui
demande à être cru sur parole doit avoir l'air de croire en sa parole
ou que celui qui fait profession d'imposer la foi par ses discours, doit
manifester dans son discours ou dans sa conduite la foi qu'il a en son
discours ou même que le pouvoir d'exprimer ou d'imposer par le discours
ou par l'action oratoire la foi dans la vérité du discours contribue pour
l'essentiel au pouvoir de persuasion du discours. Sans doute le principe de
la relation entre l'intérêt, la croyance et le pouvoir symbolique doit-il
être cherché dans ce que Lévi-Strauss appelle << le complexe shama
nique», i.e. dans la dialectique de l'expérience intime et de l'image sociale,
circulation quasi magique de pouvoirs au cours de laquelle le groupe
produit et projette le pouvoir symbolique qui s'exercera sur lui et au
terme de laquelle se constitue, pour le prophète comme pour ses secta
teurs, l'expérience du pouvoir prophétique qui fait toute la réalité de
ce pouvoir (43). Mais comment ne pas voir, plus profondément, que la
(42) Il suffira de rapporter ici la prière qu'une communauté religieuse du Pendj ab
réputée pour sa piété adresse à son saint patron :
« Un homme affamé ne peut accomplir ton culte.
Reprends ton rosaire.
Je ne demande que la poussière des pieds du Saint.
Fais que je ne sois pas endetté.
Je te demande deux seer de farine,
Un quart de seer de beurre et de sel.
Je te demande la moitié d'un seer de pulse,
Qui me nourrira deux fois par j our.
Je te demande un lit à quatre pieds,
Un coussin et un matelas.
Je te demande un pagne pour moi
Et alors ton esclave te servira avec dévotion.
Je n'ai j amais été cupide.
Je n'aime rien d'autre que ton nom. »
(P. RADIN, op. cit., pp. 305-306.)
(43) « Quesalid n'est pas devenu un grand sorcier parce qu'il guérissait ses ma
lades, il guérissait ses malades parce qu'il était devenu un grand sorcier >> (Cl. LÉVI
STRAUSS, op. cit., p. 198.) Pour s e donner une image plus proche de cette dialectique,
il faudrait analyser les rapports objectifs et les interactions qui unissent le peintre
à son public grosso modo depuis Duchamp et qui trouvent leur forme archétypale
aujourd'hui chez les tenants de l'art pauvre ou de l'art conceptuel, conduits à
« vendre » leur conviction ou leur sincérité en tant qu'elle est le garant unique
et ultime de leur prétention à décréter l'appartenance d'un obj et quelconque à la
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fier durablement les représentations et les pratiques des laïcs en leur incul
quant un habitus religieux, principe générateur de toutes les pensées,
perceptions et actions conformes aux normes d'une représentation reli
gieuse du monde naturel et surnaturel, i.e. obj ectivement ajustés aux
principes d'une vision politique du monde social, - et de celles-là seule
ment - d'une part (1) dépend de l'état, à un moment donné du temps,
de la structure des relations objectives entre la demande religieuse (i.e.
les intérêts religieux des différents groupes ou classes de laïcs) et l'offre
religieuse (i.e. les services religieux plutôt orthodoxes ou plutôt héré
tiques) que les différentes instances sont portées à produire et à offrir
du fait de leur position dans la structure des rapports de force religieux,
i.e. en fonction de leur capital religieux, d'autre part (II) commande la
nature, la forme et la force des stratégies que ces instances peuvent
mettre au service de la satisfaction de leurs intérêts religieux ainsi que
les fonctions qu'elles remplissent dans la division du travail religieux,
donc dans la division du travail politique (45) .
Ainsi, le capital d'autorité proprement religieuse dont dispose une
instance religieuse dépend de la force matérielle et symbolique des
groupes ou classes qu'elle p eut mobiliser en leur offrant des biens et des
services capables de satisfaire leurs intérêts religieux, la nature de ces
biens et de ces services d épendant à son tour, par la médiation de la
position d e l'instance productrice dans la structure du champ religieux,
du capital d'autorité religieuse dont elle dispose. Cette relation circulaire
ou, mieux, dialectique (puisque le capital d'autorité que les différentes
instances peuvent engager dans la concurrence qui les oppose est le
produit des relations antérieures de concurrence) , est au principe de
l'harmonie qui s'observe entre les produits religieux offerts par le champ
et les demandes des laïcs en même temps que de l'homologie entre les
positions des producteurs dans la structure du champ et les positions
dans la structure des rapports de classe des consommateurs de leurs
produits.
(45) Sur la distinction entre le niveau des interactions (où se situe l'analyse
weberienne des relations entre les spécialistes) et le niveau de la structure des
relations objectives, voir P. BOURDIEU, « Une interprétation de la théorie de la
religion selon Max Weber », Archives européennes de Sociologie, XII (1971) , 3-21.
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les instruments pratiques qui leur sont indispensables pour remplir leur
fonction au moindre coût (pour eux-mêmes) et au moindre risque (pour
l'institution) , surtout lorsqu'il leur faut « prendre position (dans la pré
dication ou la cure des âmes) sur des problèmes qui n'ont pas été résolus
dans la révélation » (58) , - le bréviaire, le sermonnaire ou le catéchisme
j ouant à la fois le rôle d'un pense- bête et d'un garde-fou, destiné à
assurer l'économie de l'improvisation e n même temps qu'à l'interdire.
Enfin, par les raffinements et les complications qu'elle apporte au fonds
culturel primaire, la systématisation sacerdotale a pour efiet de tenir
les laïcs à distance (c'est une des fonctions de toute théologie ésoté
rique) (59) , de les convaincre que cette activité suppose une « qualifica
tion » spéciale, « un don de grâce », inaccessible au commun, et de les
persuader d'abandonner la gestion de leurs affaires religieuses à la caste
dirigeante, seule en mesure d'acquérir la compétence nécessaire pour
devenir un théoricien religieux (60) .
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les groupes > (64) . Wilson D. Wallis observe que les messies surgissent
dans les périodes de crise, en relation avec une aspiration profonde au
changement politique, et que « quand la prospérité nationale refleurit,
l'espérance m essianique s'évanouit » (65) . De même enfin, Evans Pritchard
note que, comme la plupart des prophètes hébreux, le prophète est lié
à la guerre : « la principale fonction sociale des principaux prophètes
du passé était de diriger les raids sur le bétail des Dinka et les combats
c ontre les différents groupes étrangers du nord » (66). Pour en finir
complètement avec la représentation du charism e comme propriété atta
chée à la nature d'un individu singulier, il faudrait encore déterminer,
en chaque cas particulier, les caractéristiques sociologiquement pertinentes
d'une biographie singulière qui font que tel individu s'est trouvé socia
lement prédisposé à éprouver et à exprimer avec une force et une
cohérence particulières des dispositions éthiques ou politiques déjà pré
sentes, à l'état implicite, chez tous les membres de la classe ou du groupe
de ses destinataires. Il faudrait analyser en particulier les facteurs qui
prédisposent les catégories et les groupes structuralement ambigus,
boiteux ou bâtards (mo ts choisis pour leur vertu évocatrice) , occupant
des lieux de grande tension structurale, positions de porte-à-faux et
points archimédiens (e.g. les forgerons dans nombre de sociétés primitives,
l'intelligentsia prolétaroïde dans les mouvements millenaristes ou, à un
niveau psychosociologique, les individus au statut fortement décristal
lisé), à remplir la fonction qui leur incombe tant dans l'état normal du
fonctionnement des sociétés (manipulation des forces dangereuses et
incontrôlées) que dans les situations de crise (formulation de l'infor
mulé) . Bref, le prophète est moins l'homme << extraordinaire )> dont parlait
Weber que l'homme des situations extraordinaires, celles dont les gar
diens de l'ordre ordinaire n'ont rien à dire, et pour cause, puisque le
seul langage dont ils disposent pour les penser est celui de l'exorcisme.
C'est parce qu'il réalise, dans sa personne et dans son discours comme
paroles exemplaires, la rencontre d'un signifiant et d'un signifié qui lui
préexistait, mais seulement à l'état potentiel et implicite, qu'il p2ut
mobiliser les groupes ou les classes qui reconnaissent son langage p3.rce
qu'ils se reconnaissent en lui, les couches aristocratiques et princiè res par
exemple dans le cas de Zarathoustra, de M:ohammed et des prophètes
indiens, les classes moyennes, citadines ou campagnardes, dans le cas
des prophètes d'Israël. Le fait que l'analyse savante révèle que le dis
cours prophétique n'apporte à peu près rien qui ne soit enfermé dans
la tradition antérieure, soit sacerdotale, soit sectaire, n'exclut aucune
ment qu'il ait pu produire l'illusion de la nouveauté radicale par exemple
en vulgarisant auprès de publics nouv eaux un message é�;::>t&rique. La
crise du langage ordinaire appelle ou autorise le langage de crise et la
critique du langage ordinaire : la révélation, i.e. le fait de dire ce qui
va être ou de dire ce qui était impensable parce qu'indicible, veut de
ces moments où tout peut être dit parce que tout peut arriver. C'est une
telle conjoncture qu'évoque C. Vasoli, pour rendre raison de l'apparition
d'une secte hérétique florentine à la fin du xv" siècle : « Après 1480
surtout, on rencontre des traces nombreuses et fréquentes d'une forte
(64) MAuss (M.) , Œuvres, 111, Cohésion sociale et divisions de la sociologie, Paris,
Ed. de Minuit, pp. 333-334.
(65) WALLIS <W. D.) , Messiahs, Their Role in Civilization, Washington, American
Council on Public Affairs, 1943, p. 182.
(66) Op. cit., p. 45.
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