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Actes de la recherche en

sciences sociales

Légitimité et actes de langage


Monsieur Michel De Fornel

Citer ce document / Cite this document :

De Fornel Michel. Légitimité et actes de langage. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 46, mars 1983. L’usage
de la parole. pp. 31-38;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1983.2175

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1983_num_46_1_2175

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Zusammenfassung
Legitimität und Sprechakte.
In «Zur Theorie der Sprechakte» hat Austin gezeigt, daß ein «Akt» «glücklich» verläuft, wenn die
entsprechenden Bedingungen die Ubereinstimmung von Kontext und Ausführung gewährleisten. Die
Rolle dieser Bedingungen ist innerhalb der Pragmatik zu einem zentralen Punkt sowohl zur
Bestimmung des theoretischen Status der illokutionären Rolle als auch zur Ausarbeitung einer Theorie
indirekter Sprechakte geworden. Die Untersuchung diverser späterer Reformulierungen, insbesondere
die von Searle, Gordon und Lakoff, Labov und Fanshel lassen es im Rahmen einer soziolinguistischen
Pragmatik als vertretbar erscheinen, gemäß dem Grad offizieller Anerkennung des jeweiligen Marktes
zu unterscheiden zwischen institutionalisierten illokutionären Akten wie «taufen» und «entlassen», die
innerhalb eines von Institutionen geregelten institutionellen sprachlichen Verkehrs stattfinden, und
intentionalen illokutionären Akten wie «bestätigen» oder «begltickwünschen», in denen die Legitimität
des Sprechenden zwar nicht für den Aktkonstitutiv ist, aber dafür wesentlich fur die Bestimmung der
illokutionären Absicht.

Abstract
Legitimacy and speech act.
In How to Do Things with Words, Austin showed that a speech act is uttered «happily» if the conditions
of felicity make the context appropriate to its implementation. The role of these conditions has proved
to be a central issue for pragmatics, both in defining the theoretical status of illocutionary force and in
constructing a theory of indirect speech acts. Various subsequent reformulations, in particular those of
Searle, Gordon and Lakoff, Labov and Fanshel, are examined. Within the framework of a socio-
linguistic pragmatics, a distinction is proposed, according to the degree of officiality of the market,
between instituted illocutionary acts such as 'baptizing', 'dismissing', which take place in institutionally
regulated linguistic exchanges, and intentional illocutionary acts such as 'asserting', 'congratulating', in
which the legitimacy of the speakers is not constitutive of the act but is essential in order to determine
the illocutionary intention.

Résumé
Légitimité et actes de langage.
Dans Quand dire, c'est faire, Austin a montré qu'un acte est effectué «avec bonheur» si les conditions
de félicité rendent le contexte approprié à son accomplissement. Le rôle de ces conditions s'est révélé
un enjeu central en pragmatique tant pour définir le statut théorique de la force illocutoire que pour
élaborer une théorie des actes de langage indirects. L'examen de diverses reformulations ultérieures,
en particulier celles de Searle, Gordon et Lakoff, Labov et Fanshel conduit à proposer, dans le cadre
d'une pragmatique sociolinguistique, une distinction selon le degré d'officialité du marché entre les
actes illocutoires institués tels que «baptiser», «licencier» qui ont lieu dans des échanges linguistiques
réglés institutionnellement par une institution et les actes illocutoires intentionnels, tels qu'«affirmer»,
«féliciter» où la légitimité de celui qui parle n'est pas constitutive de l'acte mais est essentielle pour la
détermination de l'intention illocutoire.
MICHEL DE FORNEL

LEGITIMITE

E14CTES

aient l'intention d'adopter le comportement impliqué.


De plus,
(C2)
ils doivent se comporter ainsi, en fait, par la suite» (4).
Depuis
s'intéressent
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(2).
les
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du Austin distingue deux grandes catégories de
conditions (A et B d'un côté et C de l'autre). Le non-
respect d'une condition (Austin emploie aussi le mot
règle) de la première catégorie invalide l'acte (voids it),
alors que le non-respect de la deuxième catégorie le
vide (makes it hollow) mais l'acte n'est pas invalidé
pour autant. Austin propose d'appeler ratés (misfires)
les échecs pour manquement aux règles de la première
Quand dire, c'est faire catégorie. Dans les deux cas, le fonctionnement d'un
Austin, dans la série de conférences que constitue performatif n'est pas décrit en termes de conditions de
Quand dire c'est faire, a décrit les énoncés perfor- vérité mais en termes de succès et d'échecs. La première
matifs (3). Leur énonciation équivaut à catégorie de conditions (A et B) correspond en fait à
l'accomplissement d'un acte, et les performatifs sont donc des la dimension sociale (institutionnelle) de l'usage des
actions faites au moyen de la parole. Pour que ces performatifs. Le rôle constitutif de cette catégorie,
actions soient effectivement réalisées, il faut des constitutif du pouvoir social des énoncés performatifs,
contextes particuliers et adéquats. Dans sa deuxième analysé par clairement n'a pas été
les
dégagé par Austin, et n'a pas été
linguistes. Pierre Bourdieu a souligné
conférence, Austin s'est attaché à analyser les que ce que l'on a retenu d'Austin, c'est le fait que le
circonstances qui empêchent la réussite d'un performatif, pouvoir des mots semble se situer dans les mots, dans
ce qui lui a permis de dégager les conditions qui la force illocutoire et non dans les conditions sociales
régissent l'emploi «heureux» d'un performatif : d'usage du discours alors que les performatifs ne font
«(A.l) qu'indiquer ou représenter cette force illocutoire (5).
II doit exister une procédure, reconnue par convention, Pour dépasser certaines contradictions que pose
dotée par convention d'un certain effet, et comprenant l'opposition entre constatif et performatif, Austin
l'énoncé de certains mots par de certaines personnes formule à partir de la septième conférence une théorie
dans de certaines circonstances. De plus, des actes de langage, en particulier des actes illocutoires,
(A.2) produits en disant quelque chose. Ces actes illocutoires
il faut que, dans chaque cas, les personnes et peuvent, selon Austin, se représenter au moyen des
circonstances particulières soient celles qui conviennent pour
qu'on puisse invoquer la procédure en question.
(B.l)
La procédure doit être exécutée par tous les 1— Cf. aussi G. Fauconnier, Comment contrôler la vérité, Actes
participants, à la fois correctement et de la recherche en sciences sociales, 25, janvier 1979 ; M. de
Fornel et P. L'heureux-Bouron, Quelques remarques sur le rituel
(B.2) et les actes de langage, Semantikos, IV, 2, 1980.
intégralement. 2— P. Bourdieu, La distinction, Paris, Éd. de Minuit, 1979 ; et
(Cl) Le sens pratique, Paris, Éd. de Minuit, 1980.
Lorsque la procédure, comme il arrive souvent, suppose 3— J. L. Austin, How to Do Things with Words, Oxford, Clarendon
chez ceux qui recourent à elle certaines pensées ou Press, 1962, trad, franc. Quand dire c'est faire, Paris, Éd. du Seuil,
certains sentiments, lorsqu'elle doit provoquer par 1970.
la suite un certain comportement de la part de l'un ou 4— J. L. Austin, How to Do Things with words, op, cit., p. 49.
de l'autre des participants, il faut que la personne qui 5— P. Bourdieu, Le langage autorisé, Actes de la recherche en
prend part à la procédure (et par-là l'invoque) ait, en sciences sociales, 5-6, novembre 1975 ; et Ce que parler veut dire,
fait, ces pensées ou sentiments et que les participants Paris, Fayard, 1982.
32 Michel de Fornel

performatifs que l'on vient d'examiner. La question de l'auditeur fasse l'acte implique par déduction qu'il veut
la représentation de la force illocutoire se trouve alors que l'autre le fasse, qu'il peut le faire, qu'il aura la
déplacée au profit de la question du statut des volonté de le faire et qu'il est nécessaire qu'il lui
conditions sociales d'accomplissement de ces actes illocu- demande pour que l'acte soit fait. Celles-ci jouent
toires. Pour montrer la dissociation possible entre donc un rôle important en pragmatique, car leur
pouvoir et énonciation, Bourdieu se sert de l'exemple référence permet normalement de formuler toutes les
paradigmatique du porte-parole, dont le pouvoir n'est expressions grammaticales d'une force illocutoire.
que délégué : s'il peut dire «je vous licencie», c'est en Gordon et Lakoff ont ainsi postulé que l'on peut
fonction de l'autorité, de la «garantie de délégation» transmettre une requête soit par l'assertion d'une
dont il est investi. L'ensemble de la structure sociale condition de sincérité du locuteur, soit par la mise en
est mis enjeu. question d'une condition de sincérité de l'auditeur.
Si le principe de l'efficacité du discours ne tient L'intérêt des conditions de sincérité est donc de
pas au discours lui-même, c'est qu'il tient à l'adéquation permettre d'expliquer les phénomènes d'indirection.
entre le discours et les conditions qui sont à son principe. Mais elles constituent une restriction profonde quant
Si les conditions dégagées sont uniquement à la perspective d'Austin qui s'est toujours défendu
linguistiques, nous n'aurons qu'une tautologie. Il importe donc des connotations psychologiques des termes qu'il
de dégager les conditions sociales d'usage qui en employait,
déterminent l'efficacité. Dans certains cas (juge,
porte-parole,...), ces conditions mettent en jeu non
seulement des éléments comme la position sociale,
mais aussi la position de délégué dans telle ou telle
institution. Une approche sociolinguistique :
Labov-Fanshel
William Labov et David Fanshel, dans Therapeutic
Discourse, formulent, d'un point de vue
Une solution psychologique : sociolinguistique, des règles de discours (8). Ces règles de production
Searle et Gordon-Lakoff et d'interprétation ont pour rôle de relier le dire et le
faire. Si l'on prend par exemple les demandes
A la différence d'Austin, Searle développe avant tout la d'information et d'action, on constate qu'il s'agit pour Labov
deuxième catégorie austinienne (C) et insiste donc sur et Fanshel de leur donner un contenu sociologique.
les dispositions psychologiques qui régissent l'emploi Leur point de départ pour l'élaboration d'une règle de
des actes (6) : ainsi, il inclut dans l'ensemble des règles demande est la constatation que si l'on peut formuler
une règle de sincérité ; pour l'acte illocutoire de une demande sous la forme d'un ordre, avec une phrase
demande, ce sera : «le locuteur désire que l'auditeur comme «va chercher le balai» (emploi d'une forme
effectue l'acte». Les autres règles seront les règles de imperative), on peut aussi utiliser d'autres constructions
contenu propositionnel (a), les règles préliminaires comme «pourras- tu s'il te plaît aller chercher le balai?»,
(b, c, d), essentielle (e) : «n'est-ce pas le moment de balayer ?», «cette pièce est
a/ acte futur C de l'auditeur A bien poussiéreuse», qui sont respectivement une
b/ l'auditeur A est en mesure d'effectuer C demande (stricto sensu), une suggestion, une insinuation.
c/ le locuteur L pense que l'auditeur est en mesure Leur première innovation est de subsumer l'ensemble
d'effectuer C de ces constructions sous une même catégorie, la
d/ il n'est certain ni pour L ni pour A que A serait demande d'action. La demande comme acte de langage
conduit de toute manière à effectuer C de lui-même devient ainsi un terme abstrait subsumant un ensemble
e/ essayer d'amener A à faire C. de termes, unifiant un micro-champ lexical, alors qu'elle
De même, Gordon et Lakoff mettent au premier plan est elle-même un de ces termes. L'important n'est pas
la sincérité du locuteur dans la formulation de leurs seulement le risque de confusion entre ce terme
postulats de conversation (7). Ces postulats de singulier et le terme désignant la classe, mais que l'on
conversation tentent de formuler une description des actes rompe par-là avec la tradition des actes illocutoires née
indirects de langage : ceux-ci sont des actes qui sont de la réflexion sur les performatifs. On peut en voir un
exprimés au moyen d'un énoncé portant sur un autre autre indice dans le fait que Labov et Fanshel ne
acte de langage. Ainsi, la requête d'action : «va chercher prennent pas la forme performative explicite
le vélo» pourra être exprimée au moyen d'un autre acte correspondant à chaque phrase comme forme de base
de langage, par exemple une requête d'information : (respectivement : je vous ordonne, je vous demande,
je vous suggère, j'insinue). Ils peuvent donc insérer
Peux-tu aller chercher le vélo ? l'insinuation dans la demande d'action alors que celle-ci
Serais-tu disposé à aller chercher le vélo ? occupe normalement un statut à part, vu sa non-
Or, cette possibilité d'indirection pourra se faire de performativité (9). Labov et Fanshel formulent la règle
manière privilégiée au moyen des conditions de sincérité. de requête de la façon suivante :
On parlera alors de conditions de sincérité puisque le «Si un locuteur A adresse à un locuteur B une phrase
fait que le locuteur requiert de manière sincère que sous forme imperative spécifiant une action X à un
moment T, et que B croit que A croit que
o— Cf. J. R. Searle, Speech Acts, Cambridge, Cambridge
University Press, 1969.
7— D. Gordon et G„ Lakoff, Conversational Postulates, in P. Cole 8— W. Labov et D. Fanshel, Therapeutic Discourse, Psychotherapy
et J. L. Morgan, eds, Syntax and Semantics, vol. 3 Speech Acts, as Conversation, New York, Academic Press, 1977.
New York, Academic Press, 1975, p. 86 ; voir la critique de 9— Cf. par exemple P. Strawson : Études de philosophie et de
:

G. Gazdar
New York, Academic
des postulats
Press, de1979.
sens in G. Gazdar, Pragmatics, linguistique, Paris, Éd. du Seuil, 1977, p. 186 ; Z. Vendler ,
Res Cogitans, Ithaca, Cornell University Press, 1972.
Légitimité et actes de langage 33

1 a : X devrait être fait (pour un but Y) dantes peuvent être trouvées dans les objections
lb: B ne ferait pas X en l'absence de la demande que l'on a pu faire au classement en deux catégories
2 : B a la capacité de faire X (avec un instrument Z) d'Austin ; Heringer a montré par exemple qu'il y a des
3 : B a l'obligation de faire X ou a la volonté de le faire conditions de sincérité qui peuvent rendre non valide
4 : A a le droit de dire à B de faire X un acte et pas seulement le vider de sens (14) : «il y a
alors A est entendu comme faisant une demande des cas où les conditions de félicité sur les croyances
d'action valide» (10). du locuteur et de l'interlocuteur sont centrales à l'acte
Cette règle de discours présente plusieurs innovations en train d'être effectué, au sens où elles ne peuvent
d'importance variable. Prendre l'auditeur comme point être isolées sans invalider l'acte illocutoire effectué.
de départ tient seulement à ce que l'on élabore des Par exemple, pour qu'un locuteur effectue l'acte de
règles d'interprétation, contrairement à la tradition des promettre, son interlocuteur doit préférer que le
actes de langage qui proposait des règles de production locuteur fasse ce qu'il est en train de promettre de faire,
(privilégiant le locuteur, cf. plus haut Searle, Gordon et à ce qu'il ne le fasse pas, et le locuteur doit croire que
Lakoff). Plus intéressante est l'idée d'une série de l'interlocuteur le préfère», et reprenant Searle : «pour
croyances réciproques qu'implique la formule «B croit effectuer l'acte de menacer, d'un autre côté, le
que A croit que». L'utilisation de cette formule est une locuteur doit croire que l'auditeur le préfère». Les
variante de la reformulation, par Strawson puis par conditions de sincérité dans ce cas-là ne rendent pas
Searle, des propositions austiniennes à l'aide du concept l'acte insincère, mais l'invalident.
d'intention de Grice (11). Labov et Fanshel proposent d'ajouter parmi les
conditions sur les règles les droits et les obligations.
L'apport majeur de Labov et Fanshel est la notion d'acte de Ils retrouvent par-là l'inspiration d'Austin car les droits
langage valide, et de conditions de validité sur les actes. Après et les obligations ne sont qu'un cas particulier de la
avoir remarqué que la tradition philosophique des actes de procédure institutionnelle posée au principe des actes
langage réfère normalement à la notion de conditions de sincérité, de langage. Leur proposition constitue donc une
et que celles-ci ont été reprises par les linguistes, en particulier précision par rapport à la catégorie A. 2 d'Austin.
Gordon et Lakoff, Labov et Fanshel ajoutent : «Notre terme B.l et B.2 en découlent. Il n'est que de reformuler
demande valide d'action est équivalent mais il met en relief la
nature objective des faits sociaux plutôt que d'impliquer quelque la catégorie A. 2 en A'. 2 :
chose sur l'état psychologique des personnes en cause II y a des
cas dans lesquels l'auditeur peut condamner le locuteur comme (A\2)
entièrement insincère mais se sentir encore obligé d'effectuer la II faut que, dans chaque cas, les personnes et
demande d'action. Les officiers pendant le service militaire circonstances particulières soient celles qui conviennent pour
donnent fréquemment des ordres à des volontaires qui violent qu'on puisse invoquer la procédure en question,
toutes les préconditions d'un point de vue subjectif mais qui et plus précisément que les positions objectives des
sont entièrement valides d'après les faits sociaux reconnus que
le locuteur doit croire» (12). Comme nous l'avons vu plus haut, personnes, en particulier leurs rapports de droits et
les conditions de sincérité chez Searle, Gordon et Lakoff réfèrent d'obligations, soient conformes à l'acte mis en jeu.
à la deuxième catégorie d'Austin qui «rend l'acte purement
verbal» ou «creux». Il est donc difficile de soutenir que parler On vérifiera que B.l et B.2 dépendent de la
de «demande valide» constitue une «sociologisation» des conformité des relations précisées ci-dessus. Par exemple,
conditions de sincérité puisque la validité d'un acte, eu égard à pour reprendre l'exemple d'Austin, si ce n'est pas le
l'ensemble des conditions qui forment la règle, réfère plutôt aux prêtre mais un imposteur qui célèbre le mariage et qui,
conditions de félicité — dont les conditions de sincérité ne sont donc, ne possède pas le pouvoir délégué de l'institution
qu'une sous-partie — sauf à postuler que la théorie austinienne
constitue une sociologie adéquate La règle de demande est fausse (il ne peut s'arroger qu'un rôle), l'acte de mariage ne
de ce point de vue : si la condition la, ou 2, ou 3 n'est pas sera pas valide (c'est le pouvoir de sanction de
remplie, la règle n'est pas nécessairement non valide, elle peut l'institution) (15).
être simplement fausse. Labov et Fanshel remarquent par ailleurs Mais cette intégration des droits et des
que Gordon et Lakoff utilisent «trois des cinq termes qui obligations dans les conditions entraîne une difficulté
apparaissent dans notre règle : besoins, capacités et désirs.
Leur équivalent de notre précondition besoins est le prédicat théorique : les prédictions que l'on fait alors ne
VOULOIR (et pour lb, simplement la non-existence de l'action) ; permettent pas la production ou l'interprétation des
leur équivalent de capacité est le prédicat POUVOIR ; et pour règles de demandes indirectes, au sens où les demandes
désir et volonté, leur prédicat VOLONTÉ. Obligations et droits indirectes participent de 1'« atténuation» des demandes
n'apparaissent pas dans leur discussion ; ceci se comprend
puisqu'ils considèrent des conversations hypothétiques qui ne directes. La raison essentielle est que ces deux
sont pas inscrites dans un contexte social donné» (13). De leur conditions supplémentaires portent toujours sur la validité et
point de vue, qui est la formulation des postulats de conversation non sur la seule sincérité et/ou la politesse d'un acte.
qui rendent un acte non sincère, Gordon et Lakoff ont raison Labov et Fanshel formulent ainsi la règle de demande
de refuser de les caractériser en termes de conditions de validité, indirecte :
qui les conduiraient à des prédictions linguistiques fausses.
«Si A fait à B une demande d'information ou une
L'intérêt de la perspective de Labov et Fanshel est de assertion à B sur
prendre en compte le contexte social au lieu de a/ le statut existentiel d'une action X qui doit être
construire des règles logico-sémantiques hors contexte effectuée par B
comme Gordon et Lakoff. Ils ne peuvent s*en tenir aux b/ les conséquences de l'effectuation d'une action X
conditions de sincérité mais doivent prendre en compte c/ le temps tx où une action Xdoit être effectuée par B
les deux catégories de conditions, bref l'ensemble des d/une des préconditions pour une demande valide
conditions de félicité d'Austin. Des raisons indépen- donnée dans la règle de demande,
et si toutes les autres préconditions fonctionnent,
10-W. Labov et D. Fanshel, op. cit., p. 78,
1 1— H. P. Grice, Utterer's Meaning and Intentions, Philosophical 14— J. T. Heringer, Some Grammatical Correlates of Felicity
review, 1968O •Conditions and Presuppositions, Ph D thesis, The Ohio State
12-W. Labov et D. Fanshel, op. cit., p. 80. University, Indiana University Linguistic Club, 1976, p. 7.
13-Ibid.,p. 81. 15— Cf. Po Bourdieu, Le langage autorisé, art. cit.
34 Michel de Fornel

alors A est entendu comme faisant une demande Searle nous semble faire, malgré sa prudence,
valide d'action X à B» (16). la même erreur quand il affirme que l'on peut formuler
Labov et Fanshel donnent ensuite une série une «directive indirecte» en faisant référence aux
d'exemples qui portent sur ces différentes possibilités. raisons qu'a l'auditeur de faire l'action en question ;
Ces exemples de demande indirecte n'ont pas tous le cette dernière catégorie, tout en étant plus large, inclut
même statut, et en particulier les droits et les obligations les droits et les obligations de Labov et Fanshel. Par
occupent une place à part. On peut s'en apercevoir par exemple, on aura :
comparaison avec les exemples de Gordon et Lakoff. Tu dois être plus poli avec ta mère
Ceux-ci, après avoir donné des exemples portant sur Tu devrais partir immédiatement
dl-2 et 3 (deuxième partie) comme : La première phrase est avant tout une remontrance,
Je veux que tu sortes la poubelle mettant en cause des faits passés (un comportement
Peux-tu sortir la poubelle ? impoli). Quant à la deuxième, on peut hésiter à la
Aurais-tu la volonté de sortir la poubelle? qualifier de requête indirecte : c'est un ordre sous forme
Est-ce que tu sortiras la poubelle ? affirmative (19).
affirmaient que des phrases pourtant similaires ne De cette difficulté linguistique, comme le montre
transmettaient pas une demande : l'ensemble de ces exemples, on peut conclure qu'il ne
faut pas intégrer les droits et les obligations dans les
Je suppose que tu vas sortir la poubelle ? conditions ; si les droits et les obligations interviennent
Dois-tu sortir la poubelle ? dans la requête, c'est en tant qu'ils déterminent la
Est-il probable que tu sortes la poubelle ? fonction sociale de l'acte. Il sera par exemple tout aussi
Gordon et Lakoff constataient que ces phrases ne possible d'avoir une demande indirecte mettant en jeu
pouvaient transmettre une requête. Nous ne voyons les obligations du locuteur :
pas pour quelles raisons cela ne serait pas possible, mais X veut faire une demande d'action à Y (ranger sa
il est certain que celles-ci la transmettent de manière maison) :
très différente des exemples ci-dessus, qui sont vraiment X peut dire: «je vais être encore obligé de ranger cette
des demandes indirectes, où, comme le dit Searle (17), maison».
«l'acte illocutoire primaire effectué» est une demande
d'action et le locuteur le fait «au moyen d'un acte Cette phrase, renvoyant aux obligations de X, peut être
illocutoire secondaire», qui est une demande une demande d'action. Il n'empêche que sa force
d'information. illocutoire est une affirmation et que ce n'est que par
Au contraire, dans le cas des phrases qu'on vient implicitation qu'elle peut être une requête d'action.
de citer, nous avons d'abord une demande L'inclusion des droits et des obligations ne peut
d'information, qui dans certains cas pourra impliciter (18) une que rendre la règle sans pertinence 0 La solution que
demande d'action. Il en est de même des exemples de nous proposons consiste à limiter le nombre des
Labov et Fanshel qui illustrent l'utilisation des droits conditions qui portent sur les règles, à ne pas chercher
et des obligations : à y inclure les droits et les obligations et à renvoyer les
autres possibilités de demandes indirectes à un
a/ N'est-ce pas votre tour de dépoussiérer ? mécanisme sociolinguistique différent qui fasse appel aux
b/ Tu dois faire ta part en gardant cet endroit propre espaces sociaux dans lesquels elles s'effectuent. On ne
c/ Est-ce que tu ne m 'as pas demandé de te rappeler de les appellera pas demandes indirectes, mais demandes
nettoyer cet endroit ? inplicitées.
â/ Je dois m' occuper de cet endroit, mais pas faire tout Il y a d'ailleurs des raisons sociologiques pour
le travail restreindre le champ des demandes indirectes à la mise
Ces exemples possèdent des statuts très différents : en jeu de conditions excluant les droits et les
(a) pourra surtout impliciter que ce n'est pas au locuteur obligations. Comme le remarquent Labov et Fanshel eux-
de dépoussiérer, avant d'impliciter une requête d'action mêmes, «les demandes d'interaction sociale de face à
adressée à l'auditeur ; (b) sera toujours un «rappel à face exigent que des désirs atténués soient produits
l'ordre» incluant entre autres éléments une demande entre adultes, ou quand un enfant fait une requête à
d'action, plutôt qu'une demande indirecte d'action ; un adulte» (20). Searle, après d'autres, affirme : «Dans
quant à (c), il ne porte pas tant sur les obligations de les directives, la politesse est la principale motivation
l'auditeur que sur les obligations du locuteur à lui pour l'indirection» (21). Faire référence aux droits et
rappeler une action à faire, et (d) est nettement aux obligations n'est donc pas approprié pour
construit pour obliger l'auditeur à prendre position. l'indirection. Il l'est encore moins si, comme l'affirme Alice
Davison, l'usage de la politesse dans les actes de
langage — qu'il faut se garder de croire primordial — est
16-W„ Labov et D. Fanshel, op. cit., p0 82.
17— J. R. Searle, Indirect Speech Acts, in P. Cole et J. L. Morgan,
eds, Syntax and Semantics, op, cit., po 59. 19— Ces énoncés peuvent aussi être exclus par un principe
18— L'implicitation (implicature) est une proposition qui est comme celui formulé par Forman : on n'asserte qu'une
impliquée par renonciation d'une phrase dans un contexte proposition du locuteur (qui est une proposition sur laquelle le locuteur
donné, quoique cette proposition ne soit ni une partie ni un a un savoir plus direct que l'auditeur) ; on ne questionne qu'une
«entailment» de ce qui est dit. H. P. Grice, dans Logic and proposition de l'auditeur (qui est une proposition sur laquelle
Conversation (in P. Cole et J. L. Morgan, eds, Syntax and l'auditeur a un savoir plus direct que le locuteur). Les obligations
Semantics, op. cit.), en distingue deux sortes : conventionnelle de l'auditeur ne peuvent être assertées pour former un acte de
et non-conventionnelle (conversationnelle). C'est à cette langage indirect, car il s'agit d'une proposition de l'auditeur,
deuxième catégorie que nous faisons référence ici. (Pour un d'où la non-pertinence de ces deux énoncés. Cf. D. Forman,
traitement formel des maximes de Grice, cf. G. Gazdar, The Speaker Knows the Best Principle, Chicago Linguistic
Pragmatics, op. cit.). Nous reprenons la traduction d'«implicate» Society, 1974.
par impliciter et de «implicature» par implicitation proposée
par les traducteurs de Logique et conversation dans 20-W. Labov et D. Fanshel, op. cit., p. 83.
Communications, 30, 1979. 21— J. R. Searle, Indirect Speech Acts, art. cit., p. 64.
Légitimité et actes de langage 35

dû au fait qu'«en assertant ou en posant une question, peuvent appartenir à l'une ou l'autre catégorie, car il y
ou souvent en faisant une demande ou une offre, le a un continuum des situations ritualisées aux situations
locuteur introduit un sujet que l'auditeur trouvera non ritualisées (25).
douloureux ou troublant et que le locuteur ne se sent Les actes de langage institués ont lieu dans les
pas vraiment en droit de discuter» (22). Elle rapproche échanges linguistiques réglés institutionnellement par
cet usage de l'emploi de formes comme «Excusez-moi, une institution. Ils forment une part essentielle des
mais», «Je suis désolé, mais», ou «Si je peux me procédures d'institution : leur interprétation est
permettre, je...». pré-construite et pré-attribuée et un pouvoir symbolique
Par rapport aux tentatives précédentes, les leur est conventionnellement dévolu. Par l'emploi de
conditions de validité de Labov et Fanshel ont donc «Je te baptise X», «Je vous déclare unis par les liens du
l'intérêt de répondre à la nécessité d'une approche mariage», dans les conditions requises, les sujets seront
sociologique, mais se heurtent à deux difficultés : baptisés, mariés, etc. // ne suffit pas de dire pour faire :
1- elles font des prédictions linguistiques fausses, ce la formule explicite ou officialise un acte (qui ne pourra
qui entraîne la nécessité d'exclure les droits et les donc plus être nié), mais encore faut-il que l'acte qui
obligations des conditions ; 2- elles ne s'inscrivent fait acte soit fait conventionnellement et de manière
pas dans un cadre théorique cohérent, appartenant à publique, et donc enregistrable et enregistré dans un
la fois à la sphère de l'intentionnalité gricéenne (B croit registre officiel. Les actes de langage institués
que A croit que), et à la sphère de l'institutionnalité symbolisent une procédure, la condensent. Leur emploi
(validité vs non-validité). Les règles de discours doivent intempestif, hors des institutions, n'a aucune efficace,
donc être reformulées pour surmonter ces deux est lettre morte. Ils appartiennent donc à des
difficultés. institutions, possédant Yauctoritas et détenant le monopole
de leur accomplissement. Benveniste a noté la relation
fréquente, en latin, entre les termes qui dénotent les
institutions et les verbes marquant la notion de dire
autorisé. L'institutionnalisation est un processus
d'objectivation sociale qui s'opère aussi par le discours.
Actes de langage En retour, des actes de langage se trouvent convention-
et structure de l'interaction nalisés, c'est-à-dire institués. L'effectuation d'un acte
La sociologie des rapports de force symboliques permet illocutoire institué suppose donc non seulement la
de donner un cadre sociologique cohérent aux actes de croyance dans le caractère conventionnel de l'acte
langage et aux règles de discours qui en décrivent le effectué (qui fonctionne aussi comme indice d'une
fonctionnement. Elle permet de proposer des directions situation officielle), mais aussi dans la légitimité de
pour une reformulation des règles de discours celui qui parle. Pour les actes d'institution, comme le
permettant d'expliquer des phénomènes liés à la mise en jeu rituel religieux ou la situation pédagogique, la légitimité
du contexte social. des agents sociaux n'a généralement pas à être
En effet, l'interaction linguistique s'établit dans continûment négociée, car ils disposent d'une «autorité de
un rapport de force symbolique et constitue un marché fonction» (26). Baptiser, licencier sont donc des actes
dont le degré d'officialité varie (23). A un extrême, appropriés au double sens du terme : ils sont appropriés
le marché officiel se spécifie avant tout sous la forme à une situation donnée et entraînent des effets
d'un rituel social, appartenant à un champ spécialisé, institutionnels ; et ils sont appropriés par une classe de
qu'il soit éducatif, religieux, juridique, etc. A l'autre locuteurs spécifique, porte-parole, prêtre, juge, investis
extrême, le marché se caractérise par le poids des du pouvoir légitime d'énoncer de tels actes (27). Ces
éléments objectifs structurant l'interaction actes à caractère public, officiel, «où le groupe s'autorise
conjoncturelle, en particulier les positions respectives des lui-même à faire ce qu'il fait», supposent donc le
interlocuteurs, les habitus qui engendrent les diverses consensus sur la valeur conventionnelle de l'acte et
stratégies et tactiques linguistiques. A ces deux types mobilisent la croyance collective, «c'est-à-dire les
d'interaction linguistique, on peut faire correspondre dispositions socialement façonnées à connaître et à
deux types majeurs d'actes de langage, les actes illocu- reconnaître les conditions institutionnelles d'un rituel
toires institués, tels que «baptiser», «sacrer», «licencier», valide» (28). D'une certaine manière, parce qu'ils
et les actes illocutoires intentionnels, tels qu'« affirmer», reposent constitutivement sur les conditions de
«s'excuser», «féliciter» (24). De nombreux actes félicité — en particulier la légitimité de celui qui parle —,
les actes de langage sont toujours malheureux puisque
leur réussite même — la présence de l'ensemble des
22— A. Davison, Indirect Speech Acts and what to Do with them, conditions d'emploi — suppose la croyance dans le jeu
in P. Cole et J. L. Morgan, eds, Syntax and Semantics, op. cit., et les enjeux du jeu (29), c'est-à-dire la méconnaissance
p. 153. de l'imposition d'un arbitraire social.
23— Pour l'analyse détaillée du lien entre marché et discours,
cf. l'ensemble du chapitre 2 : La formation des prix et
l'anticipation des profits, in P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, 25— De plus, des actes intentionnels peuvent évidemment avoir
Fayard, 1982. lieu dans le cadre d'une institution.
24— Une distinction similaire est faite par James Urmson qui 26— P. Bourdieu, Une interprétation de la théorie de la religion
tente de réhabiliter, contre Austin lui-même, la thèse des perfor- selon Max Weber, Archives européennes de sociologie, 12, 1971,
matifs, cf. J. O. Urmson, Performative Utterances, in P. A. French, p. 13.
T. E. Uehling, H. K. Wettstein, Contemporary Perspectives in 27— La délégation de pouvoir peut aussi concerner le rapport entre
the Philosophy of Language, Morris University of Minnesota institutions et devenir un enjeu social et politique : c'est le cas
Press, 1979. Cette distinction est approfondie par Ken Bach et au Moyen-Age lorsque la puissance pontificale, détentrice de
Robert Harnish qui distinguent les actes illocutoires Yauctoritas, source de légitimité, a voulu se réapproprier le
conventionnels et les actes illocutoires communicatifs, et qui développent pouvoir d'exécution, délégué à la regalis potestas.
une analyse centrée, à la différence de la nôtre, sur les notions 28— P. Bourdieu, Les rites d'institution, Actes de la recherche en
de convention, de consensus et de croyances mutuelles. sciences sociales, 43, juin 1982, p. 63.
Cf. K. Bach et R. M. Harnish, Linguistic Communication and
Speech Acts, Cambridge, MIT Press, 1979. 29— P. Bourdieu^ Les rites d'institution, art. cit.
36 Michel de Fornel

Le mécanisme romain du census, agents et actes le pouvoir de la parole du sénateur selon Cicerón où
(censeo, census) exemplifie les deux valeurs illocutoires Yelocutio s'adjoint à la puissance de Y auctoritas et se
des actes de langage institués (30). Le censor est d'un présente comme son redoublement nécessaire (36).
côté celui qui procède à la hiérarchisation sociale en Dans ce dernier cas, l'efficacité symbolique d'un acte
tenant compte des différences de classes préexistantes de langage est fonction de sa capacité à valoriser son
et de la fortune : il consacre, institue. De nombreux capital d'autorité, et de sa capacité argumentative à
actes institués correspondent à cette dimension : capter la légitimité constitutive du champ en s'affirmant
nommer, élire, etc. Mais le censor est aussi celui qui juge, «autorisé». Les actes intentionnels ne sont donc pas
qui honore mais aussi «par sa déclaration, dégrade directement liés à Voue toritos de celui qui parle. Si la
(nota censoria), au point que notre moderne censure légitimité n'est pas constitutive de l'acte, comme dans
ne s'exerce plus que dans ce sens» (31). Les actes les actes institués où le dit n'a valeur d'acte que parce
illocutoires institués de ce type (condamner, révoquer) que celui qui le dit a autorité pour le dire, elle est
sont extrêmement nombreux, régis par des conditions essentielle pour la détermination de l'intention
de félicité spécifiques. illocutoire puisqu'elle contribue à construire les principes
Les actes illocutoires institués sont une sous- conversationnels propres à la structure de l'espace
classe de ce que Pierre Bourdieu appelle des actes de social.
magie sociale, qui regroupent des actes aussi différents Sur un marché officiel, la structure conjoncturelle
que «le mariage ou la circoncision, la collation des de l'interaction n'est qu'une variante paradigm atique
grades ou des titres, l'adoubement du chevalier, la de la structure objective : la distribution de l'autorité
nomination à des postes, des charges, des honneurs, légitime n'a pas à être véritablement négociée et la
l'imposition d'une griffe, l'apposition d'une signature légitimité qui est au principe des actes institués est,
ou d'un paraphe» (32) ; on ne doit donc pas, pour pour reprendre Husserl, une légitimité normative. Au
les analyser, les rapporter aux actes physiques (comme contraire, moins la situation est ritualisée, plus la
fait pair exemple Alain Berrendonner), mais aux actes légitimité devient une fonction décisive de la structure
symboliques qui agissent sur le réel en agissant sur la objective, pouvant intervenir dans la structure
représentation du réel (33). Si un énoncé peut avoir conjoncturelle de l'interaction et déterminer les stratégies
conventionnelkment valeur d'acte, ce n'est pas parce linguistiques. Les règles de discours de Labov et Fanshel,
que l'acte est difficile, voire impossible, à faire, mais modifiées, permettent la formalisation de ces actes
parce que les agents sociaux s'accordent à le iltocutoires intentionnels. Elles supposent la
reconnaître pourvu de cette valeur, de même qu'ils production d'une intention illocutoire et la mise en jeu
s'accordent à reconnaître dans l'objet griffé non plus un de principes de conversation pour inférer, à partir du
objet commun mais un objet de valeur (34). «L'effet sens littéral et du contexte d'énonciation, une
magique de la griffe change non la nature matérielle interprétation de l'acte contextuellement approprié. En
mais la valeur sociale de l'objet» (35). C'est aussi une particulier, l'intention illocutoire est sous-jacente par
marque sociale qui condense l'ensemble d'un rituel de exemple à la formule «...B croit que A croit que (...),
célébration et de consécration sociale. alors A est entendu comme faisant une demande valide
La différence entre actes illocutoires institués d'action». Cette croyance n'a de sens que si elle est
et actes illocutoires intentionnels, comme «s'excuser», accompagnée d'une évaluation de la légitimité de l'acte,
«féliciter», etc., est comparable à celle qui différencie légitimité qui dépend tout autant de la situation
le pouvoir de la parole du haut magistrat romain avant d'interaction que des propriétés sociales de A et B. De
Cicerón, qui est supporté seulement par Yauctoritas, et même, A n'a pu faire une demande d'action qu'en
confrontant le poids de son capital symbolique à ceux
30— Les notions de censor, auctor, auctoritas sont analysées de des autres interactants. Son caractère approprié dépend
manière quelque peu divergente par Emile Benveniste (Le de la légitimité de celui qui l'énonce. Que ce soit de la
vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Éd. de part du locuteur pour la production de cette requête
Minuit, 1969, t. 2), et par Georges Dumézil (Idées romaines, ou de la part de l'auditeur pour son interprétation
Paris, Gallimard, 1969). adéquate, une évaluation pratique du rapport de force
31-G. Dumézil, op. cit., p. 107. symbolique est nécessaire. La formulation de la règle
32— P. Bourdieu, Les rites d'institution, art. cit., p. 62. doit donc être modifiée pour intégrer le fait qu'à la
croyance du locuteur correspond aussi une évaluation
p. 59. pratique de la structure de l'interaction. Théoriquement
34— Alain Berrendonner a mis en relief le fait que «la substitution distincts, les deux moments, détermination de la valeur
d'un dire au faire ne sera donc praticable que s'il existe, par
ailleurs, quelque garantie que renonciation — Ersatz sera quand illocutoire et détermination de la valeur sociale associée
même suivie d'effets» et que «cette garantie se trouve non dans à ces actes, ne peuvent être en pratique distingués.
la langue, mais dans les institutions» (Eléments de pragmatique
linguistique, Paris, Éd. de Minuit, 1981, p„ 95). Mais la recherche Deux éléments des conditions, les droits et les obligations (dont
d'un critère de suppléance dans une perspective behaviouriste nous avons montré qu'ils ne pouvaient avoir statut de condition),
l'éloigné de l'appréhension des actes illocutoires institués comme peuvent maintenant être inclus au niveau de cette évaluation,
des actes de magie sociale, qui ne tiennent pas leurs propriétés évaluation qui sera une condition générale portant sur tous les
du fait qu'ils sont «trop longs à exécuter», «impossibles à actes de langage. On peut d'ailleurs comprendre maintenant
exécuter», ou «ambigus», même si le pouvoir du locuteur est qu'une des raisons qu'avaient Labov et Fanshel de les mettre
évidemment contraint par les caractéristiques de l'action. dans les préconditions tient sans doute à l'illusion que seule une
Comme le remarquait Spinoza, «si, par exemple, j'ai le droit de classe d'actes, comme les demandes ou les défis (et chez Searle
disposer de cette table, cela ne signifie pas du tout, voyons que les ordres), met en jeu une évaluation des droits et des
j'ai le droit de lui faire manger de l'herbe» {Traité de l'autorité
!

obligations respectifs et plus généralement le statut social des agents.


politique, Paris, Gallimard, 1969, Coll. «La Pléiade»). Par L'exclusion des droits et des obligations permet de
ailleurs, le refus de toute force illocutoire conduit, à des préciser les conditions restantes, propres à chaque acte et à
hypothèses linguistiques difficilement soutenables, comme celle de chaque classe d'actes. Ces conditions sont en fait les conditions
¡'«illusion interrogative» (A. Berrendonner, op. cit., p. 139-172). matérielles de possibilité des actes qui,assertées ou questionnées,
35— P. Bourdieu et Y. Delsaut, Le couturier et sa griffe,
contribution à une théorie de la magie, Actes de la recherche en
sciences sociales, 1, janvier 1975, pp. 7-36. 36— Cf. F. Dupont, Cicerón, sophiste romain, Langages, 65, 1982.
Légitimité et actes de langage 37

constitueront les formes standardisées des actes intentionnels s'il ne fait pas de doute qu'il existe des principes
indirects. Elles sont de plus commandées par deux principes généraux de conversation, ceux-ci sont différents
sociaux nécessaires à l'efficacité symbolique de l'acte : la suivant les différents espaces sociaux, et plus
sincérité (37) et la politesse. Leur non-respect met en question
soit la sincérité, soit l'éducation du locuteur. Ce sont donc des précisément les différents marchés linguistiques, d'où une
principes minimaux de tout comportement socialisé, que l'on variation inhérente qui doit être étudiée. Une typologie
porte au crédit du locuteur. Ce non-respect n'entraîne pas la des principes conversationnels propres à chaque espace
mise en question de la légitimité de l'acte, mais celle de sa mise social doit être envisagée et permettrait de préciser les
en forme, puisque l'interactant se trouve à la limite confronté, différentes possibilités d'implicitation.
en cas de respect de ces préconditions, respectivement à la
non-sincérité, voire au cynisme et à la grossièreté. La perspective On peut noter que chercher à constituer des
interactionniste a déjà remarqué que la sincérité et le cynisme principes généraux régissant toute conversation, comme
sont deux pôles du rapport au rôle : comme le dit Goffman, ils le fait Grice, ne peut aboutir au mieux qu'à
«ne constituent pas simplement les deux extrémités d'un l'idéalisation d'une catégorie déterminée de conversation, liée
continuum. Chacune [de ces extrémités] procure à l'acteur une
position qui a des garanties et des avantages d'un certain type, à un modèle prescriptif , tel qu'en formulait par exemple
de sorte que quiconque sera parvenu à proximité de l'un de ces la théologie. Il suffit par exemple de se rappeler les
pôles aura tendance à opérer le passage à la limite». Ces deux principes de conversation du parfait chrétien. On peut
principes expliquent pourquoi la référence aux conditions résumer comme suit ceux d'un abrégé de la pratique
matérielles sera avant tout utilisée pour faire une demande
indirecte (38). Ils fonctionnent «automatiquement», d'où la de la perfection chrétienne (41) :
forme standardisée des demandes indirectes (sans être des D'abord 1- il faut bien considérer ce que
idiomes). Il n'est donc pas nécessaire de formuler une maxime un principe essentiel l'on veut dire (42)
de conversation supplémentaire comme le fait Searle : «parler
idiomatiquement à moins qu'il n'y ait une raison spéciale pour
ne pas le faire» (39). et ensuite 2- il faut savoir la fin et l'inten-
une série de principes tion qui nous oblige à parler
hétérogènes
Les règles de discours, telles qu'elles ont été jusqu'à
présent formulées, sous-entendent de manière implicite 3- il faut que celui qui parle
ou explicite les principes conversationnels de Grice (40). considère et ce qu'il est, et à qui et
Par exemple, en disant «A est entendu comme faisant devant qui il parle
une requête valide à B pour l'action X», Labov et 4- il faut bien considérer le
Fanshel supposent la mise en jeu du principe de temps adéquat pour parler
Coopération de Grice ou un principe similaire, de («savoir dire les choses dans leur
même qu'un sujet social abstrait possédant une capacité temps»)
d'inférence rationnelle. Searle a d'ailleurs montré
qu'une manière d'expliquer les actes de discours avec la sous-règle n'interrompre personne au
indirects en termes d'actes de langage était de supposer lieu de son discours et savoir
en plus de ceux-ci le fonctionnement de principes de prendre son tour
conversation, un sujet rationnel pouvant faire des 5- il faut parler avec une certaine
inferences, un savoir partagé par les interlocuteurs. composition du visage et un
Ces principes de conversation doivent être réexaminés : certain ton de la voix.
Nous avons là une série de principes hétérogènes
37— Cf. P. Bourdieu : «La sincérité (qui est une des conditions de conversation, hétérogénéité qui est le propre de ce
de l'efficacité symbolique) n'est possible — et réalisée — que dans type de traité et qui n'en révèle que mieux l'arbitraire
le cas d'un accord parfait immédiat entre les attentes inscrites culturel qui les produit. Ces principes, du bien dire au
dans la position occupée (...) et les dispositions de l'occupant» parler à propos, de l'évaluation de la situation à la
(La production de la croyance, contribution à une économie des manière de se tenir, autorisent à parler dans le cadre
biens symboliques, Actes de la recherche en sciences sociales,
13, février 1977, pp. 3-43). d'un modèle conversationnel où parler est un mal
38— Entre la demande directe et la demande indirecte existent nécessaire. A un modèle idéalisé de principes
de nombreuses formes intermédiaires, grâce aux multiples conversationnels, il faut substituer un calcul des principes
moyens grammaticaux, tels que les «tag questions». L'usage de conversationnels propres à l'espace social enjeu.
ces moyens n'est pas libre ; le choix de tel ou tel terme de cette Les principes sociaux et conversationnels et les
gradation ne peut être compris qu'en relation avec les propriétés conditions matérielles règlent de manière constitutive
sociales objectives de l'interaction. l'emploi de la force illocutoire. Ils forment un savoir
39— La standardisation liée aux actes de langage indirects n'est pragmatique et s'intègrent donc à la compétence de
pas tant un phénomène de politesse dû au désir de préserver la locution et d'audition du sujet parlant. Comme l'a
face de l'autre (ou la sienne propre) qu'un produit du
formalisme social qui tend à hiérarchiser les formes pour qu'elles montré Pierre Encrevé (43), l'habitus linguistique a
correspondent à un ensemble de situations données» Si l'énoncé : structuré ce savoir : les conditions expriment donc la
«Peux-tu faire X» est plus approprié que l'énoncé : «Es-tu valeur sociale dont est pourvu tout acte illocutoire.
capable de faire X», c'est aussi parce qu'il est nécessaire de Alors que la compétence linguistique se caractérise par
standardiser une forme, qui devient une forme non marquée. une maîtrise plus ou moins grande de la langue légitime,
Sans standardisation, aucune hiérarchisation des formes ne serait
possible et partant aucun ajustement avec la structure de la la compétence pragmatique définit la valeur sociale
relation sociale ; sur le lien entre convention et standardisation propre aux actes et donc aussi les règles dominantes,
cf. K. Bach et R. Mo Harnish, op. cit., p. 195.
40— Ils donnent à l'échange de parole sa cohérence et on s'attend
à les voir respectés par l'ensemble des participants,, Le principe 41— A. de Rodriguez, Abrégé de la pratique de la perfection
le plus général est le principe de coopération : «que votre chrétienne, t. 2, chapitre 12, 1819.
contribution conversationnelle corresponde à ce qui est exigé de 42— On reconnaît là une variante de la maxime de relation de
vous, au stade atteint par celle-ci, par le but et la direction Grice.
acceptés de l'échange dans lequel vous êtes engagé». Sur le
rapport entre performatifs et principes conversationnels, cf. aussi 43— Po Encrevé, A propos du marché linguistique, in N. Dittmar
F. Récanati, Les performatifs explicites, Paris, Éd. de Minuit et B. Schlieben-Lange, eds, Die Soziolinguistik in
1981. romanischsprachigen Ländern, Tübingen, G. Narr, 1982.
38 Michel de Fornel

qui s'imposent comme norme dominante, autorisée, d'un habitus et d'un (ou des) marché(s), dont la
dont dépendent les énonciations autorisées (44). Elle structure contraint ce qui peut être dit.
définit aussi des conditions d'acceptabilité, qui
indiquent la qualité d'une énonciation à être appropriée En accordant, dans son analyse des performatifs,
à une situation. Les conditions d'acceptabilité une place essentielle aux actes illocutoires institués,
définissent la compatibilité entre certains discours et certaines Austin a réveillé les sociologues et les linguistes. Il a
situations, et plus précisément caractérisent la rencontre rappelé aux uns que les rites sont des actes
d'institution (45). Il a permis aux autres de prendre conscience
de l'importance du contexte social — où intervient en
44— Qu'on le pense du côté de la production ou de particulier la légitimité de celui qui énonce — pour
l'interprétation, l'accès aux principes conversationnels propres à
chaque marché n'est pas direct. Ils sont médiatisés par l'habitus l'analyse des actes de langage les plus ordinaires.
linguistique, capacité de mettre en œuvre ce savoir, qui donc se
définit comme la capacité différenciée d'ajustement des
conditions aux différentes situations sociales. Dans cette perspective 45-Cf. Pierre Bourdieu qui montre que les rites d'institution
l'habitus linguistique règle à la fois la compétence pragmatique sont «des phénomènes sociaux fondamentaux aussi bien dans les
et l'usage de cette compétence pragmatique, l'usage des sociétés précapitalistes que dans notre propre monde (le diplôme
conditions et des actes de langage dans les différentes situations appartenant tout autant à la magie que les amulettesMLes rites
sociales et sur les différents marchés. d'institution, art. cit., p. 59).

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